Vous êtes sur la page 1sur 4

Emmanuel Filhol

J.-M. Fritz. Le discours du fou au Moyen Age. XIIe-XIIIe siècles.


Etude comparée des discours littéraire, médical, juridique et
théologique de la folie
In: Revue de l'histoire des religions, tome 210 n°4, 1993. pp. 486-488.

Citer ce document / Cite this document :

Filhol Emmanuel. J.-M. Fritz. Le discours du fou au Moyen Age. XIIe-XIIIe siècles. Etude comparée des discours littéraire,
médical, juridique et théologique de la folie. In: Revue de l'histoire des religions, tome 210 n°4, 1993. pp. 486-488.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1993_num_210_4_1469
486 domptes rendus

l'Islam méditerranéen. .11 aurait fallu restituer leur échelle réelle à ces
pratiques, quitte à les interpréter dans le sens du chéri iisme.
Encore faudrait-il nuancer leur. interprétation selon les milieux;
le Maroc, tant au xvie siècle qu'au xixe siècle, est loin de constituer
une société homogène ! Mais de cela M; E. Combs-Schilling ne pouvait
guère tenir compte car ses analyses sur le mariage, par exemple, pui
sent une information; parfaitement1 décontextualisée dans le célèbre
recueil •■ de Westermarck (Marriage Ceremonies . in ■ Morocco,, Londres,
Macmillan, 11)14, trad, franc., 1921). Même Westermarck, pourtant
aurait pu l'inciter à. modérer la thèse d'une intangible légitimité sul-
tanieime. .Elle cite d'après ses descriptions, par exemple, un rite de
simulation de la capture du sultan qui paraît révélateur d'une forme
de « négociation » de l'allégeance des sujets, et semble ne pas voir que
le sultan, au cours de ces rituels, subit aussi une forme de féminisation
qui va à rencontre de sa démonstration. Elle restitue assurément au
système politique marocain sa tluidité, rappelant notamment que les
régions dites de siba, de « dissidence institutionnalisée », sont elles
aussi partie intégrante du royaume ; les cheikhs, les chefs locaux,
auraient recherché le soutien du Makhzen, son arbitrage et son appui
militaire. Mais là encore la. perspective est par trop unilatérale. Loin-
d'être systématique, l'intervention dut Makhzen était généralement
ponctuelle et savamment pesée tant le rapport' des forces était aléa
toire: la. capture de Moulay Slimane par les tribus en 1818 n'avait
rien* de rituel.
La conclusion de l'ouvrage résume en somme sa faiblesse : « ЛП
of- Islam 'shows coherence, but: the Moroccan tradition is the most
coherent » (p. .'270).
Joeelvne Dakiii.ia.

Jean-Marie Fritz, Le discours du fou au Moyen Age. XIIe-XIIIe siè


cles. Elude comparée des discours littéraire, médical^ juridique et
théologique de la folie, Paris, puf, 1992, 413 p. (« Perspectives
littéraires »), 197 F.

La parution de ce beau travail de Jean-Marie Fritz présenté récem


ment comme thèse de doctorat ne manquera pas de réjouir les médiév
istes, et tous ceux, chercheurs en sciences humaines, qui s'intéressent
au traitement de la folie dans l'histoire des sociétés occidentales. Le
discours du i fou au Moyen Age est un ouvrage qui i fourmille d'idées
originales, propres à faire avancer la réflexion sur ши passionnant
domaine de recherche jusqu'ici à peine exploré. L'ambition de l'auteur
est d'étudier les discours que le Moyen Age1 a tenus sur* la folie. Il
s'agit» plus précisément de comprendre le -statut que revêt la. folie
médiévale à travers le discours littéraire et les discours « techniques »
qui 'la désignent.

Revue de l'Histoire des Religions, ccx-4/1993 .


Comptes rendus 487

On n'entrera pas dans le détail d'un travail aussi dense, très riche
et solidement documenté (près de 1 000 références bibliographiques).
La présentation débute par quelques pages d'ensemble sur « l'état de
la question ». L'histoire de la folie dans la société médiévale se résume
pour l'essentiel à un - texte - muet. C'est une • histoire • pratiquement
vierge. Peu de choses ont été écrites sur ce sujet. L'absence d'études
consacrées au thème de la folie dans la production intellectuelle du
Moyen1 Age est pour le moins remarquable. Pourquoi ce silence et, en
tout premier lieu, le silence des médiévistes sur le fou et la folie aux
xiie et xnie siècles ? (le seul article qui envisage la question aux xne
et xine siècles est celui de Philippe Ménard, Les fous dans la société
médiévale. Le témoignage de la littérature au xne et au xnie siècle,,
in Romania, Í)X,; 1077, p. 433-459; signalons également le livre de
Muriel Laharie, La folie au : Moyen • Age (xie-xnie siècles), Paris, Le
Léopard d'or, 1991). Parce que le fou est figure discrète, ni les images,
ni les textes ne lui accordent -une place privilégiée ; simple silhouette
qui orne certaines marges de manuscrits ;; figure mystérieuse et éva-
nescente. Ce silence résulte cependant tout autant d'une ignorance.
Ignorance dans le cas des historiens de la psychiatrie : le discours que
la psychiatrie a tenu sur le Moyen Age a été longtemps simpliste et
elliptique. On a beaucoup parlé du Moyen Age ténébreux qui place le
fou entre les mains des prêtres exorcistes. Il a fallu attendre les tr
avaux récents de D. Jacquarť pour que cette vision schématique .soit
dépassée ou du moins rectiiiée (cf. D. Jacquart, La réflexion médié
valeet l'apport arabe, in Nouvelle histoire de la psychiatrie, Toulouse,
19ЯЗ, p. 43-53).
Que représente la folie pour le Moyen Age ? Une notion à la fois
vaste et complexe. C'est ce qui ressort de l'enquête de J.'-M. Fritz.
Trois « Savoirs-Pouvoirs », répartis selon différentes lois de formation
discursive, se sont montrés particulièrement riches : droit; médecine
et théologie. Le droit procède à im ensemble de partitions binaires, .
selon une série d'interdits (capacité/incapacité à tester, à témoigner,
à porter une action en justice), partition qui intègre le fou dans un
groupe plus vaste, celui- des incapables. La médecine obéit h- une
démarche inverse. Elle partage et fragmente la folie en une multitude
d'entités nosoirraphiques. Ce « divisionnisme » répondà une vision
concrète du corps. Si le fou juridique est privé de raison, le fou médical
est ďaborď saturé- de bile. La folie- est bouillonnement (frénésie,
manie) ou: engourdissement (mélancolie, léthargie), selon qu'elle est
liée à une humeur chaude ou froide. A la vision synthétique et géné
rique du droit, analytique et spécifique de la médecine, la- théologie
oppose un regard sensiblement différent; regard rempli de méfiance :
la figure très privilégiée est toujours la sagesse. La folie de la Croix est
sagesse de Dieu. La fête des fous elle-même est, pour ceux qui y parti
cipent, un moyen de préserver la Sagesse et le « service de Dieu ».
Face à ces trois « Savoirs-Pouvoirs », les textes littéraires s'ordon-

Iievue de l'Histoire des Religions, -ссх-Ш993


488 Comptes rendus

rient autour d'une perspective bien différente. La représentation li


ttéraire de la folie se déroule dans le cadre du merveilleux. Cette expé
rience merveilleuse s'oppose d'abord à une expérience tragique de la
folie, telle que l'a connaîtra s lai Renaissance ou telle que l'a connue
l'Antiquité. Pas plus que tragique, l'expérience médiévale de la folie
n'est critique. Le discours : du > foti t n'est pas un ■ discours satirique,
comme il le sera à la Renaissance de Brant à Erasme. Deux exceptions
toutefois, par où la folie accède à la dimension critique ou tragique :
Tristan et le dervé du Jeu de la feuillée. .
Au terme de ce parcours, la conclusion majeure de l'auteur est au
total le refus de la plupart des discours d'envisager un discours de la
folie elle-même, un discours oir la folie; serait en position; de sujet
parlant. Seul i le discours littéraire reconnaît à la folie une fécondité
créatrice, mais ce n'est que dans les marges de la littérature médiévale,
dans les Tristan ou au théâtre, avec le Jeu de la feuillée..
Cette étude remue, comme on voit, une matière abondante. Elle
apporte beaucoup sur des points précis et nous fournit un bilan part
iculièrement éclairant. A n'en pas douter, Le discours du fou au Moyen
Age est un. travail important, que certainement eût aimé lire Michel;
Foucault. Ce sera le mérite de Л. -M. Fritz d'avoir réussi à faire parler
la folie médiévale : saluons cet événement..
Emmanuel Filhol.

Pierre-Antoine Fabre, Ignace de Loyola. Le lieu de V image. Le pro


blème de la composition de lieu-dans les pratiques spirituelles et
artistiques jésuisles de la -seconde moitié du XVIe siècle, Paris,
Editions de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences- sociales et
Librairie Vrin, 1992, 368 p., 270 F..

Cet ouvrage reprend une grande partie de la thèse que soutint


епЛ98Э à I'ehess P. -A.. Fabre, et qui fut alors très favorablement
accueillie. L'auteur part de l'étude de la composition de lieu dans les
Exercices spirituels d'Ignace de Loyola ( § 47 : « Composition, en voyant
le lieu »), composition plusieurs fois esquissée dans le livret mais ne
permettant ni détermination ni représentation; Le « lieu » apparaît
comme « détermination négative de l'espace » (p. 10, 14), selon une
logique disjonctive qui le précise comme limite ou frontière (p. 320).
P.-A. Fabre étudie ensuite le travail de la mémoire par lequel s'inscrit
dans le lieu, par la décomposition de l'art de la mémoire, « le passage
sans arrêt du temps » (p. 20, cf. p. 75-120). Il retrace alors l'histoire de
l'élaboration sans cesse reprise du Directoire des Exercices d'Ignace :
histoire qui se présente, à travers les tentatives pour représenter le
lieu et réécrire le texte ignatien, comme celle d'une perte ou d'une
trahison, mais aussi dans laquelle se révèle la-« résistance » (p. 122)

Revue de l'Histoire des Religions, ccx-4/1993

Vous aimerez peut-être aussi