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Enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 26 mai 2020-05-28

PROPOSITION DE LOI visant à rendre non identifiable les forces de l’ordre lors de la
diffusion d’images dans l’espace médiatique 

Ou Les risques de la restriction du champ du perceptible

En Février 2020, Médiapart a révélé que le Ministre de l’Intérieur, Christophe


Castaner, envisageait de « contrôler la diffusion des vidéos (montrant des violences
policières) ». Aujourd’hui, c’est une proposition de loi enregistrée à la Présidence de
l’Assemblée Nationale le 26 mai 2020 qui confirme cette volonté et vise « à rendre non
identifiables les forces de l’ordre lors de la diffusion d’images dans l’espace médiatique ».
Dans un contexte d’évolution croissante des violences policières, notamment dans les
banlieues de la région parisienne, cette proposition de loi présentée à l’Assemblée par Les
Républicains pose question tant sur la forme que sur le fond.

En effet, la peine encourue de « 15 000 € d’amende et un an d’emprisonnement »


porte atteinte aux droit fondamentaux de la presse, d’informer et d’être informé.e.
Une conséquence directe de cette loi serait de limiter et ralentir fortement la circulation de
scènes d’interventions policières potentiellement violentes, notamment sur les réseaux
sociaux. Il est évident que ces vidéos sont nécessaires à l’information et à la construction de
l’opinion de chaque citoyen au sujet des violences policières.
L’essayiste américaine Susan Sontag soutient que « la notion contemporaine
d’atrocités requiert des preuves photographiques : sans preuves photographiques, il n’y a
pas d’atrocités ». Pour exemple, sans la circulation de la vidéo amateur de l’interpellation
violente de George Floyd ce 25 mai 2020 dans la ville de Minneapolis aux Etats-Unis,
asphyxié par plaquage ventral par un policier blanc, la polémique et l’insurrection nationales
et internationales n’auraient surement jamais eu lieu. Judith Butler, à propos du pouvoir de
l’image sur le façonnement de l‘affect publique, affirme « Ce qui est en jeu, c’est la
régulation des images capables de susciter une opposition politique (face à la violence
étatique) ». Elle ajoute même que la « culture visuelle a un rôle critique à remplir ».
Faudrait-il enlever aux journalistes et aux civils la possibilité de faire circuler des images de
bavures policières, souvent à l’encontre de minorités et motivées par des critères raciales et
ethniques ? Ces images sont souvent le seul moyen de catalyser une vraie réaction de la part
des civils. Elles sont aussi le moyen de sortir de l’opinion et des fantasmes et de s’appuyer
sur des faits.
Il en va ainsi de la liberté d’informations des citoyens et des fondement d’une opinion
publique informée sans cadres préalablement définie par l’état lui-même.

De plus, l’exposé des motifs de cette proposition soutient prévenir un « risque pour chacun
d’entre eux (ndlr les forces de l’ordre) et leur famille » et contrer une « pratique du policier
bashing qui se développe dangereusement ». La circulation des vidéos montrant des
bavures policières et la mise en place de dispositif d’aides publiques comme l’application
Urgences violences policières aurait pour effet de « stigmatiser les forces de l’ordre » et de
faire circuler des « informations erronées sur celles-ci ». Ce texte de loi pose question sur la
forme.
Alors que durant le confinement les contrôles de police se sont multipliés (jusqu’à 19
millions en France selon Amnesty France), les vidéos de violences policières se sont
multipliés sur les réseaux. Les images de l’interpellation musclée d’un jeune livreur
d’Amazon aux Ulis, fin mars, celles d’un motard au sol, jambe fracturée, à Villeneuve-la-
Garenne à la suite d’une « bavure » policière en avril… Selon Laurent Muchielli, sociologue,
le contrôle policier est « plus intense et plus dur » dans les banlieues. La réponse du
gouvernement s’annonce claire. Si l’Assemblée nationale aurait pu renforcer le contrôle et
les sanctions contre de telles types de dérives afin de prévenir ces violences et du même
coup le développement de la « haine anti-flic » qui en découle, l’Assemblée a choisi d’édicter
une proposition de loi visant non à protéger l’intégrité des forces de police mais l’anonymat
des (potentiels) agresseurs.
Par ailleurs, le terme de « policier bashing » est d’autant plus inapproprié qu’il tend à
inverser les rôles, faisant passer les policiers, responsables de l’ordre publique, pour des
victimes, souffrant de la stigmatisation produite par les violences et dérives provenant…de
membres de cette même institution. De plus, l’emploi de ce terme semble oublier que les
dérives policières sont très peu sanctionnées ; en 2017, selon les données de l’IGPN
(Inspection Générale de la Police Nationale), sur 4800 manquements signalés, seulement 8%
ont fait l’objet d’investigations et 58 policiers ont soit fait l’objet d’un rappel à la règle, soit
ont été sanctionnés. L’emploi de ce terme dans de telles circonstances ne permet pas de
décrire la réalité et est donc peu pertinent.

Cette proposition de loi vise alors très clairement à protéger l’anonymat des forces de
l’ordre, et ce spécialement dans les cas où celles-ci commettent des dérives, abus et
violences policières. Cette proposition apparait comme une entrave au droit à l’information
et à la liberté d’opinion (une opinion basée sur des faits et non des choix de cadrage et de tri
de l’information émie par nos institutions étatiques). Dans un climat de tensions croissantes
entre les forces de l’ordre et les civils, ne faudrait-il pas plutôt durcir les sanctions vis-à-vis
des violences qui alimentent ces tensions plutôt que de mettre en place des lois visant à
limiter fortement la reconnaissance publique, notamment sur les réseaux, des abus et
dérives des forces de l’ordre ?

Fanny Eidel Biju-duval, 29 Mai 2020

Sources :
Judith Butler, (2009, éditions Zones), Ce qui fait une vie
https://www.franceculture.fr/droit-justice/les-policiers-sont-ils-au-dessus-des-lois
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2992_proposition-loi
https://mrmondialisation.org/filmer-les-forces-de-lordre-est-un-droit-et-doit-le-rester/
https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/c-est-un-accelerateur-comment-le-
confinement-attise-les-violences-urbaines_3930961.html

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