L'information géographique

L'exploitation du bois et la déforestation : exemple du Brésil

Marie-Françoise Fleury

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Fleury Marie-Françoise. L'exploitation du bois et la déforestation : exemple du Brésil. In: L'information géographique, volume
64, n°1, 2000. pp. 58-70;

doi : https://doi.org/10.3406/ingeo.2000.2679

https://www.persee.fr/doc/ingeo_0020-0093_2000_num_64_1_2679

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Résumé
Cet article montre combien la forêt et le bois ont toujours revêtu une importance dans l'imaginaire de
l'homme. Le marché de ce matériau a évolué au fil du temps, se complexifiant, donnant naissance à
une véritable filière organisée. Une première partie évoque la situation actuelle des forêts tropicales,
aussi bien en terme de potentiel de ressources, d'exploitation ou de destruction, tout en insistant sur
les causes et les conséquences de cette déforestation. Une deuxième partie montre la place tenue par
le Brésil au sein des forêts du monde tropical. Elle décrit plus particulièrement l'exploitation de la forêt
amazonienne, née dans un mouvement pionnier de colonisation de la région. Elle aborde la
responsabilité des différents acteurs responsables de la déforestation de certains États de l'Amazonie
brésilienne.

Abstract
This article describes the important role forests and wood have always played in our imagination. The
market for timber has evolved over the years/centuries (selon la longueur de temps que vous voulez
exprimer), creating an increasingly complex and organised industry. The first section discusses the
current state of the tropical rainforests, the resources they contain, logging and the destruction of the
forests, while pinpointing the causes and consequences of this deforestation. The second section
shows Brazil's importance amongst the world's tropical rainforests. In particular, it describes how
colonial pioneers in the Amazon region began the process of cutting down the forests/exploiting the
forests, (the beginnings of) and discusses the responsibilities of the different groups involved in the
deforestation of some of the Brazilian Amazonian states.
 DOCUMENTATION
GÉNÉRALE
L'exploitation
et la deforestation
exemple
Marie-Françoise
Vacataire à l'Université du
\~et article montre combien la forêt et le
bois ont toujours revêtu une importance
dans l'imaginaire de l'homme. Le marché de
ce matérieu a évolué au fil du temps, se com-
plexifiant, donnant naissance à une véritable
filière organisée. Une première partie évoque
la situation actuelle des forêts tropicales,
aussi bien en terme de potentiel de
ressources, d'exploitation ou de destruction,
tout en insistant sur les causes et les
conséquences de cette deforestation. Une
deuxième partie montre la place tenue par le Brésil
au sein des forêts du monde tropical. Elle
décrit plus particulièrement l'exploitation de
la forêt amazonienne, née dans un
mouvement pionnier de colonisation de la région.
Elle aborde la responsabilité des différents
acteurs responsables de la deforestation de
certains États de l'Amazonie brésilienne.
Depuis que l'homme européen a
unifié le monde, perçu les
complémentarités, évalué le prix de la différence, le
commerce a été au centre du processus
de «mondialisation». L'exploitation et
la commercialisation du bois tropical en
sont des manifestations exemplaires. De
là à penser que la deforestation
catastrophique, souvent dénoncée, en est une
conséquence, quelques raisonnements
simplistes voudraient le faire croire et
poussent au boycott : l'Allemagne et
l'Autriche ont adopté cette attitude.
Mais l'idéologie et la science font
mauvais ménage; le bien et le mal ne
s'accordent pas automatiquement avec le
vrai et le faux. Le thème sentimental de
la défense de la forêt tropicale (et de ses
habitants) en fournit un exemple.
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n° 1, 2000
du bois
:
du Brésil
Fleury
Havre
I his article describes the important role
forests and wood have always played in our
imagination. The market for timber has
evolved over the years/centuries (selon la longueur
de temps que vous voulez exprimer), creating
an increasingly complex and organised
industry. The first section discusses the current state
of the tropical rainforests, the resources they
contain, logging and the destruction of the
forests, while pinpointing the causes and
consequences of this deforestation. The second
section shows Brazil's importance amongst the
world's tropical rainforests. In particular, it
describes how colonial pioneers in the Amazon
region began the process of cutting down the
forests/exploiting the forests, (the beginnings
of)and discusses the responsibilities of the
different groups involved in the deforestation of
some of the Brazilian Amazonian states.
mm
Dans un premier temps, le bois
tropical a pu être assimilé à un bien de luxe,
exotique donc précieux, dont l'usage
était réservé à l'aristocratie du vieux
monde comme les épices, le café, le
sucre, l'ivoire... et l'or. Un topique
révolutionnaire et romantique étendu au
monde en a fait un symbole de
l'exploitation de la terre des damnés, conforté par
l'idéologie écologiste. Mais les réalités
écologique, économique, géographique
et politique ne sont pas aussi facilement
réduites. Elles méritent un examen.
Le bois fut l'un des premiers
matériaux utilisés par l'homme. Avec le
temps, la spécialisation des utilisations
selon la qualité des essences s'est
dessinée. Les approvisionnements ont été
 L'exploitation du bois Documentation
et la deforestation : exemple du Brésil Générale

multipliés, élargis à l'échelle planétaire faut aller chercher ailleurs sans

suivant des motivations liées à la
recherche de l'adéquation entre la
qualité des essences et la destination des
productions. Les bois tropicaux ont d'abord
été recherchés pour l'ébénisterie (Acajou,
Ébène...), puis des bois à vocation
industrielle (Angélique, Méranti, Okoumé,
Azobé, Tauari...) ont relayé les premiers
dans les flux d'échanges l. Le marché
des bois tropicaux n'a fait que croître
depuis leur découverte. Le commerce du
bois s'est ainsi complexifié selon des
circuits d'exportation et de distribution
spécialisés dans lesquels interviennent une
multitude d'acteurs entre la forêt et le
consommateur de produits finis.
Il existe bien une filière organisée de
l'exploitation des bois tropicaux mais sa
diabolisation masque les raisons
profondes de la deforestation minière qu'il
amalgamer l'exploitation des ressources
naturelles à la destruction de la nature. Les
activités agricoles et pastorales en sont
aussi responsables mais il n'est pas aussi
simple ou vertueux de les dénoncer.
LES FORÊTS
DU MONDE TROPICAL
Les ressources forestières
On estime à 1 200 millions d'hectares
les forêts tropicales feuillues pour un total
de 3410 milliards d'hectares de forêts
mondiales, dont 56 % sont en Amérique,
25 % en Asie, 18 % en Afrique. De ce
total, 75 % seraient exploitables à des fins
1. Ministère de l'agriculture, Le commerce international des
bois tropicaux, 1982.
2. FAO, Forêts, statistiques d'aujourd'hui pour demain.
1961, 1991, 2010, 1993.

Forêts (1000 ha) % surface Hectares/1 000 habitants

Monde 3410851 26 644
Afrique 535848 19 835
Zaïre 113275 50 3185
Soudan 42976 18 1705
Amérique du Nord 530744 25 1240
Canada 247 164 27 9278
États-Unis 209573 23 839
Amérique du Sud 898184 51 3027
Brésil 561 107 66 3732
Pérou 67906 53 3151
Asie 463221 18 149
Chine 127780 14 112
Indonésie 109549 60 594
Europe 140196 30 280
Suède 24437 59 2853
Finlande 20112 66 4037
Océanie 87700 10 3287
Australie 39837 5 2332
Papouasie 36000 80 9292
Nouvelle Guinée
Ex URSS 754958 34 2609
Source : d'après données FAO, 1990 2.

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Documentation L'exploitation du bois
Générale et la deforestation : exemple du Brésil

Fig. 1 : Les forêts dans le monde

IIH Forêt dense équatoriale, sempervirente Forêt de feuillus, largement défrichée

E^§ Forêt intertropicale à feuilles caduques, Forêt méditerranéenne, largement défrichée
savane arborée, herbeuse
Forêt mixte de résineux et de feuillus, Forêt de conifères
largement défrichée

commerciales. Ce sont 147 milliards de variété est assez semblable à celle de

m3 de bois sur pied dont 52 % sont en
Amérique, 27 % en Afrique et 21 % en
Asie 3. Pourtant, la part tropicale dans
l'exploitation et la commercialisation du
bois n'excède pas 5 à 6 %.
L'exploitation
des forêts tropicales
Les forêts tropicales humides sont
exploitées depuis des siècles. D'abord
pour les bois précieux puis de plus en
plus pour les bois d' œuvre. Le boom
dans le commerce des bois tropicaux se
produit après la deuxième guerre
mondiale mais les forêts des trois continents
ne sont pas également touchées. Les
essences exploitables s'y présentent
différemment. En Afrique, l'éventail est
large mais la dispersion des individus
est grande. En Asie, l'éventail est plus
resserré mais la forêt est d'une grande
homogénéité. En Amérique Latine, la
l'Asie mais la forêt est beaucoup plus
hétérogène. Ces contraintes positives et
négatives se retrouvent dans la structure
du commerce mondial du bois tropical :
- 80 % des bois proviennent d'Asie
du fait de l'homogénéité de sa forêt ;
- 15 % des bois, seulement,
proviennent d'Afrique du fait des difficultés
d'extraction des essences dispersées, et
ce malgré la richesse variétale ;
- 5 % des bois proviennent
d'Amérique Latine dont la forêt
hétérogène rend difficile l'exploitation qui n'a
démarré que récemment.
Mais la croissance du commerce
mondial qui s'établit à 3 % par an
enregistre une transformation des
provenances : 4,6 % en Amérique Latine,
2,9 % en Asie et 1,1 % en Afrique.
3. B. Parant, Les bois tropicaux, CTFT, 1987.

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 L'exploitation du bois Documentation
et la deforestation : exemple du Brésil Générale

Fig. 2 : Les ressources forestières mondiales

87700 535848 898184 (1000 ha) Source : FAO.

L'exploitation connaît la plus forte - Écologique. Les forêts contiennent

croissance là où le potentiel est le plus
élevé et l'exploitation la plus attardée,
c'est-à-dire en Amérique Latine.
La destruction des forêts
tropicales : Mythe ou Réalité ?
Sur l'exemple de l'Asie du Sud-Est,
on croit percevoir, pour la fin du siècle,
une menace de disparition de la forêt
tropicale. Pendant longtemps, les forêts
tropicales ont été perçues comme des
«mines d'or vert» inépuisables. Puis,
brutalement, la menace surgit. Si elle
existe localement, les images de grumes
ou d'avivés alignés le long des routes
d'exploitation, les chiffres exprimés en
millions de m3 ou d'hectares peuvent
tromper en étant réduits à l'effet qu'ils
produisent. Or le problème est complexe
parce qu'il doit être abordé selon
différents points de vue 4 :
une grande diversité biologique : la
moitié des espèces animales et végétales y
vivent. Elles assurent aussi la fonction
de «poumon vert» et régulent les
climats. Elles constituent enfin le territoire
d'une réserve de populations primitives
préservées dont on peine à envisager la
survie sous ce seul angle « écologique » ;
- Économique. Les forêts, leurs
plantes, leurs animaux fournissent aux
hommes, nourriture, plantes médicinales,
matières premières végétales de tous
ordres. Ce sont des ressources primaires ;
- Sociale. L'exploitation de la forêt
est créatrice d'emplois directs et induits.
Elle permet la mise en place d'une série
4. H.L. Stoll, L'importance des forêts tropicales aux plans
écologique, économique et social; les causes de leur
destruction, les actions à engager pour les préserver.
Comité de protection de la forêt tropicale comme
ressource naturelle et renouvelable, ATIBT, 1994.

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n° 1, 2000
Documentation L'exploitation du bois
Générale et la deforestation : exemple du Brésil
d'infrastructures générales comme les
routes, les habitations, les hôpitaux, les
écoles. Les revenus tirés de la forêt se
traduisent le plus souvent par une
amélioration, si légère soit elle dans certains
cas, du niveau de vie des populations ;
- Politique. Les forêts sont souvent
des territoires de marge perçus comme
des frontières en même temps qu'elles
peuvent former de véritables ressources
nationales. À différentes échelles
géopolitiques, internes et externes, et même
planétaires, elles sont au centre d'enjeux
et de négociations. Depuis que ces enjeux
sont reconnus, la surface des forêts
tropicales a notablement diminué. Entre 1970
et 1980, la forêt tropicale humide a perdu
environ 7,5 millions d'hectares par an
soit une perte moyenne de 0,62 %. Puis
entre 1980 et 1990, la perte moyenne
s'est élevée à plus de 0,8 % par an. La
même évolution s'accélère depuis.
Diminution des surfaces
forestières tropicales
1970-1980 1980-1990
Afrique 0,6% 0,8%
Asie 0,6% 1%
Amérique Latine 0,7% 0,9%
Source : FAO, op. cit.
En Amérique Latine, plus de 4,3
millions d'hectares par an disparaissent, de
façon variable selon les pays ou les
régions (0,4 % par an au Brésil). On ne
peut nier la diminution des surfaces
forestières. Mais il convient d'en
identifier les causes réelles.
Les causes de la destruction
des forêts tropicales
Seulement 4 % des bois tropicaux
prélevés sont exportés. L'exploitation
forestière répondant au marché
international ne peut être tenue pour
responsable de la deforestation. En outre,
depuis 20 ans, la part des exportations
de bois tropicaux varie peu, de 4 à 5 %
du total mondial. Quelles activités
provoquent donc les ravages enregistrés ?
62 L'information géographique
n° 1, 2000
Ce sont d'abord les besoins croissants
des populations locales. Sur le total des
bois prélevés, 85 % fournissent le bois
de chauffage et le charbon de bois, 10 %
sont utilisés localement comme bois
d'œuvre et 5 % sont donc exportés.
Nous mesurons, là, la pression conjointe
de la croissance démographique et de la
pauvreté. Selon les projections de
l'Organisation des Nations Unies, la
population d'Asie du Sud devrait
atteindre 1,5 milliard, l'Afrique 650 à
900 millions, l'Amérique Latine
540 millions d'ici une quinzaine
d'années. Pour autant que cette croissance
doive s'étaler, les forêts, comme
réserves d'espace, sont menacées. Plus la
population est dense et pauvre, plus il
lui faut abattre et brûler du bois pour
assurer sa nourriture et sa survie. Dans
la situation actuelle, les surfaces défo-
restées sont, pour 60 %, des brûlis
agricoles incontrôlés, pratiqués par des
paysans indigènes ou migrants, 30 %
résultent de grands projets industriels ou
agricoles et 10 % d'une exploitation
(irrationnelle) de la forêt. En revanche,
l'exploitation forestière contrôlée
n'implique pas la destruction mais quelques
conséquences limitées comme les pertes
liées à la mise en place d'infrastructures
(routes, pistes, chemins
d'exploitation...). C'est en arrière du front
d'exploitation que des transformations
durables et dégradantes sont enregistrées.
Les infrastructures mises en place
pour l'exploitation, entraînent
inexorablement une ouverture du couvert
forestier et sont incitatrices de défrichements
agricoles et pastoraux. Il est nécessaire
de distinguer les causes apparentes et les
origines. Si l'abattage semble la cause
de la deforestation, ce n'est qu'un
élément d'un système plus large dans
lequel l'organisation globale de l'espace
et les modes d'établissement humain
sont plus déterminants. Le long des axes
de communications (pistes, pénétrantes
forestières), s'opère une pseudo
sédentarisation destructrice. Pseudo car l'iti-
 L'exploitation du bois
et la deforestation : exemple du Brésil
nérance reste pratiquée. Dans ces zones
faiblement organisées, on profite
toujours des meilleures opportunités du
moment en brûlant de nouvelles
parcelles de forêt à la recherche de sols
neufs. Il reste que la pression
démographique et l'industrialisation expliquent
une augmentation de la consommation
de bois d' œuvre dans les pays tropicaux.
L'émergence et le développement d'un
tissu industriel impliquent des besoins
en bois qui induisent des prélèvements
forestiers plus importants,
compromettant ainsi l'avenir de la forêt.
Quand la forêt n'est pas détruite
totalement, elle est souvent exploitée de
façon abusive, successive, détruisant les
jeunes arbres d'avenir et laissant une
forêt à la structure totalement perturbée
et intermédiaire. L'exploitation anar-
chique par des « non professionnels » est
très destructrice, surtout dans les zones
les plus accessibles. En revanche,
l'exploitation rationnelle pratiquée selon des
règles précises, (niveau de prélèvement
réduit, techniques de rationalité) existe
aussi, sans destruction. Elle est pratiquée
par des sociétés d'exploitation qui n'ont
aucun intérêt à voir disparaître les forêts.
Les conséquences de la
destruction des forêts tropicales
et les moyens de la préservation
Elles sont connues même si elles ne
sont pas parfaitement mesurées. Les
forêts tropicales, du fait de leur surface
relative, ont une grande influence sur les
climats locaux et régionaux mais on leur
donne probablement une trop grande
importance à l'échelle mondiale. Malgré
tout, si de jeunes arbres sont abattus, on
empêche la régénération naturelle de la
forêt. Or on sait aujourd'hui que ce sont
les jeunes arbres qui sont les plus forts
absorbants de CO2... qui, lui, est émis
par les régions industrialisées.
L'abattage anarchique des essences
locales tropicales déstabilise bien
évidemment les écosystèmes forestiers en
L'information géographique
n° 1, 2000
Documentation
Générale
modifiant leur composition floristique et
en perturbant l'habitat de la faune qui
fuit. Parallèlement, la destruction des
forêts par le feu livre les sols à l'érosion
et à la latérisation. La deforestation
rompt un équilibre en accélérant
l'érosion du sol par l'eau, spécialement en
climat equatorial ou tropical humide aux
pluies fréquentes et violentes.
Comment assurer la pérennité des
espaces forestiers? Le milieu forestier
est complexe, fragile, long à régénérer.
De plus c'est un milieu extrêmement
convoité puisque très riche... surtout
dans les pays tropicaux où la convoitise
est d'autant plus forte que les
populations riveraines sont pauvres et
démunies. Devant le problème de la
deforestation, un Plan d'Action Forestier
Tropical (PAFT) a été conçu par la Food
and Agriculture Organization (FAO),
l'Association Technique Internationale
des Bois Tropicaux (ATIBT), et le
Centre Technique Forestier Tropical
(CTFT). L'International Tropical
Timber Organization (ITTO) vise à la
conservation de la forêt par le biais de
son exploitation 5.
Le PAFT prévoit que chaque pays
dispose de son propre plan adapté à ses
caractéristiques géographique,
économique et sociale, approuvé par le
gouvernement, mis en œuvre grâce à des
fonds nationaux et internationaux. Le
PAFT préconise d'aménager les forêts
pour en assurer leur gestion durable et
seules les forêts qui bénéficient de cette
planification sont réellement protégées
par l' articulation du contexte
socio-économique, des connaissances techniques
et scientifiques dans la perspective
d'une exploitation donc d'un
développement durable.
Le PAFT est principalement établi
sur le constat de la mauvaise gestion des
réserves forestières tropicales. Aussi
préconise-t-il des remèdes techniques et
5. H.L. Stoll, op. cit.
63
Documentation L'exploitation du bois
Générale et la deforestation : exemple du Brésil
organisationnels. Ses principaux thèmes
sont la reforestation des surfaces
d'exploitation agricole sur brûlis pour la
stabilisation des climats et la régulation du
cycle de l'eau; l'élaboration d'une
économie qualifiée d' agro-forestière
réalisant une parfaite symbiose entre les
économies forestière, agricole et pastorale
dans un éco-système existant;
l'exploitation des forêts primaires ou
secondaires avec mise en application des
principes de pérennité.
Le but du PAFT n'est pas d'interdire
l'accès des forêts tropicales primaires
mais d'en conduire une exploitation
sélective, intelligente, de 2 à 3 arbres à
l'hectare, préservant ainsi 90 % de la
forêt. Seulement 10 % de cette forêt
serait endommagée partiellement
(abattage, débardage) ou détruite totalement
(construction de pistes et de routes).
Évidemment, la conception essentiellement
technique du plan prend peu en compte
la pression démographique et sociale sur
les réserves d'espace que forment les
forêts. C'est un plan d'économie
forestière qui prévoit de stopper en priorité
l'exploitation agricole et pastorale non
planifiée sur brûlis et l'abattage sauvage,
qui favorise, au contraire, la reforestation
et la création de plantations forestières
(sylviculture des forêts naturelles). Ces
actions sont à mener avec la plus grande
attention tant la complexité des
écosystèmes forestiers tropicaux et l'ignorance
de beaucoup de leurs modes de
fonctionnement sont importantes. Les outils
scientifiques et techniques existent,
cependant, et progressent, permettant des
aménagements opérationnels à court
terme. La télédétection permet de
délimiter l'extension des formations naturelles,
de détecter l'impact humain. Elle fournit
donc la première série de données
nécessaires à un bon aménagement.
L'inventaire du terrain qui a fait ses preuves
depuis bien longtemps en milieu tropical,
permet non seulement d'établir les
potentialités floristiques, de biomasse et
de faune, mais autorise aussi à définir et
64 L'information géographique
n° 1, 2000
à classer les sols selon leur fertilité, leur
érodabilité et leur vocation première.
L'enquête socio-économique repère les
filières d'écoulement des produits issus
de la forêt et les besoins des populations
rurales, des entreprises privées ou de
l'État. La mise en œuvre des aménagements
est donc le fait d'une coopération étroite
entre l'administration, le secteur privé, et
les populations locales. L'aménagement
rationnel ne peut être efficace qu'à ce
prix de concertation.
Préserver la forêt c'est établir un
équilibre entre plusieurs sortes de
demandes et une seule offre.
L'exploitation et le commerce des bois tropicaux
n'en forment qu'une fraction réduite
mais pourraient être à l'initiative d'une
attitude nouvelle face à la ressource. Par
la vente des bois de la meilleure valeur
ajoutée possible, les revenus importants
devraient permettre la réduction du
mouvement de destruction par la
stabilisation forestière des territoires
exploités. Ainsi la coopération internationale
va-t-elle dans le sens de la préservation
des espaces forestiers tropicaux alors
que les pressions unilatérales locales en
accélèrent la destruction. C'est que le
PAFT est envisagé comme une gestion
globale, planétaire. Alors se pose un
problème d'échelle entre
compréhension (globale) et action (locale) qui
opposent les intérêts internationaux et
nationaux voire régionaux.
LA SITUATION BRÉSILIENNE
Les ressources
forestières brésiliennes
Selon les différentes estimations de la
FAO, du CTFT, de l'ATIBT, de
l'ITTO... l'Amérique Latine possède les
plus importantes ressources forestières
mondiales, 25 %, et 56 % des ressources
forestières tropicales. Le Brésil, avec
561 millions d'hectares dont 60 % en
Amazonie en recèle la majeure part (25
à 30 % des ressources mondiales en bois
 L'exploitation du bois
et la deforestation : exemple du Brésil
tropicaux) avec les qualités et les défauts
structurels décrits plus haut.
Conscients des enjeux globaux et
locaux, les Brésiliens ont créé des
organismes qui se développent en liaison
avec les instituts techniques
internationaux (CTFT, ATIBT...) et font un gros
effort de connaissance et de
vulgarisation des essences 6. Des mesures sont
prises pour doper le commerce des bois
tropicaux. Le Brésil est de loin le
premier producteur de bois tropical
d'Amérique latine (94 %) et pourtant il
n'assure que 4 à 5 % du marché mondial.
Il existe au Brésil plusieurs types de
forêts. Sur la façade Atlantique du
Brésil, on trouve, ou plutôt on trouvait,
une forêt tropicale hygrophile, semper-
virente. Elle a totalement disparu tant le
défrichement dans cette zone a été
important. Dans le sud subtropical,
existait une forêt mixte et homogène où les
conifères abondaient. La strate
supérieure était faite d'Araucarias à port de
parasol, parfois de cèdres et de palmiers
et de quelques feuillus subtropicaux 7.
Cette forêt mixte a subi d'intenses
défrichements et a disparu elle aussi. Les
Cerrados sont des savanes «fermées»
ou arborées qui occupent le cœur du
pays, c'est-à-dire la plus grande partie
du plateau brésilien. Ils se présentent
comme une maigre forêt tropicale où se
superposent espèces caducifoliées et
palmiers comme le «Babaçu».
En Amazonie, la forêt de type
equatorial ou tropical humide, dense,
hygrophile ou ombrophile, sempervirente,
forme le plus grand massif du monde 8.
Comme toutes les forêts équatoriales,
elle se caractérise par la luxuriance de sa
végétation et la grande hétérogénéité de
sa composition floristique, même sur
une surface très réduite. C'est un
domaine où se côtoient des milliers d'espèces
végétales dont certaines ne sont même
pas identifiées, des milliers d'animaux...
Le tout dans un imbroglio quasi
L'information géographique
n° 1, 2000
Documentation
Générale
trable où s'étagent trois strates de
végétation arborée auxquelles il convient
d'ajouter tout un réseau de lianes,
epiphytes, saprophytes, fougères et
parasites. Il existe, en Amazonie, trois
principaux types de forêts (fig. 3). Les forêts
de varzea couvrent 7 millions
d'hectares. Elles se situent dans des zones
inondables à l'époque des crues (et
périodiquement inondées de Décembre
à Juin). Elles s'étendent sur une largeur
qui peut atteindre jusqu'à 80 km de part
et d'autre des rivières. Cette forêt se
compose surtout d'essences dites
« blanches », essences de bois tendres ou
à croissance rapide comme le Virola, le
Taxi, l'Açai, le Breu... On y rencontre
aussi bon nombre de palmiers Açai,
Paxiuba, Babaçu, Buriti... Ce fut dans
l'histoire de l'Amazonie, la première
forêt exploitée, bien avant la
construction des routes, pour d'évidentes raisons
d'accessibilité. D'ailleurs, même
aujourd'hui, la quasi totalité des bois extraits
et exportés l'est par flottage. Les forêts
de terra firme, avec 253 millions
d'hectares, sont incontestablement les plus
vastes. Elles s'étendent sur les inter-
fluves. À l'inverse de la forêt de varzea,
la forêt de terre ferme est plus riche en
essences «dures» comme le Pau
Amarelo, l'Angelim Vermelho, le Mas-
saranduba... Ce sont des essences plus
difficiles à travailler mais ce sont aussi
les plus utilisées en menuiserie et en
construction. Cette forêt est le plus
souvent composée d'arbres magnifiques,
grands, dont le peuplement est
hétérogène, fonction des facteurs pédologiques,
topographiques, climatiques et éda-
phiques. Impossible de parler d'une
forêt de terra firme, le pluriel s'impose.
Les Igapos, enfin, sont des terres
marécageuses toujours inondées, dont les
sols sont hydromorphes. Ils possèdent
6. CTFT, ATIBT, OIBT, Atlas des bois tropicaux d'Amérique
latine, 1990; B. Parant, M. Chichignoud, P. Vantomme,
Présentation graphique des caractères technologiques
des principaux bois tropicaux, t. VI : Bois Brésil, CTFT.
7. J. Demangeot, Le continent brésilien, SEDES, 1972.
8. M. Droulers, L'Amazonie, Nathan Université, 1995.
65
Documentation L'exploitation du bois
Générale et la deforestation : exemple du Brésil

Fig. 3 : Formations végétales de l'Amazonie légale

Formations végétales :
Varzea et igapo
^^ Forêt de terra firme
k\N Forêt de semi-humide
I I Cerrado
I

• Capitale d'État

une végétation dense mais qui ne m3. Comparée à certaines régions

présente pas ou peu d'intérêt commercial.
C'est la forêt la plus basse, la plus
pauvre et la plus inextricable possible.
Elle est très peu utilisée car totalement
enclavée. Dans ces trois types de forêts
on recense environ 2000 essences dont
seulement 200 ont une valeur
commerciale locale et à peine une quarantaine
sont internationalement cotées. De plus,
la grande hétérogénéité de la forêt n'est
pas compensée par la présence d'arbres
très réguliers, de fort diamètre ; ce sont,
au contraire, des troncs de faible
diamètre : 50 à 70 cm. Aussi, selon les
estimations du Ministère Brésilien de
l'Agriculture 9, le potentiel commercia-
lisable ne serait que de 11 milliards de
d'Afrique ou d'Asie du Sud Est, la forêt
amazonienne apparaît comme une forêt
pauvre. Les volumes commercialisables
y sont de l'ordre de 45 m3 par hectare au
maximum, avec une exploitation actuelle
de 2 à 12 m3 qui reste modérée.
Économiquement, c'est l'abondance et
l'étendue qui forment la richesse. Et en raison
de la nouvelle accessibilité routière, les
forêts de terra firme sont les plus
touchées par l'exploitation mais aussi plus
globalement par la deforestation.
9. Ministère Brésilien de l'Agriculture, Madeira da
Amazonia, 1989.

66 L'information géographique
n° 1, 2000
 L'exploitation du bois
et la deforestation : exemple du Brésil
La deforestation
La superficie totale défrichée jusqu'à
présent en Amazonie ainsi que le volume
de défrichements annuels sont sujets à de
nombreuses controverses. L'ana-lyse des
images satellitales permet, cependant,
d'affirmer que la deforestation progresse
nettement selon des évaluations
probables satisfaisantes d'après Philippe
Lena 10. Le total des surfaces déboisées
depuis le début de la décennie soixante-
dix (prenant en compte exclusivement les
zones de forêt dense humide) atteignait
300000 km2 en 1989, soit 9,5 % de la
forêt comprise dans l'unité administrative
appelée Amazonie légale (États
amazoniens, Mato Grosso, Nord Goias (actuel
Tocantins), Est Maranhao). Du milieu des
années soixante jusqu'en 1977,
seulement 54000 km2 avaient été défrichés;
aujourd'hui, ce sont 335000 km2
(400000 si l'on compte les cerrados). Le
plus inquiétant fut l'accélération des
déboisements de la décennie quatre-
vingt. Depuis, le mouvement s'est ralenti.
Ce déboisement est très inégal suivant
les états et les régions. Les marges sud
de l'Amazonie ont été les plus atteintes
car elles sont situées dans le
prolongement des voies traditionnelles
d'expansion de la société nationale. Le Mato
Grosso a perdu 13,9 % de sa forêt, le
Rondonia 14,6 %, le Nord Goias
(Tocantins) 22,2 %, le Para 11,8 %. Pour
ce dernier État dont Belem est la
capitale, le sud et le sud-est seulement ont été
très touchés. Le nord et le sud-ouest sont
restés intacts. L' Amazonas, enfin, le plus
vaste des états amazoniens, n'a perdu
que 1,4 % de ses surfaces forestières.
La deforestation a été le plus souvent
effectuée par le feu. Les forestiers n'en
sont donc pas les responsables directs
mais plus souvent les éleveurs, les
agriculteurs et parfois l'administration elle-
même. Le gouvernement a tenté de
réagir en renforçant le contrôle des
défrichements illégaux. Mais cette démarche
a vite rencontré ses limites : crise
L'information géographique
n° 1, 2000
Documentation
Générale
cière de l'État, manque de personnel et
de matériel, corruption de certains
fonctionnaires. Les défrichements
«sauvages» continuent toujours même si le
rythme de l'extension a décru.
Près de 20 millions d'habitants vivent
en Amazonie légale, dans une région
grande comme 0,6 fois l'Europe (1,5
million en 1940), soit une densité de 4
habitants au km2 (fig. 4). C'est presque un
désert boisé dont la surface défrichée est
équivalente à la Surface Agricole Utile de
l'Angleterre, de l'Allemagne et de la
France réunies alors que le produit
agricole est toujours insignifiant. La
croissance démographique y est très forte,
deux fois plus rapide que dans la
moyenne brésilienne et un doublement de la
population est attendu dans les quinze
années à venir, d'autant que l'Amazonie
est une région d'immigration nette
depuis le Nordeste ou le Centre-Ouest
voisins et pauvres, par les pénétrantes de
la deforestation n. L'Amazonie est
encore un front pionnier, et c'est ainsi qu'il
faut l'envisager géographiquement plutôt
qu'en entrant directement par la
problématique écologique planétaire.
De périphérie délaissée l'Amazonie
est d'abord devenue attractive par ses
ressources, puis réserve d'espace avant
que, les connaissances sur l'Amazonie
progressant, cette portion du territoire
brésilien devienne en elle-même une
ressource géopolitique. La mise en
valeur rationnelle accompagne cette
évolution, l'État intervenant dès 1970
par un vaste programme de désenclave-
ment et de développement : le Plan
d'Intégration Nationale ou PIN.
La première grande réalisation
pionnière fut sûrement la construction des
routes dites transamazoniennes, suivie
de la colonisation agricole et pastorale.
Les deux phénomènes sont intimement
10. Ph. Lena, Colonisation et modernisation agricole en
Amazonie brésilienne, CIRAD, 1985.
1 1. H. Théry, Le Brésil, Masson, 1989.
67
Documentation L'exploitation du bois
Générale et la deforestation : exemple du Brésil

Fig. 4 : Région Nord et l'Amazonie légale

liés, puisque, sans axe de colonisation, La colonisation

sans route ni pénétrante forestière, le L'Amazonie a connu trois types de
peuplement de l'Amazonie et sa mise en
colonisation, la colonisation publique
valeur auraient été impossibles. C'est
fédérale, la colonisation privée, la
une mutation géographique radicale qui
colonisation spontanée 12. La première est
renverse la région des fleuves vers les
fondée sur l'accueil de migrants venant
routes. À cela s'ajoute une mêlée majoritairement du Nordeste. L'État a
sociale et ethnique nouvelle qui place en
mis en place toute une série de projets de
proximité les pauvres nordestins et les colonisation liés aux axes routiers.
riches étrangers, des paysans sans terre
Chaque colon recevait 100 hectares en
et des compagnies internationales
bordure des routes dont,
d'investissement et un imbroglio d'objectifs
obligatoirement, la moitié devait rester sous forme
économiques et de techniques qui
de forêts. Ce lot était cédé à des prix très
dessinent difficilement une nouvelle bas. L'outillage nécessaire était fourni,
géographie. C'est le propre d'une période de
six mois de salaire permettant d'attendre
mise en place durant laquelle tout bouge la première récolte et un titre provisoire
encore très vite. Nous pouvons y voir un
peu plus clair cependant. 12. INCRA, Coloniçao da Amazonia, 1970.

68 L'information géographique
n° 1, 2000
 L'exploitation du bois
et la deforestation : exemple du Brésil
de propriété. Cette colonisation
s'accompagnait d'une planification ultra
rationnelle avec un système de réseau
urbain assez strict. Tous les 5 à 10
kilomètres on rencontrait un «agrovillage»,
tous les 40 kilomètres une « agroville » et
au sommet des centres régionaux
appelés «ruropolis» 13. Mais très vite, ces
programmes de colonisation connurent
des difficultés et des problèmes
importants. Les lots octroyés présentaient des
fertilités très différentes et plus souvent
médiocres. Il en a résulté des rendements
faibles, un épuisement ultra rapide des
sols même avec le brûlis. C'est l'échec
qui a enclenché la poursuite du
mouvement migratoire à l'intérieur du massif
forestier entraînant de nouvelles
destructions, spontanées cette fois.
À la fin des années 70, l'État
abandonnait ce type de projet relayé par la
colonisation privée. Elle a été
encouragée à partir de 1974, dans la mesure où
elle coûtait moins chère. Elle attirait des
agriculteurs plus riches et plus sûrs du
fait de leur investissement personnel. La
première colonisation était de petite
agriculture familiale tandis que la
deuxième est destinée à l'élevage ou aux
cultures commerciales à vocation
nationale. Dans ce cas, ce sont des migrants
venus du Sud et du Sudeste, bénéficiant
des incitations fiscales de 1974 à 1988
qui sont arrivés. L'élevage a été leur
principal choix, sur de très vastes
surfaces définitivement déforestées.
Économiquement, le résultat est plus favorable
mais écologiquement et en matière de
peuplement ou d'organisation de
l'espace, l'élevage extensif ainsi promu
stérilise de vastes portions du territoire et
contribue à l'enclavement des fronts plus
avancés, isolés par leur arrière.
Enfin, la colonisation spontanée s'est
infiltrée partout, aussi bien autour des
projets publics que privés 14. Elle se
développe dans une ambiance de conflit
et de violence, entreprise par des
paysans sans terre, souvent sans argent,
L'information géographique
n° 1, 2000
Documentation
Générale
s 'installant sur des terres a priori
vierges, libres, de propriété publique ou
au statut vague et mal défini. Ce sont les
posseiros ayant fui la sécheresse nordes-
tine pour tenter leur chance dans le
Nord. Face à ce phénomène, la loi
brésilienne est complexe, peu claire et
surtout profondément détournée. La
«Posse», droit de possession, entraîne
des confusions foncières sans précédent
qui se traduisent par expulsions,
disparitions, morts... Dans ces conditions, la
rotation des colons est extrêmement
rapide. Après deux ou trois années de
récolte sur leur 100 hectares, c'est le
déclin assuré. Le petit agriculteur quitte
sa terre pour un nouveau lot, plus
lointain, où tout est à refaire : défrichement,
brûlis, mise en culture. Les terres plus
ou moins spontanément abandonnées
sont reprises dans de vastes fazendas
d'élevage. L'élevage est devenu
l'activité prépondérante surtout sur les marges
sud de l'Amazonie où de grands
domaines se mettent en place par
investissement de propriétaires nationaux ou
internationaux. La loi de colonisation se
trouve alors détournée puisque le
défrichement intégral est normalement
interdit. On ne peut normalement déboiser
que 50 % d'un lot, les autres 50 %
devant rester en forêt 15.
L'exploitation forestière contribue
elle aussi au mouvement pionnier. Au
Brésil 88 % des terres forestières
appartiennent à l'État, mais cette répartition
est très inégale suivant les régions
puisque dans le Sud, 77 % des forêts
sont privées alors que 8 % seulement le
sont en Amazonie. Sur ces 8 %, 82 %
des propriétés sont de taille moyenne,
environ 300 hectares, 12 % sont de
grande taille, environ 3000 hectares et
6 % sont de très grande taille, environ
20000 hectares 16.
13. IDESP, Para desenvovilmento : a Amazonia na constitui-
çao, 1988.
14. Ph. Lena, op. cit.
15. IBAMA, Codigoforestal, 1965.
16. INCRA, Pwgrama da terra, 1992.
69
Documentation L'exploitation du bois
Générale et la deforestation : exemple du Brésil
Au Brésil, le système des concessions
n'existe pas. L'exploitant doit être le
propriétaire des terres sur lesquelles il
abat. Ainsi, la loi, en contraignant à
l'achat des terres, limite l'exploitation
forestière. Peu d'investisseurs, étrangers
ou non, se présentent pour mettre en
valeur ces terres lointaines voire
inconnues, marquées par des images
stéréotypées pas toujours très avantageuses. Ce
système d'achat des surfaces forestières
connaît cependant des effets pervers. Il
incite les exploitants aux coupes à blanc
pour en tirer un profit immédiat
maximum. Toutes les essences, utiles ou non
sont touchées. Après un tel nettoyage, la
parcelle dégagée peut être cultivée ou
mise en pâturage, activités bien plus
rémunératrices que le reboisement ou la
régénération forestière qui immobilisent
l'investissement pour de nombreuses
années.
L'exploitation forestière
Le Brésil possède plus de 3300000
km2 des 5800000 km2 du massif
amazonien 17. La forêt est la principale
richesse de la région Nord. Il peut
sembler vital de l'exploiter autrement que
comme une mine mais en prenant en
compte les contraintes d'échel-les
variées : écologique locale, politique et
sociale nationale, économique
internationale.
L'exploitation minière de la forêt
anéantit les écosystèmes et lance une
boucle systémique qui passe par la
modification du climat local et la sava-
nisation définitive. Toute l'Amazonie
n'est pas touchée mais seulement sa
«périphérie», en fait centrale au plan
national. Cette exploitation minière
précède une transformation de la nature de
l'espace, très typique des arrière-fronts.
Pour éviter cette dérive, les aides de
l'État, sous formes d'incitations fiscales
ou de prêts à taux préférentiels ont été
supprimées en 1988. Les grands
propriétaires, les fazendeiros, hésitent
70 L'information géographique
n° 1, 2000
davantage à se lancer dans de grandes
opérations. Mais la deforestation
continue pourtant. Elle est aujourd'hui le fait
des petits agriculteurs et éleveurs qui
prennent le relais. Certes ils défrichent
des surfaces plus réduites mais leur
nombre et l'impossible contrôle
permettent le développement du phénomène.
Parallèlement, il ne faut pas négliger le
nombre des madeireiros (forestiers
locaux) qui détruisent la forêt en
réalisant de grandes coupes sans se soucier
de l'avenir. Cela est d'autant plus
important que la plupart des États
amazoniens vivent essentiellement des
revenus des ressources forestières, dont le
bois est souvent la première.
Pourtant, l'exploitation forestière,
bien menée, n'est que partiellement
destructrice du milieu naturel. On
n'anéantit pas le capital forestier amazonien en
évacuant 4 ou 5 grumes commerciali-
sables à l'hectare. Certes les pénétrantes
forestières détruisent définitivement
d'assez considérables surfaces mais
elles facilitent surtout l'arrivée de
migrants spontanés.
Face à l'État, madeireiros,
fazendeiros, posseiros sont les principaux acteurs
de l'espace amazonien. Ils vivent
ensemble, dans une relation sociale très
concurrentielle. C'est le problème
principal de l'Amazonie qu'il ne faudrait
pas cacher derrière l'alarme écologiste
planétaire. D'autant, qu'au passage,
l'exploitation forestière rationnelle est
amalgamée dans l'opprobre généralisé
alors qu'elle peut contribuer à la mise en
place d'un système régional durable. Il
ne faut pas confondre les coupes
sauvages qui accompagnent les fronts
pionniers agricoles et pastoraux avec
l'exploitation forestière. Une véritable
filière s'y organise même si elle est encore
un peu lâche.
17. Ph. Lena, L'Amazonie, la recherche et le développement,
exposé-débat du CRESTIG, 1990.