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Cal 4282 PDF
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81 | 2016
Gouverner les hommes et les ressources : légitimités
et citoyennetés
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/cal/4282
DOI : 10.4000/cal.4282
ISSN : 2268-4247
Éditeur
Institut des hautes études de l'Amérique latine
Édition imprimée
Date de publication : 6 décembre 2016
Pagination : 93-111
ISBN : 978-2-37154-073-6
ISSN : 1141-7161
Référence électronique
Ingreet Juliet Cano Castellanos, « La gestion et conservation de ressources naturelles de propriété
collective au Mexique : fragmentation bureaucratique et articulation étatique », Cahiers des Amériques
latines [En ligne], 81 | 2016, mis en ligne le 06 décembre 2016, consulté le 02 mai 2019. URL : http://
journals.openedition.org/cal/4282 ; DOI : 10.4000/cal.4282
Les Cahiers des Amériques latines sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative
Commons Attribution – Pas d’utilisation commerciale – Pas de modification 4.0 International.
Ingreet Juliet Cano Castellanos *
La gestion et conservation
de ressources naturelles
de propriété collective
au Mexique
Fragmentation bureaucratique
et articulation ́tatique
A
u Mexique, la conservation de la biodiversité a fait l’objet
de discussions sur la gestion durable de l’environnement.
Depuis 1970, ce sujet a nourri un débat portant sur la
protection des espaces d’importance écologique que sont les forêts : cette
tâche incombe-t-elle à l’État ou aux populations locales ?
C’est le point de départ de cet article qui analyse la reconfiguration des
relations entre État, populations locales et acteurs non gouvernementaux, en
tenant compte de la libéralisation économique en cours au Mexique depuis 1990.
Par ailleurs, en montrant les différents positionnements relatifs à la conservation
de la nature et à la libéralisation de l’accès aux ressources stratégiques, il met en
évidence les changements vécus, les tensions subies et les stratégies développées
par les communautés.
Notre étude part des transformations survenues dans le secteur de l’envi-
ronnement et dans la politique de conservation depuis le moment où le régime
de propriété sociale a changé au Mexique. Ces deux processus ont débuté vers
* Ciesas Sureste.
3. Selon le Conseil civil mexicain pour une sylviculture durable (CCMSS), le budget actuel du
secteur environnemental est 8 à 10 fois inférieur à celui de la Sagarpa [CCMSS, 2015].
4. Le municipio est le plus petit échelon administratif de la division territoriale mexicaine. Il com-
prend un chef-lieu, rassemble plusieurs localités et dispose d’un gouvernement municipal et
d’un budget autonome. Ces municipios – Marqués de Comillas et Benemérito de las Américas –
ont été créés en 1999. Le premier a pour chef-lieu Zamora Pico de Oro. Le second, Benemérito
de las Américas, porte le nom de son chef-lieu (cf. carte 1). Dans cet article, nous employons le
plus souvent le nom Marqués de Comillas pour évoquer la région. Le mot municipio le précède
lorsque nous faisons référence à des aspects différents entre ces deux territoires.
des noyaux d’habitations et des parcelles de cultures de maïs, haricot noir, piment,
palmier à huile (Elaeis guineensis) et jatropha (Jatropha curcas).
La colonisation des 190 551 ha de Marqués de Comillas a été encouragée
par le gouvernement fédéral, qui voulait apaiser les revendications paysannes de
terres et protéger ses frontières, à une époque où la guerre civile au Guatemala
s’intensifiait, vers 1980 [González Ponciano, 1990]. Ainsi, les terres de Marqués
de Comillas ont été distribuées sous la forme d’ejidos. Les familles de colons
originaires de plusieurs régions du pays ont obtenu leurs titres ejidales quelques
années après leur arrivée. L’État, craignant pour sa souveraineté nationale, a alors
relégué au second plan les projets environnementaux – bien que cette région soit
une des zones de transition de la Rebima, créée en 1978.
La rapide attribution des titres de droits ejidales – fait caractéristique de
Marqués de Comillas – a facilité dès sa colonisation la délimitation et la distri-
bution des parcelles parmi les ejidatarios. Les résolutions de dotation ejidale ne
stipulaient pas toujours clairement la délimitation des zones à usage collectif, mais
elles laissaient entendre que l’ejido ne devait pas être totalement parcellé. À cette
époque, ces terres d’usage commun n’étaient pas la priorité des groupes ejidales,
qui concentraient leurs efforts sur la façon de répartir et travailler les parcelles
individuelles. La plupart des colons, désireux de mettre à profit les plaines de
la région pour faire de l’élevage, ont reçu l’appui du gouvernement de l’État du
Chiapas, dont ils étaient proches, sous la forme de crédits, et ce dès 1983.
Les communautés ont, dès le début, accordé plus de valeur à l’élevage qu’à
l’agriculture et à la sylviculture. Les dynamiques organisationnelles des colons,
visant à l’amélioration des conditions de vie, et leurs relations avec certaines insti-
tutions gouvernementales depuis le milieu des années 1980 permettent de mieux
comprendre cette situation. Malgré cette tendance régionale, vers 1989, 17 ejidos
sur 34 possédaient des terres à usage collectif couvertes de forêt [Márquez, 2002].
À cette époque-là, chaque ejido comptait alors entre 100 et 600 habitants,
selon la taille de la dotation initiale, et chaque ejidatario possédait une parcelle
d’environ 20 ha5. La pression démographique était donc faible et dans la plupart
des cas les activités agro-pastorales n’ont pas rencontré d’obstacle majeur. Par
ailleurs, la proximité de la Rebima et la présence de fonctionnaires dans la région
ont permis de sensibiliser les colons aux inquiétudes suscitées par la déforestation
de la forêt Lacandon. De ce fait, la population des 17 ejidos disposant de terres
collectives forestières a voulu mettre en place une gestion participative de ces
zones. Ce processus a cependant été interrompu par la mesure d’« interdiction
5. Entre 1970 et 1980, le nombre de colons est passé de 1 000 à environ 5 000 [De Vos, 2002 ;
González Ponciano, 1990]. En 1990, l’Institut national de statistique et de géographie (Inegi) a
recensé 12 000 habitants répartis sur 34 localités. En 2010, il a recensé 17 282 habitants dans le
municipio de Benemérito de las Américas et 9 856 habitants dans celui de Marqués de Comillas.
6. Cf. http://www.ambio.org.mx/scolelte/antecedentes/
Transformations gouvernementales
et prises de position locales
Cet article a rendu compte de la reconfiguration des rapports entre État,
populations locales et acteurs non-gouvernementaux à partir des transforma-
tions gouvernementales survenues dans le secteur environnemental. Explorer les
modifications du régime de propriété collective nous a en outre permis d’ana-
lyser la complexité des discussions et des actions autour de la conservation et de
la gestion des ressources de propriété collective au Mexique. La formalisation
agraire résultant de la mise en œuvre du « Procede » apparaît aujourd’hui claire-
ment comme la base juridique sur laquelle s’établissent les engagements en vue
de la conservation et de la gestion durable de la biodiversité dans les territoires
proches des Espaces naturels protégés.
RÉSUMÉ
La Gestion et conservation des ressoUrces natUreLLes de propriÉtÉ coLLective aU mexiQUe :
fraGmentation bUreaUcratiQUe et articULation ÉtatiQUe
L’article porte sur la recomposition des rapports entre l’État mexicain, les populations
locales et divers acteurs non-gouvernementaux, se fondant sur une analyse des
transformations enregistrées dans les politiques publiques du secteur de l’environnement
au cours des années 1990. Cette étude aborde également les changements de régulation
foncière qui ont eu lieu après la modiication du régime de la propriété dite « sociale »
(eijidal) en 1992. Nous montrons comment la formalisation des droits fonciers, réalisée
dans le cadre du Programme de certiication des droits ejidales (« Procede »), a favorisé
le déploiement de politiques de conservation de la nature valorisant la participation
des populations locales. Ces processus sont étudiés à la lumière des expériences des
colons agraires établis au sud-est de la Selva Lacandona, au Chiapas. Nous analysons
tout d’abord les positions et les stratégies des populations face aux programmes fonciers
et environnementaux de l’État mexicain. Nous réléchissons ensuite à la façon dont
au Mexique les actions de conservation et de gestion participative des ressources de
propriété collective sont conçues, discutées et mises en pratique à l’échelle locale.
RESUMEN
La Gestión Y conservación de recUrsos natUraLes de propriedad coLectiva en mÉxico:
fraGmentación bUrocrática Y articULación aL estado
El artículo aborda la recomposición de las relaciones entre el Estado mexicano, las
poblaciones locales y diferentes actores no gubernamentales, a partir del análisis de las
transiciones gubernamentales experimentadas en el sector ambiental durante los años
noventa. Dicho análisis considera, adicionalmente, los cambios de la regulación agraria
que tuvieron lugar tras la modiicación del régimen de la propiedad social en 1992. De esta
manera, se evidencia cómo la formalización de derechos agrarios, realizada en el contexto
del Programa de Certiicación de Derechos Ejidales (Procede), ha favorecido el despliegue
de políticas de conservación ecológica que contemplan la participación comunitaria. Estos
procesos son estudiados a la luz de las experiencias de las poblaciones colonizadoras
del sureste de la Selva Lacandona, Chiapas. Por una parte, se analizan las posiciones y
estrategias de tales poblaciones frente a los programas gubernamentales tanto del sector
ambiental, como del sector agrario. Por otra parte, se relexiona sobre cómo en México
ABSTRACT
manaGement and conservation of common propertY resoUrces in mexico:
bUreaUcratic seGmentation and articULation to the state
This article addresses the reshaping of the relationships between the Mexican
state, local populations, and the different non-governmental actors, focusing on the
transitions that affected environmental policies since the 1990s. The analysis takes
into account the legal changes that reformed the social property (eijidal) regime in
1992. We show how the formalization of individual and collective property rights,
achieved through the implementation of the Certiication Program for Ejido Rights
and Land Ownership (Certiicación de Derechos Ejidales y Titulación de Solares,
PROCEDE), favored the proliferation of ecological conservation policies that promote
community participation. These processes are evaluated in the light of the experiences
of the colonizing populations in the southeast of the Lacandon Jungle, in Chiapas. The
article studies the positions and strategies these populations adopted in response to
governmental programs, both in the environmental and the agrarian sectors. This also
allows us to understand how actions for conservation and management of common
property resources in Mexico are conceived, debated and pushed forward at community
level.