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5/6/2020 (1) Un Roi à New York - Libération

CRITIQUE

Un Roi à New York


Par Louis SKORECKI(https://www.liberation.fr/auteur/9069-louis-
skorecki) — 24 novembre 2000 à 07:02

Ciné Classics, 2 h 30.

ça fait quoi au juste d'avoir été Charlot, l'homme qui fait rire le monde entier sans
remuer les lèvres, quand on n'est plus que Chaplin, celui qui fait des pitreries pour
faire pouffer de rire les myriades de jeunes filles qui accompagnent ses vieux jours,
ses filles? Et si ça faisait plus mal qu'on ne croit? Le vieux Chaplin n'est pourtant
pas si vieux en 1957 (il n'a pas 58 ans,

34 de moins que le jeune Oliveira qui enchaîne film sur film avec une désinvolture
de vieux dadaïste à peine éméché), quand il tourne Un roi à New York, mais il a le
poids du cinéma sur les épaules, un cinéma dont il fut le prince, le roi. D'avoir été
Charlot, ça peut donner par exemple Un Roi à New York, film moderne et
intemporel qui porte sur les temps modernes, la télévision en particulier, un regard
moderne et intemporel. ça donne un film désopilant de tristesse, comme une
ballade de Ben Webster ou un clin d'oeil éteint de Rudolph Valentino: quelque
chose qui n'a plus cours, au fond, mais qui décide in extremis de ne pas être
obsolète, par la grâce de ce qu'il faut bien appeler par son nom l'autofiction.

Chaplin était communiste et ne payait pas ses impôts. On peut faire les deux à la
fois. A moins que la propagande américaine n'ait mieux réussi que prévu à
convaincre les spectateurs de la mauvaise volonté de ce prince rouge. De son exil
forcé, de sa triste retraite, de son retour à l'Angleterre de ses pauvres années de
music-hall, le roi Charlot tire un scénario cocasse et invraisemblable autour de la
fuite d'un autre roi, un vrai roi. Il ne s'envole pas pour l'Angleterre, celui-là, mais
pour l'Amérique, une Amérique reconstituée... en Angleterre. Pourquoi faire
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5/6/2020 (1) Un Roi à New York - Libération

simple quand on peut faire compliqué? Qui dit autofiction dit bien sûr paranoïa,
une paranoïa visionnaire qui annonce les excès de la télésurveillance et de la pub
universelle en direct, comme le fait Fritz Lang dans son dernier Mabuse. Deux
grands cinéastes, deux grands films. Le reste n'est que littérature, enfantillage,
poésie. Les gamins de Kiarostami et ceux de Chaplin n'ont jamais vécu dans le
même pays. A chacun de choisir son camp.

Louis SKORECKI (https://www.liberation.fr/auteur/9069-louis-skorecki)

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