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APPROCHE PRATIQUE DE LA CULTURE DE SÉCURITÉ

Pour une maîtrise des risques industriels plus efficace

François-Régis Chevreau, Jean-luc Wybo

Lavoisier | « Revue française de gestion »

2007/5 n° 174 | pages 171 à 189


ISSN 0338-4551
ISBN 9782746218581
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-5-page-171.htm
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RISQUE INDUSTRIEL DOI:10.3166/RFG.174.171-189 © 2007 Lavoisier, Paris.

PAR FRANÇOIS-RÉGIS CHEVREAU,


JEAN-LUC WYBO

Approche pratique
de la culture de sécurité
Pour une maîtrise des risques
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industriels plus efficace

2
Le développement de la 006 : vingtième anniversaire de la catastrophe de
culture de sécurité est
Tchernobyl et de la notion de culture de sécurité,
souvent présenté comme
un facteur important
forgée pour expliquer les dysfonctionnements
d’amélioration de la ayant entraîné cette catastrophe. L’Agence internatio-
maîtrise des risques pour la nale de l’énergie atomique (AIEA) a officiellement
santé et la sécurité au défini la notion de culture de sécurité de la manière sui-
travail. L’article propose vante : elle est « l’ensemble des caractéristiques et des
une approche pratique de
attitudes qui, dans les organismes et chez les individus,
la culture de sécurité basée
sur l’analyse du projet
font que les questions relatives à la sécurité bénéficient,
managérial que cette en priorité, de l’attention qu’elles méritent en raison de
notion sous-entend. Il est leur importance » (INSAG, 1991). On assiste depuis lors
illustré par les résultats à une véritable explosion de la notion de culture de sécu-
d’une recherche-
rité, que ce soit au niveau managérial, politique ou
intervention réalisée pour
la direction hygiène-
scientifique. Au niveau politique, on peut par exemple
sécurité-environnement du remarquer que l’expression « culture de sécurité »
groupe pharmaceutique revient vingt-trois fois dans les cinquante-deux pages du
Sanofi-Aventis. rapport de Philippe Essig au Premier ministre suite à
l’explosion de l’usine AZF. Au niveau managérial, on
peut citer la fondation en 2002 de l’Institut pour une
culture de sécurité industrielle à Toulouse ayant pour but
de « favoriser le développement de la culture de sécurité
à travers des rencontres et des échanges entre l’ensemble
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des partenaires »1. Au niveau scientifique, impact direct sur leurs résultats. La maîtrise
on peut référencer dans la base bibliogra- performante des risques HSE4 est ainsi
phique Business Source Elite près de cent devenu un enjeu stratégique pour les entre-
trente articles publiés entre 2000 et 2006 prises, « chaque nouvel accident possédant
sur la notion de culture de sécurité tous sec- le pouvoir à lui seul, en dehors de toute
teurs confondus. Ainsi, même vingt ans logique statistique, de remettre en cause les
après, la question de la culture de sécurité choix opérés au niveau d’une société »
continue à mobiliser praticiens et (adapté d’Amalberti, 1996, p. 28).
chercheurs. L’objectif de cet article est de présenter et
Dans le même temps, la maîtrise des d’illustrer une approche de la culture de
risques, c’est-à-dire « le maintien des sécurité basée sur les pratiques concrètes
risques à l’intérieur de limites considérées pouvant répondre à ces enjeux stratégiques
comme acceptables » (Leroy et signoret de maîtrise des risques HSE. Nous nous
1992, p. 109), est devenue une exigence basons sur une recherche-intervention
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sociétale forte. Les évolutions réglemen- menée au sein de la branche chimie du
taires qui ont suivi la catastrophe d’AZF ont groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis.
par exemple renforcé les contrôles (mise en Nous sommes intervenus à la demande de
place des pôles risques spécialisés et ren- la direction hygiène-sécurité-environne-
forcement des compétences de l’inspection ment (HSE) afin de l’aider à « renforcer la
des installations dangereuses) et la concer- culture de sécurité dans les usines chi-
tation (création de comités locaux d’infor- miques ». Notre travail, qui s’est déroulé
mation et de concertation sur les risques) sur plus de quatre ans, a consisté en une
autour des installations dangereuses2. À un série d’actions de terrain destinées à
niveau plus global, le développement de la concrétiser cette ambition stratégique affi-
responsabilité sociale des entreprises a chée. Nous avons ainsi travaillé sur l’orga-
favorisé « l’intégration volontaire par les nisation du retour d’expérience, la forma-
entreprises de préoccupations sociales et tion à la sécurité ou la rédaction de bonnes
environnementales à leurs activités com- pratiques de maîtrise des risques pour la
merciales et leurs relations avec les parties chimie fine.
prenantes3». La protection de la santé et de Nous commencerons par présenter l’ap-
la sécurité des salariés et des riverains mais proche dominante de la culture de sécurité
également la protection de l’environnement et certains éléments qui la rendent peu
sont ainsi pris en compte dans l’évaluation actionnable pour les managers. Nous
des entreprises, ceci pouvant avoir un construirons ensuite la stratégie de maîtrise

1. http://www.icsi-eu.org/
2. Circulaire du 30 décembre 2002 relative aux thèmes d’action nationale de l’inspection des installations classées
pour l’année 2003, direction de la prévention des pollutions et des risques, ministère de l’Écologie et du Dévelop-
pement durable.
3. Livre Vert – Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises (présenté par la Com-
mission le 18 juillet 2001), Commission des Communautés européennes, p. 7.
4. Les termes « Risques HSE » correspondent aux risques liés aux activités industrielles pouvant avoir des consé-
quences en matière de maladie professionnelle (hygiène), d’accident du travail (sécurité) ou d’atteinte à l’environ-
nement.
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des risques HSE telle qu’elle nous apparaît deux écueils majeurs, surtout lorsque les pra-
dans les discours sur la culture de sécurité. ticiens veulent la mettre en œuvre :
Nous présenterons enfin une application – Comment établit-on les liens entre
concrète de cette approche « stratégique » « culture » et « sécurité » ?
de la culture de sécurité pour l’analyse et – Comment agit-on concrètement sur la
l’amélioration des processus de maîtrise culture pour la faire évoluer ?
des risques. Concernant le premier point, sans doute
parce que les notions de culture et de sécu-
I. – L’APPROCHE DOMINANTE DE rité sont très riches, on constate que des
LA CULTURE DE SÉCURITÉ organisations ayant des modes de fonction-
nement différents, a priori liés à des
Surfant sur la vague de la culture d’entre- cultures différentes, abordent la sécurité
prise qui a déferlé sur le management occi- d’une manière différente sans qu’un « one
dental dans les années 1980, la notion de best way culturel » lié à la sécurité ne
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culture de sécurité a été marquée par l’ap- semble exister (Bourrier, 1999 ; Bourrier et
proche utilitariste sous-jacente à la notion de Laroche, 2001, p. 22). Il devient alors très
culture d’entreprise. Transposant de difficile de pouvoir identifier des liens de
manière parfois sommaire les travaux issus corrélation entre « culture » et « sécurité »,
de l’anthropologie, les managers avaient d’autant plus que d’autres facteurs (écono-
ainsi l’ambition d’identifier, classer et modi- miques, techniques, réglementaires, etc.)
fier selon leur utilité fonctionnelle ou opéra- jouent un rôle sur la sécurité difficile à dis-
tionnelle les éléments constitutifs de la cul- socier du rôle que jouerait la culture (Denis,
ture de son entreprise (Godelier, 2006). Le 1998).
même type d’approche domine la littérature Et quand bien même arriverait-on à identi-
scientifique ou les ouvrages pratiques en ce fier ce one best way culturel que se poserait
qui concerne la notion de culture de sécu- immanquablement le problème de l’action
rité. Elle correspond généralement à une concrète sur la culture. Agir sur les valeurs,
lecture de la notion de culture de sécurité à travers les discours principalement incan-
s’intéressant aux valeurs, aux normes ou tatoires tels que « La sécurité est l’affaire de
aux symboles partagés dans l’organisation, tous », ou agir sur les comportements, en
supposés liés à la sécurité puis à la définition renforçant les sanctions ou les incitations,
de bonnes pratiques et permettant d’agir sur pourra avoir un effet immédiat tangible
ces éléments culturels pour développer une sans que la culture ne soit véritablement
« bonne » culture de sécurité. changée. Ainsi, ni « les discours managé-
Cette approche de la notion de culture de riaux participationnistes chaque jour
sécurité, qui consiste à agir sur la culture dénoncés par les faits » (adapté de Saussois,
pour influer sur la sécurité, a orienté la plu- 1998, p. 20), ni les changements de com-
part des travaux de recherche dans le portement en surface (apprentissage
domaine (Guldenmund, 2000) ainsi que le « simple boucle » décrit par Argyris et
travail des consultants (Gauthey et Gibeault, Schön, 2002) ne suffisent à modifier la
2005). Malgré son succès, cette approche culture.
dominante nous semble cependant buter sur
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Ainsi nous semble-t-il que, même si cette n’est pas dangereux ou par ce qui est moins
approche dominante de la notion de culture dangereux ». Il définit la maîtrise des
de sécurité peut aider à comprendre certains risques comme devant intervenir le plus en
phénomènes organisationnels complexes amont possible. Il est la traduction dans le
relatifs à la sécurité, elle n’offre pas au pra- droit du slogan selon lequel « aucune
ticien de véritable levier d’action ou de priorité ne peut s’exercer au détriment de la
pilotage concret pour améliorer la gestion sécurité ».
des risques. Ces deux principes « managériaux », qui
orientent les activités en matière de maîtrise
II. – LA CULTURE DE SÉCURITÉ des risques, sont ainsi régulièrement insérés
COMME STRATÉGIE DE MAÎTRISE dans les slogans et les discours sur la maî-
DES RISQUES trise des risques, comme le montre l’affiche
suivante tirée d’une campagne de sensibili-
1. Principes de maîtrise des risques sation d’Aventis (figure 1).
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dans les discours et les pratiques Ces deux principes ne suffisent cependant
Le droit définit deux principes fondamen- pas à eux seuls à établir une véritable stra-
taux pour la maîtrise des risques : tégie vis-à-vis des risques. En effet, ils ne
– le principe de responsabilité (directive définissent pas de modes pratiques d’action.
89/391/CEE du 12 juin 1989, articles Pour établir une stratégie de maîtrise des
L. 230-3 et L. 263-2 du Code du travail, risques, il est donc nécessaire de les com-
arrêté de la Cour de cassation du 28 février pléter par des principes « techniques ». On
2002) ; peut ainsi distinguer deux axes dans les pra-
– le principe de prévention (article L. 230-2 tiques de maîtrise des risques, selon le sens
du Code du travail). que l’on donne au terme « maîtrise des
Le principe de responsabilité concerne en risques ». En effet, ce dernier a une double
premier lieu le chef d’entreprise, tenu à une signification : « maîtriser » signifie à la fois
« obligation de sécurité » de résultat. « connaître » et « garder sous contrôle ».
Cependant, l’ensemble du personnel est Pour « connaître » les risques, il est néces-
tenu de « prendre soin de sa sécurité et de saire de les évaluer. L’évaluation des
sa santé ainsi que de celles des autres per- risques HSE peut se faire selon des prin-
sonnes concernées du fait de ses actes ou de cipes définis par la législation française,
ses omissions au travail ». La maîtrise des notamment dans le cadre de la réglementa-
risques est ainsi définie comme devant être tion sur les installations classées pour la
« l’affaire de tous », pour reprendre un des protection de l’environnement. Le risque y
plus anciens slogans sur la sécurité. est défini comme la possibilité de surve-
Le principe de prévention se traduit par les nance d’un dommage résultant d’une expo-
injonctions comme « Éviter les risques », sition aux effets d’un phénomène dange-
« Combattre les risques à la source » ou reux5. Dans ce modèle, le risque est associé
« Remplacer ce qui est dangereux par ce qui à la notion de phénomène dangereux

5. « Glossaire technique des risques technologiques », Circulaire du 7 octobre 2005 relative aux installations clas-
sées, ministère de l’Écologie et du Développement durable (MEDD).
Approche pratique de la culture de sécurité 175

Figure 1
PRINCIPES DE RESPONSABILITÉ ET PRINCIPE DE PRÉVENTION
DANS LE DISCOURS MANAGÉRIAL
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(exemple : la dispersion d’un nuage toxique d’accepter ou non les risques. Parmi ces cri-
sur une certaine distance) dont on peut éva- tères, on retrouve par exemple des éléments
luer l’intensité des effets (exemple : une sur la gravité des conséquences (nombre de
concentration potentiellement létale pour victimes potentielles, irréversibilité de la
1 % des individus exposés à 1 km). Ce pollution, dégâts matériels, etc.) et sur la
modèle de risque prend également en probabilité d’occurrence des accidents. Ces
compte la vulnérabilité des cibles suscep- critères de décision sont généralement pré-
tibles d’être exposées (exemple : une ville sentés aux partenaires sociaux et à l’admi-
de 500 habitants à 1 km du lieu de la fuite) nistration lorsque celle-ci doit contrôler les
et la probabilité d’occurrence d’un accident résultats de l’évaluation des risques. Ainsi,
(exemple : fréquence d’occurrence d’une l’évaluation des risques, c’est-à-dire les
fuite toxique dont les effets se feraient res- actions mises en œuvre pour les connaître,
sentir à 1 km). L’analyse des risques corres- repose sur deux principes techniques :
pond à la détermination et à la mise en rela- – le principe d’analyse des risques : l’éva-
tion de ces différents éléments selon la luation des risques repose sur l’identifi-
formule suivante : cation exhaustive des dangers et l’analyse
Risque = (Intensité des effets) x (Vulnérabi- objective des risques ;
lité de la cible) x (Probabilité d’occurrence) – le principe d’acceptation des risques :
Une fois un risque analysé, les managers l’évaluation des risques repose sur la défini-
doivent pouvoir décider s’il peut être com- tion de critères d’acceptabilité des risques.
pensé par les bénéfices espérés. Pour cela, L’évaluation des risques s’opère selon la
ils définissent des critères qu’ils jugent logique présentée dans la figure suivante
objectifs qui les aideront dans leur décision (figure 2).
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Figure 2
LOGIQUE PRATIQUE D’ÉVALUATION DES RISQUES
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Pour « maintenir sous contrôle » les rières et leur maintenance nécessitent d’in-
risques, il est indispensable de mettre en tégrer la maîtrise des risques dans les pra-
place des barrières de sécurité adaptées à tiques quotidiennes.
ces risques. Par barrière de sécurité, on – Le principe de sûreté de fonctionnement :
entend ici tout dispositif agissant sur au le contrôle des risques repose sur la fiabilité
moins une dimension du risque (exemples : et l’efficacité des différentes barrières de
des procédures de maintenance permettant sécurité ; le niveau de confiance attribué
de diminuer la possibilité d’occurrence aux barrières humaines et organisation-
d’une rupture de flexible, un rideau d’eau nelles dépendant de la normalisation des
limitant l’intensité d’une fuite toxique, un pratiques des différents acteurs.
plan d’urgence permettant de limiter la vul- – Le principe de résilience : les mesures
nérabilité des cibles). Le contrôle des d’anticipation n’étant jamais suffisantes, le
risques repose sur trois principes tech- contrôle des risques nécessite une certaine
niques : liberté d’improvisation dans l’action pour
– Le principe de défense en profondeur : le récupérer les situations imprévues ; les
contrôle des risques repose sur des barrières capacités d’improvisation dépendant des
de sécurité constituant des lignes de capacités d’apprentissage et de partage
défenses indépendantes séparant les dan- d’expérience entre les acteurs de l’organisa-
gers des cibles ; la définition de ces bar- tion.
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Figure 3
LOGIQUE PRATIQUE DE CONTRÔLE DES RISQUES
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Le contrôle des risques s’opère selon la qui, dans les organismes et chez les indivi-
logique présentée dans la figure ci-dessus dus, font que les questions relatives à la
(figure 3). sécurité bénéficient, en priorité, de l’atten-
Même s’ils peuvent être contradictoires tion qu’elles méritent en raison de leur
entre eux (on peut citer par exemple l’op- importance »). Cette définition met en effet
position anticipation-résilience décrite dans en exergue une orientation spécifique en
Wildavsky, 1988), les différents principes matière de maîtrise des risques : dans les
managériaux et techniques portés dans les organismes et chez les individus, les ques-
discours et traduits dans les pratiques doi- tions relatives à la sécurité doivent bénéfi-
vent être intégrés dans la stratégie de maî- cier, en priorité, de l’attention qu’elles
trise des risques mise en œuvre dans les méritent en raison de leur importance.
entreprises. En ce qui concerne les principes tech-
niques, ils nous semblent véhiculés en fili-
2. La culture de sécurité comme projet grane par le terme de « culture ». La notion
intégrateur de culture implique tout d’abord un socle de
Les deux principes managériaux identifiés savoirs et de valeurs partagés par les indivi-
précédemment (« responsabilité » et « pré- dus d’un groupe. Ces éléments diffusent
vention ») sont clairement visibles dans la dans le groupe à travers l’expérience vécue
définition « historique » de l’AIEA (« l’en- des individus les uns avec les autres et leur
semble des caractéristiques et des attitudes permet souvent de construire une vision
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commune des situations qu’ils rencontrent. La notion de culture de sécurité peut de ce


C’est d’ailleurs sur ces éléments partagés fait être considérée comme le vecteur d’un
que reposent les capacités de résilience des projet stratégique spécifique de maîtrise des
groupes : « développer cette connaissance risques :
[sur le fonctionnement réel des systèmes à – basé sur une identification des dangers et
risques], la partager entre les intervenants et une caractérisation objective des risques ;
valoriser ceux qui la possèdent, sont […] – nécessitant la définition de critères d’ac-
des moyens efficaces pour augmenter la ceptation des risques ;
résilience des organisations aux situations – favorisant l’apprentissage et le partage
de danger » (Wybo, 2004, p. 29). d’expérience ;
Le partage d’éléments culturels implique – reposant sur l’implication de tous les
également, et de manière paradoxale, une acteurs ;
certaine normalisation des pratiques quoti- – dépendant de la fiabilité des barrières de
diennes des individus : « à un modèle [cul- sécurité mises en place et des pratiques
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turel] correspond un type de conduite quotidiennes des membres de l’organisa-
accepté […] ; lorsqu’ils se trouvent dans la tion ;
même situation, tous les individus de cette – définissant la sécurité comme une priorité
société conforment en général leurs pour l’organisation.
conduites au modèle (Vinsonneau, 2003, Si tels sont les principes managériaux
p. 60). Il apparaît ainsi que la notion de cul- véhiculés par la notion de culture de sécu-
ture de sécurité considérée comme un pro- rité, alors « renforcer la culture de sécu-
jet stratégique englobe ces différents prin- rité » revient à rendre cohérents discours et
cipes managériaux et techniques comme pratiques de la maîtrise des risques vis-à-
indiqué figure suivante (figure 4). vis de ces différents principes. Nous illus-

Figure 4
LA CULTURE DE SÉCURITÉ COMME STRATÉGIE DE MAÎTRISE DES RISQUES

Source : adapté de Chevreau (2006a).


Approche pratique de la culture de sécurité 179

trons ceci dans la partie suivante concer- qu’en marche dégradée lors de déviations
nant les processus de maîtrise des risques possibles » (Laurent, 2003, p. 16).
HSE. Le processus d’évaluation des risques liés
aux nouveaux procédés tel qu’il est mis en
III. – ANALYSE DES PROCESSUS DE œuvre chez Sanofi-Aventis dépasse les
MAÎTRISE DES RISQUES frontières des usines. Il démarre en effet
dans les laboratoires rattachés à la branche
1. Culture de sécurité et processus recherche et développement du Groupe,
d’évaluation des risques des procédés spécialisés en chimie, toxicologie, génie
L’objectif de l’évaluation des risques est de des procédés et sécurité des procédés. Ces
« mettre en évidence les éléments propres à laboratoires disposent également d’ateliers-
maintenir à tout instant l’installation en pilotes.
sécurité, tant en fonctionnement normal L’analyse préliminaire des risques d’un
nouveau procédé démarre avec la rédaction
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MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE-INTERVENTION
Notre travail, s’inscrivant dans le domaine des sciences de gestion, a « pour vocation
l’analyse et la conception des dispositifs de pilotage de l’action organisée » à travers la
recherche-intervention, cette dernière mettant le chercheur en situation d’aider l’organi-
sation à « se transformer à partir d’un projet concret de transformation plus ou moins
complètement défini » (adapté de David, 1999, p. 13 et 17). Notre travail de terrain s’est
ainsi articulé autour de la conduite d’un certain nombre d’interventions dans le domaine
de la maîtrise des risques HSE : conception d’un module de formation sécurité pour les
opérateurs d’ateliers, conception de modules de formation « Culture de sécurité » à des-
tination de l’encadrement technique des sites chimiques (2x3 jours de formation, 500
cadres formés), mise en place d’un outil de retour d’expérience, analyse d’incidents, etc.
Nous avons pris appui sur ces interventions pour analyser les différents processus for-
mels de maîtrise des risques HSE mis en œuvre dans les usines chimiques de Sanofi-
Aventis (évaluation des risques, conception des procédures de travail, gestion des tra-
vaux, formation HSE, gestion des situations imprévues, retour d’expérience, etc.). Notre
objectif était d’étudier si ces processus étaient cohérents avec les principes de la culture
de sécurité tels que nous les avons présentés dans la partie précédente.
Les données que nous avons collectées sont de plusieurs types : verbatim d’entretiens,
documentation officielle de l’entreprise, documents de travail. Ces données ont été
ensuite analysées dans le but de décrire le fonctionnement réel de l’organisation. Les
analyses produites ont été validées auprès des praticiens. Certains résultats de ces ana-
lyses ont également été réutilisés dans les interventions sur le terrain, ce qui assurait un
deuxième niveau d’analyse. Par exemple, les données issues de l’analyse d’incidents
significatifs ont été utilisées comme support pour une formation développée et mise en
œuvre par Sanofi-Aventis.
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des fiches de données de sécurité qui (CER) de l’usine qui prend alors la respon-
regroupent les paramètres toxicologiques sabilité du document. Cette commission,
et écotoxicologiques de toutes les matières regroupant jusqu’à une demi-douzaine
utilisées au cours du nouveau procédé. Elle d’experts HSE (sécurité des procédés,
continue avec la constitution par les labo- sécurité générale, environnement, hygiène
ratoires de sécurité de procédés d’une base industrielle, etc.), traite les problèmes liés
de données contenant les paramètres phy- aux risques procédés lors de réunions heb-
sico-chimiques (conditions d’inflamma- domadaires ou bimensuelles selon les cir-
tion, chaleur de réaction, stabilité ther- constances. Les services opérationnels
mique, incompatibilités chimiques, etc.) (production, travaux neufs, maintenance,
caractérisant les dangers des produits et des etc.) participent également en fonction des
réactions mis en œuvre. Le protocole de sujets abordés. La commission est norma-
transfert entre le laboratoire de sécurité des lement présidée par le chef d’établisse-
procédés et le pilote s’articule autour du ment.
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document appelé SHARE (Safety Hazard Une nouvelle analyse préliminaire des
And Risk Evaluation) synthétisant ces don- risques est alors mise en œuvre de manière
nées. Plusieurs réunions de transfert sont à évaluer le potentiel de dommage maxi-
organisées, au cours desquelles les diffé- mum du procédé dans son environnement
rentes parties prenantes complètent le définitif. Ce travail se fait au sein de la CER
document initial en y intégrant les données avec le support des experts des laboratoires
relatives à la conduite du procédé et aux de sécurité des procédés pour certains
mesures particulières à prendre dans le calculs spécifiques (par exemple pour
mode opératoire (organisation de la fabri- l’étude de la dispersion atmosphérique de
cation dans les installations du pilote, pré- polluants). Le cas échéant, lorsque cer-
vention des risques d’incompatibilité entre taines parties du procédé posent des pro-
des procédés mis en œuvre en même blèmes particuliers, des études plus
temps, type d’équipements de protection détaillées sont commandées.
collective et individuelle requis, etc.). À Les données relatives à la maîtrise des
l’issue de plusieurs allers-retours entre le risques et les barrières de sécurité sont ainsi
laboratoire de sécurité des procédés et le petit à petit définies tout au long du proces-
pilote, et si les essais cliniques du médica- sus et synthétisées dans des documents que
ment en développement sont concluants, il l’administration (inspection des installa-
peut être décidé d’industrialiser le procédé tions classées) analyse avant d’accorder
dans un atelier existant ou le cas échéant l’autorisation d’exploiter le nouveau pro-
dans un nouvel atelier. cédé. Le comité d’hygiène, de sécurité et
Le document de transfert (SHARE) des conditions de travail, qui est l’instance
construit conjointement dans la phase de représentative contribuant à la santé, à la
développement et validé au niveau du sécurité et aux conditions de travail dans
laboratoire de développement de procédé chaque usine de plus de 50 salariés, est éga-
sert de base au transfert dans l’usine. C’est lement consulté sur ces documents. Le pro-
la commission d’examen des risques cessus d’évaluation des risques tel qu’il est
Approche pratique de la culture de sécurité 181

Figure 5
PROCESSUS D’ÉVALUATION DES RISQUES LIÉS AUX NOUVEAUX PROCÉDÉS
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mis en place dans une des usines où nous Tel que nous l’avons analysé, et d’ailleurs
sommes intervenus s’organise donc de la comme son nom l’indique, le processus
manière suivante (figure 5). d’évaluation des risques est cohérent avec
182 Revue française de gestion – N° 174/2007

les principes d’analyse et d’acceptation des pris en compte dans l’estimation de la pos-
risques. Il correspond en effet à un examen sibilité d’occurrence et la gravité des inci-
technique détaillé et systématique des diffé- dents et des accidents susceptibles de se
rents risques et d’une appréciation de leur produire. Le processus d’évaluation des
acceptabilité selon des critères définis for- risques mis en œuvre chez Sanofi-Aventis
mellement. aboutit également à l’édiction de règles
Le processus tel qu’il est mis en place favo- concernant l’entretien des barrières de
rise également le partage entre les différents sécurité permettant de maintenir les risques
acteurs, notamment grâce à la participation à un niveau acceptable.
de chacun à la rédaction des différents Nous pouvons enfin constater que le pro-
documents. Ceci garantit l’entretien d’un cessus d’évaluation des risques est en cohé-
langage commun, facilité d’ailleurs par le rence avec le principe de prévention, selon
travail autour de paramètres physico-chi- lequel « la maîtrise des risques nécessite
miques standardisés. Ceci favorise égale- d’être définie comme une priorité pour l’or-
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ment le croisement de regards malgré tout ganisation ». En effet, la politique HSE de
différents et complémentaires, ce qui Sanofi-Aventis impose que chaque nouveau
contribue à améliorer la connaissance des procédé soit l’objet d’une évaluation des
acteurs sur leurs compétences respectives. risques suivant le schéma précédent.
Le processus d’évaluation des risques nous Chaque site a donc mis en place un pro-
semble donc cohérent avec le principe de gramme formel d’identification des dan-
résilience tel que nous l’avons défini. gers, d’évaluation et de maîtrise des risques
Concernant le principe de responsabilité, se basant sur l’expertise de différents labo-
nous pouvons constater que le processus ratoires de développement. L’efficacité du
d’évaluation des risques procédé implique processus d’évaluation des risques procédé
l’ensemble des acteurs de l’organisation est assurée par les différentes validations
(laboratoires de recherche et développe- croisées organisées tout au long de son
ment, experts HSE site, services opération- déroulement. Le contrôle final par l’admi-
nels, CER, chef d’établissement, CHSCT, nistration renforce encore l’efficacité du
autorités). Cette implication se traduit dans processus.
les documents produits au cours du proces- Ceci nous amène à conclure que le proces-
sus (SHARE, dossier de sécurité des procé- sus d’évaluation des risques liés aux procé-
dés, étude de danger), documents rédigés et dés nouveaux tels que nous l’avons analysé
validés de manière collégiale par ces diffé- est respectueux du projet de gestion lié à la
rents acteurs. Ces validations croisées notion de culture de sécurité : il participe à
contribuent ainsi à responsabiliser chaque l’analyse et à l’acceptation des risques, il
acteur dans les évaluations des risques. contribue au partage entre les différents
Le processus d’évaluation des risques nous acteurs, il implique l’ensemble des acteurs,
semble également cohérent avec les prin- il permet de définir des barrières de sécurité
cipes de défense en profondeur et de sûreté et l’organisation se donne les moyens pour
de fonctionnement. En effet, les barrières qu’il respecte les objectifs qu’elle s’est
de sécurité et notamment le niveau de fixée. Ceci nous parait cohérent avec l’effi-
confiance que l’on peut avoir en elles sont cacité apparente du processus : les sites
Approche pratique de la culture de sécurité 183

industrialisant les nouveaux procédés lité, ce qui fait que, pratiquement, les repré-
obtiennent systématiquement l’autorisation sentants de l’assurance qualité décentrali-
d’exploiter, preuve que le résultat du pro- sée participent de manière systématique à la
cessus d’évaluation des risques est perfor- revue d’incidents. Les données issues de
mant du point de vue des critères fixés. l’analyse des incidents et accidents HSE
sont les suivantes :
2. Culture de sécurité et processus – facteurs déclenchants de l’événement,
de retour d’expérience – situations dangereuses et événement(s)
Le retour d’expérience correspond à la redouté(s),
« démarche organisée et systématique pour – phénomènes physico-chimiques impli-
analyser les anomalies, les incidents, les qués,
accidents, rechercher les causes et les – mécanismes d’agression,
enchaînements, en tirer les divers enseigne- – impacts réels ou potentiels.
ments et définir les mesures de correction et Ces analyses aboutissent également sur la
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d’amélioration, assurer l’information perti- mise en place d’actions correctives (répara-
nentes aux parties intéressées » (adapté de tion, modification d’équipement, modifica-
Vérot, 1998). tion de procédure, formation, etc.), ce qui
Le processus de retour d’expérience mis en amène des services de soutien comme la
place dans les usines chimiques de Sanofi- maintenance par exemple à être également
Aventis se compose des cinq étapes sui- acteurs du processus.
vantes : Lorsqu’un incident ou un accident présente
– détection des dysfonctionnements (décla- un intérêt particulier (procédé répandu, pro-
ration volontaire, reporting obligatoire, duit particulier, causes récurrentes ou au
analyse de données d’enregistrement, ins- contraire inédites, bonne pratique oubliée,
pection, etc.), etc.), il est intéressant de le communiquer
– analyse des dysfonctionnements (identifi- au-delà des limites du site. C’est le rôle de
cation des causes, identification des situa- la commission d’examen des risques qui, en
tions dangereuses rencontrées, analyse du relation avec des représentants des autres
fonctionnement des barrières de sécurité, usines, peut cibler et synthétiser les don-
etc.), nées à transmettre. Les fiches incidents
– mise en place et suivi d’actions correc- décrivant les dysfonctionnements significa-
tives, tifs sont mis à la disposition de l’ensemble
– rédaction d’un document de synthèse for- des salariés par l’intermédiaire de l’intranet
malisé, du Groupe Sanofi-Aventis.
– informations des acteurs concernés ou À noter la participation d’un autre acteur au
susceptibles de l’être. processus de retour d’expérience. Il s’agit
Chaque dysfonctionnement est analysé par du réseau d’experts hygiène-sécurité-envi-
le ou les services concernés avec le cas ronnement mis en place entre les différentes
échéant le support des experts HSE du site usines en France et au niveau de la branche
si l’analyse nécessite une expertise particu- chimie du Groupe Sanofi-Aventis. L’orga-
lière. La plupart des événements reportés nisation de l’entreprise est en fait matri-
ont d’ailleurs exclusivement trait à la qua- cielle. Ainsi, ces experts sont rattachés opé-
184 Revue française de gestion – N° 174/2007

rationnellement au chef d’établissement et – l’analyse en local (usine) des dysfonc-


fonctionnellement aux directeurs sécurité tionnements et la mise en place des actions
ou environnement au niveau global de l’en- correctives,
treprise. Réunis de manière formelle deux – la diffusion et le partage d’expérience en
fois par an et participant de manière ponc- local (usine),
tuelle à des groupes de travail spécifiques – la diffusion et le partage d’expérience au
(prévention des accidents de déplacement, niveau du groupe.
prévention des explosions de poudre, éta- La première phase est visiblement bien
blissement des fiches d’exposition aux pro- rodée car elle repose sur des méthodes
duits cancérigènes, etc.), les experts for- d’analyse d’incidents/accidents, comme
ment un maillage dense dans l’organisation. l’arbre des causes, utilisées en routine
Le réseau est par exemple l’auteur et le depuis une vingtaine d’années. Il apparaît
garant des guides et standards utilisés dans cependant que le processus est souvent « à
l’entreprise. Il intervient donc également géométrie variable », selon la nature et la
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dans le retour d’expérience, grâce aux liens gravité des dysfonctionnements détectés et
formels et informels qu’il tisse entre les dif- analysés ainsi que selon les actions correc-
férentes entités. Le processus de retour tives engagées. Les acteurs impliqués dans
d’expérience tel qu’il est mis en place dans le processus ne sont ainsi pas systématique-
une des usines où nous sommes intervenus ment les mêmes pour chaque dysfonction-
s’organise donc de la manière suivante nement : un simple incident (exemple : un
(figure 6). bouchage de ligne) sera ainsi traité unique-
Le processus de retour d’expérience tel ment au sein des services concernés, un
qu’il est mis en place permet d’actualiser en incident plus conséquent (exemple : la prise
permanence les résultats des évaluations de en masse d’un réacteur) nécessitera l’inter-
risque a priori car il permet de connaître vention des experts HSE, un événement
des circonstances dans lesquels les risques significatif (exemple : accident corporel dû
se sont matérialisés. Il permet également de au mélange intempestif de produits incom-
connaître l’état des barrières de sécurité patibles) pourra impliquer des acteurs exté-
ainsi que l’efficacité des différents proces- rieurs au site comme les laboratoires de
sus de maîtrise des risques mis en place. De sécurité des procédés. À cette phase du pro-
même, le processus de retour d’expérience cessus, il n’est donc pas assuré qu’il soit
favorise l’apprentissage et le partage d’ex- systématiquement « l’affaire de tous »
périence entre les différents acteurs en per- (principe de responsabilité).
mettant que chacun apprenne de ce que les L’efficacité de cette phase d’analyse repose
autres vivent. Nous en concluons que le également sur l’exhaustivité de la collecte
processus de retour d’expérience est cohé- des dysfonctionnements, c’est-à-dire de
rent avec les principes d’analyse et d’éva- leur identification et de leur déclaration.
luation des risques ainsi qu’avec les prin- L’identification des dysfonctionnements
cipes de résilience, de défense en nécessite que soit détecté un écart entre un
profondeur et de sûreté de fonctionnement. état prévu et un état réel du système. Il
On peut constater que le processus de retour existe de nombreuses raisons pour les-
d’expérience s’articule en trois phases : quelles un dysfonctionnement peut rester
Approche pratique de la culture de sécurité 185

Figure 6
PROCESSUS DE RETOUR D’EXPÉRIENCE
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Source : adapté de Chevreau (2006b).


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inaperçu : absence de suivi d’un paramètre, des dysfonctionnements peuvent limiter


normalisation de la violation d’une l’apprentissage dans l’organisation. De
consigne de sécurité, analyse inadaptée plus, comme l’organisation ne « gère » pas
d’événements imprévus, etc. L’implication la source du processus (elle ne « choisit »
de l’encadrement semble primordiale dans pas les dysfonctionnements), l’efficacité du
cette phase d’identification des dysfonc- processus dans la diffusion et le partage des
tionnements. En effet, selon qu’il banalise connaissances ne peut pas véritablement
des situations anormales ou qu’il encourage être assurée.
la détection des dysfonctionnements, l’en- Le processus de retour d’expérience tel que
cadrement agit directement sur la source du nous l’avons étudié ne nous semble donc
retour d’expérience. Ce filtre de la collecte pas complètement en cohérence avec le
peut alors tarir la source du retour d’expé- projet stratégique « culture de sécurité », du
rience. Pour palier cela, la direction HSE a fait qu’on ne peut pas s’assurer que tous les
fixé un objectif de un à deux incidents acteurs concernés y participent systémati-
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déclarés par an, par personne et par site. quement et du fait qu’on ne peut pas vérita-
Les deux autres phases du retour d’expé- blement assurer son efficacité. Ceci fragi-
rience (diffusion de l’expérience en interne lise également la cohérence du processus
et en externe) sont également dépendantes avec les autres principes managériaux que
d’un filtrage équivalent, tant au niveau local nous avons mis en avant. Comment par
qu’au niveau groupe. L’information issue exemple être sûr que le processus de retour
de l’analyse des dysfonctionnements subit d’expérience est cohérent avec le principe
ainsi une série de contextualisations/décon- de résilience si l’on ne peut pas garantir que
textualisations tout au long du processus : les acteurs concernés par tel ou tel incidents
– contextualisation lors de l’analyse des sont systématiquement impliqués dans le
dysfonctionnements : comprendre le dys- processus ?
fonctionnement nécessite de situer les évé- Pour tenter de contourner ces difficultés,
nements dans un contexte précis (tel atelier, dues souvent à une absence de vision glo-
tel réacteur, tel opérateur) ; bale des dysfonctionnements par les
– décontextualisation lors de la rédaction acteurs, nous avons développé, avec l’aide
des fiches-incidents : présenter de manière d’un expert HSE d’une usine du Groupe
concise le dysfonctionnement nécessite de Sanofi-Aventis, une méthode simple d’utili-
généraliser les informations relatives aux sation permettant de créer cette vision glo-
événements (un atelier, un réacteur, un opé- bale des incidents (Chevreau et al., 2006).
rateur) ; Cette méthode est basée sur la logique du
– contextualisation lors de la prise de « nœud papillon »6 qui permet de représen-
connaissance des fiches-incidents : visuali- ter les « tenants et aboutissants » des situa-
ser du potentiel d’apprentissage et des tions dangereuses donnant ainsi du sens aux
enseignements pouvant être tirés des dys- causes, aux conséquences et aux barrières
fonctionnements vécus ailleurs (mon ate- de sécurité associées et permettant à chacun
lier, mon réacteur, mon opérateur). de se situer vis-à-vis d’elles. L’outil s’est
Ces filtres dans le traitement de l’expé- avéré très utile pour diffuser l’expérience et
rience retirée de l’analyse et de la gestion favoriser l’apprentissage au-delà des fron-
Approche pratique de la culture de sécurité 187

tières des sites industriels et a été diffusé à repose concrètement la maîtrise des risques.
l’ensemble des sites français de Sanofi- Un effort particulier devrait alors être porté
Aventis. sur l’appropriation des différents principes
managériaux que nous avons présentés.
CONCLUSION Faire par exemple comprendre aux mana-
gers sur quels éléments repose leur respon-
Nous avons proposé dans cet article d’abor- sabilité dans le domaine de la maîtrise des
der la notion de culture de sécurité sous risques ou selon quelles logiques sont défi-
l’angle de la stratégie de maîtrise des nies les barrières de sécurité leur permet-
risques industriels, en nous basant sur un trait à coup sûr de mieux appréhender leurs
travail de terrain de longue durée portant marges de progrès en matière de maîtrise
l’analyse des pratiques concrètes de la maî- des risques. À noter que, parmi les sept
trise des risques HSE dans les usines chi- principes managériaux identifiés, il s’avère
miques de Sanofi-Aventis. Après avoir que le principe de résilience est souvent le
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identifié les principes managériaux sous- plus difficile à expliciter, du fait sans doute
entendus par la notion de culture de sécurité qu’il sort du cadre habituel « organisé » de
(responsabilité, prévention, analyse et la maîtrise des risques. Pour palier cette dif-
acceptation des risques, défense en profon- ficulté, l’organisation d’un retour d’expé-
deur, sûreté de fonctionnement, résilience), rience efficace, c’est-à-dire impliquant tous
nous avons montré comment une approche les acteurs, est indispensable.
pratique de la culture de sécurité permettait La deuxième piste envisageable pour
d’identifier des marges de progrès dans les rendre opérationnelle notre approche « pra-
activités quotidiennes de maîtrise des tique » de la culture de sécurité concerne les
risques, comme nous l’avons illustré dans pratiques d’audits internes et externes aux
le cas du processus de retour d’expérience. entreprises. Que ce soit dans le cadre de
Pour que cette approche « stratégique » de démarches de certification sécurité ou envi-
la culture de sécurité devienne maintenant ronnement ou du développement de la res-
réellement opérationnelle, il serait indis- ponsabilité sociale des entreprises, les
pensable que les managers s’imprègnent audits en matière de maîtrise des risques
des principes managériaux et techniques de HSE se multiplient et amènent de plus en
maîtrise des risques que nous avons identi- plus les managers à remettre à plat leurs
fiés. Deux pistes sont envisageables pour pratiques dans le domaine. Intégrer notre
cela. approche pratique de la culture de sécurité
La première concerne la formation des dans les référentiels d’audits et inciter les
managers. Il serait tout d’abord important managers à rendre leurs processus de maî-
de changer les discours sur la culture de trise des risques cohérents vis-à-vis des sept
sécurité, à savoir ne plus la présenter uni- principes managériaux de maîtrise des
quement comme un objet en tant que tel risques pourraient de fait contribuer à déve-
mais également comme une manière de lopper concrètement la culture de sécurité
concevoir les problèmes de maîtrise des dans les entreprises.
risques. Il serait également utile d’aider les Ainsi, et de manière plus générale, l’ap-
managers à mieux comprendre sur quoi proche que nous proposons, qui tire parti de
188 Revue française de gestion – N° 174/2007

la vitalité de la notion de culture de sécurité tifs à la maîtrise des risques HSE, peut ali-
tout en s’enracinant dans un travail rigou- menter les réflexions des praticiens quant à
reux d’analyse des processus concrets rela- leurs pratiques de maîtrise des risques HSE.

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