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M 05595 - 43 - F: 8,90 E - RD H
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AVRIL-MAI 2019 – BIMESTRIEL – NUMÉRO 43
1789-1795
H
PRÉSENTE
N
Le grand quiz
de la culture générale
Combien de pays sont
riverains avec la Suisse ?
A3
B4
C5
D6
7
B Thalès
C Platon
,90 D Euclide
Jean Tulard porte haut, depuis des décennies, le flambeau des études napoléoniennes : on
ne compte plus les ouvrages de référence qu’il a signés et dirigés, et toutes les générations
nouvelles d’historiens de cette époque se placent dans son sillage.
On connaît aussi l’érudition étincelante dont il fait montre dans de multiples registres
différents : le cinéma bien sûr, mais aussi l’histoire littéraire, le roman policier, le tennis, le
football et le cyclisme, sans oublier l’opéra, la peinture et bien d’autres choses…
Le présent recueil d’articles, rassemblé par les éditions Tallandier et la fondation Napoléon,
se veut un hommage à la diversité des talents de Jean Tulard. À dix-huit textes relatifs à
la Révolution et à l’Empire, devenus introuvables, s’ajoutent vingt-quatre chefs-d’œuvre
brefs évoquant avec ferveur et humour les peintres pompiers et Benjamin Rabier, Sade,
Stendhal, Gautier, Maupassant, Henri de Régnier, le Tour de France vu par Blondin, le
célèbre coup franc marqué par Platini en 1986, etc., etc.
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1 AN
+ LE LIVRE
DE NAPOLÉON ET
DE QUELQUES AUTRES SUJETS
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P8 P42 P106
En partenariat avec
AU SOMMAIRE
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE 56. Comme un fleuve de sang Par Claude Quétel
© MARIE BABEY/PINK/SAIF IMAGES. © MUSÉE CARNAVALET/ROGER-VIOLLET. © THE METROPOLITAN MUSEUM OF ART/DIST. RMN-GP/SP.
8. L’Algérie livrée à elle-même Par Jean Sévillia 66. Coups de torchons Par Jean Tulard, de l’Institut
16. L’envers de la construction européenne Entretien avec 70. La fabrique de la terreur Par Patrice Gueniffey
Philippe de Villiers, propos recueillis par Michel De Jaeghere 84. Dans l’engrenage de la violence Par Charles-Eloi Vial
24. La force de ce qui demeure Par Jean-Louis Thiériot 94. La petite boutique des horreurs
26. L’homme de sa vie Par Michel De Jaeghere 96. Il était une fois la Révolution Par Geoffroy Caillet
27. Côté livres 98. Pages de sang
33. Heureux comme un intellectuel de gauche en France 100. Violences en cascade Par François-Joseph Ambroselli
Par Eugénie Bastié
34. A l’écran Par Marie-Amélie Brocard L’ESPRIT DES LIEUX
36. Expositions Par François-Joseph Ambroselli 106. Le musée de la race éteinte
39. Aux délices d’Istanbul Par Jean-Robert Pitte, de l’Institut Par Philippe Bénet et Renata Holzbachová
114. Basilique Saint-Denis, suivez la flèche !
EN COUVERTURE Par Marie-Laure Castelnau
42. Le coup d’Etat du tiers Par Philippe Pichot-Bravard 118. Désir d’Homère Par François-Joseph Ambroselli
50. Le jour où l’émeute prend la Bastille 126. Comme une image Par Sophie Humann
Par Jean-Christian Petitfils 130. Avant, Après Par Vincent Trémolet de Villers
Abonnement un an (6 numéros) : 35 € TTC. Etranger, nous consulter au 01 70 37 31 70, du lundi au vendredi, de 7 heures
à 17 heures, le samedi, de 8 heures à 12 heures. Le Figaro Histoire est disponible sur iPhone et iPad.
CE NUMÉRO A ÉTÉ RÉALISÉ AVEC LA COLLABORATION DE JEAN-LOUIS VOISIN, FRÉDÉRIC VALLOIRE, CHARLES-ÉDOUARD COUTURIER, PHILIPPE CONRAD,
DOROTHÉE BELLAMY, MARIE PELTIER, PHILIPPE MAXENCE, GUILLAUME PERRAULT, MATHILDE BRÉZET, HENRI-CHRISTIAN GIRAUD, YVES CHIRON, BLANDINE HUK,
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION, SOPHIE SUBERBÈRE, RÉDACTRICE PHOTO, ALAIN BIROT, RÉMY LAURENT ET ROSE-AIMÉE CUROT, RÉDACTEURS GRAPHISTES.
EN COUVERTURE PORTRAIT : © SELVA/LEEMAGE. INSIGNE : © BNF.
L’ALGÉRIE LIVRÉE
8 À ELLE-MÊME
RÉCLAMÉ PAR LE PEUPLE ET PAR L’ARMÉE, LE DÉPART DU PRÉSIDENT
© BILLAL BENSALEM/NURPHOTO/AFP. © PHILIPPE LAVIEILLE/PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP. © LABORATORIOROSSO, VITERBO/ITALY.
16
L’ENVERS DE LA
CONSTRUCTION
EUROPÉENNE
PHILIPPE DE VILLIERS FAIT
SCANDALE EN CONTESTANT,
DOCUMENTS À L’APPUI,
LA LÉGENDE DORÉE DONT
LA FONDATION DE L’EUROPE
A ÉTÉ ENTOURÉE.
36
EXPOSITIONS
POUR SON DERNIER VOYAGE
HORS D’ÉGYPTE, LE TRÉSOR
DE TOUTANKHAMON FAIT HALTE
À LA GRANDE HALLE DE LA VILLETTE
POUR UNE SOMPTUEUSE EXPOSITION
DE PRÈS DE CENT CINQUANTE
OBJETS D’UNE BEAUTÉ SPECTACULAIRE.
À CETTE OCCASION, LE FIGARO
HORS-SÉRIE CONSACRE UN NUMÉRO
SPÉCIAL À L’HISTOIRE DU ROI ENFANT
ET À LA DÉCOUVERTE DE SON TOMBEAU
PAR HOWARD CARTER EN 1922.
ET AUSSI
LA FORCE DE CE QUI DEMEURE
L’HOMME DE SA VIE
CÔTÉ LIVRES
HEUREUX COMME UN INTELLECTUEL
DE GAUCHE EN FRANCE
À L’ÉCRAN
AUX DÉLICES D’ISTANBUL
À L’A F F I C H E
Par Jean Sévillia
L’ Algérielivrée à
elle-même
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
L
e 11 mars dernier, de retour en Algérie
après deux semaines passées dans
un hôpital de Genève, Abdelaziz
Bouteflika a annoncé le retrait de sa can-
didature à l’élection présidentielle et le
8 report du scrutin, initialement prévu le
h 18 avril 2019. Le 10 février, le chef d’Etat
algérien avait notifié son intention de bri-
guer un cinquième mandat, déclenchant
une série de manifestations hebdomadai-
res qui allaient faire descendre dans la rue
des centaines de milliers de personnes.
Agé de 82 ans, président fantôme n’ayant
pas pris la parole en public depuis 2012,
physiquement diminué – il a été victime
d’un AVC en 2013 –, Bouteflika suscite
un rejet que ses soutiens et ses proches,
notamment son frère Saïd, qui l’assiste au
plus près, n’avaient pas mesuré. système instauré depuis l’indépendance intestines. Président du GPRA depuis l’ori-
Mais renoncer à un cinquième mandat de l’Algérie en 1962 ? gine, Ferhat Abbas, suspect de modération,
présidentiel sans fixer une nouvelle date avait été déposé au cours de l’été 1961 et
pour l’élection revenait à prolonger indé- LA FRANCE S’EN VA remplacé par Benyoucef Ben Khedda, un
finiment le quatrième mandat entamé en Entamées en 1960, poursuivies en 1961, les civil qui incarnait, au sein du GPRA, le clan
2014. La manœuvre n’a trompé personne, tractations entre le gouvernement français des durs, partisans d’une rupture radicale
et les manifestations ont continué, récla- et les indépendantistes algériens avaient entre l’Algérie et l’ancienne métropole.
mant un changement du système. Le abouti, le 18 mars 1962, à la signature des Après la signature des accords d’Evian,
26 mars, le général Ahmed Gaïd Salah, accords d’Evian. Côté algérien, les négocia- la confusion régnait en Algérie. Alors que
chef d’état-major de l’armée algérienne, a tions avaient été menées par les représen- le cessez-le-feu du 19 mars n’avait pas mis
demandé que soit engagée la procédure tants du Gouvernement provisoire de la fin au cycle de la violence – en témoignent
prévue par l’article 102 de la Constitution, République algérienne (GPRA), organisme les attentats du FLN et de l’OAS, les enlève-
qui permet de déclarer le président inapte mis en place en 1958 afin de servir de vitrine ments d’Européens, leur départ précipité
« pour cause de maladie grave et durable », politique au Front de libération nationale vers la métropole –, de grandes manœuvres
ouvrant ainsi la porte d’ici trois mois à (FLN) sur la scène internationale, mais se déroulaient en vue de la future organisa-
l’élection attendue. Mettra-t-elle à bas le qui avait toujours été le théâtre de luttes tion du territoire. Aux termes des accords
d’Evian, les habitants de l’Algérie devaient
décider par référendum s’ils choisissaient
ou non l’indépendance. Mais le résultat ne
faisait guère de doute : anticipant le résultat
du référendum dans le sens de la rupture
avec la France, les accords avaient eux-
mêmes prévu dans un deuxième temps
l’élection d’une Assemblée nationale algé-
rienne, chargée de promulguer une Consti-
tution et de bâtir un nouvel Etat doté de
ses propres institutions. En attendant, les
pouvoirs publics relevaient d’un dispositif
transitoire : un haut-commissaire de la
République française à Alger (en l’occur-
rence Christian Fouchet) et un Exécutif pro-
visoire, composé de cinq représentants du
FLN, de quatre musulmans modérés (dont
le président de l’Exécutif provisoire, Abder-
rahmane Farès), et de trois Européens libé-
raux, acquis à l’indépendance.
Le 15 mai, le référendum d’autodétermi-
nation est fixé au 1er juillet. Mais à l’approche
© RYAD KRAMDI/AFP. © BILLAL BENSALEM/NUR PHOTO/AFP.
PRINTEMPS ALGÉRIEN
A droite : manifestation à Alger, le
15 mars 2019. Page de gauche : président
de l’Algérie depuis 1999, Abdelaziz
Bouteflika, physiquement diminué, n’a
plus pris la parole en public depuis 2012.
Sous la pression des manifestations
organisées depuis la mi-février, il a fait
savoir, le 11 mars, qu’il ne briguerait pas
un cinquième mandat. Le 26 mars,
le chef d’état-major de l’armée algérienne
a demandé qu’il soit déclaré inapte.
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
de leurs droits et de leurs biens même s’ils Sur un plan strictement politique, Ben eu raison de leur enthousiasme. Les plus
choisissent de rester en Algérie avec la natio- Bella tente de substituer au GPRA, que pré- irréductibles sentaient en outre la menace
nalité française ; mise en valeur des richesses side Benyoucef Ben Khedda, un bureau poli- qui planait désormais sur eux et qui se tra-
du Sahara par un organisme franco-algérien ; tique appelé à devenir l’autorité suprême duirait, après l’indépendance, par le massa-
convention fixant l’évacuation totale des du FLN. L’autre vice-président du GPRA, cre des harkis. Ils s’abstinrent donc de se
forces françaises en Algérie à l’échéance d’un Mohamed Boudiaf, allié à des leaders histo- signaler aux vainqueurs du jour par un vote
délai de trois ans après l’autodétermination, riques du FLN comme Krim Belkacem et négatif. Si bien que le « non », le 1er juillet,
à l’exception de bases navales et aériennes Hocine Aït Ahmed, restés loyaux envers Ben n’obtint que 16 534 bulletins, contre pres-
concédées pour quinze ans et de sites saha- Khedda, fait cependant avorter ce putsch. que 6 millions de voix pour le « oui ».
riens d’essais militaires alloués pour cinq ans. Au référendum du 1er juillet 1962, sans
Ben Bella vise notamment la nationalisation surprise, le « oui » remporte 99,7 % des suf- AU BORD DE LA GUERRE CIVILE
des ressources minières et énergétiques du frages. Selon les accords d’Evian, les Euro- Le 3 juillet 1962, l’indépendance de l’Algé-
pays, dont le pétrole du Sahara. péens d’Algérie, privés du droit de parti- rie est donc proclamée. Mais derrière les
Dès les années 1920, des recherches ciper au premier référendum (réservé aux cris de joie de la foule musulmane, l’Algérie
scientifiques avaient en effet décelé la pré- habitants de la métropole, le 8 avril 1962, frôle la guerre civile, car le FLN est au bord
sence de richesses pétrolières au nord du cette consultation – remportée avec 90 % de l’implosion. Si le président de l’Exécutif
Hoggar ou dans le Sahara central. Reprises de « oui » – avait autorisé le président de la provisoire, Farès, devient dépositaire de
la souveraineté du nouvel Etat jusqu’à
la réunion d’une Assemblée nationale
constituante, il dirige une instance fictive.
Le président du GPRA, Ben Khedda, rentré
à Alger au premier jour de l’indépendance,
est en conflit avec le vice-président Ben
Bella, tandis que le commandement de
l’armée extérieure a été décapité, Boume-
diene ayant été destitué par Ben Khedda.
Quant à l’ALN, elle est partagée entre les
wilayas qui soutiennent Ben Khedda et
celles qui appuient Ben Bella. Cette situa-
tion anarchique favorisera notamment le
massacre d’Oran du 5 juillet 1962 (près de
700 Européens et une centaine de musul-
mans victimes de règlements de comptes).
De retour en Algérie, le 11 juillet, Ben Bella
s’installe à Tlemcen, ville proche d’Oujda,
au Maroc, où se trouve l’état-major de
l’ALN. Le 22 juillet, le bureau politique qu’il
a constitué se déclare « habilité à assurer
la direction du pays ». Devant ce coup de
force, le GPRA doit s’incliner faute d’appui
militaire. Confirmé à la tête de l’état-major
de l’ALN par Ben Bella, le colonel Boume-
diene entre à Alger le 9 septembre, et l’ALN,
devenue officiellement l’armée de l’Algé-
rie indépendante, prend le nom d’Armée LE CLAN D’OUJDA Ci-dessus : Ahmed Ben Bella (au milieu) et Houari Boumediene
nationale populaire (ANP). Ben Bella (le bras levé). Nommé chef du gouvernement le 26 septembre 1962, Ben Bella sera élu
ayant à son tour fait son entrée à Alger, premier président de la République algérienne un an plus tard. Le colonel Boumediene,
Ben Khedda se retire et quitte la politique : son ministre de la Défense et vice-président du Conseil, le renversera lors du coup
à l’échelle de l’histoire du FLN, c’est la d’Etat du 19 juin 1965 et conservera le pouvoir jusqu’à sa mort en décembre 1978.
défaite des civils. C’est du « clan d’Oujda »,
un clan politico-militaire, que sera désor-
mais issu le pouvoir algérien. Délégué au Mali, Bouteflika y a collecté de code de la nationalité qui précise que le
Le 20 septembre 1962, ont enfin lieu les l’argent pour le FLN. En 1961, l’état-major mot « Algérien », en matière de nationa-
élections à l’Assemblée constituante. Mais de l’ALN étant déjà en conflit avec le GPRA, lité d’origine, s’entend de toute personne
se présente aux suffrages des Algériens une il a été envoyé en France et chargé de dont au moins deux ascendants en ligne
liste unique de candidats imposée par Ben déterminer lequel des chefs historiques du paternelle sont nés en Algérie et y jouissaient
Bella. A l’issue du scrutin, ce dernier est FLN emprisonné en métropole serait le du statut musulman, ce qui exclut, dans la
nommé chef du gouvernement, et le colo- mieux à même d’incarner l’Algérie indé- pratique, les 200 000 Européens restés après
nel Boumediene ministre de la Défense. pendante. C’est lui qui a conseillé à Bou- l’indépendance (600 000 sont partis entre
Un jeune homme de 25 ans devient mediene de s’appuyer sur Ben Bella. mars et juillet 1962). En novembre 1963, à
ministre de la Jeunesse, des Sports et du nouveau en violation des accords d’Evian,
Tourisme : il s’appelle Abdelaziz Bouteflika… NAISSANCE D’UNE DICTATURE les biens fonciers des Français qui sont par-
Celui-ci a fait la guerre d’indépendance non Le 26 septembre 1962, le gouvernement de tis, déclarés vacants, sont nationalisés sans
les armes à la main, mais comme agent poli- la République algérienne démocratique et contrepartie. Au cours des mois suivants,
tique hors d’Algérie. Intégré à 19 ans dans populaire est officiellement mis en place. Le près de 150 000 pieds-noirs qui voulaient
les unités de l’ALN basées au Maroc, il est FLN en est le parti unique, adossé à l’appa- encore rester sur leur terre natale quittent le
devenu un homme de confiance de Boume- reil militaire qui dirige le pays. Bien décidé à pays. En 1965, ils ne seront plus que 50 000 ;
diene, suivant son ascension jusqu’à la tête démanteler les accords d’Evian, à ses yeux il n’en restera plus que quelques milliers
de l’état-major général à Oujda et remplis- trop favorables aux intérêts français, Ben dans les années 1980, sur une communauté
sant pour lui des missions stratégiques. Bella fait en outre adopter, en mars 1963, un d’un million de personnes en 1960.
VOUS RÉVÈLE LES
DESSOUS DE LA CULTURE
Le sort des musulmans profrançais fut Joxe, ministre des Affaires algériennes, et
plus tragique encore. En théorie, ceux-ci Pierre Messmer, le ministre des Armées,
NUMÉRO étaient protégés par la clause des accords s’opposèrent à ces transferts clandestins,
DOUBLE d’Evian qui excluait toutes représailles. Dès prévoyant des sanctions pour leurs auteurs.
164 pages le 19 mars 1962, avaient eu lieu pourtant des A partir de l’indépendance, le 3 juillet, la
meurtres de supplétifs de l’armée française. situation bascula pour ceux qu’on désigne
Il s’agissait cependant d’actes isolés, car le sous le terme générique de « harkis ». Ne
FLN se donnait le temps de dresser des listes disposant d’aucune protection, l’armée
12,90
€ En vente de ceux qu’il considérait comme des traîtres. française encore présente en Algérie ayant
Le 15 avril, les harkis avaient été désarmés ; ordre de ne pas intervenir, ils furent livrés à
actuellement
quinze jours plus tard, leurs unités dissoutes. la vengeance du FLN. Elus et fonctionnaires
Une directive laissait alors le droit à ceux qui musulmans de l’administration française,
chez votre marchand se sentaient menacés de demander leur chefs de villages, anciens combattants et
de journaux et sur transfert en France, rupture géographique anciens supplétifs, regardés comme des
www.figarostore.fr/hors-serie et culturelle à laquelle très peu étaient dispo- collaborateurs du « colonialisme fran-
sés. Sentant le danger pour eux, des officiers çais », sont arrêtés. La plupart subissent
commencèrent à organiser l’évacuation d’abominables sévices (mutilations, écar-
vers la métropole des hommes qui avaient tèlements, ébouillantements, etc.) qui
servi sous leurs ordres et de leurs familles. s’achèvent par leur mort. Après la forma-
Mais dès le mois de mai, une série de circu- tion d’un gouvernement algérien régulier,
laires gouvernementales, signées par Louis fin septembre 1962, les arrestations se
poursuivirent, au moins jusqu’en décem-
bre. Ce n’est qu’au début de l’année 1963
que le nombre d’exactions diminua, les
derniers harkis sortant des camps de pri-
sonniers politiques entre 1965 et 1969.
Sur 200 000 à 250 000 hommes ayant servi
dans les unités supplétives pendant la
guerre d’Algérie, 80 000 musulmans avaient
réussi à passer en France, mais ce chiffre
inclut aussi des civils, des femmes et des
enfants. Il est impossible de déterminer LE GOÛT DU POUVOIR Ci-dessus : affiche du candidat Abdelaziz Bouteflika,
exactement le nombre de harkis tués durant la campagne électorale pour la présidentielle, en 1999. Il sera élu avec 73,8 %
après les accords d’Evian. 10 000 victimes ? des voix. Page de gauche, en haut : Bouteflika (au centre), en 1963, âgé de 26 ans
25 000 ? 50 000 ? 80 000 ? Nul ne peut le et tout jeune ministre des Affaires étrangères de Ben Bella. Page de gauche, en bas :
dire en se fondant sur des preuves. La seule juin 1970, lors du cinquième anniversaire du « réajustement révolutionnaire »,
certitude est que cette tragédie reste une nom donné au coup d’Etat de juin 1965. Proche de Boumediene (à gauche), Bouteflika
tache sur l’histoire de France. (à droite) conservera jusqu’en 1979 son portefeuille des Affaires étrangères.
envers L’
de la construction
européenne
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
16
J’ ai tiré sur le fil du mensonge
et tout est venu : ancien député
européen, opposant acharné
aux traités de Maastricht
et de Lisbonne, Philippe de Villiers
h a délaissé le genre des romans
historiques qui ont fait, ces dernières
années, son succès, pour se pencher sur
l’histoire des origines de la construction
européenne. Assisté d’une équipe
de jeunes universitaires qui ont exploré
pour lui les archives de Washington,
Stanford, Berlin ou Moscou, il en
a tiré un livre décapant, où souvenirs
personnels et méditations sur
le destin de la civilisation européenne
s’entremêlent avec une enquête
minutieuse, appuyée sur une
documentation d’autant moins
contestable qu’il a choisi d’en reproduire, Votre livre fait scandale, seul fait qu’il ait été lorrain : ma famille
en une centaine de pages d’annexes, depuis sa parution, par la paternelle était lorraine aussi, mais elle
de larges extraits. L’exploration vision iconoclaste que vous avait opté pour la France, et mon grand-
des circonstances qui ont conduit y donnez de la biographie des père et ses frères sont allés comme des
Robert Schuman, Jean Monnet deux Pères fondateurs de millions de Français défendre leur
et l’Allemand Walter Hallstein à porter l’Union européenne, Robert patrie en pantalon garance : le choix de
sur les fonts baptismaux la première Schuman et Jean Monnet. la famille Schuman n’avait donc rien
ébauche de la Communauté européenne J’y révèle en effet, documents à l’appui, d’inévitable). Ayant, après la victoire
n’y fait pas seulement entrevoir certains aspects méconnus ou parfois des Alliés en 1918, choisi la France,
quelques vérités dérangeantes. complètement occultés de leur curri- Robert Schuman fut, entre-deux-guer-
Elle réduit en poussière la légende dorée culum vitae. Comment Robert Schu- res, un pacifiste fervent soutenant les
dont la fondation de l’Europe a été man a, par exemple, porté l’uniforme accords de Munich. « Nous ne voulons
entourée et permet de jeter un nouveau allemand pendant toute la guerre de aucune politique d’aventure et nous
regard sur ses véritables finalités. 1914 (on me dit que cela s’explique par le ne nourrissons aucune hostilité contre
FIL D’ARIANE
Ci-contre : Philippe de
Villiers. Il publie avec J’ai
tiré sur le fil du mensonge
et tout est venu une
charge appuyée sur des
l’Allemagne », s’était-il exclamé en 1936 documents accablants
à la Chambre des députés lors de la remi- pour les fondateurs
litarisation de la rive gauche du Rhin par de l’Union européenne.
Hitler. Son tempérament était celui d’un Page de gauche :
« accompagnateur des événements », la signature du traité
reflet d’une âme tranquille qui se tient de Rome, dans le palais
toujours à bonne distance du fracas et du Capitole en 1957.
de la fureur. Il « faut raisonner Hitler »,
disait-il. Après avoir été nommé ministre
du premier gouvernement Pétain, il
avait voté les pleins pouvoirs au maré-
chal en 1940, avant de quitter Vichy
pour rejoindre non pas Londres, mais
curieusement la Lorraine annexée par
les Allemands, afin d’y brûler à la hâte
des papiers et de la correspondance
© AFP. © PHILIPPE LAVIEILLE/PHOTOPQR/LE PARISIEN/MAXPPP.
De Gaulle, il avait écrit une lettre à Harry Mémoires de Jean Monnet. ont vocation à être toujours réécrites.
Hopkins, premier conseiller de Roose- Comme l’a remarqué orgueilleusement
velt, disant que la tonalité des propos lui Il y a loin, pourtant, entre le président de la Cour de justice des
avait paru hitlérienne et qu’il lui semblait la Ceca et l’immense Union Communautés, Robert Lecourt, le droit
urgent de « détruire De Gaulle » avant européenne actuelle… européen est « porteur de charges dyna-
qu’il ne compromette, la paix revenue, la Tous les facteurs qui ont présidé au pro- miques à effet différé ». François Fon-
reconstruction européenne. cessus d’intégration européenne y figu- taine, ce haut fonctionnaire européen
raient déjà, au contraire. Son principe qui fut le véritable auteur des Mémoires
Quel fut le rôle exact même consistait à créer une instance dont Monnet n’a guère écrit que la
de ces deux hommes dans la technicienne au profit de laquelle les toute dernière page, dira que cette
création de la Communauté Etats seraient invités à se dessaisir de déclaration de 1950, due à la collabora-
européenne ? leurs compétences, y compris régalien- tion de Schuman et Monnet, marquait
Dans toute l’Europe, de la plus petite nes ; à former une bureaucratie supra- « un commencement absolu ».
école primaire aux chaires des plus nationale à laquelle les peuples seraient
prestigieuses universités, l’histoire invités à faire allégeance en dépassant Vous racontez cependant
de la construction européenne est leurs égoïsmes nationaux. Elle était fon- que cette déclaration avait
aujourd’hui enseignée sous la forme dée, déjà, sur l’idée que l’Europe se ferait très largement été dictée
d’une sorte d’« Histoire sainte ». Schu- à petits pas, par l’amputation progres- aux deux hommes par leurs
man et Monnet y sont décrits comme sive de pans entiers de la souveraineté alliés américains.
18 les « Pères fondateurs », les prophètes nationale au profit d’institutions post- Le mot « Père fondateur » vient lui-
h de cette conquête de la Terre promise. politiques placées entre les mains de m ê m e d e l ’A m é r i q u e . I l é v o q u e
Jean Monnet est le Moïse de cette nou- techniciens apatrides. Elle initiait, par là, Washington et Jefferson. Monnet et
velle alliance qui a fait sortir les Euro- une dynamique dont l’institution mise Schuman avaient été choisis par Dean
péens du désert (le monde né des traités en place ne devait être qu’une première Acheson, le secrétaire d’Etat de Tru-
de Westphalie, en proie aux nationalis- étape, appelée à être dépassée selon man, pour tenir ce rôle. Il s’agissait de
mes, aux divisions et aux guerres) tandis le procédé que j’ai désigné dans mon faire apparaître, avec eux, des figures
que Robert Schuman se contente du livre comme la technique du « voleur rassurantes, qui permettraient d’accré-
rôle plus effacé de Josué, qui a conduit chinois » : une succession de change- diter, auprès des Européens, l’idée
le peuple élu dans le pays où coulent le ments imperceptibles justifiés par qu’on s’apprêtait à fonder les « Etats-
lait et le miel des fontaines et où le lion des raisons d’efficacité et qui mènent Unis d’Europe » comme Washington
dort enfin paisiblement aux côtés de de proche en proche au démantèle- et Jefferson avaient fondé les Etats-
l’agneau ; il est celui qui a fait tomber ment des Etats souverains sans que Unis d’Amérique. Partant, que l’Europe
les frontières au son de la trompette
comme les murailles de Jéricho. On célè-
bre la fête de l’Europe le 9 mai, pour
l’anniversaire du jour où, ministre des
Affaires étrangères françaises, Robert
Schuman a fait en 1950 depuis les salons
du Quai d’Orsay, à l’instigation de Jean
Monnet, une déclaration solennelle qui
posait le principe de l’association de
la France, de l’Allemagne de l’Ouest, de
l’Italie et des trois pays du Benelux au sein
d’un « pool » où seraient mises en com-
mun leurs productions de charbon et
d’acier, prélude à la formation de la Com-
munauté européenne du charbon et de
l’acier (Ceca), puis des Communautés
allait être une grande puissance analo-
gue à la leur. Mais il s’agissait là d’une
vision mythique de l’Histoire. La réa-
lité est tout autre.
Dans une France déboussolée par la
guerre et par les destructions, menacée
en outre par les Soviétiques, dont les
chars manœuvraient à quelques cen-
taines de kilomètres de la frontière du
Rhin, les faibles gouvernements de la
© DPA/AFP. © KEYSTONE-FRANCE.
de l’Ouest ? Lorsque
Page de droite : le Parlement français
au centre, Walter débat de la CED, en 1954,
Bedell Smith Staline n’est mort que
(sous-secrétaire depuis un an…
d’Etat américain), Les Etats-Unis ont certes invoqué le
et Jean Monnet contexte de la guerre froide pour justifier
(Haute Autorité les pressions qu’ils exerçaient sur leurs
de la Ceca) signent alliés. Mais ils l’ont fait comme les Athé-
l’accord du niens avaient invoqué la menace perse
premier emprunt pour établir leur hégémonie sur les autres
accordé par cités grecques, au Ve siècle av. J.-C. Leur
les Etats-Unis objectif stratégique ne se limitait pas à la
à la Ceca, le volonté de cantonner les Soviétiques à
23 avril 1954. l’est de l’Elbe. La Seconde Guerre mon-
diale les avait amenés à développer leur
appareil productif dans des proportions
son accession à la présidence de la Haute Acheson en 1950. Comprenant les réser- gigantesques. Le risque était, la paix reve-
Autorité en brûlant en public son passe- ves que ne manquerait pas de susciter, nue, qu’il tourne à vide. Il leur fallait un
20 port diplomatique français ! cinq ans après la fin de la guerre, la résur- grand marché extérieur pour écouler la
h On avait commencé par le charbon rection de l’armée allemande, il enten- surproduction de leur industrie. Tel avait
et l’acier, parce qu’ils sont nécessaires à dait fondre les forces du Vieux Conti- été le sens du plan Marshall, qui les avait
la construction des armes modernes. nent au sein d’une armée européenne vus en 1948-1951, prêter des sommes
L’idée était que si elles mettaient en que la nécessité de faire face à la menace considérables aux Etats occidentaux
commun matières premières et sour- soviétique conduirait à placer sous pour les aider à se reconstruire, mais sur-
ces d’énergie, les nations européennes commandement américain. Pour faire tout pour les inciter à s’approvisionner en
seraient désormais incapables de se faire bonne mesure, le traité devait être pré- productions américaines. Tel était le but
mutuellement la guerre ; qu’elles ne cédé d’une « constitution européenne » premier de leur action en faveur de la
pourraient plus la faire, éventuelle- dont deux juristes américains, Carl Frie- construction européenne : disposer en
ment, qu’ensemble, sous la direction drich et Robert Bowie, avaient dessiné Europe d’un unique grand marché per-
des Américains. On n’avait pas pris les grands traits. Dans la préface qu’il mettant à leurs produits de trouver un
garde que c’était les déposséder, en donnerait plus tard à leur livre sur le débouché sans être gênés par des frontiè-
même temps, d’une de leurs libertés fédéralisme, l’ancien Premier ministre res internes, des droits de douane, des
les plus essentielles : leur capacité à se belge (et futur secrétaire général de réglementations tatillonnes, des tradi-
défendre de manière autonome. L’étape l’Otan) Paul-Henri Spaak les remercie- tions culturelles entravant la produc-
suivante allait le révéler puisqu’elle avait rait d’avoir contribué en première ligne tion de masse de produits standardisés.
naturellement concerné la question à la rédaction de cette constitution. Il fallait pour cela à la fois faire disparaî-
militaire, avec le projet de fusion des C’était aller trop vite et trop loin, et une tre les frontières et araser les identités,
armées européennes au sein d’une Com- partie des députés se sont alors insur- de manière à formater à l’américaine un
munauté européenne de défense (CED). gés, notamment à l’instigation des gaul- continent de consommateurs nomades,
L’initiative était venue, une nouvelle fois, listes menés par Michel Debré. Le projet avides d’accéder aux productions consti-
d’Amérique. Les Etats-Unis jugeaient fut rejeté à quelques voix près. Mais tutives de l’American way of life. Il fal-
que leur défense de l’Europe de l’Ouest Debré avait dû, pour cela, chasser les lait aussi réduire le pouvoir des gouver-
face aux Soviétiques leur coûtait trop diplomates américains qui démar- nements à celui de simples relais d’une
cher et qu’il leur serait plus commode chaient, l’un après l’autre, les parlemen- « commission exécutive » chargée
d’y commander des troupes autochto- taires français, jusque dans l’hémicycle d’imposer leurs normes et d’assurer leur
nes. « Je veux des Allemands en uniforme du Conseil de la République, pour les intégration à un même bloc géopoliti-
pour l’automne 1951 », s’était écrié Dean convaincre d’adopter le traité. que transatlantique. Le marché commun
serait acquis avec le traité de Rome en
mars 1957. Avec lui, l’étrange équilibre
institutionnel qui mettrait l’Europe sous
la coupe d’un pouvoir acéphale, sans his-
toire et sans identité, en confiant le pou-
voir exécutif et en réservant le monopole
de l’initiative des lois à une commission
indépendante de techniciens nommés
et non élus, s’engageant à se déterminer
sans considération des intérêts de leur
pays d’origine, et à faire prévaloir contre
les vieux attachements, les vieilles tradi-
tions, les seules règles du divin marché. mais de versements qui représente- touché d’argent étranger. Or il ne se
raient, aujourd’hui, plus de 4 millions contente pas d’en recevoir, il en réclame
A cette époque, Jean d’euros, et qui assuraient à son comité à ses bailleurs avec insistance.
Monnet a quitté depuis plus de 80 % de son financement. Il n’est Le plus grave est que ces versements
deux ans la présidence de pas question ici de rumeurs, de fantas- donnaient lieu à des contreparties de la
la Haute Autorité de la Ceca mes ou de complotisme. Je publie en part des bénéficiaires. La CIA ne dila-
pour prendre la direction effet dans les cent pages d’annexes de pide pas inutilement ses fonds. Ils ont
d’un Comité d’action pour mon livre la photo des courriers ou des été accordés à Monnet pour obtenir de
les Etats-Unis d’Europe. notifications de virements : une lettre lui des rapports d’activité (sur les res-
Il est ouvertement devenu, comme de janvier 1958 de la Chase Manhattan sources énergétiques de l’Europe, l’état
Schuman, lobbyiste, en quoi l’on voit Bank de New York, dont le président de dépendance du continent, les pro-
qu’ils avaient, dès alors, bien compris John McCloy était un hiérarque des ser- jets d’action européens, la situation de
l’un et l’autre où se trouvait l’essence du vices secrets, annonçant à Monnet l’agriculture, par exemple) contenant
pouvoir dans le nouveau système post- qu’elle avait le plaisir d’ouvrir un compte des informations qui ont parfois un
national européen. Schuman préside en faveur du centre de documentation caractère confidentiel.
le Mouvement européen et Monnet, de son comité avec un dépôt initial de Ils l’ont été surtout en échange de
le Comité d’action pour les Etats-Unis 100 000 dollars (786 800 euros en 2019) campagnes que Monnet a mis en
d’Europe, deux groupes de pression versé à son intention par la Fondation œuvre pour servir les intérêts améri-
dont l’objet est le même : constituer un Ford, dont chacun sait qu’elle était l’un cains contre ceux de la France. On le
réseau d’influence en faveur de l’inté- des cache-sexes de la CIA ; des lettres voit ainsi, alors que se manifeste en
gration des nations dans un seul ensem- de Monnet réclamant de nouveaux ver- France, à la fin de la IVe République, la
ble américano-centré. L’une des décou- sements à la Fondation Ford ; un télé- volonté de doter le pays de l’arme
vertes que j’ai faites à l’occasion de la gramme de la fondation annonçant un nucléaire, pousser à la création d’Eura-
préparation de mon livre, grâce aux nouveau versement de 150 000 dollars tom, et à travers elle, à la mise en com-
équipes de chercheurs qui se sont mis à (1 180 000 euros en 2019) ; d’autres let- mun des matières fissiles et au choix de
ma disposition pour m’aider en allant tres de Monnet, datant de 1960, puis la filière de l’uranium enrichi – mono-
dépouiller les archives déclassifiées, iné- de 1963, demandant de nouveaux vire- pole américain – au détriment de l’ura-
dites, aussi bien à Washington, à Stan- ments ; une dernière, de 1966, ou ce n’est nium naturel – filière française. Le but
ford, à Lausanne qu’à Berlin ou à Mos- même plus au profit de son centre de est évidemment d’empêcher la France
cou, est que cette activité de lobbyiste documentation (qui jouait jusque-là le d’atteindre à l’autonomie nucléaire. Je
a été, contrairement aux dires de Mon- rôle de société écran pour préserver les publie dans mon livre les télégrammes
net, qui a toujours prétendu n’avoir apparences) mais du Comité lui-même échangés à ce sujet par Monnet et le
jamais bénéficié de l’aide d’aucun gou- que Monnet réclame une dotation. secrétaire d’Etat américain John Foster
vernement, presque entièrement finan- On s’échine depuis la publication de Dulles, que mes chercheurs ont décou-
cée par des versements de fondations mon livre à minorer l’importance de ces vert dans les archives. La manœuvre
américaines qui n’étaient elles-mêmes versements. Je remarque d’abord que fera long feu lors de l’arrivée au pouvoir
que des sociétés écrans, des prête-noms Monnet a menti à leur sujet puisqu’il de De Gaulle, qui refusera que la France
de la CIA. Il me semble que l’on peut dire prétend, dans ses Mémoires, que l’essen- se laisse dicter ses choix.
que Monnet était leur agent d’influ- tiel de ses ressources lui venait de ses On voit encore Monnet à la manœuvre
ence, leur honorable correspondant. cotisants, de partis ou de syndicats lors de la négociation du traité de l’Ely-
Car il ne s’agit pas de petites sommes, sympathisants et qu’il n’avait jamais sée, signé par De Gaulle et Adenauer. Il
les services américains regroupaient un
certain nombre de dignitaires nazis qui
n’avaient pas de sang sur les mains et
qu’ils entendaient rééduquer – on dirait
aujourd’hui déradicaliser – pour les uti-
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
LA FORCE
DE CE QUI DEMEURE
© SANDRINE ROUDEIX.
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
Jean d’Ormesson dans l’inoubliable Au plaisir de Dieu : « L’histoire, se perpétuer lui impose d’avoir conscience qu’elle n’existe pas en
c’était nous, nous l’apprenions sur les tableaux de Plessis-lez-Vau- dehors des contingences du temps et qu’elle ne peut se perpétuer
dreuil », ou à ceux de la princesse Bibesco, héritière d’une grande sans une adaptation au changement ». Certes. Nul ne l’a dit cepen-
famille de l’Empire byzantin, disant : « La chute de Constantinople est dant avec plus de cynisme tranquille que Tancrède, le neveu du
un malheur personnel qui nous est arrivé la semaine dernière ! » prince Salina, dans Le Guépard : « Il faut que tout change pour que
La tradition familiale s’inscrit cependant aussi dans la pierre. Le rien ne change. » Or on peut avoir quelque peine à ranger l’art de
château en est la figure de proue. Ces « demeures des champs » s’adapter aux circonstances et aux changements de régime parmi
ont été conçues pour durer et survivre à leur commanditaire. Elles les hautes vertus aristocratiques !
ont été édifiées, écrit Eric Mension-Rigau « pour s’inscrire dans une Eric Mension-Rigau ne s’illusionne pas, du reste, sur les limites
mémoire longue ». Son livre donne cent exemples des efforts du milieu qu’il étudie avec sympathie. Il n’est dupe de rien. Il décrit
désespérés, des sacrifices de toute une vie qui sont désormais les fragilités, évalue les périls, mesure les mesquineries et les
nécessaires pour maintenir ces ruineux édifices qui sont bien plus méchancetés, les mots terribles sur les mésalliances d’amour :
que des pierres, qui portent une mythologie et qui structurent « Deux ans de plaisir, trente ans de bout de table »…
encore nos campagnes. Alors qu’au XIXe siècle, notamment sous Là n’est pas, pourtant, l’essentiel. L’intérêt majeur de son enquête
la monarchie de Juillet et le Second Empire, le château restait est de montrer la force que représente pour les communautés
encore le refuge et le lieu d’un ancrage souvent politique, les coûts humaines ce qui demeure, par-delà le flux des générations. De ce
d’entretien, les droits de succession et les exigences de la vie point de vue, la leçon est universelle. Elle dépasse infiniment
moderne, où les carrières sont désormais de plus en plus interna- la noblesse. Les mots d’Eric Mension-Rigau sur l’aristocratie font
tionales, en ont fait aujourd’hui une lourde charge. Son abandon penser à ce qu’écrivait Péguy, fils d’une rempailleuse de chaise, sur
menacerait pourtant un élément constitutif de l’identité de la la dignité des simples, dans L’Argent : « Tout était une tradition, un
noblesse, donc une part de sa pérennité. enseignement, tout était légué, tout était la plus sainte habitude. Tout
Il lui reste heureusement l’essentiel, des principes que l’auteur était une élévation, intérieure, et une prière, toute la journée, le som-
résume en ces termes : « se tenir » et « s’y tenir » en assumant la meil et la veille, le travail (…). Un respect des vieillards, des parents, de
nécessité de pérenniser dans le monde tel qu’il va des destins hors la parenté. (…) Un respect de la famille, un respect du foyer. » L’écri-
normes. Balayant en quelques pages des siècles d’histoire, Eric vain avait, mieux que personne, senti que riche ou pauvre, pour
Mension-Rigau nous fait mesurer combien, ce qui est en cause, avoir des ailes, il faut avoir des racines. Plus profondément elles
c’est de faire partie des « primores », des « optimates » au nom du s’enfoncent, plus haute sera la ramure. 2
« noblesse oblige ». C’était la féodalité, le service du roi à Versailles,
le métier des armes sous la IIIe République, le service de Dieu par-
fois. C’est aujourd’hui souvent, pour le meilleur et pour le pire, « le À LIRE
lieu de combat contemporain, l’entreprise ». L’une des interviewées
confesse ingénument ce qui constitue, en définitive, une limite
de la continuité revendiquée, quand la volonté de conserver son Enquête
prestige prend le dessus sur le désintéressement qui en avait été sur la noblesse
autrefois la justification : « Plus de guerre pour devenir des héros et Eric Mension-Rigau
se refaire un nom. Alors que reste-t-il à faire à cette jeune généra- Perrin
tion ? Se retrousser les manches et devenir entrepreneurs en créant 320 pages
des sociétés. Le monde du Web, ils y croient comme leurs ancêtres 24 €
quand ils partaient en croisade. » Résumant cet engagement
d’énergie sociale, Eric Mension-Rigau constate que « la volonté de
À LIVRE OUVERT
Par Michel De Jaeghere
L’Homme
de sa vie
Jean Tulard publie un savoureux recueil
de chroniques consacrées à Napoléon
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
A
quoi tiennent les choix qui conditionnent l’existence ? Un pamphlets, aux Mémoires, à la vie quotidienne, aux ministres, à
hasard fait de vous, parfois, un traître ou un héros. Une entre- l’administration, rejoints en 1988 par un monumental Dictionnaire
vue fugitive, un rendez-vous manqué, une bifurcation qu’on où sont décortiqués toutes les institutions, les personnages et les évé-
a ratée, et c’est toute une vie qui change de couleur, un destin accom- nements relatifs à Napoléon. Conforté par des talents de pédagogue
pli ou manqué. Celui de Jean Tulard s’est joué avec une rencontre à qui ont fait longtemps de ses cours en Sorbonne l’un de ces rendez-
quoi rien ne le prédestinait. Il n’avait pas collectionné, enfant, les vous qu’aucun de ses étudiants n’aurait manqué, un humour pince-
soldats de plomb de la garde impériale, rêvé devant les uniformes sans-rire à la Buster Keaton, une verve de conteur qui faisait merveille
des hussards de la Grande Armée. Et s’il avait contracté le goût de à la télévision à une époque où l’histoire procurait aux Dossiers de
l’histoire dans Les Trois Mousquetaires, il n’avait lu ni les Mémoires l’écran ou à Apostrophes quelques-uns de leurs débats les plus enflam-
de Marbot, ni les Cahiers du capitaine Coignet. Ses passions le por- més, son magistère ne devait plus être contesté. Il résisterait même à
taient vers le cinéma (il y a satisfait, depuis, avec les cinq volumes de l’enthousiasme envahissant de Max Gallo, qui s’essaya, un temps, sur
son dictionnaire), la gastronomie et le roman policier. ses terres avec un démarquage un peu balourd de la correspondance
Reçu premier à l’agrégation d’histoire, ce bon élève avait choisi de de Napoléon. Jean Tulard s’est imposé depuis cinquante ans comme
consacrer sa thèse à l’administration de Paris de 1800 à 1830 parce que l’historien majeur du Premier Empire. Il y revient aujourd’hui avec un
26 sa mère était conservatrice des archives de la Préfecture et qu’elle bouquet d’articles, contributions savantes, conférences inédites ou
h les avait largement ouvertes aux chercheurs. Traiter de la création de dispersées jusqu’alors dans des revues, des ouvrages collectifs, des
la Préfecture de police ou du département de la Seine, c’était cepen- journaux. Le recueil témoigne, comme à l’accoutumée, d’une érudi-
dant se confronter avec leur créateur à une époque où l’Université tion étincelante, où l’histoire économique et sociale fait place à la cri-
le boudait. La nouvelle histoire dominait, alors, les pensées. Avec elle, tique littéraire ; où la science sans pareille des questions administrati-
le mépris pour la biographie, les batailles, les grands hommes qui ves ou fiscales ne désarme jamais le bonheur d’écrire ; où la rigueur
n’avaient jamais été, disait-on, que le produit de leur époque, le reflet scientifique se conjugue avec un sens du récit et de l’anecdote
d’une histoire sociale plus austère mais ô combien plus vraie. Il n’y d’autant plus savoureuse qu’on est assuré, avec lui, qu’elle est vraie. On
avait pas alors de chaire d’histoire du Premier Empire à la Sorbonne. y mesure cependant tout le paradoxe de l’œuvre d’un historien aux
L’épopée napoléonienne ne semblait pas digne de l’Université. On la curiosités universelles et que la destinée aura ramené, encore et tou-
laissait aux vulgarisateurs qui la racontaient en laissant libre cours à jours, au même sujet. Qu’il y traite de la vision qu’eut Napoléon de
leur fantaisie, à leurs effets de plume : André Castelot ou Alain Decaux. Robespierre ou des libertés laissées à Cambacérès pour administrer
C’est alors que, secrétaire de l’Ecole pratique des hautes études, l’Empire en l’absence du maître, du destin malheureux des artistes
Michel Fleury décida de réintégrer l’Empereur dans l’histoire savante sous l’Empire ou de la fécondité littéraire du règne, c’est un portrait en
en créant, en 1966, un département d’Histoire du Premier Empire et creux qu’il dessine. Comme s’il multipliait les points de vue pour
en confiant au jeune chercheur la mission de lui frayer un chemin échapper à l’unique personnage auquel son œuvre d’historien l’aura
entre le trou noir des Annales et les anecdotes inventées de la petite inexorablement reconduit, pour parler, enfin, d’autre chose : du
histoire. A 33 ans, Jean Tulard se retrouvait directeur d’études sans monde de la police revisité par Balzac ou du bêtisier de Flaubert ; des
avoir jamais été assistant ni maître de conférences, et en n’ayant à son idées politiques du marquis de Sade ou du rôle de Stendhal dans la
actif qu’un trimestre d’enseignement au lycée de Compiègne. formation du mythe impérial. Encore lui, toujours lui, semble nous
Bonne pioche : 1969 devait être marquée par les festivités du bicen- dire Jean Tulard : comme s’il attendait l’échéance 2021 (le bicente-
tenaire de la naissance de Napoléon. Jean Tulard allait devenir, pour naire de la mort du grand homme, après quoi il ne restera plus guère à
des décennies, la référence universitaire sur le sujet alors même que célébrer que le retour des cendres !) comme une délivrance. De Napo-
se succédaient les anniversaires, de la campagne d’Italie à Waterloo. léon et de quelques autres sujets, annonce le titre de son recueil. Ce livre
Loin de le desservir, la réserve même que lui inspirait la personne de allègre n’a rien d’un mélancolique chant du cygne. Il apparaît bien
l’Empereur devait l’aider à le considérer sans parti pris : à bonne dis- plutôt comme un congé donné sans amertume mais sans regret à un
tance pour en parler avec impartialité. Avec Napoléon ou le mythe du homme de sa vie qui, décidément, n’était pas son genre.2
sauveur, il en donnerait, en 1977, ce qui reste aujourd’hui la biogra- De Napoléon et de quelques autres sujets, de Jean Tulard, Tallandier,
phie essentielle, navire amiral d’une flottille d’ouvrages consacrés aux 336 pages, 20,90 €.
C ÔTÉ LIVRES
Par Jean-Louis Voisin, Geoffroy Caillet, Frédéric Valloire, Michel
De Jaeghere, Charles-Edouard Couturier, Philippe Conrad, Dorothée
Bellamy, Marie Peltier, Philippe Maxence, Guillaume Perrault, Mathilde
Brézet, Henri-Christian Giraud, Yves Chiron, Marie-Amélie Brocard
comme un administrateur hors pair de sa terre et un fin stratège. Vainqueur à Hastings, ils, quelles étaient leurs activités
il devint roi d’Angleterre et fut le bâtisseur du premier empire transmanche. Une œuvre quotidiennes ? Autant de questions
monumentale, multidisciplinaire, aussi précise que passionnante et dont on ne peut auxquelles Mathieu da Vinha répond
que saluer l’implacable souci de vérité. C-EC dans cet ouvrage, dont l’ambition est
Flammarion, 864 pages, 28 €. de satisfaire la curiosité du lecteur sur
des thématiques allant de l’architecture
à l’étiquette de cour, en passant
Les Chrétiens dans al-Andalus. Rafael Sánchez Saus par l’hygiène ou les jardins. Et de battre
L’histoire de l’Espagne musulmane est depuis longtemps l’enjeu d’une en brèche au passage quelques idées
récupération idéologique qui présente al-Andalus comme un modèle reçues… Le découpage en questions est
de « tolérance », un paradis du « vivre-ensemble ». Cette interprétation, efficace : tous les aspects, parfois triviaux
inspirée par une volonté de déconstruction du « roman national ou anecdotiques, de la vie quotidienne
catholique » espagnol, a déjà été remise en cause, mais Rafael Sánchez à la Cour sont retranscrits fidèlement
Saus apporte de nouveaux éléments à cette relecture nécessaire. grâce à un important travail sur les sources.
Professeur à l’université de Cadix, l’auteur met en lumière les violences et Un livre indispensable pour qui
les humiliations imposées aux dhimmis, tout comme l’éradication à peu veut découvrir la vie à Versailles. DB
près totale du christianisme mozarabe après l’irruption dans la péninsule Ibérique Tallandier, 352 pages, 15,90 €.
des envahisseurs almoravides et almohades venus du Maroc aux XIe et XIIe siècles. PC
Editions du Rocher, 528 pages, 24 €.
28
h Le Faste et la Fureur.
Nos petites patries. Identités régionales et Etat central, L’armée française
en France, des origines à nos jours. Olivier Grenouilleau de Rocroi à Valmy
L’histoire de France paraît celle d’une tension multiséculaire entre un centre Hervé Drévillon
et sa périphérie aux noms divers, pays, régions, provinces. Mais, c’est l’une et Dominique Prévôt
des leçons de cet essai qui conduit jusqu’aux débats actuels, il faut nuancer. (dir.)
Car avant Louis XIV et la société de cour, avant ce clivage entre Paris- Des guerres du Roi-
Versailles et la province que la Révolution cristallisera et politisera, cette Soleil aux réformes de
opposition n’existait presque pas. D’où la question : comment sont l’armée révolutionnaire,
apparues ces identités régionales ? Réponse de Grenouilleau : c’est la monarchie elle-même c’est un véritable tableau des armées
qui les a façonnées à partir du XIIIe siècle. Elle les a surimposées à des cités gallo-romaines, filles que présente ce grand album richement
de peuples gaulois, afin de lutter contre les principautés des grands féodaux. Les allers-retours documenté et illustré. Au fil du temps,
entre les siècles demandent un effort de lecture. La récompense ? Une profonde réflexion. FV des souverains et des grands capitaines
Gallimard, « Bibliothèque des histoires », 288 pages, 22 €. des XVIIe et XVIIIe siècles, l’armée
a sans cesse dû se transformer, s’adapter,
s’étoffer. Non seulement au niveau
Et ils mirent Dieu à la retraite. Une brève histoire de l’histoire. Didier Le Fur stratégique mais aussi sur le plan humain
Comment écrit-on l’histoire ? La réponse de Didier Le Fur, spécialiste de la Renaissance, en prenant en considération le métier
prend ici la forme d’un essai vigoureux. L’essor de l’idéologie du progrès à partir du de soldat. Et c’est également le but
XVIIe siècle, observe l’auteur, a déterminé une réécriture de l’histoire sans Dieu au moyen de de cet ouvrage que de donner une
méthodes à visée scientifique. Celle-ci s’est traduite dans les faits par une écriture de l’histoire dimension humaine aux faits historiques,
du progrès, où la France tenait un rôle privilégié. Mais l’entreprise s’est en alliant les objets, armes, cartes
finalement soldée par des déformations analogues à celles qu’elle prétendait issus des collections du musée de l’Armée
corriger et par le rejet de l’histoire politique, avec ses biographies, son histoire aux études des historiens. Un bel
militaire, au profit de l’histoire sociale et finalement d’une histoire partisane. ouvrage pour les passionnés de l’histoire
De la Renaissance à l’école des Annales, une passionnante historiographie de la guerre. C-EC
de l’histoire et de ses ambitions, ses contradictions et ses limites. GC Somogy Editions d’Art/Musée de l’Armée
Passés composés, 240 pages, 19 €. Invalides, 320 pages, 55 €.
Louis XIV voyageur Foch Jean-Christophe Notin
Christophe Levantal Cent ans plus tard, la France n’en est pas quitte avec la Première
Labeur de fourmi, œuvre de titan, ce livre Guerre mondiale. Après tout, ce n’est que le 28 juin 1919 que fut
réussit l’exploit de récapituler la totalité signé définitivement le traité de paix. C’est l’occasion pour les
des déplacements du Roi-Soleil durant éditions Perrin de republier, dans une version revue et augmentée
son règne. S’appuyant sur les comptes d’une introduction inédite (mais qui n’apporte rien de nouveau),
rendus de La Gazette, complétés par la monumentale biographie de Foch signée Jean-Christophe Notin
de nombreuses autres sources, l’auteur et initialement parue en 2008. Une approche qui se veut équilibrée,
livre un usuel de référence, d’une parfaite mais qui se montre également sévère pour celui qui apparaît
rigueur scientifique, où chacun pourra surtout comme un « fédérateur », incarnation d’énergie et d’espérance. Une figure
avantageusement affiner sa connaissance loin du « génie » militaire, mais qui sut, malgré tout, « assumer ce destin écrasant
des périples du roi, soit en remontant que lui confia l’Histoire ». PM
le temps par la chronologie, soit en Perrin, 544 pages, 27 €.
redécouvrant l’espace par la présentation
cartographique. Un ouvrage inédit
et indispensable pour toute approche André Tardieu. L’incompris. Maxime Tandonnet
préalable à un travail de recherche. MP Léon Daudet l’avait surnommé « le Mirobolant ». Avec sa morgue,
CNRS Editions, 480 pages, 28 €. son élégance raffinée, son image de sportif et d’homme politique
jeune et moderne, imprégné de l’esprit américain, Tardieu (1876-
1945), ce premier de la classe, fit la joie des caricaturistes. Trois
La Face cachée du socialisme fois président du Conseil entre 1929 et 1932, chef des droites aux
français. Jean-Pierre Deschodt législatives de 1932, entré en politique avec enthousiasme, il se heurte
Alors que le Parti socialiste peine aux réalités. Il en sort désenchanté, se retire à Menton, écrit, rêve d’un
aujourd’hui à se relever de ses derniers bipartisme à l’anglaise avec un exécutif renforcé, insiste sur la fracture
échecs, le livre de Jean-Pierre Deschodt entre minorité dominante et masse des citoyens, fustige droite et gauche,
tombe à pic. Ce spécialiste de l’histoire accable la médiocrité du personnel parlementaire, glorifie la religion chrétienne,
du socialisme français remonte aux accuse les Lumières, la libre-pensée et les loges maçonniques d’avoir desservi
origines, dévoilant tout un univers la liberté, s’oppose aux accords de Munich, avant d’être terrassé par des attaques
grouillant de personnalités et de débats, cérébrales. Un essai, très vivant, qui lui rend justice. FV
connaissant une succession incroyable Perrin, 400 pages, 23,50 €.
de divisions et de scissions, nées toutes
de la Fédération du parti des travailleurs
socialistes de France apparue en 1879.
On découvre aussi un socialisme
défenseur de la propriété (pour tous) Partis pris. Littérature, esthétique, politique
et de la famille, adversaire de la grève Marc Fumaroli
et opposé à l’intervention de l’Etat. Voilà un ouvrage qui est une boussole, un compagnon
Proche de Proudhon ou de Comte, d’élite et une consolation. La prestigieuse collection
il ne résista pas aux prétentions « Bouquins », chez Robert Laffont, a eu l’heureuse idée
scientifiques et à la réécriture collectiviste de publier une anthologie d’articles d’un de nos plus
apportée par le marxisme. PM grands esthètes. Au fil de plus d’un demi-siècle de travail
Le Cerf, 384 pages, 24 €. intellectuel, l’écrivain a en effet offert à la presse quantité
de textes conjuguant érudition, pureté et élégance du style et, si le sujet l’exige,
verve du pamphlétaire. On savoure avec bonheur l’expression de son
admiration et de sa gratitude envers les humanités gréco-latines et les génies
de la littérature. L’académicien nous guide dans les subtilités de l’histoire de
l’architecture, des arts et du théâtre. Et l’on jubile en redécouvrant sa férocité
à l’égard de « l’Etat culturel » de la Ve République et de sa prétention. GP
Robert Laffont, « Bouquins », 1 088 pages, 32 €.
Les Crises d’Orient. Vol. II : Les Entretiens oubliés d’Hitler, 1923-1940. Eric Branca
La naissance du Moyen-Orient, Etrange et fascinante revue de presse : seize entretiens accordés par Hitler
1914-1949. Henry Laurens à la presse étrangère. Des entretiens au fil desquels le maître du Reich se montre
Le 17 mai 1920, un mémorandum habile en communication, soucieux de donner une image d’homme de paix.
britannique redéfinissait la zone du Moyen- En face de lui ? Des journalistes généralement fascinés par le personnage et qui
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
Orient et les orientations politico- tombent ainsi facilement dans les mailles de la propagande nazie. Certains
stratégiques à y mettre en œuvre. Au cœur (Châteaubriant ou Lochner, de l’Associated Press) sont favorables au Führer
du dispositif, l’émergence envisagée quand d’autres, comme Dorothy Thompson, dénoncent son goût du sang.
d’un Etat juif. Jusqu’à la Seconde Guerre Le meilleur ? Max Fraenkel, journaliste juif qui parvient à piéger Hitler. Dans son
mondiale, Londres parviendra à maintenir avant-propos, Eric Branca resitue bien les enjeux et éclaire ce jeu de dupes. PM
son monopole dans la région, mais sera Perrin, 260 pages, 22 €.
ensuite contesté par les deux nouveaux
géants : les Etats-Unis et l’URSS. Dans une
approche originale et synthétique d’une Le Tocsin. Henri de Wailly
question d’une complexité incroyable, Il s’appelait Xavier de Hauteclocque, un nom que son cousin germain
Henry Laurens montre l’impact essentiel de Philippe, le futur maréchal Leclerc, rendra célèbre. C’était un ami
la question religieuse, lié notamment au de Kessel et de la même trempe. Grand reporter, particulièrement
réveil de l’islam, souligne les transformations attentif aux problèmes allemands, il a suivi dès 1932 avec une lucidité
qui se sont alors réalisées, et dessine exemplaire l’ascension de Hitler et la montée du péril national-
ce faisant leurs conséquences pour socialiste, n’hésitant pas pour ce faire à pénétrer au cœur de la maison
aujourd’hui. Erudit et passionnant ! PM brune. Il en est mort. Assassiné par empoisonnement en 1935 par les
Fayard, 544 pages, 22 €. sbires de la police politique hitlérienne, titre de l’ouvrage qui rassemble
ses reportages pour Gringoire. « Si l’on peut parler de “témoins qui se font égorger” – les seuls,
selon Pascal, qui méritent d’être crus –, c’est à lui que l’on pense en premier », écrit Henri
30 de Wailly dans cette brève et percutante biographie. Un bel hommage rendu à ce martyr
h Sept conférences sur Marcel authentique du journalisme injustement oublié. Et un beau démenti à ceux qui prétendent
Proust. Bernard de Fallois que la presse française était unanimement aveugle devant la menace nazie. H-CG
Après l’Introduction à la Recherche Editions Italiques, 198 pages, 18 €.
parue en 2018, qui suivait pas à pas
les sept volumes de l’œuvre, ce sont
sept conférences de leur fondateur Les Dictateurs. Jacques Bainville
que publient les éditions de Fallois. Etudier les dictateurs et non la dictature ? C’est l’axe retenu dans
L’approche est thématique. La vie de ce livre, paru en 1935, par Jacques Bainville, plus connu pour son Histoire
Proust est-elle si intéressante que ça ? de France ou pour Les Conséquences politiques de la paix. De Solon
Est-ce que ses personnages ont vieilli ? ou César à Hitler, alors en pleine puissance, les exemples abondent.
Proust est-il pour ou contre l’amour ? Mais Bainville ne donne pas la théorie de la dictature ; il l’expose.
Autour de ces questions, la pensée Dans l’introduction à cette réédition, Christophe Dickès rappelle
de Bernard de Fallois se déploie d’ailleurs que, pour ce dernier livre, l’académicien recourut à plusieurs
en citant de larges extraits du roman plumes et non des moindres : Varillon, Rebatet et Brasillach… PM
et en convoquant Balzac, Pascal, ou Perrin, « Tempus », 320 pages, 9 €.
Chateaubriand. Le texte est accueillant : il
a d’abord été dit et l’on entend la voix du
conférencier tracer un parcours dégagé La Guerre des scientifiques, 1939-1945. Jean-Charles Foucrier
dans les bosquets les plus touffus. Ses La Seconde Guerre mondiale fut par bien des aspects « une guerre
réponses sont franches scientifique », où la science fut mise au service de la guerre. La pénicilline
et convaincantes, utilisée comme traitement thérapeutique à partir de 1944 ou la bombe
on y perçoit le fruit atomique sont les résultats les plus connus des recherches scientifiques
de l’expérience d’une menées pendant le conflit. Mais il y en eut bien d’autres, notamment
vie de lecteur et l’invention du premier ordinateur ou, encore plus déterminantes, la mise
d’une vie d’homme. MB au point du radar et les techniques de décodage. Jean-Charles Foucrier
Editions de Fallois, décrit tout cela dans un livre clair et richement documenté. YC
320 pages, 20 €. Perrin, 450 pages, 24 €.
Paroles de Français anonymes. Au cœur des années trente. Alain Corbin LE CHOIX DU CONSEIL
Ils sont 183 électeurs de Haute-Vienne, un département de gauche depuis la IIe République.
Face à eux, un historien, Alain Corbin, jeune agrégé, les interroge sur leurs souvenirs des
PAR ÉRIC MENSION-RIGAU
années 1934-1936. C’était en 1967. Leurs paroles ont été gelées. Tous sont morts. Corbin a Le Naufrage des civilisations
retrouvé ses notes. Son enquête s’ouvre sur l’affaire Stavisky et le 6 février 1934, et se referme Amin Maalouf
sur les réactions à la victoire du Front populaire en 1936. Elle souligne le rôle de l’école « Je suis né en bonne santé dans les bras
primaire, de la famille et de l’expérience vécue dans la formation de l’opinion ; elle note d’une civilisation mourante, et tout au long
le sentiment de supériorité qu’a donné la victoire de 1918, les clichés qui dominent la vie de mon existence, j’ai eu le sentiment
internationale, les espoirs et le scepticisme à l’égard de la SDN ; elle relève les transformations de survivre, sans mérite ni culpabilité,
du débat politique entre 1935 et 1967. Au total, cette vie provinciale complexe échappe quand tant de choses, autour de moi,
aux classifications sommaires. Un monde perdu que l’on retrouve avec nostalgie. FV tombaient en ruine » : ainsi commence
Albin Michel, 234 pages, 18 €. un essai incisif qui souligne combien
notre époque, depuis quelques décennies,
a rompu avec toute idée de stabilité.
Lire sous l’Occupation. Jacques Cantier Né en 1949 à Beyrouth, où il a vécu
Croisant des sources très diverses, alternant synthèses et études jusqu’en 1975, Amin Maalouf décrit,
de cas, utilisant au mieux l’opposition entre l’état du livre et de la lecture avec finesse, la mosaïque de peuples,
en France à la veille du conflit et l’irruption de la guerre, l’auteur propose de cultures et de religions qui caractérisait
une enquête impartiale sur « la soif de lecture » qu’éprouvèrent les le Levant, et voit dans l’effondrement
Français sous l’Occupation. Auteurs, éditeurs, lecteurs de toutes sortes de ce qui aurait pu devenir un « modèle
(du prisonnier à l’amateur) répondent présents. Guère de jugements éloquent de coexistence harmonieuse
de valeur, mais des faits : liste et nom des prix littéraires de 1939 à 1945, et de prospérité » le début de ce qu’il
rôle de la propagande allemande, géographie de la lecture, analyse de n’hésite pas à qualifier de « ténèbres »,
petits cénacles littéraires, pénurie de papier, livres interdits ou censurés. Bref, une vie littéraire c’est-à-dire la détestation de l’autre et
foisonnante et surprenante : Jean-Paul Sartre signe dans Comœdia et Daniel Cordier, l’incapacité de vivre ensemble, qui se sont
secrétaire de Jean Moulin, dévore à Lyon, en 1942, Les Décombres de Lucien Rebatet… FV répandues sur le monde. L’auteur retrace
CNRS Editions, 384 pages, 25 €. les grandes étapes, depuis les années
1950, de l’embrasement de l’Egypte,
puis du Liban, en brossant les portraits,
Les Musulmans et la machine de guerre nazie longuement réfléchis et sans indulgence,
David Motadel des principaux acteurs de l’histoire
Ils furent au moins 450 000 musulmans à servir sur le front de l’Est contre du Moyen-Orient contemporain.
l’URSS et des milliers dans la SS où ils formèrent plusieurs divisions. Il y eut Une autobiographie
des imams militaires et des écoles de formation de mollahs patronnées émouvante,
par la SS. On y célébrait l’alliance germano-musulmane et on tendait magnifiquement écrite,
à dépasser l’antagonisme entre sunnites et chiites. D’où venaient-ils ? où l’humanisme et la foi en
De partout. Au-delà des avantages démographiques et politiques que les Dieu se conjuguent, sur un
nazis pouvaient en tirer, ils avaient un réel intérêt, Hitler et Himmler en ton toujours mesuré, avec
tête, pour l’islam. Avec malgré tout, un paradoxe, celui de l’infériorité raciale ! Le livre s’impose l’expression de la frayeur.
comme le premier ouvrage solide sur un aspect peu connu de l’histoire de la Seconde Guerre Grasset, 336 pages, 22 €.
mondiale, qui eut des prolongements au-delà de la guerre. Ainsi Saïd Mohammedi, né en
Algérie en 1912, un ancien de la Wehrmacht, croix de fer de 1re classe, devint colonel de l’ALN,
et fut le responsable du massacre de Melouza (374 morts) en mai 1957 ! FV
Editions de la Découverte, 440 pages, 25 €.
Elle est condamnée à cinq ans de camp, puis, en 1946, elle doit travailler comme médecin au « pouvoir du Mal », offrant à treize
« libre » dans un camp. Réhabilitée en 1957, elle rentre à Moscou, commence à écrire « méchants » plus ou moins célèbres
ses Mémoires en allemand. Ils parurent en Autriche après sa mort en 1985, transmis un portrait sous forme de mise en scène
par un compatriote en poste à Moscou. Un témoignage de plus sur le goulag, ce monde dialoguée. Cela se lit comme un scénario
irrationnel ? Certes, mais sans fioritures ni jugement, dépouillé, descriptif, un vrai travail de film ou une pièce de théâtre.
d’ethnologue. Ce qui le rend encore plus terrifiant. FV On y côtoie à un moment clé de leur
Les Arènes, 488 pages, 24,80 €. histoire – et parfois de la nôtre quand ils
détiennent les rênes du pouvoir – des
personnalités connues comme Richard III,
La Guerre froide. John Lewis Gaddis Ivan le Terrible ou Sade, de plus insolites,
Pour ceux qui l’ont connue, il est toujours surprenant de constater tel l’assassin-poète Lacenaire. Aujourd’hui
que la guerre froide (1945-1989) appartient désormais à l’Histoire. comme de leur vivant, ces génies du mal
Hier, ils imaginaient les chars soviétiques à Paris ; aujourd’hui, ce conflit intriguent et suscitent l’intérêt des foules,
est décortiqué par les spécialistes. Professeur d’histoire militaire, tant il est vrai que le vice est souvent
John Lewis Gaddis a surtout écrit cette synthèse pour ceux qui sont plus fascinant que la vertu. M-AB
nés « après ». A partir d’archives inexploitées, il retrace les grands Editions SPM, 286 pages, 25 €.
épisodes de cet affrontement d’ampleur mondiale et de nature inédite.
En construisant son récit autour d’un thème important, il donne
à comprendre l’enchevêtrement des causes et des actions. Très américain dans son Une contre-révolution catholique
32 approche, ce livre rappelle combien le sort des nations ne tient souvent qu’à un fil… PM Yann Raison du Cleuziou
h Les Belles Lettres, 368 pages, 25,90 €. Devenus minoritaires, les catholiques
entendent peser sur les débats. Chercheur
en science politique, l’auteur connaît
L’Affolement du monde. Thomas Gomart bien cet univers sur lequel il a déjà publié
« Appréhender le monde aujourd’hui n’est pas chose aisée en raison de une enquête en 2014. Si seulement 2 %
sa complexité et de la rapidité de ses transformations. » Fort de ce constat, des Français qui se déclarent catholiques
Thomas Gomart, historien et directeur de l’Institut français des relations vont à la messe chaque dimanche
internationales (Ifri), propose une plongée dans dix grands dossiers aujourd’hui – les « observants » comme
géopolitiques, allant de la place de la Chine aux inconnues de la politique il les appelle –, ils ont su transmettre
américaine en passant par la crise de l’Europe, la résurgence de la Russie ou l’intégralité de leur foi et leur vision
la question des migrations. Même si l’on ne partage pas forcément les sous- de l’avenir. La contestation de la loi
entendus philosophiques ni l’idéal politique de l’auteur, on aura intérêt à lire cet ouvrage pour Taubira les a organisés politiquement,
la qualité de l’investigation et les nombreuses données qu’il propose à notre réflexion. PM en les orientant à droite. Si globalement,
Tallandier, 320 pages, 20,50 €. les évêques sont gênés aux entournures,
ils devront comme le reste du pays
compter avec eux. C’est l’émergence, les
Une guerre juste ? Renaud de Malaussène débats, les conflits et la structuration de
Préface de François-Xavier Bellamy ce conservatisme en marche que raconte
La guerre peut-elle être juste ? Cette question, vieille comme le l’auteur avec talent et précision. PM
monde, revient sans cesse hanter les consciences. C’est le cas du général Le Seuil, 384 pages, 23 €.
de Malaussène, ancien commandant de la 27e brigade d’infanterie
de montagne, engagé en Côte d’Ivoire en 2005 et qui s’est retrouvé
impliqué malgré lui dans l’affaire Mahé. Cet assassin reconnu, arrêté par
l’armée française puis relâché par la justice ivoirienne, fut tué par un
sous-officier. Devant les réactions politiques, judiciaires et médiatiques
nées de cet acte, l’auteur livre sa réflexion sur les rapports entre la morale et la guerre
dans un monde qui ignore toute la tension tragique des décisions humaines. PM
Alisio, 272 pages, 20 €.
LA SUITE DANS LES IDÉES
Par Eugénie Bastié
HEUREUX COMME
© FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO.
UN INTELLECTUEL
DE GAUCHE EN FRANCE
Dans un essai foisonnant, le Britannique
Roger Scruton autopsie les ressorts
de la mécanique morale qui sous-tend
R
oger Scruton appartient à une
famille intellectuelle peu prisée
en France, celle des conservateurs
la pensée de gauche, entre orgueil
burkiens, bercés par l’habitude plus
que par la nostalgie, attachés à leur île des abstractions égalitaires et déni
comme à un foyer, étrangers aux cla-
meurs révolutionnaires comme aux ten- des modestes vérités tirées du réel.
tations réactionnaires. Après avoir décrit
dans de nombreux ouvrages l’essence de ce conservatisme, il s’atta- un désespoir amusé. La réponse se situe dans le besoin religieux
che dans Fools, Frauds and Firebrands. Thinkers of the New Left tra- des âmes humaines : les intellectuels de gauche sont le nouveau
duit sous le titre L’Erreur et l’Orgueil, chez L’Artilleur, à ausculter avec clergé d’un monde sans dieu, avec leurs dogmes et leur index, prê-
finesse le grand cadavre à la renverse de la gauche moderne. chant la bonne parole et traquant l’hérésie.
Contrairement à un Jacques Laurent qui ricanait de Sartre et Ce livre réjouira ceux qui s’agacent qu’« aujourd’hui, être de droite
opposait à la rigueur de la gauche sectaire la légèreté galopante [soit] toujours autant une injure qu’avant la chute du mur de Berlin », 33
de la littérature, Scruton prend ses ennemis au sérieux. Il les a lus, mais aussi ceux qui, attachés à la liberté d’entreprendre, s’exaspè- h
souvent avec agacement, parfois avec ennui, et il a fait l’effort de rent des critiques pavloviennes du capitalisme. En bon conserva-
comprendre, derrière la novlangue, les ressorts profonds qui ali- teur britannique, Scruton défend les « petits pelotons » (Edmund
mentent cette mécanique morale qu’on appelle la « gauche ». Burke) – famille, groupes scouts, associations, paroisses, clubs,
Dans cet essai foisonnant, il analyse avec beaucoup de précision corporations, syndicats, associations –, cette « sphère d’amour »,
les théories de ses principaux penseurs modernes : la lecture loin des abstractions égalitaires, qui constitue, entre l’individu et
marxisante de l’histoire comme lutte des classes des Britanniques l’Etat, l’écheveau irremplaçable des liens et des appartenances.
Hobsbawm et Thompson, la conception progressiste du droit de Aux erreurs orgueilleuses, il oppose les modestes vérités tirées
l’Américain Dworkin, l’humanisme marxiste de l’école de Franc- de l’observation du réel.2
fort. Les intellectuels français tiennent une place de choix dans
ce contre-Panthéon avec deux traits distinctifs : l’hostilité fran-
che et la ferveur révolutionnaire. André Breton avait donné le
ton dès 1930 dans le Second manifeste du surréalisme : « Tout est
à faire, tous les moyens doivent être bons à employer pour ruiner À LIRE
les idées de famille, de patrie, de religion. » Jean-Paul Sartre, « le
Méphistophélès de la philosophie occidentale », cimenta par son
œuvre le relativisme et le sentiment antibourgeois qui allaient L’Erreur et l’Orgueil.
servir de catéchisme à toute une génération. Michel Foucault Penseurs de la gauche
radicalisa encore la déconstruction de toute norme sociale. Alain moderne
Badiou, enfin, enjamba des millions de cadavres pour défendre Roger Scruton
mordicus la « vérité » révolutionnaire.
L’Artilleur
L’erreur est humaine, l’orgueil aussi. Mais il prend chez certains
504 pages
les dimensions spectaculaires du déni. « Comment expliquer
qu’après un siècle de catastrophes socialistes, et avec un héritage 23 €
intellectuel qui a volé en éclats à maintes reprises, la position de gau-
che demeure, comme toujours, la position par défaut autour de
laquelle gravitent automatiquement les intellectuels quand on leur
réclame une philosophie globale ? » s’interroge le philosophe, avec
À L’ É C R A N
Par Marie-Amélie Brocard
A l’Est rien de
nouveau
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
PHOTOS : © UFA FICTION GMBH; AFRICAN PHOTO PRODUCTIONS. . © 2018 FOCUS FEATURES LLC. ALL RIGHTS.
tre avec les Etats capitalistes de l’Ouest.
En Afrique du Sud, les services secrets
communistes allemands soutiennent les
opposants à l’apartheid mais, acculés par
le besoin d’argent, profitent en même
temps de l’embargo occidental pour orga-
niser des ventes d’armes à l’armée gou-
vernementale. Lenora, tante de Martin et
LA NOSTALGIE CAMARADE La série d’espionnage allemande Deutschland 86 revient membre également de la HVA, est char-
sur les relations Est-Ouest dans les années 1980, alors que l’Union soviétique et le bloc gée d’une de ces ventes et fait appel à son
de l’Est sont à bout de souffle. Ici, Sonja Gerhardt dans le rôle d’Annett Schneider. neveu pour l’assister. Les aléas de la tran-
saction le conduiront jusqu’à la Libye de
Kadhafi avant d’échouer à Paris, où la mul-
A
llemagne, 1983. En pleine crise des Rauch, un jeune officier garde-frontière, tiplication des attentats met les différents
euromissiles, les autorités de la sous l’identité de Moritz Stamm, pre- services secrets occidentaux sur les dents
Stasi, les services secrets de l’Alle- mier-lieutenant nouvellement engagé alors qu’ils essayent de déjouer une nou-
magne de l’Est, sont convaincues que, der- comme aide de camp du général Edel, velle tentative des Libyens à Berlin Ouest.
rière les prochaines manœuvres de grande chargé des manœuvres d’Able Archer. A Malgré lui, Martin va à nouveau se retrou-
ampleur annoncées par l’Otan sous le 24 ans, acquis aux idéaux socialistes, ver mêlé aux événements.
nom de code « Able Archer », se cache Martin découvre le monde libre. Même si elle ne révolutionne pas le
l’imminence d’une attaque nucléaire de Avec son esthétique rétro, son immer- genre et peut parfois manquer de crédibi-
la part des Etats-Unis, depuis le territoire sion dans la vie des années 1980 des deux lité, cette série d’espionnage et de contre-
ouest-allemand où des missiles Per- côtés du rideau de fer, Deutschland 83 espionnage est fort sympathique. Mais
shing II ont été fraîchement installés. Afin avait attiré l’attention lors de sa diffusion, c’est surtout dans la peinture de la vie quo-
d’en savoir plus, le service de renseigne- jusqu’à obtenir en 2016 l’International tidienne des Allemands de l’Ouest et de
ment extérieur de la RDA, la HVA, envoie Emmy Award de la meilleure série drama- l’Est qu’elle se révèle la plus intéressante, à
à Bonn, malgré ses réticences, Martin tique. La série allemande revient trois ans travers la galerie de personnages qu’on est
amené à croiser au fil des pérégrinations LA DEUXIÈME MORT
du héros. On entre ainsi dans les foyers
est-allemands : ceux qui sont viscérale-
DE MARIE STUART
ment acquis au système, les dissidents qui
ne mèneront pas de contre-révolution
mais se préservent un espace de liberté
D e retour en Ecosse après la mort
de son mari François II, la catholique Marie
Stuart (Saoirse Ronan) se retrouve à la tête
en faisant tourner sous le manteau des d’un royaume protestant. Elle se remarie avec
bibliothèques interdites où George Orwell son cousin lord Darnley mais doit affronter
côtoie Soljenitsyne, des familles sans his- des luttes internes sans merci, aggravées
toire qui se retrouvent brutalement dans par la menace qu’elle représente pour
le collimateur du pouvoir et abandon- le trône d’Angleterre de sa cousine Elisabeth
nent tout pour tenter de franchir le mur (Margot Robbie), dépourvue d’héritier.
en dépit des risques que l’aventure repré- On peine à décrire ce film esthétisant et banal, qui ne doit rien à l’histoire et tout à l’air
sente. On assiste également aux tests du temps. Selon une logique désormais bien éprouvée, le destin de la reine d’Ecosse
médicaux où les malades sont utilisés y devient celui d’une pasionaria féministe, dont la perte est moins le fait de sa cousine,
sans complexe comme cobayes pour quel- solidaire de la cause, que de ces salauds d’hommes. Bien plus : en vraie femme de son
ques marks ouest-allemands, à la mani- temps (le nôtre), Marie est la championne de l’intersectionnalité des luttes. Par la grâce
pulation des enfants dans les orphelinats, d’un casting multiethnique, Noirs et Asiatiques peuplent ainsi les cours d’Ecosse
à l’inquiétante arrivée du nuage de Tcher- et d’Angleterre du XVIe siècle. Et quand son mari lord Darnley couche avec Rizzio,
nobyl dont on veut croire d’abord qu’il l’amant putatif de Marie, c’est elle qui lui donne l’absolution : « Tu n’as pas trahi
n’est que le fruit d’un complot américain… ta nature. » Qu’elle rie, qu’elle crie ou qu’elle accouche, Marie garde un teint diaphane.
De l’autre côté du rideau de fer, se déve- Serait-elle vegan ? Le film ne tranche pas. Geoffroy Caillet
loppent les mouvements pour la paix, infil- Marie Stuart, reine d’Ecosse, de Josie Rourke, avec Saoirse Ronan, Margot Robbie, 2 h 05.
trés à leur insu par des agents de la Stasi,
tandis qu’on voit naître la lutte contre le
sida. On attend désormais qu’un potentiel
Deutschland 89 nous fasse vivre de l’inté-
rieur la chute du mur de Berlin. 2
L’HONNEUR D’UN COMMANDANT
Deutschland 86, dix épisodes de 45 min, Ce documentaire a fait le choix inspiré de laisser la parole à son
diffusés fin avril sur Canal+. protagoniste, disparu en 2013. C’est donc Hélie de Saint Marc
qu’on entend, au fil de photos et de films d’archives, égrener
les saisons de sa vie avec ses propres mots, lus et enregistrés
par Jean Piat. Une vie portée à son incandescence par le feu
de l’histoire, de son internement
à Buchenwald à sa réclusion
pour avoir participé au putsch
des généraux en 1961. Une vie
d’honneur et d’humilité, où brillent
ces mots prophétiques : « Si un
jour on doit ne plus comprendre
comment un homme a pu donner
sa vie pour quelque chose qui
le dépasse, c’en sera fini de tout
un monde, peut-être de toute
une civilisation. » GC
Hélie de Saint Marc, témoin du siècle,
de Marcela Feraru et Jean-Marie Schmitz,
52 min. DVD à commander auprès de :
Secours de France, 29 rue de Sablonville,
92200 Neuilly, 15 €, port compris.
E XPOSITIONS
Par François-Joseph Ambroselli
Roi
enfant
Une exposition exceptionnelle réunit
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
L
e somptueux trésor de Toutankha- « Toutankhamon,
mon voyage sans doute pour la der- le trésor du pharaon »,
nière fois hors d’Egypte. Près de cent jusqu’au 15 septembre 7MYS TÈRES
DE LA VIE
DE L’ENFAN
cinquante merveilles d’or, de cornaline, 2019. Grande Halle T ROI
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LE JEUNE HO
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MME
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de lapis-lazuli, de bronze et de bois doré de la Villette, 75019 Paris. RT
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AVENTURIE
sont présentées à l’exposition « Toutan- Tous les jours de 10 h DU PHARAO RS
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khamon, le trésor du pharaon » de la à 20 h. Tarifs : du lundi TOUTANKH
© LABORATORIOROSSO, VITERBO/ITALY
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Grande Halle de la Villette, dont les béné- au vendredi : 22 €, plein LE TRÉSOR
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fices financeront la construction du futur tarif ; 18 €, tarif enfant DU PHAR AO
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Grand Musée égyptien au Caire. A cette (de 4 à 14 ans) ; 20 €, ANDE HAL TION ÉVÉNEMENT
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LE DE LA
VILLETTE
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occasion, Le Figaro Hors-Série publie un personnes à mobilité
numéro événement qui, avec la contribu- réduite ; les tarifs sont majorés de 2 € pendant
36 GARDIEN DANS L’AU-DELÀ tion des égyptologues les plus réputés, le week-end, les vacances scolaires (zone C)
h Statue à l’effigie du roi trouvée par éclaire l’histoire de ce roi enfant, mort à et les jours fériés ; gratuit pour les moins de 4 ans.
Howard Carter en 1922 dans la tombe l’âge de 17 ans, après avoir régné une Rens. www.expo-toutankhamon.fr
de Toutankhamon, XVIIIe dynastie décennie sur le royaume le plus puissant ou par mail à info@expo-toutankhamon.fr
(Le Caire, Musée égyptien). du pourtour méditerranéen. Catalogue, IMG/Melcher Media, 320 pages, 50 €.
UN ROI INATTENDU
Les historiens en ont fait le maillon faible du XVIe siècle, le fils pâle
d’un François Ier resplendissant, le mari simplet d’une Catherine de Médicis
machiavélique, l’amant benêt d’une Diane de Poitiers astucieuse. On ne retient
d’Henri II que sa mort tragique, des suites d’une blessure survenue en plein
tournoi, place des Vosges à Paris, lorsqu’un bout de la lance de son adversaire se
ficha dans son œil gauche. Ce portrait caricatural oublie qu’il fut, à la suite de son
père, un souverain qui porta haut l’idée du goût français et un noble tacticien qui
se mouvait avec adresse sur la scène politique. Il fut aussi le père de cinq fils, dont
© GÈRARD BLOT/RMN-GP/SP.
trois rois, montés successivement sur le trône, et de cinq filles, dont Marguerite,
qui épousera le futur Henri IV. C’est tout naturellement dans sa demeure natale,
le château de Saint-Germain-en-Laye, que se tient la magnifique exposition
qui célèbre les fastes de son règne : une centaine de portraits peints, dessinés
ou émaillés, de gravures, d’éléments de décor, d’armes, de broderies et de pièces
de verrerie évoquent ce moment de grâce où, selon Mme de La Fayette, « la
magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat ».
« Henri II. Renaissance à Saint-Germain-en-Laye », jusqu’au 14 juillet 2019. Musée d’Archéologie nationale, 78100 Saint-Germain-en-Laye. Tous les jours,
sauf le mardi, de 10 h à 17 h. Tarif : 6 €. Rens. : musee-archeologienationale.fr ; 01 39 10 13 00. Catalogue, RMN-Grand Palais, 168 pages, 29,90 €.
PERSPECTIVE VERSAILLES
Projet pour la restauration du château de
VERSAILLES RESCAPÉ Versailles, par Etienne-Louis Boullée, 1780
(Paris, Bibliothèque nationale de France).
V ersailles a échappé au pire. C’est du
moins ce que semblent suggérer les
cent vingt plans, élévations, coupes et des-
jamais. Il fit néanmoins reconstruire l’aile
du Gouvernement (celle de droite) qui tom-
bait en ruine, laissant derrière lui un château
ACTUALITÉ DE L’HISTOIRE
sins de la splendide exposition « Versailles. à la façade déséquilibrée. son maître. Ainsi naquirent de nombreux
Architectures rêvées, 1660-1815 », présen- Louis XVI hérita d’une demeure mal pro- projets dont il ne faudrait retenir qu’un seul :
tée à partir du 3 mai dans les salles du châ- portionnée et peu entretenue. Son directeur Versailles y devient une caserne, aux lignes
teau. Elle donne à voir les projets avortés général des Bâtiments, le comte d’Angiviller, droites et figées, animée de barres de pierre
d’agrandissement, d’adaptation, d’unifi- lança en 1780 un concours d’architectes évoquant celles de la Courneuve. L’exil de
cation ou de restauration que le château pour le restaurer et lui conférer un tant soit l’Empereur tira le château d’une bien mau-
aurait pu subir si le vent de l’histoire n’avait peu de majesté. Une flopée de propositions vaise posture. La vieille aile de pierre, de
tourné à maintes reprises. loufoques jaillit. Des architectes rêveurs, brique et d’ardoise qui faussait l’équilibre
Ces tentatives de transformation radicale sans doute moins au service de la volonté du palais fut détruite sous Louis XVIII et
plongent leurs racines dans le règne de royale que de leurs propres fantasmes, firent reconstruite sous Louis-Philippe à l’identi-
Louis XIV, lorsque le château, au cours de jouer leurs imaginations flamboyantes. C’est que de celle lui faisant face. Mais le roi des
trois campagnes de travaux, de 1664 à 1684, ainsi que Marie-Joseph Peyre proposa de Français désossa l’agencement intérieur
évolua au gré des architectes, sans unité de ceindre la cour du palais d’une colonnade du château pour le transformer en musée
style ni idée directrice : l’objectif était de faire à la façon de Saint-Pierre de Rome ou Jean- « à toutes les gloires de la France ».
grand sans vider les caisses de l’Etat. De sim- François Heurtier de la métamorphoser en Le château de brique de Louis XIII sub-
ple résidence de campagne, de pierre, de bri- prétoire néoclassique, dont la façade lugu- siste donc toujours, comme le survivant
que et d’ardoise construite sous Louis XIII, bre aurait rappelé celle de l’ancien Palais d’une bataille qui dura des siècles et vit
le palais devait devenir la demeure de la de justice de Paris. Etienne-Louis Boullée nombre d’architectes utopistes rêver en
royauté, un joyau devant lequel l’Europe soumit quant à lui un dessin dont l’audace vain à sa démolition. A croire que la menace
38 pâlirait de convoitise. Une fois les travaux étonne encore de nos jours : l’ancien Ver- de Louis XIV ait plané sur les siècles, lui qui
h achevés, restait un problème : l’aspect (rela- sailles a totalement disparu, laissant la place vouait une piété filiale à l’œuvre de son père
tivement) modeste de la façade côté ville, à un palace écrasé, à la largeur écœurante, et lançait à ceux qui lui faisaient remarquer
que Jules Hardouin-Mansart proposa de qui semble étendre sur des kilomètres ses sa décrépitude : « Faites ce qu’il vous plaira,
surélever en y adjoignant un dôme. Le projet ailes de pierre. Si elle vendit son mobilier, la mais, si vous l’abattez, je le ferai rebâtir tel
fut refusé avant de renaître sous Louis XV, Révolution sauva en revanche le château lui- qu’il est et sans rien y changer. » 2
© BNF/SP. © BORIS LEJEUNE.
grâce à l’architecte Ange-Jacques Gabriel. même de ce saccage programmé. « Versailles. Architectures rêvées, 1660-1815 »,
Son dessein, qui visait à améliorer la circu- Ce répit allait être de courte durée. Napo- du 3 mai au 3 août 2019. Château de Versailles,
lation, était autrement radical : détruire le léon n’allait pas tarder en effet à se pencher 78000 Versailles. Tous les jours, sauf le lundi,
château de Louis XIII et en partie celui de sur la demeure des rois pour la marquer du de 9 h à 17 h 30. Tarifs : 18 €/13 €. Rens. :
Louis XIV pour ne garder que l’enveloppe sceau impérial. L’architecte Pierre Fontaine www.chateauversailles.fr
du palais, la galerie des Glaces et les appar- puisa alors dans les archives du comte Catalogue, Château de Versailles/Gallimard,
tements royaux. Ses plans n’aboutiront d’Angiviller pour satisfaire l’inspiration de 288 pages, 49 €. A paraître le 2 mai 2019.
LA PUCELLE À SAINT-PÉTERSBOURG
Figure patriotique et modèle d’abandon à la Providence : autant de tropismes qui rapprochent
Jeanne d’Arc de l’âme russe. Aussi l’Association universelle des amis de Jeanne d’Arc
(dont le général Weygand fut président d’honneur) a-t-elle fait le pari d’élever dans le quartier
Admiralteiskii à Saint-Pétersbourg une monumentale statue de bronze (photo ci-contre),
œuvre du sculpteur Boris Lejeune, représentant la Pucelle conquérante et victorieuse. Si ce projet
ne manque pas d’audace, il réclame des fonds, que l’association espère pouvoir collecter auprès
de ceux qui souhaitent voir rayonner l’héroïne française en Russie. Chaque donateur verra son
nom inscrit sur le piédestal de la statue de celle qui périt sur le bûcher de Rouen le 30 mai 1431.
Pour faire un don : chèques à l’ordre de « Association universelle des amis de Jeanne d’Arc » à envoyer au siège, 85, rue Petit, 75019 Paris.
Rens. : 01 60 77 19 51 ou 06 80 72 72 77 ; www.amis-jeanne-darc.org
À L A TA B L E D E L’ H I STO I R E
Par Jean-Robert Pitte, de l’Institut
AUX DÉLICES
D’ISTANBUL
© CANAL ACADÉMIE.
T
oute cuisine est un palimpseste, un ensemble complexe la Méditerranée orientale, mais aussi en Russie
d’ingrédients, de tours de main, de fragrances, consistances, (zakouski) et dans le Caucase, ainsi qu’une par-
saveurs résultant des multiples influences reçues, superpo- tie de l’Asie centrale. D’origine gréco-byzantine
sées, combinées entre elles au fil des siècles, aussi constitutives sont les divers pains levés, les ragoûts mijotés
d’une culture que sa langue. La gastronomie turque en est un bel de viandes et légumes, ainsi que le vin dont la
exemple, héritière des cuisines grecque, romaine, byzantine, arabe, consommation n’a jamais cessé malgré l’islam,
persane, les Ottomans ayant fusionné ces différentes strates en un pas plus que celle du rakı, marc parfumé à l’anis,
ensemble chatoyant et harmonieux. L’éminent turcologue Xavier mal considéré par l’actuel gouvernement.
de Planhol résumait cette histoire au long cours en prenant l’exem- Ajoutons des apports arabes comme le
ple du plat très simple et populaire que sont les aubergines sautées halva, pâte sucrée de sésame ou les sor-
au yaourt qui associent le lait fermenté, cher aux Mongols galacto- bets (sherbet) à la neige et, bien sûr, le
phages (et carnivores) des steppes d’Asie centrale, donc vraiment café. N’oublions pas non plus que de
turc, aux aubergines originaires d’Inde et empruntées au monde nombreux ingrédients courants dans
persan, enfin à l’huile d’olive découverte lors de leur installation la cuisine turque d’aujourd’hui sont
dans le monde méditerranéen aux dépens de l’Empire byzantin, d’origine américaine et ne sont entrés
© GIANNI DAGLI ORTI/AURIMAGES. © IMAGO/STUDIOX.
entre le Xe et le XVe siècle. Dans la cuisine savante préparée au palais dans le creuset qu’entre le XVIIe et le
de Topkapı pour des milliers de personnes, le beurre et la graisse de XIXe siècle, via l’Italie : la tomate,
mouton étaient toutefois préférés à l’huile. le poivron, le piment, le
Sont également des souvenirs du passé nomade des Turcs le haricot, la courgette, la
yufka, crêpe sans levain cuite sur pierre plate chauffée, le boulgour, pomme de terre. 2
blé concassé et bouilli, la viande de mouton grillée, le melon.
D’Iran, viennent la chorba, soupe épaisse de rupture de jeûne de
ramadan qui a été diffusée jusqu’au Maghreb, le pilaf de riz, les
börek, pâtés feuilletés farcis à la viande, au fromage, à l’œuf ou aux
épinards qui se retrouvent dans toutes les anciennes contrées À LA LOUCHE
ottomanes (spanakopita de Grèce, brick de Tunisie). Le mezzé lui- Ci-contre : Cuisinier
même, ensemble de petits plats goûteux (jusqu’à une centaine) du palais de Topkapı,
dont on couvre la table au début du repas, porte un nom persan XVIIe siècle (Venise,
qui signifie « réjouissance ». On en retrouve la pratique dans toute Museo Correr).
RECETTE
KÖFTE À LA TURQUE
Bien mêler 500 g de bœuf, de veau ou d’agneau haché, un oignon, de l’ail, un œuf,
du persil plat, de la coriandre, de la chapelure, sel, poivre, cumin, piment doux et
fort, menthe, thym et, si l’on aime, un peu de cannelle et de gingembre. Façonner
des boulettes ovales que l’on poêle ou que l’on cuit, embrochées, à la braise.
Servir avec un cacik (équivalent du tzatziki grec), mélange de yaourt, de
concombre râpé, de menthe, d’aneth et d’huile d’olive, salé et poivré ou pimenté.
EN COUVERTURE
PHOTOS : © RMN-GRAND PALAIS (CHÂTEAU DE VERSAILLES)/GÉRARD BLOT. ©. GIANNI DAGLI ORTI/AURIMAGES. ILLUSTRATION © SÉBASTIEN DANGUY DES DÉSERTS. POUR LE FIGARO HISTOIRE.
42
L E COUP D’ÉTAT DU TIERS
ÉLUS POUR ÊTRE LES DOCILES PORTE-PAROLE DES CAHIERS
DE DOLÉANCES, LES DÉPUTÉS DU TIERS ÉTAT S’AUTOPROCLAMÈRENT,
LE 17 JUIN 1789, LES REPRÉSENTANTS DE LA NATION :
LA RÉVOLUTION S’EST OUVERTE SUR UNE USURPATION.
50
L’ÉMEUTE PREND
LA BASTILLE
SYMBOLE DE L’ARBITRAIRE ROYAL AUX
YEUX DU PEUPLE, LA BASTILLE NE FUT PAS
PRISE : ELLE NE SE DÉFENDIT PAS. LA PLUS
FAMEUSE JOURNÉE DE LA RÉVOLUTION
FUT AUSSI CELLE QUI ENCLENCHA
L’ENGRENAGE DE LA VIOLENCE.
LA FABRIQUE
70 DE LA TERREUR
CLUBS, SECTIONS, COMITÉ DE SALUT PUBLIC… LA VIOLENCE
FUT PROMUE PAR LES NOMBREUX POUVOIRS DE DROIT
ET DE FAIT DONT ACCOUCHA LE PROCESSUS RÉVOLUTIONNAIRE.
Violence et
révolution
ET AUSSI
COMME UN FLEUVE DE SANG
COUPS DE TORCHONS
DANS L’ENGRENAGE DE LA VIOLENCE
LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS
IL ÉTAIT UNE FOIS LA RÉVOLUTION
PAGES DE SANG
VIOLENCES EN CASCADE
GRAND CONSEIL
Séance d’ouverture des
états généraux, le 5 mai 1789
(détail), gravure d’après
le tableau de Louis Charles
Auguste Couder, XIXe siècle
(Paris, Bibliothèque
© BNF.
nationale de France).
Le
coup d’Etat
duTiers
Par Philippe Pichot-Bravard
Les états généraux de 1789, qui devaient permettre
au roi de connaître les attentes de ses peuples par la voix
des députés, se soldèrent par un véritable coup d’Etat
législatif du tiers état, dont les élus outrepassèrent le mandat
que leur avaient assigné les cahiers de doléances.
fin de désamorcer la crise politique actuelle, le gou- contenu du cahier de doléances dont ils étaient porteurs. Ils
44
h
A vernement a invité les Français à exprimer leurs atten-
tes dans des « cahiers de doléances ». L’expression fait
référence à une vieille tradition, antérieure à la Révolution. Les
n’avaient pas le droit de s’en écarter. Ils n’étaient que des porte-
parole. Ainsi, en 1561, à Orléans, la régente s’entendit répon-
dre par les députés qu’ils ne pouvaient pas consentir à la levée
cahiers de doléances relèvent d’une procédure de l’ancienne d’un nouvel impôt parce que les cahiers de doléances ne le leur
monarchie dont l’existence est attestée depuis la fin du permettaient pas. La régente en avait été quitte pour renvoyer
XVe siècle. La rédaction de ces cahiers précédait la réunion les députés dans leur bailliage respectif afin de solliciter un nou-
des états généraux convoqués par le roi. veau mandat, tentative qui se révéla infructueuse. En s’affran-
Les états généraux étaient l’une des expressions du gouverne- chissant du contenu des cahiers de doléances pour se préten-
ment par conseil, en l’occurrence un très grand conseil permet- dre investis du pouvoir d’imposer leur volonté propre comme
tant au roi, dans les époques de crise, de consulter les députés celle de la nation, les députés de 1789 devaient marquer une
des trois ordres de chaque bailliage ou sénéchaussée, principa- rupture radicale avec toute la tradition politique française.
© RMN-GRAND PALAIS (CHÂTEAU DE VERSAILLES)/IMAGE RMN-GP. © BNF.
les circonscriptions judiciaires. Les cahiers de doléan- En 1788, les états généraux n’avaient pas été réunis
ces qui leur étaient confiés permettaient au roi de depuis 1615. Ils avaient été convoqués à plusieurs
connaître les attentes de ses peuples, auxquel- reprises entre 1649 et 1653, comme une arme
les il répondait en édictant une ordonnance agitée par Mazarin pour tenir en respect les
de réformation. Ainsi, en 1566, l’ordon- parlements, cours souveraines de justice
nance de Moulins, monument législatif qui, à l’époque, frondaient le gouver-
de plusieurs centaines d’articles abor- nement royal. Les cahiers avaient été
dant tous les domaines, fut une réponse rédigés, les députés élus, mais les états
aux doléances formulées à Orléans et avaient été, à chaque fois, décomman-
à Pontoise cinq ans plus tôt. Quelques dés. L’institution des états généraux était
années plus tard, en 1579, l’ordon- à ce point poussiéreuse que plus per-
nance de Blois, qui contenait elle aussi sonne n’en connaissait le fonctionne-
de nombreuses dispositions touchant ment précis, pas même le Conseil du roi.
à la politique générale du royaume, fut Cabinets de lecture, loges maçon-
la réponse d’Henri III aux doléances niques ou salons philosophiques, les
présentées lors des premiers états de sociétés de pensée du « parti national », où
Blois deux ans plus tôt. allaient se distinguer le comte de Mirabeau
Les députés étaient revêtus d’un man- et l’abbé Sieyès, voulurent profiter de cette
dat impératif. Ils étaient tenus par le convocation pour engager la régénération
EN MARCHE Ci-dessus : Procession d’ouverture des états généraux à Versailles, le 4 mai 1789 (détail), par Louis Boulanger, XIXe siècle
(Versailles, musée du Château). Page de gauche, en bas : Emmanuel Joseph Sieyès, par Jean-Baptiste Vérité, 1790 (Paris, Bibliothèque
nationale de France). Son Qu’est-ce que le tiers état ? publié en janvier 1789 allait servir de programme d’action aux députés du tiers.
du royaume qu’elles appelaient de leurs vœux, ce qui impli- présidée par le syndic ou le maire de la paroisse, qui tint la
quait de s’affranchir de la Constitution coutumière du royaume, plume. Puis les députés des paroisses devaient porter au
notamment en s’emparant de la souveraineté exercée par le bailliage le cahier de leur communauté respective. Ils y consti-
roi. Leur programme d’action est décrit par l’abbé Sieyès dans tuaient l’assemblée du tiers, chargée d’en faire la synthèse en
Qu’est-ce que le tiers état ?, brochure publiée en janvier 1789 : rédigeant le cahier du bailliage ou de la sénéchaussée et d’en
le tiers état se transformerait de son propre mouvement en choisir les porte-parole, qui siégeraient aux états généraux.
Assemblée nationale et s’emparerait du pouvoir constituant Les cahiers du clergé manifestèrent leur souci de voir respec-
afin de doter le royaume d’une constitution écrite fondée sur les ter les lois de police relatives à la sanctification du dimanche,
idées abstraites des Lumières – souveraineté nationale, sépa- au respect dû aux églises et aux prêtres ainsi qu’aux bonnes
ration des pouvoirs, rationalisation administrative et séculari- mœurs. Pour cette raison, ils furent souvent méfiants à l’égard
sation des institutions. Un tel programme enjoignait clairement de la liberté de la presse. Ils demandèrent qu’évêchés et cures
les députés de s’affranchir de leur mandat impératif. Restait, soient pourvus de prêtres ayant une expérience pastorale. Ils
pour le mettre en œuvre, à conquérir la majorité. réclamèrent avec force une amélioration des conditions
matérielles du clergé paroissial, souvent réduit à la « portion
Doléances sous influence congrue ». Ils témoignèrent également du vif souci de soulager
Les élections des députés des états généraux eurent lieu entre les plus pauvres, tant par une simplification et un allègement des
le mois de mars et le début du mois de juin 1789. Elles obéis- impôts que par l’institution dans chaque paroisse d’un bureau
saient à une procédure complexe. Le clergé et la noblesse de charité et d’une sage-femme expérimentée. Le clergé ne se
votaient, au premier degré, au sein d’assemblées réunissant mêlait pas des questions constitutionnelles, se contentant de
leurs membres dans les bailliages ou les sénéchaussées. Ils y demander une réunion régulière des états généraux, le rétablis-
rédigeaient librement leurs propres cahiers avant de désigner sement des états provinciaux – les assemblées des trois ordres
leurs députés. Le tiers état votait à deux degrés. Les habitants de chaque province – et la création d’un parlement dans chaque
de chaque paroisse et les membres de chaque corporation province. Il est probable que les cahiers du clergé, influencés par
urbaine étaient d’abord invités à participer à la rédaction d’un des curés de campagne, aient mieux exprimé les attentes réelles
premier cahier. Tous les hommes majeurs, sans distinction de du peuple des campagnes que les cahiers du tiers état, dont la
fortune, pouvaient y concourir. Il suffisait de figurer sur les rôles rédaction fut souvent confisquée par la bourgeoisie urbaine.
d’imposition, ce qui était le cas de presque tous, à l’exception Comme à l’accoutumée, la noblesse manifesta son attache-
des mendiants. L’assemblée paroissiale fut le plus souvent ment à une monarchie tempérée par la consultation régulière
DEUX POIDS, DEUX MESURES A gauche : Le Noble
Pas de deux, anonyme, 1789 (Paris, Bibliothèque nationale
de France). Page de droite : « A faut espérer q’eu jeu
là finira ben tôt », caricature contre les impôts reposant
uniquement sur le tiers état, 1789 (Paris, Bnf).
clergé de leur circonscription aux états généraux, ils furent cette ront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et
fois-ci souvent écartés au profit de simples curés. Ceux qui furent affermie sur des fondements solides ». Le libellé était suffisam-
élus le furent souvent de peu. Parmi les 291 députés du clergé se ment ambigu pour rassembler à la fois ceux qui estimaient de
trouvèrent 208 curés de paroisse et seulement 46 prélats. leur devoir de donner à la France une nouvelle constitution et
Un coup d’Etat législatif
Lors de la séance royale, le roi tenta de reprendre la situation en
main. D’une part, il annula les délibérations des 17 et 20 juin pré-
cédents, comme « illégales », car contraires à l’ordre constitution-
nel du royaume. D’autre part, il déclara les pouvoirs des députés
vérifiés, invitant les trois ordres à commencer leurs travaux dans
leurs chambres respectives. Nourri de la lecture des cahiers de
doléances, Louis XVI présenta aux députés un programme de
réflexion ambitieux esquissant l’établissement d’une monarchie
décentralisée, tempérée par la consultation régulière des états
EN COUVERTURE
employées : « Trois jours après le serment du Jeu de Paume se seconde en répondant à la déclaration du roi par le serment du
tint la séance royale. La veille au soir, nous étions douze à Jeu de Paume de ne se séparer qu’après qu’ils auraient fait une
quinze députés réunis au club breton, ainsi nommé parce que
des Bretons en avaient été les fondateurs. Instruits de ce que
méditait la Cour pour le lendemain, chaque article fut discuté
par tous ; et tous opinaient sur le parti à prendre. La première
résolution fut celle de rester dans la salle malgré la défense du
roi. Il fut convenu qu’avant l’ouverture de la séance, nous cir-
culerions dans les groupes de nos collègues pour leur annon-
cer ce qui allait se passer sous leurs yeux, et ce qu’il fallait y
opposer. Mais, dit quelqu’un, le vœu de douze à quinze person-
nes pourra-t-il déterminer la conduite de douze cents députés ?
Il lui fut répondu que la particule “on” a une force magique ;
nous dirons : Voilà ce que doit faire la Cour, et parmi les patrio-
tes, “on” est convenu de telles mesures… “On” signifie quatre
cents, comme il signifie dix. L’expédient réussit. » Ce témoi-
gnage montre que la résistance opposée le lendemain par le
comte de Mirabeau au comte de Dreux-Brézé avait été décidée
la veille. La fameuse formule sur « la force des baïonnettes » et
« la volonté du peuple » avait donc été longuement mûrie.
DÉLIVRANCE A droite : « J’suis du tiers état », anonyme,
1789 (Paris, Bibliothèque nationale de France). Page
de gauche, en haut : détail de l’esquisse du Serment du Jeu
de Paume, le 20 juin 1789, par David (Versailles, musée
du Château). Seul opposant au serment, Martin-Dauch
est recroquevillé sur sa chaise. Page de gauche, en bas :
« De la milice, délivrez-nous, Seigneur », 1789 (Paris, BnF).
L’ émeuteprend
laBastille
Alors que des rumeurs accusent le roi de vouloir dissoudre
la nouvelle Assemblée, des milliers de manifestants prennent
EN COUVERTURE
LE SALAIRE DE LA PEUR
A gauche : L’Emeute
Réveillon, avril 1789, école
française, XVIIIe siècle
L
a conjonction de deux crises majeu- (Paris, musée Carnavalet).
res, l’une politique, caractérisée par la Craignant une baisse
volonté de la noblesse d’épée et de de salaire, des milliers
50 robe, soutenue par la bourgeoisie « éclai- d’ouvriers pillèrent et
h rée », d’en finir avec le « despotisme royal » saccagèrent la fabrique
© MUSÉE CARNAVALET/ROGER-VIOLLET. © RMN-GRAND PALAIS (CHÂTEAU DE VERSAILLES)/GÉRARD BLOT.
52
h du duc d’Orléans, cousin du roi, saccagèrent unités, le baron de Besenval, ne devait enga- le couvent Saint-Lazare, qui abritait des pro-
les hôtels particuliers des deux hommes. La ger aucun combat avec le peuple, « à moins visions destinées aux chômeurs et nécessi-
répression menée par la troupe fut implaca- qu’on ne se portât à mettre le feu ou à com- teux, l’hôtel du lieutenant général de police
ble : il y eut 12 tués et 80 blessés parmi les mettre des excès ou pillages qui menaçassent et le Garde-Meuble subirent l’assaut d’une
militaires, plus de 200 morts et des centaines la sûreté des citoyens ». Malheureusement, horde déchaînée. A La Force, des prison-
de blessés parmi les civils. L’émeute Réveillon c’est ce qui allait se produire. niers de droit commun furent libérés.
fut l’un des plus sanglants épisodes de la Les orateurs improvisés du Palais-Royal, Inquiets, les 407 électeurs parisiens de
Révolution, moins sans doute que la jour- particulièrement un jeune journaliste à la l’assemblée du second degré aux états
née du 10 août 1792, mais beaucoup plus tête chaude, Camille Desmoulins, appe- généraux (ils avaient été élus par la popula-
que celle du 14 juillet 1789. C’est au cours laient sans retenue à l’insurrection. La fièvre tion pour désigner eux-mêmes les 20 dépu-
de cette dernière journée, alors que le prix obsidionale électrisait les foules. Les pre- tés du tiers état), qui ne s’étaient pas dis-
du pain atteignait son cours le plus élevé miers troubles commencèrent ce jour-là. persés, décidèrent de constituer à l’Hôtel
depuis 1715, que la politisation des foules Dans le jardin des Tuileries et sur la place de Ville un comité permanent présidé par
prit cependant sa pleine dimension. Louis-XV (la Concorde), des milliers de le prévôt des marchands – le chef tradition-
manifestants se heurtèrent aux cavaliers du nel de la municipalité parisienne –, Jacques
Veillée d’armes Royal-Allemand, sabre au clair, commandés de Flesselles, ancien intendant et conseiller
Deux jours auparavant, le 12 juillet, les par le prince de Lambesc. Les échauffou- d’Etat. Une milice bourgeoise, future Garde
Parisiens apprirent avec stupeur le renvoi rées, violentes et meurtrières, durèrent jus- nationale, fut mise sur pied.
du populaire Necker et son remplacement qu’à la nuit. Sur les boulevards, les soldats Dans la nuit du 13 au 14, ses premières
par un homme à poigne, le baron de Bre- essuyèrent une décharge de mitraille de patrouilles arrêtèrent plusieurs fauteurs de
teuil. Cet événement, conjugué au fait que gardes françaises, militaires de la maison du troubles, pendant sur-le-champ ceux pris
25 000 hommes de troupe se massaient roi, qui s’étaient mutinés. La situation était en flagrant délit de pillage. Les nouvelles
autour de la capitale, fit croire que le roi si critique que Besenval préféra décrocher autorités parisiennes semblaient prises
préparait la dissolution de l’Assemblée. En et abandonner Paris aux émeutiers. entre deux feux : empêcher le retour de la
fait, il n’en était rien. Les ordres écrits ont Au matin du 13 juillet, après une nuit de monarchie absolue et endiguer le déferle-
été retrouvés : il s’agissait seulement de pillages, la capitale se réveilla au son du toc- ment des violences populaires qui leur
prévenir les pillages des marchés et des sin. Quarante des cinquante-quatre barriè- échappaient largement. A plusieurs repri-
convois de farine. Le commandant de ces res de l’octroi étaient en flammes. Bientôt, ses, l’ordre de remettre toutes les armes
À EN PERDRE LA TÊTE
Ci-contre : Le Marquis de Launay,
gouverneur de la Bastille, peint
aux assemblées des 60 districts de la ville par Cagliostro, gravé par Chenon,
– formés au mois d’avril pour organiser XVIIIe siècle (Paris, musée
l’élection des députés du tiers aux états Carnavalet). Le dernier gouverneur
généraux – fut donné. En vain. de la Bastille fut aussi l’une des
La capitale passa la nuit dans la crainte premières victimes de la Révolution :
d’une arrivée des troupes royales. Des bar- conduit à l’Hôtel de Ville, il y fut
ricades avaient été édifiées à la hâte afin de massacré par la foule et sa tête
leur barrer la route. En vérité, la plupart des fut brandie au bout d’une pique.
unités étaient dans un tel état de désorgani- En bas : Le Peuple s’empare des armes
sation qu’il eût été vain de les engager dans entreposées à l’hôtel des Invalides,
la moindre offensive. Les Suisses, les Alle- par Jean-Baptiste Lallemand, 1789-
mands, les dragons, les hussards s’étaient 1790 (Paris, musée Carnavalet).
laissé gagner par les idées nouvelles.
A la Bastille symbole de l’arbitraire royal et des lettres provenant de l’Arsenal, afin de mettre la for-
Le 14 au matin, alors qu’un soleil radieux de cachet. Nimbées de mystère, ses hautes teresse en état de soutenir un siège.
dorait le dôme des Invalides, des centaines murailles grises et ses huit tours dominant le En fin de matinée, un cortège menaçant
d’émeutiers se présentèrent devant l’hôtel faubourg Saint-Antoine inspiraient une ter- envahit les abords de la prison. Le gouver-
royal en réclamant des armes. La garde, vite reur obsessionnelle. Avant de figurer dans neur reçut une première délégation de la
bousculée, les laissa envahir les magasins et certains cahiers de doléances, sa destruction municipalité, qui s’inquiétait des prépara-
faire main basse sur 32 000 fusils et 12 pièces avait été envisagée par le gouvernement. tifs de défense qu’il avait ordonnés. Pour
de canons. Dès le 10 juillet, 80 artilleurs de Mais celui-ci avait reculé devant le coût de témoigner de sa bonne volonté et de ses
cet établissement avaient déserté. N’ayant l’entreprise. Au début de juillet, la garnison, intentions pacifiques, il fit reculer les
pas trouvé de poudre, les manifestants se composée de 82 invalides (des blessés de canons des embrasures des tours et obs-
dirigèrent vers la Bastille, qui en regorgeait. guerre, tirés de l’hôtel royal des Invalides et truer celles-ci. Mais la foule, de plus en plus
Construite sous Charles V par le prévôt effectuant un service de garde), avait été échauffée, ne s’en aperçut pas.
des marchands Hugues Aubriot, la forte- renforcée d’un sergent, de 12 bas-officiers et A une deuxième députation conduite
resse du faubourg Saint-Antoine avait été de 32 Suisses du régiment de Salis-Samade par l’avocat Thuriot de La Rozière, qui lui
d’abord destinée à défendre les abords de commandés par le lieutenant Deflue. Cinq demandait d’un ton comminatoire, « au
Paris. Transformée en prison aristocrati- semaines plus tôt, les premiers troubles nom de la Nation et de la Patrie », d’autori-
que, elle était devenue à la fin du règne de avaient déterminé le gouverneur, Bernard ser la milice bourgeoise à venir garder le
Louis XIV une geôle ordinaire. Cependant, René Jourdan de Launay, à faire exécuter des château conjointement avec la garnison,
ce vestige des « âges barbares » restait le travaux et à entreposer 250 barils de poudre Launay répondit qu’il avait reçu cette
place du roi seul et qu’en cas d’attaque il la
défendrait. Toutefois, il donna sa parole de
PHOTOS : © MUSÉE CARNAVALET/ROGER-VIOLLET. © AKG-IMAGES/ERICH LESSING.
que millénaire. La révolution commence ce jour-là. sang était-il donc si pur ? » On voudrait croire que Barnave se
remémora ces paroles, qui firent alors grand effet, lorsque ce
14 JUILLET 1789 fut son tour de monter à l’échafaud, le 29 novembre 1793.
Dès lors, les faits n’ont plus qu’à s’enchaîner, inexorablement. La violence gagne la province car ceux qui se parent alors
Les épisodes sanglants sont plus faciles à suivre à la trace, du titre avantageux de « patriotes » et qu’on va bientôt nommer
d’abord ruisseaux puis torrents. Après le saccage de la manu- « Jacobins », adeptes du philosophisme et des utopies égalitaires
facture Réveillon, au mois d’avril, dont la répression par les des Lumières, soufflent sur les braises. A Saint-Denis, le 2 août, le
troupes royales avait fait plusieurs centaines de morts, le pre- maire, accusé d’avoir refusé d’abaisser le prix du pain, est pour-
mier sang est celui du 14 juillet 1789 et de la trop fameuse suivi jusque dans le clocher de la basilique, poignardé et décapité
prise de la Bastille. Ce ne sont pas tant les quelques dizaines de au terme d’un supplice de plusieurs heures. L’été 1789 est ponc-
tués et centaines de blessés de ce non-combat que la décapi- tué de lynchages sur fond d’émeutes de subsistance. A Caen, le
tation du gouverneur Launay et du prévôt des marchands 12 août, le vicomte de Belzunce, major en second du régiment de
CÉRÉMONIE MACABRE Ci-dessus : Boissy d’Anglas à la Convention, par Nicolas Sébastien Maillot, 1830 (Reims, musée des Beaux-
Arts). Président de la Convention, le comte Boissy d’Anglas fut contraint de saluer la tête du député Féraud, décapité sous ses yeux
par des sans-culottes parisiens affamés, le 20 mai 1795. Ci-dessous : Le Marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, le 14 juillet 1789,
détail de Premières victimes de la Révolution, dessin d’Anne-Louis Girodet-Trioson, 1789 (Paris, Bibliothèque nationale de France).
Page de gauche : A Versailles ! A Versailles ! le 5 octobre 1789, eau-forte d’époque (Paris, Bibliothèque nationale de France).
17 JUILLET 1791
Le temps assez long qui a suivi, sans épisodes sanglants
majeurs, a fait de l’Assemblée constituante la bonne élève de
la Révolution. Sauf que son vrai visage est celui de l’anarchie
et déjà d’une première forme de terreur, une minorité activiste
parée du beau nom de « patriotes » s’employant à museler les
députés « monarchistes » à grand renfort de peuple vociférant
dans les tribunes et proférant des menaces de mort.
MASSACRE PROGRAMMÉ Fondation de
la République, le 10 août 1792, anonyme, 1792 (Paris,
Bibliothèque nationale de France). Loin du mythe
d’une révolution spontanée, la journée du 10 août,
qui marque la chute de la monarchie millénaire,
fut en réalité longuement préparée par les Jacobins.
62
h
religion catholique. Pour celle-ci, qui va durer jusqu’en 1796, 2 JUIN 1793
pas de grandes dates de violence et de sang, mais l’horreur de la Jusqu’alors, les assemblées successives s’étaient donné une
guerre civile au quotidien. Au terme de la « vengeance nationale » apparence de légalité, au demeurant inventée de fraîche date.
qui s’abat sur les départements dits vendéens, on aboutira au Mais le 2 juin 1793, un nouveau seuil est franchi lorsqu’une
nombre ahurissant de 220 000 à 250 000 morts, hommes, fem- insurrection sans-culotte, dirigée par un comité secret, surgit
mes et enfants, jusqu’à poser la question d’un génocide. devant la Convention et fait « acclamer » sous la menace le
Les dangers qui menacent la République servent de prétexte décret d’arrestation de vingt-neuf députés girondins. La Révo-
à l’instauration de la terreur, avec un petit « t » d’abord, en atten- lution se retourne contre elle-même et, pour la première fois,
dant le grand. Un décret de la Convention du 19 mars institue la l’émeute organisée par les Montagnards a raison de la repré-
peine de mort pour tous les insurgés de Vendée. La veille, le tout sentation nationale. Vergniaud, l’un des députés girondins
nouveau Tribunal révolutionnaire juge le plus sérieusement du décrétés d’arrestation et qui s’est refusé à fuir, prédit : « La Révo-
monde Catherine Clère, 55 ans, cuisinière de son état. Ivre, elle lution est comme Saturne. Elle dévorera tous ses enfants. »
a crié « Vive le roi ! » et entonné des chansons « dans le sens Le terrorisme montagnard peut désormais s’exercer sans
inverse de la Révolution ». La voilà accusée d’avoir tenu des entraves pour s’imposer à la Convention et capter la faveur
propos « tendant à provoquer la destruction de la République et des sans-culottes. Le 24 octobre, vingt et un députés giron-
le rétablissement de la royauté en France ». La pauvre bonne dins comparaissent devant le Tribunal révolutionnaire.
femme est condamnée à mort, aussitôt mise dans une char- Condamnés à mort le 30, ils sont guillotinés le 31. Les
rette et guillotinée d’importance sur la place de la Révolution. condamnés « ont montré un courage de scélérats », consigne
Ce « despotisme momentané de la liberté », comme dit si joli- un rapport de police. Marie-Antoinette les a précédés de deux
ment Marat, commence par viser les Girondins, hier la gauche semaines, au terme d’un procès ordurier. Jacques Hébert,
de l’Assemblée législative, désormais la droite de la Conven- substitut du procureur de la Commune, s’y est distingué
tion, face aux Montagnards, Robespierre, Danton, Marat, comme… « témoin », allant jusqu’à accuser la « veuve Capet »
Saint-Just, Couthon et d’autres. Incapables de diriger la guerre de pratiques incestueuses sur le Dauphin. Le jour de l’exécu-
qu’ils ont provoquée, ils sont devenus « chutables » et ils chutent tion de la reine, vingt et un cercueils royaux ont été profanés
en effet, après avoir cru, bien à tort, pouvoir s’appuyer sur le dans la basilique Saint-Denis. Tuer les rois vivants ne suffit
centre de l’Assemblée, péjorativement dénommé « la Plaine ». pas. Il faut aussi tuer les morts.
AU SOMMET DE LA MONTAGNE Ci-contre :
Georges Danton, anonyme, XVIIIe siècle (Paris,
musée Carnavalet). En dessous : Maximilien de
Robespierre, anonyme, XVIIIe siècle (Paris, musée
Carnavalet). Page de gauche : Le 31 mai 1793,
gravé par Jean-Joseph Tassaert, XIXe siècle
(Paris, musée Carnavalet). A l’instigation des
Montagnards, les sans-culottes parisiens
réclamèrent la mise en accusation des députés
girondins majoritaires à la Convention.
Arrêtés le 2 juin, vingt et un d’entre eux seront
guillotinés le 31 octobre.
5 AVRIL 1794
Malheur à ceux qui voudraient mettre un frein à toute cette
horreur, même lorsqu’il s’agit de Danton qui, le 22 novem-
bre 1793, s’est élevé contre les persécutions religieuses et a Robespierre et les siens entendent en effet se débarrasser
réclamé avec force « l’économie du sang des hommes ». Il est des deux « factions » qui menacent leur absolutisme : à leur
las de la Révolution. Robespierre, de son côté, prône au gauche, les Hébertistes (dits « Exagérés »), et, à leur droite, les
contraire, dans son discours du 5 février 1794, « la vertu pour Dantonistes (dits « Indulgents »). C’est chose faite le 24 mars
principe, sinon la terreur ». « On ne fait point la République pour les premiers, accusés, au cours d’un simulacre de pro-
avec des ménagements, renchérit Saint-Just, l’alter ego de cès, d’une conjuration visant à affamer le peuple. Ils sont dix-
l’Incorruptible. Soyez donc inflexibles : c’est l’indulgence qui neuf à monter tour à tour sur l’échafaud, Hébert en dernier et
est féroce puisqu’elle menace la patrie. » La Terreur apparaît peu ferme en vérité. Le couperet de la guillotine n’a pas plus tôt
bien comme ce qu’elle est : non pas un accident de la Révolu- tranché la tête des Hébertistes que les jours des Dantonistes
tion, mais son essence même. Dans le duel qui va maintenant sont comptés. Leur procès s’ouvre le 2 avril. Accusés de véna-
l’opposer à Robespierre, Danton a perdu d’avance, tant la lité, de concussion et de proximité avec les Girondins, tous
phrase de Voltaire dans Alzire se vérifie alors : « Tout pouvoir, sont condamnés à mort et guillotinés le 5 avril 1794, Danton le
en un mot, périt par l’indulgence. » dernier. « Je vis, raconte Arnault, se dresser, comme une ombre
décrétés d’arrestation et emprisonnés, puis vaguement déli-
vrés par une Commune qui n’est plus que l’ombre d’elle-même,
enfin mis hors la loi, puis arrêtés de nouveau au milieu de la plus
extrême confusion. Plus besoin de jugement. La mise hors la loi
permet au Tribunal révolutionnaire d’envoyer directement à la
guillotine. Le lendemain, 10 thermidor, Robespierre et vingt et
un de ses proches sont guillotinés. D’autres exécutions suivent
le lendemain et le surlendemain. Il y en aura 107 au total.
L’élimination de l’Incorruptible et de ses acolytes met fin à
une Terreur que la Convention s’empresse de désavouer,
mais pas à la violence révolutionnaire. D’ailleurs, la guerre
EN COUVERTURE
Huit jours après l’exécution de Danton et des Indulgents, un culotte prend de nouveau son essor ? Jamais, depuis le début
premier convoi de dix-neuf prisonniers prend le chemin de de la Révolution, les émeutiers n’ont été aussi nombreux : peut-
l’échafaud. Le 22 avril, c’est au tour de Malesherbes, 73 ans, être 20 000, avec des canons. Mais en face d’eux, outre les
totalement retiré de la vie politique depuis qu’il a courageuse- troupes habituelles des sections parisiennes, toujours prêtes à
ment assuré la défense de Louis XVI. On le guillotine seule- fraterniser, il y a l’armée, à laquelle l’Assemblée a fait appel
ment après que, devant lui, ont été décapitées sa fille et sa peti- pour la première fois. Les émeutiers se contentent de vagues
te-fille. On exécute des généraux. Emigré l’année précédente, promesses et la répression qui suit est féroce.
le journaliste Mallet du Pan résume : « La très petite minorité C’en est fini du sans-culottisme mais pas de la violence, qui
gouverne avec un sceptre d’acier tranchant. » prend dès lors les couleurs de la contre-révolution. Une « ter-
La loi du 22 prairial (10 juin 1794) institue que le Tribunal reur blanche », menée par des partisans royalistes, s’abat sur la
révolutionnaire ne pourra désormais prononcer que l’acquit- province. A Lyon, dans la vallée du Rhône, à Marseille, en Pro-
tement ou la peine de mort. Plus d’avocat. Pas d’autres vence, les prisonniers jacobins sont assassinés dans leurs pri-
témoins que ceux choisis à charge. « Toute lenteur est un sons. Les royalistes relèvent la tête et tentent un débarque-
crime », a averti Couthon, le rapporteur de la loi. Libérée de ment d’une petite armée à Quiberon le 27 juin 1795. Après une
toute entrave, la Terreur s’abat comme jamais. La guillotine défaite à l’issue de laquelle 748 prisonniers sont fusillés alors
fonctionne sans discontinuer, décapitant près de 3 000 victi- qu’on leur avait promis la vie sauve, il ne leur reste plus que la
mes rien qu’à Paris. « Les têtes tombaient comme des ardoi- voie électorale, qu’ils ont toutes les chances d’emporter grâce
ses », fanfaronnera Fouquier-Tinville. à la mise en place d’une nouvelle constitution.
de modérantisme. Parmi eux, un certain Bonaparte, qui s’est jamais appliqués. La proclamation qui précède la Constitu-
distingué en commandant l’artillerie lors du siège de Toulon. tion de l’an VIII (la quatrième depuis le début de la Révolution)
Bonaparte a chargé Murat, alors chef d’escadron, de s’empa- se termine ainsi : « Citoyens, la révolution est fixée aux princi-
rer des quarante canons des sections de Paris et de constituer pes qui l’ont commencée ; elle est finie. » 2
un solide périmètre défensif autour de la Convention. Il est
trois heures de l’après-midi en ce 5 octobre 1795 lorsque Historien, directeur de recherche honoraire au CNRS et ancien
25 000 insurgés, décidés à renverser à leur tour le cours de la directeur scientifique du Mémorial de Caen, Claude Quétel est l’auteur
Révolution, entreprennent de cerner l’Assemblée. L’armée de nombreux ouvrages concernant notamment l’Ancien Régime
ouvre le feu. Les canons tirent à mitraille rue Saint-Honoré. Les et la Seconde Guerre mondiale.
derniers points de résistance, comme l’église Saint-Roch, sont
« nettoyés » au cours de la nuit. On compte 300 morts.
La répression qui suit est modérée, avec « seulement »
soixante-quatre condamnations à mort dont deux effectives.
La Convention, qui se sépare le 26 octobre aux cris de « Vive la À LIRE de Claude Quétel
République », a sauvé le régime qui doit lui succéder et va
prendre le nom de « Directoire ». La Révolution n’est pas ter- Crois ou meurs !
minée mais elle entre dans un long crépuscule. Plus de gran- Histoire incorrecte
des journées de violence et de sang, mais une série de coups de la Révolution
d’Etat (18 fructidor, 22 floréal, 30 prairial) qui vont conduire française
au dernier d’entre eux : celui des 18 et 19 brumaire de l’an VIII Tallandier/Perrin
(9 et 10 novembre 1799), qui amènera Bonaparte au pouvoir. 512 pages
Pas de sang versé mais la violence quand même, celle qui
21,90 €
bafoue les principes de liberté sans cesse proclamés mais
P ORTRAIT
Par Jean Tulard, de l’Institut
Coupsde
torchons
Si les premiers journaux révolutionnaires avaient vocation
EN COUVERTURE
L
a violence est inséparable de la Révo- 5 juillet 1788, le roi invite « tous les savants sommes en Bretagne près de deux millions de
lution française, comme de toute et personnes instruites de son royaume (…) roturiers de tout âge, de tout sexe ; les nobles
révolution à des degrés divers. Dans à adresser à M. le garde des sceaux tous les ne sont pas dix mille, mais quand ils seraient
ses Origines de la France contemporaine, renseignements et mémoires » sur la forme vingt, nous serions encore cent contre un. Si
Taine voit d’abord se développer en 1789 des états généraux qui doivent se réunir nous voulions, rien qu’à leur jeter nos bonnets
une « anarchie spontanée ». En cause : la en mai 1789. Cette demande provoque par la tête, nous les étoufferions. »
66
PHOTOS : © MUSÉE CARNAVALET/ROGER-VIOLLET.
famine, les fausses rumeurs colportées par une avalanche de libelles dont le fameux Les premiers journaux se donnent pour
h voie orale et l’effondrement de l’autorité Qu’est-ce que le tiers état ? de l’abbé Sieyès. mission d’informer le public. C’est le cas du
publique. C’est l’émeute classique, aveugle Profitant de la liberté laissée par la censure, Bulletin de l’Assemblée, par Maret, qui rend
et sanguinaire, portée par des agitateurs ces écrits se transforment en journaux poli- compte des séances de la Constituante, ou
politiques, le plus souvent au service du tiques : les Etats généraux de Mirabeau ou des Révolutions de Paris de Prudhomme, qui
duc d’Orléans : saccage de la manufacture La Sentinelle du peuple, dont le ton se fait proposent un tableau objectif, sans parti
de Réveillon, prise de la Bastille. vite violent. « Le tiers état, lit-on dans un pris, des agitations de la capitale. Le ton est
Dans l’appel à l’insurrection, la presse va numéro de décembre 1788, n’est point un plus polémique dans les Révolutions de
bientôt jouer un rôle décisif. Elle est peu ordre, il est la Nation. C’est un corps entier et France et de Brabant, sous la plume de
importante à la veille de la Révolution et complet dont la noblesse et le clergé ne sont Camille Desmoulins, ou dans Le Patriote
contrôlée par les censeurs royaux. Son pas même les membres utiles car ils ne le font français de Brissot : on attaque le roi, que
contenu demeure anodin : renseignements ni vivre ni agir ; ils ne sont que des loupes (sic) défendent Les Actes des apôtres ou L’Ami
météorologiques et résultats de la loterie. Le qui l’épuisent (…). Amis et citoyens, nous du roi de l’abbé Royou. Progressivement, le 1
L’AMI DU PEUPLE
Ci-contre : Jean-Paul Marat,
sculpteur anonyme, 1795 (Paris,
musée Carnavalet). Page de
gauche : Jacobins et terroristes,
gouaches révolutionnaires par
Jean-Baptiste Lesueur, 1793-
1794 (Paris, musée Carnavalet).
De gauche à droite : « terroriste
jacobin exaltant le journal
de Marat », « enragé patriote
exalté par la lecture du journal
de Marat criant qu’il fallait
tuer tous les aristocrates et les
riches », « terroriste lisant un
journal », « Jacobin réfléchissant
sur la manière de gouverner la
France », « terroriste du temps
de Robespierre ».
GRANDE COLÈRE
Ci-contre : Jacques-René
Hébert, par Georges
Gabriel, XVIIIe siècle (Paris,
musée Carnavalet). Dans
Le Père Duchesne, qu’il
fonda en septembre 1790,
il multipliait les attaques
les plus virulentes participe pas à la chute de la monarchie, le
contre le roi, les religieux, 10 août, il porte la responsabilité des massa-
les Girondins… En bas : cres de Septembre en réclamant l’élimina-
Louis XVI caricaturé tion physique de tous les royalistes.
en « Louis le Faux », après Il ne fut pas le seul. C’est l’ensemble de la
la « fuite à Varennes » presse révolutionnaire qui prône le « meur-
en 1791 (Paris, BnF). Le tre préventif », soit l’égorgement des sus-
Père Duchesne, à gauche, pects avant l’arrivée des Prussiens à Paris
dialogue avec Jean Bart : pour ne pas être alors leurs victimes. L’Ora-
« Tout homme qui ne tient teur du peuple de Fréron appelle au massacre
pas sa parole, foutre… des prisonniers : « Les prisons regorgent de
EN COUVERTURE
violente comme nécessaire à l’affranchisse- jusqu’au dernier rejeton les implacables liers. Si la sincérité de Marat n’est guère dou-
ment des peuples. Le livre passe inaperçu. ennemis de la patrie. » Après la fusillade teuse et sa haine spontanée, Hébert était
En 1776, Marat s’installe à Paris et y entre- du Champ-de-Mars, où La Fayette et Bailly plus opportuniste. Ce démagogue comprit
prend des recherches sur la nature du feu et firent tirer sur les manifestants contre le roi, que la violence lui assurerait une grande
sur « l’électricité médicale ». Ses idées non- il propose d’élever huit cents potences pour popularité. Les « grandes colères » du Père
conformistes lui valent d’être censuré. Son pendre huit cents députés ayant rétabli Duchesne le rendirent célèbre dans les fau-
caractère s’aigrit. Il publie un Plan de légis- Louis XVI après l’échec de sa fuite. S’il ne bourgs Saint-Antoine et Saint-Marcel.
lation criminelle où il justifie le voleur : « qui
vole pour vivre, tant qu’il ne peut faire autre-
ment, ne fait qu’user de ses droits ».
C’est L’A mi du peuple, journal lancé le
12 septembre 1789, qui va l’imposer comme
le chantre de l’insurrection. Au total près de
sept cents numéros, parfois sous d’autres
titres et avec des interruptions. En raison de
ses outrances, Marat est décrété d’une prise
de corps par la municipalité de Paris le
21 janvier 1790. Il devra bientôt se cacher
puis s’exiler quelques mois à Londres. Tra-
duit devant le Tribunal révolutionnaire pour
avoir appelé au meurtre de députés giron-
dins et brissotins, il sera acquitté le 24 avril
1793. C’est l’apogée de son influence. Le
tirage de L’Ami du peuple est faible : deux
mille exemplaires. Mais la feuille circule de
main en main au club des Cordeliers et les
HÉROÏSATION
Ci-dessus : Pompe funèbre de Marat
Colères d’abord contre le roi : « Avez-vous du Père Duchesne, représenté la pipe à la bou- à l’église des Cordeliers, le 16 juillet 1793,
cru que le gros cochon serait de bonne foi ? (…) che, deux pistolets à la ceinture et armé d’une attribué à Fougeat, présenté au concours
Lors donc qu’une nation veut être libre, il faut, hache dont il menace un petit abbé avec de l’an II (Paris, musée Carnavalet). Au
foutre, qu’elle taille dans le vif… » Comprenez cette légende : « Memento mori ». En face, la premier plan, à gauche, un commissaire de
qu’elle coupe la tête du roi. Attaques contre riposte s’éteignit après le 10 août. Retenons police arrête Charlotte Corday, prostrée,
les religieux : « Ah ! foutre, si le sans-culotte les anonymes Folies d’un mois : « Ah ! ça ira, ça tenant encore son couteau. A l’arrière-
Jésus revenait sur terre, comme il serait ira, ça ira, (…) / Carra, Marat, Santerre l’on plan, une fillette pose une couronne de
content de voir tous les voleurs chassés du rouera, / Audouin, Gorsas on écartèlera. » laurier sur la tête de Marat. Au pied du lit
Temple, car il était l’ennemi juré des prêtres. » Chantres de la violence sanguinaire, mortuaire sont exposés la baignoire, la
Dénonciation virulente des Girondins, qui Marat et Hébert périrent par le fer. En poi- chemise ensanglantée de Marat et le billot
par deux fois le firent arrêter. Il dénonce « la gnardant Marat le 13 juillet 1793, Charlotte sur lequel il avait l’habitude d’écrire.
foutue séquelle des complices de Capet ». Un Corday pensait mettre fin à la Terreur. Il
seul mot d’ordre : « Sans-culottes, réveillez- n’en fut rien. Hébert assura la succession de
vous, levez-vous ! » Toujours l’appel à l’insur- Marat dans ce rôle de coryphée de l’insur- À LIRE de Jean Tulard,
rection. D’une grande virulence, Hébert est rection populaire. Robespierre prit ombrage J.-F. Fayard et A. Fierro
dépassé par l’un de ses fidèles, Bot, qui va jus- de sa popularité. Craignant qu’il suscitât une
qu’à proclamer : « Si la pénurie des vivres émeute contre lui, le Comité de salut public Histoire
continue, il faut se porter aux prisons, égorger le fit arrêter. Il fut jugé et exécuté le 24 mars et dictionnaire
les prisonniers, les faire rôtir et les manger. » 1794. A caractères violents, fins violentes. La de la Révolution
Les imitateurs se font nombreux. Parais- leçon ne fut toutefois pas entendue. 2 française
sent des feuilles comme la Lettre bougrement Robert Laffont
patriotique du véritable Père Duchesne, une Historien, membre de l’Académie des sciences
« Bouquins »
« petite foutue feuille », dit son auteur, un cer- morales et politiques, Jean Tulard est spécialiste
1 230 pages
tain Lemaire, que suivent La Trompette du de la Révolution et de l’époque napoléonienne.
32 €
Père Duchesne et une série de Grandes Colères Il préside le conseil scientifique du Figaro Histoire.
La
fabriquede la
Terreur
Par Patrice Gueniffey
La violence révolutionnaire n’eut pas
une cause unique. Elle jaillit dès 1789
à l’initiative des multiples pouvoirs
de droit et de fait que firent émerger
les événements.
© PHOTO JOSSE/LEEMAGE.
ÉCHAFAUD
Une exécution capitale,
place de la Révolution,
par Pierre-Antoine
Demachy, 1793 (Paris,
musée Carnavalet).
L
orsque les états généraux s’étaient réunis en mai 1789, à la Terreur. Doit-on, du reste, tracer une ligne entre deux
l’heure était à l’optimisme, à l’illusion d’une société révolutions, l’une « heureuse », l’autre violente ? Le ver n’était-il
réconciliée autour du roi et des représentants pas dans le fruit dès le commencement ? On sait quand
de la nation. Les mois passant, il fallut pourtant se rendre la Terreur finit – après la chute de Robespierre en juillet 1794 –,
à l’évidence. Loin de s’atténuer, la violence montait mais quand doit-on la faire commencer ? La loi des suspects
de partout : soulèvements, émeutes, attaques de châteaux, du 17 septembre 1793 ? La chute des Girondins le 2 juin ?
séditions dans l’armée… la liste est longue des violences La création du Tribunal révolutionnaire en mars ? L’exécution
qui émaillèrent dès 1789 le cours de la Révolution. du roi le 21 janvier ? Les massacres de septembre 1792 ?
A qui la faute ? Rares étaient ceux qui mesuraient combien Le 10 août ? Si la Terreur est définie par l’usage de la violence à
l’écroulement général de l’autorité avait libéré des forces des fins politiques, alors il faut remonter aux journées d’octobre
EN COUVERTURE
qu’il serait pour le moins difficile de faire rentrer dans leur lit. 1789, peut-être plus tôt ; et si elle se confond avec les mesures
Aux pessimistes, on répondait en accusant l’Ancien Régime d’exception, alors c’est à l’été de 1789 que la Constituante avait
et, en 1792 encore, le député Rabaut-Saint-Etienne l’affirmait établi un Comité des recherches pour traquer conspirateurs
haut et fort : ce n’est pas à la Révolution qu’il fallait imputer et traîtres supposés. Rien de ce qui se passa en 1792-1794
les (rares) victimes qu’il fallait déplorer, mais à ce qui subsistait ne fut nouveau, sauf en intensité et en étendue.
de pauvreté et de barbarie dans la société française ; une Sur le chemin qui conduit de 1789 à 1793, les passions
politique éclairée, la réparation des injustices et l’éducation politiques ne sont pas seules en cause. L’idée révolutionnaire de
du peuple dissiperaient bientôt ces sombres nuages. la table rase, qui permettrait ensuite de reconstruire la société
C’était en réalité à un mélange de violence sociale et politique et l’Etat en mieux, portait en elle une violence sans limites, et il
que l’écroulement de toutes les structures d’autorité avait convient aussi de faire la part des circonstances. La suite aurait-
ouvert les vannes. A l’aspiration à la liberté – et plus encore elle été la même si la Constituante n’avait pas exigé des prêtres
à l’égalité – se mêlaient ressentiment et esprit de revanche. un serment d’allégeance qu’ils ne pouvaient prêter ? Et si
72 Beaucoup soufflaient sur les braises, les journalistes au premier Louis XVI n’avait pas tenté de s’échapper en juin 1791 ? Et si
h rang. Mais ils n’étaient pas seuls. Les clubs jouaient eux aussi la la Législative n’avait pas déclaré la guerre à l’Autriche en 1792 ?
surenchère, tout comme les opposants les plus radicaux au sein C’était un mélange inextricable de causes, mais qui toutes
de l’Assemblée, sans compter le côté droit – les royalistes – qui poussaient les révolutionnaires dans la voie des mesures
pratiquait la politique du pire. C’était à qui assignerait à la d’exception et de la guerre civile. On peut bien dire qu’après
Révolution des objectifs toujours plus élevés et inatteignables, la chute de la monarchie le 10 août 1792, la Révolution avait
ruinant du même coup les tentatives de ceux qui s’efforçaient perdu le nord. Commencée pour « régénérer » la France,
de stabiliser la situation. Ils tombaient les uns après les soit mettre de l’ordre dans son gouvernement et lui donner
autres, Monarchiens, Impartiaux, Feuillants, bientôt des lois, elle n’avait plus désormais d’autre objectif
Girondins, le sceptre passant de mains en mains qu’elle-même, s’attaquant à la religion, envisageant
jusqu’à tomber entre celles des plus extrémistes. d’arracher les enfants à leurs parents pour en faire
De ce point de vue, la plupart des révolutions des citoyens-soldats dignes de Sparte, imposant
se ressemblent. Elles suivent la même le tutoiement, détruisant tous les symboles
pente, qui les conduit inexorablement de l’Ancien Régime, saccageant les tombes
à l’arbitraire et à la violence. royales de Saint-Denis et tuant comme
Au commencement, on trouve toujours on n’avait plus tué depuis les atroces
l’affaissement mystérieux de l’autorité troubles religieux du XVIe siècle.
légitime dans sa capacité d’imposer Des caricatures de l’époque montrent
un arbitrage ou de réprimer l’agitation. la France transformée en un grand
Comment un pouvoir millénaire cimetière et le bourreau, ne trouvant
disparut-il – au sens propre – si vite plus de clients, se décapitant lui-même.
en France qu’un beau matin le royaume On ne saurait mieux décrire la logique
© BNF. © AKG-IMAGES.
se retrouva sans souverain, et tout l’espace à l’œuvre. La violence n’émana pas d’un groupe
livré au déferlement des vœux les plus légitimes facilement identifiable comme le parti unique
mêlés aux espérances les plus fumeuses ? des régimes totalitaires. Elle fut le fait des multiples
Il y a quelque chose de fatal dans le glissement pouvoirs de droit et de fait qu’avait fait émerger
de 1789 à 1793, de la révolution des droits de l’homme la Révolution. Revue de détail.
L’Assemblée constituante
Assemblée nationale constituante est issue du conflit qui, dans le passé, elle le fait dans une perspective qui participe plei-
L’en mai et juin 1789, oppose les députés du tiers état qui ont nement de l’esprit de la Révolution. Par ses premiers décrets,
été élus aux états généraux d’un côté aux représentants des deux elle a renversé la monarchie absolue et elle enveloppe ses déci-
ordres privilégiés, clergé et noblesse, de l’autre au roi. Le 9 juillet sions les plus sages dans une rhétorique de la table rase qui doit
1789, lorsque l’Assemblée se déclare « constituante », la Révo- nécessairement finir par se retourner contre elle. N’est-elle pas
lution est faite, au moins sur le papier : l’Assemblée élue repré- elle-même issue d’une institution « antique », les états géné-
sente la nation, le roi n’est plus que le chef du pouvoir exécutif. En raux ? Très tôt on la soupçonne de ne pas être à la hauteur de la
réalité, l’été de 1789 voit moins s’affirmer un nouveau principe Révolution : les pauvres sont privés du droit de vote, les dépu-
d’autorité que disparaître l’ancien. Les troubles se multiplient tés excluent toute forme de démocratie directe, ils refusent
dans tout le pays et c’est bien dans l’espoir de ramener le calme d’émanciper les esclaves des colonies…
que la Constituante rend ses deux décisions les plus symboli- Alors qu’elle en termine avec la rédaction de la Constitution,
ques : l’abolition des privilèges la nuit du 4 août et la rédaction un gouffre s’ouvre soudain sous ses pas : Louis XVI, qui a tenté
d’une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le 26. Loin de fuir, est arrêté à Varennes (22 juin 1791). La Constituante
de contribuer à ramener l’ordre, elles mettent le feu aux poudres. ravaude comme elle le peut la Constitution, à laquelle le roi, pri-
Louis XVI traînant les pieds pour ratifier ces lois, une nouvelle sonnier de fait, jure fidélité. Personne ne croit à l’avenir des nou-
« journée » se prépare après celle du 14 juillet, et les 5 et 6 octo- velles institutions. « Je ne crois pas que la Révolution soit finie »,
bre, une foule de manifestants venue de Paris arrache la famille dit Robespierre. Il a raison. Il s’est assuré qu’elle ne finirait pas en
royale au château de Versailles et la ramène dans la capitale. obtenant de Constituants pressés de rentrer chez eux qu’ils se
La Constituante suit et s’installe, elle aussi, aux Tuileries déclarent non rééligibles à l’Assemblée qui va leur succéder.
pour ce qui va ressembler à un long chemin de croix. Placée au Ceux qui ont créé les institutions nouvelles n’en accompagne-
milieu des clubs et des sections, assiégée par les pétitionnaires, ront pas les premiers pas. Autant dire qu’elles sont condam-
dénoncée par la presse, elle entreprend de rédiger la Constitu- nées : moins d’un an plus tard, la Constitution de 1791 sera ren-
tion promise et de mettre en chantier les réformes attendues, versée et la monarchie avec elle.
celles de la justice, des finances – la calamiteuse création des
assignats –, de l’organisation territoriale, etc.
Porte-t-elle une responsabilité dans la montée générale de la ABOLITION DES PRIVILÈGES En haut : Séance de l’Assemblée
violence ? Difficile de répondre à cette question. Si, d’un côté, la la nuit du 4 août 1789, par Isidore Stanislas Helman, XVIIIe siècle
Constituante engage de nombreuses réformes dont les minis- (Friedrichsruh, Bismarck-Museum). Page de gauche : insigne
tres réformateurs de la monarchie avaient souvent eu l’idée républicain, 1793 (Paris, Bibliothèque nationale de France).
Les clubs
i de rares historiens ont affirmé presque instantanément dans les
S que la France avait compté départements les plus éloignés ?
autant de clubs que de communes Ce serait assurément exagérer, car
pendant la Révolution, les estima- jamais ces sociétés provinciales
tions les mieux documentées recen- ne perdirent toute indépendance,
sent un maximum de 8 000 à 10 000 comme jamais le club parisien ne
sociétés politiques. C’est déjà beau- cessa d’être traversé par des cou-
coup. Sans surprise, leur répartition rants contraires. C’est même là,
correspond au tissu urbain de la rue Saint-Honoré, au moins autant
France à la fin du XVIIIe siècle. que dans la salle de l’Assemblée
Ces clubs révolutionnaires ne sor- aux Tuileries, que se déroulèrent
EN COUVERTURE
tent pas de rien. Tout au long du siè- les grandes batailles pour la
cle, une forme nouvelle de sociabi- conquête de la légitimité révolu-
lité avait gagné en puissance, fon- tionnaire qui opposèrent successi-
dée sur des liens de goûts communs vement Jacobins (historiques) et
ou de fraternité – cercles de lecture, Feuillants, Montagnards et Giron-
sociétés savantes, loges maçonni- dins, enfin Robespierristes, Danto-
ques –, au cœur même d’une société nistes et Hébertistes. Mais il est vrai
traditionnelle où les associations qu’après la chute du trône et plus
reposaient toujours sur la base d’une encore après celle des Girondins
identité de statut personnel ou d’inté- le 2 juin 1793, en même temps que
rêts communs : ainsi des corpora- la société mère parisienne adop-
tions de métiers ou des assemblées tait un système de scrutins épura-
d’ordre. Ainsi la France d’Ancien toires pour maintenir une relative
74 Régime – du moins une partie nota- unité en son sein, elle renforça,
h ble de ses habitants – avait fait l’expé- secondée par les conventionnels
rience de la démocratie et de la puis- envoyés en mission dans les dépar-
sance de l’opinion avant même que tements, sa mainmise sur le réseau
n’éclate la Révolution française. de ses filiales.
Les premiers troubles virent éclore spontanément dans toute Le mouvement jacobin qui, après avoir été l’auxiliaire de la
la France des groupements semblables, qui souvent prenaient Constituante en 1789-1790, était devenu, de 1791 au prin-
la suite de sociétés préexistantes. Les partisans des réformes – temps 1793, un véritable contre-pouvoir, souvent plus influent
qu’on allait bientôt appeler « patriotes » – s’y retrouvèrent pour que le gouvernement, finit par jouer le rôle d’un instrument au
soutenir l’Assemblée dans le bras de fer qui, durant l’été 1789, service du gouvernement révolutionnaire, chargé de renforcer
l’opposa à ses adversaires. L’assemblée des états généraux l’emprise de celui-ci sur le territoire. Surveillant les élus, partici-
avait eu elle aussi ses clubs, dont le plus connu fut le « club bre- pant à la répression, relayant les consignes venues de Paris,
ton », réunion informelle des députés partisans d’une rupture jouant le rôle d’opinion publique dans un pays où il n’y avait plus
© COLLECTION KHARBINE-TAPABOR. © PHOTO JOSSE/LEEMAGE.
avec l’Ancien Régime. On y préparait la séance parlementaire d’opinion publique distincte du pouvoir, il était fatal que les
du lendemain, on y concertait les votes, on y fabriquait une una- Jacobins soient frappés de plein fouet par les répercussions de
nimité qui avait ensuite le pouvoir d’impressionner et d’intimi- la chute du gouvernement révolutionnaire, le 9 thermidor an II, à
der les plus timorés. C’est là que furent préparées la plupart des commencer par le réveil d’une véritable opinion publique.
grandes décisions qui mirent à bas un édifice pluriséculaire. Quand elles ne furent pas dissoutes, nombre de sociétés poli-
La Société des amis de la Constitution, qui se réunissait au tiques se dispersèrent. Le club des Jacobins de Paris, qui avait
couvent des Jacobins de la rue Saint-Honoré, prit le relais. joué un rôle si important dans la Révolution, disparut sans bruit.
D’abord club exclusivement parlementaire, elle s’ouvrit bientôt Décapité – pour ainsi dire – par un décret de la Convention qui,
à des recrutements extérieurs, devenant très vite le symbole du le 16 octobre 1794, interdit aux sociétés populaires de s’affilier
parti patriote et du côté gauche de l’Assemblée. Incarnant, face ou de correspondre entre elles, il fut dissous le 12 novembre. Il
à une Constituante souvent jugée trop timide, l’esprit même de revint au conventionnel Reubell de prononcer l’oraison funèbre
la Révolution, elle attira peu à peu à elle, au titre de sociétés affi- du club : « Qui a couvert la France de deuil, porté le désespoir dans
liées, un grand nombre de clubs créés en province, qui formè- les familles, peuplé la République de bastilles, rendu le régime
rent bientôt un réseau étendu à tout le pays. républicain si odieux qu’un esclave, courbé sous le poids de ses
Faut-il parler, avec Michelet, d’une « machine » si bien organi- fers, eût refusé d’y vivre ? Les Jacobins. » L’année suivante, le
sée et centralisée que l’impulsion donnée à Paris se répercutait couvent des Jacobins fut rasé et un marché construit à sa place.
Le Palais-Royal lui : ainsi le marquis de Sillery, ainsi
surtout Choderlos de Laclos, l’auteur
des Liaisons dangereuses. Ils parlaient
bant sont vite devenus incontournables. Les royalistes eurent pousse à la fureur. Tel article produit tel article, et toujours plus
eux aussi leurs journaux, préférant Le Mercure de France ou violent. Malheur à qui reste derrière !… Presque toujours Marat
L’Ami du roi aux titres qu’on vient de citer. a l’avance sur les autres. Quelquefois passe devant Fréron,
Mais parmi tous ces titres, ce sont les plus virulents qui son imitateur [rédacteur de L’Orateur du peuple]. Prud-
tinrent le haut du pavé. C’est L’Ami du peuple de Marat, dont homme [rédacteur des Révolutions de Paris], plus modéré, a
le premier numéro paraît le 12 septembre 1789, qui donne le pourtant des numéros furieux. Alors Marat court après. »
ton de la Révolution française et en exprime quelques-unes Au moins autant, sinon plus que les circonstan-
des passions les plus puissantes, et non les quotidiens qui ces, les idées folles et les calculs des partis, la
s’efforcent au même moment de fonder en France une presse concurrence et la surenchère des journaux
parlementaire à l’image de ce qui se fait en Angleterre. Marat portent une responsabilité capitale dans la
éructe, s’indigne, dénonce, réclame des têtes, toujours plus dérive qui, très tôt, entraîna la Révolution
de têtes, jette le soupçon de trahison sur dans la violence et la terreur.
tous ceux qui, à un moment ou à un autre,
76 s’efforcent, sinon d’arrêter le torrent,
h du moins de le ralentir. Il fut en cela la
voix de la Révolution et, sinon « l’ami » du
peuple, du moins l’interprète de ses
penchants. Au moins autant que les
hommes politiques, députés ou
jacobins, la petite clique des jour-
nalistes porte une lourde respon- LE POIDS DES MOTS
sabilité dans la dérive précoce Ci-contre : Le Triomphe
de la Révolution. Les mots ne de Marat, 24 avril 1793,
coûtent rien aux journalis- par Jean-Baptiste
tes ; ils peuvent en revanche Lesueur, XVIIIe siècle
leur rapporter gros. (Paris, musée
C’était tout un monde Carnavalet).
d’aventuriers, de ratés et Page de droite :
d’aigris qui trouvaient dans Une patrouille
PHOTOS : © MUSÉE CARNAVALET/ROGER-VIOLLET.
on pense au Comité, c’est le deuxième qui Assurément, les circonstances, et elles se noua dans le huis clos du pouvoir et
vient à l’esprit, avec ses douze membres – seules, préservèrent l’unité de ce Comité où dans un contexte où la mort était devenue
ramenés à onze après l’arrestation il n’existait ni cohésion politique ni affinités la sanction des vaincus. Le 9 thermidor
et l’exécution d’Hérault de Séchelles – personnelles. Tant qu’il lui fallut lutter (27 juillet 1794), une partie du Comité de
qui non seulement devinrent bientôt contre les attaques dont il était de tous salut public (Billaud, Collot, Carnot, que
inamovibles, au point que la Convention ne côtés la cible, il demeura uni. Hébertistes rallia Barère au dernier moment) renversa
prit même plus la peine de les renouveler et Dantonistes le payèrent de leur vie. Mais l’autre (Robespierre, Saint-Just et Couthon).
par un vote même formel, mais s’abstinrent après que les factions eurent été abattues Nul ne savait encore que ce règlement de
tout aussi rapidement de rendre compte en mars et avril 1794, le Comité commença comptes allait, en quelques jours, mettre un
à l’Assemblée dont ils étaient en principe de se fissurer en proportion de la puissance terme au gouvernement révolutionnaire
l’émanation. Dès l’automne 1793, qui était désormais la sienne. La position de l’an II, et Joseph de Maistre se contenta
les craintes que la Convention avait prépondérante que s’arrogea Robespierre d’écrire avec laconisme : « [Le 9 thermidor]
cru conjurer en prenant quelques au moment de la fête dédiée à l’Etre nous défait d’une foule de scélérats, et c’est
précautions étaient devenues réalité. suprême (8 juin 1794) froissa ses collègues, un gain clair et net pour l’univers. »
La Commune insurrectionnelle de Paris
lle est née dans la nuit du 9 au 10 août 1792. Le tocsin son- Elle représente même une menace, d’autant qu’elle prête une
E nait, les insurgés qui allaient prendre d’assaut les Tuileries oreille complaisante à tous ceux qui, des Enragés aux Hébertis-
au petit matin fourbissaient leurs armes. Les commissaires de tes, pensent que la Révolution reste à faire.
vingt-huit des quarante-huit sections que comptait alors Paris La tragédie se noue lorsque la Commune lance, à partir de
profitèrent de la confusion pour évincer la municipalité en place novembre 1793, une campagne en faveur de la déchristiani-
et confier tous les pouvoirs à une Commune insurrectionnelle. sation de la France. Fermeture des églises, processions anti-
De la chute du roi à celle des Girondins, elle tient le haut du religieuses, abjurations forcées : c’est une nouvelle révolution
pavé. Elle prétend émaner directement du peuple au moment qui commence. Ses promoteurs, qu’on appelle « Cordeliers »
où celui-ci, trahi par ses gouvernants, a repris l’exercice direct ou « Hébertistes », entendent bien en tirer les bénéfices – peut-
de sa souveraineté. Chaque jour ou presque, ses membres être renverser le Comité de salut public. En réalité, la Com-
viennent à la tribune de l’Assemblée législative, plus tard de mune tire là ses dernières cartouches. Ce furent de longs mois
la Convention, pour dicter aux représentants les mesures de manœuvres tortueuses, de menaces et de fausses réconci-
qu’ils doivent prendre au nom du salut public. C’est une lutte de liations entre les partisans d’Hébert, ceux de Danton et ceux
chaque instant entre la Commune et l’Assemblée. La majorité de Robespierre. Le troisième se montra le plus fort : dans la nuit
a beau y être du même bord, députés et commissaires de la du 13 au 14 mars 1794, les Hébertistes sont arrêtés, guillotinés
Commune ont beau se côtoyer aux Jacobins, ils incarnent le 24. Danton les suit de peu. La Commune est épurée, réorga-
deux principes et deux France : la Convention, même élue dans nisée, flanquée d’un « agent national » directement nommé par
un climat peu favorable à la liberté des suffrages, c’est le gou- le Comité de salut public. Cette Commune robespierriste dis-
vernement représentatif ; la Commune, une expression de la paraîtra à son tour avec son chef, en juillet. La Convention
démocratie directe et Paris opposé au reste de la France. avait eu très peur. La ville fut alors divisée en douze arrondisse-
Dès la chute du roi, la Commune fait le siège de l’Assemblée. ments dirigés chacun par un maire. C’est seulement en 1977
Elle obtient que la famille royale, réfugiée dans la salle des que la mairie de Paris fut rétablie.
séances, lui soit livrée pour être emprisonnée au Temple. Elle
arrache aux députés la formation d’un Tribunal criminel extra-
ordinaire pour juger les « coupables » du 10 août, autrement dit
les victimes, et à la fin du mois elle joue un rôle déterminant
dans la préparation des massacres de Septembre.
Elle règne par la terreur, fait peur à ceux-là mêmes à qui elle
a permis de se faire élire si facilement à la Convention. Dès la fin
de l’été 1792, l’Assemblée tente de la mettre au pas. Le conseil
général est renouvelé. On a eu tort d’en appeler au suffrage des
électeurs. Même si l’abstention est massive, ils plébiscitent le
Girondin Pétion pour la mairie. Celui-ci ayant préféré son fau-
teuil de député à celui de maire, c’est un autre modéré, Cham-
bon, qui le remplace. La Commune se montre moins, elle se
renferme dans ses tâches de police et d’administration, s’effor-
çant de trouver tant bien que mal des solutions à la lancinante
question de l’approvisionnement de la capitale.
Elle va bientôt reprendre du service. Pache, un ancien Giron-
din passé aux plus radicaux, devient maire. La tension monte à
la Convention entre Jacobins et Girondins. Pour avoir la peau
des seconds, les premiers ont besoin d’une large mobilisation
populaire. La Commune coordonne les initiatives dans les sec-
tions, mobilise, arme, hurle au complot, appelle à des mesures
de terreur pour en finir avec le soulèvement vendéen et les traî-
tres qui se cachent partout. Le 31 mai 1793, c’est elle qui, avec le
soutien de la Garde nationale, encercle la Convention pour obte-
nir le renvoi des députés girondins. Comme l’Assemblée tarde à
obtempérer, elle récidive deux jours plus tard et, cette fois,
obtient gain de cause. Victoire à la Pyrrhus, car si la Commune a
depuis un an servi les desseins des conventionnels jacobins, elle
ne leur est plus aussi utile dès lors que la Gironde a été éliminée.
Le Tribunal révolutionnaire
«
S oyons terribles pour dispenser
le peuple de l’être », déclara Danton
en proposant, le 9 mars 1793, la création
pour avoir chanté un air royaliste,
malheureux dénoncés par un voisin, etc.
En revanche, lorsque le procès était
affolé, demanda des instructions au
gouvernement, puisque la loi de mars 1793
n’interdisait pas aux accusés de se défendre.
d’un « Tribunal criminel extraordinaire » politique, l’issue ne faisait évidemment Robespierre, qui, depuis des mois,
chargé de juger conspirateurs et ennemis l’objet d’aucun débat. Les ennemis de déplorait « l’inactivité » du Tribunal
© CHÂTEAU DE VERSAILLES, DIST. RMN-GRAND PALAIS/IMAGE CHÂTEAU DE VERSAILLES. © COLL. MUSÉE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE-DOMAINE DE VIZILLE/DÉPÔT DU MUSÉE DU LOUVRE.
de la Révolution sans possibilité d’appel la Révolution – souvent ses anciens amis – et sa trop grande clémence, prit les choses
ni de recours en cassation. Ce n’était pas devaient mourir. Robespierre n’avait-il en main. Dans l’immédiat, un décret
la première fois que les révolutionnaires pas fait remarquer, au moment du procès arraché à la Convention permit d’exclure
mettaient en place une juridiction du roi, qu’il était absurde d’envisager Danton de son propre procès, et deux
d’exception pour juger les vaincus du que Louis pût être acquitté ? Car s’il l’était, mois plus tard, le 10 juin 1794, une
moment. Cela n’avait jamais très bien dit-il, c’est qu’il était innocent des crimes nouvelle loi réformait la procédure.
EN COUVERTURE
marché : trop de formes, trop de scrupules. qu’on lui imputait, et s’il en était innocent, Elle se voyait réduite au minimum : plus
Ainsi la cour spéciale établie après la chute alors la Révolution était forcément d’instruction préalable, plus d’avocat
des Tuileries, dont on disait que, si elle coupable. La Révolution ne pouvait être présent, plus de témoins et une simple
s’était montrée plus expéditive dans ses accusée : Barnave, les Girondins, Bailly, alternative – l’acquittement ou la mort.
jugements, peut-être les massacres de Mme Roland, la reine et bien d’autres En moyenne, le bourreau, depuis la mise
Septembre n’auraient-ils pas eu lieu. C’est le payèrent de leur vie, sans avoir été en route du Tribunal, avait coupé le cou
douteux, mais c’est le même raisonnement, véritablement jugés. Quand il le fallait, on de moins d’une centaine de personnes
au moment où la rue s’agitait de nouveau, mobilisait faux témoins et fausses preuves. chaque semaine. Après la promulgation
qui conduisit à l’organisation, le lendemain Tout le monde se souvient qu’Hébert, de la nouvelle loi, le nombre des victimes
10 mars, d’un tribunal dont juges et pour exciter la foule contre la reine que doubla : 1 409 en sept semaines.
jurés étaient nommés par la Convention beaucoup plaignaient, l’accusa dans Mais la plus grosse « fournée » était
et la procédure simplifiée. son style ordurier d’avoir eu des relations encore à venir : les Robespierristes eux-
Dans les premiers temps, le Tribunal incestueuses avec le petit Dauphin. mêmes, que Fouquier-Tinville expédia à
82 ne fut pas la machine à tuer qu’il allait En général, il était inutile d’en venir l’échafaud en vertu des dispositions de la
h devenir l’année suivante. Les accusés à pareilles extrémités. L’accusateur public, loi qu’ils avaient fait adopter en juin 1794.
conservaient le droit de se faire représenter Fouquier-Tinville, menait rondement Ironie de l’histoire… Les Robespierristes
par un avocat et celui de citer des témoins son affaire. C’était un esprit médiocre, morts, le Tribunal changea de rôle :
à décharge. De son installation jusqu’au procédurier, tatillon, indifférent quant il ne condamnait plus, sauf rarement
début de juin 1794, il prononça un peu à la vérité des accusations mais intraitable – Carrier, le noyeur de Nantes –, il
plus de 1 200 condamnations à la peine sur le chapitre des formes. Aussi, lorsque acquittait. Si Fouquier-Tinville, resté
capitale, sur près de 2 300 prévenus Danton, accusé à son tour, se défendit en fonction, mettait à élargir les prévenus
jugés. Certes, la proportion est élevée, comme un beau diable, réclamant la même obstination qu’il avait mise
mais il reste alors aux accusés une la comparution de témoins, Fouquier, à les envoyer à la mort, il n’était pas
petite chance de sauver leur tête. Ce ne pour autant tiré d’affaire. Le 6 mai 1795,
sera plus le cas pendant les dernières il comparut avec ses anciens collègues
semaines de la Terreur. devant le Tribunal où, si souvent, il avait
Bien sûr, on ne saurait déduire de ces requis la peine capitale. De retour dans
chiffres la manière dont fonctionnait sa cellule, il écrivit ces mots : « Je n’ai
le Tribunal. L’instruction était souvent rien à me reprocher : je me suis toujours
bâclée, les preuves pour le moins ténues conformé aux lois (…). Je meurs pour
et les témoins pas souvent très fiables. ma patrie et sans reproche. » Il en était
La sévérité du Tribunal augmentait certainement persuadé. Le lendemain,
à mesure que la Révolution se radicalisait. il montait à l’échafaud. Le Tribunal
Après tout, juges et jurés étaient dans fut dissous trois semaines plus tard.
la main du gouvernement, qui pouvait
fort bien s’arranger pour que les uns
et les autres passent du banc des juges ACCUSATEUR Ci-contre : Antoine
à celui des accusés. Les jurés disposaient Fouquier-Tinville, par François Bonneville,
de quelque latitude lorsqu’il fallait 1796 (Versailles, musée du Château).
juger le menu fretin : cultivateurs jetés Page de droite : Un représentant en
en prison pour avoir assisté à la messe mission, école française, 1793 (Vizille,
d’un prêtre réfractaire, ivrognes arrêtés musée de la Révolution française).
Les représentants en mission
e 9 mars 1793, la Convention décrétait l’envoi de 82 de
L ses membres dans les départements pour y accélérer la
mise en œuvre de la levée de 300 000 hommes qu’elle venait
d’ordonner. En un peu plus de deux ans, ce ne sont pas moins
de 426 conventionnels, soit les deux tiers, qui, à un moment ou
à un autre et pour une durée plus ou moins longue, quittèrent
Paris pour remplir une mission confiée par l’Assemblée.
Certains enchaînèrent si bien les missions, dans les départe-
ments ou auprès des armées, qu’on ne les revit guère à Paris.
Ainsi de Jean-Baptiste Bô. Le voici envoyé au printemps 1793
dans son département natal de l’Aveyron et dans le Tarn. De là,
il rejoint les Ardennes, puis la Marne et l’Aube, avant de mettre
le cap sur le Lot, le Cantal, la Lozère et, une nouvelle fois, l’Avey-
ron et le Tarn. On l’envoie alors à Nantes, puis à Reims, enfin à
Bayonne, et il aurait même débarqué en Corse si les adversai-
res marseillais de la Convention ne l’avaient fait prisonnier ! pour y répondre de leur conduite. De janvier à mars 1794, les
Ils sont des dizaines dans ce cas, coiffés du chapeau à plu- rappels se multiplièrent, lourds de menaces pour ceux qui
mes et portant l’écharpe tricolore, dont on attendait toujours avaient outrepassé leurs pouvoirs. Si la crise du 9 thermidor eut
l’arrivée avec crainte. Ils remédiaient à un grave inconvénient de nombreuses causes, les menaces qui pesaient sur certains
de la politique de décentralisation mise en œuvre en 1789 par représentants revenus de mission ne furent pas la moindre, et
la Constituante, qui avait confié le pouvoir local à des autorités les plus compromis, de Barras à Fréron et de Tallien à Fouché,
partout élues qui, de fait, échappaient au contrôle du pouvoir ne furent pas les derniers à se mobiliser contre l’Incorruptible.
central. Les commissaires ramenaient le gouvernement dans C’est au nom des circonstances extraordinaires que la
les provinces. Ils étaient plus que l’œil de la Convention et du Convention avait, au moyen de ces commissaires, mis en
Comité de salut public, avec lequel ils correspondaient, puis- cause la décentralisation de 1789 et ramené le balancier du
qu’ils étaient investis du pouvoir souverain. S’ils quittaient la côté du pouvoir central. Le Directoire poursuivit sur la même
capitale munis d’instructions précises qui délimitaient l’objet lancée, jusqu’à ce que Bonaparte nomme en 1800 un préfet
de la mission, « la Convention nationale [autorisait] tous ses dans chaque département. Tocqueville dira que c’est alors que
commissaires à prendre toutes les mesures, même celles de la Révolution renoua avec la centralisation esquissée, au
sûreté générale, que les circonstances rendront nécessaires. » moyen des intendants, par la monarchie absolue. Si Bonaparte
L’histoire de chaque représentant en mission est singulière. parachève cette évolution, la Convention l’avait initiée.
Elle dépend des circonstances et du tempérament de chacun. Si,
dans leur majorité, ils se limitèrent à l’objet de leur commission, Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales,
d’autres se comportèrent en véritables proconsuls à qui le désor- Patrice Gueniffey est spécialiste de la Révolution et de l’Empire.
dre du moment et l’éloignement de Paris permettaient d’agir
à leur guise. On a surtout retenu les exploits des « Montagnards
de proie » qui, comme Tallien à Bordeaux ou Barras et Fréron
dans le Midi, se livrèrent à de multiples exactions – arrestations À LIRE de Patrice Gueniffey
et exécutions arbitraires, extorsions –, ou les représentants qui
employèrent des moyens extrêmes : Fouché et Collot d’Herbois
faisant mitrailler les prisonniers de Lyon, Carrier ordonnant de
noyer dans la Loire les Vendéens qui refluaient sur Nantes. On
a moins gardé la mémoire de ceux, et ils furent nombreux, qui
s’efforcèrent de n’user des mesures violentes qu’à bon escient
et le moins possible – tel Saint-Just à l’armée du Nord – ou qui, à
l’instar d’Augustin Robespierre, le frère de Maximilien, condui-
sirent une politique de clémence partout où ils passèrent.
L’établissement du gouvernement révolutionnaire le La Politique de la Terreur. Essai sur la violence
4 décembre 1793, qui renforçait les pouvoirs des deux Comi- révolutionnaire, 1789-1794,
tés, marqua un tournant. Au même moment, ces derniers Gallimard, « Tel », 378 pages, 13 €.
s’attaquaient à l’extrême gauche hébertiste. Les représentants Histoires de la Révolution et de l’Empire,
en mission qui, en particulier dans l’Ouest, s’étaient montrés Perrin, « Tempus », 768 pages, 12,50 €.
proches de l’hébertisme commencèrent à être rappelés à Paris
D ICTIONNAIRE
Par Charles-Eloi Vial
Dans
engrenage
l’
de la
violencePartisans de la monarchie
ou de la République, victimes
ou acteurs de la Terreur,
très peu d’entre eux ont échappé
au couperet de la guillotine.
Fils aîné du duc d’Orléans, descendant de Louis XIII et du Régent, il est d’abord
titré duc de Chartres. Son père le marie en 1769 à Marie-Adélaïde de Penthièvre,
richissime petite-fille du comte de Toulouse, bâtard légitimé de Louis XIV.
Le mariage n’est pas heureux, et le duc confie l’éducation de ses enfants à Félicité
de Genlis, une de ses maîtresses. Comme pair de France, il s’oppose au pouvoir
royal et fait du Palais-Royal un lieu d’opposition. Lors de l’assemblée des notables
de 1787, il réclame une réunion des états généraux. Grand maître du Grand Orient
de France, il accueille avec joie la Révolution et voit sa popularité augmenter,
au point que l’on parle de « faction d’Orléans » pour désigner ceux qui rêveraient
de le voir monter sur le trône, si bien que le roi l’envoie plusieurs mois en Angleterre
en 1789. Surtout préoccupé par ses dettes immenses, il s’éloigne de la politique
jusqu’en 1792 où il est élu à la Convention. Rebaptisé « Philippe Egalité »,
le ci-devant duc est la risée de la Montagne où il siège, et son vote en faveur de
EN COUVERTURE
la mort du roi dégoûte jusqu’à Robespierre. Quand son fils aîné Louis-Philippe fuit
la France avec le général Dumouriez en avril 1793, il est interné à Marseille. Ramené
à Paris, il est jugé comme conspirateur royaliste le 6 novembre et condamné à être
exécuté le lendemain. Se moquant de ses juges, il demanda à l’être sur-le-champ,
ce qui lui fut volontiers accordé… Comme Louis XVI, il fit preuve de fermeté devant
la mort : « Je crois qu’il était à bout de sacrifices, et qu’il savait qu’il paierait à son tour
tant de faiblesses par l’échafaud », notait l’un de ses premiers historiens.
86
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Archiviste paléographe et historien, Charles-Eloi Vial est conservateur à la Bibliothèque nationale de France.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de la cour de France et sur le Premier Empire.
La petite boutique
des Horreurs
Bijoux, jouets ou vaisselle…
L’imagerie révolutionnaire s’est
déclinée sous des formes
multiples autant qu’inattendues.
COLLECTION CHRISTOPHEL © GAUMONT/GEORGE PIERRE ; COLLECTION CHRISTOPHEL © PATHE IMAGE PRODUCTION/COMPAGNIE ERIC ROHMER.
Wojciech Jaruzelski, soit la légitimité
populaire face au dogmatisme de l’appa-
reil d’Etat. Ramené aux deux hommes de
la Terreur, ce sous-texte politique n’évite
pas toujours le risque de faire de Danton –
incarné par le bouillant Depardieu – un
héros romantique mort en martyr, perpé-
tuant l’historiographie de la IIIe Républi-
que. Mais Wajda ne perd pas de vue son
sujet, comme le montre cette réplique où
Danton rappelle qu’il est bien placé pour
connaître le fonctionnement du Tribunal
révolutionnaire puisque c’est lui qui l’a
inventé, ou cette scène où un homme se
jette sur lui pour l’étrangler, qui souligne à
point nommé que le tribun de la plèbe ne
comptait pas que des amis.
Bien plus : en peignant sans fard le cli-
mat oppressant de la Terreur, en faisant
de Robespierre le véritable protagoniste
du film, en le montrant aussi terrifiant
que terrifié par le bateau ivre qu’il a mis à
la mer mais dont le gouvernail risque
désormais de lui échapper, Danton jette
une lumière critique alors inédite sur la
Révolution française. Au point que la pre-
mière du film vit François Mitterrand filer
à l’anglaise juste après la projection, pour
éviter d’avouer son embarras vis-à-vis
Danton corruption, dont celle de la Compagnie d’une œuvre cofinancée par son minis-
D’Andrzej Wajda (1983), des Indes, permettraient de faire tomber tère de la Culture avec Jack Lang à sa tête.
avec Gérard Depardieu, Wojciech Pszoniak, leur chef, Danton (Gérard Depardieu). Inutile de préciser que la Pologne com-
Patrice Chéreau, 2 h 16. Mais Robespierre (Wojciech Pszoniak) muniste, elle-même coproductrice, ne vit
En mars 1794, les « Indulgents » s’oppo- hésite : l’ardent tribun a l’appui de la pas d’un meilleur œil ce film qui lui ten-
sent ouvertement à Robespierre et au Convention et de l’opinion ; sa chute ne dait, comme dans un miroir, son propre
Comité de salut public pour réclamer la précipiterait-elle pas la sienne ? Il faut reflet. Et désignait aussi clairement le ber-
fin de la Terreur. Plusieurs affaires de qu’une entrevue entre les deux hommes ceau des totalitarismes modernes.
L’Anglaise et le Duc royaliste mais adepte d’une monarchie été insérés par la technique de l’incrus-
D’Eric Rohmer (2001), avec Lucy Russell, constitutionnelle. Elle est aussi l’amie de tation numérique. Ce parti pris pictural
Jean-Claude Dreyfus, 2 h 09. républicains patentés, du général (ex-duc nimbe le film d’une valeur décorative et
Alors que la Révolution a éclaté et que la de) Biron à Philippe Egalité. Sous les traits poétique de premier ordre, qui plonge le
Terreur se profile, l’Anglaise Grace Elliott se et les mimiques de Jean-Claude Dreyfus, spectateur dans un livre d’histoire illustré.
partage entre son hôtel parisien de la rue celui-ci apparaît d’ailleurs plus ambivalent Paradoxalement, il lui confère aussi un réa-
de Miromesnil et sa propriété de Meudon. qu’uniformément noir, à la fois intrigant lisme inattendu. En faisant la part belle aux
Ancienne maîtresse du duc d’Orléans, et dépassé par des événements dont il a vues d’ensemble, ces tableaux restituent
dont elle est restée l’amie, elle est pour pourtant allumé la mèche. en effet la topographie de Paris à l’époque
sa part attachée à la famille royale. Elle La Terreur n’en déroule pas moins ses épi- de la Révolution d’une façon bien plus
accepte de cacher le marquis de Champce- sodes, ses acteurs et ses rites sous le regard compréhensible que dans les films histori-
netz, ancien gouverneur des Tuileries, et horrifié de Grace Elliott, des massacres de ques habituels, où elle se réduit trop sou-
tente d’arracher au duc la promesse qu’il Septembre aux bandes de sans-culottes vent à un puzzle de différents bâtiments
s’abstiendra de participer au vote de la avinés, des visites domiciliaires incessantes d’époque filmés ici ou là en plans serrés et
Convention sur le sort du roi. dont elle fait l’objet à sa comparution assemblés pour faire vraisemblable. La
Inspiré de Ma vie sous la Révolution, devant le Tribunal révolutionnaire. « Mais place Louis XV, la rue Saint-Honoré ou la
Mémoires posthumes et romancés de en quel temps vivons-nous ? Et ces philo- barrière de Vaugirard revivent ainsi telles
Grace Elliott, L’Anglaise et le Duc n’est ni sophes qui nous parlent des Lumières », qu’elles furent, colorant d’une troublante
une épopée ni une œuvre didactique sur lâche-t-elle, horrifiée par la mort de la réalité cette chronique de la Terreur. 2
la Révolution. Elle n’est pas davantage princesse de Lamballe. La rigoureuse alter-
un pamphlet antirévolutionnaire, contrai- nance de scènes d’intérieur et d’extérieur
rement à ce qu’avancèrent quelques criti- sur laquelle est fondé le film rend très jus-
ques pour en faire grief à Eric Rohmer. Sui- tement la montée de la violence dans les LONGUE-VUE Page de gauche :
vant pas à pas sa protagoniste, spectatrice années 1792-1793, les espaces privés, Danton (Gérard Depardieu)
involontaire de la Terreur, le film est une d’abord présentés comme un refuge par montant à l’échafaud dans le film
chronique fidèle de son point de vue, alter- rapport à la rue, se trouvant peu à peu d’Andrzej Wajda (1983). Ci-dessus :
nativement proche (la tête de la princesse envahis par la marée révolutionnaire. depuis la terrasse de sa propriété
de Lamballe sur une pique brandie à la Mais L’A nglaise et le Duc est peut-être de Meudon, Grace Elliott (Lucy
fenêtre de son carrosse) ou lointain (l’exé- d’abord une expérience esthétique, aussi Russell, dans L’Anglaise et le Duc d’Eric
cution de Louis XVI, observée à la longue- audacieuse que réussie. Les extérieurs sont Rohmer, 2001) se fait décrire par
vue depuis sa terrasse de Meudon). En en effet constitués de trente-six tableaux sa femme de chambre l’exécution de
véritable Anglaise, Grace Elliott n’est pas peints où les acteurs, filmés en studio, ont Louis XVI, place de la Révolution.
L IVRES
Par Geoffroy Caillet, François-Joseph Ambroselli, Michel De Jaeghere,
Albane Piot et Jean Sévillia
Pages
desang
Crois ou meurs ! Histoire
incorrecte de la Révolution
française. Claude Quétel
Auteur de livres remarqués sur les lettres
de cachet et sur la Bastille, Claude Quétel
se jette cette fois dans le grand bain
EN COUVERTURE
L’irruption
de la violence
5 MAI 1789 Ouverture des états généraux
à l’hôtel des Menus Plaisirs à Versailles.
17 JUIN 1789 Après des semaines de blo-
cage dus à la revendication du tiers état
Violences
en cascade
d’imposer la réunion des trois ordres et le
vote par tête qui lui assure la majorité,
celui-ci se constitue, par 491 voix contre
89, en Assemblée nationale. Le 19 juin, les Conséquence fatale de la dynamique
délégués du clergé se joignent au tiers.
EN COUVERTURE
© MUSÉE CARNAVALET/ROGER-VIOLLET.
la nation, à la loi et au roi. DE LA LIBERTÉ
28 JUILLET 1790 Sur les conseils de deux Le Zénith
archevêques, Lefranc de Pompignan et de la gloire
Champion de Cicé, Louis XVI accepte la française.
Constitution civile du clergé. Il reçoit le Le pinacle
lendemain la lettre de Pie VI qui condamne de la liberté,
les décrets. par James
31 AOÛT 1790 La garnison de Nancy, qui Gillray, 1793
s’était rebellée contre ses officiers, est sou- (Paris, musée
mise par les troupes du marquis de Bouillé Carnavalet).
au prix de centaines de morts et de blessés.
27 NOVEMBRE 1790 Décret astreignant les
ecclésiastiques à prêter serment à la Consti- 16 JUILLET 1791 Le club des Jacobins se 10-24 MARS 1792 Face à la menace de voir
tution civile du clergé. divise : les opposants à la destitution du roi sa femme convoquée devant la Haute Cour,
7 FÉVRIER 1791 Dans le Morbihan, deux se rassemblent dans l’ancien couvent des Louis XVI intègre des membres du club des
à trois cents paysans s’insurgent contre le Feuillants. Ainsi naît la formation politi- Jacobins à son Conseil des ministres : ainsi
serment exigé et transmettent une péti- que des Feuillants, rassemblant les parti- se forme le ministère « girondin ».
tion. Le 13 février, plus de mille paysans sont sans d’une monarchie constitutionnelle, 20 AVRIL 1792 La Législative vote la décla-
stoppés par l’armée près de Vannes. opposée au reste des Jacobins, hostiles au ration de guerre contre l’Autriche.
10 MARS 1791 Condamnation de la Consti- monarque. Le lendemain, la Garde natio- 25 AVRIL 1792 La guillotine est inaugurée
tution civile du clergé par Pie VI. Il demande nale, à la demande de l’Assemblée, réprime à Paris sur un voleur de grand chemin.
aux membres du clergé de refuser le serment. une manifestation qui réclame, au Champ- 27 MAI 1792 La Législative vote la déporta-
22 AVRIL 1791 Le directoire du Finistère de-Mars, la déchéance du roi. tion des prêtres réfractaires. Le 11 juin,
ordonne la déportation des prêtres réfrac- 3 SEPTEMBRE 1791 La Constituante Louis XVI met son veto et, le lendemain,
taires du département. adopte une nouvelle constitution : le roi renvoie les ministres girondins.
7 MAI 1791 Pour apaiser les esprits, la récupère le droit de grâce, conserve un 20 JUIN 1792 Des émeutiers envahissent
Constituante autorise les fidèles à louer droit de veto suspensif sur les lois adop- les Tuileries pour forcer Louis XVI à lever
des locaux pour le culte, même si celui-ci tées et continue de nommer les ministres. ses veto. Le roi coiffe le bonnet phrygien
est réfractaire. Louis XVI prête serment le 14 septembre. La et boit à la santé de la nation mais refuse
10 MAI 1791 Un décret de la Constituante Constituante se sépare le 30 septembre. Le de changer de position.
institue et organise la Haute Cour natio- lendemain, l’Assemblée nationale législa- 1 1 J U I L L E T 1 7 9 2 Devant l’entrée en
nale. Ce tribunal extraordinaire est chargé tive, constituée en majorité de novices hos- guerre de la Prusse aux côtés de l’Autriche,
de juger les délits des membres de l’exécu- tiles au roi, se réunit pour la première fois. la Législative proclame la « patrie en dan-
tif ou toute atteinte à la sûreté de l’Etat. 9 NOVEMBRE 1791 La Législative somme ger » et appelle à la mobilisation générale.
16 MAI 1791 Un décret empêche les dépu- les émigrés de rentrer, sous peine d’être
tés de la Constituante d’être réélus à la pro- déclarés suspects de conspiration et de La « première Terreur »
chaine législative. voir leurs biens confisqués. Louis XVI y met 10 AOÛT 1792 Déchaînés par des rumeurs
20 JUIN 1791 Pour retrouver sa liberté son veto le 11 novembre. de collusion du roi avec les puissances étran-
d’action, Louis XVI part clandestinement 29 NOVEMBRE 1791 Les prêtres réfrac- gères, des centaines de sans-culottes atta-
en direction de Montmédy, où l’attend taires sont déclarés suspects de révolte quent les Tuileries : six cents gardes suisses
l’armée du marquis de Bouillé. Il est arrêté contre la loi et la nation. Le 19 décembre, sont massacrés. Réfugié à l’Assemblée avec
à Varennes et suspendu de ses droits. Louis XVI met également son veto. sa famille, le roi est suspendu. Le 13 août, la
9 FÉVRIER 1792 Un décret ordonne la famille royale est emmenée au Temple sous
Les prémices de la Terreur confiscation des biens des émigrés. la responsabilité de la Commune de Paris.
9 JUILLET 1791 Les émigrés sont sommés 3 MARS 1792 Le maire d’Etampes est tué 26 AOÛT 1792 Les prêtres réfractaires doi-
de rentrer en France, sous peine d’être sou- par des émeutiers qui réclament la fixa- vent quitter la France dans les quinze jours,
mis à une triple imposition. tion du prix des grains. sous peine d’être exécutés.
NUIT DU 29 AU 30 AOÛT 1792 Les visites 4 AVRIL 1793 Battu à Neerwinden, le géné- Saint-Denis et vote une loi qui voue la Ven-
domiciliaires opérées à Paris pour la ral Dumouriez, général en chef de l’armée du dée à l’extermination.
recherche des armes et des munitions de Nord et partisan d’une monarchie constitu- 23 AOÛT 1793 A la demande des sans-
guerre entraînent l’arrestation de centai- tionnelle, passe à l’ennemi autrichien. culottes, une levée en masse est décrétée :
nes de personnes. 6 AVRIL 1793 La Convention décrète la 400 000 hommes sont mobilisés.
2-5 SEPTEMBRE 1792 Massacres de Sep- création d’un Comité de salut public, 27 AOÛT 1793 Toulon ouvre son port à la
tembre. Dénonçant un complot des roya- chargé du pouvoir exécutif. flotte anglaise et passe à l’ennemi. La ville
listes emprisonnés, la populace pari- 24 AVRIL 1793 Décrété d’accusation par ne sera reprise que le 19 décembre et sera
sienne, galvanisée par la Commune et ses les Girondins, Marat est acquitté par le Tri- soumise à une répression sanglante.
sections, s’attaque aux prisons de la ville : bunal révolutionnaire, largement acquis
s’ensuit un véritable carnage qui fait entre à la cause des Montagnards, et regagne La Terreur
EN COUVERTURE
1 250 et 1 392 morts, dont 223 prêtres et triomphalement sa place à la Convention. 5 SEPTEMBRE 1793 Les sans-culottes
37 femmes. 4 MAI 1793 La loi sur le maximum des envahissent la Convention et poussent les
20 SEPTEMBRE 1792 L’armée française grains est votée. députés à mettre « la Terreur à l’ordre du
bat les troupes austro-prussiennes à 18 MAI 1793 La Convention institue la jour ». Le 9 septembre, une armée révolu-
Valmy. Le lendemain, la Convention abolit Commission des douze, contrôlée par les tionnaire de 7 000 hommes est créée.
la royauté et proclame la République. Girondins. Elle est chargée de surveiller 17 SEPTEMBRE 1793 L’Assemblée vote la
9 OCTOBRE 1792 Les émigrés pris les la Commune et d’enquêter sur les conspi- loi des suspects. Elle prévoit l’arrestation
armes à la main seront désormais exécutés rations « contre la liberté ». Les Monta- de ceux qui par leur conduite, leurs rela-
dans les vingt-quatre heures. gnards ne cessent, de leur côté, d’appeler à tions, leurs propos ou leurs écrits se sont
6 NOVEMBRE 1792 Les Français battent l’émeute contre les Girondins, qu’ils accu- montrés partisans de la tyrannie ou du
les Autrichiens à Jemappes et entrent à sent d’être contre-révolutionnaires. fédéralisme, ou ennemis de la liberté.
Bruxelles le 14 novembre. 20 MAI 1793 La Convention décide d’un 2 9 S E P T E M B R E 1 7 9 3 La Convention
10-26 DÉCEMBRE 1792 Procès de emprunt forcé d’un milliard sur les riches. adopte la loi du « maximum général » sur
102 Louis XVI dans la salle du Manège à Paris. 31 MAI 1793 Sous l’impulsion des Monta- les prix et sur les salaires.
H Le roi répond de quarante-deux chefs gnards, les sections parisiennes envahis- 10 OCTOBRE 1793 La Convention pro-
d’accusation. Il est notamment accusé sent la Convention et obtiennent la sup- clame que « le gouvernement provisoire
d’avoir tenté de faire obstacle à la réunion pression de la Commission des douze, qui de la France sera révolutionnaire jusqu’à
des états généraux, échangé une corres- avait arrêté, le 24 mai, deux sans-culottes. la paix » : la Constitution est mise de côté
pondance secrète avec l’empereur Léo- 2 JUIN 1793 Vingt-neuf députés girondins jusqu’à nouvel ordre. Le conseil exécutif
pold et le roi de Prusse, et expédié de sont arrêtés sous la pression de la foule qui ainsi que les ministères sont placés sous le
l’argent aux émigrés. a envahi la Convention. contrôle du Comité de salut public.
16-17 JANVIER 1793 Le roi est condamné 24 JUIN 1793 Les Montagnards achèvent 12 OCTOBRE 1793 Un décret ordonne la
à mort par 387 voix sur 721. leur nouvelle constitution et ajournent destruction de la ville de Lyon, reprise par
21 JANVIER 1793 Louis XVI est guillotiné son application « jusqu’à la paix ». les conventionnels le 9 octobre. Il n’est
place de la Révolution. 29 JUIN 1793 Après une épopée victo- que peu appliqué, mais les exécutions se
1 ER FÉVRIER 1793 La France déclare la rieuse à Saumur et à Angers, l’armée ven- comptent par centaines.
guerre aux Provinces-Unies et à l’Angle- déenne échoue devant Nantes. 16 OCTOBRE 1793 Après un simulacre de
terre. Le 24 février, la Convention décrète 13 JUILLET 1793 Marat est assassiné par procès, Marie-Antoinette est guillotinée.
la réquisition de 300 000 hommes. Charlotte Corday. Le même jour, les Français sont victorieux
10 MARS 1793 La Convention institue le 17 JUILLET 1793 A Lyon, les Rolandins, fac- des troupes autrichiennes à Wattignies.
Tribunal révolutionnaire, chargé de répri- tion modérée opposée aux Montagnards 17 OCTOBRE 1793 Les Vendéens sont
mer toute atteinte à la République. parisiens, font exécuter le Jacobin Chalier défaits à Cholet et fuient vers la Loire.
11 MARS 1793 Hostiles à la levée en après avoir créé une municipalité provisoire. 31 OCTOBRE 1793 Vingt et un députés
masse, les Vendéens se soulèvent et 23 JUILLET 1793 La garnison de Mayence girondins, arrêtés à Paris le 2 juin, sont
s’attaquent aux gardes nationaux et aux capitule et la ville est prise par les troupes guillotinés.
administrateurs de la contrée. C’est le austro-prussiennes. Le 28 juillet, les trou- 7 NOVEMBRE 1793 Séance de déchristia-
début des guerres de Vendée. Le 19 mars, pes de Valenciennes rendent les armes nisation à la Convention, menée par les
alors que les insurgés ont pris Cholet, la devant les Autrichiens. Hébertistes. Le 10 novembre, la fête de la
Convention vote une loi qui punit de 27 JUILLET 1793 Robespierre entre au Raison a lieu à Notre-Dame de Paris.
mort les émeutiers. Comité de salut public. 17 NOVEMBRE 1793 Première noyade col-
28 MARS 1793 Les émigrés sont déclarés 1 ER AOÛT 1793 La Convention ordonne lective à Nantes. Pendant quatre mois,
« morts civilement » par la Convention. la destruction de la nécropole royale de près de 3 500 suspects, hommes, femmes
et enfants confondus, sont noyés dans la 1ER AVRIL 1794 Le Comité de salut public agissements sanglants du Tribunal révo-
Loire, tandis qu’environ 2 600 personnes crée un Bureau de police générale. Robes- lutionnaire, responsable, depuis le 10 juin
sont fusillées. pierre, qui n’avait jusqu’alors d’autorité 1794, de 1409 exécutions.
24 NOVEMBRE 1793 La Convention met que sur les « autorités et agents publics »,
en place le calendrier républicain. élargit ainsi son champ d’action sur les Les soubresauts
4 DÉCEMBRE 1793 La Convention vote affaires des simples citoyens. 3 1 J U I L L E T 1 7 9 4 Le Comité de salut
une constitution provisoire fortement 5 AVRIL 1794 Danton et une quinzaine de public est épuré. Il perd sa prépondérance
centralisatrice, qui définit les compéten- ses partisans, parmi lesquels Camille Des- dans le jeu politique. Le lendemain, la loi
ces du Comité de salut public et du Comité moulins, sont guillotinés pour s’en être pris du 22 prairial est abrogée par la Conven-
de sûreté générale, et dote de tous les pou- au Comité de salut public. tion dite « thermidorienne ».
voirs les représentants en mission. 19 AVRIL 1794 Vingt et un représentants 12 NOVEMBRE 1794 Le club des Jacobins,
14 DÉCEMBRE 1793 Ecrasée au Mans, en mission sont rappelés à Paris : la Terreur isolé politiquement, est supprimé.
l’armée vendéenne est en déroute. s’y centralise. 8 DÉCEMBRE 1794 Soixante-treize dépu-
15 DÉCEMBRE 1793 Dans Le Vieux Corde- 7 MAI 1794 La Convention reconnaît tés girondins regagnent la Convention.
lier, Camille Desmoulins, éloigné des Mon- l’existence de l’Etre suprême. 1ER AVRIL 1795 Au terme d’un hiver rude,
tagnards, dénonce les excès du gouverne- 10 MAI 1794 Le Robespierriste Lescot- les sans-culottes, excités par les Jacobins,
ment révolutionnaire et cible notamment Fleuriot est nommé maire de Paris. envahissent la Convention et, tout en
la loi sur les suspects. 8 J U I N 1 7 9 4 Fête de l’Etre suprême. réclamant du pain, exigent l’application
23 DÉCEMBRE 1793 Après une pénible Robespierre mène une procession des de la Constitution de 1793. Ils sont évacués
retraite, le reste des troupes vendéennes Tuileries jusqu’au Champ-de-Mars. et les députés compromis dans l’insurrec-
est anéanti à Savenay. tion sont déportés ou incarcérés.
25 DÉCEMBRE 1793 Robespierre démon- La Grande Terreur 7 MAI 1795 L’ancien accusateur public
tre à la Convention la nécessité du gouver- 10 JUIN 1794 La loi du 22 prairial réorga- du Tribunal révolutionnaire, Fouquier-
nement révolutionnaire pour « fonder la nise le Tribunal révolutionnaire et simpli- Tinville, est guillotiné.
République ». Le 8 janvier 1794, il dénonce fie les procédures judiciaires à l’encontre 20 MAI 1795 La Convention est de nou-
la frilosité des « Indulgents » (Dantonis- des ennemis de la République en suppri- veau envahie par les sans-culottes qui
tes) et l’excès des « Exagérés » (Hébertis- mant tout interrogatoire avant l’audience abattent le député Jean Bertrand Féraud
tes), invitant la Révolution à trouver sa et en privant les prévenus d’avocat et de venu à leur rencontre : sa tête est prome-
voie entre ces deux factions issues de la la possibilité de produire des témoins. Le née au bout d’une pique et présentée au
division du club des Cordeliers. chef d’accusation est d’être « ennemi du président de la Convention. L’armée vient
21 JANVIER 1794 Les « colonnes inferna- peuple ». Le tribunal n’a le choix qu’entre finalement à bout des 20 000 émeutiers.
les » de Turreau entament l’extermination l’acquittement et la mort. 27 JUIN 1795 Une petite armée royaliste
de la population vendéenne. 26 JUIN 1794 L’armée française, com- débarque à Quiberon alors qu’à Lyon,
5 FÉVRIER 1794 Théorie de la Terreur. mandée par Jourdan, bat les troupes aus- dans la vallée du Rhône, à Marseille et en
Robespierre présente à la Convention les tro-prussiennes à Fleurus, dans les Pays- Provence, une « terreur blanche » s’abat
« principes de morale politique » qui doi- Bas autrichiens. Le 8 juillet, les Français sur les prisonniers jacobins, qui sont
vent la guider : la vertu pour les temps de prennent possession de Bruxelles et, le assassinés par centaines. L’armée roya-
paix et la terreur pour les temps de guerre. 24 juillet, de Liège et d’Anvers. liste est vite dispersée et 748 prisonniers
26 FÉVRIER ET 3 MARS 1794 A l’initiative 7-26 JUILLET 1794 La découverte de sup- sont fusillés.
du Robespierriste Saint-Just, les décrets de posées « conspirations » dans différentes 22 AOÛT 1795 La Convention vote la nou-
ventôse programment la redistribution aux prisons parisiennes mène des centaines velle Constitution et, craignant une vic-
pauvres des biens des suspects condamnés. de personnes à l’échafaud. toire royaliste aux prochaines élections,
Ces décrets visent à supplanter les Hébertis- 26 JUILLET 1794 Lors d’un discours à la décrète que les deux tiers des futurs dépu-
tes dans l’élaboration des mesures sociales Convention, Robespierre dénonce une tés devront être choisis parmi des conven-
afin qu’ils perdent leur ascendant sur les conjuration. Il demande que le gouverne- tionnels sortants.
sans-culottes. Les Hébertistes appellent à ment révolutionnaire soit réorganisé. 5 OCTOBRE 1795 Vingt-cinq mille insur-
l’insurrection le 4 mars, sans succès. Leurs 27 JUILLET 1794 Apeurée par le fanatisme gés royalistes, opposés au décret des
dirigeants sont arrêtés les 13 et 14 mars, puis de Robespierre et confortée par les récen- deux tiers, cernent l’A ssemblée. L’armée,
guillotinés le 24 mars. Le 27 mars, l’armée tes victoires françaises, la Convention menée par Bonaparte et Murat, en vient
révolutionnaire est licenciée. décrète l’arrestation de Robespierre. à bout en leur tirant dessus au canon, fai-
29 MARS 1794 La Commune est réorgani- 28 JUILLET 1794 Robespierre et vingt et sant 300 victimes.
sée et placée sous la houlette du Robes- un de ses partisans sont guillotinés. La 25 OCTOBRE 1795 La Convention se
pierriste Payan. chute de l’Incorruptible met fin aux sépare et cède la place au Directoire.2
L’ESPRIT DES LIEUX
© HOLZBACHOVÁ-BÉNET. © JULIEGUICHES. © MARC-ANTOINE MOUTERDE POUR LE FIGARO HISTOIRE. © RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE)/HERVÉ LEWANDOWSKI/SP.
106
LE MUSÉE DE LA RACE ÉTEINTE
AU CŒUR DE L’ANCIEN GHETTO, LE MUSÉE JUIF DE PRAGUE
DOIT LA RICHESSE DE SA COLLECTION À UN PARADOXE : L’INTENTION
MYSTÉRIEUSE DES NAZIS D’EN FAIRE LE « MUSÉE DE LA RACE ÉTEINTE ».
114
BASILIQUE
SAINT-DENIS
SUIVEZ LA FLÈCHE !
APRÈS TRENTE ANS DE DÉBATS ENFLAMMÉS,
LA BASILIQUE DES ROIS DE FRANCE
VA RETROUVER SA FLÈCHE MÉDIÉVALE,
DÉMONTÉE EN 1847. UNE RECONSTRUCTION
QUI DURERA DIX ANS ET FERA L’OBJET
D’UN CHANTIER OUVERT AU PUBLIC.
126 C OMME UNE IMAGE
SI ELLES SONT DEVENUES UNE EXPRESSION, ELLES RESTENT
D’ABORD LE TÉMOIGNAGE D’UN SAVOIR-FAIRE TOUJOURS
VIVACE DEPUIS LE XVIIIE SIÈCLE. DEVINETTES, IMAGES
À DÉCOUPER ET MÊME PAPIERS PEINTS, LES IMAGES D’ÉPINAL
N’ONT RIEN PERDU DE LEURS COULEURS.
ET AUSSI
DÉSIR D’HOMÈRE
SON EXISTENCE N’EST MÊME
PAS ASSURÉE, MAIS SA FIGURE
ET SON ŒUVRE NOURRISSENT
LA CULTURE OCCIDENTALE DEPUIS
PRÈS DE TROIS MILLÉNAIRES.
HOMÈRE L’IMMORTEL FAIT L’OBJET
D’UNE GRANDIOSE EXPOSITION
AU LOUVRE LENS.
LeMusée de la
race éteinte
Par Philippe
Phi ippe Bénet et Renata Holzbachová
Holzbacho á
Avec son vieux cimetière et ses synagogues,
synagogue ,
lee Musée juif de Prague est unique au monde.
mon e.
L plus
La pl grande partie des quarante
© JON ARNOLD IMAGES/HEMIS.FR
millelle objets
ts ett documents qu’on y admire
adm e
a paradoxalement
pa d xa ment été rassemblée
à l’initiative
l’ iv des nazis, qui voulaient en faire
un « musée
musé de la race éteinte ».
LA MAISON DES VIVANTS
Le cimetière juif de Prague fut
utilisé de 1440 à 1787. On estime
à 12 000 le nombre de tombes
qu’il abrite, mais sous ses douze
couches de terre, ce sont près
de 100 000 défunts qui auraient
trouvé là leur dernière demeure.
L’ESPRIT DES LIEUX
108
H MÉTAMORPHOSE
Ci-dessus : vue de Josefov,
l’ancien ghetto juif de
Prague, dans les dernières
© PBARCHIVE/ALAMY/HEMIS. © AKG-IMAGES/ARCHIV K. WAGENBACH. © HOLZBACHOVÁ-BÉNET.
Sous l’empereur Rodolphe II de Habs- Ve arrondissement et prit ce nom de Jose- dans les enceintes des villes. Si l’on a
bourg, qui vécut à Prague à la fin du fov, en souvenir de la visite de Joseph II. compté plus de 12 000 pierres tombales,
XVIe siècle, la culture juive connut son Désormais habité par une population on évoque 100 000 morts échoués ici.
âge d’or. C’est à cette époque que plu- de plus en plus pauvre, plus seulement Les coutumes juives interdisant de sup-
sieurs synagogues furent édifiées, juive, le ghetto déclina et les édifices primer d’anciennes tombes, on dut en
comme la synagogue Pinkas. Fondée religieux cessèrent d’être entretenus. La effet apporter des couches de terre sup-
en 1535 à l’emplacement d’un lieu de municipalité vota alors l’assainissement plémentaires pour enterrer les nouveaux
culte plus ancien, elle présente une nef du quartier, qui commença en 1896. défunts. On parle ainsi de douze couches
110 unique égayée d’une magnifique voûte Presque tout fut rasé. A la place pous- de terre superposées – les anciennes
© RICHARD HORAK/PRAGUE CITY TOURISM. © FRED DE NOYELLE/GODONG. © JON ARNOLD IMAGES/HEMIS.FR
h d’ogives gothique tardive. Une nef laté- sèrent quatre-vingt-trois immeubles, tombes étant toujours remontées en sur-
rale réservée aux femmes fut ajoutée une dizaine de rues furent dessinées. On face –, d’où ce chevauchement de stèles
au début du XVIIe siècle. Autre joyau, la épargna le vieux cimetière, l’hôtel de ville d’époques différentes.
synagogue Maisel, entièrement restau- baroque et six synagogues. Le visiteur musarde entre les stèles,
rée en 2017, a conservé le nom de son C’est pour conserver ce patrimoine du comme à travers un parchemin de pierre.
fondateur, Mordechai Maisel, qui la fit ghetto que fut alors inauguré, en 1906, Les plus anciennes, du XIVe siècle, furent
élever en 1591. Elle fut la plus vaste et le premier Musée juif, avec un fonds de apportées d’un ancien cimetière médié-
la plus spectaculaire du ghetto avant mille objets et documents, parmi les- val. Les tombes en grès présentent des
qu’un incendie ne la détruise en 1689. quels les objets de culte des synagogues inscriptions hébraïques des XV e et
L’édifice néogothique qu’on admire Cikánova, Velkodvorská et Wechsler, XVIe siècles. Les tombes en marbre blanc
aujourd’hui date du début du XXe siècle. qui venaient d’être rasées. Aujourd’hui, et brun sont des XVIIe et XVIIIe siècles,
La synagogue Klaus, édifiée en 1564 il administre les synagogues Maisel, avec des lettres en relief riches de sym-
puis reconstruite après le même incen- Pinkas, Klaus, la Salle des cérémo- boles et d’ornementation. Les inscrip-
die de 1689, présente, elle, une vaste nies, la synagogue Espagnole ainsi tions en hébreu nous renseignent sur le
salle enjolivée par une voûte en ber- que le cimetière, immense nécropole nom du défunt, glorifiant ses qualités,
ceau. Quant à la synagogue Espagnole, nichée au cœur de la cité. Enchâssé évoquant son métier et son érudition. Sur
dessinée avec un plan carré et coiffée entre le musée des Arts décoratifs, les les tombes baroques, de longues com-
d’une élégante coupole de style mau- synagogues Pinkas et Klaus, la Salle positions poétiques s’ornent de symbo-
resque, elle vit le jour en 1868. Sa des cérémonies et quelques rues, ce les en relief issus de la Bible comme la
superbe ornementation intérieure se lieu de mémoire hors du commun, qui couronne, symbole de l’érudition, ou la
compose de stuc à décoration inspirée oppresse les visiteurs médusés par grappe de raisin, symbole d’une vie pros-
de l’Alhambra de Grenade. cet enchevêtrement indescriptible de père. Le nom du défunt est parfois illustré
Au début du XIX e siècle, on permit stèles, demeure le cimetière juif le par un animal : le lion (Yehuda, Arieh), le
aux familles les plus aisées d’habiter plus ancien, le plus vaste et le mieux loup (Zeev, Wolf) ou la souris (Maisel).
dans d’autres quartiers. Les Juifs furent conservé d’Europe. Dessiné en 1440 à Conformément aux consignes de Yahvé
aussi autorisés à posséder des terres la limite ouest du ghetto, il fut utilisé dans l’Exode, aucun visage n’est repré-
et des biens immobiliers. En 1850, la jusqu’en 1787, quand un décret de senté. Les sarcophages étaient quant à
cité juive fut intégrée à Prague comme Joseph II interdit d’inhumer les morts eux réservés aux érudits et aux rabbins.
Au début du XX e siècle, la situation le territoire des Sudètes en octobre sui- transport, de nuit. Si beaucoup pen-
entre les Allemands et les Tchèques à vant, puis toute la Tchécoslovaquie saient partir momentanément, tous
Prague avait changé au bénéfice de ces le 15 mars 1939. Le lendemain, Hitler savaient qu’ils seraient expropriés de
derniers, en raison de l’arrivée massive décida de visiter sa nouvelle conquête, leurs biens. Chacun ne pouvant empor-
d’un prolétariat tchèque dans les ban- d’abord en train jusqu’à la gare de ter que cinquante kilogrammes d’affai-
lieues. Plus aucun Allemand ne siégeait Ceská Lípa, en territoire des Sudètes, res personnelles, on tâchait de confier
au conseil municipal de Prague et la lan- accompagné par le Reichsführer-SS le reste à des voisins sûrs.
gue tchèque prédominait partout. Des Heinrich Himmler et par Reinhard Hey- Terezín fut le point de passage obligé
banques tchèques avaient pignon sur drich, responsable de la police nazie. pour la majorité des Juifs de Bohême
rue. Le vent avait bel et bien tourné, et les Il emprunta ensuite une voiture pour et de Moravie avant les camps de la
Juifs le savaient. Hermann Kafka, le père rejoindre dans la soirée le château royal mort en Pologne, Lettonie et Biélorus-
de Franz, « tchéquisa » dès lors son pré- de Prague. On lui prépara un souper aux sie. La disette et la dysenterie y tuaient
nom en « Heřman » sur son papier à lettres chandelles avec au menu le célèbre jusqu’à cent cinquante personnes par
et sur l’enseigne de sa mercerie afin d’atti- jambon de Prague. Il passa la nuit dans jour. Dans le ghetto de Lodz, en Polo-
rer les clients tchèques, plus nombreux. les appartements réservés aux invités gne, où périrent deux sœurs de Kafka,
Lorsque la Première Guerre mon- d’honneur, puis il apparut triomphant à Elli et Valli, Dawid Sierakowiak a
diale éclata, les Juifs restèrent fidèles l’une des fenêtres du château surplom- raconté dans son Journal l’arrivée de
à l’empire, à l’image de Franz Kafka, qui bant les toits rouges de Malá Strana et la Juifs pragois « tellement bien habillés.
prit position pour les Autrichiens. En place du Château. Après la signature du Ils avaient de beaux bagages et des voi-
1918, la première République tchéco- décret qui faisait de la Bohême et de la tures d’enfant avec du pain dedans.
slovaque fut créée. Plus de trois millions Moravie un protectorat allemand, partie L’un d’entre eux a demandé s’il serait
d’Allemands vivant dans les Sudètes, on intégrante du IIIe Reich, il quitta Prague possible de louer un appartement de
décréta le respect des minorités. Cha- pour ne plus y revenir. deux pièces avec de l’eau courante ». En
que citoyen tchécoslovaque put ainsi Comme ils l’avaient fait en Allema- fait d’eau courante, c’est la mort qu’ils
opter pour une nationalité : allemande, gne, les nazis détruisirent les syna- trouvèrent. Sur les 118 000 Juifs qui
tchèque, hongroise et même juive. En gogues des Sudètes. Ils laissèrent en vivaient en Bohême et en Moravie avant
1921, 19 % des Juifs pragois se décla- revanche intactes les synagogues pra- la guerre, dont 40 000 à Prague, 90 %
rèrent juifs, 52 % tchèques ou slovaques goises en les fermant simplement – ce furent exterminés. De nos jours, seule-
et 23 % allemands. Sur son dernier pas- qui ne fut pas le cas à Paris, où les syna- ment 1 500 Juifs sont répertoriés par la
seport, Franz Kafka signa à la main son gogues restèrent ouvertes pendant communauté juive de Prague…
prénom à la tchèque « František ». A la toute la durée de la guerre. L’activité du Les villages désertés, les Allemands
veille de la Seconde Guerre mondiale, Musée juif pragois fut alors stoppée. firent alors converger les biens juifs
on estimait à 40 000 âmes la population Les premières déportations débutèrent vers Prague et les répartirent dans cin-
juive totale de Prague et au triple celle en octobre 1941 vers le camp de Tere- quante dépôts : pour les arts, les instru-
de Bohême et Moravie. zín, au nord-ouest de Prague. Les unes ments de musique, les lustres, les tapis,
Avec la signature du traité de Munich après les autres, les familles juives pra- les tableaux, les disques… Tout ce qui
en septembre 1938, l’Allemagne envahit goises recevaient leur convocation au était récupérable était collecté et
de valeur artistique et historique pro- réservée aux idéologues du parti nazi.
venant de l’ancien musée, d’autre part Une autre exposition sur les écrits
les objets rituels des villages juifs d’où hébreux et divers manuscrits fut instal-
les habitants étaient déportés vers le lée dans la synagogue dite Haute. En
camp de Terezín. Ils espéraient qu’à 1943, on prépara dans la synagogue
leur retour, tous ces biens seraient res- Klaus une exposition sur le thème des
titués à leurs propriétaires. Cette pro- fêtes et des cérémonies juives.
position fut adressée à l’Office central En avril 1943, Hans Günther, raciolo-
pour l’émigration juive. gue du parti nazi, visita ce « musée de la
L’ESPRIT DES LIEUX
réparé. Les meilleurs appartements Le lieutenant-colonel SS Karl Rahm race éteinte », ainsi qualifié par les nazis.
étaient réservés aux officiers SS, qui fut séduit par le projet et les nazis déci- Albert Speer, l’architecte du parti, qui
pouvaient en outre se servir dans les dèrent ainsi de créer à Prague le « musée deviendra ministre de l’Armement, y
dépôts. Certaines pièces étaient trans- de la race éteinte ». On envoya aux cent viendrait également. Dans la synago-
portées en Allemagne et vendues. cinquante-trois responsables des villa- gue Pinkas, qu’ils rénovèrent, les Alle-
Dans la capitale comme dans tout le ges juifs de Bohême et de Moravie les mands projetèrent de réaliser une expo-
pays, les synagogues étaient vidées de listes détaillées des objets jugés « inté- sition sur le développement millénaire
leurs objets de culte. Difficilement ven- ressants », qui furent rassemblés pen- des Juifs dans les pays de la couronne
dables, ceux-ci restaient accumulés dant deux ans à Prague. Ainsi, sous le de Bohême. Mais le projet n’aboutit
dans un dépôt de la ville. contrôle des nazis, quarante employés pas. Les nazis tournèrent également un
Les communautés juives, qui s’inter- travaillèrent douze heures par jour, film de propagande dans la synago-
rogeaient sur le devenir de leurs pro- s’appliquant à la création du musée, qui gue Vieille Nouvelle, mettant en scène
priétés, cherchèrent un moyen de les vit le jour le 3 août 1942. Les responsa- des Juifs habillés en habit de prière.
sauvegarder. Les responsables du bles répertorièrent 200 000 objets sur A l’automne 1944, la majorité des
Musée juif de Prague, avec à leur tête des catalogues. Un immense répertoire employés du musée furent déportés.
112 Karel Stein, firent alors une proposition de 101 000 fiches fut créé. Quelques Les derniers le furent en février 1945.
h aux nazis : elle visait à rouvrir le Musée synagogues pragoises furent vidées Près de quatre-vingts ans plus tard,
juif en centralisant d’une part les objets afin d’abriter une première exposition nombre de questions restent sans
réponse. Alors qu’ils avaient détruit
les synagogues en Allemagne et en
Autriche, pourquoi les nazis ont-ils
laissé intactes celles de Prague ? Pour-
VISITER LE MUSÉE JUIF DE PRAGUE quoi avoir développé ce « musée de la
race éteinte » qui, de l’avis des respon-
Un billet forfaitaire donne accès au Musée juif dont, outre sables du Musée juif, ne présentait pas
le vieux cimetière, chacun des monuments abrite une exposition une image foncièrement négative de
à thème : ancienne Salle de cérémonies (traditions et coutumes la culture juive ? Les nazis voulaient-ils
liées à la mort), synagogue Maisel (« Les Juifs dans les pays conserver dans ce musée un vestige
tchèques du Xe au XVIIIe siècle »), synagogue Klaus (« Traditions de la culture juive ? Interrogations aux-
et coutumes juives »), synagogue Pinkas (mémorial aux victimes quelles les archives de l’ambassade
d’Allemagne de Prague ne permettent
de la Shoah originaires de Bohême et de Moravie et collection
pas de répondre, les documents relatifs
de dessins des enfants de Theresienstadt), synagogue Espagnole
à l’époque ayant disparu. Certains his-
(« Histoire des Juifs en Bohême et Moravie aux XIXe et XXe siècles »)
toriens avancent que les nazis voulaient
– à noter que des travaux de rénovation entraîneront sa fermeture transformer Prague en une ville-musée.
temporaire en 2019. Le billet forfaitaire donne également accès On sait ainsi que Reinhard Heydrich,
à la galerie Robert Guttmann où sont organisées des expositions nommé à la tête du protectorat de
temporaires. La synagogue Vieille Nouvelle est, quant à elle, Bohême-Moravie par Hitler, projetait de
accessible avec un autre billet. L’hôtel de ville et la synagogue faire de la ville l’une des grandes capita-
Haute ne sont pas accessibles au public. les du nouvel ordre nazi, avec un centre
Ouverts les jours sauf samedi, jours fériés et jours de fêtes juives, de 9 h à 16 h 30 culturel et musical allemand, une uni-
(de novembre à mars), et de 9 h à 18 h (d’avril à octobre). Centre des informations et des versité allemande, faisant même appel
réservations, 15, rue Maiselova. Rens. : +420 222 317 191 ; www.jewishmuseum.cz à des architectes allemands pour que la
capitale tchèque ressemble à Berlin. Le
« musée de la race éteinte » aurait ainsi
eu sa place dans cette ville-musée.
Ce qui est certain, c’est que la déci-
sion de constituer un tel musée venait
de Berlin. Tombé fou amoureux de
Prague, Hitler aurait-il voulu préserver
la ville avec ses synagogues ? Peu pro-
bable. Autre hypothèse : Hitler venait
d’une famille viennoise très modeste.
Atteinte d’un cancer, sa mère fut soi-
gnée gracieusement pendant des
années par le Dr Eduard Bloch, sorte de
médecin des pauvres, lui-même Juif
tchèque originaire de la ville de Hlu-
boká, en Bohême du Sud, située à
150 km de Prague. Adolescent, Hitler
fut également soigné gracieusement
par ce médecin. Plus tard, Eduard
Bloch, profitant de la protection de la
Gestapo, fut nommé « noble Juif » et son
© THE JEWISH MUSEUM, PRAGUE. © DPA/PICTURE ALLIANCE/LEEMAGE. © HOLZBACHOVÁ-BÉNET. © THE JEWISH MUSEUM PRAGUE.
114
h
L IEUX DE MÉMOIRE
Par Marie-Laure Castelnau
Basilique Saint-Denis
© CHICUREL ARNAUD/HEMIS.FR © RMN-GRAND PALAIS/DANIEL ARNAUDET.
suivez la
flèche !
La reconstruction de la flèche
de la basilique Saint-Denis a été lancée.
Une aventure patrimoniale unique qui
rendra sa place à la nécropole des rois.
AVEC OU SANS
A gauche :
l’architecte
François Debret,
qui réalisa
les travaux de
restauration de
la basilique Saint-
Denis (page de
gauche) à partir de
1813. Il fit réparer
la flèche, mais
l’ouvrage, fragilisé,
fut finalement
démonté à partir
de mars 1846.
En bas à gauche :
le projet de Viollet-
le-Duc prévoyant
de transformer
la façade et de
la surmonter
de deux flèches
symétriques. Il
n’aboutira pas. Ci-
contre : restitution
en 3D de la tour
nord et de la flèche
telles qu’elles
devraient s’élever
dans dix ans.
E
lle se dressait à 86 m au-dessus du sol de la France. Monument pionnier l’impulsion de l’abbé Suger, conseiller de
depuis la fin du XIIe siècle. Fragilisée de l’architecture médiévale, elle abrite les Louis VI et de Louis VII. Consacrée en 1144,
par un violent ouragan, la flèche de la tombeaux des rois de France depuis la basilique Saint-Denis devient un lieu
basilique Saint-Denis fut démontée pierre l’époque mérovingienne, ainsi qu’une de pèlerinage prestigieux. L’abbaye rayonne
par pierre en 1846-1847. Un siècle et demi collection de sculptures funéraires unique sur toute l’Europe médiévale. La façade
plus tard, l’édifice est toujours ébréché, au monde : 42 rois, 32 reines, 63 princes occidentale est alors dotée de deux tours,
© ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES BEAUX-ARTS/ENSBA-INHA/SP. © JULIEGUICHES.
amputé. Et le débat persiste. Faut-il ou non et princesses et 10 grands du royaume dont celle du nord est bientôt surmontée
le réparer ? Ils ont été nombreux à se battre reposent ici. « Elle est aussi le laboratoire où d’une flèche, construite vers 1170-1180.
pour promouvoir ce « remontage » : s’invente la restauration des monuments « Cette flèche était un ouvrage d’art et
les Dionysiens, mais aussi les catholiques, historiques au début du XIXe siècle », précise d’architecture particulièrement audacieux
les fidèles de l’architecture gothique Serge Santos, administrateur du lieu. par la minceur de sa structure, son élévation,
et tous ceux qui veulent que le monument La ville de Saint-Denis s’est construite son élancement », souligne Thomas Clouet,
retrouve sa splendeur. autour d’un sanctuaire édifié au IIIe siècle en architecte du patrimoine. Elle culminait
Finalement, le vent de l’histoire a soufflé mémoire de saint Denis, évangélisateur à 86 m et était visible depuis Saint-Germain-
en faveur de sa réparation. En mars 2018, des Parisii et premier évêque de Paris, mort en-Laye. La basilique bénéficia ensuite de
le projet de reconstruction de la tour nord martyr vers 250. Après sa décapitation divers agrandissements et aménagements
et de la flèche a enfin été accepté par à Paris, il aurait en effet porté sa tête de la dus aux rois capétiens, qui en avaient fait
le ministre de la Culture, Françoise Nyssen, colline de Montmartre jusqu’au lieu de leur dernière demeure.
en dépit du rejet par la Commission des son inhumation, site actuel de la basilique. Si les guerres de Religion l’épargnent,
monuments historiques. L’édifice va donc A l’emplacement présumé de sa tombe, la Révolution est funeste à la basilique, dont
retrouver son aspect d’origine. Le coût devenue un lieu de pèlerinage, sainte les caveaux sont profanés en 1793. « Saint-
de ce chantier unique, dans la lignée des Geneviève fit ériger une première église au Denis est désert ; l’oiseau l’a pris pour passage,
bâtisseurs de cathédrales, est évalué à Ve siècle. Deux siècles plus tard, l’édifice l’herbe croît sur ses autels brisés ; et (…)
28 millions d’euros, financés exclusivement fut embelli par Dagobert, premier roi à y être on n’entend plus que (…) la chute de quelque
par le mécénat et les visites payantes. enterré. Le chevet et la façade gothiques du pierre qui se détache de ses murs en ruine »,
La basilique de Saint-Denis est bâtiment, tels qu’on les connaît aujourd’hui, écrit Chateaubriand dans Le Génie du
assurément l’un des hauts lieux historiques ont été construits entre 1135 et 1144 sous christianisme. De 1793 à 1802, la basilique 1
L’ESPRIT DES LIEUX
sert de grenier à blé et à farine. La à la démission. Viollet-le-Duc le remplace clochetons et du fleuron sommital, le détail
protection du patrimoine n’est pas encore et poursuit le démontage de la flèche avant des écailles de la flèche et plusieurs coupes. »
une priorité et elle échappe de peu à la celui de la tour elle-même. Il propose aussi Jamais flèche médiévale n’a été si bien
destruction. Le site est plus ou moins laissé de remanier la façade et de la remplacer documentée ! Un projet de financement
à l’abandon jusqu’en 1805, date à laquelle par un ouvrage orné de deux flèches quadripartite est mis en place entre l’Etat,
Napoléon lance un projet de restauration symétriques. Son projet n’aboutira pas, la région, le département et la commune.
pour lui rendre sa superbe. notamment pour des raisons financières. L’Etat annonce finalement qu’il donne
A partir de 1813, les travaux les plus Privée de sa tour nord, la basilique a donc, son accord mais qu’il ne participera pas
importants sont entrepris par François depuis 1847, une allure bien différente au financement.
Debret, à qui rend hommage l’exposition de son aspect d’origine. Peu à peu, la ville cherche à remettre
actuellement présentée dans la basilique. En 1987, année du millénaire capétien, en scène la nécropole des rois de France.
L’architecte fait notamment réparer le maire de Saint-Denis, Marcelin Berthelot, En 2007, le parvis est réaménagé, mettant
116 les vitraux (dont certains ont été vandalisés met à l’ordre du jour du conseil municipal fin à la circulation automobile au profit
h le 3 mars dernier en même temps que la question de la reconstruction de la d’une grande esplanade. En 2012, l’Etat
l’orgue). Il s’attelle aussi à la restauration de flèche. Son souhait : redonner à la basilique engage la restauration de la façade. Un an
la flèche. Las, la tour continue de se fissurer la notoriété qu’elle mérite. Un comité plus tard, un comité de parrainage pour
et les maçonneries de se lézarder. De 1842 est fondé. En juin 1988, la restitution le remontage de la flèche est constitué
à 1845, le sort s’acharne sur le monument : de la flèche par effet laser attire près avec entre autres l’évêque de Saint-Denis,
plusieurs tornades le fragilisent. Les de 10 000 personnes. En 1990, à l’occasion Mgr Pascal Delannoy, le jardinier en chef
architectes observent « un fléchissement d’un colloque organisé par le ministère de de Versailles, Alain Baraton, le journaliste
considérable dans les murs de la tour ». la Culture sous le titre « Faut-il restaurer les Patrick de Carolis, l’ancien ministre Jacques
Le conseil des bâtiments civils ordonne ruines ? », le cas de Saint-Denis est débattu. Toubon, l’historien Jacques Le Goff…
alors le démontage de la flèche afin Puis une étude de faisabilité est lancée. Président du comité, l’académicien Erik
de consolider la tour porteuse. L’opération La mobilisation se poursuit dans tous les Orsenna cosigne dans Le Monde
commence en mars 1846. Conservés milieux et un véritable réseau se constitue. une tribune pour médiatiser le projet.
aujourd’hui aux Archives nationales L’appui de l’Eglise se traduit notamment par La visite de François Hollande
et à la Médiathèque de l’architecture et un événement singulier : le 9 octobre 1992, à l’occasion des Journées européennes
du patrimoine, les relevés effectués jour de la Saint-Denis, les 93 cathédrales du patrimoine de 2015 marque une
sont extrêmement complets et détaillés. de France sonnent à l’unisson en faveur de nouvelle étape. En mars 2017, il vient
Les pierres réutilisables sont stockées la flèche. Au mois de décembre, le résultat tailler la première pierre, inaugurant
à l’arrière de la basilique, afin qu’il reste de l’étude de faisabilité commandée est symboliquement le chantier. Enfin, le
possible de remonter la flèche. Faute de rendu public : la flèche est techniquement 17 mars 2018, une convention est signée
moyens, l’idée sera toutefois abandonnée. reconstructible. Cette reconstruction devra par le ministère de la Culture, le Centre
Les experts s’aperçoivent ensuite que se faire à l’identique, c’est-à-dire dans l’état des monuments nationaux, gestionnaire
la tour est elle-même en très mauvais état où elle fut restaurée par l’architecte François de l’édifice, l’évêque de Saint-Denis
et en proposent le démontage dans Debret avant 1845. « Les relevés effectués et Patrick Braouezec, président de
l’intérêt du portail. Eugène Viollet-le-Duc en 1846-1847 lors du démontage seront l’établissement public territorial Plaine
accuse alors Debret d’erreurs techniques, très précieux et donneront tous les détails Commune et de l’association Suivez
de mauvais entretien de la maçonnerie d’exécution, souligne Serge Santos. la flèche !, fondée en 2016.
et de choix de restauration hasardeux. Les Des dessins indiquent en effet les élévations Après trente ans de discussions,
attaques se multiplient et poussent Debret intérieures de la tour, celle de l’escalier, des le projet est donc enfin entré dans sa phase
l’édifice et la région parisienne. Le long
de cette rampe, des alcôves permettront
d’observer de près les sculptures et vitraux
© F. KEIFF. © MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE PAUL ELUARD, CLICHÉ IRÈNE ANDRÉANI.
Désir
d’
Homère
Le musée du Louvre-Lens
consacre une magnifique exposition
à la présence d’Homère dans
les arts et à la fascination qu’il n’a cessé
d’exercer depuis l’Antiquité.
© RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE)/HERVÉ LEWANDOWSKII/SP. © THE METROPOLITAN MUSEUM OF ART/DIST. RMN-GP/SP.
meilleure qualité ? Tout esthète digne de
ce nom l’espère. Des raisons pragmati-
ques ont sans doute présidé à leur desti-
née : au VIe siècle av. J.-C., afin de rendre
justes et viables les compétitions de réci-
tation poétique, plusieurs cités se déci-
dèrent à mettre par écrit les textes (jus-
qu’alors chantés et transmis par voie
L’ESPRIT DES LIEUX
122
H
de peindre le Retour d’Ulysse comme un lui-même senti obligé de défendre, dans œuvres au gré des remous de l’histoire.
écho à La Cène de Léonard de Vinci. Le Contre Apion, l’ancienneté et l’enraci- Le missionnaire poétique qu’avait été
spectateur de l’exposition peut y contem- nement du judaïsme contre ceux qui Alexandre le Grand incarne au plus haut
pler une Pénélope à la posture christique, estimaient que le peuple d’Israël n’avait degré ce désir irrationnel d’Homère, qui
qui présente l’arc à des prétendants atta- pas une légitimité aussi ancienne que le se logea jusque dans sa vie intime : le
blés et aussi agités que l’avaient été les monde grec. « Le magistère laïque souverain avait transporté durant ses
disciples lorsqu’ils avaient appris l’arres- d’Homère s’imposa en parallèle du campagnes sa propre édition des
tation prochaine du divin maître. magistère religieux de l’Ancien et du œuvres du poète, qu’il conservait dans
S’il faut, pour souscrire à cette lecture Nouveau Testament, résume Alexandre une petite boîte prévue à cet effet, et,
chrétienne et salvatrice de l’Iliade et de Farnoux. Dante, l’Arioste ou Shakes- lorsque son favori Héphestion avait
l’Odyssée, faire l’impasse sur certains peare ont accouché bien plus tard trouvé la mort, il l’avait honoré de funé-
passages, comme ceux qui racontent d’œuvres également fondatrices, mais railles semblables en tout point à celles
les amours d’Arès et d’Aphrodite, il faut ces auteurs se placèrent toujours en de Patrocle, dont l’œuvre dramatique et
aussi reconnaître qu’aucun autre texte relais par rapport à l’Iliade et l’Odyssée. » monumentale de Jacques-Louis David
ne possède ce caractère fondateur pro- a tenté de restituer le faste. Tel Achille
pre à lui conférer une autorité compara- dévasté, Alexandre avait pratiqué le
ble à celle des Saintes Ecritures.
Une fascination deuil en se coupant les cheveux et en se
Le rapport de force pencha même millénaire privant de toute nourriture.
parfois au profit d’Homère. Au Ier siècle Homère fut ainsi un poète de droit divin, Le conquérant n’avait pas été pourtant
apr. J.-C., Flavius Josèphe, historio- dont l’autorité ne fut jamais contestée le seul homéromane de son espèce : en
graphe romain d’origine juive, s’était mais dont l’humanité s’appropria les témoigne un orfèvre de Rhodes qui, à
© RMN-GRAND PALAIS/RENÉ-GABRIEL OJÉDA/SP. © RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE)/FRANCK RAUX/SP. © RMN-GRAND PALAIS/MARTINE BECK-COPPOLA./SP.
POUR LA PLUS BELLE
A gauche : Le Jugement de Pâris,
par Jean-Antoine Watteau, vers 1718-1721
(Paris, musée du Louvre). Cet épisode
fondateur de la guerre de Troie, durant
lequel Pâris désigne Aphrodite comme
étant la plus belle (celle-ci lui avait promis la
main de la ravissante Hélène) au détriment
d’Athéna et d’Héra, était raconté dans
les Chants cypriens de Stasinos de Chypre,
aujourd’hui perdus. Ci-dessous : Priam
aux pieds d’Achille, par Jules Bastien-Lepage,
1876 (Lille, palais des Beaux-Arts).
l’époque hellénistique, avait entrepris de eux comme l’héritière de la Troie du récit fascination millénaire : reclus à Byzance,
reproduire la coupe de Nestor conformé- iliadique (c’est sur son site que Schlie- les manuscrits de l’Iliade et l’Odyssée
ment à la longue description d’Homère mann mènera, au XIXe siècle, des fouilles durent attendre en effet les balbutie-
dans l’Iliade. Si l’on n’a pas de trace de qui conduiront, de fait, à la découverte ments de la Renaissance pour se dévoi-
cette réplique, l’exposition met en avant d’une Troie contemporaine de la Mycè- ler de nouveau à l’Europe. La mélancolie
une sublime galvanoplastie d’une coupe nes d’Agamemnon), et nombre d’entre de Pétrarque, pleurant sur son ignorance
en or datant du début de l’époque mycé- eux s’y rendaient en pèlerinage, posant du grec et sur l’éloignement temporel
nienne retrouvée dans une tombe à les fondations du tourisme homérique. d’Homère, montre que la fascination
Mycènes. Encadrée de deux anses sur- Cette fascination opéra si bien que exercée par le poète avait survécu au
montées de petites colombes, elle cor- l’empereur Constantin hésita à s’établir à caractère désormais inaccessible du
respond en certains points à la descrip- Troie avant de choisir Constantinople. texte de ses poèmes : « Ô grand homme,
tion d’Homère, et permet d’imaginer le roi Après la chute de Rome, l’influence avec quelle passion je t’écouterais. »
achéen Nestor faisant avec ce superbe de la culture grecque s’essouffla cer- La société occidentale moderne
calice une libation en l’honneur des dieux. tes dans l’Occident médiéval. Mais s’abreuva à la source homérique et y
Les Romains, qui voyaient dans le l’emprise d’Homère sur les esprits ne puisa la matrice d’une littérature éclai-
Troyen Enée le fondateur de leur civilisa- cessa point : Pline l’Ancien, Tite-Live, rée, d’une pédagogie efficace et d’un
tion, avaient eux aussi succombé à cette Suétone, Ovide avaient été pétris savoir-vivre – ainsi que d’un savoir-mou-
passion contagieuse. Une petite ville de d’admiration pour le poète. Leurs textes rir – héroïque. A l’instar des petits Grecs
bord de mer qui vivotait à l’époque hellé- en rapportaient des résumés, des bri- du Ve siècle av. J.-C., les jeunes Français
nistique dans la région du détroit des bes. Ils eurent à eux seuls la responsa- des XVIIIe et XIXe siècles apprirent à lire
Dardanelles avait ainsi été désignée par bilité de transmettre à l’Occident latin la avec l’Iliade et l’Odyssée, s’imprégnant
L’ESPRIT DES LIEUX
LE FIL DE L’HISTOIRE
Pénélope, par Charles-
François Marchal,
vers 1868 (New York,
The Metropolitan
Museum of Art).
Ce tableau surprenant,
dans lequel l’artiste
transpose la femme
d’Ulysse dans le monde
moderne, remporta un
franc succès au Salon
de 1868, à tel point
que, selon un témoin,
il fallait « percer
une triple barrière
de spectateurs pour
arriver jusqu’à lui ».
L’ESPRIT DES LIEUX
126
h
T RÉSORS VIVANTS
Par Sophie Humann
Comme une
image
De l’épopée napoléonienne
aux fameuses devinettes distribuées
aux écoliers, les images d’Epinal
ont enchanté plusieurs générations.
Leur tradition se perpétue
au cœur des Vosges.
PHOTOS : © MARC-ANTOINE MOUTERDE POUR LE FIGARO HISTOIRE.
COLLECTOR Célèbre, entre autres, pour ses devinettes et ses images à découper (en bas),
la maison Pellerin fut toujours à la pointe de la technique. Elle développa la lithographie et
conserve une impressionnante collection de pierres (ci-dessus). Elle inventa une machine,
E
n sortant de la gare, il faut arpenter toujours en activité (page de gauche), qui permettait de colorier plusieurs images à la fois.
les quartiers reconstruits à la hâte après
la guerre, puis traverser la Moselle,
qu’égaye un centre nautique. On longe les Ici, le récit d’un fait divers ; là, des planches l’actuelle PDG de l’Imagerie d’Epinal,
parois de verre du musée de l’Image pour didactiques sur les métiers, les animaux ; lorsqu’elle a décidé en 2014, avec son
atteindre le bâtiment de l’ancien atelier là encore, de gracieux décors de théâtre, associé d’alors, Pacôme Vexlard, de sauver
de l’Imagerie d’Epinal, où dorment des feuilles remplies de soldats, d’habits l’entreprise. Restée dans la famille Pellerin
encore d’imposantes machines de métal, de poupées, de cerfs-volants à découper, depuis sa fondation en 1796, celle-ci
on monte un escalier de fer, pousse de devinettes aux formes étranges… avait fait faillite en 1984 et avait alors été
quelques portes. Voilà, nous y sommes. On sourit aux historiettes rigolotes rachetée par cinquante-deux actionnaires
Une inimitable odeur de vieille maison et de Benjamin Rabier, s’étonne des histoires à la barre du tribunal. Depuis, elle
de papiers anciens emplit l’immense pièce. africaines de pélicans dévorant des enfants imprimait essentiellement des supports
Elles sont là, en piles sages, des milliers qui seraient désormais impubliables. de communication pour les entreprises
d’images classées par thèmes. Il n’y a plus Voici encore le maréchal de Mac Mahon locales, des chromos du pape Jean-Paul II,
qu’à courir d’une étagère à l’autre. Voici et Mme la duchesse de Magenta se portant de la fondatrice du comité Miss France,
une rangée entière consacrée à l’épopée au secours des sinistrés lors des inondations Geneviève de Fontenay, du maire d’Epinal,
napoléonienne : les pyramides, Wagram, de Paris en mars 1876, l’affiche officielle Philippe Seguin…
Austerlitz, la Moscova… Nous voilà de l’inauguration de la tour Eiffel en 1889… Aujourd’hui, le parcours de visite
le 15 novembre 1796, passant l’Adige avec Quel trésor ! Et ce n’est pas fini. Dans la cave des ateliers a été repensé avec une
la division Augereau, puis grelottant du bâtiment sont entreposées les quelque scénographie vivante. Les visiteurs
au milieu des grognards qui traversent sept mille pierres lithographiques, (soixante mille l’an dernier) découvrent
la Bérézina en 1812. Sur la rangée suivante en calcaire de Bavière ou du Dauphiné, l’histoire de l’imprimerie en déambulant
se pressent de petites histoires de frères qui ont servi à imprimer ces images avec un Histopad entre les casses,
et sœurs, d’œufs de Pâques, de Polichinelle, pendant des dizaines d’années. les presses à bras, les machines aquatypes
Moïse devant le buisson ardent, Jeanne Ce patrimoine intact a suscité la surprise à coloriser du début du XXe siècle. Ils
en armure, bien droite sur son cheval… et l’enthousiasme de Christine Lorimy, observent quelques planches et peuvent 1
SAVOIR-FAIRE Au milieu du XIXe siècle, l’imprimerie possédait plus de mille
cinq cents bois gravés (ci-contre), puis elle s’est diversifiée, entre autres vers
l’imagerie enfantine (en dessous). Aujourd’hui, certaines images sont à nouveau
coloriées à l’ancienne, à la brosse et au pochoir (page de droite). Les couleurs
historiques de la maison : jaune, rouge, rosette, brun et bleu, ont été retrouvées
et sont fabriquées sur place avec des pigments naturels (en bas).
Horloger à ses heures, Nicolas Pellerin possédait plus de mille cinq cents bois
avait fondé sa fabrique de cartes à jouer gravés : images pieuses, représentant des
à Epinal en 1735. Il n’était pas le seul dans ces saints pour la plupart, et représentations
régions de l’Est, où le bois a toujours fourni des batailles napoléoniennes, copiées
le papier. A Epinal même, le musée conserve sur les gravures des imprimeurs parisiens
une image du XVIIe siècle représentant saint de la rue Saint-Jacques. Bien qu’un peu
Nicolas et signée par l’imprimeur-libraire raides, les scènes de batailles s’arrachèrent
Claude Cardinet. Pour varier ses activités, vite dans toute la France, y compris
Pellerin se lança alors dans la production dans les campagnes les plus reculées.
d’images pieuses, comme d’autres artisans L’imagerie de masse était née et, avec
de sa ville, Jean-Nicolas Vatot, Jean-Charles elle, un puissant outil de communication.
Didier, Antoine-Marcel Raguin, qui Napoléon III en profita largement pour
réalisaient des séries de « Sainte Famille », accéder au pouvoir. Aux images pieuses,
de « Sainte Trinité » et des frises servant militaires ou politiques se joignit bientôt
de dessus de cheminée ou de tours de lit, toute une illustration enfantine,
formées par plusieurs cartes collées entre qui correspondait à l’intérêt grandissant
elles et représentant les douze apôtres. de la bourgeoisie pour l’éducation.
Les ventes d’images religieuses Sous le Second Empire, l’imagerie
regarder les imprimeurs au travail. s’effondrèrent à la Révolution. Le fils d’Epinal connut un nouvel élan. Natif
Car l’Imagerie, qui bénéficie désormais du de Nicolas Pellerin, Jean-Charles, reprit d’Epinal, Charles Pinot était parti à Paris
label « entreprise du patrimoine vivant », probablement la première activité de son pour étudier aux Beaux-Arts, puis revenu
fonctionne à nouveau. Le fonds revit. père, l’horlogerie, et vendit des cartes au pays pour subvenir aux besoins de
Certains jours, les machines classées à jouer et des dominos. Mais il avait dû sa mère devenue veuve. En 1847, il s’était
128 monuments historiques reprennent apprendre aussi la gravure sur bois dans fait embaucher par Pellerin. Contrairement
h du service, des pierres sont encrées, des l’atelier paternel et, lorsque l’imagerie aux autres graveurs, qui étaient d’excellents
images, des cahiers de devinettes, des religieuse revint en grâce, il fonda son artisans mais se contentaient de copier
modèles à construire sont réédités avec Imagerie en 1796. Il sut graver lui-même et leurs modèles, lui savait dessiner. A l’atelier,
de nouvelles mises en couleur. Quelques surtout former des artisans très doués, dont pendant quelques années, puis au sein de
images sont détournées pour servir de les noms resteront attachés à celui d’Epinal : sa propre entreprise, la « Nouvelle Imagerie
modèles de papiers peints, que l’Imagerie Canivet, Réveillé, Thiébault, Wendling et d’Epinal », à partir de 1860, il inventa
diffuse dans le showroom parisien le plus célèbre d’entre eux, François Georgin. de véritables petites scènes animées
qu’elle partage avec d’autres entreprises Vers le milieu du XIXe siècle, l’Imagerie par plusieurs images regroupées en
défendant les savoir-faire de la région. une seule bande, véritables ancêtres de
Des grandes pointures de l’illustration, la bande dessinée. Il fit travailler d’autres
comme Tomi Ungerer, Joann Sfar ou dessinateurs, dont Eugène Ensfelder,
Serge Bloch, ont créé de nouvelles images, professeur de dessin à Strasbourg.
suivies par la jeune génération incarnée Leur talent et leur sens de l’observation
par Chanoir ou Simon Bailly, un purent s’exercer d’autant mieux que
illustrateur prometteur passé par l’Ecole Charles Pellerin avait introduit vers 1850
supérieure d’art de Lorraine (ESAL), la technique de la lithographie dans
à Epinal, avec laquelle Pacôme Vexlard, ses ateliers. Curieusement, aucun imagier
l’ancien PDG de l’Imagerie, a noué avant lui n’avait eu l’idée d’adapter cette
un partenariat. Bien sûr, on est loin de l’âge technique révolutionnaire, découverte
d’or de la fin du XIXe siècle, quand par hasard par Aloys Senefelder à la fin du
l’Imagerie Pellerin inondait la France XVIIIe siècle. Si on trace un dessin sur une
et le monde de ses millions de planches. pierre calcaire avec un crayon gras, qu’on
La famille Pellerin avait en effet la mouille puis passe dessus un rouleau
toujours su installer les machines les plus enduit d’encre, seules les parties marquées
performantes et attirer les meilleurs par le crayon retiennent l’encre. Il suffit
illustrateurs, transformant ainsi le petit alors d’appuyer un papier sur la pierre pour
atelier d’un cartier des Vosges en une obtenir l’illustration. Dessiner ainsi sur une
fabrique connue dans le monde entier. pierre était bien plus facile et rapide que de
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PHOTOS : © MARC-ANTOINE MOUTERDE POUR LE FIGARO HISTOIRE.
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passer des heures à graver des morceaux de d’un rocher ou d’un nuage – apparurent
bois. Dès 1818, une presse lithographique à l’Imagerie à la fin du XIXe siècle. Leur
avait été installée aux Tuileries. Bientôt succès populaire fut immédiat et, hormis
Delacroix et Vernet, suivis de Grandville ou les flopées d’images de soldats vendues
Daumier, s’étaient essayés à la lithographie. pendant la Grande Guerre, les devinettes
A Epinal, la lithographie permit à Charles d’Epinal incarnèrent la maison jusqu’aux
Pellerin d’augmenter considérablement années 1950. Il y en eut plus de cinq cents L’HISTOIRE
sa production. Alors que, dans les années
1840, il ne pouvait dépasser avec la gravure
différentes, déclinées sur des pages entières
de cahiers distribués comme bons points EST UN PLAISIR
sur bois un tirage de quelques milliers aux écoliers. On voyait, par exemple,
d’exemplaires, il était désormais capable une bergère dont il fallait, en tournant Abonnez-vous en appelant au
01 70 37 31 70
d’imprimer cinq cent mille images vantant l’image dans tous les sens, trouver le berger.
les machines à coudre Singer ! Pour la Ou encore chercher le sultan Saladin
couleur, Pellerin continuait en revanche de poursuivi par les chevaliers… Sous avec le code RAP19004
se fier au pochoir. On reconnaît aujourd’hui l’influence de l’éditeur parisien Glucq,
ses images grâce au nombre limité de leurs l’Imagerie Pellerin eut l’idée d’associer PAR INTERNET
somptueuses couleurs végétales : jaune, ses devinettes et ses séries d’images www.figarostore.fr/histoire
brun, rouge, un rouge clair appelé rosette à des marques pour vanter leurs produits : PAR COURRIER
et un bleu provenant de lapis-lazuli écrasé, pneus Michelin, Grands Magasins, en adressant votre règlement de 35 €
et même, dit-on, d’un véritable bleu de tailleurs, biscuits… La réclame était née. à l’ordre du Figaro à :
Prusse. Pellerin avait inventé une machine Pourtant, la bonne étoile de l’Imagerie
qui permettait de colorier plusieurs images d’Epinal, bientôt démodée par la radio Le Figaro Histoire
en même temps, des brosses mues par des puis le cinéma, commença à pâlir. Jusqu’à Abonnement, 4 rue de Mouchy,
ficelles répartissant l’encre dans les espaces ce que, saturés jusqu’à l’écœurement 60438 Noailles Cedex
laissés libres par les pochoirs. d’images virtuelles, quelques passionnés Offre France métropolitaine réservée aux nouveaux abonnés et valable
Créées sur le modèle des paysages se décident à remettre les anciennes jusqu’au 31/05/2019. Les informations recueillies sur ce bulletin sont
destinées au Figaro, ses partenaires commerciaux et ses sous-traitants, pour
à secrets à la mode sous la Restauration, presses en route, à ressortir les pierres la gestion de votre abonnement et à vous adresser des offres commerciales
pour des produits et services similaires. Vous pouvez obtenir une copie de vos
les « devinettes » – images cachées dans lithographiques, à prouver qu’on pouvait données et les rectifier en nous adressant un courrier et une copie d’une pièce
d’identité à : Le Figaro, Service Relation Client, 14 boulevard Haussmann
le feuillage d’un arbre, dans la forme encore créer des illustrations de papier. 2 75009 Paris. Si vous ne souhaitez pas recevoir nos promotions et sollicitations,
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du Figaro, 14 bd Haussmann 75009 Paris. SAS au capital de 16 860 475€.
542 077 755 RCS Paris.
A VA NT, A PRÈS
Par Vincent Trémolet de Villers
© FRANÇOIS BOUCHON/LE FIGARO.
Fragmentation
française
C’
est une impression diffuse mais constante. se disloque en 1965. Le premier décrochage est
Celle de vivre un extraordinaire boulever- l’effet de l’abandon de la pratique religieuse, au len-
sement qui transforme tantôt par petites demain du concile Vatican II selon l’historien
L’ESPRIT DES LIEUX
touches, tantôt par un mouvement brutal tout ce Guillaume Cuchet que Fourquet cite abondam-
qui autrefois ordonnait notre société. « La commu- ment. En quelques décennies, tout ce qui ordonnait
nauté d’expérience » (Pierre Manent) qui forgeait, la vie en société – armée, famille, religion, esprit civi-
de l’école au service militaire, du bistrot au clocher, que – est ajusté au monde postchrétien. En 2016,
l’unité de la nation se fragmente chaque jour un peu 0,3 % des petites filles s’appellent Marie. Parallèle-
plus. Les intonations, les prénoms, les habitudes ment, le nombre de prénoms a explosé. Après la
changent. Apparaissent comme une résurgence Seconde Guerre mondiale, 3 000 prénoms étaient
archaïque tatouages et bijoux totémiques. Le jeûne donnés chaque année ; en 2014, on en dénombrait
n’est plus le temps du carême mais une forme nou- 13 000 (hors prénoms rares). En Bretagne, en Corse,
velle de développement personnel ; les animaux dans le Pays basque, les prénoms « régionaux »
n’en sont plus, ce sont « nos frères en animalité » ; les reviennent en force ; dans la France périphérique,
machines nous dépassent, bientôt elles rendront c’est l’Amérique qui s’invite dans l’état civil : une
l’homme obsolète ; les églises se vident et les mos- France des Kevin, des Jordan, des Dylan voit le jour.
quées se construisent. Les plus humbles regardent le foot à la télé (il A ses côtés une « nouvelle » France : sur l’ensemble du territoire, 18 %
faut avoir beaucoup d’argent désormais pour s’asseoir sur les fauteuils des garçons nés en 2016 portent un prénom arabo-musulman. Dans
130 rembourrés du Parc des Princes), la télé elle-même s’est fragmentée en certains départements le chiffre dépasse les 30 %. Fourquet rappelle
h milliers d’écrans au travers desquels chaque individu regarde son pro- que ces Français ne forment pas un groupe homogène. Une intégra-
pre monde. Ces inquiétudes multiples, Jérôme Fourquet les affronte tion « à bas bruit » est selon lui à l’œuvre. En témoigne la proportion
une à une. Dans un essai vertigineux, tant il parvient à saisir notre épo- des soldats français issus de l’immigration morts en Afghanistan entre
que, le politologue analyse, chiffres à l’appui, le mal français. Un travail 2001 et 2015 en combattant les talibans : 7 de nos 77 soldats. Son
salutaire qui dévoile une société composée de « différents groupes constat cependant est tranché : la France est devenue un archipel,
ayant leur propre mode de vie, des mœurs bien à eux et parfois une vision « un ensemble d’îles relativement proches les unes des autres ». Aux
du monde singulière ». Cela fait des années que l’esprit pénétrant de fragmentations culturelles, s’ajoutent les fragmentations sociolo-
Fourquet analyse ce phénomène, mais ici, il parvient à en tracer préci- giques et géographiques qu’illustrent les défilés de « gilets jaunes »,
sément tous les contours. Il s’appuie sur une somme documentaire et chaque samedi, dans les centres-villes. « Aujourd’hui, on vit côte à côte,
statistique extraordinaire et notamment sur un fait commun et par- je crains que demain on vive face à face », disait Gérard Collomb sur le
ticulièrement éloquent : le choix du prénom donné à son enfant. En perron de la place Beauvau avant de quitter le ministère de l’Intérieur.
1900, « pas moins d’une petite fille sur cinq fut prénommée Marie ». La Cette crainte nous hante. Alors, on se raccroche à la moindre manifes-
société française repose alors sur une matrice catholique avec laquelle tation de communion nationale (victoire sportive, commémoration)
la matrice républicaine et anticléricale fait système. « Nos vieux maî- et l’on invoque, comme un mantra, le « vivre-ensemble ». « Le mot
© MICHEL GOTIN/EPICUREANS.
tres, écrit Péguy dans L’Argent, n’étaient pas seulement des hommes de “vivre-ensemble”, nous a pourtant prévenus Alain Finkielkraut, a été
l’ancienne France. Ils nous enseignaient, au fond, la morale même et l’être inventé pour masquer la disparition de la chose. »2
de l’ancienne France. Je vais bien les étonner : ils nous enseignaient la
même chose que les curés. (…) Toutes leurs contrariétés métaphysiques
n’étaient rien en comparaison de cette communauté profonde qu’ils À LIRE
étaient de la même race, du même temps, de la même France, du même
régime. De la même discipline. Du même monde. » Cette matrice, déjà L’Archipel français.
entamée par le baby-boom et la naissance du « peuple adolescent », Naissance
d’une nation multiple
et divisée
BOULEVERSEMENT En haut : les ruines de la chapelle du Jérôme Fourquet
château de Commarque. L’abandon de la pratique Seuil
religieuse participe à la fragmentation de la « communauté 384 pages, 22 €
d’expérience » qui forgeait naguère l’unité de la nation.