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LE LANGAGE ET LA PENSÉE: Par HENRI DELACROIX

Author(s): Louis Weber


Source: Revue de Métaphysique et de Morale, T. 33, No. 1 (Janvier-Mars 1926), pp. 93-125
Published by: Presses Universitaires de France
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Accessed: 05-01-2016 14:11 UTC

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ÉTUDES CRITIQUES

ET LAPENSÉE
LE LANGAGE
PAR

*
HENRIDELACROIX

Dans les livresd'enseignement, la psychologie du langageest


d'ordinaireun chapitre bref.Ce n'estpas que le sujetsoitsimple
ou restreint,il s'en faut; c'est que, malgrédes sièclesde gram-
maireet de logique,les connaissances proprement psychologiques
à sonendroit sontencorepeu avancées.Les sixcentspagesque lui
consacreM. HenriDelacroixle confirment. La psychologie du
langage est un sujetvaste,ardu, où fourmillent les problèmes.
C'està bienfairevoircettecomplexité que l'auteurs'est particu-
lièrement attaché: « Rien de plus simpleque le signe verbal,
disentquelques-uns. L'associationdes idées,l'habitude, la loi des
réflexesconditionnels en rendentcomptesuffisamment ; la vie
socialeaussi.Unjeu de réflexes conditionnels en société,tel serait
le langage.Il n'ya pas de théorieplussuperficielle » (p. 575).
Qu'est-cequ'une langue? Pour répondreà la question,il
importe d'abordd'examiner les faitslinguistiques en eux-mêmes.
Sans recoursà la linguistique, pas de psychologiedu langage;
mais il est indispensable, réciproquement, que la linguistique
s'éclairepar la psychologie. Les travaux contemporains, tels que
ceux de Saussure,de Meillet,de Jespersen,de Vendryes,de
Sapir, manifestent un souci de psychologiequ'ignoraientles
1. Un vol. in-8° de 602 p. Paris, Alean, 1924.

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ancienslinguistes, encoreque le pointde vuesociologique domine


chezcertains, par exemple chez Meillet.
La phonétiqueet la morphologie établissentqu'une langue a
uneexistencepropre, comme une religionou commeun art.Elle
est une institution ; son caractèreprofondément arbitraire ne lui
permetpas de s'établir sur les rapports naturels des choses. Elle
estl'œuvrecommune d'ungroupelinguistique qui dénote un cer-
tainniveaud'esprit,un stadede civilisation. Une langueest une
variationhistorique sur le grandthèmehumaindu langage,et
c'est parcequ'il n'y a qu'unlangageque les différentes langues
sonttoutestransposables les unesdansles autres.Une langueest
une formeidéale s'imposantà tousles individusd'un même
groupesocial.Le linguisteétudiejustement ce que cetteformea
d'essentielet de permanent.Une langue est un systèmedont
toutesles partiess'interpénétrent et se soutiennent parleur soli-
darité,qui s'impose aux sujetsparlants, donne sa formeà leur
penséeet n'en subit l'action que d'une manière lente et partielle.
Une langueestun systèmedontl'évolution complexeet en partie
mécanique est tout entière sous-tendue par les exigencesde la
signification.Elle oscille entre le Chaos et ie Cosmos. Une langue,
se
enfin, compose de trois systèmes distincts et étroitement asso-
ciés: le système phonétique, le vocabulaire et le systèmemorpho-
logiqueou grammatical. L'erreurdes anciennesthéoriesa été de
traiterle langage commeunesimplenomenclature ; les explica-
tionsparles « imagesverbales» oublientl'essentiel ; leurinsuffi-
sances'avère dans les de
problèmes l'aphasie(p. 122à 133).
Suivonsdonc le travaildes linguistesavantd'étudierle fonc-
tionnement psychiquedu langage.
A la base se trouveune correspondance sensori-motrice. L'élé-
mentmatérieldu langage est à doubleface; il y a parallélisme
fonctionnel entrel'auditionet la phonation. Entendreet parler
s'impliquent. Toutlangageestdialogue.Bienentendu,la liaison
audition-phonation n'estpas la seule possible,commele prouvent
la lectureet l'écriture et le langagetactiledes sourds-aveugles ;
elle estseulement la plus fréquente. Cettedoublematièredu lan-
gage estdéjà toutepénétréede systématisation et de spiritualité.
Il y a quantitéde phonèmespossibles; le nombrede ceux qui
sontutilisésdans unelanguedonnéeest limité,une soixantaine
au plus.C'est qu'eneffet, commel'a ditde Saussure,le signelin-

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guistique« dans son essencen'estaucunement phonique;il est


incorporel, non
constitué, par sa substance matérielle, maisuni-
quementpar les différences son
qui séparent imageacoustiquede
toutesles autres». Ce sontces différences qui portent la significa-
tion.Le sonlui-même est arbitraire. La matièresonoreest infor-
méepar les lois spirituelles, et c'estsousl'impulsion de la pensée
la
que langue élabore ses instruments. Mais cette matière, quelque
spiritualisée qu'elle soit, reste néanmoinsce qu'elle est ; elle
obéità des lois d'évolution qui échappentpartiellement à l'es-
prit(p. 140).
La matièredu langagechangeavec le temps; maisson altéra-
tion n'est pas le faitd'une actionvolontaire, intentionnelle des
sujetsparlants.Altération qui a ses loispropreset est en réalité
étrangère à l'essencedes mots; altération qui entraînenéanmoins .
des répercussions surle système linguistique tout entier.Lorsque,
par exemple,amas, amat, amant,deviennent aime, l'équilibre
se rétablitpar le pronom.Bien que les événements phonétiques
qui forcent la langueà changerson systèmen'aientpas égardà
l'ensemblede la pensée,« l'institution linguistiqueest solidaire
de la pensée». A une périoded'idolâtriede la loi a succédé
aujourd'hui une attitudeplus réservée; on reconnaîtmaintenant
que les lois phonétiquesn'expriment que des moyennes ; elles
n'ontpas la « rigueurdes lois naturelles». L'acte intellectuel,
sans lequelil n'estpointde langage,faitcontrepoids jusqu'à un
certainpointaux impulsions mécaniquesqui surgissent dansles
fonctions auditivo-motrices. La penséen'assistepas entièrement
inactiveà l'évolutiondes sons. Certainesconditionsmentales
interviennent (p. 149). Le rôle de l'attention, en particulier, est
finement analysépar M. Delacroix. Tantôt elle intervient trop,
par exempledansla différenciation, tantôtelle intervient à contre-
temps,de là dissimilation ou assimilation de phonèmes,tantôt
elle est absente,d'où certainesaccommodations ou épenthèsesen
de de
présence groupes prononciation difficile, et certainesméta-
thèses.Mais l'attention estloind'êtreseule enjeu ; il fautfairela
partde l'automatisme, des habitudesmotrices, de la stabilitéet
de l'instabilitédes groupesarticulatoires, et de la mémoirepro-
prementdite. Les enfants,les illettrés,les étrangersinter-
viennent sansdoutedansl'évolutiond'unelangue,maispourque
les formesanormalesqu'ils suscitent s'introduisent, il fautque,

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pour une raisonou pourune autre,le contrôledes formesnor-


malesait disparu(p. 171).
Au direde quelqueslinguistes, certainestendancesgénérales
la
dominent phonétique. Meilletsignale: la débilitéde la findu
mot et son usure,que Ton constatedans toutel'histoiredes
languesindo-européennes ; la modification des consonnes intervo-
caliques, qui agit du reste inégalement dans les différentes
langues,beaucoupplus sensibleen français,notamment, qu'en
allemand.De mêmeque pourles changements spontanéset les
changements conditionnés, telsque la dissimilation, l'assimilation,
la métathèse,les diversesexplications qu'on proposéessont
a
insuffisantes.Dira-t-on que système sons évolueparceque
le des
le langage est comparableà un organismevivant? Quand on
parlede la viedu langage,on ne faitque réaliserune abstraction
(p. 174).Le langage,par nature,résisteau changement. Il estun
il
signe, porte une valeur le
; groupelinguistique est contraint de
la maintenir autantque possible.Arbitraire et fragile,il est fort,
quoiquearbitraire, parce qu'il estcommun. A côté des causesde
destruction partielle,il y a continuellement des efforts de maintien
et de reconstruction. Le changement phonétique va à l'assautde
la langue; le motestmenacéparla parole,commeactephysiolo-
gique; maisla difficulté estalorsd'expliquer le caractèrecollectif
de la variation. Le problème est complexeparceque les forcesqui
agissentsontelles-mêmescomplexes.Les changements du lan-
gage fontpartie d'unvaste ensemble.
L'écoleutilitairesupposaitque le langageéliminece qui estinu-
tileet meten reliefce qui est nécessaire; on ne parle que pour
êtrecompris.C'est tropde raisonet tropd'intention. Invoque-
t-onle principedu moindreeffort ? Il expliquepeut-êtrecertains
changements, commeles abréviations devenuesusuelles.Mais les
changements phonétiques manifestent l'existenced'actionsélec-
tives,qui ressortissent à des causes beaucoupplus particulières
que le principetrèsgénéraldu moindreeffort. L'explication par
les lapsusetles fautesindividuelles de prononciation se
qui propa-
geraientparimitation ne résistepas un instantà l'examen.L'hy-
pothèsed'unetendancenormaleà la variation en vertudu jeu des
prononciations individuelles a été utiliséepar HermannPaul et
Jespersen.Elle partd'une observation juste. Pourtant,elle ne
réussitpas davantageà rendrecomptede la simultanéité des

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variationsindividuelles.En ce qui concerne les modifications ou


les différences de
ethniques l'appareil phonateur, nous ne savons
rien. Reste l'explication par la transmissiondu langage aux
enfantset par la discontinuité qui s'introduitici nécessairement.A
premièrevue, elle semble la plus satisfaisante: la successiondes
générationsapporteraitla différenceet la nouveauté; l'hérédité
accumuleraitles petites variations; la simultanéitédes variations
individuellesn'auraitplusriende mystérieux. M .Delacroixn'accepte
pas cette théorie sans réserves. Rien de plus obscur,à son avis,
que la notionde « génération». L'équilibre social est un compro-
mis entrela traditionet le changementapportépar les jeunes. Le
rôle de l'enfantn'est pas aussi importantqu'on croitet il n'inter-
vient guère que dans la mesure où la voie lui est ouvertepar
l'adulte; or, c'est ce dernier qui est l'auteur des changements
insensiblesde prononciation (p. 189). De plus, il y a aussi des chan-
gementsbrusques, dont l'explicationrequiert un autre principe.
Ascoli et Meillet ont montrél'importancede la transplantation
d'une langue dans des groupes ethniques et linguistiques diffé-
rents.C'est la théoriedu « substrat». Là où le « substrat» ancien
est le même, on observe des transformations semblables. Par
les
exemple, parlers du Nord de l'Italie, propresà des régionsoù
le gaulois se parlaitcommeen Gaule transalpine,présententavec
les parlersgallo-romainsdes particularités communes.Mais,objecte
M. Delacroix, on sait peu de chose des substrats; l'hypothèsene
suffitpas ; les innovationsdes langues sont peut-être dues au
« substrat», mais la structuredes groupes sociaux, leur degré de
civilisation,leurs institutionspolitiques et économiques sont des
facteursà ne pas négliger : il y a un lien étroitentre l'homogé-
néité et la stabilitésociales et l'homogénéitéet la stabilitélinguis-
tiques (p. 197).
Les changements phonétiques ont incontestablementune
grande influencesur l'évolutiondes langues. Par exemple, la
chute des finalesaurait suffiseule à provoquer la disparitiondes
flexions.Mais ces facteursn'agissentpas seuls, et leur action ne
peut être appréciée qu'en relation avec les facteursmorpholo-
giques. Après le systèmematériel,il faut étudierle systèmefor-
mel du langage.
Entreles deux grandes unités qui s'offrentà l'analyse, le Mot
et la Phrase, il n'y a pas de différenceabsolumenttranchée. Le
Rbv. Métà. - T. XXXIII (n* 1, 1926). 7

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motest,contrairement à l'apparence,difficile à isoleret à définir;


il se fondaisémentdans le contexte et tientétroitement aux mots
voisinsqui déterminent son sens dans une phrase; isolé,il est
commeunephrasevirtuelle. D'ailleurs,le langageenfantin débute
par des mots-phrases. L'autonomie du motestplusou moinsmar-
quée suivantles langues; maisniphonétiquement, nisémantique-
ment, cette autonomie n'est jamais absolue. Le mot est chose
complexe, difficile
à et
saisir, pourtant sentsa réalité,alors
on
mêmequ'il semblese dérober.Ensemblesignificatif aperçuen
bloc,il possèdeune figure.Tout n'estpas fauxdans la doctrine
qui faisaitdu mot une image verbaleauditivo-motrice. Le mot
contient une pluralitéde sons. Nous avonstoujoursplus de mots
que d'idéeset plus d'idéesque de mots.Dès le premierlangage
enfantin, le motdésigneune situation complexe; avec l'accroisse-
mentde l'expérience la complexité ne faitque croître.Cela suffit
pourrendrecomptede la variationet de la multiplication des
significations au coursdu temps.Emploidu motdans des con-
textes entièrementdifférents, facteursaffectifs, organisation
sociale, degré de civilisation, inventions techniquesconcourent
ici, avec l'usurephonétique,au renouvellement du vocabulaire
(p. 200-208).
La phrasen'est pas une successionde mots désignantune
successiond'idéessurgiesune à une; elle est un tout,à la fois
successifetsimultané, car elle supposel'ensemble présentaux élé-
mentset le glissementdes élémentssur l'ensemble.Elle est
dominéeparune intention, régléepar une impulsion unique»On
peut la définir : expressionlinguistiqued'une représentation
d'ensemble,dontles élémentssont distinguéset disposéssui-
vant leursrapportslogiquesetla structure de la langue. Toute
un
phrase comprend prédicat; mais le sujet peut être sous-
entendu. La distinction du nom et du verbe existedans toutes
les langues,mais le verbeêtre n'a pas la place prépondérante
qu'onlui donnaitautrefois. Il estabsurdede réduiretousles verbes
au verbeêtreet touslesjugementsau jugementd'attribution. 11
arrivemêmeque le verbeêtre,dans unephrase,masquele juge-
mentde relationqu'elle exprimeet en dissimuleainsi le vrai
sens. De l'anciennedivisionen « partiesdu discours», les lin-
guistesd'aujourd'huine conservent que deux élémentsirréduc-
tiblesl'unà l'autre: le nomet le verbe.Si cettedistinction, qui est

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trèsnettedans les langues indo-européennes, n'estpas toujours


marquée dans les mots prisisolément, elle apparaîttoujoursau
moinsdansla phrase: il y a, commele montreclairement Ven-
dryes,desphrasesnominalesetdesphrasesverbales(p. 209-215).
En possessionde ces principes,on est en mesured'examinerla
structurelogiquedu langage,ou, plusexactement, les rapports de
la grammaire et de la logique.Les conditions générales du lan-
gage imposent à toutelanguecertainescatégories grammaticales,
notionsqui s'expriment parles morphèmes : genre,nombre, per-
sonne,temps,mode, interrogation, négation,dépendance,but,
instrument..., etc.Il y a sans douteunminimum de logiquesans
lequel aucune langue n'est à de ce
possible; mais, partir minimum, les
catégoriesgrammaticales et les catégories logiquescessentde se
correspondre ; il n'ya pas de catégoriegrammaticale qui exprime
une
uniquement catégorielogique, qui ni soit seule à l'exprimer.
Certaines catégories grammaticales, le nombreet la personne, pax
exemple,sont fondamentales et se retrouvent dans toutes les
langues.Au contraire, la catégoriede genre est fluenteet arbi-
traire; on pourrait s'enpasser; elle correspond à unevuesociale
des choses,à unetabledes valeurs,à une mythologie, à des insti-
tutionsdéterminées, qu'elle exprimeplus ou moins complètement
et adéquatement à une momentdonné; étantinintelligible dans
son principe, elle n'estplusguèreaujourd'huiqu'unesurvivance.
De la discordance entrele grammatical et le logique,il résulteque
la grammaire générale se réduit à de
peu chose,à quelquesgéné-
ralitéssurla grammaire.
L'histoiredes languesne donne-t-elle pas néanmoins des indi-
cationssurune direction généraleà laquelle obéiraitl'évolution
morphologique ? On dit que les langues évoluentdu concretà
et
l'abstrait, du complexeau simple; on en voitla preuvedansla
comparaison des languesde primitifs et de civilisés. Les premières
expriment les faitsdanstouteleurcomplexité ; dansles secondes,
la généralisation et l'abstractionsuppriment la luxuriancedes
formes. Cettesimplification, cetterégularisation des formes,ainsi
le
que passage de la à
synthèse l'analyse et l'orientation versun
ordrede motsrégulier,constitueraient, suivant certains,ce qu'il
fautentendre par« progrèsdulangage». Il està noterque, pour
les premierslinguistes, cetteévolutionétaitconsidérée,au con-
traire,commeun processusde décadence.Thèses tropabsolues

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100 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

Tuneetl'autre, objecteM.Delacroix. L'histoire, ditVendryes, montre


que des structures linguistiques très différentes ont permisà des
penséeségalement riches de s'exprimer pleinement. La tendance
ne
logique s'appliquejamais à la langue dans son ensemble. Le
caractèreanalytique ne signifie pas nécessairement un degréplus
élevé d'abstraction et d'intellectuaiité. La tendanceexpressive
combatla tendancesimplificatrice. On ne peutpas affirmer que
révolution linguistique soit un progrès.Peut-êtrene fait-elle que
refléter les vicissitudes de la civilisation ? « Tout ce que le temps
a fait,dit Saussure,le tempspeutle défaireou le transfigurer »
(p. 220-239).
A défautde progrèsproprement dit, l'évolutionlinguistique
n'est-ellepas régléepar certaines tendances générales? Il y aurait
plutôt,suivantM. Delacroix, unperpétuel conflit entreles forcesde
conservation : caractèresystématique de la langueet puissancede-
la tradition, etles forcesde changement : tendancemorphologique
à normaliser, besoin d'expressionintense,usuresémantiqueet
phonétique, discontinuité, contacts deracesetde nationalités. .., etc.
La résultante de ces diversesactionsn'a pas unedirectioncons-
tante.L'évolutionlinguistique reflète le devenirsocial,elle n'est
pas un « développement naturel » ; il ne s'agit pas ici d'une
« orthogénèse », non plusque de la réalisation d'un plan logique,
ni d'uneséried'adaptations. Depuis Schlegelet Humboldton a
voulurépartir les languesen troisgrandesclasses : les langues
isolantes,les languesagglutinantes et les languesà flexion, et on
a souventdécritl'évolution linguistique comme le passage d'une
classe à une autre.Au premierdegréseraitl'étatisolant,puis
viendraitl'étatagglutinantet enfinle stade flexionnel. Tout ce
qu'on peut dire, c'est que le premier langage a été probablement,
commeceluide l'enfant,composéde motsisolés (ayantla signi-
ficationde phrases). Un vocabulairegrossier,faitde symboles
naturels,complétépar le geste,improvisé d'un côté,devinéde
l'autre,tel fut sans doute le langage au commencement. Le
passagedu motpleinau motvide,la construction des outilsgram-
maticauxa été la premièreétapeversla construction d'une véri-
tablelangue.Au demeurant, l'origine des formes grammaticales
nouséchappe(p. 240-259).
L'étudedu langageenfantin et de l'acquisition par l'enfantdu
langage des adultesapportera-t-elle des lumièressur l'obscure

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L. WEBER. - LE LANGAGEET' LA PENSÉE. 101

questiondes origines?La loiontogenèse = phylogénèse n'estpas


applicable ici ; le langage n'est pas un être vivant. Chez l'enfant, on
ne peut guère apercevoirle momentoù le langage apparaît,ni
celuià partir duquell'enfant en use intelligemment. On estréduit
à observer du dehors; on ne saitriende ce qui se passe dansla
consciencedu sujet. Enfin,la fonction verbalese dégage sous
l'actionet avecla collaboration de l'entourage ; restituer les condi-
tionsprimitives estchoseimpossible.
La premièrepériode,aprèsle cri, est celle du babillage.Ces
premierssons ne peuventpas être identifiés avec les nôtres;
l'enfant a sa phonétique propre. Mais l'extrême plasticité du babil-
lage explique la facultéd'apprendren'importe quellelangue. Ce
premierdegréde l'élocution va de pairavec premierdegréde
le
compréhension, interprétation des sons entenduspar la situation
et par les actes; ensuitese produitl'imitation des sonsentendus,
et
qui prépare accompagne Tintellection véritable. En général,la
compréhension déborde Télocution. Durant cette période,oncons-
tateunetendancegénéraleà l'imitation des mouvements et des
gestes, jointe à une attention visuelle marquée. Les mouvements
vocauxse coordonnent progressivement auxsensationsauditives.
A partirde ce moment, l'enfant s'engagedansla difficile recons-
truction du langage entendu; son apprentissage est double : il
apprendà parleret il apprendà comprendre. La compréhension
des gesteset des motsse greffed'abordsurle langage d'action,
surla compréhension des mouvements d'expression, qui apparaît
tôt
très ; parconséquent, surla liaisondes sentiments et de leur
expression. Le progrèsn'estpas continu.Le vocabulairetraverse
unepériodede stagnation avantd'abordercelle de l'accélération
rapide,pourparvenir enfin à la phrase.Il y a des sauts,sanstran-
sition.Les acquisitions apparaissent souventbrusquement, d'une
manière enquelquesorteexplosive. En ce quiconcerne l'expression,
il y a lieu de distinguer la périodeinitiale,celledes motsisolés,
pendantlaquellele motconstitue à lui seul une phraseimplicite,
intentionnelle ; puis celle des phrases; la phrasecommencepar
deux motsetelle s'étendtrèsvite.En ce qui concernela fonction
verbalemême,lesobservations de Piagetétablissent la priorité du
langage égocentrique : l'enfant parled'abordpourlui-même,le
monologueest son procédéfavori ; s'il a l'air de s'adresserà
d'autres,la conversationapparente n'est que du monologue

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102 REVUE DE MÉTAPHYSIOUEET DE MORALE.

collectif; l'échangeet la discussionproprement ditene commen-


ceraientque versseptou huitans (p. 261-308).
Peut-onenfintrouverdans l'évolution enfantine des indications
surl'invention linguistique? Jusqu'àquel pointl'enfantinvente-
t-iletjusqu'à quel pointse borne-t-il à recevoiretà assimiler?Il
ne sauraitêtrequestiond'invention volontaire et réfléchie.Si inté-
ressantesque soientles observations recueillies surles inventions
de motset de languespersonnelles, dontM. Delacroixrelateplu-
sieurs exemplescurieux,il ne semblepas qu'elles apprennent
quelquechosede nouveauOny voitbienparaîtrequelques-uns des
procédés élémentaires, à la foisaffectifs et arbitraires, surlesquels*
aprèstout,il fautbienque le langagese soitétabli: symbolique
naturelle, valeurexpressivedes sons, liaisonde l'affectivité et de
ses moyensd'expression.Mais ces créationsaberrantesne vont
pas loin; c'est encoreet toujoursaux languesà nousrenseigner
surle langage(p. 329).
Les pages capitalesdu livresontcellesqui traitent du fonction-
nementpsychologique1.Gommentparlons-nouset comment
comprenons-nous la parole? L'actionhumainea toutela com-
plexité de la pensée,doubléede toutecelle de l'élocution et de la
compréhension. Parler et la
comprendre parole, c'estdéployerles
processusles plus profonds de la pensée et un jeu trèsfamilier
d'habitudes intellectuelles et sensori-motrices. La penséedépasse
le mécanisme du langage,maiselle le suppose,et ce mécanisme
impliqued'abordla formation d'habitudes articulatoires et audi-
la de
tives, construction figures motrices et sonores qui corres-
se
pondent.Cet automatisme se monteet s'inscritdans l'organisme
par la puissancede la répétition ; il s'établitdans le cerveauune
différenciation fonctionnelle ; un troubledans les régionsqui lui
sontaffectées pourrale fairedisparaître. Les figures articulatoires
et sonorespeuvents'effacer. « Figures», maisnon«images»; il
n'ya pas d'imagesmotrices, si Fonentendpar là des images dues
à l'étatde tensionnerveusequi précéderait le mouvement. Mais
ces figuresse réfèrent à autrechose qu'elles-mêmes;elles ont
unesignification ; ce sontdes signes,des substituts. Un mota un
sens,auquel il est lié par l'habitude. De là un second automatisme :
adhésionde la signification au signe,associationmnésique,qui

i. La première decechapitre
partie a parudansla Revue
(mars
1924).

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L. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. 103

estessentiellement arbitraire, et qui, elleaussi, peutêtredétruite


dans certainstroublesmentaux.Non seulementl'habitudefixe
cetteliaison,maisen outreelle tendà abrégeret à économiser le
jeu de ces associations.C'estce que montrebien, en particulier,
le mécanismede la lecture; nous lisonsles mots en bloc et les
groupesde motssans percevoirles lettres.Un troisièmeauto-
matismeintervient pour l'expressiondes relations ; c'est par
mémoire et habitudeque s'établit la valeurdes morphèmes, et il y
a de mêmeunetroisième espèced'aphasie,l'aphasie« syntac tique».
Enfin,au sommetmêmedu langage, dans l'acte où la pensée
s'élaborepour s'exprimer, interviennent les habitudesintellec-
tuelles,la condensation des notionset de l'expérience en schemes
maniables,en complexesaperceptiblesd'un seulcoup,ou muspar
une seule impulsion.La penséediscursive dans sa plénitudemet
doncen actiontouteune hiérarchied'automatismes combinéset
orientés par unefinalité qui s'appuie eux; elleimpliqueunjeu
sur
délicatd'analyseet de synthèse, autrement dit,l'intelligencelibre,
maniant, suivantles loisconstitutives du champde conscience, les
automatismes fonctionnels. Pas plus qu'une autreactionl'action
verbalen'a besoingénéralement de la représentation précisedes
moyensqu'elle emploie,si ce n'est à l'époque d'apprentissage.
Nous nousreprésentons ce que nousvoulonsdireet nonce qu'il
fautfairepour le dire; l'intentiondéclencheles automatismes
moteurs (p. 361-373).
On a soutenuque le langagene seraitpas faitpourexprimer
des notions,mais seulement pourcommuniquer des sentiments.
De fait,chez l'enfant, il estd'abordaffectif et volitionnel, et il est
probablequ'il en a été de même aux origines. Sans doute,tout
langagea unevaleuraffective, maistoutlangageviseà l'expres-
sion; or,le propredusentiment profond n'est-ilpas d'êtreinexpri-
mable? Il y a des sentiments vagues,indicibles, innommables ; il
y en a que nous refoulons, que nous ne voulons pas voir au grand
jour ; il y en a de fascinants et absorbants, qui dépersonnalisent,
tellela rêveriesans parolesdu lyriqueou du musicien,tels sur-
toutles étatsd'extase.Il y a doncécartentrele sentiment et le
langage,excèsdu sentiment surle langage,commeil ya de même
excès de la penséesurle langage. A vraidire,l'affectivité inter-
vientcontinuellement dans le langageparlé,avecles intonations,
les mouvements de la parole,les gestes; dansle langageengêné-

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104 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

rai, par le choixdes motset la structurede la phrase; « elle


« pénètre,ditVendryes,le langage grammatical ; elleexplique
« en partiel'instabilité des grammaires ; les phrasesne sontpas
« des formules algébriques ; toujoursl'affectivité enveloppeet
« colorel'expression logiquede la pensée » (p. 383).
La pensée formulée se place entrel'automatisme mentalet la
pensée intuitive. Cette le
dernière,qui marque degrésupérieur
de la vie mentale,est-ellevraimentdépourvued'images,et en
particulierd'imagesverbales?Tous les travauxontmontréque,
dans les processusd'intellection, l'imageestfragmentaire, arbi-
traire, accidentelle ; elle symbolise le travail mental plutôtqu'elle
nel'exprime ; ellesupposel'esprit, bienloinde l'expliquer.Penser,
disaitBinet,ce n'estpas « contempler de TÉpinal». Mais, ajoute
M. Delacroix, contempler de TÉpinal,c'estdéjàpenser.Il fautdonc
renoncer à l'hypothèse de l'imageen soi, de l'image-cliché, idole
de l'anciennepsychologie. L'image mentale est quelque chose de
beaucoupplusintellectuel que sensoriel;elle se découpeselonles
besoinset les exigencesde la pensée,qui est autrechoseque ides
motset des images.Peut-onse passerdes motset des images; y
a-t-ilunepenséepure?Danstoutesles observations qui prétendent
en révélerl'existence,ce qu'on trouve,c'est le sentiment d'un
savoiretd'unpouvoir,qui, si l'on y regardedeprès,s'accompagne
toujoursd'opérations commençantes ou au moinspartiellement
formulées. Il semblebienque, dans tous les cas, la penséeopère
sur unedonnée,surquelquechose,sur un scheme,sur un signe.
Nous n'apercevonsjamais la virtualité pure sans un commence-
mentde réalisation, le purpouvoirsansuncommencement d'exer-
€ice, la force sans le mouvement. Il est vrai que la puissance
d'abréviation de la pensée est extraordinaire et qu'unriensuffît
souvent.Nous arrivonsà fairetenirdes développements entiers
dans un mot.D'où l'illusionde ceux qui croient qu'il n'ya rien.
Ainsi,la pensée n'est jamais «pure». Avecquoi penserait-on?
Elle supposetoujoursune conscience confusede ses objetset de
sonrapportà eux,etcetteconsciencevade l'implicite à l'explicite,
à la
de l'obscurité clarté.Conclusion : la formule est nécessaireà
la pensée et elle l'exprime parcequ'elleen estpartieintégrante.
La penséedébordele langageetle langages'organiseau sein de
la pensée; mais, inversement, les automatismes verbauxpré-
existentà l'usagede la pensée,se présentent à sonpremier appel

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L. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. 105

et la débordent.Cet écartperpétuelest lui-même un principe


d'affranchissement et de progrès(p. 383-897).
La phraseest l'expressionlinguistiqued'une représentation
synthétique. Comment l'espritva-t-ilde cettereprésentation syn-
thétiqueà l'expressionlinguistique?Tropvagues et tropsom-
mairessontles analysesde Wundtet de James.Pickintercale,
entrel'attitude initialeet la formule explicite,deuxschémasinter-
médiaires: la formulementaleet le schémagrammatical. Van
Woerkomdistinguequatreétapes: Io la conception de l'idéeglo-
bale; 2° un processuspsychiqued'analyseetde synthèse dansle
temps et dans l'espace; 3° la conception du schéma de la phrase
sans symbolesverbaux;4° le choixdes mots. En renversant la
classificationdes formes d'aphasieproposéepar Head on auraitla
hiérarchie suivante: d'abord,« au plusprèsde la pensée», la fonc-
tion sémantique, qui pose la forme« propositionnelle » des actes
mentaux ; plus bas, la fonctionsyntaxique, jouantle mêmerôle
que le schémagrammatical de Pick; plusbas encore,la fonction
nominale, usage etmaniement des mots; enfin, à l'étageinférieur,
la fonction verbale,qui règle l'élocutionet l'audition.En se pla-
çant à un autre pointde vue,Vendryes décritsousle nomd'image
verbaleunéchelonintermédiaire entrela pensée proprement dite
et sa formuleexplicite,sorted'unitépsychiqueà doubleface,
tournéed'uncôtéversles profondeurs de la pensée et,de l'autre,
se reflétant dansle mécanisme producteur du son.Il ya assurément
quelque choseà retenirdans ces distinctions, maisM. Delacroix
estimequ'ilne fautpastroplesprendreà la lettre.Dans la plupart
des cas, nousallonsimmédiatement de la penséeà la parole,en
brûlantles étapesintermédiaires, sans compterles cas où nous
apprenonsnotrepenséepar notreparole.Toutesnos opérations
mentalesse ramènentà la construction d'ensembles organiséset
différenciés, par maniement simultané de la synthèseet de l'ana-
lyse. Une construction, mentale ou affective,voilà à quoi se
ramènetoute penséeet toute action.Qu'elle s'exerce dans le
mondematérielou dans le mondedes imageset des symboles,
l'intelligence est toujoursla mêmepuissancede construire. Nous
pouvonsuserde matériaux différents,maisle langageestcompris
dans la penséemêmedès qu'elleprendformesociale.Les divi-
sionsproposéessontdonctroprigoureuses.Au delà de la pensée
verbalerestela possibilité de la penséetoutcourt.« Jeneniepas,

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106 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

écritM. Delacroix,que la penséepuisses'apparaître à elle-même


sousd'autresfigures que les mots et construisant d'autres images.
L'essentielest la construction ». Toutesles foisque nousordon-
nons des matériauxselon un plan, nousfaisonsunephrase.La
phraseverbale,cas particulier, implique,outreson essencegéné-
rale qui est l'organisation, les rapportslogiques, ainsique les
élémentset les formeslinguistiques(p. 398-411).Pourle choix
des mots,diversescauses agissentet en sens divers: habitude,
nouveauté, exigences affectives,exigences logiques, intérêt
momentané, contexte, personnalité de l'auditeur.Le symbolever-
bal, comme tous les symboles et toutes les images,exprimedes
complexusaffectifs, leur interaction et leurs croisements (p. 415).
On oscille entredeux extrêmes : l'emploi continueldu cliché,
marquede servilismeintellectuel, et le langagetroppersonnel,
indiced'excentricité, qui jusqu'aux néologismeset aux défor-
va
mationsdesparanoïaques.
En ce qui concernele langageintérieur, les typesqu'ona dis-
tingués se rencontrent effectivement, mais il estsouventdifficile de
les déterminer chezun sujetdonné.Toutle mondecommence par
être auditifet moteur,puisqu'onapprendà parlerpar l'ouïe et
par la voix,et c'est probablement là*le typele plus commun.
L'équilibré et l'indifférentusent de toutes les images; la prédomi-
nanced'untypeparaîts'accentuer à Tage adulte; chezl'enfantde
treizeà quatorzeans onrencontre les typesendophasiques les plus
divers; ils sontmêmeplus complexesque chez l'adulte. Pourla
détermination du type verbal,l'observation est fragile; rien ne
vaut l'introspection, maisil fauttâcherde se surprendre plutôt
que de s'observerméthodiquement. Le langage intérieurvarie
souventsuivantla langueemployée; il dépendprobablement de
la méthodeau moyende laquelle on Ta acquise et de la facilité
aveclaquelleon la parle.Il ne semblepas que le langageintérieur
aitla continuité qu'onlui a attribuée. Les opérations internes, l'ac-
tion le suppriment ou l'atténuent ; il est souvent fragmentaire
(p. 418-432).
Il resteà examinerle côté proprement intellectuel du fonction-
nementverbal. Comprendre en général,c'est construireune
forme, un sens, une signification en ordonnant des représenta-
tionsqui ont elles-mêmesun sens. Comprendre une chose,une
une
situation, idée, c'estl'intégrer dans un systèmede relations ;

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L. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. 107

les éléments à intégrer étantdéjà partiellement intelligiblesparce


que déjà partiellement intégrés à des systèmes.Nous ne compre-
nons pas en chosesni en images.Comprendre une chose ou une
imagece n'est pas lui renvoyer son image mentale,la réfléchir
sur elle; l'image elle-mêmedoitêtre comprise d'abordavantde
fairela compréhension ; c'est à l'opération mentale sous-jacente
qu'il fautrecourir.L'actionn'estpas davantageprinciped'expli-
cationde 1'intellection. La théoriede Paulhan,d'après laquelle
comprendre un mot c'est répondreadéquatement à l'excitation
qu'ilreprésente, est insuffisante. L'action en elle-même est inin-
telligible.L'intelligence est un fait premier.Comprendre, c'est
doncsubstituer à une sériede sensations hétérogènes l'ordrequi
les rassembleet qui les définit les unespar rapportaux autres;
c'est doncordonnerles notions,qu'il a fallud'abordconstruire,
et c'est toutd'abordsystématiser. On comprend dès qu'onsysté-
matise.A cetégard,dansunemélodie,il y a unepenséemusicale.
Le langageest unemélodieintellectuelle (p. 436-440).
Comprendre le langage,c'estcomprendre au moyendulangage;
doncpluset moinsque comprendre ; plus, parce qu'il fautcom-
le en
prendre signe plus signifié du ; moins,parceque le signe,la
plupartdu temps,nousdispensedu signifié, commeonle voitbien
dansle maniement de l'algèbre.Il y a unniveauinférieur de com-
préhension verbale, où l'automatisme du langagejoue dans sa
réception comme dans son émission. La est
compréhension d'abord
un réflexe intellectuel,déclenchéparl'audition des motsfamiliers.
A un niveausupérieur,la compréhension supposel'analysedu
discours,grammaticale et logique,travailde discernement auquel
s'ajoutenécessairement un processusde liaison.Le motestnéces-
saireà l'intelligence de la phrase,et celle-cià l'intelligence du
mot.La phrasese découpesuivantses articulations grammaticales
etlogiques; elle se construit à mesure; la mémoireimmédiate et
l'attentey travaillent. Une forme se dessine dans l'esprit,sinueuse,
qui oscille autourde la directionque l'auditionou la vue
impriment. Nouscomprenons souventen plusieurs temps(p. 440-
446).Les images,le langageintérieur compliquent la compréhen-
sion; tantôtl'imageillustreet réalise; tantôtelle distraitet elle
égare. Le maniement des métaphores est dangereux.La com-
préhension peut être troublée égalementpar les sentiments que
provoque la parole,parl'adhésionvive,parl'effet de certainssons

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108 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

et de certains rythmes. Lorsquenouscomprenons, il semblequ'il


n'y ait en nous le la
que langagelui-même; signification adhère
au signe.La fonction du signeest d'abolirle signifiant. L'esprit
se comportevis-à-visde lui commeen face de la réalitéqu'il
représente, et c'est cetteidentitéd'attitudequi faitla parfaite
équivalencede l'un à l'autreet la possibilitéde la substitution.
Dans cettecompréhension parfaitele signe disparaîtpresque,il
La
devienttranslucide. compréhension du langage,c'estun peule
langagesupprimé (p. 448).
Dansles troisderniers chapitres, M. Delacroix passeen revueles
troublesdu langage. En premier lieu, les états pathologiquesde
la paroleintérieure exagérée,qui s'accompagnent de troublesdu
jugement,ensuitel'aphasie.Dans la classification de Head, basée
surl'observation clinique, M. Delacroix voit une confirmation de ses
propresanalyses : Io Le mot peut être atteint comme forme ver-
bale, dans sa structure motrice et auditive, d'où de
incapacité pro-
noncerles vocables,touten sachantencoreles écrire; c'estl'apha-
sie verbale; 2° il peut y avoirdétérioration ou destruction de la
nomenclature, ou du systèmeassociatif des signes; c'est l'aphasie
nominale;3° atteinte à l'ordredes signes,à la grammaire, à la
syntaxe; c'estl'agrammatisme de Pick,ou l'aphasiesyntactique
de Head ;.4° enfin disparition dupouvoirde construire unensemble
verbal; c'esten partiel'aphasiesémantique de Head.
L'histoiredes doctrinesde l'aphasieest instructive. Il s'était
constitué à
peu peu une théorie dite classique, dont le principeest
que l'aphasiene dépendpas d'un troubleintellectuel, maisd'un
troublede la mémoireaffectant les imagesverbales.Cettethéorie
étaitencoreenseignéeparDéjerineen 1914.En fait,l'aphasieest
toujoursl'indiced'un déficit intellectuel. Les prétenduesimages
de la théorieclassiquen'y jouent aucun rôle. Dès 1906 et 1907,
PierreMarieproclamait l'unitéabsoluede l'aphasie: le langage
est atteintcommefonction d'ensemble,dans sa totalitéet selon
toutesses modalités.Head, déclarants'en tenirstrictement à
l'observation clinique, conclut que l'aphasie est un trouble de la
« penséesymbolique», qui, sous l'influence de lésions,peut se
dissocier,qu'il n'y a pointde lésionsisolées de la parole, de la
lecture,de l'écriture ; qu'il n'ya pas de lésionqui n'affecte que le
langage. Ce sont la pensée et l'expression symbolique qui sont
perturbées dans leur ensemble. Enfin,récemment, van Woerkom

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L. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. 109

a insistésurl'étroiterelationde ces troublesavec « la penséespa-


tiale». L'aphasiquequ'il étudiea perdule sensgéométrique. Il y
auraitdonc lieu de discerner chez l'homme deux fonctions intellec-
tuelles: une activité supérieure, élaborant les notionsde direction,
de rythme et de nombre,commandant les relationset les opéra-
tionsdansl'espaceet dansle temps,et une fonction plus élémen-
taire,plusfruste, de distinction et de reconnaissance du monde
ambiant.Le symbolen'apparaîtque plustard.La fonction de cons-
truction etd'analysede l'espaceprécéderait la fonction de décou-
page etd'opposition indispensable à la penséeverbale.Cettehypo-
thèse d'une schématisation spatiale,antérieureau langage et
condition de son fonctionnement, se trouveégalementdans les
travauxde Mourgue(p. 447-514).
Une discussionserréedes théorieset des observations conduit
M.Delacroix à conclure que, dans les différentes formes de l'aphasie,
la mémoire mécanique,l'automatisme et l'habitude,d'unepart,la
penséeintellectuelle, la mémoire conscienteet l'attention, d'autre
part, sont lésés, suivant les cas, à des degrés divers.Dans l'apha-
sie motrice pure,ou anarthrie, ce n'est pas la perted'imagesdes
mouvements articulatoires qui est en jeu, ce sont des habitudes.
On sait que Head l'éliminede sa classification et se refuseà la
considérer commeune véritableaphasie.Ce qu'ilnommeaphasie
verbaleest troubled'un automatisme, de l'associationsensitivo-
motrice surlaquellereposela structure des mots.Même caractère
de l'aphasienominale: troublede l'association surlaquellerepose
la valeurdes mots.L'aphasiesyntactique est à la foistroublede
la mémoire et de la logique. Enfin,dansl'aphasiesémantique est
atteintela pensée en tantqu'elle comporteun maniement de
notionset de cadresprécédantle discours,et à laquelle ressortit
en particulier la distinction de moments et leurordination dansun
ensemble.On estloin,commeon voit,de la théorieclassique,qui
prétendait expliquerl'aphasieparla pertedes imagesverbalesou
encoreparla pertede la clefdu magasinoù ellesseraientamas-
sées. Toutefois, il fautreconnaître la difficulté
de déterminer avec
précision la nature et le degrédu troubleintellectuel à la base de
l'aphasie.Le langageest un étrangemélanged'automatisme et
de logique,d'habitude etde mémoire,d'une part,et de pensée,
d'autrepart. Il peutêtre troublécommetechnique,et troublé
commepenséedistincte et logique.L'examendes aphasiquescon-

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410 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

duitsouventà des conclusions contradictoires surle niveaumen-


tal compatible avecleurinfirmité. Avecdes réserves etdescomplé-
ments,c'est, suivant M. Delacroix, la théorie de Head qui semblela
plusadéquateau problème, en admettant dansl'aphasiela persis-
tancede l'intelligence « sensorielle» avec l'affaiblissement de la
« penséesymbolique » et de l'intelligence discursive.Encorene
doit-onpas user sans ménagement de tellesnotions,peut-être
tropséduisantesparleur simplicité. Des nombreuxtravauxsur
cettequestionpassablement embrouillée, il fautsurtoutretenirla
complexité des fonctions, où s'entrecroisent les systèmesorgani-
sés des réflexesintellectuels, les gnosieset les praxiesverbales,
les virtualitésde la penséepréverbale et les activités supérieures,
constructives et inventives (p. 515-573).
C'est sur cetteimpressionde complexitéque M. Delacroix
laisse le lecteur, mais non sans formulerencore quelques
remarquesfinales, essentielles :
Entrele signe « adhérent» du langage purement affectifet
socialetle signe« mobileet plastique» du langageintelligent, la
distanceesténorme.Le signeverbaln'estni un signe arbitraire
sanslienavecla pensée,ni une simplecopie,un simplefragment
des choses; sa valeurconsistemoinsen ce qu'ilreprésente qu'en
ce quii abolii,de mêmequ'uneformule physique.Son arbitraire
apparentlaisse transparaître son caractèrerationnel ; il est un
instrument . Le
spirituel langage estle premier stade de la science,
à la foisune techniqueet un savoir; avec lui, on entre dans le
mondedes jugements,fondant, sousla réalitéaperçue,l'existence
La
logique. perception, reprisepar le sujet, est posée comme
représentation.
Est-ceà direque le langagerequièretoujours unepenséesavante
et réfléchie? Nullement. Le niveau du langageest, on le sait de
reste,trèsinférieur au niveaude la logique.La première démarche
de l'intelligence est d'engagerses notionssans les apercevoir.
Chezlesprimitifs, chezlesenfants, le langagen'estjamaisle miroir
de la penséeréfléchie ; il est mode d'action,formede conduite ;
maisdéjà il estconstructeur de réalités.La penséesymbolique est
la penséetoutcourt.Le jugementcrée les symboleset toutepen-
sée est symbolique, en même tempsqu'ordonnatrice, dans un
mondede symboles, suivantdes rapportset des lois. Mais cette
exigencelogiquerencontre le courantaffectif et le courantsocial,

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E. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. ili

de sorteque touteunepartiedu langageestl'œuvrede la vieaffec-


tiveet de la vie sociale. De là cetteétrangetechnique,où se
mêlentles donnéesextrinsèques et les donnéesintrinsèques : les
langueset le langage; de là cettemixturede convention et de
logique,d'institution arbitraire et de raison; de là cetteaccumula-
tionde formes, attestant la multiplicitédes besoins,des habitudes
et des efforts.De là aussila multiplicité des habitudesnécessaires
au maniement de la parole,que dirigeetsurlesquelless'appuiela
volonté consciente. Tous les mouvements de la personneviennent
en sommes'inscriresurcet appareildélicat.Le langageestl'ex-
pressionde toutle psychismehumain.Il n'y a pas de facultas
signatrix.Le langage ne se rattacheni ne se réduità aucune
faculté particulière. Il estl'œuvrede l'hommetoutentier.La lin-
guistique ne fait d'ailleurs que confirmer à cet égard les induc-
tionsde la psychologie (p. 575-587).
Quelquelacunairequ'il soit, le résuméci-dessusdonnera,je
l'espère,un aperçu suffisamment exact du livre, et en mon-
treral'importance, l'utilitéet l'opportunité. La linguistique gé-
néraleest en plein réveil; son complément nécessaire,la psy-
chologiedu langage, a besoinparallèlement d'unemiseà jour.
Il a bienparuen Franced'excellentes étudesfragmentaires, mais
les traitésd'ensemblemanquent.Le présenttravailvientdoncà
pointenrichir notrelittérature. De plus,il apporteune doctrine,
une conception des fonctions du langage,qui substitueà l'idée
dominante d'uneactivité mentalespécialisée,souslaquelleon vise
habituellement à les grouper,la notiond'unesortede syncrétisme,
et qui verraitplutôtdansle langagela manifestation synthétique
et unificatricedu faisceaude nos activitéspsychiques.
M. Delacroixne s'attardepas auxquestions d'origine niaux con-
sidérations Les
génétiques. origines ne se reconstruisent qu'à coup
d'hypothèses, et on a essayé de toutesles hypothèses(p. 113).
Quant à l'histoireelle-même,elle nous faitbien assisterà une
suitede changements, maisla successionn'est pas une explica-
tion. Entre l'hommeet l'animal,sous le rapportintellectuel,
l'abîmeest d'ailleurstelqu'il est vaind'essayerde le combler.Il
fautprendre l'intelligence commeun faitpremier, l'esprithumain
commeune donnée.L'évolutionnisme échoue,parce que la lin-
guistiqueapprendqu'il n'y a ni progrèscontinu,ni constancede
direction dansles transformations des langues.

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112 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

ContreTabus de la sociologie,M. Delacroixn'est pas moinscaté-


gorique. Sans nierles immensesservicesrenduspar cettescience,il
proteste contre ses empiétements; il maintientqu'il y a « un
esprithumain» et que le psychologiquene saurait être sacrifié
au social. Que la société soit créatrice n'implique pas l'impuis-
sance radicale de l'individu. Comme la religion,le langage est
une institution qui se fondedans les consciences; or, une collecti-
vité ne saurait produirequelque chose dontl'individun'auraitpas
en soi les germes. Rien de plus obscur au demeurant que la
notionde créationpar la société. Les faits de psychologie collec-
tiveposentautantde questionsque de mots(p. 59).
Aussi bien, n'est-ce pas proprementl'explicationque poursuit
M. Delacroix.Avantde songerà déduire,il fautse rendrecomptede
l'extrêmecomplexitédes faits.Son but est d'établirqu'il n'y a pas
de principegénérateurdu langage autreque l'esprithumainenvi-
sagé dans sa totalité.Comme cet espritdontil est l'expression,le
langage se montrecontinuellementsous des aspects opposés et
souventcontradictoires.Il oscille « entrele chaos et le cosmos ».
On seraittentéd'en conclureque le degré ultimedu savoir est ici
la constatationd'un perpétuel compromisentre des oppositions
irréductibles.Le langage seraitl'illustrationvivanteet comme la
réalisationconcrètede la fusiondes contrairesau sein de l'univers
spirituel.Cela ne manque pas de grandeuret cela rappelleHegel,
encore que l'érudit et pénétrantanalyste du mysticismen'ait,
semble-t-il,aucune parenté d'espritavec l'auteur de la Logique,
dont l'habilité dialectique tient parfois de la prestidigitation.
M. Delacroixn'est pas un escamoteurde difficultés.
Cependant,s'en tenirà une constatationne satisferajamais le
philosophe. La conciliation dans une catégorie supérieure des
catégoriesopposées sur le plan inférieurétait,chez Hegel, le res-
sort même du progrès dialectique; mais la psychologien'est pas
une reconstructionlogique des catégories; elle est science, et
c'est à l'histoire,à la sociologie,à l'observationethnographique,à
l'introspection,à l'expérimentationpsycho-physiologique,à la
pathologie et à la linguistiquequ'elle demande des vérités. Ce
qui ressortle plus fortementdu travailen question c'est l'hétéro-
généitédes fonctionset des tendances sous-jacentesdans le lan-
gage, mélange d'arbitraireet de rationnel,de logique et d'affecti-
vité, d'automatismeet de tâtonnementconscient, de routineet

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L. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. d13

d'invention, et il en découleune hypothèse qui s'offre naturelle-


ment: s'ily a de tellesoppositions dansles caractères du langage,
c'est parce que celui-cin'estpas le produit d'une activitéhomo-
gène, et c'estqu'il tientde ses origineset des conditions de son
développement, avecune naturecomplexe,un étatcongénital de
déséquilibre.
On ne sait riendes origines,soit. Il n'empêchequ'il y a des
origineset que les fonctions verbalesen doiventgarderla trace.
M. Delacroixn'endisconvient pas; en rappelant les hypothèses de
Noire,de Bücher,de Jespersen, entreautres,il s'arrêteà la sup-
position que le langageprimitif étaitune sortede chantémotion-
nel, de Lied ohneWorte. qualitésdonnent
Ces encoreaujourd'hui
son colorisà la parolepassionnée(p. 118).Mais comment passer
de là à l'expression logique? Comment passerde la symbolique
naturelleà la symboliqueconceptuelle ? Dire que cettemélodie
s'est
primitive peu peu à intellectualisée par l'analysede ses élé-
mentsetleurrecombinaison n'avanceà rien; car là estjustement
le mystèred'évolution qu'il faudraitéclaircir.Entrele langage
« naturel» et le langage « artificiel », il s'est perduune sériede
chaînonsqu'on ne retrouvera probablement jamais. L'étudedes
languesdes soi-disantprimitifs, celle de l'acquisition du langage
par les enfants ne nous renseignent pas. Les languesditesprimi-
tivessontanciennes ; le foisonnement de leurstermeset de leurs
formes ne permetpas de les prendrepourdes vestigesdes pre-
mièresébaucheslinguistiquesà l'aurorede la préhistoire. Les
enfants naissentavec unehéréditécérébralequi interdit d'assimi-
lerleurcomportement à la restitution d'unpassé où cettehérédité
n'existaitpas encore.Le moment où le langageintelligent s'établit
chezl'enfantnous échappe.L'influence du milieufaussel'obser-
vation.D'ailleurs,si l'ons'avisaitde recommencer l'expérience de
Psammétik, elle ne nousinstruirait pas davantage.
Maispeut-être est-ilvainde se donnercettepeine; inutiled'al-
ler chercherdans les sociétésinférieures et chez les enfantsdes
documents décisifs, au milieu d'une masse de faitsdontl'interpré-
tationresteratoujoursdouteuse. Peut-êtretrouvons-nous en
nous-mêmes profondément inscritesles tracesdes tendancesou
impulsionsinitialesqui se composentet se combattent encore
aujourd'hui dansle langageetdansla pensée« discursive » ; peut-
être l'introspection, toutesimple,soulève-t-elle un coindu voile.
Rbv. Mòta. - T. XXXIII (no 1, 1926). o

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114 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Visiblement, la plupartde ceuxquise sontoccupésdu problème en


onteu le pressentiment. Lorsque M. Delacroix de
parle l'exigence
logique,qui interfère avec le courantaffectif et le courantsocial,
de la conjonction du signementalet du signe affectivo-social, il
affirme la pluralitédes facteursprimordiaux et irréductibles qui
ontdonnéau langageles caractèresque nouslui reconnaissons.
De même,lorsque,à un toutautrepointde vue,il est vrai,Head
élaboresa théoriedu « Symbolicthinking », superposéet,en une
«
certainemesure,opposéà l'intelligencesensorielle», n'adopte-
t-ilpas un dualismefondamental qui se répercute ensuitedanssa
façon de concevoir la désagrégationpathologiquedes fonctions
verbales? Mais alorscomment concilier ce pluralisme, ou toutau
moinsce dualisme, avecla thèsede l'unitéde l'intelligence et de la
pensée,à laquelleM. Delacroix, commetantd'autres, restedélibéré-
mentfidèle? L'intelligence estunfaitpremier, etpar là on entend
l'intelligence par les concepts, l'intelligence coextensive à l'usage
des « signesmentaux». Un faitpremier,c'est-à-direqu'onne
peut pas déduire,et qu'on décritsans en épuiserle contenu:
réponseappropriée, adaptation aux situations nouvelles, discerne-
ment,choix,aperception de rapports, analyse,synthèse, construc-
tiond'ensemblessystématisés, en des
etc.,sont, effet, attributs,
maisnondes définitions de l'intelligence. Et pourtant, on nousle
dit,il y a autrechoseque de la logiquedans le langage« intelli-
gent». Dans la penséesymbolique dontil estl'expression, il y a
de l'affectifet du social,des donnéesqui ne sontnullement intel-
lectuelles, des valeurs dont les relations mutuelles ne sont pas
d'ordrelogique,des apportsprovenantd'une autresourceque
celle qui a créécettemonnaied'échange,les concepts, et les sym-
bolesarbitraires dontils sontles significations. Comprendre, nous
dit-onencore,c'esttoujoursintégrerdans un système,lui-même
intelligible,parcequ'il est déjà forméd'élémentsqui Juiontété
intégrésde mêmefaçon,ramenerà une règle, subsumerdes
termesà un planet à un ordre.Est-celà tout? Oui, à la condition
de prendreles chosesen gros et en négligeantune subdivision
essentielle.Comprendre un geste,une action,un sentiment, un
une
tempérament, personnalité, comprendre et une opération
mécaniqueou un raisonnement arithmétique sont des « mouve-
mentsde l'âme » trèsdifférents. Qu'onveuillebien excuserces
banalités,maisil estvraiau'onles oublievolontiers. Comprendre

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L. "WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. 115

uneopération matérielle ou mentale,c'est nonseulement l'exécu-


en la en
ter,c'est, outre, décomposer phasesélémentaires, quis'en-
chaînent,qui sont ou semblablesou dissemblables, mais qui,
toutes,se résolvent en intuitions, c'est-à-direontun aspectd'évi-
denceet de nécessitédevantlequel l'analyses'arrête,au moins
provisoirement. L'idée d'opération,qui régit tout le domaine
intellectuelet logique,n'estpas moinsprimitive que ridéede rap-
portet elle est,à vraidire,indéfinissable. Jeme borneà en indi-
querles caractèresprincipaux. Elle est activité méthodique, mus-
culaire ou mentale,succession ordonnéede perceptionsou
d'images,généralement visuelleset spatiales; elle a un pointde
départ,un commencement, une direction, un sens (finplus ou
moinsclairement aperçueet voulue),et un pointd'aboutissement
ou résultat ; entrele pointde départet le résultats'intercalent
des phasesélémentaires, qui sontelles-mêmesdes opérations, ^t
quis'accompagnent chacune de transformations évidentes et néces-
saires.Enfin, elle s'exécuteau moyend'instruments. Comprendre
une opération, et de mêmeun raisonnement, ce n'estdoncpas
nécessairement réduiredes termesà Fidentité ; c'esteffectuer une
suitede transformations élémentaires sur des objetsdonnés,au
moyend'instruments donnés.Il n'y a pas de compréhension sans
de tellesintuitions, dontl'arithmétique et la géométrie fournissent
les exemplesles plus communset les plus nets. Ces intuitions
sontindéfinissables, maistoutle mondesaitqu'ellesontuncarac-
tèred'objectivité ou de spatialité qui les meten opposition avecla
conscienceaffective. Elles sontexpressément ce qui n'estpas le
moiaffectif, le complexus de notreeénesthésie, de nos sentiments
et de notretensionintérieure. Absorbédans l'intuition intellec-
tuelle,le sujet s'oublie totalement. La penséeopératrice est, par
essence,ce qu'il y a de plus impersonnel en nous. Consciente,
assurément, mais d'une toutautrefaçonque le sentiment vitah
Lorsqu'onparle d' « états de conscience », on a en vue autre chose
que l'intuition intellectuelle. Condillaca pu direque sa statue,
de
douéeseulement l'odorat,commençait par êtreodeurde rose;
il n'auraitprobablement pas dit que, douéeseulement de l'intelli-
gence arithmétique, elle commençait par être intuition de l'infinité
de la suitedes nombres.
Comprendre un geste,unsentiment, uneactionnoustransporte
dans un autre monde mental, à l'autre pôle de la pensée. Corn-

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416 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

prendrede cettefaçon,c'estextérioriser sa propresensibilité,se


« mettreà la place» d'autrui, jouer son rôle,s'identifierà lui par
instinct,
par sympathie, par intérêt ou par jeu. C'est sans doute
encoreici ramenerl'inconnuau connu,dans la mesureoù nous
nousconnaissons nous-même ; c'est aussi procéderpar identifica-
tion,mais une identification qui n'a rien de la coïncidencedans
Il
l'espace. y a donc une sorte d'entendement affectif, et une
logiquedes sentiments, commeRibot l'a bien vu, qui ne sont ni
l'entendement, nila logiquede la penséeopératrice. L'espritde
finessen'estpas l'espritde géométrie,et les raisonsdu cœurne
sontpas cellesde la raison; on le saitdepuisPascal. Dansle com-
portementhumainprimitif, on peut distinguer, avec Leuba, le
modemécaniqueetle modeanthropopathique1 . A la base de la
compréhension anthropopathique, il y a aussides intuitions. Mais
elles ne sont pas des intuitionsintellectuelles, c'est-à-dire des
visionsclaireset distinctes, de
aperceptions rapports nécessaires
de situationet d'ordre.Ce sont des sortesd'élans de croyance
rapides,sans figureet sans formule, l'aperception immédiate d'un
autresoi.Dans les premières, le sujet s'abolitdans l'objet; dans
les seconds,le sujet se projettedans l'objet.Il semblebien que
ce soientlà deuxcatégoriesdistinctes de fonctionnement mental.
On peut ajouterque ces intuitions, avec les sortesde raisonne-
mentsque forment leursenchaînements, sontparfoistellement
rapides et contractées qu'elles restent en dehorsdu champ de
conscienceet qu'elless'automatisent par l'habitude de mêmeque
les opérationsproprement dites. M. Delacroix note la prodigieuse
puissanced'abréviation de la pensée(p. 394).Si noussavonsfaire
tenirtantde chosesdans un mot,c'est qu'alorsle motn'est pas
simplement un outilde la technique verbale,car un outiln'estpas
unsigne,maisqu'il est un symbolechargéde signification, doué
d'unpouvoird'évocation qui n'est nullement le pouvoir de combi-
naisonopératoire d'uninstrument quelconque.
Les activitésmentalesressortissant à ce typepourraientêtre
groupéessousle nomde pensée symbolique, par différence avec
la penséeopératrice.Les objetsauxquels elles s'appliquent sont,
1. Psychologiedesphénomènes religieux,traductionfrançaise,p. 3. L'auteur
distingue,il estvrai,troistypesde conduite: mécanique,coercitive,anthro-
popathique. Le typeintermédiairecorrespond à la magie. A cette divisiontri-
partite,je préféreraisla suivante: comportement animal, comportement
technique,comportement anthropopathique.

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L. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. 117

en effet, des symboleset non des outils,ni des objets d'assem-


ni
blage, des matièresà travailler. M. Delacroixestimeque toute
pensée symbolique, qu'on penseque par symboles.Il me
est et ne
sembleque c'estallerbeaucouptroploin.Par symbole j'entendrais
plutôttoutce qui attirenotreattention sur des objets que nous
pouvonstoujoursplusou moinsidentifier avec des sensations,des
des des
sentiments, émotions, volitions, c'est-à-dire avec ce qu'on
appelleproprement des étatsde conscience.Sous le symbolenous
imaginons toujoursunacteurplusou moinssemblableà nous,une
conscience où nousnous retrouvons. Dans les sociétésinférieures,
les symboles sonten principedes signesde puissancesconcrètes
et non des notationsreprésentatives d'idées abstraites.Ne rai-
sonne-t-on pas à la façondes primitifs lorsqu'onaffirme que toute
sensation, touteperception, touteimage sontdes signes? Pourle
primitif, dans le mondeextérieurqui l'environne, toutest vivant,
d'unevie pareilleà la sienne,le fleuve,le nuage,le vent,l'arbre,
commel'animalamiou ennemi.Mais il n'estpourlui de signeque
de ce qui vit,c'est-à-dire de ce en quoi sonimagination lui permet
de se transporter avecses sentiments, ses émotions et ses désirs.
Lorsqu'iltravailleavecun outil,ou lorsqu'ille fabrique, et dansla
il
mesureoù opèretechniquement, il ne s'identifieen aucune façon
niavecl'objettravailléni avec l'outilfaçonneur précisément parce
que ce qu'il y a d'affectif en lui s'abolità ce momentet que son
champ de conscience est envahipar l'intuition spatialedontla
clartéTillumine. M. Delacroixadoptel'opinionsouventexprimée
quela formeélémentaire del'intellection seraitla sympathie (p. 67).
Ce n'estpas parsympathie cependantqu'on a, par exemple,l'in-
tuitiondes propriétés de la relation« entre», ni qu'oncomprend
un mécanisme, si simplesoit-il.Assimiler les premiersoutilsaux
appareilsnaturels n'estpas encore les comprendre ; on ne les com-
prendque lorsqu'onles fabrique.On ne sympathise pas avec le
triangle pouren apercevoirles propriétésnécessaires.Le senti-
mentde la beautédes véritésgéométriques, commeTontéprouvé
les Grecsdu vesiècle,estunproduitde hautecivilisation etn'arien
d'élémentaire. Nous n'avons plusles mêmes motifs que Platon de
mêlerDieuà la géométrie dansune analysedu jugementgéomé-
trique.
Toutefois,ne parle-t-on pas couramment des « symboles»
mathématiques? Modèle accompli de la penséeopératrice, la pen-

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118 BEVÜE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

sée mathématique rentrerait ainsidansle cadrede la penséesym-


La
bolique. séparation entre les deux ordresd'activiténe serait
pas aussi tranchée ; la distinction ne seraitpas fondamentale. Il y
«
a iciune équivoque.Les symboles» algébriques sontincontesta-
blementdes signes,puisqu'ilsindiquentdes opérationsou des
résultatsd'opérations. Mais on ne les emploieque commeinstru-
ments.Ce sontdessignesd'opérations;ce sontaussides « opéra-
teurs». Opérationsmentalesqu'il est à peu près impossiblede
séparerfranchement des opérations matérielles.Ons'yefforce bien
Platon l ; ce qui ne veutpas dire qu'on ait réussi.Ces
depuis y
symbolessontdes outils,ou des objetssurlesquelstravaille l'outil.
Leurmaniement implique adhérence absolue au
du signe signifié,
correspondance univoqueet réciproquepermettant substitution
intégrale du signeà l'idéeetde l'idéeà Tètre.Un nombreet l'idée
de ce nombre ne fontqu'un,remarqueaussile philosophe antique2,
II y a plusencorechez le calculateur: soitqu'il calculementale-
ment,parimagesvisuellesou auditivo-motrices, soitqu'il calcule
par écrit,le nomde nombreou la figuredu chiffre ne faitqu'un,
durantl'opérationarithmétique, avec l'idée du nombreet le
nombrelui-même. En algèbre,mêmerigidité de liaisonéquivalant
pratiquement à l'identité entresigneet signifié. Poseruneégalité
ou une équation,ce n'est pas seulementdessinerle tableau-pro-
grammed'unecomparaison d'opérations devantconduire au même
résultat ; c'est s'engager dans l'exécution effectivede ces opéra-
tionset les tenirpourréalisées.C'estce qui justifiela remarque
humoristique de Mach,qu'enalignantdes équations,le mathéma-
ticiena l'impression que sa plumeet son papiersontplus intelli-
gentsque lui. Il a
y des machinesà calculer.Tel est, en effet, le
caractèrede la languemathématique. Dans la mesureoù il parti-
cipe de la pensée opératrice, le langage ordinaireprésentedes
caractèresanalogues de fixationet d'automatisme mécanique,
maissa puissanceindéfinie d'évocation, qu'il doit au faitque la
signification des termesn'estjamais close,lui confèreune plasti-
citéqui vajusteà rencontre desbesoinsdu langagemathématique.
Chezcelui-ci,la penséene débordejamaisle langageetle langage
ne débordejamaisla pensée; la coïncidence du signifié et dusigne
estabsolue.
1. République,livreVII, 527a.
2. Elie Halévy,La théorieplatonicienne
des sciences,p. 267.

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L. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. |!t9

Toutautreest ridée que Tonse faitnaturellement du symbole.


Le symbolepeutêtre considéréisolément ; on peutle détacher
de ce qu'ilreprésente, ou
évoque suggère.Selon la terminologie
vulgaire,et conformément sans douteà un usage qui remonteà
la préhistoire, symboleet emblèmesontpresqueindiscernables.
Le lienentrele symbole etle symbolisé estélastiqueet flou,parce
qu'il esttoutimprégné d'affectivité.
Les sentiments etles émotions
ne se découpent pas dansl'espace.Il y a irradiation du symbolisé
autourdu symboleet du symboleautourdu symbolisé.Le rôle
socialdes symbolescompliqueencorela liaison.Entrele symbo-
lismenaturel,issu directement de la manifestation réflexedes
et le
émotions, symbolisme conventionnel et rituels'interposent
l'autoritéde la tradition,la forcedes sentiments surtout
collectifs,
la vertumagiquedes symboles.Qu'ily aitde cecidansle langage
ne faitpas de doute.Le langagen'estpas seulement « un cime-
tièred'images» ; il est aussiun cimetière de symboles. La pensée
verbaleestd'abordet essentiellement pensée symbolique, nulle-
mentpource motif que les motssontdes instruments, commele
seraientles signesd'unealgèbreuniversellede la qualité,mais
parceque l'expression verbaleestd'abordune déchargede l'affec-
tivité,une sorted'extériorisation et de productionau dehorsdu
moimomentané. Le langageenfantin est d'abordpurement égo-
centrique.Parler, n'est-ce un
pas toujours peu se livrer,lorsmême
qu'ondéguisesa pensée?
Le symbolen'estpas nonplusà l'originele signeadhérentqu'on
regardecommele premierstadedu langage.Les symboles d'êtres
singulierssontrares. La symbolisation conventionnelle débute
avecles classificationsprimitives, et ces classifications étranges,
incohérentes, ne forment pas de groupesà frontières nettes.Les
symbolesde classes sontles plusrépandus.La pensée concep-
tuelle,dans ce qu'ellea de social,émanede cettesource; elle se
rattacheà la pensée symbolique qui apparaîtdans l'usage des
symboles de classesou de groupes.Si les conceptset les vocables
les sont
qui désignent comparables à des espècescirculantes, sans
valeur intrinsèqueet ayant cours forcé,ce sontpeut-êtreles
classifications primitivesqui en sontla cause lointaine,en ayant
établides parentésentreles choseslesplusdisparates, des rappro-
chements qui ne viennent ni de la perception, ni de l'appétit,ni
des premièrestechniquesmatérielleset que, seule, maintient

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420 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

l'autoritécollective.Arbitraire, non régiepar les analogiessen-


sibles, signification symbolede classeou de groupeestdéjà
la du
abstraiteet générale; elle prépareles concepts.Le langage est
l'institution par excellence.
Si toutepensée étaitsymbolique,on en devraitconclureque
l'intuitionspatialen'estpas de la pensée. Lorsque je me rends
compte,par exemple,qu'unevis filetéeà droitene peutpas se
visserdansun écroufiletéà gauche,de quelque manièreque je
m'yprenne,est-cesurdes symbolesque repose monjugement?
Ou biensoutiendra-t-on que ce n'est pas là de la pensée? Or,
toutel'activitéintellectuelle à l'œuvredansles techniquesmaté-
rielles,dans la mesure où elles sont efficaces, correcteset non
brouillées parles illusionsde la magie,reposesurdes aperceptions
de cettenature.Qu'ont-elles de symbolique? Jen'y découvreque
des intuitions et des opérationsréalisées ou imaginées. Leur
matièreest faited'images,qui ne sontpas des symboles,car ce
qu'elles sontet ce qu'elles représentent sontune seule et même
chose.
A un niveausupérieurdes mathématiques interviennent de soi-
disantsymboles, dont le rôle n'est toutefois possiblequ'à la con-
ditionqu'onne les distinguepas de l'instrument qu'ilsfigurent et
qu'ilscessentalorsd'êtreregardéscommesymboles.Tandisque,
dansla symbolique vraie,n'importequoi peutreprésenter n'im-
portequoi, le choix des notations algébriques n'est pas indifférent.
Sans la notationde Leibniz,le calculdifférentiel n'auraitpas fait
de progrèsaussirapides.Ce que les mathématiciens dénomment
plus spécialement calcul symbolique estjustement la preuve qu'il
y a dans la figure de ces notations des dispositifs instrumentaux
appropriés,conditionnés par la naturedes opérationsqu'elles
schématisent, au lieu que les phonèmesverbaux,au furet à
mesuredu progrèslinguistique, s'éloignent de plus en plus de
l'onomatopée et du Lautbild imitatif. La figure visibledu signe
mathématique obéit à des exigences de structure, - qu'ilne faut
pas confondre avec de -
l'exigence signification,qu'ignorent les
mots,et elle estcomparablepar certain côté à la structure d'un
outil.Dans la pratique,elle actualisel'opération en mêmetemps
qu'elle la représente ; si elle ne faisait que la représenter, sans
forcerl'esprità l'effectuer simultanément, il n'y auraitpas possi-
bilitéde calculerparécrit,soitarithmétiquement, soitalgébrique-

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L. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. 12i

ment. Dans la symboliquenaturelleet dans la symbolique


verbale,le gesteou la parolen'entraînent pas forcément l'état de
consciencecorrespondant il
; autrement, n'y aurait pas de comé-
diens.Mais quandun géomètreexposeunedémonstration, il ne
peut être simulateur ; un raisonnementmathématique ne se
joue pas.
M. Delacroixfaitremarquer, avec van Woerkom,que certains
testsimaginéspar Headpourexaminer lessujetsaphasiques,dans,
lesquelsil utiliseles intuitions de symétrie, sonttropdifficiles, et
qu'ils seraientun moyend'explorerplutôt la notion de direction
que le « symbolic thinking ». 11n'ya pas, en effet, que les infirmes
du langagequi soientincapablesd'analyser le paradoxedes objets
symétriques. L'intelligence géométriqueest d'uneautrequalité
que la facilité
verbale.Thiers,qui n'étaitpas précisément apha-
sique, n'arrivait
pas à saisir les démonstrations de géométrie élé-
mentaire.La logique de la proposition n'estqu'un chapitreen
sommeassez restreint desrèglesque l'esprit humain,en se faisant,
a dégagéesdes techniques de façonnageet d'assemblage, touten
les sublimant La
graduellement. logiquepropositionnelle utilise
principalement les relations de classes, d'inclusion et d'apparte-
nance.L'infinie variétédes relationsne se montre vraiment qu'en
mathématiques, où il s'établitautantde relationsque de types
d'opérations.
Le pointde vue de Head paraîtêtrecelui d'une distinction de
principe entrela pensée directeou immédiate, s'exerçantsurles
donnéessensibles,etla penséeindirecte ousymbolique, s'exerçant
partoutessortesde langages. Cetterépartition correspond-elle à.
la réalitépsychologique ? La thèsedemanderait à êtrediscutéeen
détail.Toujoursest-ilqu'elle supposeune extension de la notion
de symbolequi dépassede beaucoupl'acceptionusuelle.Soient,
parexemple,les opérations suivantes: aplanirune surface irrégu-
lière et vérifierensuiteson aplanissement en y appliquantune
règledanstousles sens; taillerun solideen biseauparretouches
successives ; comparerdes longueursau cordeau; disposerdes
assemblagesd'objetssemblablessuivantune figuredéterminée.
Est-celà de la symbolisation, est-celà manierdes symboles, est-
ce un langage?A généraliser à l'extrême, on risquede toutcon-
fondre.Par contre,il estévidentqu'il y a dansla pensée discur-
siveune intervention d'autantplus marquéedes fonctions opéra-

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122 REVUE DE MÉTAPHYSIQUE.ET DE MORALE.

tricesque Tonse rapproche davantagede la rigueur,de la systé-


matisation etde la précision dulangagetechnique. Plusunelangue
se prêteà cet office,plus elle exige pour sa pratiquecorrecte
l'intégritéde tellesfonctions. Des épreuvesqui mettent en œuvre
l'usagedes intuitions spatialeset la systématisation d'opérations
élémentaires dansun butdéterminé doiventdoncêtrerévélatrices
de la naturedes troublesintellectuels accompagnant certaines
aphasies. Mais il ne s'ensuit pas que l'emploi des symboles
devienneindispensable à partird'uncertaindegréde complexité
des opérations. On ne voitpas pourquoil'accroissement de com-
plicationintroduirait la symbolisation, laquelleprocède d'un autre
Des
comportement. images, des simplifications schématiques
d'images,des instruments schématisés, des repères,des indices
ne sontpas des symboles.Lorsqueje me heurtedansl'obscurité
à un meublede ma chambre,et qu'un simpleattouchement me
faitreconnaître le meuble,prétendra-t-on la
que perception d'une
petitepartiede l'objetrévélatrice de sa totalitéest une pensée
« symbolique » ? Dans ce cas, l'entendement animalne s'exer-
ceraitlui aussique par symboles.Il sembleque ce soitdénaturer
le sensd'unmotpourtant assez clair.
S'il est vrai que nos processusmentaux,du moinsceux qui
différencient profondément l'esprithumaind'avec l'entendement
animal,obéissentà deux tendancesdivergentes, l'une orientée
vers l'agencement des chosesvisibleset tangiblespour des fins
techniques,l'autreversla créationd'un mondede signeset de
substituts par lesquelsl'hommese transporte dansles êtreset les
choses, se reconnaîtpartouten eux, multipliéà une infinité
d'exemplaireset s'apparenteainsi à tout ce qu'enfermeson
horizon,cette divergencefonctionnelle se reproduisant dans le
langagelui donne continuellement un aspect de balancement entre
les deuxidéauxqu'ils'efforce d'atteindre. Selon les besoins les
et
circonstances, la penséediscursive paraîttantôtsuivrele courant
où se canalisel'intelligence technique, tantôts'abandonner à celui
dontles flotsvontse perdredans l'océande la vie universelle. En
ce sens,le langage est bien l'œuvre de l'homme tout entier et il
est vraiqu'oncomprend avectoutl'esprit; maison comprendplus
ou moinspar sympathie etplusou moinspar technique.Est-ceà
direque la questiondes rapportsde la penséeet du langagese
réduiseà ces termessimplesetpuisseêtrerésoluepar la considé-

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L. WEBER. - LE LANGAGEET LA PENSÉE. 123

rationde ce simpledualisme?Loinde là, et il seraitpuérilde


s'imagineravoirainsien mainsune clefpouvantouvrirtoutesles
serrures.N'oublionspas que la pensée opératriceet la pensée
symbolique supposent à leurtouruneactivité mentalesous-jacente,
plus directement sensorielle, vraisemblablement de mêmenature
des
que l'intelligence mammifères supérieurs, jusqu'à présentmal
et
connue, qu'il est à peu près impossibled'explorerpar l'intro-
spection. Néanmoins, à la lumièredece dualisme, lescontradictions
apparentesdes tendancesmanifestées dans le langage,les diver-
gencesqu'onobservedanssonprogrèsen précision, en puissance
en de
d'évocation, plasticité signification, les de ce
oscillations
progrès multiforme en
peuvent parties'expliquer comme étant
l'imagemêmede la vie spirituelle.
Resteraità examinerjusqu'à quel pointon peut souscrireà
l'opinionqu'il n'y a pas de fonction verbale,pas de facultas
signatrix distinctedes autres activitésde l'esprit.Jene voudrais
pas laisser le lecteursous l'impressionqu'il n'y a dans les
remarquesprécédentesqu'unechicanede terminologie, quoique
dans l'ensemblej'adhère volontiersaux idées exposées par
M. Delacroix,avec des restrictions toutefois quantà l'inexistence
diesimagesmotrices. Il semble,en effet, qu'à prendrele langage
tel qu'ilest aujourd'hui il n'existepointde fonc-
chezles civilisés,
tionverbaleséparée.Mais toutn'étaitpas fauxdansla théoriedes
localisations.La prédominance de l'hémisphère gaucheestdéjà
unepreuvequ'unerégiondistincte du domainecorticalestenjeu.
Indépendamment du centrede coordination motrice,qui a rem-
placéle centrede Brocacommesiège de l'aphasiemotrice, il y a
une sphèrede la penséeverbale,dansle mêmehémisphère, assez
nettement délimitée1.Ceci n'entraîne-t-il pas présomptionen
faveurd'unespécialisation fonctionnelle originelle?La tendanceà
la symbolisation, tendanceaffectivo-sociale, me paraîtêtre le
germe, le noyau embryonnaire de la pensée verbaleet de la
penséeconceptuelle. D'elle aussiprocéderait la réflexion,ou con-
scienceréfléchiede nos étatsde conscienceet de notreactivité
mentale.Contrairement à l'opinioncourante,nous n'avons de
nous-mêmequ'une connaissanceintellectuelle. Sans les idées,
nous n'aurionspas consciencede notreconscience.Aprèss'être

1. H. Piéron,Le Cerveau et la Pensée, p. 278-283.

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124 REVUE DE MÉTAPHYSIQUEET DE MORALE.

projetédans les êtres animés, commeaussi dans les choses


paraissantanimées,qui lui renvoientson image,l'hommepeut
arriverà se contempler, mais ce sontalorsdes significations de
symbolesqui parviennent à sa conscience.L'intuition affective est
d'abordunactecentrifuge, et c'estpar elleque se créentles sym-
boles, en mômetempsque se développela fonction de relation
mentalede vivantà vivant.La connaissance réfléchie estun acte
centripèteultérieur;je ne crois pas qu'elle soit jamaisintuitive.
Le Cogitoest une sortede résuméde l'expérience corrélative à
l'exercicede la fonction affectivo-sociale du langage,un produit
ultimede la penséesymboliqueet nonune intuition primitive. Ce
n'estpas l'activitéopératrice qui a créé les symbolesgénérateurs
des concepts ; c'est une intimecoopérationde puissantssenti-
mentscollectifs avec l'émotionindividuelle, sui generis,qui a du
accompagner longtemps l'émission des paroleset la consciencede
leur signification. Ce n'estpas tantdu besoinde communication
que de la tensionde communion magique que sont sortiesles-
idées; leur matricepsychologiqueest l'entendementaffectif,
promoteurde la pensée symbolique.L'intelligencetechnique
construitdes schemesd'opérations, c'est-à-direde l'intelligible
il
pur. Quand s'agit d'existences et de valeurs,elle ne convient
pas. Le physicienqui seraitabsorbétotalement et sans relâche
dansses expériences et ses mesures,le géomètredans ses raison-
nementset ses équationsauraientmoinsde connaissance de soi-
mêmeque le paysanvivantavec ses bêtes.Mais l'histoire de la
transformation du symbole en idée ne sera jamais faite,puisqu'il
s'agitd'étapes antérieuresà toute histoire.S'il est difficile de
maintenir l'hypothèse d'une fonction verbale séparée, exprimant
unefacultéspécialede Pesprithumaintel qu'il se montreaujour-
d'huidansla civilisation, il ne s'ensuitpas que cettefonction n'ait
pas existé aux premiersâges indépendamment l'aptitude de à la
technique matérielleet sans communauté de rôleavec elle. Deux
courantsdistincts qui cheminent endivergeant finissent cependant
par confondre leurs eaux lorsque leurs litsrespectifs s'élargissent
plusvitequ'ilsne s'écartent. La physiologie cérébralen'a du reste
pas dit son dernier mot. A l'engouement pour la doctrinedes
localisationsa maintenant succédéla légendede sa faillite ; mais
Jeproblèmedes localisationsne cesse pas de se poser et son
importance n'a pas diminué.Il fautattendresa maturité. Il n'est

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L.WEBER. -- LE LANGAGEET LA PENSÉE. 125

pas certainnonplusque sa solution mûriedoiveapporter une con-


firmation scientifiqueà la thèse en faveur d'une intelligence
humaineunifiéedès son apparition.Aujourd'hui même,les acti-
vités intellectuellescontinuent à se manifester sous les deux
formes sus-indiquées,entrelesquellesil n'ya pas identitéde prin-
cipe, si ce n'estsous le couvert de vagues généralités.Mais le
se
problème complique encore du faitque ces deuxformes enve-
un
loppent comportement plusprofondet plusvital,qui est celui
de toutel'animalitésupérieure, à laquellel'hommeestphysiolo-
et
giquement psychologiquement apparenté.Cettetriplecompli-
cation, IVI. Delacroixl'établit,peut-êtresansle vouloir,avecune
eminenteautorité,par la richessede soninventaire de faitscon-
trôlés,par l'étenduede son enquête,la sincérité de ses analyses
et l'impartialitéde ses confrontations. En l'état présentde la
question,c'estsans doutele servicele plus urgentque Tonpuisse
rendreà la psychologie du langage.
Louis Weber.

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