Vous êtes sur la page 1sur 64

Ce

livre numérique est une création originale notamment protégée par les dispositions des lois sur le droit d’auteur. Il est
identifié par un tatouage numérique permettant d’assurer sa traçabilité. La reprise du contenu de ce livre numérique ne
peut intervenir que dans le cadre de courtes citations conformément à l’article L.122-5 du Code de la Propriété
Intellectuelle. En cas d’utilisation contraire aux lois, sachez que vous vous exposez à des sanctions pénales et civiles.
Angel Arekin
Love Business
Tome 2

Nisha Editions

Copyright couverture : Andrey Kiselev


ISBN 978-2-37413-366-9
Have fun !

@NishaEditions

Nisha Editions

Nisha Éditions & Angel Arekin

Nisha Editions

www.nishaeditions.com
&
www.nishassecret.com
SOMMAIRE
Présentation
1. Si j’étais un défaut… Je serais une angoissée ou une peste
2. Si tu étais un animal… Tu serais un caméléon
3. Si j’étais une cigarette… Je me consumerais
4. Si tu étais un péché… Gourmandise ou luxure ?
5. Si j’étais en sucre… Je fondrais pour toi
6. Si tu étais une montagne… Je te gravirais sans m’arrêter
7. Si j’étais un brandon de paille… Je brûlerais
À paraître
À l’homme de ma vie qui
fait toujours vivre mes fantasmes
Si j’étais un défaut…
Je serais une angoissée ou une peste
Declan me toise et j’essaie de dissimuler l’angoisse qui m’assaille à l’idée qu’il vende la mèche à la
famille. Ce serait le pompon de cette journée ! « Oh, regardez, c’est la fille Mordret. Vous savez qu’elle
paie un homme pour sortir avec elle ? Elle doit être vraiment désespérée. En même temps, qui voudrait
d’elle ? » Hoho ! Un chien, peut-être.
Je dois être transparente, alors que je fournis un effort surhumain pour paraître naturelle, mais Jelan se
porte à ma hauteur et noue son bras sur mes reins, me rapprochant de lui avec autorité. Declan lâche l’un de
ses sourires que je ne connais que trop, emprunts de sarcasmes, en lorgnant son bras. Puis il hausse les
épaules et jette un coup d’œil en direction du salon.
– Je dois aller saluer ta sœur.
– Elle est à l’étage.
– Très bien. Je vous reverrai dans la journée. Cette fête promet d’être intéressante.
– Quand le clan Mordret se réunit, il arrive toujours des choses intéressantes.
Il hoche la tête en souriant, se remémorant sûrement la dernière fois où toute la famille s’est prise
d’envie d’organiser un repas dominical. Sa mère a fini la journée en train de danser entre les chaises.
Complètement ivre, elle criait aux fantômes de la maison de la prendre. Son frère, Ciaràn, a passé son
temps à soupirer. Ma sœur a minaudé, puis elle a cru bon de s’envoyer en l’air avec Laurence dans la pièce
à côté en imaginant sûrement qu’on n’entendrait rien. Mon père a feint d’ignorer ce qui se passait,
probablement pour éviter une séance chez un psy. Declan a souri, puis m’a tenu compagnie lorsque j’ai
désiré prendre l’air. Puis j’ai bu, j’ai fumé et je suis rentrée bourrée. Quelle fête sensationnelle !
– C’est bien que tu sois venue, Béni, déclare brusquement Declan.
Je cligne des paupières et tente d’ignorer les vagues successives de douleur et d’humiliation qui me
traversent la poitrine. Je hoche la tête et, à mon tour, souris d’un air d’automate.
– C’est le mariage de ma sœur.
Le coin de sa lèvre remonte en rictus. Il acquiesce, puis nous adresse un signe de la main en se dirigeant
vers le salon.
Je me laisse retomber contre Jelan sans même m’en rendre compte.
– Béni, ça va ? T’as l’air d’avoir vu un fantôme. C’est qui ce gars ?
– Hum, tout va bien. Declan est mon cousin et mon patron direct. C’est le fils aîné du directeur de la
société pour laquelle je travaille. C’est l’héritier du trône en quelque sorte. Il a l’air mesquin et froid
comme la glace, mais il ne faut pas se fier aux apparences. Il s’est juste cloisonné.
– Comme toi, se moque-t-il.
– Oui, sûrement.
Je tourne la tête vers lui et le dévisage.
– Tu le connais, n’est-ce pas ?
Il se mordille la lèvre et acquiesce.
– Je crois qu’on s’est croisé à un gala ou à un cocktail.
– Il sait qui tu es ?
– Je suppose.
– Tu travaillais ?
– Oui.
Il répond à mes questions, mais son visage se ferme.
– Tu accompagnais qui ?
– Je n’ai pas le droit de te répondre.
– Ce n’est pas son nom que je veux, c’est son statut.
– Une femme importante, que ton cousin connaît.
– Je vois.
Je m’écarte de lui et m’assois sur la rambarde, me fichant cordialement de froisser ma jolie robe hors de
prix. Jelan se poste à mes côtés et dépose sa tasse sur la rampe en pierre.
– Tu crois que c’est un problème ?
– Je n’en sais rien. On verra bien. De toute façon, c’est trop tard. Mais Declan appartient à ces gens qui
aiment avoir un pouvoir sur l’autre, alors j’imagine qu’il apprécie ce sentiment.
Il hoche la tête et s’abîme dans la contemplation du jardin, puis il pose les yeux sur moi, en train de me
tripoter nerveusement les doigts.
– Pourquoi a-t-il dit que c’était une bonne chose que tu sois là aujourd’hui ?
Je me crispe et serre la mâchoire.
– Parce que c’est le mariage de ma sœur, évidemment.
– Évidemment, répète-t-il, donc pourquoi le souligner ?
– Je n’en sais rien. Je ne suis pas dans la tête de Declan.
Sa langue humecte sa lèvre inférieure tandis que ses prunelles azurées scrutent mon visage. Il lève un
sourcil et esquisse un sourire.
– Béni, arrête de mentir.
– Qu’est-ce que ça peut te faire, bon sang ? Ça ne te regarde pas !
– Tu avais l’air bouleversé, c’est tout.
– Et tu te fais du souci pour moi, c’est ça ?
Il pousse un soupir et rapproche son menton de mon épaule.
– Bien sûr, je suis ton fiancé.
Je manque d’éclater de rire. Un rire jaune, noir, puant.
– Jelan, arrête ça. Je n’ai pas envie d’en parler. Vraiment pas.
– Très bien.
– Très bien, ce sont les deux mots que tu emploies pour clôturer une conversation ? remarqué-je d’un ton
complaisant.
– C’est toi qui clôtures la conversation.
– Tu… Rah ! Très bien, dis-je en appuyant bien sur les mots, tu veux savoir quelles sont les frasques que
mon adorable mère a mentionnées, je vais te le dire. Mais par pitié, une fois que j’aurai terminé, ne
cancane pas !
Je souffle, sentant mon cœur me remonter dans la gorge.
– Je ne t’ai pas entièrement avoué la vérité sur les raisons de ta présence ici.
Il lève un sourcil, surpris, et s’appuie contre la balustrade, à mes côtés, sa hanche frôlant la mienne.
– Ah oui ?
– Ça aurait dû être mon mariage aujourd’hui, lâché-je de but en blanc, excédée.
Il tourne la tête et me dévisage d’un air ébahi.
– Ton mariage ?
Les battements de mon cœur s’affolent de plus en plus et je me mets à transpirer comme si j’étais en train
de courir un marathon.
– Oui, dis-je en soupirant. C’est moi qui devais épouser Laurence, mais…
Je soupire à nouveau, cherchant à retrouver mon souffle.
– J’ai surpris Laurence et ma sœur en train de s’envoyer en l’air juste après un repas de famille, dans la
pièce voisine… Merde, on les entendait même hurler, alors j’ai… pété un plomb. J’ai crié, cassé un peu de
vaisselle et j’ai… hum… j’ai confondu la tête de ma sœur avec un yoyo. Je lui ai cassé le nez en lui
écrasant la tête sur une table. Ça a provoqué un scandale dans la famille. Tu te rends compte ? Je casse le
nez de ma sœur, mais que mon fiancé me trompe avec elle, ça, tout le monde s’en fout.
Je m’interromps sous son regard empreint de douceur. La nausée rampe dans ma gorge. J’ai l’impression
que je vais vomir le peu de café que j’ai avalé. J’ai les mains moites. Je reprends une nouvelle fois mon
souffle, mais la machine complexe de mes poumons commence à s’enrayer.
– Béni ? s’inquiète-t-il. Tu es toute pâle. Ça va ?
Je secoue la tête. Je me mets à trembler et des points blancs éclatent dans ma rétine.
Jelan me saisit par les hanches et m’oblige à descendre du parapet.
– Viens avec moi.
En me tenant par la taille, il me fait emprunter les escaliers conduisant aux jardins et m’entraîne en
direction d’un banc en pierre, en partie dissimulé par les branches d’un saule pleureur. Il m’aide à
m’asseoir et me tient serrée contre lui, son bras noué autour de ma nuque. Mes bras continuent de trembler
et mes doigts serrent le tissu de ma robe d’un air presque convulsif.
– Tu fais une crise d’angoisse ?
Je hoche la tête et me pince les lèvres en fuyant son regard. Je me traite d’imbécile et de tous les noms
d’oiseau de mon vocabulaire.
– Respire, Béni. Respire, bon sang !
Jusqu’à ce qu’il me le rappelle, je n’avais pas réalisé que j’avais cessé de respirer, mes poumons
complètement bloqués. Il saisit ma mâchoire entre ses mains et m’oblige à le regarder dans les yeux.
– Prends une grande inspiration… C’est ça… Relâche. Inspire… Expire… Doucement. Ça va passer. Tu
reprends le contrôle, Béni. Respire calmement.
Je prends le temps de respirer et me concentre sur la beauté de ses iris, puis, soudain éreintée par les
émotions, toutes ces émotions que je m’étais promise d’ignorer, d’oublier, de relayer au rang de données
sans importance, je me laisse tomber le front sur les genoux. Jelan pose la main sur mon crâne et me
caresse les cheveux. Il ne parle pas. Il ne bouge pas non plus. Il reste seulement là, respectant mon chagrin
et mon silence. Il n’y a que le son du vent dans les branchages du saule et, plus loin, le brouhaha furtif des
voix qui émergent depuis le grand salon comme un gargouillis fétide. Quelque part, tout ce fatras aurait dû
être ma vie. Le mariage, la jolie robe, Laurence, la fierté de ma mère.
Le rire nerveux commence à monter depuis ma trachée, franchit ma gorge et explose. Je suis secouée par
le rire. Des larmes roulent sur mes joues, effaçant tous les efforts que j’avais entrepris pour me maquiller
et avoir l’air un peu jolie. Puis, au milieu du fou rire, je parviens à articuler :
– Tu sais, le plus terrible, c’est que je suis certaine qu’elle ne l’a même pas séduit pour se venger, parce
que je lui avais piqué Teddy Furlong. Non… cette idiote est tombée amoureuse de lui. Alors qu’est-ce que
je peux dire ? Laurence m’a quittée et il va l’épouser. Je ne voulais pas venir toute seule à ce mariage. Ce
n’est pas tellement que je regrette de ne pas me marier à Laurence. Comme tu l’as remarqué toi-même, cette
vie aurait probablement été ennuyeuse à vomir, mais…
Je laisse tomber mes bras dans le vide.
– Tu as le droit d’être en colère. Tu as le droit de pleurer, de crier et de casser de la vaisselle, me
rassure-t-il. Tu es très courageuse d’être venue à ce mariage.
– Ah oui ? J’aurais plutôt opté pour « bête », « idiote », « stupide », mais pas « courageuse ».
– Sûrement pas. Ta sœur est une chipie et Laurence est un abruti. Je n’aurais jamais laissé une fille
comme toi m’échapper.
Je tourne la tête de côté et lui lance un regard explicite, nimbé de mascara coulant. Il m’adresse un
sourire tout en nuances.
– Tu sais bien ce que je veux dire. En d’autres circonstances…
– Mouais, c’est gentil d’essayer de me remonter le moral. Je sais que tu es là pour ça, mais… enfin, ne te
sens pas obligé.
– Je ne me sens pas obligé. Arrête de croire que toutes mes tentatives de rapprochement avec toi sont une
obligation ou une corvée.
Il me pince la pommette du bout des doigts, puis il pose les deux coudes sur ses genoux.
– Je ne me suis pas forcé cette nuit.
Saisie, je redresse les épaules et le dévisage, la bouche en cœur, puis je retrouve les fonctions de mon
cerveau.
– Ça ne change pas grand-chose au résultat.
Je secoue la tête et me mets une claque sur les joues pour me réveiller de mon marasme émotionnel.
– Je suis désolée de t’avoir parlé de la sorte. Ce n’est ni professionnel ni très humain. Tu es là pour
répondre à un service que je t’ai demandé et…
– Oublie, ce n’est pas grave. Je suis là pour toi, Béni.
– Soit tu aimes beaucoup les femmes, soit tu aimes beaucoup l’argent, plaisanté-je en essuyant mes yeux
du dos de la main qui se teinte aussitôt de noir.
Je dois avoir la tête d’un épouvantail.
– Les deux, pourquoi devrais-je choisir ? se moque-t-il en m’adressant un clin d’œil.
– Qu’est-ce que tu proposes d’autres dans ta mallette à merveille ?
– Tu veux dire en dehors de ce corps magnifique ?
– Que je peux à peine toucher !
Il me sourit et passe son pouce pour effacer une trace sous mon œil droit.
– Des câlins.
Je pouffe de rire et chasse sa main.
– Tu n’as le droit ni de m’embrasser ni de me… hum… caresser, en revanche, faire des câlins, tu peux ?
– Oui, pourquoi ne le pourrais-je pas ? Tu ne câlines jamais tes amis ? Ta famille ?
Je me racle la gorge.
– Ma famille ? Tu plaisantes, j’espère ? Ma famille doit croire qu’un câlin est une marque de dessin
animé, comme Disney. Et… je n’ai pas beaucoup d’amis, en dehors de ma secrétaire, Merryn.
– Celle qui a pris rendez-vous avec l’agence ?
– Oui. C’est la seule à supporter mon caractère.
Il rigole en se laissant retomber contre le dossier du banc.
– C’est vrai que tu n’es pas facile à vivre. Une vraie girouette.
– Une girouette ? m’exclamé-je, outrée.
– Oui, tour à tour brûlante et glaciale. Tu passes de l’un à l’autre à une vitesse inouïe.
– Non… Ce n’est pas vrai, c’est juste que…
– Je te plais ?
Je tords ma bouche et lâche une grimace. Il a une parfaite conscience de ce qu’il dégage. C’en est
presque vexant, même si je suppose que, dans le cadre de son travail, c’est inévitable. Combien de femmes
doivent-elles lui murmurer à quel point il est beau, qu’il leur plaît, qu’elles le désirent ? Je ne suis qu’une
de plus parmi tant d’autres.
– Quelque chose comme ça, oui. Ça me rend chafouine.
Le mot a l’air de l’amuser.
– Alors, viens par-là, Béni Mordret, je vais t’apprendre ce qu’est un câlin.
– Avec un ami ? demandé-je en fronçant le nez, ce qui lui vole un sourire.
– Avec un faux fiancé.
– Tu es le diable, Jelan.
Il ricane en saisissant mon bras pour m’attirer contre lui. Il glisse sa main sur ma nuque et m’entraîne
dans ses bras, avant de refermer son étreinte autour de mon corps. Je suis aussitôt assaillie par sa chaleur
et son parfum et tout mon être vibre en écho. Le nez dans son cou, je le hume sans discrétion et je l’entends
rire dans le creux de mon oreille.
– Si tu te moques, je te mords.
– Je ne me moque pas. Toi aussi, tu sens bon.
– Je n’ai jamais dit que tu sentais bon !
– Vu que tu me renifles, j’en conclus que tu apprécies ce que tu sens, se défend-il.
– Jelan, tu as trop conscience de ton charme.
– C’est mon outil de travail.
– Ce n’est pas une raison.
– Tu veux un fiancé modeste ?
– Beurk…
– Tu vois ! Les femmes aiment les hommes plein d’assurance et un peu branleur aussi.
– Comment connais-tu aussi bien les femmes ? demandé-je en approchant mes lèvres de son cou, juste en
dessous de son oreille gauche.
– J’ai passé beaucoup de temps avec les femmes.
– À quel titre ? En tant qu’escort ?
– Pas seulement. Ma mère était danseuse dans un cabaret. Je passais pas mal de temps à l’attendre dans
les loges pendant son tour. J’ai connu beaucoup de femmes là-bas, depuis que je suis gamin.
Je n’ose pas demander dans quel genre de cabaret dansait sa mère, mais, comme s’il avait lu mes
pensées, il ajoute :
– Ce n’était pas un bar à strip-tease, c’était un véritable cabaret à l’ancienne, avec des danseuses comme
au Moulin Rouge. De vrais spectacles tout en paillettes. Ça n’avait rien de dégradant. J’ai appris beaucoup
de choses là-bas.
Je m’interroge soudain sur les raisons pour lesquelles Jelan se confie à moi alors que, jusqu’à présent, il
avait tout tenté pour noyer le poisson sur sa vie privée.
– Pourquoi tu me racontes tout ça ? demandé-je en enfonçant mon visage dans son cou de peur qu’il me
repousse.
– Tu m’as confié quelque chose d’intime. C’est un échange de bon procédé.
Il penche légèrement la tête de côté, si bien que sa joue se colle à mes cheveux.
– Alors, ce câlin ? me lance-t-il d’un ton amusé.
– C’est agréable, mais assez frustrant.
– J’en suis désolé. Qu’est-ce qui te frustre au juste ?
– Ça.
Je frôle la peau de son cou du bout du doigt.
– Mon cou te frustre. C’est bien une première.
– Oui, beaucoup, parce que j’ai une folle envie de le lécher.
Est-ce moi qui ai dit ça ? Un succube parle par ma bouche ! Sors de ce corps, démon !
Jelan ricane en remontant son bras le long de mon dos.
– Ah, revoilà la Béni brûlante.
Je grogne contre sa peau et il ricane de plus belle. Pour le punir, j’enfonce mes dents dans sa chair.
– Hé !
– Ça t’apprendra à te moquer d’une femme désespérée.
– Les femmes désespérées ne mordent pas les gens.
– Ah oui ? Que font-elles alors ?
– Elles se vengent, non ?
– M-hm, sûrement, mais de qui pourrais-je me venger ? De Laurence, parce qu’il m’a trompée ? De ma
sœur, parce que c’est une garce égoïste ? De toi, parce que tu te refuses à moi ? La liste est trop longue. Je
suis trop fainéante pour intenter une telle action.
Il rit, le nez plongé dans mes cheveux. De son index, il me caresse doucement à la base de la nuque.
– Béni, ne prends pas mon refus pour un rejet, chuchote-il au creux de mon oreille. Si j’étais disponible
et si je ne travaillais pas, je t’aurais certainement draguée.
– Ah oui ?
– Oui, tu es la fille que l’on repère en entrant dans un bar ou en se rendant à une soirée, avec tes cheveux
de feu et tes prunelles tour à tour glacées et charmantes. On ne peut pas prétendre que tu passes inaperçue,
sans compter tes jambes.
– Mes jambes ?
– Oui, je n’ai jamais vu des jambes aussi longues et aussi sexy.
J’enfonce mon visage dans son cou, resserrant mes bras autour de sa nuque, ma bouche frôlant sans cesse
sa peau qui, doucement, se couvre de chair de poule.
– Pour être honnête, murmure-t-il, j’avais très envie de les enrouler autour de ma taille cette nuit.
Je frissonne entre ses bras et, sous son timbre velouté, le désir me submerge en quelques secondes. J’ai
aussitôt envie de me taper la tête contre le tronc d’arbre.
– Tu es machiavélique, Jelan.
Je dépose un baiser à l’orée de sa nuque et redresse la tête pour saisir son regard. Ses pupilles sont
dilatées et teintées de noir. Il m’adresse un sourire attendri, puis, sans me lâcher, il me confie :
– Ce n’est pas facile de garder l’équilibre entre ce que tu désires et ce que je peux t’offrir.
– Et ce que tu veux ?
– Ce que je veux n’entre pas en ligne de compte, Béni.
– Mais si ça pouvait entrer en ligne de compte ?
Il secoue la tête.
– Ça ne sera jamais le cas.
– Pourquoi ?
Il incline la tête vers mon visage, si bien que je vois se dessiner dans son regard une lueur d’irritation,
mais je ne suis pas certaine qu’elle soit dirigée contre moi.
– Parce que ça s’appelle de la prostitution.
Le terme me glace de l’intérieur. Je réalise brusquement ce que je suis en train de lui proposer et recule
aussi sec sur le banc, transie. En voyant mon visage se vider de ses couleurs, celui de Jelan redevient plus
calme et il murmure comme s’il avait peur que l’on surprenne ses paroles :
– Mais si ça pouvait être autrement, Béni Mordret, dans une autre vie, tu ne m’aurais jamais tourné le
dos dans ce lit… sauf si c’est moi qui l’avais décidé.
Un sourire coquin pointe sur ses lèvres et je pouffe de rire.
– C’est la réponse la plus machiste que j’ai entendue aujourd’hui !
Il se laisse retomber sur le dossier du banc en riant.
– Pourquoi pas la plus honnête ? rétorque-t-il aussitôt.
– Tu es trop arrogant ! Mais ça me plaît. Sois arrogant, vaniteux et sarcastique aujourd’hui.
– Avec tout le monde ?
Ses yeux se mettent à briller devant mon ton assuré.
– Surtout avec certaines personnes.
– Avec joie. Je peux aller jusqu’où ?
– Oh, tu as le droit d’être aussi détestable que possible.
– J’excelle en la matière.
– Je n’ai aucun doute là-dessus. Tu es trop beau pour être apprécié.
Il affiche un rictus moqueur et s’apprête à saisir une mèche de mes cheveux lorsque la silhouette de mon
père se dessine brusquement entre les branchages. La main de Jelan retombe sur son genou, avant de la
glisser sur le mien.
Dans son magnifique costume trois-pièces noir, mon père nous détaille avec froideur, avise mon
maquillage dégoulinant et lâche une espèce de grimace tordue et méprisante.
– Ça fait une heure que tout le monde te cherche, maugrée-t-il d’une voix polaire.
– Je ne suis pas loin, comme tu peux le voir.
La main de Jelan presse discrètement mon genou.
– Ta sœur te demande. Va la voir.
Je crispe la mâchoire, mais il ne me laisse pas le temps de répondre.
– Je vais tenir compagnie à ton fiancé en attendant. Je sais que c’est un jour pénible pour toi mais,
contrairement à ce que tu peux croire, sache que c’est un jour pénible pour moi aussi. Cette mascarade est
tout à fait déplaisante. J’ai hâte que cela se termine.
Au moins, nous sommes d’accord sur un point.
Je me relève en soupirant, et Lïnus Mordret fronce le nez.
– Béni, avant de monter, va laver ton visage. Personne ne mérite de te voir dans cet état.
Je dévisage mon père, la bouche entrouverte, mais je ne trouve rien à redire, interloquée. J’ignore de
quelle façon interpréter ses paroles. Je me contente donc de hocher la tête. Jelan s’est redressé à mes côtés
; il dépose un baiser sur ma joue.
– Ne t’inquiète pas, tout ira bien, me dit-il pour m’encourager.
Je regarde mon père, puis je regarde Jelan, et mon corps tout entier se contracte.
Si tu étais un animal…
Tu serais un caméléon
Chignon tiré à quatre épingles, ornementé de fleurs blanches, visage maquillé avec soin par une grande
maquilleuse, robe de dentelles ivoirines, décolleté outrancier, bague de fiançailles en diamant, collier de
perles, le tout frisant l’humiliation financière, ma sœur me regarde entrer dans le boudoir transformé pour
l’occasion en salon de beauté. Elle se tient au milieu, entourée par des couturières qui réalisent les derniers
arrangements, par ma mère qui tourne autour d’elle sans s’arrêter en mimant des gestes désorganisés,
comme un mime, et par des amies qui n’en portent que le titre.
Ma sœur étudie ma robe avant de porter le regard sur mon visage que j’ai pris soin de nettoyer et de
remaquiller comme il se doit.
– Ah, te voilà Béni ! J’ai cru que papa ne parviendrait jamais à te trouver.
– Je prenais un café sur la terrasse.
Elle se porte à ma hauteur, regarde autour d’elle d’un air soudain désespéré et tripote une fleur à son
corsage.
Dans mon dos, ma mère proteste :
– Ta robe n’est-elle pas un peu vulgaire ?
Je suppose qu’elle fait allusion au dos nu.
– Jelan adore.
Dans le miroir d’en face, je saisis la ride de contrariété qui froisse son front, puis laisse échapper un
sourire satisfait.
Ma sœur attrape brusquement ma main et m’entraîne vers la pièce voisine, sans prêter attention aux cris
intempestifs des hyènes en jupes à froufrous.
– Viens avec moi, Béni. Il faut qu’on parle.
J’ai autant envie de me passer une corde autour du cou et de sauter du haut de la table, mais elle referme
la porte sur nous. Nous sommes toutes les deux prisonnières d’un placard, dans lequel les domestiques
rangent la vaisselle en porcelaine. Je me demande ce qui nécessite qu’une conversation entre sœurs ait lieu
dans un placard. Même des sœurs comme nous.
– Qu’y a-t-il ? interrogé-je aussitôt en observant son visage strié de ridules agacées.
Elle se pince les lèvres et efface en partie son rouge à lèvres couleur cerise.
– Tu as parlé à Laurence ?
– Non, pourquoi ?
Elle fixe un point par-dessus mon épaule avant de revenir sur mon visage.
– Béni…
Elle se mâchouille de plus en plus la lèvre.
– Quoi ? Ne tourne pas autour du pot. Que se passe-t-il ?
– Je… Tu crois que Laurence m’aime vraiment ?
J’ouvre les yeux, peu certaine de comprendre.
– C’est à moi que tu demandes ça ?
Elle hoche la tête d’un air grave et bouleversé.
– Il… il n’a pas arrêté de parler de toi hier soir. À cause de ton fiancé.
– M-hm, c’est un sentiment d’homme des cavernes, c’est tout. Je ne pense pas que tu aies de doute à
avoir sur ton futur époux.
– Comment peux-tu le savoir ?
– Parce que je ne l’ai pas trop gêné quand il s’est senti l’envie de te baiser dans la pièce d’à côté !
Elle m’adresse une grimace qui aurait sans doute pu m’arracher un rire en d’autres circonstances. Ses
yeux ont l’air de vouloir s’échapper de sa tête et sa bouche, à moitié rouge, a l’air bancal.
– C’est…
– Mesquin ? Je le reconnais. Écoute, je ne sais même pas pourquoi tu t’inquiètes. Laurence a fait un
choix et ce n’était pas moi. Alors cesse de t’angoisser, marie-toi, vis heureuse et aies beaucoup d’enfants.
Elle est tellement inquiète qu’elle ne perçoit pas mon ton sarcastique. Elle hoche la tête à tous mes mots
comme si cela pouvait être la vérité.
– Tu le crois vraiment ?
– Oui, Laurence n’a d’yeux que pour toi.
J’ai envie d’une clope !
Elle hoche encore la tête et j’éprouve le désir brutal de la secouer.
– Tu es rassurée ?
– Oui… oui, je crois.
Alléluia !
Je m’apprête à ouvrir la porte du placard quand elle me saisit par le bras. Elle baisse la tête et fixe le
sol comme un chat perdu qui miaule après les passants.
– Béni, je suis désolée.
J’écarquille les yeux d’un air hébété, puis articule péniblement :
– De quoi ?
– De ce qui s’est passé. Je regrette de t’avoir trahie de cette façon. Ce n’était pas pour te blesser, même
si tu dois croire le contraire.
– Le problème, c’est que tu n’as pas réfléchi. C’est tout. Tu as agi comme toujours. Tu as pris ce que tu
voulais sans te soucier des conséquences.
– C’est vrai, mais…
Elle mâchouille de nouveau sa lèvre.
– J’étais jalouse de toi. Laurence me plaisait vraiment. Quand il m’a embrassée, je n’ai pas…
– Lucie, je n’ai aucune envie d’entendre ça. Si tu veux que je te pardonne, pour l’instant, ce n’est pas
possible. Redemande-le-moi plus tard. Après ton mariage et toute cette merde que je suis obligée de
supporter.
Elle fronce les sourcils au mot « merde », mais finit par acquiescer.
– D’accord. Essaie de t’amuser quand même. Ton fiancé a l’air sympa.
– Il l’est, oui (même si je ne peux pas l’embrasser, le caresser, tomber amoureuse de lui). On peut sortir
maintenant ?
Elle opine du chef, puis me laisse passer pour ouvrir la porte.
À peine de retour dans le petit salon, une armée de femmes en furie se jette sur Lucie pour lui épingler
d’autres fleurs dans les cheveux, corriger son maquillage, attirer l’attention de la mariée. Je m’éloigne
aussitôt d’un bon mètre et me rends compte que j’ai laissé mon sac à main sur la rambarde. J’ai besoin
d’une cigarette et d’un verre mais, pour l’instant, je suis prête à me contenter de ma dose de nicotine.
Et arracher Jelan des griffes de mon père.
Je parviens à m’éclipser sans que ma mère me saute dessus et me force à changer de vêtement. Je la vois
me suivre du regard comme si ses yeux étaient des canons de revolver. Elle hoche la tête pour elle-même,
prise à part dans une conversation silencieuse dans laquelle je dois jouer le rôle de la méchante sorcière
de l’Ouest, du Chapelier Fou ou du Lapin. À moins que je ne sois la pauvre Alice qui court dans tous les
sens pour échapper à cette satanée Reine !
Je referme la porte et reprends mon souffle une fois dans le couloir. J’ai envie d’être ailleurs. J’ai envie
d’être n’importe où sauf ici, même au fond d’un trou dans le jardin.
Je dévale les escaliers, fonce dans le grand salon, saisis une tasse de café au vol et me précipite vers la
terrasse où je retrouve mon sac à main. Je bois une gorgée de café et extirpe de la poche intérieure mon
paquet de clopes. Je m’empresse d’en fourrer une entre mes lèvres lorsque, sur ma droite, j’aperçois mon
père et Jelan en grande conversation en compagnie de mon oncle, le P.-D.G. de Bella en personne, Declan,
son frère Ciaràn et… Ludovic. Pitié, achevez-moi !
Je tire sur ma cigarette sèchement, au point que j’en brûle la moitié en une bouffée, bois une nouvelle
gorgée de café et me demande combien j’ai de chances de prétendre que je n’ai rien vu. J’en conclus
qu’elles sont très minces, parce que je paie Jelan si cher que je ne peux décemment pas le laisser être
mâchouillé par les dents en pointe de ces hommes.
Je prends une grande inspiration, repose ma tasse de café et, clope en main, me dirige dans leur
direction. De toute façon, au point où j’en suis, ma journée ne peut pas être pire.
Dès que je m’approche, le visage de Jelan s’éclaire d’un sourire si craquant que mon cœur fond comme
neige au soleil. Durant quelques secondes, mon monde s’illumine, avant de replonger dans la pénombre.
Quelque part, sur cette terre, une femme possède le cœur et le corps de Jelan Leri, et cette femme n’est pas
moi. Si, finalement, la journée peut sans doute être pire.
Comme si Jelan connaissait sur le bout des doigts l’univers dans lequel j’évolue, il ne tend pas la main
vers moi ; il ne prétend pas vouloir me dorloter. Il se contente de me jeter de brèves œillades. Il me laisse
approcher et trouver ma place entre les épaules de mon père et de Declan. Celui-ci pose les yeux sur moi et
m’octroie un sourire subtil et agaçant.
– Tu arrives à point nommé, Béni. Je crois que nous étions en train d’assassiner ton fiancé d’ennui, me
lance-t-il.
– Pas du tout, intervient aussitôt l’intéressé. Ce n’est pas désagréable de découvrir une autre facette du
monde de Béni. Je ne sais rien d’elle au travail.
– Béni est une excellente directrice, admet mon oncle tout en lissant son col de chemise, mais il aurait
tout aussi bien pu dire que son chien possédait un QI de 180 sans choquer personne.
– À l’image de notre famille, ajoute Ciaràn avec un sourire en demi-teinte, autrement dit, sournois et
rigide.
Ciaràn est un autre spécimen de la famille Mordret des plus atypiques. Du haut de ses vingt ans, je n’ai
jamais rencontré quelqu’un capable d’être aussi froid, parfois cruel, sous des airs absolument charmants.
Quiconque le croiserait dans la rue dirait de lui qu’il est adorable, un visage d’ange, mais comme tous ceux
de notre famille, il sait jouer avec les miroirs et les apparences.
Les deux mains enfoncées dans les poches d’un costume sombre, rehaussant sa chevelure et ses yeux
noirs, il ressemble à Declan en plus jeune, de cinq ans son cadet. Ciaràn déteste les réunions de famille. Il
s’y ennuie et ne fait jamais l’effort de trouver ça intéressant ou engageant. La plupart du temps, il assiste
aux repas en ayant l’esprit ailleurs ou bien, une fois de temps en temps, il tranche le silence en jetant une
phrase digne d’un couperet. Ça vaut toujours le détour. Ses parents ont cessé de vouloir le contrôler.
C’était peine perdue. Ciaràn est un autre de nos secrets familiaux. Un être à part, sournois et dangereux que
l’on conserve sous le coude pour son intelligence et sa facilité à berner les gens.
– Nous parlions des derniers chiffres de vente de Divine, m’apprend Declan.
Divine est la dernière marque de fond de teint née des Cosmétiques Bella. Une très grosse affaire qui
peut valoir des millions.
– Béni gère notre fonds de commerce avec une grande énergie, renchérit mon père à l’attention de Jelan.
Elle tient les cordons de la bourse comme elle doit tenir les couilles d’un homme.
Je manque de lâcher ma cigarette sur le sol. Je la fourre vite entre mes lèvres, aspire un grand coup, puis
m’apprête à répondre quand :
– Béni est très délicate avec les couilles d’un homme, ne vous en faites pas.
Je considère Jelan, les yeux ronds comme des billes de loto. Il m’adresse un sourire amusé.
– Ce serait bien une première, lâche soudain Ludovic.
Mais que ma vie s’arrête sur-le-champ !
– Surtout continuez de parler de moi comme si je n’étais pas là ! Vous n’avez pas d’autres sujets de
conversations ? Je vous rappelle que lundi prochain, je dois exposer le nouveau plan de financement de
Céleste aux actionnaires, mais on peut peut-être en reparler dans quelques mois ? Qu’en dites-vous,
messieurs ? Si nous retardions encore d’une échéance ?
– Vous voyez ? s’exclame mon oncle. Une vraie louve !
– Je ne suis pas surpris de la ténacité de Béni. Quand elle a une idée en tête, elle va jusqu’au bout, lance
Jelan en me regardant droit dans les yeux.
Mon cœur tressaute aussitôt. Dois-je le prendre au pied de la lettre ou est-ce un doux fantasme ?
– Béni aurait dû naître homme, déclare mon père, avouant sans fard qu’il aurait préféré offrir un héritier
à notre famille plutôt qu’une emmerdeuse dans mon genre.
– Mais il faut reconnaître que son physique sait amadouer les plus intransigeants, objecte Ludovic,
toujours pragmatique.
J’ai envie de planter mes ongles dans sa gorge.
– Je suis persuadé que Béni compte davantage sur son intelligence que sur son physique, rétorque Jelan.
Je soupire, tourne la tête en direction de la porte, puis croise le regard de Ciaràn, qui a l’air écœuré,
dérouté, ennuyé. Qui sait ?
– Ou bien sur celui des autres, ajoute Declan en ricanant ouvertement.
– C’est plutôt dans vos habitudes, grogné-je en fumant, tentant d’ignorer la petite pique de Declan.
– On est bien loin du monde des livres dans lequel vous évoluez, assure Ludovic. Les lettres modernes et
la finance n’ont pas grand-chose en commun.
Jelan le toise d’un œil froid.
– J’ignorais que le monde de la finance favorisait l’illettrisme, rétorque-t-il, ni qu’il empêchait d’aimer
les classiques de la littérature.
Ludovic pince les lèvres de colère.
– C’est vrai que vous étudiez les lettres modernes, se rappelle brusquement mon père. Nous avons
quelques beaux spécimens d’ouvrages dans la bibliothèque. Béni, il faudra les lui montrer.
– Bien sûr, c’est une très bonne idée. D’ailleurs, j’y vais de ce pas, proposé-je en attrapant aussitôt le
bras de Jelan. Je vous laisse entre hommes. Nous aurons largement l’occasion de parler travail durant la
semaine.
– Comme si tu pouvais les empêcher de parler travail durant le week-end, lance Ciaràn en se détournant
à son tour du groupe d’hommes d’affaires.
Je tire sur la manche de Jelan, me jetant sur l’occasion de nous enfuir avant qu’un nouveau sujet soit
lancé ou qu’une insulte fuse ou que Declan décide de me ridiculiser devant tout un mariage. Sans attendre,
je l’entraîne en direction de la galerie, ignorant les coups d’œil énervés de Ludovic.
Une fois à l’intérieur de la villa, j’ai l’impression de respirer de nouveau.
– Je suis désolée de t’avoir infligé ça.
Jelan ricane.
– Ne t’inquiète pas. Contrairement à ce que tu sembles croire, j’ai rencontré pire.
Je jette ma cigarette dans un verre vide qui traîne sur une console.
– Vraiment ?
– Oui, je suis habitué aux discussions de ce genre. Je suis souvent invité pour des cocktails ou des
soirées de gala. La finance n’a plus de secret pour moi, plaisante-t-il.
– Mon père ne s’est pas montré trop rude ?
– Non, juste prévoyant.
Je lève les yeux sur lui d’un air suspicieux.
– Ce qui veut dire ?
– Que, généreusement, il m’a proposé de travailler pour la société Bella, si je le souhaitais.
– Très aimable de sa part, maugréé-je en poussant la porte de la bibliothèque, loin d’être surprise de la
réaction de mon père. Tu vas accepter ?
– Non, ça paie moins qu’escort, se moque-t-il. Tu n’as pas l’air choqué plus que ça.
– Non, j’imaginais même qu’il allait te payer pour sortir de ma vie. Je suis donc plutôt étonnée par sa
proposition. J’imagine qu’il vieillit ou bien alors, il t’apprécie.
– Je n’en sais rien. Je dois admettre que lire les membres de ta famille est un exercice compliqué. Ils ont
l’habitude de cacher leurs sentiments.
– De véritables requins !
J’ouvre la porte d’une vaste bibliothèque dans laquelle, outre les nombreux éventaires d’ouvrages en
tout genre, le bois règne en maître incontesté. Les murs sont lambrissés ; les tables, les étagères, les
consoles, tout est en bois brun. La pièce est volontairement épurée et, en dehors d’un tableau de Monet, les
murs sont exclusivement destinés aux livres.
Jelan repousse une mèche de cheveux bruns en observant les rayonnages d’un air fasciné.
– C’est impressionnant.
– Oui, en effet. Ma famille aime les arts, même si c’est plus pour le spectacle que par affection.
Il s’approche d’une étagère tandis que je m’assois sur le rebord d’un secrétaire. Il inspecte les
différentes tranches des livres.
– Tout s’est bien passé avec ta sœur ? me demande-t-il.
– Je suppose.
Il relève le nez, m’adresse un coup d’œil par-dessus son épaule, puis pivote et s’adosse au mur, une
cheville sur l’autre. Je finis par hausser les épaules.
– Disons que… je n’aime pas que l’on essaie de me manipuler pour moins culpabiliser.
– Je vois. C’est un réflexe pourtant très humain.
– La cruauté aussi.
Il lève un sourcil, puis affiche un sourire.
– Béni Mordret, tu es une cynique.
– Je suis réaliste.
– C’est ce que disent toujours les cyniques.
Je lui tire la langue, ce qui a le mérite de l’amuser. Puis un silence se glisse entre nous, durant lequel je
le surprends en train de m’observer de la tête aux pieds. La lueur bleue dans ses yeux vivote et s’intensifie.
Sa langue humidifie ses lèvres, que je rêve aussitôt de saisir entre les miennes. Il penche la tête légèrement
de côté pour mieux laisser traîner son regard sans pudeur, puis il murmure comme si c’était un secret :
– Tu es difficile à suivre, Béni. Tu es froide, puis taquine, carriériste, puis amusante, cynique, puis…
– Captivée ?
Je lui rends son regard tandis qu’il se redresse et se glisse à ma hauteur, posant ses longues mains sur le
secrétaire de chaque côté de mes hanches. Ses iris azurés effectuent des allées et venues de mes lèvres à
mes yeux, ce qui fait aussitôt grimper en moi un désir indicible. Je déglutis et j’ai l’impression que l’on
peut entendre le bruit de ma glotte à des kilomètres à la ronde.
– Mensonge ou vérité ? lancé-je brusquement, essayant de rassembler mes neurones.
Il hausse un sourcil, puis acquiesce avec un sourire joueur.
– Je t’écoute. Qu’est-ce que tu veux savoir ?
– Est-ce que tu as vraiment envie de moi ou est-ce que tu simules ?
– À ton avis, Béni ?
Il se penche un peu plus au-dessus de moi, rapprochant son visage.
– Tu crois que, la nuit dernière, mon érection était un mensonge ?
Sa joue glisse le long de la mienne jusqu’à atteindre mon oreille et il murmure :
– Tu es difficile à repousser, Béni Mordret.
En écho, un courant électrique déferle le long de ma colonne vertébrale. Il relève la tête, mais je suis
incapable de déterminer la teneur de son sourire, s’il ment ou s’il dit la vérité, s’il emprunte un rôle ou s’il
est lui-même. C’est tout l’inconvénient de payer un escort. Il est là pour me donner l’illusion de pouvoir
répondre à tous mes fantasmes. Et pour une raison étrange, qu’il me trouve séduisante, qu’il ait envie de
moi, m’importe autant que la signature du prochain projet de Bella.
Soudain, le bruit d’une toux s’élève dans mon dos. Jelan relève le nez de mon cou et fronce les sourcils
avant de me sourire d’un air complice. Je tourne la tête et, interdite, considère Laurence dans son costume
de marié.
Si j’étais une cigarette…
Je me consumerais
– Je dérange ?
La voix de Laurence est comme à son image, glaciale et arrogante. Ses yeux vert émeraude effleurent
quelques secondes la main de Jelan posée à mes côtés, puis s’ancrent dans les miens. Jelan se redresse et
enfonce les poings dans les poches de son pantalon de costume.
– Pas du tout, répond-il tandis que je me relève du secrétaire et défroisse ma robe.
On ressemble à un couple qui s’apprêtait à faire l’amour. J’aurais adoré que ça soit vrai, mais Laurence
ignore que c’est impossible. Je pousse un soupir, qui provoque un haussement de sourcil de la part de
Jelan.
– Béni, j’aimerais te parler, déclare Laurence avec son éternel ton hautain.
Chacune de ses phrases ressemble à un ordre et je me demande par quel miracle j’ai pu rester trois ans
avec lui sans voir la personne qu’il était réellement.
– Je n’y tiens pas.
Je ne le regarde pas. Chaque fois que mes yeux croisent les siens, des envies de meurtre envahissent mon
cerveau, des images choquantes de boyaux arrachés. J’ai envie de le ligoter et de faire de lui une peau en
descente de lit ou un paillasson.
– C’est important, précise-t-il.
– Pour qui ?
Jelan inspecte mon visage tandis que j’essaie de le fuir du regard, fixant une étagère par-dessus son
épaule.
– Pour moi, je suppose.
– C’est bien la première fois que tu me sers une réponse honnête. Si tu as quelque chose à dire, dis-le et
va te marier. Je n’ai pas de temps à perdre.
– Je préférerai discuter seul à seul avec toi.
Jelan se penche vers moi.
– Je peux vous laisser, si tu le souhaites, Béni.
– Non, ça ira. Balance ce que tu as à dire, Laurence.
Il soupire bruyamment, cachant mal son irritation.
– Soit ! Je savais que tu venais accompagnée au mariage, mais j’ignorais qu’il s’agissait de ton fiancé.
Au milieu des fleurs, des décorations, des blablas intempestifs sur mon incapacité à agir comme une
femme Mordret, j’ai probablement exagéré ma relation avec Jelan. Je voulais couper le sifflet de Lucie qui
piaillait sur sa jolie robe et celui de ma mère qui n’avait d’yeux que pour Laurence, le bel avocat fortuné
qui lèche le sol qu’elle foule mieux que quiconque. Quelle importance qu’il m’ait trompée dans la pièce
voisine, en plein repas de famille, alors que je pouvais tout entendre de leurs ébats ? Qui s’en soucie ?
Alors, il est possible que, par un excès subit de rage, j’ai lâché inopportunément que je m’étais trouvée un
fiancé.
– Oui, et alors ?
– Alors, par égard pour toi, je tenais à t’informer que Mirane Britt l’a surpris la semaine dernière en
charmante compagnie au Grand Pont.
Je cligne des yeux, peu certaine de saisir l’allusion, puis j’aperçois les iris bleu électrique de Jelan figés
sur Laurence. Il n’a pas bougé, les deux mains toujours enfoncées dans ses poches dans une posture
nonchalante, mais quelque chose s’est modifié sur son visage. Quelque chose qui n’a plus rien d’amical.
– Hum… et ?
– Et ? Dois-je te faire un dessin ?
La première vague de colère commence à croître dans ma poitrine et me chauffe la nuque.
– Non, tu n’as pas besoin de me dépeindre le tableau, tu m’as suffisamment donné d’exemples de ce que
ça pouvait inspirer. Ma question est plutôt : en quoi ça te regarde ?
Le visage de Laurence se froisse légèrement, puis il se détourne de moi et fixe Jelan d’un regard noir.
– Nous avons été ensemble et malgré ce que je t’ai fait endurer, Béni, je t’apprécie beaucoup. Je ne tiens
pas à te voir souffrir.
– Dans ce cas, il fallait t’en soucier avant ! Maintenant, si c’est tout ce que tu as à me confier, tu peux
t’en aller.
Il hausse les épaules.
– C’est pour toi que je te préviens. Ne va pas épouser ce type ! Tu ne sais même pas d’où il vient !
Je me retourne si vivement que je heurte l’épaule de Jelan. Croyant à juste titre que je m’apprête à
arracher les yeux de Laurence, il me saisit aussitôt par le poignet pour m’en empêcher.
– Laisse, Béni, chuchote-t-il à mon oreille.
Laurence lâche un « tss » strident, le genre de bruit qu’il laisse échapper quand il est agacé et qui me
rend folle.
– Comment oses-tu ? hurlé-je en pressant violemment la main de Jelan. Comment oses-tu venir jusqu’ici
le jour de MON mariage pour me balancer que mon fiancé me trompe avec une autre ? Comment oses-tu te
comporter en héros quand tu es toi-même le pire salopard de cette maison ? Va donc te marier avec ma
sœur devant toute ma famille en me faisant passer pour la cocue de service, mais surtout ne m’approche
plus, toi et tes belles paroles !
Je me laisse tomber contre le torse de Jelan, à bout de souffle. Je suis à deux doigts d’une nouvelle crise
d’angoisse, des éclats blancs explosant dans ma rétine. Jelan me prend dans ses bras et dépose un baiser
sur ma joue qui m’apaise aussitôt, comme un caramel mou qu’il aurait glissé lui-même sur ma langue.
Le visage de Laurence vaut le détour. En dehors de la présence de Jelan, c’est mon seul réconfort. Il est
pâle et il se gratte le nez, signe qu’il est nerveux en plus d’être agacé. Il tape du pied sur le sol et lâche un
nouveau « tss ».
– Très bien, fais ce que tu veux, Béni, comme tu l’as toujours décidé.
– C’est supposé vouloir dire quoi ?
– Que l’avis des autres t’importe peu.
– Tout dépend des personnes qui me le donnent. Le tien, en effet, n’a aucune importance. Avec le recul, il
n’en a d’ailleurs jamais eu.
Il lisse machinalement son beau costume gris, avec sa cravate moisie rose bonbon que ma sœur a dû lui
choisir.
– Bien, dit-il en se détournant vers la sortie.
Je surprends le regard haineux qu’il adresse à Jelan, puis ouvre la porte de la bibliothèque en manquant
de s’assommer avec. Avant qu’il ne la referme sur nous, Jelan lance tout à coup, comme si c’était un détail
:
– Au fait, la femme avec qui j’étais, c’était ma sœur. Je l’ai invitée au Grand Pont pour fêter son
anniversaire. La prochaine fois, renseignez-vous mieux que ça avant de tenter de faire capoter nos
fiançailles. Mais entre nous, Béni préférerait sûrement avaler du piment rouge plutôt que de retourner dans
votre lit ! Ce sera difficile d’obtenir les deux sœurs.
Les yeux de Laurence ont l’air de vouloir jaillir de leurs orbites. Le grand avocat a perdu sa langue.
Même de là où je suis, j’entends le sifflement qui perce entre ses dents. Il claque la porte plus qu’il ne la
referme, à court de mots.
À peine le vantail clos, je pousse un soupir et pose mon front sur l’épaule de Jelan. Il faufile ses doigts
dans mes cheveux, comme si c’était quelque chose de naturel.
– Ce type est un connard, grogne-t-il contre toute attente près de mon oreille.
Lui qui, jusque-là, est resté stoïque, je suis surprise par le ton de sa voix qui me laisse présumer que
Jelan est très doué dans le jeu des apparences. Mais à quel point l’est-il ?
Je relève le menton et saisis son regard furieux, puis il croise le mien, se force à sourire avant de se
détendre totalement. Ses muscles se relâchent et ses bras, entourant mes reins, se raffermissent pour me
serrer contre lui.
– Je ne devrais pas dire ça, Béni, mais je suis content que tu n’aies pas épousé ce mec. Tu mérites bien
mieux que lui.
– Je ne peux pas te donner tort et je ne regrette pas vraiment de ne pas l’épouser. Seulement la manière
dont tout ceci s’est déroulé.
Il hoche la tête.
– C’était vraiment ta sœur au Grand Pont ? demandé-je, poussée par une curiosité malsaine.
Son sourire s’accentue, creusant ses fossettes.
– Je n’ai pas de sœur.
– Oh !... Tu mens très bien.
– C’est mon travail de te satisfaire, Béni.
Je me crispe légèrement et mâchouille l’intérieur de ma bouche, avant de lancer :
– Je commence à me demander si je ne préférerais pas que tu bâcles ton travail.
– Je ne peux pas. Tu m’as menacé de représailles si je ne te satisfaisais pas, me rappelle-t-il en souriant.
– C’est vrai.
Je soupire.
– Et si je te promets de ne pas te le reprocher, tu veux bien être un peu moins convaincant ?
Il secoue la tête et son sourire si délicieux me donne envie de l’embrasser.
– Si je ne suis pas convaincant, ta famille découvrira le pot aux roses et je ne tiens pas à ce que ça
arrive.
– Tu te sens concerné par ma situation ? m’étonné-je.
– Évidemment. Même dans un travail, les relations sont réelles, non ?
Je hausse les épaules, peu certaine de savoir ce qui est réel chez Jelan Leri, et m’écarte de lui.
– Je suppose. Quelquefois, il m’arrive de ne plus savoir qui ment et qui dit la vérité. Je commence à voir
des mensonges partout.
Il passe sa main le long de ma pommette, puis de ma joue.
– Mais non, je suis sûr que ton radar anti-mensonge fonctionne très bien. C’est juste que tu es fatiguée
par tout ça.
– Sûrement.
Je me laisse tomber contre le rebord du secrétaire et demande :
– C’était une cliente ?
Un éclair traverse son regard. Il plante sa canine dans sa lèvre inférieure, puis secoue la tête.
– Non, c’était l’anniversaire de ma copine. Je lui ai offert un dîner au Grand Pont pour le fêter.
Je me glace de l’intérieur. Jusque-là, j’espérais sans doute que sa petite-amie soit fictive, un mensonge
de plus dans la vie de Jelan Leri. Or, à cet instant précis, je suis persuadée qu’il n’est pas en train de me
mentir, parce que je lis dans ses yeux la compassion que je lui inspire. Plus que tout autre, ce sentiment me
donne envie de vomir. Je me redresse aussitôt, cloisonne mon univers en défroissant ma robe, prends une
grande goulée d’air, puis coince une mèche de cheveux derrière mon oreille.
– On devrait retourner sur la terrasse. Deux discussions pénibles en moins d’une heure, je mérite un café
corsé avant la cérémonie.
Il acquiesce. Son sourire s’est effacé. Il se gratte le menton, puis me tend la main. Je la saisis
machinalement. Je dois mettre de la distance entre mon mensonge avec Jelan et la réalité. Il n’est pas à moi.
Je ne suis pas à lui. Notre relation est un leurre.
Mais au moment de franchir la porte, il presse sa main dans la mienne.
– Béni, arrête ça.
– Arrêter quoi ?
– D’essayer de me repousser.
– Je n’essaie pas de te repousser.
Je lui lance un regard irrité, énervée par sa perspicacité.
– Tu n’es pas assez important…
Il me coupe la parole en posant son index sur mes lèvres.
– Ne dis pas quelque chose que tu ne penses pas. Je suis assez important pour que tu éprouves le besoin
de t’éloigner de moi. Je comprends tes motifs, mais ne prends pas cette décision. Pour ce week-end, nous
sommes fiancés.
– Mais ce n’est pas réel.
– Béni… tu ne sais même pas qui je suis vraiment.
– Oh, tu veux dire que tu es un homme exécrable, pas du tout séduisant et que tu pues des pieds ?
Il ricane et détache la mèche de cheveux de mon oreille.
– C’est ça et je fume au lit après l’amour. Une vraie puanteur.
– C’est moi, qui fume au lit après l’amour !
Je me demande pour quelles raisons je laisse entrer Jelan dans mon monde. Chaque fois que j’érige de
nouveaux murs, il les démolit avec une facilité déconcertante. Ce n’est pas du tout une bonne idée. Ce que
j’éprouve pour lui n’est pas une bonne idée. Je vais le regretter et je sais qu’avant la fin de ce week-end,
j’aurai le cœur brisé.
Il m’entraîne dans le couloir par la main, au milieu des convives et des domestiques, de la crinoline et
des rubans à paillettes.
– Tu avais acheté ta robe de mariée ? me demande-t-il soudain.
– Non, mais je l’avais trouvée sur un magazine. J’avais l’intention de l’acheter peu de temps avant qu’ils
ne me trompent tous les deux dans le salon.
– Elle était blanche ? J’ai du mal à t’imaginer dans une robe blanche.
J’ai envie de tirer sur son col de chemise avec mes dents, mais je me contiens.
– Pourquoi tu as du mal à m’imaginer porter une robe blanche ? J’ai l’air si peu virginal ?
Il éclate de rire.
– Je n’en sais trop rien. Ça ne te correspond pas. Alors ?
– Non, elle était bleue… de la couleur de tes yeux.
– Bleu, ce n’est pas commun. Ça, ça te ressemble davantage.
Mon cœur tressaute dans ma poitrine. Jelan m’entraîne sur la terrasse. J’attrape mon sac à main sur la
rambarde et m’allume aussitôt une cigarette. Le goût de la nicotine envahit mon palais et gonfle mes veines
de son parfum délétère.
– Tu fumes vraiment ?
– De temps en temps, me répond-il avec un clin d’œil.
Il s’adosse à la balustrade, les mains dans les poches.
– Et la robe de ta sœur ? Elle est belle ?
– On dirait une meringue, réponds-je.
Il pouffe, puis tire sur mon bras pour m’attirer contre lui quand il aperçoit la silhouette de Laurence près
de la baie vitrée. Celui-ci fronce les sourcils et a l’air de vouloir arracher un mur avec la tête de Jelan.
– Tu sais quoi, Béni ?
Il ne me laisse pas répondre et ajoute :
– Il va regretter de ne pas t’avoir gardée.
– Je… je ne suis pas sûre d’aimer ça !
Son sourire a quelque chose de machiavélique et d’enjôleur. Mon cœur me joue à nouveau un mauvais
tour et oublie de battre un instant, quand les doigts de Jelan saisissent mon menton et me rapprochent à
quelques centimètres de son visage. De là, je peux même voir les quelques taches de rousseur qui
parsèment l’arête de son nez et la courbe suave de ses lèvres charnues.
– Tu ne vas pas faire ça, chuchoté-je. Je croyais que tu n’embrassais pas tes clientes.
– Semblant, Béni.
– Je… je ne sais pas feindre ce genre de choses. J’ai envie de t’embrasser tout court, alors stop !
Il ricane de plus belle et efface le peu de distance qui restait entre nous. Quand ses lèvres se glissent sur
les miennes, je me crispe de la tête aux pieds. J’ai l’impression que tous mes organes se liquéfient et
coulent sur le sol. Ses mains se posent sur mes hanches et m’attirent contre les siennes. Mon cœur
soubresaute et mon cerveau se disloque. Je ne suis plus capable de réfléchir à quoi que ce soit, alors je
laisse mon corps prendre le relais. Et mon corps a décidé d’être malhonnête…
Sans même le réaliser, j’entrouvre les lèvres et ma langue effleure les siennes. Je le sens aussitôt se
tendre contre moi, mais il ne bouge pas. Il ne me repousse pas, ne me crie pas dessus que je dépasse les
bornes ou que je ne suis rien d’autre qu’une cliente de plus dans sa vie.
Alors j’en profite autant que je le peux, parce que je sais très bien que cela ne se reproduira plus ensuite.
Le goût de sa peau est différent de celui que je m’étais imaginé. Il est plus amer à cause du café, mais sa
douceur me transperce le corps. Je pose les mains sur ses joues rasées de frais pour mieux l’entraîner
contre moi. Je goûte sa bouche et la mords jusqu’à saisir sa lèvre inférieure entre mes dents. Je l’entends
gémir contre moi et quelque chose de sournois et de délictueux appuie sur mon bas-ventre. Et il ne s’agit
pas seulement de mon désir…
J’ai envie de sa langue, mais il me la refuse, gardant obstinément la bouche close. Je me sens frustrée et
brûlante, comme la nuit passée. Je comprends avec une lucidité horrible que mon week-end va ressembler
à une éternelle privation. Une joute perpétuelle entre mon désir et son entêtement à me résister. Parce que
Jelan me résiste… il ne me rejette pas.
En m’écartant de ses lèvres, ses prunelles azurées se fondent dans les miennes. Il secoue la tête comme
s’il voulait gronder une jeune fille turbulente, puis il se penche et murmure à mon oreille de cette voix
veloutée qui me rend dingue :
– Béni Mordret, que vais-je pouvoir faire de toi ? Dois-je t’attacher les mains ?
Perspective intéressante, en effet. Je lève un sourcil qui l’amuse, puis baisse les yeux sur l’érection qui
tire la toile de son pantalon. Il hausse les épaules, mais il ne cherche pas à se détacher de moi. Il faut dire
que la plupart des convives du mariage sont présents sur la terrasse. Une érection, aussi belle soit-elle,
serait certainement du plus mauvais effet au mariage fastidieux que souhaitait ma sœur.
– Ça t’apprendra à jouer avec le feu, déclaré-je en éteignant ma cigarette sur la rambarde. Je t’avais
prévenu que je ne savais pas simuler.
– Tu n’as pas essayé une seule seconde.
– Non, en effet, je n’en avais aucune envie. Et puis, tu es là pour me satisfaire.
Du bout de l’index, il longe ma joue d’un air soudain diabolique.
– Ne joue pas à ce jeu, Béni Mordret.
– Ou sinon quoi ? Je vais me brûler les ailes ?
– Ou brûler les miennes.
Je cligne plusieurs fois des paupières, mais face à son sourire désarmant, je ne trouve rien à répondre. Je
m’écarte légèrement de son torse pour le laisser reprendre le contrôle de son corps, puis m’allume une
nouvelle cigarette.
– Béni ?
Je fonds sous le timbre de sa voix et pousse un tel soupir qu’il me scrute d’un œil assidu.
– Ne t’éloigne pas, murmure-t-il, mais je suis incapable de savoir s’il parle au sens propre ou au figuré.
Si tu étais un péché…
Gourmandise ou luxure ?
La masse des invités continue de gonfler sur la terrasse. Je joue aux hôtesses en souriant bêtement et je
me force à communiquer aux uns et aux autres avec autant d’envie que si je devais avaler de la ciguë. Je
surprends de loin quelques regards médisants et j’imagine avec lucidité tous les ragots qui doivent courir
sur mon compte. Laurence, mon ex-fiancé, épouse ma sœur. Quel cliché !
Par moments, je fixe sans les voir les fleurs pâles qui ornementent les chaises, les tables et la longue
haie qui court jusqu’à l’estrade où se tiendront dans moins d’une heure nos jeunes mariés. Et je songe,
l’espace d’un bref instant, que ce jour aurait dû être le mien.
J’allume une cigarette sans même m’en rendre compte et je sens sur ma nuque le poids du regard de
Jelan. Je lui jette un coup d’œil par-dessus mon épaule et souffle la fumée dans sa direction. Il ne prend pas
la peine d’effacer son sourire moqueur et je me concentre sur la conversation frivole de Monsieur Garett
sur les potentialités que mon père traite avec lui. Ce cher homme est un riche investisseur, mais la plupart
de ses investissements ont court sur le commerce de la fesse : porno en tout genre et outillages de luxe.
Bella n’a aucune intention d’investir dans ce domaine, même s’il arrive parfois que, pour de gros festivals
érotiques, nous y participions pour mettre en avant nos cosmétiques. Mais dans l’ensemble, Bella se veut
une marque de grand luxe, loin des falbalas libertins.
La musique d’AC/DC, Highway to Hell, éclate brusquement dans mon dos. Monsieur Garett continue de
déblatérer sur les plus-values que nous réaliserions si jamais nous étions intéressés par ses idées, mais je
ne l’écoute que distraitement. Je regarde du coin de l’œil Jelan, qui s’éloigne en direction du jardin en
tirant son téléphone de sa poche. J’attends une minute ou deux et je trouve une excuse bidon pour me
défiler. Je dévale les escaliers à toute allure et remonte l’allée, avant d’apercevoir sa silhouette aux abords
de l’étang.
Il se tient face au lac, une main dans une poche, l’autre tenant son portable contre son oreille. Même de
dos, il est séduisant. Sa posture nonchalante, le mouvement de ses cheveux dans la brise, sa taille élancée,
la courbe robuste de ses épaules, sa nuque bronzée que j’ai envie de mordiller.
Je m’immobilise dans son dos, à quelques mètres de distance, et je ne sais plus si je dois approcher ou
lui laisser de l’espace. Mais, quoi qu’il en soit, de là où je suis, je me montre d’une indiscrétion notoire. Je
l’entends prononcer d’une voix douce, mais incisive :
– Je t’ai dit que je rentrais demain soir. Le programme n’a pas changé… Je ne sais pas… Vers 19 heures
peut-être. Je t’appellerai en partant…
Sa voix devient tout à coup acérée.
– Tout se passe bien, oui. Comme d’habitude.
Il soupire bruyamment, sans chercher à le cacher à son interlocuteur.
– Éléanne, arrête, c’est comme d’habitude, c’est tout.
Un frisson désagréable se niche dans mon ventre. J’ai l’impression que quelqu’un vient de nouer mes
intestins et tire dessus au maximum.
– C’est un mariage, dit-il. On s’emmerde toujours un peu aux mariages… Ma cliente ?...
Une rafale se lève et balaie mon visage, envoyant mes cheveux valser dans tous les sens. Comme s’il
avait humé mon parfum dans l’air, Jelan se retourne brusquement et me dévisage en fronçant les sourcils.
Je bredouille à mi-voix un « Je suis désolée » et commence à reculer quand il déclare avec froideur :
– C’est une cliente. Rien de plus.
Ses iris bleu acier sont ancrés dans les miens. Mes escarpins hors de prix sont enfoncés dans le sol au
sens propre comme au figuré et j’ai la mauvaise impression d’être dans un film comique. Ma vie doit
profondément amuser un dieu farceur qui met entre mes pattes un ex-fiancé adultère, un ex-copain ambitieux
et un délicieux escort déjà engagé dans une relation et qui, visiblement, n’en a rien à cirer de moi. Je crispe
les poings et arrache mes talons de la glaise. Je hoche la tête à son intention et caricature un sourire. Puis,
ignorant son visage aussi beau que glacial, je me précipite, rageuse et sûrement plus malheureuse que je ne
voudrais l’admettre, vers l’allée, pour remonter en direction de la terrasse. Tout ceci n’est qu’une
mascarade. Comment ai-je pu l’oublier ?
Ses doigts se glissent soudain sous mon bras. J’exécute un demi-tour complet sur mes talons aiguilles, en
tentant de m’extirper de sa poigne, en vain. Près d’un grand sapin, sa carrure me domine entièrement, et ses
immenses yeux bleus me retiennent aussi bien que des fers. Il a l’air agacé. Il n’a pas rangé son téléphone et
le tient toujours dans sa main.
– Béni, attends…
– Lâche-moi. Si tu veux que nous parlions, nous allons parler, mais lâche-moi.
Je prononce ces quelques mots d’un ton aussi froid que possible, mais je ne suis pas certaine du rendu.
J’ai l’impression que ma voix tremble. Pourquoi me mettre dans un état pareil pour un homme que je ne
connais que depuis hier ? Béni Mordret, ne confond pas le désir qu’il t’inspire avec un autre sentiment
inutile ! Aimer ne s’inscrit pas dans le vocabulaire de ma famille. Nous utilisons et nous payons les gens.
Nous ne nous attachons pas à eux, sinon ils pillent, s’incrustent et font souffrir.
Il détache ses doigts de mon avant-bras et les enfonce dans ses poches, comme pour se retenir de me
toucher.
– Tu n’aurais pas dû te montrer curieuse, remarque-t-il d’un ton plus brutal que je ne m’y étais attendue.
– Tu as raison, je n’aurais pas dû. J’ai été punie pour mon indiscrétion.
Il pince l’arête de son nez, malgré son mobile qu’il fourre ensuite dans la poche de sa veste.
– Ce n’était pas pour te blesser, Béni, mais pour la rassurer. Je ne lui parle jamais de mes clientes. Je
suis lié au secret professionnel.
– Ça ne me regarde pas. Tu n’as pas besoin de te justifier.
– Je n’aime pas l’expression que j’ai vue sur ton visage.
Je n’arrive vraiment plus à déterminer si Jelan me ment ou non. Je suis complètement paumée. Voilà où
mènent les sentiments ! Voilà pourquoi nous les tenons éloignés.
– Ne t’inquiète pas. Cette expression ne reviendra plus. Et je suis désolée de savoir que ton amie
s’inquiète. Elle n’a aucune raison, n’est-ce pas ?
Il a l’air confus et hésitant quand il hoche la tête, mais il acquiesce tout de même.
– D’habitude, elle n’appelle pas, mais c’est la première fois que j’accepte un travail aussi long.
– Je comprends.
Bien sûr que je comprends. Quelle femme serait assez folle ou confiante pour laisser partir un homme
aussi séduisant que Jelan auprès d’une autre sans mourir d’inquiétude ? À sa place, je serais très
certainement en planque derrière un arbre pour m’assurer de sa fidélité, même si je ne suis pas la meilleure
juge qui soit. Le manque de confiance, tout comme l’infidélité, sont des sujets que je maîtrise à merveille.
– Nous devrions retourner sur la terrasse.
Je me dirige aussitôt en direction des escaliers. Jelan ne bouge pas durant quelques secondes avant de
m’emboîter le pas.
Une fois à ma hauteur, les deux mains dans ses poches de pantalon, il murmure d’une voix douce, mais
tranchante :
– Béni, ne t’attache pas à moi. Ça ne serait pas une bonne idée.
Mon cœur se fendille malgré moi. J’ai beau me répéter que Jelan ne représente qu’une délicieuse
tentation, qu’il n’est rien de plus qu’une attirance, un désir purement sexuel, mon cerveau ne parvient pas à
s’en convaincre. Et mon corps, n’en parlons même pas !
– Tu n’as pas à t’inquiéter à ce sujet. Je ne m’attache pas aux gens. C’est inutile. Pour parler crûment,
j’aurais bien aimé coucher avec toi, comme tu as pu le noter mais, soyons sérieux, nous n’avons rien en
commun.
Mon ton est volontairement désinvolte, mais à la pliure de sa bouche et au léger froncement de ses
sourcils, j’en conclus qu’il est énervé. Il ôte sa main droite de sa poche et saisit soudain une mèche de mes
cheveux, manquant de tirer dessus dans mon élan. Je ravale le juron qui manque de franchir mes lèvres et
croise son regard aussi acéré qu’un fil de rasoir. Nous restons, au pied des escaliers, immobiles, comme
figés dans le marbre. Puis il se met à rire.
– Tu sais t’y prendre pour repousser les gens, Béni.
– Tu sais t’y prendre pour les faire fantasmer.
Il acquiesce, parfaitement conscient de son potentiel.
– Mais il m’arrive quelquefois de le regretter, m’avoue-t-il.
J’ignore quel sens donner à sa phrase. Je le toise d’un regard frondeur, sourcil levé, et son sourire
s’élargit. Sans lâcher mes cheveux, il se penche au-dessus de moi et ajoute :
– J’aurais volontiers dépassé le fantasme.
Mon sang effectue un demi-tour dans mes veines. Il se précipite à toute allure jusqu’à mon cœur pour
l’ébranler violemment.
– Veux-tu bien arrêter ça ? Tu es pénible !
Comme mon ton n’est plus aussi convaincant, il éclate de rire et glisse ses doigts entre les miens pour
m’entraîner vers la terrasse.
– Tu es intenable, Jelan. Y a-t-il un moment où tu arrêtes de te comporter en escort ?
– J’avais l’air d’être un escort ?
Ses yeux bleus souriants me transpercent. Je secoue la tête. Non, durant quelques secondes, Jelan
ressemblait à un homme. Un homme sexy en diable de qui j’aurais pu obtenir les faveurs. Un homme qui
avait envie de moi.
En montant les marches, il me demande :
– Au fait, Béni, c’est un diminutif ?
– Non, pas du tout. C’est le prénom du premier amour de mon père. Béni Dorian.
Il hausse un sourcil en me dévisageant, l’air de se demander si je suis sérieuse ou non.
– Et ta mère a accepté ?
– Ma mère s’en fout.
– Et dire que je croyais que ma famille était tarée.
Je pouffe de rire.
– Tu as encore du chemin.
– Et ça ne te dérange pas ?
– Non, un prénom est un prénom. Je suis plutôt satisfaite que son premier amour ne se soit pas appelé
Micheline ou Huguette.
– Ne t’inquiète pas, ça n’aurait rien retiré à ton charme naturel.
– Jelan l’escort est de retour, grogné-je en souriant.
– Jelan adresse un compliment à sa délicieuse fiancée. Ne voudrait-elle pas arrêter de voir son métier
derrière chacune de ses phrases ? Ne pourrait-elle pas envisager que quelquefois je dise la vérité ?
Je tords ma bouche en feignant de réfléchir, puis secoue la tête.
– Non, il est peu probable que j’y parvienne et c’est une bonne chose.
– Une bonne chose ? En quoi ça pourrait être une bonne chose ?
– Parce que ça m’évitera de tomber amoureuse de toi.
J’ai au moins le mérite de lui couper le sifflet. Ses prunelles électriques se fondent dans les miennes,
mais son expression est difficile à décrypter. Comme tout à l’heure, il a l’air hésitant, presque mal assuré,
et pourtant, son regard ne dévie pas ou ne semble pas gêné. Puis un sourire tire le coin de ses lèvres.
– C’est bien la première fois qu’on me jette de cette façon.
– Tu es vexé peut-être ?
– Vexé, non. Déçu, tout au plus.
Je serre sa main dans la mienne avant de m’en détacher. Je pivote au sommet des escaliers et me dresse
devant lui, situé une marche au-dessous. Une fois à hauteur de son visage, je me sens un peu moins
diminuée et, soudain poussée par un excès de confiance, je lui lance :
– Mensonge ou vérité ?
Son sourire inonde son visage d’allégresse.
– Je t’écoute, me répond-il d’un ton joueur.
– Si tu étais disponible, est-ce que tu m’embrasserais maintenant ?
– Maintenant ?
– Oui, maintenant.
Sa canine se plante dans sa lèvre inférieure et son regard s’attarde un instant sur ma bouche, avant de
remonter vers mes yeux. Il ne répond pas ; il se contente de hocher la tête. Et le simple fait qu’il ne pose
pas de mots sur sa réponse me couvre de frissons.
Il monte sur la marche supérieure, me forçant à reculer et à relever la tête. Sa présence me submerge
aussitôt, son torse frôlant ma poitrine, et un courant électrique me traverse de la tête aux pieds. Quelque
chose de sournois et de vivant embrase mon bas-ventre en un instant. Mon regard se pose à mon tour sur sa
bouche charnue et je meurs d’envie de m’en saisir. Il doit deviner mon désir, parce qu’il pose son pouce
sur mes lèvres et en caresse délicatement la courbe.
– Bon Dieu, oui, Béni Mordret, si je le pouvais, je t’embrasserais.
Si j’étais en sucre…
Je fondrais pour toi
Une musique sirupeuse résonne au travers des baffles. Je regarde fixement devant moi la rangée de têtes
bien coiffées, évitant avec un grand soin de lorgner en direction de Laurence, bien calé en haut de l’estrade,
l’air sévère. Dans son beau costume de futur marié, on dirait qu’il s’apprête à déclamer un plaidoyer
devant son auditoire, les sourcils légèrement froncés sur un regard glacial et concentré.
La mélodie grimpe en décibels et je me crispe sur mon fauteuil. La marche nuptiale, si stéréotypée,
remonte la longue allée recouverte d’un tissu blanc sur laquelle des petites filles s’amusent à jeter des
fleurs roses. Je me demande d’où elles sortent, si ma mère les a louées pour l’occasion, parce que je n’ai
pas le souvenir d’avoir autant de nièces ou de cousines. Ça existe des locations de petites filles pour les
mariages, comme les clowns pour les anniversaires ?
Lorsque ma sœur, dans sa robe de mariée fastidieuse, déferle sur ma droite, tout voilage dehors, je me
mets à triturer nerveusement un bout du jupon de ma toilette. Je retiens mon souffle en me demandant ce que
je fous ici. Ma présence est ridicule et déplacée, même si Lucie est ma sœur. Son fiancé est mon ex-fiancé.
Ils ont couché dans la pièce d’à côté, sans se soucier le moins du monde de ce que je ressentirais et du mal
que ça m’infligerait. Pourquoi suis-je ici ? Serais-je masochiste ?
La main de Jelan se pose soudain sur la mienne. Il glisse ses doigts entre les miens et ramène ma paume
sur sa cuisse.
– Béni, respire, me conseille-t-il à une voix basse.
Je reprends mon souffle comme si son injonction avait atteint toutes les synapses de mon cerveau et lève
les yeux sur son visage attentif, ses épaules inclinées vers moi.
– Détends-toi. C’est juste un mauvais moment à passer. Tu n’as qu’à voir ça comme une pièce de théâtre.
– Burlesque, j’espère.
– Sans aucun doute. Un vaudeville.
– C’est moi le dindon de la farce.
– Mais non, toi, tu as échappé au mariage ennuyeux, à une vie morose et au mari chiant à mourir. Je suis
sûr qu’il n’était même pas fichu de te satisfaire au lit.
Je lève un sourcil en découvrant son regard moqueur. Laurence n’était pas un mauvais amant, mais il était
mesuré dans tout ce qu’il entreprenait. Son endurance semblait chronométrée en fonction du temps qu’il
avait à m’accorder avant de retourner travailler. Laurence était et sera toujours marié à sa robe d’avocat.
Sa fantaisie était quasi inexistante. La partie de jambe en l’air la plus originale que nous ayons tentée s’est
déroulée dans la piscine d’un hôtel de grand luxe à Bali, avec des spots de couleurs qui nuançaient les
reflets de l’eau. Quelques clients traînaient près d’un bar et auraient pu surprendre nos ébats, mais si ce fut
le cas, ils furent très discrets. Laurence n’a pas cessé de m’exhorter d’être moins bruyante, si bien qu’il a
fini par m’énerver et que je n’ai pris aucun plaisir.
– Je ne répondrai pas à cette remarque, déclaré-je, ce qui accroît son sourire.
– Ce qui revient à admettre que j’ai vu juste. De toute façon, c’est marqué sur son visage. Ce type doit
donner envie de baiser un serpent de mer.
Je manque de m’esclaffer bruyamment.
– Un serpent de mer ?
– Oui, il a une tête de serpent, les yeux globuleux et acérés, avec sa langue qui pointe comme si c’était un
couteau pour égorger les gens.
– Hum, bonne définition.
Son sourire a ce quelque chose d’ensorcelant qui aimante mon regard sur lui un temps plus que
déraisonnable. Je finis par m’en détourner lorsque la voix du prêtre entonne son sermon. J’observe
l’estrade sur laquelle ma sœur a rejoint son fiancé. Leurs visages sont entourés d’une charmille de fleurs
blanches, leur créant une espèce de couronne grotesque. On se croirait dans un film à l’eau de rose, du
genre N’oublie jamais, en version visqueuse. Je soupire tandis que les deux futurs époux se dévisagent
avec amour ou souci des convenances. Je surprends quelques chuchotements ou coups d’œil à peine
discrets en provenance de quelques curieux. Ils pourront dire que Béni Mordret s’est humiliée avec entrain
au mariage de sa propre sœur. Ma mère et mon père n’ont d’yeux que pour elle. C’est son jour.
Je devrais probablement me moquer de toute cette mise en scène. Après tout, tout ceci appartient au
passé. Laurence est un connard et ma sœur, une garce. Ils se sont bien trouvés. Alors pourquoi je me sens
soudain si mal ? Pourquoi mon pouls bat bien trop vite ? Pourquoi ai-je envie de partir d’ici ? Loin, très
vite.
Mes genoux s’agitent et je tape du pied sur le sol comme si je pouvais décoller de ma chaise.
La voix de Jelan perce soudain le marasme de mon esprit.
– Béni, je sais à quoi tu penses, mais ne leur donne pas ce plaisir.
Je tourne la tête vers lui. Il lâche ma main qu’il laisse posée négligemment sur sa cuisse, et faufile ses
doigts sur ma nuque. Penché vers moi, il murmure :
– Tu sais, Béni, c’est la première fois que je vais aussi loin avec une cliente.
Je me fige, écarquille les yeux et entrouvre la bouche de stupeur. Pardon ?
Il hoche la tête.
– Ce qu’il s’est passé cette nuit, ce n’était sans doute rien pour toi, mais pour moi, c’était beaucoup. J’ai
dépassé ce que je m’octroie d’habitude. Mais c’était plus fort que moi. Merde… tu étais si chaude.
Face à mon air stupéfié, il sourit et ajoute :
– Je veux dire, ta peau… Ta peau était si chaude, si douce. Je rêvais de t’arracher ce putain de tee-shirt.
Je rêvais de sentir tes seins sous ma langue.
J’humecte mes lèvres avec nervosité, mais celle-ci est bien différente du sentiment que je ressentais un
instant plus tôt. Mon pouls bat toujours aussi vite, mais pour une raison bien différente. Jelan est en train
d’allumer un feu sous ma peau, à l’intérieur de ma chair, depuis mon bas-ventre, l’intérieur de mes cuisses
jusqu’à ma nuque sur laquelle se dressent mes petits cheveux.
– Je ne simulais pas cette nuit, Béni. J’avais envie de te toucher, de te sentir, de me glisser en toi.
Même mon oreille, dans laquelle il laisse échapper ces mots, frissonne de plaisir. Ses doigts continuent
de caresser la base de ma nuque et je suis à deux doigts de saisir sa bouche, de le mordiller et d’arracher
son costume trois-pièces en plein milieu de la cérémonie.
– J’avais envie d’admirer ton corps, nu et totalement offert à mes caresses. Bon Dieu, Béni, j’aurais
donné n’importe quoi pour sentir tes lèvres sur moi et glisser ma langue en toi. Je t’aurais léchée jusqu’à ce
que tu te délites et me supplies de te pénétrer. Je voulais sentir ton goût, le connaître, entendre tes petits
cris.
Il se pince les lèvres d’une manière si sexy que je manque de gémir. Avec ma mère dans la rangée
précédent la mienne, ce serait sûrement de mauvais goût. Il saisit mon lobe d’oreille entre son pouce et son
index et y colle ses lèvres pour chuchoter :
– Je t’aurais fait l’amour si longtemps que tu n’aurais pas pu t’asseoir aujourd’hui.
Je manque de rire et son sourire me revient comme un boomerang en pleine tête. Son air moqueur vivote
dans son iris, avec cet éclat en plus d’impudicité et de désir. Si Jelan ment, il est encore plus doué que tous
ceux que j’ai pu rencontrer jusque-là, du politicien aux actionnaires, en passant par l’avocat véreux.
– Tu es si sûr de toi, murmuré-je en écho.
Son sourire s’agrandit. Il s’écarte légèrement, me laissant la possibilité de reprendre mon souffle, puis
jette un œil en direction de l’estrade. Je suis son regard et, surprise, constate que ma sœur est bel et bien
mariée, son alliance au doigt. Je m’en détourne aussitôt et repose les yeux sur Jelan qui, tout fier de lui,
détend son bras droit jusqu’à couvrir mes épaules.
– Tu es… grogné-je sans parvenir à finir ma phrase.
– Charmant ?
Je plisse le nez et tente d’effacer les vagues de désir et d’excitation qui déferlent dans tout mon être.
– Sadique !
Sa main se referme sur mon épaule et m’attire contre son torse. Ma sœur embrasse Laurence à pleine
bouche, mais je fonds mon attention sur la personne à mes côtés, si désireuse de me satisfaire, même si ce
n’est qu’en pensée. La bouche de Jelan est à quelques centimètres des miennes. Son parfum m’assaille de
toutes parts et mes bonnes résolutions de le tenir éloigné volent en éclats. Comment lui résister ?
– Crois-moi, Béni, c’est la dernière chose que je veux. Je pensais vraiment ce que je viens de te dire.
– Je sais. Mais ça ne change rien au résultat. Nous sommes assis au mariage de ma sœur et je ne te
toucherai pas plus ce soir que la nuit dernière. Il y a un lutin farceur qui bousille ma vie.
– Vois ça plutôt comme un moyen de détourner tes pensées de ce mariage foireux. Je prédis que dans dix
ans, ta sœur aura divorcé de ce type et qu’elle l’aura cocufié au moins cinq fois avec des collègues de son
mari fortuné.
– Cinq fois ? C’est précis.
– On peut prendre les paris.
– OK, je parie qu’avant la fin de ce week-end, tu m’embrasseras.
Il me regarde fixement en souriant.
– Ah oui ? Tu as l’air si sûre de toi. Cinq minutes plus tôt, tu étais à deux doigts de prendre tes jambes à
ton cou, et là, tu es persuadée que je vais céder…
– Oui, j’en suis persuadée, assuré-je en saisissant son col de chemise entre mes doigts, parce que tu as
commis une erreur monumentale.
Il hausse les sourcils, surpris.
– Laquelle ?
– Tu m’as avoué que tu me désirais vraiment.
Son sourire polisson réapparaît.
– Et ça me transforme en proie ?
– Oh oui ! Les Mordret sont très doués dans l’art de la chasse. Quand ils repèrent une proie, ils ne la
lâchent plus.
Il ricane, mais ne s’éloigne pas, nullement effrayé, tout au plus joueur.
– D’accord, Béni, je prends le pari.
Les Mordret sont aussi très doués dans le spectaculaire. Un lâché de colombes blanches frise le drame et
la crise d’hystérie lorsque l’une d’entre elles manque de déféquer sur la robe de ma sœur. La musique
vrombit. Les fleurs sont jetées sur le chemin et sur les mariés, avec les grains de riz traditionnels. On
ovationne et on applaudit gaiement, même si la plupart de ces convives doivent penser au prochain dîner et
au vin qui sera servi à table.
Ma sœur remonte l’allée aux côtés de son nouvel époux, aussi digne et infatuée qu’une reine de sitcom.
Elle ne me jette pas un regard. Je suis inexistante. Mais Laurence s’attarde vaguement sur la main de Jelan
posée sur mes reins, tandis que, debout, nous les regardons gagner la terrasse sur laquelle reposent petits
fours et champagne. Je rêve de champagne, même si, en tout état de cause, je n’aime pas ça, mais son goût
estompera l’amertume et l’écœurement que m’inspire ce mariage.
En nous faufilant dans l’allée, je croise le regard de Ciaràn Mordret qui a l’air de s’ennuyer comme s’il
assistait à une pendaison. Il m’adresse un sourire faux, mais je dois admettre qu’il n’en demeure pas moins
aussi beau et fascinant qu’un acteur de cinéma des années 1960, à la James Dean. Le côté glacial en plus.
Declan, à ses côtés, me lance un clin d’œil qui me transit l’échine. Je suis persuadée qu’il va me demander
quelque chose. Quelque chose pour payer son silence sur le métier de Jelan, et ce quelque chose ne va pas
m’enchanter du tout. Declan sait pertinemment se montrer désagréable et intéressé. C’est un trait commun
de la famille. Parfois, je me dis que nous n’avons rien à envier à la famille Addams. Nous aussi, nous
avons nos détraqués.
Une fois sur la terrasse, coupe de champagne à la main, je dois me soumettre aux félicitations en vigueur
pour le magnifique mariage de ma très chère sœur. Ma mère se joint à moi et pavane, minaude et me couvre
d’urticaire. Jelan se tient en retrait et joue le jeu avec les hommes du clan.
Dès que je peux m’extirper du caveau familial, je m’éloigne et prends le temps d’allumer une cigarette.
Ma sœur virevolte entre les groupes pour parler avec chacun et montrer sa jolie robe, ses beaux bijoux et
son teint de pêche. J’ai le droit à un sourire émail diamant et un petit signe de la main. Je m’appuie contre
la balustrade, regarde sans la voir la façade de la maison, puis Jelan qui croise les bras sur sa poitrine, à
mes côtés. Il fixe lui aussi l’architecture très romaine de la villa.
– Tu as passé le plus pénible, me rassure-t-il. Ce soir, c’est la fête. Tu pourras participer à ton sport
favori.
– Qui est ? m’étonné-je en pompant sauvagement sur ma cigarette.
– Hum… chasser, non ?
Je pouffe en secouant la tête.
– En effet, j’excelle en la matière. Tu n’as pas peur ?
Il croise mon regard.
– Honnêtement ?... Si. Tu m’effraies un peu, Béni Mordret.
– Vraiment ?
– Tu es de ces femmes à la fois sexy et glaçantes, habituée à ce qu’on ne lui refuse rien, mais attendant
patiemment qu’on se refuse, sinon il y aurait peu d’intérêt à relever le défi.
– C’est comme ça que tu me vois ? lancé-je, stupéfaite.
– N’est-ce pas comme ça que tu as mené ta vie jusque-là ? Tu t’es opposée au conformisme de ta famille.
C’est bien ce qu’ils te reprochent.
Il pointe du doigt la flopée de membres Mordret qui tournent entre les tables pour se saisir des coupes de
champagne avec l’avidité d’un drogué.
– Je ne vois pas pourquoi je serais différent, ajoute-t-il.
Je hausse les épaules.
– Tu n’es pas un défi. Je ne sais même pas ce que tu es ou qui tu es... Jelan, est-ce ton véritable nom ou
une invention de plus ?
– Qui sait ?
– Tu vois. Une vérité pour un mensonge.
– Une omission.
– C’est pareil.
Il pousse un soupir, jette un coup d’œil aux convives avant de revenir sur moi et de fixer l’embout de ma
cigarette.
– Je m’appelle vraiment Jelan, mais Leri est un faux nom. Le premier qui m’est passé par la tête quand tu
me l’as demandé.
Il cale ses mains sur la balustrade et étire sa nuque.
– Je n’en ai jamais autant révélé à une cliente.
– Je suis chanceuse ou le contraire ? ricané-je d’un ton faussement joyeux.
– Je n’en sais rien. Tout dépend de ce que tu cherches.
Je me cale contre son épaule, la tempe effleurant sa veste.
– Si seulement je le savais. Un moment de bonheur peut-être. N’est-ce pas ce à quoi nous aspirons tous ?
Je ne me souviens même plus de la dernière fois où j’ai ri, vraiment ri, ou pris du plaisir, ou m’être amusée
comme une fille de mon âge. J’ai vingt-neuf ans et je me sens parfois si vieille.
– Tu sais ce que c’est ton problème, Béni ?
– En dehors de ne pas pouvoir coucher avec toi ?
Il ricane en me frottant la tête comme un bon petit chien.
– Tu t’opposes à ta famille, mais tu es incapable de t’éloigner d’elle. Alors elle continue de t’influencer
et de te pourrir la vie. Tu vis avec eux, tu bosses avec eux. Tu passes ton temps à les repousser sans pour
autant prendre le large.
Je fixe un point sur le sol avant de lâcher mon mégot et de l’écraser d’un coup de talon.
– Tu es en train de sous-entendre que le problème vient de moi ?
– En général, le problème vient toujours de soi.
– Et tu peux me dire comment un jeune homme de vingt-deux ans a acquis autant d’expérience de la vie ?
– J’ai vécu pas mal de trucs.
– M-hm ? Mais encore ?
Il détourne les yeux en direction d’un serveur qui passe entre les invités pour leur offrir des amuse-
gueules.
– Ça n’a pas beaucoup d’importance ou d’intérêt, élude-t-il.
– Tu connais bon nombre de mes états d’âme maintenant, alors sois galant, Jelan, et permets-moi de me
sentir un peu moins misérable.
– C’est un procédé mesquin que de tenter de me culpabiliser.
– Est-ce que ça fonctionne ?
– Pas le moins du monde.
J’esquisse une petite moue, provoquant son rire malicieux.
– OK, Béni, tu as le droit à une question, mais seulement parce qu’il m’appartient de te satisfaire.
Je me frotte les mains d’envie et me concentre sur la bonne interrogation à poser. Il lève les yeux au ciel
face à mon enthousiasme subit.
– Comment es-tu devenu escort ?
Son visage s’assombrit aussitôt, mais il répond tout de même :
– Je te l’ai expliqué hier soir. À cause d’une femme.
– Mais encore ? Ça aurait tout aussi bien pu être un mensonge. Une femme, c’est d’un cliché !
Il hoche la tête sans rien ajouter.
– Jelan ? C’est à cause de ton amie que tu es devenu escort ?
Son dos se fige. Sa main retombe le long de sa hanche et il recule.
– Non, pas vraiment. Je connais Éléanne depuis longtemps, finit-il par admettre, bien avant de devenir
escort. J’avais besoin d’argent, comme tout le monde… enfin, comme presque tout le monde, note-t-il en
m’adressant un regard entendu qui me met mal à l’aise. Je devais payer les factures. On m’a proposé ce
boulot. Au début, c’était juste de temps en temps pour mettre du beurre dans les épinards, et puis c’est
devenu plus régulier. Des femmes ont commencé à me rappeler. J’ai joué le jeu et c’est devenu un boulot à
temps complet qui paie bien. Fin de l’histoire. Tu vois ? Ça n’a rien de sensationnel.
– Alors pourquoi tu en fais toute une maladie ?
Un muscle de sa mâchoire tressaute. Il hausse les épaules d’un air nonchalant mais, pour une fois, le
masque s’est fendillé et il manque de conviction.
– Le reste ne te regarde pas, Béni. Tu es ma cliente.
Je comprends qu’il me remet à ma juste place, en incluant une solide barrière que je ne dois pas franchir.
Sa distance soudaine me blesse plus durement que je ne le souhaiterais, mais je commence à prendre
conscience que Jelan a déjà pris une place monumentale dans ma vie. Je ne sais presque rien de lui. Je ne
perçois que des fragments de ce qu’il est vraiment, et pourtant, jamais je ne me suis sentie aussi bien
auprès d’un homme. Étonnement, la confiance que je n’ai jamais eue jusque-là se bâtit sans que je ne puisse
rien tenter pour arrêter le carnage qui ne manquera pas de se produire. Jelan parvient à pénétrer mon
univers, alors même que j’ai toujours pris soin d’en calfeutrer toutes les portes.
– Est-ce que tu es amoureux d’elle ?
Ma phrase a franchi mes lèvres sans que je ne puisse l’en empêcher. Elle ressemble à un ouragan sur une
île superbe des Caraïbes. Ses yeux s’arrondissent et un voile de colère sombre sur son visage. Puis, tout
aussi brusquement, le masque revient, se recrée sur les lignes de sa figure et se dispose avec brio, effaçant
la moindre trace d’irritation. Mais les mots qu’il prononce sèchement n’ont rien d’amical :
– C’est évident, non ?
Évident…
Si tu étais une montagne…
Je te gravirais sans m’arrêter
En quoi est-ce évident ?
Son regard ténébreux, tandis qu’il prononce ces quelques mots. Son sourire, l’instant d’avant, lorsqu’il
me chuchotait à quel point il avait envie de me sentir. Est-ce qu’un homme peut sincèrement aimer une
femme et en désirer une autre ou concrétiser ce désir ? Je n’ai jamais été de ces femmes à l’eau de rose qui
pensent qu’un amour est sans limite, sans tragédie, exempt de la moindre erreur. Les quelques exemples qui
m’ont été donnés se résument à mon père, qui a épousé ma mère par intérêt financier, mon oncle, qui
regarde sa femme se décimer dans l’alcool sans protester, Declan, qui joue les étalons avec des prostituées
de luxe ou des femmes d’un soir… Et moi, je me suis contentée de la facilité en sortant avec des hommes
de mon monde, sans fantaisie et sans passion. J’ai la sensation d’avoir marché à la surface des choses sans
rien connaître, sans m’investir, sans prendre la peine de découvrir ou de me battre. Quand Laurence m’a
trompée avec Lucie, hormis la petite crise d’hystérie sous le coup du choc, je ne suis plus jamais revenue
sur cette histoire. Je me suis effacée. J’ai rendu les affaires de Laurence qui traînaient dans mon
appartement et j’ai cessé de le fréquenter en dehors des repas dominicaux. Je me suis comportée comme un
fantôme.
Je relève la tête et fixe mon reflet dans le miroir de la salle de bains. Ça doit bien faire une bonne demi-
heure que je suis enfermée là-dedans pour fuir la présence tentaculaire de Jelan, en me demandant comment
je suis supposée me comporter maintenant. Je me sens groggy et en mal d’amour. Sa présence réveille en
moi la solitude dans laquelle j’ai fini par m’enterrer. Je ne m’en étais pas aperçue avant son arrivée, pire,
j’estimais que ma vie était très bien telle qu’elle était : consacrée au travail. Mais en rentrant tous les soirs
dans mon bel appartement, je me rappelle brusquement à quel point il est vide, sans âme et sans chaleur.
Éléanne a la chance d’avoir son escort à elle tous les soirs à la maison. Du moins… presque tous les
soirs.
Pourquoi diable suis-je en train de penser à cette fille ?
Je passe les mains sous l’eau chaude et m’asperge le visage, évitant d’effacer tout mon maquillage.
Je ne suis pas une femme modèle. J’ai trompé, écrasé et humilié des gens pour grimper les échelons de
l’entreprise familiale et me démarquer, parce qu’on ne m’a jamais facilité la vie. J’ai dû faire mes preuves
et montrer aux autres que je pouvais être aussi tyrannique que la plupart des membres de ma famille. Et j’y
réussis fort bien. En dehors de Merryn, je n’ai personne à qui me confier. Les confidences sont sources de
trahisons, autant s’en abstenir le plus possible. Mais Merryn est de ces personnes à s’immiscer dans votre
vie comme un cafard et à rester chez vous en dépit des nombreux insecticides ou coups de chaussures que
vous tentez de lui donner pour l’éliminer.
Je presse le rebord de l’évier en scrutant mon visage. Je suis encore jolie. Je sais me servir de mon
physique, comme Jelan du sien. Agir de façon charmante pour acquérir plus de pouvoir, ou glaciale pour
écraser un individu gênant. Je sais user de tout cela. Pourquoi cette fille que je ne connais pas aurait-elle la
moindre importance ?
Je pousse un soupir si bruyant que j’ai l’impression que ma cage thoracique s’est décollée. Je suis une
horrible personne qui tente de séduire le copain d’une autre. Et bon sang, j’ai beau essayer de me
raisonner, je ne parviens pas à effacer l’attraction qui me guide jusqu’à lui. J’ai le sentiment que mon corps
est aimanté par le sien, que tous les faisceaux de ma chair se dirigent droit sur lui. Comment lutter contre ça
? Si j’assouvis mon désir, est-ce que ça sera plus facile ?
Je sors de la salle de bains sans avoir réglé aucune question. J’ai l’impression que ma tête va exploser.
En mode zombie, je remonte le couloir ornementé de tableaux de grands maîtres, de guéridons en merisier
et de fenêtres avec des encadrements en forme de colonnes cannelées. Le couloir est en partie déserté ; la
plupart des convives paradent sur la terrasse et dans le grand salon. Mais avec la poisse capricieuse qui
me suit comme mon ombre, je trouve le moyen de me retrouver face à face avec Declan. Impossible de me
dérober ou de tourner les talons en le snobant. Declan est mon cousin, mais c’est aussi mon patron direct.
– Tu as l’air d’avoir écrasé ton chien, remarque-t-il aussitôt en remisant une mèche de cheveux gominés
vers l’arrière de son crâne.
– Merci. Ton compliment me va droit au cœur.
Il hausse les épaules, puis glisse un doigt sous sa cravate et en desserre le nœud, juste assez pour que je
puisse apercevoir sa pomme d’Adam.
– Le mariage ne te plaît pas ? me demande-t-il de son ton pince-sans-rire, qui me donne envie de le
cogner.
– Oh si, il est parfait.
– Je suis curieux de connaître ta définition de la perfection.
– Simple… Chiant.
Il ébauche un sourire, puis ses yeux s’illuminent. Je sens le coup venir comme s’il avait pris forme sur
son corps. J’essaie de m’écarter de son chemin pour rejoindre la terrasse, mais Declan trace un pas sur le
côté pour m’en empêcher.
– Tu es pressée ?
– Indisposée.
Cette fois, il éclate de rire, puis me lance une pichenette sur le front.
– Béni, tu sais que je sais, n’est-ce pas ?
Un insecte rampant longe ma colonne vertébrale en fixant son air railleur.
– Oui, je le sais. Et alors ? Si tu veux l’annoncer à toute la famille, je vois mal comment t’en empêcher.
Il dessine un geste de la main, puis s’adosse au mur en croisant une cheville sur l’autre.
– T’as l’air de croire que ça pourrait m’amuser.
– Je n’en ai pas l’air. J’en suis certaine.
– Tu me prends pour un monstre ?
– Non, pour un Mordret simplement. Qui, dans cette famille, ne s’octroierait pas une si délicieuse
humiliation ?
– Tu es l’une des rares de cette famille que je parviens à supporter plus de cinq minutes.
Il se penche légèrement en avant pour saisir mon regard.
– Alors, ne t’angoisse pas comme ça. Je ne vais pas te trahir. Si ça t’amuse de fréquenter un escort. Tu le
paies combien ?
– Trop cher, sûrement.
Il ricane et hoche la tête en se redressant contre le mur. Il soupire, le nez levé vers le plafond, puis me
lance comme si c’était une évidence :
– Je veux ta secrétaire.
Un fusil vient d’être armé quelque part entre mes omoplates.
– Quoi ?... Non ! Il n’en est pas question.
Son regard noir de jais se pose sur moi et je ressemble à un étron ou à quelque chose de terriblement
insignifiant.
Je secoue la tête avec obstination.
– Je tiens beaucoup à ma secrétaire. Elle est compétente et c’est la seule qui me supporte au travail. Je
ne te la laisserai pas.
Il se met à rire tellement fort que je crains qu’on nous surprenne depuis le salon.
– Non, on ne s’est pas compris. Je VEUX ta secrétaire.
Je cligne plusieurs fois des paupières, analysant ses mots, puis me fige de la tête aux pieds.
– Non, mais ça ne va pas ? Les putes de luxe ne te suffisent plus ? Merryn n’est pas comme ça. Il n’est
pas question que je te laisse la manipuler.
– Oh ! Une dame-patronnesse. Tu ne serais pas en train de tomber amoureuse de ton escort, dis-moi ? Tu
as l’air bouleversé et tu as les yeux qui pétillent chaque fois que tu le regardes. Soit tu joues divinement
bien la comédie et tu t’es trompée de carrière, soit tu es dans une merde noire, Béni. Alors fais-moi grâce
de tes sermons. Ta secrétaire me plaît. Tu m’organises un dîner avec elle. Le reste ne te regarde pas, n’aie
pas d’inquiétude.
– Tu es toujours si sûr de toi.
– C’est un trait commun à notre famille.
Si seulement !
– Toi aussi, Béni, me contredit-il, en écho à mes pensées. On dirait quelquefois que tu ne vois pas l’effet
que tu provoques sur les hommes. Ton escort est sous le charme. Tu n’as plus qu’à le cueillir.
– C’est fou ce que tu es romantique.
Il hausse les épaules d’un air désinvolte.
– Ce n’est que du sexe. Si tu ne mets pas de sentiments, les choses sont plus faciles.
– Prends garde, Declan. Tu deviens comme ton père.
Je devine dans ses iris l’éclat de colère qui s’embrase légèrement, avant de disparaître, enterré dans les
méandres de l’âme tourmentée de Declan Mordret.
– Quand tu t’attaches, tu souffres. Quand tu profites, tu te préserves.
– C’est un bon slogan. Il fonctionne ?
– Il tient à distance, c’est suffisant.
– On en reparlera le jour où tu tomberas amoureux.
– Tu as l’air de croire que ce n’est jamais arrivé, se moque-t-il.
– J’ai beaucoup de mal à t’imaginer avec une femme, en dehors des bimbos sans cervelle, bien sûr.
– Les bimbos ont le mérite de ne s’incruster que dans mon portefeuille. Ça me convient.
Il se redresse, s’approche de moi et enroule son doigt dans une mèche de mes cheveux.
– Amuse-toi avec ton escort, Béni. Au mieux, tu seras décontractée au boulot lundi matin.
– Très spirituel.
Il se penche au-dessus de moi, lâche mes cheveux, puis pose son front contre le mien :
– Tu es ma cousine préférée, tu le sais ?
– Ça sous-entend que tu n’as pas envie de m’étrangler dans la seconde ?
Il hoche la tête.
– Ça sous-entend aussi que je me comporterai comme un gentleman avec ta secrétaire. Je ne lui ferai rien
qu’elle ne désire. Ça te convient ?
Je le repousse du plat de la main.
– Je lui poserai la question, mais je ne te promets rien. Je ne la forcerai pas à sortir avec toi, quand bien
même tu me menacerais de divulguer ce que tu sais. C’est clair ?
– Comme du cristal, comme toujours avec toi.
Il presse ma mâchoire entre ses doigts, me bombarde d’un sourire caustique, puis s’éloigne en direction
de la salle de bains de son pas à la fois autoritaire et désinvolte.
Merryn sera furieuse. Elle va sûrement m’insulter et me pourrir ma journée de lundi et sans doute celle
de mardi. J’imagine que cette punition sera méritée.
Je regagne le grand salon, me fonds dans le décor, escamote un verre de champagne que je bois tout en
marchant. Je tente d’éviter les conversations, mais je suis bien obligée de jouer le jeu et de me comporter
comme si la situation n’était pas en train de m’échapper. Puis soudain, entre toutes les têtes poudrées, je
l’aperçois depuis l’autre bout de la pièce. Il est adossé au mur, les bras croisés sur la poitrine. Une mèche
de cheveux bruns tombe sur son front, mais il ne fait pas mine de vouloir la retirer. Ses iris céruléens sont
braqués droit sur moi. Il suit le moindre de mes mouvements et me détaille de la tête aux pieds, épousant
les formes de mon corps. Tout à coup, je prends conscience du désir réel qui nous anime tous les deux. Je
ne suis pas la seule à l’éprouver. Jelan a vraiment envie de me toucher.
En marchant vers lui comme si j’allais livrer la plus dure bataille de ma vie, je le vois redresser la
nuque, carrer les épaules, se tenir prêt, lui aussi, à mener un dur combat. Ses sourcils sont froncés, mais sa
bouche dessine un sourire moqueur.
Je revois un instant la façon dont Declan a détaché son nœud de cravate et la pensée fugitive que ce geste
du quotidien a quelque chose de sexy et de purement masculin me traverse l’esprit, si bien qu’une fois à sa
hauteur, je glisse mon doigt sous sa cravate et la tire jusqu’à la laisser pendre négligemment sur sa poitrine.
Il me laisse agir, joueur, et se contente d’ouvrir le premier bouton de sa chemise.
Plus petite que lui d’une bonne tête, je relève les yeux pour le regarder bien en face. Son sourire est
toujours présent, mais il est un peu crispé.
– Tu as cessé de m’éviter, remarque-t-il de sa voix de velours.
– Oui, je ne t’éviterai plus.
– Tu es de nouveau la Béni conquérante.
Je penche la tête de côté, si bien que son regard effleure mon cou, puis la naissance de ma poitrine sans
la moindre discrétion.
– Tu es de nouveau très professionnel.
Il manque d’éclater de rire et se redresse de toute sa hauteur.
– Je crois que je n’ai jamais été aussi peu professionnel. Tu me déstabilises.
– Pourtant, je ne dois pas être la première femme à vouloir t’entraîner sur un autre chemin, non ?
– Non, en effet, tu n’es pas la première.
Ses épaules sont si larges qu’en me tenant devant lui, j’ai l’impression d’être minuscule. Je ne suis
pourtant pas petite et je porte de douloureux escarpins aux talons aiguilles acérés. Mais il continue de me
toiser de son regard bleu profond.
– En quoi serais-je différente alors ? demandé-je sans détourner les yeux. Pourquoi ne me repousses-tu
pas ?
– Tu es ma cliente, chuchote-t-il.
– Repousse-moi, Jelan. Si tu ne veux pas que je dépasse les limites, repousse-moi.
J’amorce un pas vers lui, si bien que je dresse la nuque pour ne rien manquer de son expression. Son
masque se craquelle pour libérer brièvement un regard fou de concupiscence. Ses prunelles ont l’air de
s’embraser. Je pose la main sur son avant-bras, remonte les doigts le long de son biceps jusqu’à son
épaule, puis redescends en longeant son col de veste.
– Béni…
– Que dis-tu à tes clientes dans ces cas-là ? Que leur murmures-tu à l’oreille pour les convaincre de te
laisser sans les blesser ?
Je me love entre ses bras puissants et enfonce mon nez dans son cou, humant ce parfum à la fois boisé et
sucré.
– Que je ne peux pas répondre à leurs attentes, même si elles sont désirables.
Inconsciemment, sa main se pose sur la chute de mes reins. La chaleur de sa paume se répand sur ma
peau et m’enflamme.
– Et tu le penses ? Qu’elles sont désirables ou est-ce un mensonge ?
– J’ai déjà menti, mais il m’est arrivé de dire la vérité aussi.
– Avec moi ?
– Oui, avec toi.
Sa voix semble se déchirer sur le dernier mot tant elle est rocailleuse, comme s’il avait oublié de
reprendre son souffle.
– Béni, arrête ça.
– Tu as oublié l’objet de notre pari. Tu crois que j’ai une chance de gagner ?
Sa main s’anime et serpente le long de ma colonne vertébrale. Lorsque sa peau frôle enfin la mienne, à
l’orée de ma nuque, un magma de désir se déchaîne dans mon corps. Il incline la tête vers moi à l’instant où
je prends son autre main dans la mienne.
– Béni, ne me change pas en ce que je ne suis pas.
– Mais si tu en as envie, est-ce que ça ne modifie pas la donne ?
– Tu ne prends en compte qu’une seule donnée.
– Je ne déposerai pas une liasse de billets à ton réveil, je te le promets.
– Tu me paies déjà pour être là et je ne suis pas lib…
– Les Mordret sont égoïstes et je ne déroge pas à la règle. Comme eux, j’obtiens toujours ce que je
désire.
– C’est le propre des gens riches.
– Oui, mais…
Je m’interromps, entendant exploser dans ma tête une alarme d’avertissement.
– Mais ?
Le regard bleu de Jelan se teinte d’éclairs argentés. Ce n’est que le reflet des grands lustres de cristal
qui sont allumés en dépit du soleil, mais ils créent un jeu de lumières et de clairs-obscurs dans ses iris qui
me fascine.
Jelan a l’air d’attendre une réponse, comme si, de cette réponse, allait découler tout le reste du week-
end.
– Quand tu es là, j’ai l’impression d’être en vie.
Si j’étais un brandon de paille…
Je brûlerais
Mon sang s’est accéléré dans mes veines sous l’inflexion de son regard aiguisé. Je bois une longue
gorgée de champagne, laissant les bulles exploser dans ma bouche, puis, avant de manquer de courage, je
saisis sa main et, discrètement, l’entraîne à l’écart des invités.
Tandis que nous remontons le couloir, aucun de nous deux n’ouvre la bouche. Il me tient la main et reste
près de moi, mais son regard fixe les fenêtres ouvertes sur le jardin. Il a l’air de réfléchir, perdu dans ses
pensées, songeant peut-être à la manière dont il convient d’agir. Je ne suis moi-même sûre de rien. Je ne
suis même pas certaine de savoir ce que je suis en train de fabriquer.
Je pousse la porte de la bibliothèque, puis la referme doucement dans notre dos. Jelan me lâche et
s’avance entre les étagères bondées de livres, avant de se retourner vers moi et de s’appuyer au secrétaire,
les deux mains fourrées dans ses poches. Sa cravate en partie dénouée pend sur sa poitrine et lui confère un
air à la fois négligé et moderne, avec ses cheveux volontairement en bataille. Il me laisse approcher sans
ciller, concentré, et me lover contre lui.
En levant les yeux sur son visage, je me mords la lèvre, espérant conserver ma détermination intacte.
J’essaie de ne pas penser. J’essaie d’oublier tous les détails qui polluent ce qui me lie à Jelan. Je pose la
paume sur son abdomen et devine, à travers sa chemise, les muscles bandés de ses abdominaux. Il est aussi
contracté que moi.
– Jelan, est-ce que… tu veux bien faire semblant de m’aimer ? Est-ce que tu veux bien faire semblant…
juste ce week-end ? Cela ne brise aucune de tes règles, n’est-ce pas ?
Il entrouvre la bouche et s’apprête à répondre lorsque la porte s’ouvre brusquement à la volée pour
laisser entrer trois collègues de Laurence passablement éméchés. Ils se figent en nous découvrant enlacés,
gloussent, adressent des sourires entendus à Jelan, puis s’excusent vaguement en se rendant compte qu’ils
se sont trompés d’endroit.
– Le bar est dans la pièce voisine, crois-je bon de leur indiquer.
L’un d’eux, que je connais bien pour l’avoir souvent eu à dîner lorsque je fréquentais encore Laurence,
me salue d’un geste en ricanant, puis referme la porte sans cesser de rire bêtement. Dans moins d’une
heure, tout le mariage sera au courant de nos ébats dans la bibliothèque !
Mon cœur tape jusque dans mes tempes. Je me suis ridiculisée en posant cette question stupide, et voilà
que je dois tout recommencer.
Mais au moment où je me tourne de nouveau face à Jelan, celui-ci prend mon visage en coupe et se
redresse, de sorte que son corps frôle le mien de toutes parts, envoyant des décharges électriques quelque
part dans mon bas-ventre.
– Je peux jouer la comédie, Béni, mais le problème, c’est que je ne suis pas sûr que ce sera vraiment une
imposture.
Son regard a l’air de vouloir exprimer quelque chose que je ne comprends pas. Face à mon désarroi, il
sourit et ajoute :
– Je veux dire que je pourrais ne pas être capable de me retenir.
Mon cœur se prend pour un Taiko, ces gros tambours japonais sur lesquels des types tout minces et
musclés tapent comme si leur vie en dépendait. Les vibrations sont si intenses qu’elles résonnent à travers
tout mon corps pour se nicher dans un endroit très intime.
– Je ne suis pas sûre de saisir…
Son sourire s’accroît.
– Tu me demandes de faire semblant, Béni. Pas de le faire.
Un brasier s’empare de ma peau. Mes joues doivent être rouge coquelicot sous ses mains.
– En d’autres termes, tu me demandes de t’arrêter si tu… t’égares ?
Il acquiesce, tout à fait sérieux.
– Tu sous-entends que je suis capable d’y penser ou même d’en avoir envie ?
– Oui, je suis certain que tu ne dépasseras pas mes limites.
– Alors que tu penses les oublier ?
Il hoche de nouveau la tête, si solennel qu’il en est déstabilisant.
– J’ai l’impression de conclure une tractation pour un contrat, ricané-je, soudain mal à l’aise.
– Je suis ton employé. C’est normal.
– Je crains que tu sois plus que ça.
Un léger voile sombre traverse son regard tandis qu’il me dévisage.
– Je crois que… j’ai besoin d’un verre, balbutié-je, mortifiée de honte.
Je l’oblige à me lâcher et commence à m’éloigner vers un guéridon sur lequel repose une carafe
d’alcool, lorsqu’il me saisit brutalement par le poignet et m’attire de nouveau contre lui.
– Où comptes-tu aller, Béni Mordret ? C’est trop tard maintenant…
Il m’attrape si brusquement sous les fesses que je pousse un cri de surprise, et me hisse à sa hauteur, les
cuisses flanquant ses hanches. J’ai tout juste le temps de nouer mes bras autour de sa nuque et de relever
les genoux, avant qu’il ne m’assoie d’autorité sur le secrétaire. Mon corps semble reprendre vie, mais pas
mon cerveau. Il s’est éteint, décimé par l’envie et le désir.
Jelan se penche vers moi, les deux mains posées à plat sur le bureau, de part et d’autre de mes hanches.
Ses iris irradient en frôlant les lignes de mon visage. Il est si près que je peux humer son parfum boisé, son
haleine relevée au champagne, et discerner dans ses pupilles les légers fragments d’argent dans le bleu
profond.
Mon souffle devient si court que j’ai l’impression de ne plus pouvoir respirer. Mon corset me comprime
la poitrine.
– Jelan… tu n’es pas obligé de…
Il me coupe la parole en posant son index en travers de mes lèvres. Il se rapproche de moi, glisse son
bassin entre mes cuisses et, à quelques centimètres de ma bouche, il murmure :
– La chasseresse est redevenue proie. Est-ce moi qui dois détenir les rênes ?
Un frisson brûlant m’embrase, me couvrant de chair de poule.
Ses yeux sont si lumineux, si intenses, que je me fonds littéralement dans leur bleu saphir.
– Jelan, je ne veux pas que tu te for…
– Je ne me force pas, Béni. Tu n’écoutes rien de ce que je dis !
Il avance le buste, m’obligeant à reculer légèrement sur le pupitre.
– J’ai… envie… de toi. Ça me rend fou, Béni Mordret, de te désirer comme ça. Depuis que je t’ai vue
dans le hall de la société. Depuis que tu t’es avancée vers moi comme si tu allais conquérir une planète. Tu
sais lire les mensonges. Tu m’as demandé de faire semblant. À toi de deviner quand je mens, Béni.
Sa main se pose subitement sur le côté gauche de mon cou et appuie jusqu’à m’incliner la tête sur la
droite, libérant ma gorge.
– Tu veux jouer avec le feu, jouons alors, ajoute-t-il, juste avant de poser ses lèvres dans le creux de
mon cou, sur l’espace sensible en dessous de l’oreille.
Sous sa caresse, mes repères volent en éclats et je perds tout contact avec la réalité. Il ne reste plus rien
en dehors de cette bibliothèque : plus de mariage, de tromperie, de sœur bafouée ou trompée, de petite
amie, de travail.
Il ne reste que Jelan et moi. Jelan et ses mains accrochées à mes hanches comme s’il en était le détenteur.
Jelan et sa bouche qui effectue des va-et-vient entre ma clavicule et mon cou, dénudant de plus en plus mon
épaule, jusqu’à ce que la bretelle de ma robe s’échoue le long de mon bras.
Lorsque sa langue effleure ma gorge, je laisse échapper un gémissement et mords ma lèvre inférieure, me
sentant sotte de gémir pour si peu. Mais je l’entends rire contre ma peau, écrasant sa bouche sur moi
comme s’il espérait en connaître la moindre parcelle.
– C’est ça, Béni. Laisse-toi aller.
Je tombe peu à peu entre ses bras. Il me rapproche aussitôt de lui, pressant son sexe contre le mien, et
nom de Dieu, il est si dur, si tendu, que mes derniers signaux d’alerte s’éteignent sans un bruit,
disparaissant derrière les hurlements hystériques de joie qui vrombissent dans mon cerveau.
Sa main droite longe ma hanche, mon flanc, et caresse la courbe de mon sein, avant de glisser sur mon
épaule, ma nuque, et d’envelopper mon crâne. Il saisit alors à pleine main une poignée de mes cheveux et
tire dessus jusqu’à ce que j’incline la tête en arrière, lui livrant mon cou comme s’il était un jeune vampire
en quête de sang.
Sa langue serpente doucement sur ma peau, la rendant si sensible qu’à chacun de ses passages, j’ai
l’impression de me déliter comme une étoile qui se meurt et se désagrège. Je disparais sous sa caresse
pour me fondre dans les courbes délicieusement suaves de ses lèvres.
Lorsqu’il parvient à l’orée de ma gorge, mon souffle s’accélère, mes poumons agitent ma poitrine. Il a
l’air si satisfait de son petit effet que, sans me libérer les cheveux ou me permettre de me redresser, il mord
dans mon sein, y laissant son empreinte avec une certaine satisfaction. Il relève la tête pour saisir mon
expression, mais à l’écho de ma voix qui se répercute sur les murs en un long gémissement, un sourire fier
se grave sur ses lèvres, avant de revenir flatter ma poitrine.
– Tu as la peau douce, Béni. Je pourrais te dévorer pendant des heures.
Il s’interrompt, glissant par-dessus ma robe, humidifiant le tissu à force de passages et de morsures.
– Je me demande quel goût tu me caches là-dessous.
Avec ses dents, il tire légèrement sur l’étoffe jusqu’à dévoiler une courbe plus prononcée de ma poitrine.
Il enfonce son visage dans ma chair et me hume à pleins poumons.
– Si bon, murmure-t-il.
Il finit par lâcher mes cheveux, me rendant ma liberté. J’en profite aussitôt pour me redresser à sa
hauteur, le forçant à rapprocher ses lèvres des miennes. Je le vois hésiter quelques secondes, fixant ma
bouche avec envie. Il plante sa canine dans sa lèvre inférieure, et ce simple geste paraît machiavélique sur
son visage, parce qu’il ne peut être que diabolique, tant il est beau et tentant.
Il repose son index sur mes lèvres, en trace le pourtour comme s’il essayait de se les approprier de cette
façon.
– J’en ai envie, Béni. Vraiment envie.
Je hoche la tête, trop perdue pour parler, et me concentre pour lui ôter sa veste. Il m’abandonne le temps
de l’en délester, puis il revient à la charge et, sans crier gare, englobe mes deux seins dans la paume de ses
mains. Il se les approprie doucement, les massant, les pressant légèrement, avant de glisser ses pouces sur
mes tétons tendus. À travers le tissu fin de ma robe, je ressens chaque inflexion de ses doigts et chaque
nouvelle sensation me fait peu à peu perdre la tête. Je le saisis par sa cravate et le rapproche de moi, ses
lèvres face aux miennes. Mon souffle est rauque, saccadé, lorsque je bredouille :
– Semblant…
Je pose ma bouche sur sa joue, m’égare sur sa pommette, puis glisse jusqu’à la commissure de ses
lèvres. En les effleurant doucement, sa main droite s’insinue sur le creux de mes reins et me propulse si fort
contre son bassin que son sexe se déploie contre moi, son torse s’écrase sur mes seins, mon dos se cambre
et ma bouche s’effondre sur la sienne. Je glapis un nouveau gémissement de désir. J’entrouvre les lèvres et
le caresse du bout de la langue. Il me laisse agir, comme la dernière fois, sans m’octroyer le plaisir de la
sienne. J’ai l’impression que je vais mourir à petit feu sous ses caresses. L’une de ses mains pétrit un sein,
et l’autre, une fesse. Et je veux plus. Tellement plus.
Je lâche sa cravate et fais sauter les premiers boutons de sa chemise. En sentant sa peau sous la paume
de mes mains, mes genoux se replient sur ses hanches et le pressent davantage contre moi. Son sexe se
frotte à nouveau sur mon bas-ventre qui s’allume tel un brasier incontrôlable.
Je lui retire son vêtement avec maladresse, impatiente de le toucher, de le voir, de le sentir. Et ma
curiosité est vite satisfaite. Le torse musclé et sec de Jelan se découvre sous mes doigts curieux. Je le
caresse, palpe ses abdominaux, la ligne de ses obliques qui disparaissent dans son pantalon, ses pectoraux
bandés, tendus, sur lesquels glissent mes mains, frôlant ses mamelons. Puis, collant ma poitrine à la sienne,
je caresse ses épaules et ses omoplates. Sa peau est tellement douce qu’on dirait celle d’un bébé, et je me
souviens brusquement que Jelan n’a que vingt-deux ans. Mais avec sa cravate en partie dénouée pendant
sur sa peau nue, son âge ou ce qu’il est s’éclipse totalement de mes pensées.
Il dépose un baiser tendre dans mes cheveux puis, tout aussi brusquement, il me propulse sur le dos et se
dresse au-dessus de moi, ses mains de chaque côté de mon visage. Il m’observe de ses yeux bleus
inquisiteurs, soudain autoritaire, s’humectant les lèvres d’appétit.
– Je rêve de ça depuis hier soir.
Il saisit ma jambe droite dans sa main et l’accroche autour de sa hanche. Comprenant ce qu’il désire, je
me plais à lui obéir et j’enroule mes jambes autour de sa taille, le rapprochant aussitôt de moi. Il enfonce
son nez dans mon cou et grogne en léchant ma peau. Sa main, toujours posée sur mon genou, retrousse
doucement le tissu de ma robe jusqu’à mes hanches. Son torse appuie sur ma poitrine ; ses doigts malaxent
ma cuisse, mais lorsque les miens s’égarent le long de son dos pour palper son délicieux fessier, il saisit
mes poignets et les épingle au-dessus de ma tête.
– Tss, vilaine fille, grogne-t-il en repartant lécher mon cou et le début de ma gorge.
Je cambre légèrement le dos pour l’entraîner plus bas, ce qu’il m’octroie de bonne grâce, se mouvant
par-dessus l’étoffe de ma robe. Sa bouche embrasse ma poitrine, caresse mes tétons et sa main libre me
masse doucement, puis parfois plus sèchement, lorsqu’il plante ses dents dans ma chair. Chaque fois, je
laisse échapper un gémissement qui le contracte un peu plus contre moi.
– Tu me rends fou, Béni. J’ai envie de prendre ton sein dans ma bouche, murmure-t-il d’une voix tendue
et chaude comme un brandon de paille.
Je le sens se crisper contre moi en laissant son nez frôler la courbe de ma poitrine. Puis ses dents
saisissent l’étoffe et tirent dessus jusqu’à ce qu’elle dégringole à quelques centimètres de mon mamelon,
découvrant une parcelle de l’aréole. Sa langue me frôle aussitôt et je gémis si fort que mon bassin se
soulève et se presse contre le sien. Son corps répond d’instinct au mien. Ses hanches s’agitent tandis que
les miennes ondulent, allant à leur rencontre. Encore et encore.
– Putain, Béni, grogne-t-il de nouveau.
Il recule soudain, creusant un vide dans mon bas-ventre, et je crains qu’il ne veuille arrêter. Il lâche mes
poignets et je le considère d’un air paniqué.
– Jelan ?
Sa main se pose aussitôt sur l’arrière de mon crâne. Il rapproche son visage du mien et m’embrasse d’un
long regard.
– Ne t’inquiète pas, Béni. Nous n’avons pas fini, mais je dois…
Il défait sa ceinture et déboutonne son pantalon, puis il enfonce la main dans son caleçon, et nom de
Dieu, je voudrais être cette main. Je veux me réincarner dans les doigts de Jelan !
Il tire sur son sexe bandé dont je n’aperçois que la forme, et le remonte le long de son ventre.
– Ça commençait à être douloureux comme ça, m’explique-t-il.
En l’étalant sur son ventre, j’entrevois le bout rose de son gland et, comme si j’étais affamée, je salive
d’envie. J’aimerais le toucher, arracher sa fermeture éclair et le prendre à pleine main. Mais il ne me laisse
pas le temps d’agir. Une fois libéré, il s’étend de nouveau sur moi, son sexe pressé entre mes jambes.
Mieux disposé, sa forme allongée et tendue étreint mon intimité. Mon bas-ventre se contracte méchamment.
Il ondule des hanches, écrasant mon clitoris à chaque mouvement, et tout s’efface à nouveau. Je ne distingue
plus que le visage de Jelan penché au-dessus du mien, ses lèvres qui dessinent un sourire, ses yeux qui se
consument de désir. J’agrippe aussitôt ses épaules pour le presser contre ma poitrine. De sa main droite, il
retient ma cuisse pour la remonter plus haut et s’ouvrir un meilleur passage. De l’autre, il pose son coude
aux côtés de mon crâne. Sa bouche effleure mon menton et mes lèvres et, alors que j’éprouve son désir de
m’embrasser, sa langue disparaît au creux de mon cou. Je le retiens encore plus fort contre moi et pars à sa
rencontre pour mieux le sentir. Des décharges électriques explosent dans mon ventre et se répercutent dans
tous mes membres. Je frissonne et gémis doucement à chacun de ses coups de reins.
Sa main droite trousse ma robe sur mon ventre, presse ma cuisse plus fort, puis trace une ligne en
remontant le long de ma poitrine, ma gorge, mon cou, mon menton.
Lorsque son pouce se pose doucement sur mes lèvres, je comprends aussitôt ce qu’il désire. J’entrouvre
la bouche et lèche son doigt, le suce, l’aspire, le taquine. Je l’entends pousser un grognement contre ma
peau et accélérer le mouvement de son corps contre le mien.
Je noue mes cuisses autour de ses fesses et le pousse contre moi. Une nouvelle fois. Plus fort.
En me concentrant, je parviens même à sentir son gland mis à nu entre les dentelles de mes dessous.
Mais c’est si peu. Si terrible. J’ai l’impression de vivre un lent et délicieux supplice.
La pression sur mon bas-ventre s’intensifie ; des salves de plaisir me submergent lentement, alors qu’il
me touche à peine.
Son pouce s’enfonce dans ma bouche en un long va-et-vient comme s’il devenait le sexe qu’il me refuse.
Sa langue s’accroche à mon lobe d’oreille, s’échappe le long de ma mâchoire et, en retirant son pouce de
mes lèvres, se perd sur les miennes, les effleurant doucement, les flattant, les redessinant du bout des
siennes.
Sa main repart vagabonder entre nos deux corps, sur mes seins, mon ventre, mon bas-ventre, par-dessus
l’étoffe, me rendant folle. Et lorsqu’il recule son bassin pour laisser le dos de sa main effleurer mes
dessous, je me crispe soudainement. Il appuie sur mon clitoris et je glapis de frustration, de rage, de
douleur, de désir. Mon cœur bat si fort que j’ai le sentiment qu’il va jaillir dans un instant hors de ma
poitrine. Je me cambre, me contorsionne, l’oblige à appuyer plus fort, à me prendre, à m’arracher mes
vêtements, à me soulager de toute cette souffrance qu’il m’inflige. Mais il n’en fait rien. Il esquisse de
légers mouvements le long de mes lèvres et revient toujours sur le frêle bouton rose qui se cache derrière
mes sous-vêtements.
– Tu es brûlante, Béni, murmure-t-il en me contemplant, les yeux extatiques. Si brûlante…
Il retire sa main pour me saisir par les hanches et je m’arc-boute contre lui, pressant de nouveau son sexe
contre le mien. Il reprend son va-et-vient, mais en accélérant de plus en plus, comme s’il était vraiment en
train de me faire l’amour. Il s’étend contre moi, tandis que j’enroule mes jambes autour de lui, l’entraînant
plus près. Toujours plus près. Il tire sur mes cheveux, m’oblige à renverser la tête, pose ses lèvres sur mon
menton, se plonge dans mes yeux en étudiant mes réactions. Je halète, suffoque, gémis. Je dois être rouge
écarlate, vibrante, tendue. Je vais défaillir de désir. Je n’ai jamais autant eu envie d’un homme.
– Merde… grogne-t-il soudain.
Il plonge son visage dans mon cou, accélère encore, me prend comme s’il n’y avait aucune barrière de
tissu entre nous. Il agite le bassin, et brusquement, sans crier gare, sans avertissement, une gigantesque
vague saisit mon ventre, gonfle mon clitoris, submerge ma poitrine, s’abat sur chaque parcelle de mon être.
Je lâche un long gémissement de plaisir où j’égrène son nom et, ahurie, complètement perdue, laisse
retomber mon corps soulagé et étourdi contre le secrétaire.
Il redresse la nuque et me dévisage, incrédule. Mes joues doivent être rouges tant elles me brûlent de
honte. J’ai vraiment joui ? J’ai joui comme ça ? Je veux me réincarner en chaise. Je ne peux pas croire que
ça me soit arrivé !
Un sourire se dessine sur ses lèvres. Un sourire moqueur et tendre à la fois. Il faufile sa main dans ma
frange et écarte mes cheveux de mon front moite de sueur. Il incline la tête jusqu’à se retrouver à quelques
centimètres de mes lèvres et il murmure :
– Tu es magnifique quand tu jouis, Béni.
Retrouvez le tome 3 dès le 1er décembre !
Quelques extraits

Play & Burn

Fanny Cooper
Dylan Savage est un électron libre. Elle se démène pour survivre, entretenir sa mère, obtenir son stage
dans une grande multinationale et faire fonctionner son groupe de rock… La solution : organiser des
soirées underground. Tout roulait jusqu’à sa rencontre dans une demeure de Neuilly-sur-Seine avec le
sexy Gaspard Maréchal, riche héritier d’une grande société spécialisée dans les médias, torturé par son
passé.
Le jeu de séduction qui s’impose entre eux sera dévorant, insatiable.
Alors que leur milieu respectif les oppose, réussiront-ils à surmonter les obstacles et leurs
différences ?
Par Fanny Cooper.
Participez à l’aventure Nisha Editions sur Facebook : Nisha Editions ; suivez la vie de la rédaction sur
Tweeter @NishaEditions et découvrez notre catalogue sur notre site internet www.nishaeditions.com

Extrait

Dylan
Ma conception de la vie est simple : je préfère m’assurer une réussite professionnelle avant de
m’engager dans une relation. C’est peut-être égoïste, mais je compte bien profiter de l’ère des nanas
célibataires et indépendantes, penser à mon bonheur en tant que femme avant de songer à celui que je
pourrais partager avec quelqu’un d’autre.
– Qu’est-ce qui t’amuse, Blondie ? m’interroge Parisse en s’emparant de la bouteille pour boire une
gorgée.
Parisse et moi, nous nous connaissons depuis plus de neuf ans maintenant. Nous nous sommes
rencontrées à nos onze ans dans le centre d’activité que possède son grand frère. Elle venait de s’inscrire
au club de musique et moi je cherchais à m’occuper. Elle m’a proposé de faire un essai et depuis, tous les
lundis et vendredis soir, nous jouons ensemble, en plus de nous réunir la semaine pour notre groupe.
– Vous deux, réponds-je.
Elle me lance un clin d’œil, me passe la bouteille et se remet à sautiller sur la musique avec notre belle
Stéph. Je bois un peu, en espérant que mon creux passera, mais rien à faire. Mon ventre grogne, couvrant
à moitié le bruit de la musique. Mes deux amies se moquent de moi et je me lève à mon tour. J’écarte les
doigts pour tester mon degré de « stabriété » : soit l’équilibre « x » entre la stabilité et la sobriété. Un
concept à appliquer quand on est éméché. Puis, prise d’une soudaine inspiration, je m’exclame :
– Les filles, je suis une poète née ! déclaré-je d’un ton snob. Écoutez ça un peu :
Neuilly sur Seine,
Oh que oui tu en vaux la peine.
Limitrophe de notre belle capitale,
Pas une seule de tes rues n’est sale.
Tu possèdes de beaux quartiers sécurisés, Bourrés…
Je m’arrête brusquement et pouffe devant mes deux copines qui m’observent comme si j’étais Jésus
en petite culotte… Sauf que je porte aussi un tee-shirt d’Iron Maiden qui couvre ma petite poitrine en
accord avec mon corps frêle.
Je reprends finalement après une respiration intense :
Tu possèdes de beaux quartiers sécurisés,
Bourrés d’habitants friqués.
Tes baraques sont astronomiques.
Alors comment tu expliques,
le contenu de leur frigidaire pathétique ?
– Oh mon Dieu, tu es trop bonne ! gémit Parisse en se mordant la lèvre.
Nous sommes prises d’un fou rire et nous nous couvrons la bouche pour ne pas faire de bruit. Nous
nous étalons sur le sol, nos têtes les unes à côté des autres.
– Sérieux, si tu as encore faim… commence Stéph avant d’être interrompue par Parisse.
– Elle a toujours faim ! Elle n’a pas bouffé de pénis depuis l’Âge de Glace !
Nous rigolons du langage vulgaire de notre amie.
– Ce n’est rien comparé à moi qui n’ai pas couché depuis l’âge de Pierre, réplique notre hôte. En
d’autres termes : jamais !
– On peut remédier à ça quand tu veux mon beau minou, roucoule Parisse en roulant sur son épaule afin
de remuer sa langue comme une cochonne au niveau de l’oreille de notre amie.
Cette dernière grimace et la repousse.
– Fous-lui la paix ! Elle se préserve et elle a bien raison.
Notre amie nympho lève les yeux au ciel. Elle ne comprend pas pourquoi certaines filles attendent la
bonne personne pour sauter le pas. Elle a perdu sa virginité en camp de scoutisme à quinze ans pour s’en
débarrasser une bonne fois pour toutes. Et je pensais pareil, jusqu’à ce que je tombe sur un connard qui a
été tout sauf doux et qui m’a, d’une certaine manière, traumatisée. Alors depuis, j’encourage ardemment
notre photographe en herbe à attendre. C’est une manière de me guérir du souvenir déplaisant de ma
première fois, catastrophique et douloureuse.
– Si tu as faim, murmure ma petite luciole dont l’alcoolémie est en train de se transformer petit à petit
en somnambulisme, libre à toi de descendre casser la croûte dans la cuisine.
– Rapporte de l’eau en même temps ! s’écrie Parisse alors que je quitte la chambre. Demain j’ai
catéchisme, je ne voudrais pas avoir la gueule de bois devant mes petits.
Je ferme la porte doucement derrière moi et retiens un ricanement. En plus d’être une dévergondée,
Parisse est une farouche catholique qui se rend à la messe au moins une fois par mois et enseigne la vie
de Dieu à des enfants entre huit et quinze ans. Un paradoxe à elle toute seule…
Dans la grande baraque des Maréchal, impossible de se heurter à un meuble. L’environnement est trop
spacieux pour ça. J’arrive dans la cuisine, allume la lumière et m’affaire en vitesse, car être seule au rez-
de-chaussée m’effraie un peu. Je trouve un paquet de Pépito que j’ouvre et grignote tout en ouvrant le
frigidaire. Je prends deux bouteilles d’eau et louche sur le siphon de chantilly. Mes yeux brillent d’une
lueur gourmande. Je le saisis et asperge ma bouche d’une bonne dose.
Je me tourne vers le comptoir… et sursaute lorsque j’aperçois un homme debout au niveau de
l’encadrement en voûte de la cuisine. Il m’observe avec une intensité désarmante et me déshabille d’un
regard de braise, les bras croisés sur son torse bombé. Il porte une veste en cuir par-dessus une chemise
noire, un jeans délavé et des bottines noires également. Il est diablement sexy, aussi sauvage et ténébreux
que ces mecs dans les magazines de mode. Il dégage une force animale qui me coupe le souffle. Un
homme maître de son corps, de ses actes et de ceux des autres. Ça se sent immédiatement.
Une douce chaleur se répand en moi tel un serpent entourant sa proie, et une vague de désir se forme
dans mon bas-ventre. Oh, mon Dieu ! Je n’ai jamais été autant happée par la beauté d’une personne.
Celle-ci est violente et dangereuse. Comme le fuseau de la Belle au bois dormant, la pomme rouge de
Blanche-Neige, l’anneau unique du Seigneur des Anneaux…
Il faut que je me reprenne et vite. Mais à peine ai-je le temps de penser qu’il ouvre la bouche.
Et dès cet instant, je sais que je suis perdue.

Gaspard
Je m’arrête brusquement au bout de quelques pas. La petite blondinette au bout de cheveux roses
Barbie, concentrée sur le frigidaire grand ouvert n’est pas ma sœur. Je me fige et ne peux m’empêcher de
la détailler de la tête aux pieds. Elle est toute mince, mais tout en muscle aussi. Et j’ai de quoi juger,
puisqu’elle ne porte qu’un tee-shirt noir et une petite culotte qui dessine parfaitement le contour de ses
jolies fesses. Rien de plus, rien de moins. Ses ongles vernis de noir s’accrochent au bord de la porte et
elle se penche tout en douceur pour attraper de la chantilly. Son haut se relève et me dévoile une bande de
peau, juste au-dessus de son sous-vêtement. J’inspire brusquement. Mon corps entier réagit violemment à
l’image de cette inconnue, dont le derrière est délicieusement tendu vers moi.
Elle porte l’embout du siphon de chantilly à sa bouche et pivote vers l’îlot au centre de la cuisine.
J’aperçois alors le paquet de Pépito grand ouvert et à moitié vide. C’est là qu’elle me remarque. Mes
pupilles pétillent de délice, mais ce sont les seules à exprimer le désir qu’elle provoque en moi. La
sauvagerie de sa beauté paralyse le reste de mon corps. Je détaille chaque centimètre de sa peau, de ses
doigts de pieds recroquevillés sur le sol carrelé, ses jambes brillantes et satinées, à ses seins ronds et
fermes que l’on devine aisément à travers son top Iron Maiden et leurs petites perles dressées qui
m’informent qu’elle a légèrement froid. Ses lèvres charnues se referment sur la dose faramineuse de
chantilly qu’elle a engloutie alors que ses yeux verts entourés d’un maquillage charbonneux m’observent
avec une méfiance certaine, presque brutale. Ce qui réveille encore plus mon érection déjà frétillante :
les défis, j’aime ça.
Un regard échangé, un soupir partagé, et je sais d’ores et déjà qu’à elle toute seule, elle réunit toutes
les formes de péchés qui puissent exister. Seigneur ! Elle est la chose la plus délicieuse qu’il m’ait été
donnée de contempler.
Nous nous observons l’un l’autre pendant un moment, comme deux animaux sauvages qui cherchent à
savoir lequel dominera l’autre. Après avoir noté le tatouage sur son poignet, la bonne dizaine de bagues à
ses doigts, la rangée épurée et non dérangeante de piercings à ses oreilles, je me reconcentre. Mes bonnes
manières refont enfin surface après avoir été tabassées par mes hormones.
Betrayed

Sophie Auger
Avant de se réfugier dans le domaine d’une vieille dame, en plein milieu des vignes du Beaujolais, la
vie de la jeune Lily a toujours été rythmée par son métier. Dans les cuisines du London Palace, la
talentueuse sous-chef dirigeait d’une main de maître l’un des restaurants les plus réputés de la capitale
britannique.
Si seulement elle n’était pas tombée sous le charme de ce dragon…
Trahie, Lily tentera par tous les moyens de se reconstruire avec l’aide de ses amis. Mais Victor restera-
t-il à jamais maître de son cœur ?
Par Sophie Auger.
Participez à l’aventure Nisha Editions sur Facebook : Nisha Editions ; suivez la vie de la rédaction sur
Tweeter @NishaEditions et découvrez notre catalogue sur notre site internet www.nishaeditions.com

Extrait
– Tu m’as menti ? Tu m’as menti pendant des semaines !
Je suis face à l’homme pour qui j’ai tout sacrifié, celui pour qui j’ai tout oublié – jusqu’à moi-même…
Je sens qu’il est sur le point de craquer, mais je reste insensible, impassible. Ses lèvres sont pincées pour
retenir la longue complainte qui menace de lui échapper. Il est affolé, apeuré, par chacune de mes
réactions.
– Lily… murmure-t-il finalement en tentant de m’attraper le bras.
– Ne me touche pas ! Je te l’interdis ! Tu m’entends ? Je ne veux plus que tu m’approches !
Cet homme a perdu tous ses droits sur notre avenir.
– Mais, Lily… Je t’aime…
J’explose alors de rire. Un rire noir et sombre. Sans joie. Une mélodie qui se veut tragique à ses
oreilles. Il doit subir les conséquences de sa trahison.
Je ne souhaite pas entendre ces mots. Je ne peux pas entendre ces mots. Ils sont faux, empoisonnés par
l’être qui ose les prononcer.
– Tu m’aimes ? J’espère que tu plaisantes ! raillé-je. On ne fait pas ça aux gens qu’on aime ! On ne leur
ment pas, on ne joue pas un double jeu ! On fait des choix, on est honnête ! On ne leur cache pas des
choses. Surtout pas ce genre de choses ! ajouté-je, prête à exploser.
– Lily, s’il te plaît… lâche-t-il, les poings serrés pour ne pas craquer.
Il tente encore une fois de me retenir, mais je le repousse sans le moindre remord, en ignorant ce que
me dicte mon cœur en miettes.
– C’est fini ! Tu entends ? FINI ! Je ne veux plus jamais te revoir ! Plus jamais ! hurlé-je.
Collection « Nisha’s Secret »

Obsessions insoumises, Mael – Angel Arekin

Obsessions insoumises, Rory & Max – Angel Arekin

Obsessions insoumises, Yano – Angel Arekin

À pleines mains, Elsa – Eva de Kerlan

Dévorer du regard, Milia – Eva de Kerlan

Irrésistible, Natalia – Eva de Kerlan

Se mettre au parfum, Josh – Eva de Kerlan

Zeus Dating – Eva de Kerlan

Frissons de nuit – Cindy Lucas

Joue avec le feu – Cindy Lucas

Pacte sensuel – Cindy Lucas

Un goût d’interdit – Cindy Lucas

Déclencheur de plaisir – Twiny B.

L’artiste – Twiny B.

Orgasmes nocturnes – Twiny B.

Plaisirs masqués – Twiny B.

Pari à trois – Oly TL

Soumise Aïko – Oly TL

Soumission aquatique – Oly TL

Yoga & supplices – Oly TL

Songe d’une nuit torride – Joy Maguène

Collection « Diamant Noir »


Get High – Avril Sinner

Après l’obscurité – Eve Borelli

La chute, saisons 1 et 2 – Twiny B.

Ne rougis pas, saisons 1 et 2 – Lanabellia

Ne ferme pas ta porte – Lanabellia

Play & Burn – Fanny Cooper

Alia, les voleurs de l’ombre – Sophie Auger

Betrayed – Sophie Auger

Collection « Crush Story »

@Sirène – Olivia Billington

Shine & Disgrace — Zoé Lenoir

Love on Process – Rachel

Hollywood en Irlande – Elisia Blade

Séduire & Conquérir – Elisia Blade

Journal d’un gentleman saisons 1 et 2 – Eva de Kerlan

Le goût du thé, celui du vent saisons 1 et 2 – Eve Borelli


Auteure : Angel Arekin

Suivi éditorial : Marie Gallet

Nisha Editions

21, rue des tanneries

87000 Limoges

N° Siret 821 132 073 000 15

N° ISSN 2491-8660

Vous aimerez peut-être aussi