Vous êtes sur la page 1sur 11

 

Section I.3.1

LES FORÊTS TROPICALES : MENACES ET PERSPECTIVES


Sommaire

 3.1.1 - L'Union européenne et les forêts tropicales : une vieille


histoire qui s'accélère
 Un nouveau regard sur les forêts tropicales
 Un nouvel engagement de l'Union européenne
 3.1.2 - Déforestation et plantation
 L'étendue de la déforestation
 Les plantations ne remplacent pas la forêt naturelle
 3.1.3 - A travers perturbations et ruptures... vers un nouvel
équilibre ?
 Les effets des forêts et de la déforestation sur le climat
 La protection des sols et la régulation des eaux douces
 La forêt tropicale, réserve génétique
 L'utilisation de la forêt
    3.1.4 - Pourquoi la déforestation ?
 Le développement agricole
 Les infrastructures
 L'exploitation forestière
 Les causes structurelles de la déforestation

3.1.1 - L'Union européenne et les forêts tropicales : une vieille


histoire qui s'accélère

L'intérêt de l'Union européenne pour les forêts tropicales est ancien. Sans
remonter jusqu'aux premiers échanges commerciaux, vers la fin du XIXe
siècle, au moment où ils s'étaient donné une responsabilité de gestion des
territoires tropicaux qui devenaient leurs colonies, plusieurs pays de l'Union
européenne ont mené d'actives recherches botaniques : il fallait commencer
par connaître ce que l'on devrait désormais gérer.

Avec l'utilisation croissante des bois d'oeuvre de forêt naturelle, est apparue
la nécessité de gérer de manière durable les forêts tropicales, et de mettre
au point des méthodes sylvicoles adaptées à une production soutenue de
bois. L'analyse de ces méthodes de sylviculture n'a pas sa place ici, si ce
n'est par leur impact. Les résultats en effet n'ont pas toujours été à la
mesure des efforts consentis, pour diverses raisons, les principales étant que
la continuité de la gestion n'a pas souvent pu être assurée, et que bien des
forêts aménagées ont changé d'affectation pour être, par exemple,
transformées en cultures de rente. La forêt était mise en concurrence avec
d'autres modes d'occupation de l'espace, notamment le développement de
l'agriculture, qui passait nécessairement par la "mise en valeur" de terres
non cultivées, fussent-elles recouvertes de forêt.

Un nouveau regard sur les forêts tropicales

La perception des choses a beaucoup évolué depuis dix ans, principalement


en raison de la prise de conscience de deux évolutions majeures.

 D'une part, l'atmosphère terrestre se réchauffait lentement depuis


plusieurs décennies, en même temps qu'augmentait la teneur de l'air
en dioxyde de carbone. Ces deux phénomènes, entre lesquels on
trouvait une relation évidente, étaient porteurs d'influences
extrêmement difficiles à prévoir sur le climat, le niveau des mers, etc.
 D'autre part, la superficie des forêts tropicales diminuait
dangereusement. Les évaluations faites par la FAO montraient qu'en
1980 leur superficie diminuait de 11.3 millions d'ha/an et qu'en 1990
le rythme annuel de déforestation était passé à 15.4 millions d'ha. A
cette déforestation correspondait une perte importante de biomasse,
dont la combustion ou la dégradation renvoyait dans l'atmosphère
des millions de tonnes de carbone, qui ne pouvaient que contribuer à
l'augmentation de l'effet de serre et au changement du climat.

La conservation des forêts tropicales humides devenait alors un enjeu


d'intérêt mondial, non pas pour leur fonction de production, mais
principalement pour leur rôle supposé dans le climat global. L'opinion
internationale, et notamment communautaire, s'est prononcée contre les
projets de développement agricole en Amazonie, ou contre l'exploitation des
bois tropicaux jugée responsable de la déforestation. Des organisations non
gouvernementales se sont créées. On se mobilisait pour défendre
l'environnement, la biodiversité, les peuples indigènes. La Banque mondiale
a révisé en 1990 et 1991 sa politique forestière dans un sens plus favorable
à la conservation des forêts tropicales.

Un nouvel engagement de l'Union européenne

Dans le même temps, les institutions communautaires se sont aussi


mobilisées sur la question des forêts tropicales. Le Parlement européen,
reflétant les préoccupations de l'opinion, a produit diverses résolutions et
rapports sur la conservation des forêts tropicales, et un Manuel sur la
politique forestière commune, qui consacre un chapitre aux questions
relatives aux forêts tropicales. Des crédits supplémentaires ont été orientés
vers des actions en forêt tropicale, en Amazonie et dans d'autres régions. La
Commission a préparé des communications et propositions en faveur des
actions en forêt tropicale, le Conseil a élaboré le cadre futur de ces actions.
Il était nécessaire de réunir les informations éparses. En lançant l'étude
d'une stratégie communautaire globale dans le secteur forestier, le
Parlement européen a pris l'initiative d'y inclure un volet important sur les
forêts tropicales.
3.1.2 - Déforestation et plantation

La complexité des écosystèmes forestiers tropicaux, la difficulté d'établir des


statistiques fiables, un sentiment obscur de peur associé à la déforestation
et un caractère trop souvent mythique donné aux forêts tropicales, ont pu
contribuer à la confusion des idées. C'est un des objectifs de cette étude que
d'essayer de faire le point des connaissances disponibles.

L'étendue de la déforestation

La déforestation, estimée par la FAO à 15.4 millions d'ha/an entre 1980 et


1990, concerne inégalement les trois grandes régions tropicales dont il sera
question tout au long de ce rapport : l'Afrique, l'Asie et l'Amérique latine. Ce
total des superficies déforestées doit être rapproché des superficies
couvertes de forêt. Ainsi, les plus grands déboisements se font en Amérique
latine, mais c'est en Asie que la forêt serait la plus menacée de disparition, si
le rythme actuel devait se prolonger. En Afrique, une grande partie des
zones facilement accessibles ont déjà été déforestées. En dépit des
précautions prises par la FAO pour l'établissement de ces statistiques, ces
données doivent être considérées avec prudence, notamment en raison de
l'imprécision du terme "déforestation" : quelle proportion de la forêt doit-elle
avoir disparu pour que l'on parle de déforestation ? Et certaines
déforestations ne sont pas définitives. Elles sont suivies par l'apparition d'un
recrû forestier qui donne naissance à une forêt secondaire remplissant
certaines des fonctions de la forêt originelle. Mais en dépit des réserves qui
peuvent être formulées, un consensus existe sur la disparition, chaque
année, de millions d'hectares de forêts tropicales.

Les plantations ne remplacent pas la forêt naturelle

Pour corriger les effets de la déforestation, on ne peut pas recréer les forêts
naturelles disparues. En effet, ces forêts sont des écosystèmes très
complexes dans lesquels vivent de très nombreuses espèces animales et
végétales, liées entre elles par des relations d'interdépendance, notamment
pour leur alimentation et leur reproduction. En outre, les exigences des
diverses espèces en éclairement, température, humidité de l'air... sont le
plus souvent inconnues. Il est donc pour longtemps encore exclu de
prétendre reconstituer artificiellement des forêts naturelles. Mais il est
possible de créer des forêts plantées, qui sont au départ beaucoup plus
simples qu'une forêt naturelle, mais qui s'enrichiront progressivement, et
dont la création est justifiée par un objectif précis qui peut être de protéger
un sol ou de l'enrichir en humus, de produire du bois ou d'autres produits...

Ces plantations constituent un investissement de coût élevé et couvrent des


superficies bien inférieures à l'étendue de la déforestation. De plus, une
partie seulement des superficies plantées est menée à bonne fin. Cela
s'explique par la difficulté de l'entreprise, qui demande pendant plusieurs
années une continuité de l'effort d'investissement et qui est soumise à de
nombreux aléas, tels que les incendies ou les attaques parasitaires. C'est en
Asie que se réalise la plus grande partie des plantations forestières tropicales
(80 % des surfaces plantées chaque année).
3.1.3 - A travers perturbations et ruptures... vers un nouvel
équilibre ?

Les forêts tropicales ont des fonctions écologiques, sociales et économiques


multiples : elles ont une influence sur le climat, elles contribuent à la
conservation et à la régénération des sols, elles produisent du bois et de
nombreux produits ; mais leur produit principal, en bien des régions, est la
restauration de la fertilité des sols dans les jachères forestières (culture
itinérante). Enfin, plus globalement, elles sont le cadre de vie de près de 300
millions de personnes dans le monde, dont 12 millions qui en dépendent
directement. Mais combien de temps la forêt pourra-t-elle assurer tous ces
rôles ? Pression démographique et exigences du développement conduisent
à une évolution rapide. Des équilibres nouveaux doivent être trouvés.

Les effets des forêts et de la déforestation sur le climat


Climat général et flux de carbone

Les changements de climat sont un phénomène permanent sur la Terre et se


produisent à toutes les échelles de temps. C'est l'accélération du
changement qui constitue le facteur nouveau, et l'homme y joue de toute
évidence un rôle depuis la révolution industrielle. Les estimations suivantes
tendent à le confirmer :

 la teneur de l'air en dioxyde de carbone a augmenté de 0.0315 à


0.0349 % entre 1958 et 1988,
 sur des flux de carbone vers l'atmosphère, dont le total annuel estimé
est de 5.6 gigatonnes de carbone, 0.5 à 0.8 gigatonne seraient dû à
la destruction des forêts tropicales, le reste provenant des
combustibles fossiles (pétrole, charbon...).

La déforestation tropicale n'est donc pas une cause négligeable de


l'enrichissement de l'atmosphère en dioxyde de carbone, mais il est clair que
la cause principale reste le déstockage du carbone fossile.

Ce déstockage peut-il être compensé par des plantations d'arbres, en


particulier dans les régions tropicales, où peuvent être obtenues les
croissances les plus rapides ? A raison de 5 tonnes de carbone fixées
annuellement par ha de plantation d'une espèce à croissance rapide, il
faudrait en planter 100 millions d'ha pour fixer annuellement 0.5 gigatonne
de carbone et compenser ainsi les pertes liées à la déforestation...

Comme toute forêt, ces plantations ne contribuent à fixer du dioxyde de


carbone que dans la mesure où elles produisent de la matière organique.
Après quelques années de croissance initiale rapide, la quantité de carbone
fixé annuellement fléchira et de nouvelles plantations seront nécessaires, en
même temps que des mesures devront être prises pour conserver la
biomasse créée dans les premières plantations. Il paraît enfin difficile
d'engager de tels programmes dans des conditions techniquement viables,
économiquement rentables et socialement acceptables. Ainsi, les plantations
ne pourront-elles apporter qu'une contribution limitée à la fixation du
carbone.

Climat général, climat local

A une échelle régionale, la disparition d'une grande partie des forêts modifie
des paramètres physiques, tels que la fraction diffusée de la lumière
incidente (albédo) et les échanges thermiques. Mais les modèles étudiés
pour en comprendre les conséquences sont encore trop approximatifs pour
donner des indications utiles sur le rôle des forêts dans le climat général.

Au niveau local, en revanche, il est clair qu'une couverture boisée a un effet


important sur le microclimat. L'ensemble des strates du couvert forestier
jouent un rôle d'écran et de tamis entre l'atmosphère, libre au-dessus de la
forêt, et l'intérieur, où règne ce que l'on appelle globalement une "ambiance
forestière", avec une température et une humidité relative plus stables, une
luminosité plus faible.

La protection des sols et la régulation des eaux douces

En dehors des régions volcaniques et des zones alluviales, les sols des forêts
tropicales sont généralement de faible épaisseur et très pauvres en éléments
minéraux. La majeure partie des éléments minéraux se trouve dans la
biomasse. Un équilibre s'établit entre la vie dans le sol et la vie au-dessus du
sol. La déforestation détruit cet équilibre, en modifiant indirectement les
conditions de la vie dans le sol, dont l'humus se minéralise et dont la fertilité
baisse rapidement. Ainsi, le sol est une composante essentielle des
écosystèmes forestiers qui est détruite par la déforestation.

La forêt protège également le sol contre l'érosion, non seulement parce que
la vie dans le sol entretient sa structure, mais aussi grâce au feuillage et à la
litière, qui atténuent la violence de l'impact des pluies. L'eau percole à
travers la litière et pénètre dans le sol, qui joue ainsi un rôle de régulateur
du ruissellement et de l'alimentation des cours d'eau en aval. Il est donc
particulièrement important de conserver la couverture forestière des régions
de collines et de montagnes.

La forêt tropicale, réserve génétique

Il est admis que plus de 50 % des espèces terrestres sont originaires des
régions tropicales, où les forêts humides constituent tout particulièrement un
précieux réservoir génétique. Cette très grande diversité (beaucoup
d'espèces animales et végétales ne sont pas encore décrites) confère aux
forêts tropicales une fonction de conservatoire des formes de la vie, que les
générations actuelles ont la charge de transmettre aux générations futures.

La très grande diversité spécifique et biologique des forêts tropicales


s'explique par les conditions dans lesquelles elles ont évolué, à l'échelle des
temps géologiques. En effet, pendant les fluctuations paléoclimatiques, la
plupart des régions tropicales ont été épargnées par les changements de
climat dévastateurs qui ont affecté les zones tempérées. En l'absence de
facteur limitant comme le froid ou la sécheresse, les forêts humides ont été
le cadre d'évolutions multiples. Dans ce milieu favorable, de très
nombreuses possibilités de spéciation (différentiation de nouvelles espèces)
ont pu se manifester, occupant les niches les plus diverses. La stabilité du
milieu a permis à de multiples adaptations et interdépendances d'apparaître
et de se maintenir. Ainsi, la riche diversité biologique des forêts tropicales
est le résultat du climat chaud et humide et de leur stabilité sur une très
longue période (plusieurs millions d'années).

L'homme ne sait pas recréer artificiellement des formations aussi complexes.


Il est donc particulièrement important de conserver autant que possible les
divers types d'écosystèmes forestiers tropicaux existants.

L'utilisation de la forêt
Utilisation traditionnelle, exploitation moderne du bois d'oeuvre

Les habitants des forêts tropicales connaissent bien leur cadre de vie et ont
acquis une connaissance empirique des divers produits qu'elles offrent. Le
développement des moyens de transport depuis un siècle et l'ouverture de
voies d'accès dans les forêts tropicales humides ont attribué une valeur
marchande à certains produits difficiles à transporter, comme le bois et leur
exploitation s'est brusquement accélérée au XXe siècle. A la fonction de
cadre de vie et de pourvoyeur d'humus pour la terre agricole, s'est ajoutée
celle de réserve de bois d'oeuvre. En effet, les pratiques traditionnelles des
habitants des forêts ont abouti à la capitalisation d'importantes quantités de
gros bois dont ils n'avaient pas l'emploi. Les premiers passages en
exploitation forestière, en récoltant ce capital accumulé, sont donc
particulièrement fructueux.

L'ouverture du couvert provoquée par l'exploitation, lorsqu'elle n'est pas trop


brutale, apporte un surplus de lumière au peuplement, et relance la
croissance d'arbres qui étaient en attente dans le sous-étage. Le problème
est aujourd'hui, dans les forêts déjà mises en exploitation, d'adapter les
prochaines récoltes aux possibilités de la forêt, et de pratiquer une
sylviculture correspondant aux objectifs fixés et garantissant la permanence
de la forêt. Il convient de passer de l'exploitation d'une réserve à une
logique de production continue.

La diversité des produits

Outre le bois d'oeuvre industriel, la forêt produit toutes sortes de bois


utilisés traditionnellement pour différents usages : construction, fabrication
d'ustensiles et d'oeuvres d'art... Mais surtout, elle produit le bois de feu dont
chaque famille a besoin pour la cuisine ou pour d'autres usages
domestiques. L'approvisionnement en bois de feu ne pose pas de problème
en zone forestière. Il en va différemment dans les zones sèches et dans les
zones humides déforestées, notamment en altitude. La consommation de
bois de feu varie, selon sa rareté et le climat, entre 0.5 et 2 m3 par
personne et par an. Dans les villes, la filière de récolte et de distribution du
bois de feu et du charbon de bois constitue un véritable secteur économique,
fournissant de nombreux emplois et représentant un poste non négligeable
dans le budget des ménages.

La forêt fournit aussi de multiples produits non ligneux (fourrages, latex,


médicaments, aliments...), qui sont en général peu commercialisés, mais qui
peuvent avoir une très grande importance localement sans compter leur
utilisation potentielle pour la pharmacopée internationale.

Le commerce mondial des bois d'oeuvre tropicaux

L'observation des volumes échangés montre bien le caractère fragile et


l'évolution rapide de la situation. Certains pays comme le Nigeria, très
peuplés et qui ont connu une période de développement économique rapide,
n'ont plus suffisamment de forêts naturelles pour assurer leur propre
approvisionnement ; d'exportateurs, ils sont devenus importateurs de bois et
s'engagent dans des programmes de plantations. La production des
Philippines s'est effondrée en vingt ans, entre 1969 et 1989, passant de 10 à
moins de 2 millions de m3/an. Celle de la Côte- d'Ivoire, qui était d'environ 4
millions de m3/an pendant les années 1970, n'était plus que de 1.5 million
de m3 en 1989.

En effet, le terme "production" désigne en fait la production des entreprises


d'exploitation et de transformation du bois, et non la production de la forêt
elle-même. La capacité de production de la forêt (l'accroissement biologique)
est rarement prise en considération, faute d'aménagement et parce qu'il
existe très peu d'informations sur la production des forêts naturelles dans les
conditions d'ouverture de couvert créées par l'exploitation ou par des
éclaircies complémentaires. Sur les 122 millions de m3 de bois d'oeuvre
produits par les forêts tropicales humides (pays de l'OIBT), la moitié est
exportée et représente un quart du volume du commerce mondial des bois.

Vers plus de valeur ajoutée dans les pays de production

Les possibilités de récolte des bois de forêt naturelle diminuent en même


temps que les superficies forestières. Mais une évolution rapide est
également constatée dans le commerce et la transformation du bois. La
tendance est de conférer de plus en plus de valeur ajoutée aux produits dans
les pays producteurs. Ainsi, après avoir interdit l'exportation des grumes en
1985, l'Indonésie a fortement augmenté les taxes d'exportation des sciages
à partir de 1989, ce qui favorise l'industrie de seconde transformation. Au
Brésil, l'exportation de grumes et de contreplaqués (2 millions de m3 en
1989) se développe, mais reste faible en comparaison de la production de ce
pays. Cela s'explique en partie par l'importance du marché intérieur. Plus
des trois quarts des grumes et contreplaqués viennent d'Asie, ainsi que plus
des deux tiers des sciages et placages, pour une superficie forestière
inférieure à celle des autres régions. Il est clair que, comme aux Philippines,
les quantités de bois extraites des forêts naturelles devront baisser en
Indonésie et en Malaisie.

3.1.4 - Pourquoi la déforestation ?

L'utilité des forêts tropicales et les raisons de les conserver sont connues :
cadre de vie, production de bois et de biens divers, stock de carbone,
réservoir génétique. Et pourtant elles sont détruites à un rythme qui semble
s'accélérer depuis vingt ans. Une bonne compréhension des causes de leur
disparition est nécessaire avant toute définition de stratégie. Ces causes
peuvent être réparties en deux grandes catégories : celles qui sont liées à
des décisions de développement ou d'équipement, et celles qui sont plutôt
liées à l'organisation sociale et économique.

Le développement agricole

Les besoins de l'agriculture et de l'élevage sont une des principales raisons


de déforester, avec des buts variés.

 L'extension des cultures de rente, depuis quarante ans, s'est faite


dans de nombreux pays au détriment de la forêt naturelle. Elle
correspond à une politique de développement économique pour
l'exportation des produits de ces cultures. Elle se traduit par une
déforestation complète et définitive de la zone concernée. Dans
certains cas, la forêt est remplacée par une nouvelle formation
végétale pérenne (hévéa, cacaoyer, etc.). Dans d'autres, le sol est
plus exposé.
 La demande croissante de produits vivriers, notamment dans les
zones périurbaines et autour des pôles de développement, a
provoqué un raccourcissement de la durée de la jachère et une
dégradation progressive de la couverture forestière, pouvant aller
jusqu'à sa disparition.
 La migration organisée vers des régions sous-peuplées s'accompagne
d'une déforestation, dans ces régions, des terres destinées à
l'élevage ou à l'agriculture.
 La migration spontanée de populations peut les conduire à rechercher
de nouvelles terres à cultiver, même dans des zones impropres à
l'agriculture, par exemple en raison du relief et des risques d'érosion.

L'accroissement de la production agricole peut être obtenu par


l'intensification de l'agriculture et l'augmentation des rendements. Mais,
outre le fait que les techniques correspondantes ne sont pas parfaitement
mises au point, lorsque des superficies supplémentaires pouvaient être
mises en culture, l'occupation de l'espace réputé disponible a le plus souvent
précédé la recherche d'une intensification de la production : dans une
situation où la terre avait une valeur presque nulle, l'heure de travail s'en
trouvait mieux valorisée.

Les infrastructures

La création d'infrastructures (routes, voies ferrées, barrages...) a en soi un


impact très faible sur les superficies forestières : l'emprise des voies ferrées
est de 50 à 100 m, celle des routes est plus réduite encore. Mais en réalité,
l'impact indirect de ces infrastructures est sans commune mesure avec leur
impact direct.

 Les voies ferrées sont liées le plus souvent à la création d'industries


et à des activités d'extraction minière, qui consomment de l'énergie,
attirent une population nombreuse et augmentent localement la
demande de produits vivriers : les voies ferrées créent des pôles de
développement.
 Les routes ouvrent un accès le plus souvent libre à des zones où il
était jusque-là difficile de se rendre. Elles ont été largement utilisées,
par exemple en Côte-d'Ivoire, comme voies de pénétration par les
agriculteurs qui ont créé de nouvelles cultures de rente. Dans
d'autres pays (Brésil, Cameroun, Indonésie), elles ont été ouvertes
pour faciliter l'installation de migrants dans des régions jusque-là peu
peuplées... et largement couvertes de forêt.
 Les barrages ont un effet direct en amont (zone inondée), et en aval
si un périmètre de développement agricole est créé. La construction
d'un barrage peut aussi, par la biomasse végétale laissée dans le
réservoir, entraîner une pollution qui rend l'eau en aval
temporairement impropre à la consommation. Producteurs d'énergie,
les barrages sont, comme les voies ferrées, des pôles de
développement entraînant une demande accrue d'espace pour
l'installation d'infrastructures, la production vivrière, etc.
 Les villes ont aussi un impact direct limité et un très fort impact
indirect sur la déforestation, pour leur approvisionnement en vivres,
en bois de feu et en charbon de bois.

Les infrastructures sont donc rarement la cause directe de déforestations


importantes, mais c'est par le développement qui s'ensuit (pour lequel le
plus souvent elles ont été créées) qu'elles sont porteuses de déforestation.

L'exploitation forestière

Les dégâts provoqués par l'exploitation des bois d'oeuvre de forêt dense sont
en rapport avec les quantités de bois enlevées par ha. L'intensité
d'exploitation, en l'absence de plan d'aménagement, dépend des impératifs
de la commercialisation. Dans les forêts très riches en arbres fournissant un
bois commercialisable, comme certaines forêts à diptérocarpacées d'Asie du
Sud-Est, le prélèvement peut atteindre 100 m3/ha. Dans ce cas, le
peuplement d'origine est fortement dégradé. Cependant, dans beaucoup de
forêts naturelles, notamment en Afrique et en Amazonie, les quantités
commercialisables ne dépassent pas 10 à 20 m3/ha (soit un à trois arbres en
Afrique). Leur exploitation ne détruit pas la forêt, même si elle n'est pas
sans effet sur le peuplement (raréfaction des espèces les plus recherchées,
ouverture de trouées et de routes, quelques dégâts d'exploitation, mais
aussi relance de la croissance des arbres dans les zones ainsi éclairées...).
L'exploitation forestière, en d'autres termes la récolte, est une opération non
seulement légitime, mais aussi nécessaire dans la gestion d'un massif
forestier. Elle est prévue dans le cadre de l'aménagement de la forêt et
exécutée selon des normes précises, respectueuses de l'environnement et
définies en fonction de l'état du peuplement et des objectifs de gestion.

Les causes structurelles de la déforestation

Indépendamment de l'effet des décisions d'équipement ou de


développement sur la déforestation évoquées ci-dessus, un nouvel ensemble
de causes tient à l'organisation sociale ou aux lois du marché. Leurs effets
conjugués conduisent à des décisions individuelles, qui sont elles aussi des
facteurs de déforestation.

 Le droit foncier et les modes d'appropriation du sol constituent une


cause structurelle majeure de la déforestation. L'établissement de
grandes propriétés (Amérique latine, Philippines), dont les premiers
occupants doivent chercher ailleurs une terre à cultiver, provoque de
nouveaux défrichements, le plus souvent dans des terres marginales.
Dans de nombreux pays d'Afrique, l'Etat est propriétaire de
l'ensemble des terres non "mises en valeur", c'est-à-dire notamment
des forêts naturelles. Leur défrichement, par exemple pour une
culture permanente, est un des moyens d'appropriation du sol.
 Le mode d'appropriation des produits conduit également dans
certains cas à la déforestation, quand elle est dissociée de la fonction
de production. Ainsi, l'exploitation du bois de feu pour approvisionner
les villes du Sahel est destructrice lorsque les exploitants viennent de
la ville avec un permis d'exploitation délivré par l'Etat et n'ont pas de
liens avec les habitants de la zone où se fait l'exploitation : quand il
n'y aura plus de bois ici, ils iront en couper ailleurs. L'exploitation est
mieux gérée lorsqu'elle est placée sous la responsabilité des habitants
(individus ou communautés) de la zone de production. Leur intérêt
est que l'exploitation ne ruine pas la capacité de production de leur
forêt. De même, l'exploitation est organisée sur des bases très
différentes si l'exploitant n'a qu'un permis de courte durée pendant
lequel son intérêt est de récolter tout ce qui peut être commercialisé,
ou s'il a une perspective à plus long terme qui lui permet d'envisager
des actions en faveur de récoltes futures. Lorsque la périodicité des
récoltes est très longue (30 à 50 ans) l'intervention d'un acteur
permanent, indépendant des résultats financiers immédiats, devient
indispensable.
 D'une manière générale, en forêt tropicale, le mode d'appropriation
du bois ne contribue pas à reconnaître une valeur sur pied suffisante
pour justifier une gestion à long terme et une protection des
ressources. Or cet intérêt économique du bois sur pied est, de fait,
nécessaire à la gestion et à la conservation des forêts par les
populations et par les exploitants.
 La déforestation résulte également de l'augmentation de la population
des pays tropicaux. Elle se traduit par des besoins accrus en
combustibles et par une plus forte demande de terres pour les
cultures vivrières. Si la production n'est pas intensifiée, la pression
démographique conduit à de nouveaux défrichements.
 Enfin, à un niveau plus global, les besoins en devises incitent les
Etats à une surexploitation des ressources disponibles, notamment
forestières ; par ailleurs l'intérêt de conserver les forêts naturelles est
mal mesuré et la valeur de l'environnement est en conséquence
encore insuffisamment prise en compte dans les décisions de
développement économique.

La responsabilité de toutes ces causes de la déforestation varie beaucoup


selon les lieux et les époques. Elles conservent toutefois une constante :
toute réduction des revenus des populations locales entraîne une pression
accrue sur les formations végétales naturelles. La complexité du problème et
l'imbrication des différents paramètres expliquent qu'il n'y ait pas de réponse
simple à la question de la déforestation, mais un faisceau de réponses qui
changent de pondération selon les situations locales. Dans chaque cas, des
évolutions sont envisageables pour améliorer le respect des droits des
populations, les modes d'appropriation, une gestion à long terme et
l'intensification de la production ( Voir également, dans l'aide-mémoire, la
fiche "Guide d'analyse schématique des principaux contextes forestiers").

Est-il ainsi possible de maîtriser la déforestation ? L'analyse ne peut pas


éluder la question du devenir global du monde tropical, liée au
développement des moyens de communication et de transport. L'aspiration
au développement économique et social est désormais partagée par une
population toujours plus nombreuse. Dans ces conditions, la déforestation
apparaît comme un phénomène de fond, qu'il n'est pas envisageable
d'arrêter, sauf si l'on veut bloquer les processus de développement, voire de
survie, qui se sont mis en route. Le problème n'est pas tant d'arrêter la
déforestation que de la limiter et de l'organiser, pour éviter les gaspillages et
les pertes irrémédiables. Par ailleurs, il faudra se garder d'agir sur les
seuls facteurs de la déforestation, sans analyser et traiter les
véritables causes profondes, essentiellement structurelles, de cette
déforestation.

La déforestation est avant tout un problème de sous-développement, dont


une grande partie de la solution se trouve à l'extérieur du secteur forestier
proprement dit.

Parlement européen
Révisé le 1er septembre 1996
URL: http://www.europarl.ep.ec/dg7/forest/fr/s1-3-1.htm

Version texte

Vous aimerez peut-être aussi