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CRAI 2015, II (avril-juin), p.

1003-1038

COMMUNICATION

les relations entre l’égypte et le levant aux ive et iiie


millénaires à la lumière des fouilles de tell es-sakan,
par m. pierre de miroschedji

La dernière communication que j’ai eu l’honneur de présenter


ici le fut en 2013 sous le patronage de Jean-François Jarrige. En
préambule de celle d’aujourd’hui, je tiens à rappeler, avec gratitude
et émotion, le souvenir de votre confrère qui a longtemps suivi mes
travaux avec bienveillance et amitié. M. Nicolas Grimal a accepté à
son tour de m’accorder son patronage, et je l’en remercie vivement.

Le site de Tell es-Sakan a fait l’objet en 1999 de sondages dont


j’avais rendu compte l’année suivante dans une note d’information1.
Une seconde campagne a eu lieu en 2000, co-dirigée elle aussi avec
Moain Sadeq, alors directeur du Service des antiquités de Gaza2. Les
fouilles ont dû ensuite être interrompues en raison de la situation
locale. Mes espoirs d’une reprise des travaux ont depuis lors
été déçus année après année. La publication finale de ces deux
campagnes de fouilles sera l’occasion d’une synthèse sur la
contribution de Tell es-Sakan à la connaissance des relations les plus
anciennes entre l’Égypte et le Levant. Ce sont les grandes lignes de
cette synthèse qui font l’objet de cette communication.
La première période des relations entre l’Égypte et le Levant
remonte aux IV e et IIIe millénaires ; elle commence au début du
IV e millénaire, quand s’instaurent des contacts fréquents et continus
entre la Basse Égypte et le Levant méridional, et se prolonge jusque
vers 2200 av. notre ère, quand l’effondrement de l’Ancien Empire

1.  P. de Miroschedji, M. Sadeq, « Tell es-Sakan, un site du Bronze ancien découvert dans la
région de Gaza », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
2000, fascicule I (janv.-mars), p. 123-144.
2. P. de Miroschedji, M. Sadeq, « Gaza et l’Égypte de l’époque prédynastique à l’Ancien
Empire, premiers résultats des fouilles de Tell es-Sakan », Bulletin de la Société Française
d’Égyptologie 152, 2002, p. 28-52 ; P. de Miroschedji et alii, « Les fouilles de Tell es-Sakan (Gaza) :
nouvelles données sur les contacts égypto-cananéens aux IVe-IIIe millénaires », Paléorient 27/2,
2002, p. 75-104.
1004 comptes rendus de l’académie des inscriptions

met fin à tout rapport pour plusieurs siècles3. Pendant ces quinze
siècles environ, les relations égypto-levantines ont connu une évolu-
tion sensible. Les données archéologiques palestiniennes permettent
d’en établir la périodisation, fondée sur l’observation de la nature,
de la fréquence et de la portée géographique de ces contacts (fig. 1).
On peut y reconnaître 7 phases, synchronisées grosso modo avec les
principales divisions des chronologies égyptienne et palestinienne.
Elles rythment les principales étapes d’un développement dont il
faut souligner le caractère dynamique : après une phase exploratoire
(phase 1), se succèdent trois phases (phases 2 à 4) qui ont abouti à la
mise en place d’un domaine colonial égyptien au Levant méridional,
puis deux phases (phases 5 et 6) au cours desquelles la Palestine a
été peu à peu marginalisée alors que se développaient des relations
privilégiées entre l’Égypte et Byblos ; la dernière phase (phase 7)
est marquée par l’arrêt complet des contacts entre les deux régions.
L’occupation de Tell es-Sakan couvre les phases 4 à 6 et s’articule
en fonction de trois périodes : une période d’occupation égyptienne
(phase 4), une période d’abandon du site (phase 5) et une période
d’occupation cananéenne (phase 6).

1. La période d’occupation égyptienne4


1.1. Les antécédents

Pour situer la fondation de Tell es-Sakan dans son contexte


historique, il faut rappeler brièvement les développements qui

3.  La synthèse la plus récente et la plus complète couvrant l’ensemble de la période est celle de
K. N. Sowada, Egypt in the Eastern Mediterranean during the Old Kingdom, An Archaeological
Perspective, Orbis Biblicus et Orientalis 237, Fribourg-Göttingen, 2009.
4.  Plusieurs articles de synthèse portent sur cette période, mais ne prennent pas ou guère en
considération les résultats des fouilles de Tell es-Sakan. Outre K. N. Sowada, op. cit. (n. 3), on citera
particulièrement E. Braun, E. C. M. van den Brink, « Appraising South Levantine-Egyptian
Interaction, Recent Discoveries from Israel and Egypt », dans Egypt at Its Origins 2, B. Midant-
Reynes et Y. Tristant éd., Louvain, 2008, p. 643-675 ; E. Braun, « Early Interaction between Peoples
of the Nile Valley and the Southern Levant », dans Before the Pyramids, the Origins of Egyptian
Civilization, E. Teeter éd., Chicago, 2011, p. 109-127 ; M. Campagno, « Centros y periferias en las
relaciones entre el valle del Nilo y el Levante meridional en torno del Calcolítico Tardío y el Bronce
Antiguo (ca 3700-2700 a. C. ) », Rivista degli Studi Orientali, Nuova Serie 83, 2010, p. 198-216 ;
B. Anđelković, « Hegemony for Beginners: Egyptian Activity in the Southern Levant during the
Second Half of the Fourth Millennium B. C. », Issues in Ethnology and Anthropology 7/3, 2012,
p. 799-806 ; U. Hartung, « Interconnections between the Nile valley and the southern Levant in the
4th millennium BC », Orient-Archäologie 31, 2014, p. 107-133.
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1005

Levant Tell es- Caractérisation des relations Égypte Dates


Phases
Sud Sakan égypto-levantines Delta Hte Égypte approx.

Effondrement de la civilisation urbaine au 1re Période


Bronze Levant sud : cessation de tout contact intermédiaire
7 interméd. avec l’Égypte, mais poursuite des 2200
BA-BM échanges directs entre l’Égypte et Byblos
Abandon jusqu’à l’effondrement de la 6e dynastie.
définitif
Ancien 2400
1 Développement de relations exclusives empire
2 et directes entre l’Égypte et Byblos, (3 -6 dyn.)
e e

Bronze 3 contournant la Palestine.


6 ancien 4 Expéditions militaires égyptiennes sur le 2600
III littoral cananéen
5 Muraille C

Émergence des cités-états cananéennes :


réorganisation des échanges égypto- 2800
Abandon Époque
5 Bronze levantins ; contacts « officiels », thinite
ancien échanges de « cadeaux » (1e-2e dyn.)
II
3000
6 Muraille B
Création de comptoirs égyptiens au sud-
Bronze Narmer
4 ancien 7 Muraille A2 ouest de la Palestine ; établissement de
LEC 3 Dyn. 0
IB final 8 Muraille A1 structures administratives étatiques (Buto IIIB) Naqada IIIb-c1 3200
Bronze 9
Début de l’exploitation coloniale LEC 2 Naqada
3 ancien égyptienne du sud-ouest de la Palestine (Buto II-IIIA) IIc-d - IIIa
IB
3400
Bronze Développement des relations ; Naqada
2 ancien mise en place des réseaux d’échanges IIa-b
IA 3600
LEC 1
(Buto I)

1 Chalco- Phase exploratoire : 3800


lithique Naqada I
contacts sporadiques
récent

Fig. 1. – Tableau des relations entre l’Égypte et le Levant sud au ive et au iiie millénaire.

l’ont précédée (fig. 1). Si l’on omet la phase 1, mal documentée et


marquée par des contacts sporadiques à la fin du V e et au début du
IV e millénaire5, c’est à partir de la phase 2, dès les environs de 3700
av. notre ère, que les contacts égypto-palestiniens sont devenus plus
réguliers. Les échanges directs ne concernaient alors que la Basse
Égypte, en l’occurrence surtout Maadi, et quelques sites du Bronze
ancien IA (Taur Ikhbeineh, Wadi Ghazzh H) situés à l’extrême sud-

5.  Sur ces relations, voir notamment E. Braun, E. C. M. van den Brink, op. cit. (n. 4), p. 644-650 ;
U. Hartung, op. cit. (n. 4), p. 109-110 ; F. Klimscha, J. Notroff, U. Siegel, « New Data on the Socio-
Economic Relations between Egypt and the Southern Levant in the 4th Millennium BC. A Jordanien
Perspective », Orient-Archäologie 31, 2014, p. 165-180.
1006 comptes rendus de l’académie des inscriptions

ouest de la Palestine. Ils portaient sur le cuivre de Feinan dans la


vallée de la ‘Arava, le bitume de la mer Morte, ainsi que des poteries
et des outils de silex et de basalte. Le cuivre était alors, semble-t-il,
le focus de ces échanges6. La domestication de l’âne, qui remonte à
cette époque7, a rendu possible les premiers échanges caravaniers le
long de la route terrestre du nord du Sinaï8. Mais plusieurs indices
suggèrent que, dès cette haute époque, les contacts égypto-levantins
empruntaient aussi la voie maritime, remontant à l’occasion jusqu’à
la côte libanaise9.
La phase 3, à partir d’environ 3400 av. notre ère, marque le
commencement d’une forte implication égyptienne au Levant sud.
Elle s’est développée à une époque cruciale en Égypte, celle de
l’unification culturelle progressive de la Haute et de la Basse Égypte
sur l’horizon des époques de Naqada IIC-D et IIIA, auxquelles
correspond en Palestine la plus grande partie du Bronze ancien IB10.
Les sites attestant une présence égyptienne à la phase 3 sont
désormais plus nombreux, aussi bien le long de la route terrestre
nord-sinaïtique que dans le sud-ouest de la Palestine, où ils sont
disséminés sur une aire plus vaste que précédemment, qui s’étend
vers le nord jusqu’à la rivière Yarqon et vers l’est jusqu’au piémont de

6.  K. Pfeiffer, « The Technical Ceramic for Metallurgical Activities from Hujayrât al-Ghuzlan
and Comparable Sites in the Southern Levant », Orient-Archäologie 23, 2009, p. 11-44 ; A. Abdel-
Motelib et alii, « Archaeometallurgical expeditions to the Sinai Peninsula and the Eastern Desert of
Egypt (2006, 2008) », Metalla (Bochum) 19, 2012, p. 47-49 ; A. Golani, « Ashqelon during the EB
I period – a center for copper processing and trade », dans The Nile Delta as a centre of cultural
interaction between Upper Egypt and the Southern Levant in the 4th millennium BC, A. Mączyńska
éd., Poznań, 2014, p. 130-132.
7.  R.  Abłamowicz, «  Animal Remains  », dans  Tell el-Fakhra I. Excavations 1998-2011,
M. Chłodnicki, K. M. Ciałowicz et A. Mączyńska éd., Poznań-Cracovie, 2012, p. 420.
8.  Voir P. de Miroschedji, « Les Égyptiens au Sinaï du nord et en Palestine au Bronze ancien »,
dans Le Sinaï durant l’Antiquité et le Moyen Âge, D. Valbelle et C. Bonnet éd., Paris, 1998, p. 20-32,
avec les références ; Y. Yekutieli, « Settlement and Existence Patterns in North Sinai in the Fifth to
Third Millennia BCE », dans Egypt and the Levant, Interrelations from the 4th Through the Early
3rd Millennium BCE, E. C. M. van den Brink et T. E. Levy éd., Londres, 2002, p. 422-433.
9.  E. Marcus, « Early Seafaring and Maritime Activity in the Southern Levant from Prehistory
Through the Third Millennium BCE », dans Egypt and the Levant, op. cit. (n. 8), p. 405-407 ;
R. Gophna, « Elusive Anchorage Points along the Israel Littoral and the Egyptian-Canaanite
Maritime Route during the Early Bronze Age I », ibid., p. 418-421 ; R. Gophna et N. Liphschitz,
« Palmahim-Giv‘at Ha’esev: A Navigational Landmark for Ancient Mariners? » dans Exploring the
Longue Durée, Essays in Honor of Lawrence E. Stager, J. D. Schloen éd., Winona Lake, 2009,
p. 137-140.
10.  Sur ce processus d’unification culturelle en Égypte, voir en dernier lieu C. Köhler, « The
Interaction Between and the Roles of Upper and Lower Egypt in the Formation of the Egyptian
State. Another Review », dans Egypt at Its Origins 2, op. cit. (n. 4), p. 515-543.
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1007

la Judée. À l’intérieur de ce territoire, où domine alors la culture dite


d’« Erani C 11 », on peut distinguer entre les sites qui ont livré des té-
moignages univoques d’une présence égyptienne (Wadi Ghazzeh H,
Taur Ikhbeineh, Tel Halif, Tel Erani), ceux qui n’en ont fourni que
des indices peu nombreux (Azor, Hartouv), et ceux enfin qui n’en
ont révélé aucune trace, malgré leur proximité avec les précédents
et en dépit de fouilles extensives, comme par exemple Horvat Ptora,
voisin de Tel Erani12. Il semble donc que les colons égyptiens se sont
installés de manière sélective sur quelques sites seulement de cette
région, probablement pour des séjours saisonniers. Leur répartition
le long de la côte et dans les collines de l’intérieur suggère que les
Égyptiens s’intéressaient alors principalement aux produits de la
vigne et de l’olivier.
La pauvreté relative des traces archéologiques d’une présence
égyptienne au Levant sud contraste avec l’abondance des témoi-
gnages d’importations de produits palestiniens en Égypte. Il s’agit
essentiellement de poteries originaires du sud-ouest de la Palestine et
caractéristiques de la civilisation d’Erani C13. On les trouve surtout
dans des sites du Delta, notamment à Minshat Abu Omar et à Tell
el-Fakhra, et aussi, dorénavant, en Haute Égypte, particulièrement
en Abydos dans le cimetière d’Oumm el-Qaab, où la tombe U-j,
attribuée au roi Scorpion I, a livré près de 700 vases, la plupart de
type palestinien, qui contenaient des résidus de vin mélangé à des
figues14.
Ces quantités considérables de produits importés du Levant sud
traduisent davantage qu’un commerce mené par des marchands
cananéens15  ; elles reflètent plutôt une mise en exploitation de ce

11.  Y. Yekutieli, « The Ceramic Assemblage of Level C of the Early Bronze Age IB1 in Area DII
in Tel Erani », dans Aharon Kempinski Memorial Volume, Studies in Archaeology and Related
Disciplines, E. D. Oren et S. Ahituv éd., Beer Sheva, 2002, p. 59*-79*.
12.  I. Milevski, Y. Baumgarten, « Between Lachish and Tel Erani: Horvat Ptora, a new Late
Prehistoric site in the Southern Levant », dans Proceedings of the 5th International Congress on the
Archaeology of the Ancient Near East, Madrid, 3-8 avril 2006, J. M. Cordoba et alii éd., Madrid,
2008, p. 609-626.
13.  M. Czarnowicz, « Erani C Pottery in Egypt », dans The Nile Delta as a Centre of Cultural
Interaction, op. cit. (n. 6), p. 95-104.
14.  P. E. McGovern, D. L. Glusker, L. J. Exner, « The Organic Contents of the Tomb U-j Syro-
Palestinian Type Jar: Resinated Wine Flavored with Figs », dans Umm el-Qaab II: Importkeramik
aus dem Friedhof U in Abydos (Umm el-Qaab) und die Beziehungen Ägyptens zu Vorderasien im 4.
Jahrtausend v. Chr., U. Hartung éd., Mainz, 2011, p. 399-403.
15.  C’est l’interprétation d’U. Hartung, op. cit. (n. 4), p. 112-113.
1008 comptes rendus de l’académie des inscriptions

territoire par des colons égyptiens en résidence saisonnière dans


quelques établissements. Les produits levantins, essentiellement du
vin, étaient expédiés en Basse Égypte par la route terrestre du Sinaï
septentrional, et probablement aussi par la voie maritime. L’origine
libanaise de certains vases trouvés dans la tombe U-j implique en
effet l’existence de relations maritimes entre le Delta et le Levant
central16, ce que suggère par ailleurs l’apparition soudaine en Égypte
à cette époque de lapis lazuli originaire d’Afghanistan et importé de
Syrie17.

1.2. Le site et les fouilles

La présence égyptienne au sud du Levant a considérablement


changé d’échelle et de caractère lors de la phase 4, qui date en
Égypte de l’époque de la Dynastie 0 et du début de la 1re dynastie, et
en Palestine de la fin du Bronze ancien IB et du tout début du Bronze
ancien II, entre environ 3250 et 3000 av. notre ère. Cette époque
correspond à la première période d’occupation de Tell es-Sakan
(fig. 1).
Situé au sud de Gaza Ville, à 1,5 km à l’intérieur des terres, Tell
es-Sakan se trouvait à l’origine près de l’embouchure du Wadi
Ghazzeh et a servi de port (fig.  13). Entièrement recouvert par
une dune récente, le site a été découvert par hasard en 1998 à la
faveur du creusement des fondations de plusieurs immeubles. D’une
hauteur d’environ 9 m au-dessus du sol vierge, le tell a une superficie
indéterminée, de l’ordre de 4 à 5 hectares.
Au cours des deux campagnes de fouilles qui ont eu lieu à Tell es-
Sakan, trois chantiers ont été fouillés, dont la localisation exploitait
la topographie créée par le creusement de tranchées de fondation
modernes (fig. 2) : la tranchée principale, celle du chantier A, pro-
fonde de 7,5 m sous la surface, donnait accès aux niveaux profonds ;
une deuxième tranchée, celle du chantier C, exposait les niveaux
moyens ; enfin l’espace intermédiaire, correspondant au chantier B,

16.  U.  Hartung et alii, « Imported Pottery from Abydos: A New Petrographic Perspective »,
Ägypten und Levante 25, 2015, p. 298-304.
17.  S. Hendrickx, L. Bavay, « The Relative Chronological Position of Egyptian Predynastic and
Early Dynastic Tombs with Objects Imported from the Near East and the Nature of Interregional
Contacts », dans Egypt and the Levant, op. cit. (n. 8), p. 61-66.
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1009

Fig. 2. – Vue d’ensemble des trois chantiers fouillés


à Tell es-Sakan. Vers le sud-est.

permettait le dégagement des niveaux de surface. Ces trois chantiers


étant situés dans le prolongement l’un de l’autre, on a pu établir
une coupe générale de 70 m de long, où l’on a reconnu 9 niveaux
appartenant à deux périodes d’occupation principale (fig. 1 et 3) :
‒ une période égyptienne, correspondant aux quatre niveaux infé-
rieurs, 9 à 6, datée de l’époque de Naqada IIIB (ou Dynastie 0) et du
tout début de la 1re dynastie, soit une durée d’au moins deux siècles,
entre environ 3250 et 3100/3000 d’après le C 1418 ;
‒  puis, après un long hiatus correspondant au Bronze ancien
II palestinien et au début du Bronze ancien III, une période
cananéenne marquée par les niveaux 5 à 1 et datée de la seconde
moitié du Bronze ancien III palestinien, entre environ 2650 et 240019.
Parmi les niveaux égyptiens, les fouilles ont surtout concerné
les niveaux 7 et 6 au chantier A, les niveaux 8 et 9 n’ayant été
qu’entrevus dans d’étroits sondages (fig. 4).
La découverte majeure au chantier A est celle des fortifications du
site (fig. 5-6). Trois murailles ont été reconnues : la Muraille A dont
les deux états successifs, A1 et A2, relèvent des niveaux 8 et 7 ; la

18. M. Dee et alii, « An absolute chronology of early Egypt using radiocarbon dating and
Bayesian statistical modelling », Proceedings of the Royal Society A, 2013, 469 : 20130395 (<http://
dx.doi.org/10.1098/rspa.2013.0395>), tableaux S1 et S7.
19.  Les datations C 14 de Béta Analytics et du Weizmann Insitute (encore inédites) indiquent
une date vers 2600/2550 pour le niveau 4 et vers 2450 pour le niveau 1.
Chantier C Chantier B Chantier A

AG 45 AF 45 AE 45 AD 45 AC 45 AB 45 AA 45 Z 45 Y 45 X 45 W 45 V 45 U 45 T 45

28.00 m 28.00 m
1
1 1
27.00 m 27.00 m
26.00 m 2
26.00 m
Non fouillé 2
25.00 m 3 25.00 m
24.00 m 3 24.00 m
4 Muraille C
23.00 m 4 23.00 m
Non fouillé 5 4
22.00 m 5 22.00 m
5
21.00 m 6 6 Glacis C 21.00 m
1 Niveau A-1 / B-1 / C-1 7
20.00 m 7 Muraille B 20.00 m
8 A2 A1 Glacis B
2 Niveau A-2 / C-2 9
19.00 m Non fouillé 19.00 m
3 Niveau A-3 / C-3 18.00 m Sable vierge Muraille A
18.00 m
4 Niveau A-4 / C-4
10 mètres
5 Niveau A-5 / C-5
6 Niveau A-6
7 Niveau A-7
8 Niveau A-8
Occupation cananéenne (niveaux 5 à 1 : Bronze ancien III)
9 Niveau A-9
Sable vierge Occupation égyptienne (niveaux 9 à 6 : Bronze ancien IB finale / début Bronze ancien II)

Fig. 3. – Coupe générale le long de la paroi sud-est des chantiers A, B et C.


L’ÉGYPTE ET LE LEVANT (IVe-IIIe MILLÉNAIrES) 1011

fig. 4. – Vue générale du chantier A à la fin des fouilles. Vers le sud-ouest.

T 42 U 42 V 42 W 42 X 42 Y 42 Z 42

27.00 m 27.00 m

26.00 m 26.00 m

25.00 m Partie non relevée 25.00 m

24.00 m 24.00 m
MURAILLE C 3
23.00 m 23.00 m
4
22.00 m 22.00 m
5
21.00 m
:
6 21.00 m

20.00 m 20.00 m
Glacis C A1 A2 7
19.00 m
MURAILLE B
8 19.00 m
9 Sable vierge
18.00 m 18.00 m
Glacis B

Bastion ?

Glacis B
MURAILLE MURAILLE
B A1 A2
43

44
Bastion ?

Poterne

45

Sondage A
(1999)

N
3 Niveau A-3
4 Niveau A-4 6 Niveau A-6 8 Niveau A-8
5 mètres
5 Niveau A-5 7 Niveau A-7 9 Niveau A-9

fig. 5. – Coupe nord-ouest du chantier A et plan


des vestiges des niveaux A-6 à A-8 mis au jour.
1012 comptes rendus de l’académie des inscriptions

Fig. 6. – Vue des fortifications dégagées au chantier A. Vers le nord-ouest.

Muraille B, qui appartient au niveau 6 ; et la Muraille C, beaucoup


plus tardive, qui date de l’établissement cananéen du Bronze ancien
III (voir ci-dessous, p. 1029).
L’établissement initial (niveau 9) était probablement une
agglomération ouverte. Construite au niveau 8, la première fortifica-
tion (Muraille A1) est un mur en brique crue de seulement 1,5 m
d’épaisseur, doté peut-être d’un bastion externe. Au niveau 7, son
épaisseur a été portée à 3,50 m par l’adjonction, du côté intérieur,
de la Muraille A2. Enfin, ces fortifications initiales ont été
volontairement arasées au niveau 6 pour faire place à la Muraille
B, édifiée environ 3  m en avant de la précédente avec une
épaisseur de 3,80 m (fig. 7-8) ; sa base était protégée par un glacis de
terre d’environ 2 m de hauteur et 5 m de largeur, et elle comportait
probablement un bastion rectangulaire dans lequel on pénétrait par
une poterne, ce qui implique soit une chambre intérieure, soit un
escalier d’accès au sommet.
Ces fortifications comptent parmi les plus anciennes connues au
Levant20. Elles sont aussi les seules fortifications égyptiennes de

20.  Les plus anciennes fortifications connues dans le nord de la Palestine et dans la vallée du
Jourdain et ses abords datent de l’extrême fin du Bronze ancien IB ou du tout début du Bronze
ancien II : voir P. de Miroschedji, « Fouilles de Tel Yarmouth : résultats des travaux de 2003 à 2009
L’ÉGYPTE ET LE LEVANT (IVe-IIIe MILLÉNAIrES) 1013

fig. 7. – La Muraille B, vers l’ouest (carrés U-V 42-43).

fig. 8. – Face externe de la Muraille B (carré U 42-43). Vers le nord-est.


1014 comptes rendus de l’académie des inscriptions

cette époque attestées par des fouilles21, donnant ainsi l’illustration


archéologique des représentations d’enceintes crénelées sur des
palettes et des sceaux-cylindres égyptiens contemporains22. Leur
séquence de construction au cours de trois niveaux successifs (8 à
6) évoque un établissement dont l’installation s’est progressivement
consolidée au cours d’un laps de temps assez long, au moins deux
siècles23.
De l’établissement protégé par ces fortifications, il ne subsiste,
après le passage des excavatrices, que de pauvres restes. Sauf
quelques éléments isolés, les vestiges du niveau A-6 ont été entière-
ment enlevés et ne sont plus visibles que dans les coupes latérales
du chantier A (fig.  5). Ceux du niveau A-7 ont été arasés jusqu’à
0,2 à 0,5  m au-dessus des sols (fig.  4-5). Quant aux niveaux A-8
et A-9 ils ont juste été repérés dans d’étroits sondages au nord et
au sud du chantier. Notre connaissance des habitations domestiques
concerne donc principalement le niveau A-7, où l’on a mis au jour
un réseau dense d’habitations rectangulaires construites en briques
crues de petites dimensions (24 × 12 × 6 cm) agencées suivant des

(14e-18e campagnes) », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres, 2013, fascicule II (avril-juin), p. 761, n. 4. Elles pourraient être contemporaines de la
Muraille B de Tell es-Sakan, mais sont probablement plus récentes que les Murailles A2 et A1. La
mission israélo-polonaise qui a repris en 2013 les fouilles de Tel Erani a mis au jour un court
segment d’une muraille en brique crue de 9 m d’épaisseur et proposé de la dater de la même époque
que Sakan 7-6 : voir K. M. Ciałowicz et alii, « Egyptian-Levantine Connections: New Evidence for
Early Bronze Age Fortifications and Some Preliminary Results of an Initial Season of Investigations
at Tel Erani, Israel », dans Current Research in Egyptology – Proceedings of the 15th Annual
Symposium, M. S. Pinarello et alii éd., Oxford, 2015, p. 13-28. Cette muraille avait déjà été repérée
dans les fouilles anciennes de S. Yeivin : elle avait été attribuée alors au niveau V (contemporain de
Sakan 7-6), mais elle a ensuite été redatée, à partir d’une argumentation convaincante, au Bronze
ancien III par B. Brandl, « Observations on the Early Bronze Age Strata of Tel Erani », dans
L’urbanisation de la Palestine à l’âge du Bronze ancien : bilan et perspectives des recherches
actuelles, P. de Miroschedji éd., Oxford, 1989, p. 379-383.
21.  Un état de la question sur les fortifications égyptiennes du IIIe millénaire a été établi
récemment par N. Moeller, « Urban walling in 3rd millennium Egypt », Cambridge Archaeological
Journal 14/2, 2004, p. 261-265, et par C. Vogel, « Keeping the Enemy Out – Egyptian Fortifications
of the Third and Second Millennium BC », dans The Power of Walls – Fortifications in Ancient
Northeastern Africa, F. Jesse et C. Vogel éd., Cologne, 2013, p. 73-100 – mais l’une et l’autre
ignorent les découvertes de Tell es-Sakan.
22.  Voir P. de Miroschedji, « Egypt and Southern Canaan in the Third Millennium BCE: Uni’s
Asiatic Campaigns Revisited », dans All the Wisdom of the East, Studies in Near Eastern Archaeology
and History in Honor of Eliezer D. Oren, M. I. Gruber et alii éd., Orbis biblicus et orientalis 255,
Fribourg-Göttingen, 2012, p. 271, n. 5.
23.  Contra U. Hartung, op. cit. (n. 4), p. 114, qui suppose à tort que Sakan a été fortifié « towards
the end of the Egyptian presence in southern Palestine  », c’est-à-dire vers la fin de la phase 4
(= niveau 6), alors que la Muraille A1 date du début de cette phase (= niveau 8).
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1015

Fig. 9. – Vestiges d’occupation des niveaux 7 et 6 au chantier A.


1. Restes de construction (niveau 7, carré Z 43, vers le sud) ;
noter les petites briques, de type égyptien.
2. Restes d’un silo (?) (niveau 7, carré Z 44, vers le sud-est).
3. Four de cuisson de moules à pain creusé dans la Muraille A1
arasée (niveau 6, carré V 45, L. 1084).

Fig. 10. – Foyer du niveau 6, creusé au bord de la Muraille A1 arasée


(carré V 45). État initial à gauche, état final à droite.

modèles typiquement égyptiens (fig. 9 : 1). La même remarque vaut


pour les installations qui leur sont associées : grands silos circulaires
(fig. 9 : 2), fours rectangulaires destinés à la cuisson de moules à
pain (fig. 9 : 3) ou foyers culinaires enterrés à fond de galets (fig. 10)
sont sans équivalent en Palestine à cette époque, mais couramment
1016 comptes rendus de l’académie des inscriptions

attestés dans les établissements contemporains du Delta égyptien,


tels que Tell el-Fakhra, Tell el-Iswid ou Tell Ibrahim Awad.
Le mobilier archéologique associé à ces vestiges est principale-
ment égyptien. La poterie locale cananéenne représente à peine
10 % du total. Comme elle est peu variée, illustrée surtout par des
marmites, il est malaisé d’en préciser la chronologie relative ; la
majorité des vases semblent dater de l’extrême fin du Bronze ancien
IB, voire même au début de la période suivante. La poterie égyp­
tienne, soit environ 90 % du total, date de l’époque de Naqada IIIB
et comprend à la fois des vases importés d’Égypte – essentiellement
des jarres à vin, très nombreuses, et des vases cylindriques (fig. 11 :
1-3) – et des vases égyptiens de fabrication locale, nettement plus
nombreux  ; il s’agit de bols carénés ou lotiformes (fig.  11  : 5-6),
d’écuelles et de bassins, de petites jarres (fig.  11  : 4), de jarres à
bière, de supports de vases (fig. 11 : 7), et surtout, par centaines, de
moules à pain (fig. 11 : 8), interchangeables avec leurs homologues
des sites du Delta du Nil.
Plusieurs tessons de jarres à vin portent un serekh fragmentaire.
Le mieux conservé est au nom de Nar(mer), mais il a été trouvé en
surface (fig. 12 : 3). Tous les autres serekhs proviennent du niveau
7 et datent de l’époque de Naqada IIIB (fig.  12  : 4-6). De petits
fragments de scellements de jarre à empreintes de sceau-cylindre
(fig. 12 : 1-2), dont des équivalents sont bien connus en Égypte et au
Levant sud sur le même horizon chronologique24, sont les témoins
de pratiques administratives égyptiennes. On a aussi mis au jour
quelques objets caractéristiques de la vallée du Nil – une figurine
de grenouille en faïence (fig. 12 : 9), un pendentif en nacre (fig. 12 :
7), un fragment d’étiquette en os (fig.  12  : 8). Comme la poterie,
l’industrie lithique est à la fois cananéenne et égyptienne. On signa­
lera encore quelques outils de pierre, dont une meule fragmentaire
en quartzite du Jebel el-Ahmar près du Caire, ainsi qu’un fragment
d’objet en granite d’Assouan, qui impliquent que même un lourd
mobilier de pierre pouvait être importé d’Égypte.

24.  Voir E. C. M. van den Brink, « The ‘En Besor Cylinder Seal Impressions in Retrospect »,
dans Excavations at ‘En Besor, R. Gophna éd., Tel Aviv, 1995, p. 201-214 ; T. E. Levy et alii,
« Egyptian/Canaanite Interaction at Nahal Tillah, Israel (ca 4500-3000 B.C.E.): An Interim Report
on the 1994-1995 Excavations », Bulletin of the American Schools of Oriental Research 307, 1997,
p. 16-18.
L’ÉGYPTE ET LE LEVANT (IVe-IIIe MILLÉNAIrES) 1017

fig. 11. – Exemples de poteries des niveaux 7 (n° 1-3, 5-8) et


8 (n° 4 et 5 à gauche). N° 1-3 : poteries importées en argile
marneuse. N° 4-8 : poteries de fabrication locale.
1018 comptes rendus de l’académie des inscriptions

L’analyse des restes organiques fournit des indications complé-


mentaires sur le mode de vie et les activités des habitants égyptiens
de Tell es-Sakan. Parmi les espèces cultivées, outre les céréales et
les légumineuses, on note l’abondance relative du figuier et surtout
celle de la vigne, encore largement cultivées aujourd’hui dans cet
environnement dunaire et alors en forte demande en Égypte. Parmi
les espèces animales, l’importance du bœuf, du porc et de l’âne est
révélatrice, car elle caractérise aussi les sites contemporains du Delta
égyptien25. En particulier, l’élevage du porc revêt une signification
culturelle, car les habitants cananéens de Sakan au Bronze ancien
III y renonceront complètement, alors que l’environnement du site
n’avait pas changé. Quant à l’âne, il était nécessaire aux échanges
caravaniers.

1.3. Comment interpréter les découvertes de Tell es-Sakan ?

1.3.1. Le caractère colonial de Tell es-Sakan


Ces découvertes désignent clairement Tell es-Sakan comme une
fondation égyptienne, habitée majoritairement par des Égyptiens.
Ceux-ci vivaient pratiquement en autarcie culturelle, mais main-
tenaient cependant des relations étroites avec leur pays d’origine.
Il s’agit donc clairement d’une colonie égyptienne établie en terre
étrangère – non pas une colonie de peuplement, mais un comptoir
permanent destiné à assurer l’exploitation économique d’un
territoire.
Sa fondation est intervenue à une période critique dans l’histoire
ancienne de l’Égypte : celle de l’unification culturelle de l’ensemble
de la vallée du Nil et du Delta, accompagnée d’un processus
d’intégration politique26. Dans le même temps, l’Égypte s’est
tournée vers des territoires périphériques (Nubie, Sinaï, Levant) à la
recherche des produits et matériaux exotiques dont ses élites socio-
politiques avaient besoin pour affirmer leur ascension. De ce fait, les
relations égypto-levantines se sont transformées : alors qu’à la phase
3 il y avait en Égypte de nombreuses poteries importées du Levant
méridional, et comparativement peu d’attestations de présence

25.  R. Abłamowicz, op. cit. (n. 7), p. 419-420.


26.  C. Köhler, op. cit. (n. 10).
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1019

Fig. 12. – Objets divers du niveau 7. N° 1-2 : fragments de scellement à empreinte de


sceau-cylindre. N° 3-6 : tessons avec serekh. N°7 : pendentif fragmentaire en nacre.
N° 7 : fragment d’étiquette (?) en os. N° 8 : Grenouille fragmentaire en faïence.
1020 comptes rendus de l’académie des inscriptions

égyptienne au Levant sud, à la phase 4 la situation est inversée ; les


témoins d’une présence égyptienne au Levant sud sont désormais
nombreux tandis qu’il y a peu de poteries importées de cette région
en Égypte. Cette situation reflète une relation asymétrique, de ­nature
coloniale, où les Égyptiens exploitent directement un territoire
levantin à partir d’avant-postes permanents, et expédient vers
le Delta du Nil dans des vases égyptiens le vin et l’huile récoltés
localement.
De fait, Tell es-Sakan n’était pas à cette époque un établissement
égyptien isolé au sud-ouest de la Palestine (fig. 13). On y connaît
aujourd’hui plus d’une quinzaine de sites ayant livré d’abondants
témoins matériels d’une présence égyptienne importante remon­
tant à cette époque, avec un mobilier archéologique en tous points
semblable à celui des niveaux 7 et 6 de Tell es-Sakan et des restes
de construction qui impliquent une présence prolongée de colons
venus d’Égypte27.

1.3.2. Organisation du territoire colonial égyptien du sud Levant


Toutefois, il existe alors des différences significatives entre les
établissements à présence égyptienne du sud-ouest de la Palestine.
Une première différence est d’ordre chronologique, car la durée
de l’occupation égyptienne a été variable selon les établissements :
il y a quatre niveaux égyptiens à Tell es-Sakan, au moins autant à Tel
Erani (IX-V), mais deux seulement à nahal Tillah (2b-2a), et un seul
à ‘En Besor (III), à Tel Ma’ahaz et à Tel Lod (IVa). Tous ces sites
semblent avoir connu simultanément une occupation égyptienne à la
fin de la période (époque de Narmer), mais certains (Tell es-Sakan,
Tel Erani) étaient déjà occupés à son début et le sont restés pendant
toute la durée de la phase 4. Ce sont des lieux d’implantation
égyptienne pérenne.
Une deuxième différence, qui découle de la précédente, est fondée
sur les quantités relatives du mobilier égyptien et local. De ce point
de vue, on peut distinguer trois catégories de sites (fig. 13) :
‒  Des sites égyptiens stricto sensu, où la quasi-totalité de la
culture matérielle est égyptienne dans toutes ses composantes

27.  E. Braun, E. C. M. van den Brink, op. cit. (n. 4), p. 659-672 ; E. Braun, op. cit. (n. 4),
p. 112-119 ; B. Anđelković, op. cit. (n. 4) ; U. Hartung, op. cit. (n. 4), p. 113-114.
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1021

(­architecture, poterie, glyptique, industrie du silex, etc.). En l’état


présent des connaissances, trois sites seulement répondent à ce
critère : Tell es-Sakan 9-6, qui est de loin le plus important ; ‘En
Besor III, qui couvre à peine 1200 m2 ; et Tel Ma’ahaz, qui semble à
peine plus étendu.
‒ Des sites mixtes, que l’on peut appeler « cananéo-égyptiens »,
dont la culture matérielle est principalement locale, la composante
égyptienne étant secondaire puisque la poterie égyptienne n’y
représente guère que 10 à 30 % du total. Certains sites de cette
catégorie, tels que Tel Erani, Nahal Tillah et Lod, ont livré un mo-
bilier égyptien interchangeable avec celui de Tell es-Sakan, avec des
serekhs et des scellements de jarre à empreintes de sceau-cylindre.
‒ Enfin, troisième catégorie, des sites dont la totalité de la culture
matérielle est locale et dans lesquels on trouve à l’occasion un ou
plusieurs objets égyptiens, principalement des objets de prestige
(vase en pierre dure, palette).
La répartition spatiale de ces trois catégories de sites invite à
reconnaître trois zones distinctes où la présence égyptienne s’est
manifestée selon des modalités différentes (fig. 13) :
‒ Groupés autour du Wadi Ghazzeh, au point d’arrivée en Canaan
d’une route terrestre qui longe la côte septentrionale du Sinaï et
d’une voie maritime qui dessert l’embouchure de la rivière, les
sites « égyptiens » stricto sensu formaient le nucléus d’un domaine
colonial. Seul site fortifié de la région, Tell es-Sakan était probable-
ment le centre administratif de ce domaine, vers lequel convergeaient
les produits rassemblés dans l’ensemble du territoire colonial en vue
de leur expédition en Égypte. Il aurait joué ainsi un rôle comparable
à celui de Gaza à l’époque ramesside, quand celle-ci était le centre
administratif du domaine égyptien en Canaan.
‒  La distribution des sites mixtes, dits «  cananéo-égyptiens  »,
délimite une zone de présence coloniale saisonnière ou intermit-
tente. On y trouve à la fois des sites tels que Tel Erani, Nahal Tillah
ou Lod, où la présence égyptienne a pu être importante et dévelop-
pée sur d’assez longues périodes – au point de laisser des vestiges
de construction –, et des sites où la présence égyptienne a été faible
ou éphémère, tels que Tel Yarmouth ou Tel Gezer. Régulièrement
espacés, ces établissements sont autant d’avant-postes qui assuraient
le maillage de l’ensemble du territoire colonial égyptien, depuis
1022 comptes rendus de l’académie des inscriptions

la rivière Yarqon jusqu’au Néguev. On peut rattacher à cette zone


quelques sites des marges semi-arides du Néguev septentrional
et central, auxquels les Égyptiens ont pu s’intéresser parce qu’ils
donnaient accès à des ressources spécifiques28.
‒  Le reste du territoire sud-levantin où sont répartis les sites
cananéens stricto sensu est une zone de contacts occasionnels
entre Égyptiens et populations autochtones. En effet, les trouvailles
d’objets égyptiens sont rares dans le nord de la Palestine, dans la
vallée du Jourdain et dans le bassin de la mer Morte. Cette zone
n’intéressait pas directement les Égyptiens, qui n’ont pas cherché
à s’y implanter. Toutefois, à la faveur de ces contacts, ils ont pu
découvrir l’intérêt économique de quelques sites, tels que
Mégiddo et Beth Yerah29, avec lesquels ils ont noué des relations
privilégiées, qui se développeront à l’époque suivante.

1.3.3. Fonctionnement du territoire colonial égyptien du sud Levant


Cette situation n’implique pas à proprement parler une domina-
tion égyptienne sur le sud-ouest de la Palestine. Elle s’apparente
davantage à celle des colonies urukéennes en Syrie du nord et au
Zagros et traduit une relation asymétrique entre un centre égyp-
tien demandeur de produits exotiques et une périphérie levantine
­incapable de les procurer sans l’intervention de colons30.
De fait, la localisation des sites à présence égyptienne fournit des
indications sur la raison d’être et le mode de fonctionnement des
colonies égyptiennes. Les sites cananéo-égyptiens sont répartis à
l’intérieur d’un territoire producteur de vigne et d’olivier, dont les
cultures sont confirmées par les découvertes archéologiques. La
fréquence des jarres à vin égyptiennes à Tell es-Sakan et dans les
établissements qui en dépendaient suggèrent que c’est le vin qui

28.  Y. Yekutieli, « The Desert, the Sown and the Egyptian Colony », Ägypten und Levante 14,
2004, p. 163-171 ; B. J. Saidel et alii, « Test Excavations at Rogem Be’erotayim in Western Negev »,
Journal of the Israel Prehistoric Society 26, 2006, p. 201-229.
29.  O. Ilan, Y. Goren, « The Egyptianized Pottery Vessels of Early Bronze Age Megiddo »,
Tel Aviv 30/1, 2003, p. 42-53.
30.  P. de Miroschedji, « The Socio-Political Dynamics of Egyptian-Canaanite Interaction in the
Early Bronze Age », dans Egypt and the Levant, op. cit. (n. 8), p. 48-53. Voir aussi M. Campagno,
op. cit. (n. 4). Pour une situation comparable en Syrie du nord, en Susiane et en Iran à l’époque
d’Uruk, voir G. Algaze, The Uruk World System, the Dynamic of Expansion of Early Mesopotamian
Civilization, 2e éd., Chicago-Londres, 2005.
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1023

était particulièrement recherché, comme déjà à l’époque précédente.


D’autres produits ont pu intéresser aussi les Égyptiens, mais dans
une moindre mesure, tels que l’asphalte de la mer Morte et le cuivre
des mines de Feinan, ou bien des pierres dures du Néguev central.
Façonnés en argile locale, les scellements à empreintes de sceaux-
cylindres mis au jour à ‘En Besor et à nahal Tillah31 suggèrent que
ces sites étaient des comptoirs où les produits envoyés des avant-
postes étaient reconditionnés dans des jarres. La découverte à ‘En
Besor III de plus de 55 empreintes de sceaux-cylindres différentes
sur des scellements32 implique que ce site réceptionnait des envois
de marchandises émanant de nombreux fonctionnaires égyptiens
exerçant dans plusieurs localités de la région. Or En Besor III a
pu servir d’entrepôt dépendant de Sakan. On entrevoit ainsi une
organisation coloniale hiérarchisée où des avant-postes expédiaient
les produits récoltés vers des comptoirs, qui les redirigeaient vers
Sakan, d’où ils étaient finalement envoyés en Égypte.
Les prospections au nord du Sinaï ont montré que la route
caravanière unissant le sud-ouest de la Palestine au Delta demeurait
active à cette époque33. Mais il est probable que la voie maritime,
empruntée depuis déjà des siècles (au moins dès la phase 2), était
alors utilisée de plus en plus souvent, sinon même principalement,
pour l’expédition des produits coloniaux vers l’Égypte (fig. 13). La
localisation de Tell es-Sakan à l’embouchure du Wadi Ghazzeh en est
une première indication. L’usage de jarres à vin de forme allongée,
mieux adaptées au transport maritime que ne l’étaient les jarres de
l’époque précédente, en est une autre. Plus significative encore est
la découverte en Égypte de poteries originaires du Levant central34
et celle, à Tell el-Fakhra, d’une statuette dont les yeux sont incrustés
de lapis lazuli, un matériau importé directement du Levant central
ou septentrional35. En somme, Tell es-Sakan était à la fois une tête

31. L’analyse pétrographique des trois scellements fragmentaires de Tell es-Sakan n’a pas
encore été faite.
32.  Voir E. C. M. van den Brink, op. cit. (n. 24).
33.  E. Oren, « Early Bronze Age Settlement in North Sinai: A Model for Egypto-Canaanite
Interconnections », dans L’urbanisation de la Palestine à l’âge du Bronze ancien, op. cit. (n. 20),
p. 389-405.
34.  U. Hartung et alii, op. cit. (n. 16), p. 322.
35.  M. Chłodnicki, K. M. Ciałowicz, « Golden Figures from Tell el-Fakhra », Studies in Ancient
Art and Civilization 10, 2007, p. 7-21.
1024 COMPTES rENdUS dE L’ACAdÉMIE dES INSCrIPTIONS

Vers Byblos
Zone d'installation
égyptienne permanente

Zone de présence
coloniale égyptienne

Expansion égyptienne
saisonnière HAIFA
T. Qashish
‘En Besor Site égyptien Beth Yerah
Yoqneam ʻEn Shadud
T. Erani Site cananéo-égyptien
Megiddo
T. Asawir
Beth Yerah Site cananéen
T. Abu

Jourdain
al-Kharaz

on
Yarq
Tel Aviv
Lod CANAAN
Maghar
M E R M E DI T E RRA NE E Palmahim Q. Jericho
Gezer
H. ‘Illin
T. Yarmouth JERUSALEM
Ascalon T. Erani
(Afridar) Amazya
GAZA
T. es-SAKAN T. Lachish
T. Ma‘ahaz
Rou N. Tillah
te m
a r it im T. Arad
e ‘En Besor N.
T. Malhata Bâb edh-Dhraʻ
Be
so
r

T. el-FAKHRA rre str e


Ro ut e te
el-Beda Kadesh Barnea
QANTARA
Minshat Abu Omar
Be‘erotayim
N. Avdat
Giv‘at Salit
Feinan
ISMAILIYA
SINAI 0 50 km
EGYPTE

fig. 13. – Carte de l’installation coloniale égyptienne


au sud-ouest de la Palestine à la Phase 4.

de pont égyptienne au Levant méridional et une escale majeure sur


la route maritime unissant le delta de l’Égypte à la côte libanaise.

1.3.4. Origine des colons égyptiens au sud Levant


La fondation de Tell es-Sakan et le développement du domaine
colonial égyptien au sud-ouest de la Palestine ont nécessairement
été l’œuvre d’un pouvoir politique égyptien fort et centralisé. Or
Sakan a été fondé à une époque antérieure à l’unification politique
de l’Égypte, pendant laquelle il existait des principautés indépen-
dantes susceptibles d’entretenir chacune des contacts extérieurs.
En l’état présent des connaissances, Tell el-Fakhra apparaît comme
la principauté du delta la plus susceptible d’avoir développé des
relations terrestres et maritimes avec la côte levantine et d’avoir
servi d’intermédiaire avec la Moyenne et la Haute Égypte. Les
découvertes archéologiques attestent son exceptionnelle prospérité
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1025

et montrent qu’elle a entretenu des relations suivies avec le sud-


ouest de la Palestine à l’époque des phases 3 et 4, c’est-à-dire avant
et pendant l’occupation de Tell es-Sakan36. On peut donc avancer
l’hypothèse qu’elle a joué un rôle majeur dans le développement de
l’exploitation coloniale du Levant méridional au IVe millénaire et
dans la fondation de Tell es-Sakan.

2. La période d’abandon du site


2.1. L’abandon de Tell es-Sakan et la fin du domaine colonial
égyptien du sud Levant

Tell es-Sakan a été abandonné, pacifiquement semble-t-il, à la


fin du niveau 6 (fig. 1). Les coupes du chantier A montrent que la
Muraille B s’est effondrée d’un bloc sur des habitations déjà ruinées
(fig.  3  : 5-6). Ses restes ont formé ensuite une éminence attaquée
par l’érosion. L’abandon de Tell es-Sakan a duré plusieurs siècles
(fig. 1). En chronologie palestinienne, cette phase d’abandon couvre
le Bronze ancien II (entre environ 3100 et 2850) et une partie du
Bronze ancien III (entre environ 2850 et 2650) ; en chronologie
égyptienne, elle correspond grosso modo aux trois premières dynasties.
Fait remarquable, tous les sites contemporains au sud de la plaine
côtière ont été abandonnés en même temps que Tell es-Sakan.
Toute trace de présence égyptienne a alors disparu au sud-ouest de
la ­Palestine. Cette vague d’abandons simultanés marque la fin du
domaine colonial égyptien. Cet événement s’est produit vers 3000
av. notre ère, c’est-à-dire au début de la 1re dynastie, puisque les po-
teries qui relèvent du Bronze ancien II de Palestine, c’est-à-dire de
la phase 5 des relations égypto-levantines, sont attestées en Égypte à
partir du règne de Djer, et surtout de celui de Den37.
L’abandon de Tell es-Sakan et des sites contemporains de la région
a eu des répercussions durables – preuve, s’il en était besoin, du rôle
déterminant qu’avaient joué les colons égyptiens dans l’économie

36. M. Czarnowicz, « Southern Levantine imports and imitations », dans Tell el-Fakhra I,


op. cit. (n. 7), p. 245-265.
37.  K. N. Sowada, op. cit. (n.  3), p.  39-44  ; K.  N.  Sowada, «  Never the Twain Shall Meet?
Synchronising Egyptian and Levantine Chronologies in the 3rd Millennium BC », Orient-
Archäologie 31, 2014, p. 293-314.
1026 comptes rendus de l’académie des inscriptions

locale : le sud de la plaine côtière est resté déserté pendant plusieurs


siècles, et on n’y connaît aucun site du Bronze ancien II38. Certains
sites n’ont jamais été réoccupés ; d’autres ne l’ont été qu’à partir
du milieu du Bronze ancien III, en même temps que Tell es-Sakan.
En revanche, la zone de collines à l’est de la plaine côtière centrale,
domaine des cultures de la vigne et de l’olivier, a vu se développer
alors des sites très importants, en particulier Tel Yarmouth39.

2.2. La réorganisation des échanges entre l’Égypte et le Levant

Cet abandon rapide du domaine colonial égyptien ne peut guère


s’expliquer que par une réorganisation complète des échanges
entre l’Égypte et le Levant motivée par des changements profonds
intervenus alors dans les deux régions.
En premier lieu, on assiste en Égypte dans le courant du
xxxie  siècle à l’affirmation d’une royauté unifiée disposant de
moyens d’action et d’un prestige sans précédent. Parallèlement,
l’urbanisation du Levant central et méridional a permis l’émergence
de cités-états capables désormais d’exploiter elles-mêmes les
ressources locales et d’en assurer l’expédition vers l’Égypte40. Aussi
la présence de colons égyptiens au sud-ouest de la Palestine n’était-
elle plus nécessaire ; des émissaires royaux dépêchés de temps à
autre auprès des cités-états locales suffisaient pour fournir à l’Égypte
les produits dont elle avait besoin.
En second lieu, les intérêts économiques des Égyptiens ont
changé à partir de cette époque : ils ne s’intéressaient plus guère au
cuivre de Feinan, puisqu’ils exploitaient désormais directement les
mines de Désert oriental et celles du Sinaï41, ni au vin du sud Levant,
puisqu’ils développaient alors leurs propres vignobles42. Ils recher-
chaient plutôt dorénavant des huiles aromatiques, des résines de

38.  N. Getzov, Y. Paz, R. Gophna, Shifting Urban Landscapes During the Early Bronze Age in
the Land of Israel, Tel Aviv, 2001, p. 26-27 et fig. 12.
39.  P. de Miroschedji, op. cit. (n. 20), p. 761-776.
40.  P. de Miroschedji, « The Southern Levant (Cisjordan) during the Early Bronze Age », dans
The Oxford Handbook of the Archaeology of the Levant, c. 8000-332 bce, A. Killebrew et M. Steiner
éd., Oxford, 2014, p. 313-319.
41.  A. Abdel-Motelib et alii, op. cit. (n. 6), p. 25-28, 50.
42.  M. A. Murray, « Viticulture and wine production », dans Ancient Egyptian Materials and
Technology, P. T. Nicholson et I. Shaw éd., Cambridge, 2000, p. 577-579.
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1027

conifère, ainsi que du bois de cèdre et de pin – tous produits


originaires non du sud-ouest de la Palestine, mais du nord de la
Palestine et du Liban43, des régions devenues familières après
des siècles de contacts maritimes sporadiques. Aussi les relations
égypto-levantines se sont-elles alors déportées vers le nord de la
Palestine et la côte libanaise.
Enfin, ces besoins économiques nouveaux ont probablement
stimulé le développement des transports maritimes, déjà actifs lors
de la phase précédente. L’utilisation de poutres en bois de conifère
dans les tombes de pharaons de la 1re dynastie suppose en
effet déjà l’utilisation de navires capables de transporter des frets
volumineux44.
Ainsi, des relations d’échanges d’un genre nouveau se sont alors
établies entre l’Égypte et le Levant. Il ne s’agissait plus, dorénavant,
d’exploitation coloniale mais d’échanges de « cadeaux », c’est-à-
dire du modèle d’échanges caractéristique de l’âge du Bronze, fondé
sur une réciprocité théorique, qui servait les intérêts des Égyptiens et
le prestige des princes levantins.
Les Égyptiens recevaient des denrées précieuses transportées
dans des vases utilitaires de petites dimensions, essentiellement des
cruches à engobe rouge ou à décor peint et des jarres en céramique
« métallique » à surface peignée. Ces vases sont originaires du nord
de la Palestine et de la côte libanaise45. Leur importation était un
privilège royal, car ces vases figurent dans le mobilier funéraire des
tombes de rois ou de leur entourage46.
En échange, les Égyptiens envoyaient des cadeaux prestigieux,
notamment des vases en pierre dure, cadeau royal par excellence,
souvent destiné au temple d’une divinité poliade ; c’est le cas de la
belle vaisselle en albâtre conservée jusqu’à la fin du Bronze ancien

43.  Voir M. Serpico, R. White, « A Report on the analysis of the contents of a cache of jars from
the tomb of Djer », dans Aspects of Early Egypt, J. Spencer éd., Londres, 1996, p. 128-139.
44.  K. N. Sowada, op. cit. (n. 3), p. 37-38.
45. R. Greenberg, N. Porat, « A Third Millennium Levantine Pottery Production Center:
Typology, Petrography, and Provenance of the Metallic Ware of Northern Israel and Adjacent
Regions », Bulletin of the American Schools of Oriental Research 301, 1996, p. 5-24 ; J.-P. Thalmann,
K. N. Sowada, « Levantine “Combed Ware” », dans ARCANE Interregional Vol. I, Ceramics,
M. Lebeau éd., Turnhout, 2014, p. 355-378 ; Y. Goren, analyses pétrographiques inédites de cruches
de Tel Yarmouth.
46. K. N. Sowada, op. cit. (n. 3), p. 39-44 ; B. Adams, N. Porat, « Imported Pottery with
Potmarks from Abydos », dans Aspects of Early Egypt, op. cit. (n. 43), p. 98-107.
1028 comptes rendus de l’académie des inscriptions

III dans le temple de ‘Ai47. La déférence envers une divinité locale


est indiquée aussi par une cruche inscrite après cuisson au nom
de «  Hem Khasti  », «  serviteur du dieu du pays montagneux  »,
probablement l’offrande d’un émissaire égyptien envoyé à Beth
Yerah48. Les vases en pierre ont pu circuler ensuite à l’intérieur de la
Palestine ; leur distribution reflète alors plutôt les réseaux d’échanges
intrapalestiniens que des contacts directs noués entre telle cité-état
et l’Égypte49.
Ces échanges ne concernaient pas que le nord de la Palestine ; les
Égyptiens étaient aussi en contacts réguliers avec la côte libanaise.
Le mobilier funéraire de tombes royales de la 1re dynastie compre-
nait notamment des cruches du type dit « d’Abydos » dont l’origine
libanaise est avérée50. La même observation s’applique à des cruches
de type comparable et de même origine trouvées dans des tombes de
particuliers de la 2e dynastie à Hélouan51. Il est probable que ces
échanges s’effectuaient par l’intermédiaire de Byblos52.

3. La période d’occupation cananéenne


3.1. La réoccupation de Tell es-Sakan

Après un abandon de plusieurs siècles, Tell es-Sakan a été


réoccupé dans le courant du Bronze ancien III, vers 2650 av. J.-C.
(fig.  1). C’était alors une cité cananéenne fortifiée, qui relevait
entièrement de la civilisation palestinienne locale, sans aucune
interférence culturelle égyptienne. Cet établissement est représenté
par les niveaux 5 à 1 (fig. 3).

47. R. Amiran, « The Egyptian alabaster vessels from Ai », Israel Exploration Journal 20, 1970,
p. 170-179.
48.  P. Kaplony, « The Beth Yerah Jar Inscription and the Annals of King Dewen – Dewen as
‘King Narmer Redivivus’ », dans Egypt and the Levant, op. cit. (n. 8), p. 464-486.
49.  Ainsi pour les quelques exemplaires signalés par K. N. Sowada, op. cit. (n. 3), p. 48-50.
50.  U. Hartung et alii, op. cit. (n. 16), p. 308-313, 320-322.
51.  C. Köhler, J.-P. Thalmann, « Synchronizing Early Egyptian Chronologies and the Northern
Levant », Orient-Archäologie 31, 2014, p. 181-206.
52.  Contra M. S. Saghieh, Byblos in the Third Millennium B.C. A Reconstruction of the
Stratigraphy and a Study of the Cultural Connections, Warminster, 1983, p. 104, 130-131, qui ne
connaissait pas les résultats des analyses pétrographiques récentes. Le fragment de vase inscrit au
nom de Khasekhemoui, bien que trouvé hors contexte, apparaît donc désormais comme un témoin
crédible d’un contact royal égypto-giblite à la fin de la 2e dynastie.
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1029

Fig. 14. – Chantier C, niveau 4 : vue générale vers le nord-ouest.

Édifiées au niveau 5, les fortifications consistaient en une puissante


muraille en brique crue de 7,80 m d’épaisseur conservée sur 4,60 m
de hauteur, qui a pu atteindre à l’origine une dizaine de mètres de
hauteur (fig. 5-6). Elle était précédée d’un glacis de briques de 4 m
de hauteur et d’environ 10 m de largeur incliné à 25°. Ces fortifica-
tions sont comparables à celles des plus grands sites palestiniens du
Bronze ancien II-III53. Elles désignent Tell es-Sakan comme un site
majeur au sud-ouest de la Palestine, installé aux confins du territoire
cananéen, le seul de son espèce dans la bande de Gaza, voire même
sur tout le littoral palestinien.
Ces fortifications protégeaient un établissement dont des vestiges
ont été mis au jour dans deux chantiers adjacents et deux niveaux
distincts : au niveau 4 du chantier C, dégagé sur une superficie de
450 m2, et au niveau 1 du chantier B, fouillé sur 400 m2 (fig. 2). Au
niveau 4, qui relève du milieu du Bronze ancien III, vers 2600-2550
d’après les datations C 14, les fouilles ont mis au jour un réseau

53.  Voir P. de Miroschedji, op. cit. (n. 20), p. 770-773 ; Id., op. cit. (n. 40), p. 314-315.
1030 comptes rendus de l’académie des inscriptions

Fig. 15. – Chantier B, niveau 1 : vue partielle


vers le nord-ouest (carrés AA-AB 44-45).

compact d’habitations (fig. 14). Au niveau 1, situé 3,50 m plus haut,


et donc plus récent d’un à deux siècles, on a découvert une ruelle qui
zigzague entre des maisons et des cours (fig. 15).
Le mobilier archéologique associé à ces structures relève du
Bronze ancien III du sud de la Palestine. On y relève des formes
de poterie typiques (fig. 16 : 1-7), notamment des marmites à
col court caractéristiques de sites septentrionaux (fig.  16  : 6), qui
suggèrent que les relations de Tell es-Sakan avec le nord de la
Palestine avaient lieu le long de la côte, peut-être par cabotage.
Les analyses pétrographiques indiquent en outre que le site était
en contact avec la Shéphéla. On trouve aussi des manches en os
à décor géométrique (fig.  16  : 9), bien connus à cette époque en
Méditerranée orientale, et l’industrie lithique habituelle des sites
contemporains, dominée par les lames dites « cananéennes » et les
grattoirs dits « en éventail ». Il s’y ajoute des perles en quantités
relativement importantes (fig. 16 : 8).
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1031

Fig. 16. – Poteries et objets du Bronze ancien III. N° 1-6, 8 : Chantier C,
niveau 4. N° 7: Chantier B, niveau 1. N° 9 : près du Chantier A, niveau 4 ou 5.
1032 comptes rendus de l’académie des inscriptions

3.2. Le contexte historique et archéologique en Méditerranée


orientale

3.2.1. Contexte local et régional


La refondation de Sakan vers 2650 av. notre ère n’est pas un
phénomène isolé : elle s’est produite dans un contexte de
sédentarisation et de réurbanisation du sud de la plaine côtière.
L’ancien territoire colonial égyptien, resté pratiquement désert
pendant des siècles, a alors connu une réoccupation massive. On y
observe plusieurs sites fortifiés nouveaux, en particulier le long du
littoral dunaire, dont certains sont des fondations ex nihilo54.
Un fait marquant et significatif est qu’en dépit de son importance
et de sa situation côtière, Tell es-Sakan n’a livré aucun vase ou ob-
jet d’origine égyptienne, mises à part des perles (fig. 16 : 8). C’est
la preuve que les relations entre l’Égypte et le Levant méridional
étaient alors interrompues de facto. Cette situation est le résultat
d’une conjoncture géopolitique et économique nouvelle apparue
vers le milieu du IIIe millénaire en Méditerranée orientale (fig. 17).
Au Levant septentrional, en Syrie et en Mésopotamie du nord, on
assiste alors à ce que l’on appelle souvent « la seconde révolution
urbaine », marquée par la fondation de nombreuses grandes villes
fortifiées55. La plus importante en Syrie intérieure était Ébla, située
au point d’arrivée de réseaux d’échanges à longue distance, dont les
ramifications s’étendaient à l’Anatolie, à la Mésopotamie du nord et
du sud via Mari et, au-delà, au plateau iranien.
L’Égypte, de son côté, avait atteint le zénith de sa puissance à
l’avènement de la 4e dynastie. Elle a alors développé l’exploitation
des mines de cuivre et de turquoise du Sinaï méridional et multiplié
les expéditions maritimes en mer Rouge jusqu’au pays de Pount
(sur la côte érythréenne) et en Méditerranée jusqu’à Byblos, et peut-
être même au-delà vers le nord. Ces navigations hauturières ont été
rendues possibles par la mise au point d’un genre de navire nouveau,
de grande capacité, le kbnt ou « bateau de Byblos », construit en bois
de conifères selon des techniques particulières56.

54.  N. Getzov et alii, op. cit. (n. 38), p. 30-33 et fig. 13.


55.  P. M. M. G. Akkermans, G. M. Schwartz, The Archaeology of Syria, Cambridge, 2003,
p. 233-287.
56.  Voir C. Ward, « Building Pharao’s ships: Cedar, incense and sailing the Great Green »,
British Museum Studies in Ancient Egypt and Sudan 18, 2012, p. 217-232.
L’ÉGYPTE ET LE LEVANT (IVe-IIIe MILLÉNAIrES) 1033

Ebla
Ras Shamra

Mari
Byblos = DUlu

Sakan
Dugurasu ?

Memphis

0 300 km

fig. 17. – Carte des relations entre la Syrie, Byblos et l’Égypte


entre ca 2500 et ca 2200 av. notre ère.

Ainsi, à partir d’environ 2500 av. notre ère, deux pôles éco-
nomiques ont dominé la Méditerranée orientale, d’une part l’Égypte
de l’Ancien Empire, d’autre part la Syrie à l’époque du Palais G
d’Ébla.

3.2.2. Développement des relations entre l’Égypte et Byblos


Byblos dut sa prospérité à son rôle d’intermédiaire entre ces
pôles. Son rôle est bien illustré par l’inscription autobiographique
d’Iny, reconstituée récemment par M. Marcolin57. Fonctionnaire
au service de Pépi Ier, Merenre et Pépi II, Iny accomplit plusieurs
voyages à Byblos, d’où il ramenait du lapis lazuli, de l’argent, de
l’étain, de l’huile-sefetj, des esclaves asiatiques des deux sexes,
ainsi que des bateaux kbnt. On savait depuis longtemps, à la fois

57. M. Marcolin, « ‘Iny, a much-traveled official of the sixth Dynasty: unpublished reliefs in
Japan », dans Abusir and Saqqara in the Year 2005, Actes de la conférence de Prague, 27 juin-5
juillet 2005, M. Bartá, F. Coppens et J. Krejci éd., Prague, 2006, p. 282-310 ; M. Marcolin, A. diego
Espinel, « The Sixth dynasty Biographic Inscriptions of Iny: More pieces to the Puzzle », dans
Abusir and Saqqara in the Year 2010/1, M. Bartá, F. Coppens et J. Krejci éd., Prague, 2011,
p. 570-615.
1034 comptes rendus de l’académie des inscriptions

par les textes et par les reliefs des complexes funéraires de Sahoure
et d’Ounas à Saqqara, que ce genre d’expéditions maritimes
égyptiennes avaient lieu fréquemment, mais c’est la première fois
qu’on a la liste des produits importés.
Cette liste est corroborée par les découvertes archéologiques.
En Égypte, outre le lapis lazuli, l’argent et des restes de bois de
construction, notamment en cèdre du Liban58, les témoins les plus
fréquents sont des vases découverts dans des tombes royales et dans
celles de hauts personnages de la 4e à la 5e dynastie59. Il s’agit de
quelques cruches – y compris au moins une cruche en Reserved Slip
Ware originaire de Syrie –, et surtout de jarres à surface peignée,
probablement destinées à contenir une huile aromatique, puisque
leur forme est reproduite par le signe sefetj. Ces vases sont pour la
plupart originaires de la côte libanaise.
À Byblos, ce sont surtout des vases en pierre dure, principalement
en albâtre. On en a trouvé une centaine, dont 47 inscrits au nom de
pharaons de l’Ancien Empire. Ces vases inscrits étaient des é­ missions
royales faites à l’occasion d’un couronnement ou du renouvellement
jubilaire du pouvoir60. Envoyés à titre de cadeau diplomatique, ils
témoignent de relations d’État à État. Ajoutons qu’en l’état présent
des connaissances, il semble que Byblos avait le monopole des rela-
tions avec l’Égypte car c’est le seul site de la côte libanaise où l’on
trouve des objets égyptiens de cette époque ; bien que situés à faible
distance de Byblos, les établissements c­ontemporains de Sidon,
Fadous-Kfarabida et Tell ‘Arqa n’en ont livré aucun.
Le lapis lazuli, l’argent et l’étain qu’Iny ramenait en Égypte
étaient importés à Byblos à partir d’une autre région du Proche-
Orient, vraisemblablement Ébla, seule ville syrienne ayant livré des
attestations à la fois archéologiques et textuelles de relations avec
Byblos et l’Égypte. On y a découvert des quantités importantes de
lapis lazuli, d’étain et d’argent61, ainsi que de nombreux fragments

58.  Voir K. N. Sowada, op. cit. (n. 3), p. 183-185, 188-190, 194-198.


59.  Pour un état de la question, voir ibid., p. 155-182.
60.  N. Grimal, « Diplomatie et écriture : à propos des inscriptions égyptiennes d’Ougarit », dans
Les écritures mises au jour sur le site antique d’Ougarit (Syrie) et leur déchiffrement, P. Bordreuil
et alii éd., Paris, 2013, p. 189-190.
61.  L. Peyronel, A. Vacca, « Natural Resources, Technology and Manufacture Processes at Ebla.
A Preliminary Assessment », dans Ebla and Its Landscape. Early State Formation in the Ancient
Near East, P. Matthiae et N. Marchetti éd., Walnutt Creek, 2013, p. 440-443.
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1035

de vases égyptiens en pierre dure, dont trois inscrits : deux sont au


nom de Chephren, le troisième est le couvercle d’un vase jubilaire
de Pépi Ier découvert dans la couche de destruction du Palais G
d’Ébla, où il était donc parvenu avant environ 2350 av. notre ère62.
Les témoignages des textes ne sont pas moins probants. D’après
Maria-Giovanna Biga, la ville de DUlu, souvent mentionnée dans
les textes d’Ébla, correspond probablement à Byblos, et le pays de
Dugurasu, signalé souvent dans ces textes avec DUlu, serait en fait
le Delta de l’Égypte63.

3.3. Les indices de relations entre l’Égypte et le sud Levant


On comprend que, dans une telle conjoncture, la Palestine avait
perdu de son importance. Du fait des relations directes et quasi
exclusives entre l’Égypte et Byblos, elle était désormais marginalisée.
Cependant les contacts avec l’Égypte n’ont pas complètement
cessé. On a vu qu’à Tell es-Sakan, par exemple, des perles en faïence
et en cornaline sont probablement d’origine égyptienne. Par ailleurs,
de rares poteries égyptiennes du type de l’Ancien Empire ont été
mises au jour sur quelques sites palestiniens64 ; toutefois, celles qui
ont été analysées se sont révélées être de fabrication locale65. Les
palettes égyptiennes découvertes dans des contextes stratigraphiques
sûrs du Bronze ancien III sont pour la plupart de type prédynas-
tique : soit il s’agit d’objets anciens conservés pendant des siècles,

62.  K. N. Sowada, op. cit. (n. 3), p. 141-145, avec les références. Sur la datation de la destruction
du Palais G d’Ébla, voir en dernier lieu W. Sallaberger, I. Schrakamp, Associated Regional
Chronologies for the Ancient Near East and the Eastern Mediterranean. Volume III, History and
Philology, Turnhout, 2015, p. 96-100.
63.  M. G. Biga, « Inherited Space – 3rd Millennium Political and Cultural Landscape », Topoi,
Berlin Studies of the Ancient World 17, 2014, p. 97-99 ; M. G. Biga, A. Roccati, « Tra Egitto e Siria
nel III millennio a.C. », Accademia di Scienze di Torino, Atti di Scienze Morali 146, 2012, p. 17-42 ;
A. Roccati, « DUGURASU = rw-ḥ3wt », dans Tradition and Innovation in the Ancient Near East,
Actes de la 57e Rencontre Assyriologique Internationale tenue à Rome, 4-8 juillet 2011, A. Archi éd.,
Winona Lake, 2015, p. 155-159. Pour une localisation du pays de Dugurasu avec Kerma au Soudan,
voir T. Schneider, « The Old Kingdom Abroad: An Epistemological Perspective, With Remarks on
the Biography of Iny and the Kingdom of Dugurasu », dans Perspectives on the Pyramid Age, P. Der
Manuelian et T. Schneider éd., Boston, 2015, p. 444-447.
64.  K. N. Sowada, op. cit. (n. 3), p. 98, 116 ; M. Sala, « EB II-III aegyptiaca east of the Jordan:
a reevaluation of trade and cultural interactions between Egypt and Transjordanian urban centres »,
Vicino Oriente 18, 2014, p. 65-81.
65.  Ainsi pour Tel Yarmouth (un vase inédit du Bronze ancien IIIB analysé par Y. Goren) et pour
Khirbet el-Batrawy : L. Nigro, « The Copper Route and the Egyptian Connection in 3rd Millennium
Jordan Seen from the Caravan City of Khirbet al-Batrawy », Vicino Oriente 18, 2014, p. 39-64.
1036 comptes rendus de l’académie des inscriptions

soit d’objets venus d’Égypte après le pillage de tombes anciennes66.


Quant aux hypothèses formulées parfois au sujet d’«  influences  »
égyptiennes dont la Palestine aurait bénéficié à cette époque, qu’il
s’agisse de métrologie, d’architecture palatiale ou cultuelle67, elles
sont contestables pour la métrologie – car l’usage en Palestine de la
coudée égyptienne est attesté dès le début du Bronze ancien II68 – et
incertaines pour l’architecture.
Ces indices archéologiques ténus n’impliquent donc pas des
relations d’échanges importantes, ni même des contacts continus.
En fait, les perles et les palettes prédynastiques évoquent davantage
une sorte de bimbeloterie que les Égyptiens écoulaient auprès des
populations locales à la faveur de contacts sporadiques.
D’autres témoignages de contacts entre l’Égypte et le sud Levant
supposent plutôt des confrontations armées. Le plus éloquent
est le relief de la tombe d’Inty à Deshasheh datée de la fin de la
5e dynastie, qui représente le siège d’une ville asiatique fortifiée dont
la muraille en brique crue est hérissée de bastions69. Les toponymes
mentionnés dans l’inscription fragmentaire qui accompagne ce relief
sont d’ailleurs de consonance sémitique70. Compte tenu de la locali-
sation de Tell es-Sakan, première ville fortifiée cananéenne qu’une
armée égyptienne rencontrait en pénétrant au Levant méridional, il
est permis de se demander si la ville assiégée représentée sur ce
relief n’est pas Tell es-Sakan71.
De fait, des titulatures de fonctionnaires égyptiens impliquent de
fréquentes expéditions en territoire asiatique, notamment à Wenet.

66.  K. N. Sowada, op. cit. (n. 3), p. 228-230 (avec les références). Pour un sceau-cylindre en
ivoire et d’autres objets égyptiens de l’époque de Naqada IIIB trouvés dans des contextes du Bronze
ancien III, voir B. Brandl, « Cylinder Seals », dans Megiddo V, the 2004-2008 Seasons, I. Finkelstein,
D. Ussishkin et E. H. Cline éd., Tel Aviv, 2013, p. 997-998.
67.  Pour l’usage de la coudée égyptienne au Bronze ancien III, voir P. de Miroschedji, « Notes
on Early Bronze Age Metrology and the Birth of Architecture in Palestine », dans Studies in the
Archaeology of Israel and Neighboring Lands in the Memory of Douglas L. Esse, S. R. Wolff éd.,
Chicago, 2001, p. 465-491. Pour le plan d’un temple, voir M. Bietak, « The Early Bronze Age III
Temple at Tell Ibrahim Awad and Its Relevance for the Egyptian Old Kingdom », dans Perspectives
on Ancient Egypt, Studies in Honor of Edward Brovarski, Z.  Hawass, P.  der Manuellian et
R. B. Hussein éd., Le Caire, 2010, p. 65-78.
68.  Voir P. de Miroschedji, op. cit. (n. 20), p. 767.
69.  W. M. F. Petrie, Deshasheh 1897, Londres, 1898, pl. IV ; P. de Miroschedji, op. cit. (n. 22),
p. 271-272.
70. M. Wright, « Contacts Between Egypt and Syro-Palestine During the Old Kingdom »,
Biblical Archaeologist 51/3, 1988, p. 155.
71.  Ainsi P. de Miroschedji, op. cit. (n. 22), p. 284.
l’égypte et le levant (ive-iiie millénaires) 1037

On rappellera ici les six campagnes que Ouni, général de Pépi Ier,


conduisit contre ceux qu’il appelle les Asiatiques Heriou-Sha, qui
habitaient une zone côtière dans des villes fortifiées d’un genre
particulier, appelées villes-wenet, et qui cultivaient la vigne et le
figuier72. Heriou-Sha signifie littéralement «  ceux-qui-sont-sur-le-
sable », mais les indications données par Ouni suggèrent que ce
sable n’était pas celui du désert du Sinaï, mais plutôt celui du littoral
dunaire de la Palestine méridionale. Dans l’interprétation que j’ai
proposée de cette inscription, Tell es-Sakan serait l’une de ces villes-
wenet, une place forte des Heriou-Sha et les campagnes successives
d’Ouni étaient destinées, non pas à conquérir la Palestine – qui avait
cessé d’intéresser l’Égypte depuis des siècles –, mais bien, comme
il le dit lui-même, à « punir » les Heriou-Sha. En effet, à une époque
où la navigation était un cabotage qui nécessitait des haltes dans
les rares mouillages de la côte sud-levantine, les navires égyptiens
étaient à la merci de pirates côtiers, en l’occurrence les habitants
des villes fortifiées établies le long de la côte, dont Tell es-Sakan.
En somme, il est vraisemblable que les campagnes militaires égyp-
tiennes répétées sous les 5e et 6e dynasties visaient simplement à
dissuader les populations côtières d’interférer avec le trafic maritime
entre l’Égypte et Byblos.

4. L’abandon définitif de Tell es-Sakan


L’abandon de Tell es-Sakan est intervenu après le niveau 1, qui
est le dernier niveau d’occupation conservé – mais pas forcément le
dernier, car le site a été ensuite soumis à l’érosion pendant 4000 ans.
De ce fait, on ne peut pas dater précisément l’abandon du site : on
peut le situer vers 2400 av. notre ère, soit à peu près au temps des ex-
péditions d’Ouni. C’est vers cette époque que s’éteint la c­ ivilisation
urbaine du Bronze ancien III de Palestine.
Les relations entre l’Égypte et Byblos ont continué au-delà,
pendant une partie du Bronze ancien IV. Elles cesseront avec
l’effondrement de l’Ancien Empire égyptien dans le courant du long
règne de Pépi II. Ainsi prendra fin la première période de l’histoire
des relations entre l’Égypte et le Levant.

72.  P. de Miroschedji, ibid., p. 265 et suiv.


1038 comptes rendus de l’académie des inscriptions

*
* *

Le Président Robert Martin, MM. Jean Richard, Nicolas


Grimal et André Lemaire, correspondant français de l’Académie,
interviennent après cette communication.

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