Le Marquis de Sade (1740-1814), libertin lui-même, ne revendiquait pas
pour ses livres une ambition morale autre que la recherche du plaisir, effrénée parce que toujours insatisfaite. Justine ou les malheurs de la vertu (1791), puis Juliette ou les prospérités du vice (1798) sont les œuvres d'un anticonformiste qui, par prédilection, célèbre Térotisme dans le paroxysme où il rejoint la cruauté. Les outrances mêmes ont valu à cette œuvre curieuse un ostracisme tenace, sans doute excessif, ou bien à l'opposé une admiration de principe, sans doute excessive elle aussi. La littérature politique sous la Révolution L'arrivée au pouvoir d'individualités neuves, la gravité des événements eurent pour conséquence, sous la Révolution, la création d'une littérature politique, mais cette production improvisée et confuse fut très inégale. Ni l'éloquence de Mirabeau, des Girondins et de Danton, ni la prose de Camille Desmoulins ne se sont imposées comme des modèles classiques. Le génie oratoire de Mirabeau, La réunion des grandes assemblées déhbérantes (Constituante et Législative) ouvrait pour la première fois depuis le xvi^ siècle le champ libre à l'éloquence politique. L'orateur le plus réputé fut Mirabeau. Tempérament sensuel, violent et généreux, intelligence vaste et réaliste, Gabriel Riquetti de Mirabeau (i 749-1 791) avait eu ime existence tourmentée, remplie de dissensions familiales et de scandales; à l'heure des troubles, porté en avant par les acclamations du Tiers, il ne se trouva pas déconcerté. Il rassemble en lui les traits contradictoires d'un opposant et d'un organisateur. On connaît sa réplique hautaine dans la Salle du Jeu de Paume (23 juin 1789) : « Allez dire à votre Maître... » Mais il veut dominer le désordre, relever la nation, établir un gouvernement fort : c'est la tendance générale de sa politique à travers Le XVI l|e siècle / 151 les compromissions et les marchandages journaliers. Son éloquence est forte, joignant aux vues sérieuses, à ime connaissance des réalités politiques, des explosions de fureur, de sensibilité ou d'indignation, des images tragiques : « La Banqueroute, la hideuse Banqueroute est là; elle menace de consumer vous, vos propriétés, votre honneur... et vous déUbérez? » Les autres orateurs de la période révolutionnaire affectent une éloquence déclamatoire. Sous la Convention, les Girondins, dont les mieux doués furent vergniaud et isnard, eurent une éloquence souple, aisée, vivante, qui se prêtait facilement à l'exposé des idées générales, aux dissertations émouvantes sur l'amour de la patrie, la liberté, la justice et la loi. danton, plus énergique, affecte les formules brutales qui entraînent le peuple. « Que m'importe d'être appelé buveur de sang ? Eh bien, buvons le sang des ennemis de l'humanité ! » Robespierre 1758- 1794), au contraire, s'imposait par la logique filandreuse et dogmatique de ses discours. D'une façon générale, l'éloquence révolutionnaire a présenté une puissance incontestable, mais momentanée. Elle a pour nous l'intérêt de nous donner un écho des heures affolantes ou sinistres de 1792 et 1793, de l'Invasion, de la Terreur, de nous manifester, drapé à l'antique, le génie fulgurant des hommes de l'époque, mais, dans son fond et son allure, elle ne fait que reprendre la substance des tirades de Rousseau : lieux communs sur le patriotisme, l'immortalité, les droits du peuple, le tout nourri d'allusions aux héros de Plutarque, à Lycurgue, aux Gracques et à Brutus, d'invectives, d'hyperboles tragiques et de prosopopées. La presse : Camille Desmoulins, La presse, représentée par une multitude de feuilles concurrentes, se signale par la violence de ses attaques, plus haineuses encore que celles de la tribune. Un seul talent intéressant se révéla, celui de Camille Desmoulins (1760- 1794), mort sur l'échafaud. Ce ne fut pas un politique à larges vues, mais un impulsif, citoyen enthousiaste, sincèrement désireux du bien public.