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Quel futur
pour la biodiversité ?
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vidu, une espèce, une population, un éco- (agriculture) et de ses animaux domes-
système », mais nous nous attachons à la tiques (élevage). Il y a plus de biomasse
caractériser également comme étant l’en- de vaches que d’humains sur la Terre !
semble de toutes les interactions établies Nous estimons aujourd’hui à un peu
entre les êtres vivants, entre eux et avec plus de 2 millions le nombre d’espèces
leur environnement. Il s’agit en fait de la connues, décrites, et déposées dans les
fraction vivante de la nature ! musées, tous groupes confondus. Et sans
Ainsi, la Vie a été capable de différen- doute en existe-t-il au moins dix fois plus,
cier depuis ses origines une infinité de encore à découvrir. Mais nous n’en aurons
formes de vie qui se sont « associées » pas le temps, car au rythme actuel de
pour construire les écosystèmes en rela- 18 000 nouvelles espèces par an, il nous
tions étroites avec leur milieu. Sur ce faudrait encore... mille ans, et tout s’en
laps de temps, le vivant a été capable va trop vite !
d’élaborer largement plus d’un milliard
d’espèces. Certaines sont apparues puis
ont disparu, quand d’autres nous LA BIODIVERSITÉ S’EN VA,
accompagnent encore aujourd’hui. ELLE S’EN VA IRRÉMÉDIABLEMENT...
Durant des milliards et des centaines de
millions d’années, tout a évolué sous la
pression des facteurs abiotiques – tem- Alors, comment est la situation sur le
pérature de l’eau et de l’air, salinité de « front » de la biodiversité ? Difficile, très
l’océan, lumière, rythmicité des saisons... difficile ! Et c’est la même chose sur le
– et biotiques du milieu, de la compéti- « front » du climat ! Les scientifiques ne
tion et des relations entre espèces, des fac- sont pas là pour désespérer les gens, les
teurs liés au vivant comme la nourriture, culpabiliser, les rendre irraisonnablement
de sa composition et de sa disponibilité. inquiets : ce n’est pas une stratégie qui fonc-
Après des centaines de millions d’années, tionne, on l’a souvent vu. Par contre, des
durant lesquelles les grands facteurs de choses doivent être dites et affirmées dans
l’environnement ont été les moteurs de un monde frénétique ou tout s’entremêle, et
l’évolution du vivant et de ses capa- envahi de « fake news ». La biodiversité
cités adaptatives, une époque récente, s’en va, elle s’en va irrémédiablement...
dénommée « anthropocène », terme pro- C’est un fait patent ! Et le climat change, il
posé par le lauréat du Prix Nobel de change beaucoup trop vite !
chimie Paul Crutzen en 2000, révèle la
présence de l’humain comme étant la
plus grande force évolutive sur cette pla- Quel est l’état de la biodiversité ?
nète. Et bien entendu, quand on cite l’hu-
main, il n’est pas seul car constamment Il avait été calculé lors de la publication
accompagné de ses plantes nourricières du Millenium Ecosystem Assesment en
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2005 des taux d’extinction de l’ordre de pour le climat, l’eau, l’azote et surtout la
grandeur de 200 à 1 000 fois le taux biodiversité, mais que la situation était
d’extinction moyen, calculé sur les fos- aussi préoccupante pour le phosphore,
siles sur les derniers 60 millions ou encore l’acidification de l’océan.
d’années 24 . Ceci a été révisé depuis Alors, quelles sont les dernières nou-
(200-300 fois) et nous nous attachons velles et devons-nous quitter notre tran-
moins actuellement à ces calculs, il faut quillité ? Au dernier Colloque mondial
le reconnaı̂tre bien imprécis, qu’à préciser sur la résilience (le quatrième), à Mar-
concrètement des taux d’effondrement seille, fin juin 2018 (publication à
du nombre des individus dans les popu- venir), Hubert Mazurek et Boris
lations sauvages de plantes et d’animaux. Cyrulnik proposaient un remarquable
Et ici, comme nous avons les données programme sur de grandes thématiques
avant et après et sur des temps parfois actuelles comme le génocide du
très courts, quelques dizaines d’années, Rwanda, l’attentat du Bataclan, ou
c’est beaucoup plus fiable et tout simple- encore l’inceste, et aussi une session sur
ment... ahurissant ! Les données de 2017 la résilience des écosystèmes. Pour toutes
et 2018 sont incroyables, même pour les ces questions, face à un trauma profond,
scientifiques... Nous donnons l’alerte comment un individu, une population
depuis maintenant vingt ans, le premier peuvent-ils résilier ? Où en est la biodi-
papier sur ces questions dans une revue versité ? Un fait certain pour toute situa-
de très haut niveau, Science, date de tion d’agression est de ne pas disparaı̂tre
1997 : Vitousek et ses collaborateurs et de survivre : on ne peut résilier si on est
alertaient alors sur le gaspillage de l’eau, mort ! À une phase de résistance peut
les plantes invasives, les effondrements de faire suite une phase de résilience et
populations d’oiseaux, la surpêche, les alors à quel coût, environnemental et
excès d’azote en agriculture, les transfor- économique, par quelles souffrances et
mations des terres et les émissions de sur combien de temps ? Le vivant a déjà
CO2. Des papiers plus récents (2009 et connu dans le passé d’intenses phases
2015) revenaient sur ces notions et ten- d’extinctions massives des espèces, en
taient de préciser les limites du système fait une soixantaine depuis 800 millions
Terre : ils concluaient (école de Rock- d’années (Ma), dont cinq majeures. La
ström en Suède 25 ) au fait que nous plus intense s’est produite il y a
avions déjà dépassé certaines limites, 251 Ma, établissant la frontière entre
ères primaire et secondaire, avec la dispa-
24 Millennium Ecosystem Assessment, Ecosystems rition des coraux tabulés et des trilobites.
and human well-being: synthesis, Washington, DC, La cinquième, il y a 65,5 Ma, a entraı̂né
Island Press, 2005.
la disparition des dinosaures et des
25 W. Steffen et al., « Planetary boundaries: guiding
human development on a changing planet », Science, ammonites et marque la limite entre ères
2015. secondaire et tertiaire. La résilience peut
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être très longue. Par exemple, de deux fique de l’Agence française pour la biodi-
espèces d’oursins ayant survécu à la troi- versité, en juillet 2018.
sième crise, il faudra 50 Ma pour par- Par ailleurs, les nouvelles sur le front
venir à 80 espèces. Et nous en avons du climat ne sont pas meilleures : tout
700 aujourd’hui, connues dans toutes change très vite, trop vite. Et l’influence
les mers du monde et bien sûr diversifiées des activités humaines apparaı̂t de plus
à partir des deux espèces d’origine. Ainsi en plus marquée28. Les écosystèmes tro-
en va la vie... picaux, qui contiennent plus de 75 % de
Aujourd’hui, la situation est très préoc- la biodiversité spécifique (90 % des
cupante et de nombreuses publications oiseaux terrestres) de la planète sont très
ont fait couler beaucoup d’encre ces der- affectés, forêts tropicales, rivières et récifs
niers mois : Ceballos et ses collaborateurs coralliens par exemple. Ces écosystèmes
parlent d’annihilation des vertébrés26, sont particulièrement menacés, sujets à
Hallmann et al de la perte de plus de des stress interactifs, des espèces inva-
75 % des insectes volants en Allemagne sives, la déforestation, la surpêche, le
sur 27 ans27, un autre rapport allemand changement climatique et aussi une
de la disparition de 15 % des oiseaux sur démographie galopante et de graves
12 ans. En France, l’étude du CNRS de impacts socio-économiques associés à
Chizé et du Muséum national d’histoire une mondialisation impressionnante,
naturelle conclut à la perte de 30 % des une faible gouvernance de ces États (cor-
oiseaux sur 15 ans dans nos espaces ruption) et une faible capacité adaptative.
agricoles ! C’est ce qui avait amené le Une vigoureuse réaction locale, nationale
ministre à cette indignation devant et internationale est requise urgemment
pour prévenir un effondrement de cette
l’Assemblée nationale en mai 2018. Les
biodiversité encore si riche29. De plus, si
pratiques de l’agriculture productiviste
encore aujourd’hui les forêts tropicales
sont clairement mises en cause avec l’aug-
apparaissent relativement neutres en
mentation de l’usage de pesticides et d’in-
matière de piégeage et d’émission de car-
secticides chimiques, les excès d’engrais
bone, leur dégradation et la déforestation
et la destruction systématique des sols.
constantes vont déclencher des émissions
Nous renvoyons le lecteur au rapport
émis récemment par le conseil scienti- 28 P. Kokic et al., « A probalistic analysis of human
influence on recent record global mean temperature
26 Gerardo Ceballos, Paul R. Ehrlich et Rodolfo changes », Climate Risk Management, 3, 2014,
Dirzo, « Biological annihilation via the ongoing sixth p. 1-12 ; Benjamin D. Santer et al., « Human influence
mass extinction signaled by vertebrate population on the seasonal cycle of tropospheric temperature »,
losses and declines », PNAS, 2017. Science, 361, 2018, p. 245-256 ; William J. Randel,
27 Caspar A. Hallmann et al., « More than 75 per- « The seasonal fingerprint of climate change »,
cent decline over 27 years in total flying insects bio- Science, 361, 2018, p. 227-228.
mass in protected areas », PLOS One, 12 (10), 29 J. Barlow et al., « The future of hyperdiverse tro-
18 octobre 2017. pical ecosystems », Nature, 559, 2018, p. 517-526.
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et interdire pour les fragments restants de tion de l’impact des bruits des bateaux
jouer leur rôle de capture de CO2 de l’at- sur les mammifères marins ainsi que le
mosphère30. Le but assigné par l’accord suivi des flottes en relation avec les évé-
de Paris (12 décembre 2015) apparaı̂t de nements climatiques. L’outil est très pré-
plus en plus inatteignable. cieux pour l’estimation des fluctuations
En mer, la situation n’est pas plus des pêcheries, les impacts sur le change-
enviable. Le réchauffement climatique ment climatique et les adaptations des
soutenu entraı̂ne le déclin de la producti- pêcheurs, redoutablement efficaces, aux
vité marine provoqué par une inversion migrations des stocks32.
des vents, l’augmentation de la tempéra-
ture de surface, la disparition de la glace
de mer et un transfert rapide des nutri-
LE CHANGEMENT DOIT VENIR
ments vers les eaux profondes. La pro-
DES CONSOMMATEURS EUX-MÊMES
ductivité de surface décline de 24 % et
l’absorption de carbone de 41 % (taux
calculés pour 2 300). La productivité en
poissons chutera globalement de 20 % et Une intéressante étude publiée dans la
même de 60 % dans l’Atlantique nord. revue Science durant l’été 2018 approche
Sans action sur le système et une sérieuse l’influence de la production et de la
baisse des émissions de CO2, la producti- consommation de viande sur le change-
vité marine pourrait même s’effondrer31. ment climatique dans le monde33. Les
Il nous faut donc impérativement main- auteurs précisent que la consommation
tenir la collecte de données à partir des globale augmente, elle explose par
flottes de pêche ou des bateaux de com- exemple en Chine. Les types de produc-
merce. Les systèmes d’identification auto- tion influent considérablement sur l’envi-
matique (Automatic ship identification ronnement et la consommation sur l’état
systems) ont permis entre 2011 et 2016 de santé des populations. Il est clair que la
de traquer les positions des navires et de consommation doit diminuer si l’on veut
préciser que 55 % de la surface océa- continuer à nourrir 8, 9, voire 10 milliards
nique du globe était exploitée. L’Organi- d’humains demain. Si le pic de consomma-
sation maritime internationale s’en est tion est déjà passé pour les grands pays
emparée et a pu développer une cartogra- développés, celle-ci continue d’augmenter
phie des routes maritimes et une évalua- ailleurs et l’on voit bien que le changement
doit venir des consommateurs eux-
30 Edward T. A. Mitchard, « The tropical forest
carbon cycle and climate change », Nature, 559, 32 E. Poloczanska, « Keeping watch on the ocean »,
2018, p. 527-534. Science, 359, 23 février 2018, p. 864-865.
31 J. Keith Moore et al., « Sustained climate war- 33 H. Charles J. Godfray et al., « Meat consump-
ming drives declining marine biological productivity », tion, health, and the environment », Science, 361,
Science, 359, 9 mars 2018, p. 1139-1143. 20 juillet 2018.
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