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Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l’Ingénieur JNGG2012–Bordeaux 4-6 juillet 2012

LA SURVEILLANCE D'INSTABILITÉS ROCHEUSES APPLIQUÉE À


LA GESTION DES RISQUES

THE MONITORING OF UNSTABLE ROCK MASSES APPLIED TO RISK


MANAGEMENT

Jean-Paul DURANTHON1, Pierre POTHERAT1

1 Centre d'Etudes Techniques de Lyon, Lyon, France

RÉSUMÉ — Les études de cas présentées dans ce document montrent que la


rupture peut se produire après une phase de préparation plus ou moins longue en
lien avec différents paramètres tels que la vitesse de déplacement, le volume ou la
morphologie de la masse instable. Pour tous ces sites une décision efficace de mise
en sécurité aurait pu être prise suffisamment tôt, avec un système de surveillance
approprié, même dans le cas d'effondrements de falaises ou d’escarpement rocheux
qui sont généralement considérés comme des mouvements brusques impossibles à
anticiper. Des critères cinématiques permettant de fixer des seuils de déplacement
pour différents niveaux d'alarme ont été proposés.

ABSTRACT — Rock mass fall case studies presented in this paper show that rupture
occur after a more or less long preparation stage which is link to different parameters
such as the rate of displacement, the volume or the morphology of the unstable
mass. In all sites efficient safety decision could have been taken early enough, with
an appropriate monitoring system, even in the case of cliff or scarp collapses that are
generally considered as sudden movements impossible to anticipate. Kinematics
criteria that allow fixing in advance threshold displacement values for different alarm
levels have been proposed.

1. Introduction
Plusieurs sites instables ont été étudiés et surveillés par le CETE de Lyon pendant
plus de trente ans. Certains d'entre eux ont été concernés par une crise suivie d'un
effondrement important. Deux sites choisis parmi d'autres nous ont donné l'occasion,
grâce à l'analyse de données combinée avec la connaissance du contexte structural
et les observations de terrain, d’acquérir une meilleure compréhension des
phénomènes en terme de variation du taux de déplacement avant rupture
Les deux sites considérés comme représentatifs de différentes études de cas, sont
les suivants (Figure 1) :
 le Piton de la Becqua, situé au-dessus du village de La Perrière (Savoie,
France),
 la route nationale 1 dans la partie nord de l'île de la Réunion (France).
Le premier, surveillé pendant plus de vingt ans avant l'effondrement, a permis
d’enregistrer beaucoup de données. Le second site a été surveillé seulement

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pendant deux mois avant effondrement mais la crise qui s'est produite quelques jours
avant l'événement a pu être contrôlée efficacement.

b)
a)

Figure 1 . Localisation des deux sites étudiés : a) La Perrière; b) La Réunion

2. Le Piton de la Becqua
2.1. Le contexte

Le Piton de la Becqua (Effendiantz et al., 2000(, situé en contre-haut du village de La


Perrière (73), à 15 km au sud-est de Moutiers, a été étudié par le CETE de Lyon
après un premier effondrement qui s'est produit en 1974. Ce Piton, constitué
d'alternances schisto-gréseuses d'âge houiller, est situé à l'extrémité d'une dent
rocheuse de forme oblongue haute de 70 m. La masse instable, d'un volume de
1500 mètres cubes, est séparée du massif rocheux par une fracture importante
traversant le Piton. Des études trajectographiques ayant démontré que le village de
La Perrière était menacé par une nouvelle chute de blocs, des protections, tels que
des merlons en terre, ont été installées en pied de versant.

2.2. Le système de surveillance

Un premier dispositif de surveillance constitué de deux extensomètres a été mis en


place en 1975. Des mesures manuelles journalières effectuées par la secrétaire de
mairie depuis la mairie ont perduré jusqu'en 1992. Un système de mesures
automatisé à alors permis d'enregistrer les données au pas horaire. En 1999,
pendant la période de crise, dix cibles géodésiques sont venues compléter le
dispositif sur le Piton. À ce moment-là, nous avions supposé que la divergence
menant à l'effondrement pourrait se produire dès que la valeur du seuil de pré-
alarme, fixée à 1 mm par jour, serait atteinte.

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2.3. L’analyse des données

De 1975 à 1992, nous pouvons voir sur le graphique figure 2a l'importance des
variations saisonnières et une petite accélération du taux de déplacement qui passe
de 4mm/an à 8mm/an.
L'analyse détaillée de la courbe de vitesse d’ouverture de la fracture, pour la période
1992-1998, montre en 1996 une augmentation de celle-ci de 16 mm/an à 35 mm/an
(Figure 2b).

b)
a)

c)

Figure 2 . Vitesse d'évolution des capteurs installés sur le Piton de la Becqua : de


1975 à 1992 (a); de 1992 jusqu'à février 1999 (b); en mars 1999 (c)

La dernière semaine de février 1999, une accélération a été amorcée pour atteindre
1 mm/j le 1er mars 1999, valeur considérée comme seuil de mise en vigilance, puis
rapidement 20 mm/j le 22 mars et 26 mm/j le 23 jusqu’à l’éboulement survenu le 24
(figure 2c).

2.4. La gestion de crise

Dès le début du mois de mars, compte tenu du dépassement du seuil de pré-alerte,


une cellule de crise avait été mise en place à la mairie de La Perrière pour être à
même de prévoir le moment de la divergence et prendre les dispositions de sécurité
nécessaires.

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Il a été admis que la divergence menant à la rupture pouvait intervenir dès que la
vitesse de 10mm/j (critère d’alerte) serait atteinte. Le pas d’acquisition des mesures a
été abaissé à 15 minutes. Un modèle exponentiel de divergence, basé sur la vitesse
moyenne des 24 heures précédentes, a été utilisé pour déterminer le jour et l'heure
de l'effondrement. La variable choisie pour l'analyse fut LogVm24 en une fonction du
temps (Figure 3). L'intersection de la courbe avec la valeur-seuil de 10 mm donne le
délai de rupture.

Figure 3 . Modèle de divergence exponentiel utilisé pour pronostiquer la date et


l'heure de l'effondrement. Le graphique montre le Log de la vitesse moyenne sur 24
heures (Log Vm24 en mm/j) en une fonction du temps t

2.5. Conclusions

La surveillance d'une masse rocheuse instable sur une période de 25 ans est une
étude de cas très intéressante. Un déplacement total de 400 mm a été nécessaire
avant la rupture. La vitesse, très basse (0,005 mm/j) pendant les dix-sept premières
années, s'est accrue modérément trois ans avant la rupture et très fortement au
cours du dernier mois. L'analyse des données, avec un critère de divergence basé
sur un déplacement de 10 mm quotidien, a été utilisée pour gérer efficacement
l'évacuation de la population.

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Nous retiendrons que les chutes de masses rocheuses ne se font pas brutalement et
que, sous réserve de disposer d’un système de suivi performant, il est possible
d’anticiper la rupture quelques jours avant celle-ci.
Nous retiendrons également que l’approche utilisée à La Perrière est plutôt adaptée
au pronostic qu’à la prévision en raison des incertitudes liées à la survenance
toujours possible de phases de rémissions au cours du processus de rupture des
versants instables.
Malgré ces réserves, cette méthode est intéressante pour le suivi de l’évolution finale
des instabilités déclarées et pour l’aide à la prise de décisions en rapport avec la
mise en œuvre des plans de secours.

3. L’éboulement de 2007 sur la route nationale 1


3.1. Le contexte

La route nationale n°1, reliant Saint-Denis à La Possession dans la partie nord de


l’île de la Réunion, a été construite au pied d'une falaise haute de 100 à 200 mètres,
faite d'une alternance de couches volcaniques (laves basaltiques, cendres et
scories). Elle a été le théâtre de deux éboulements en 2006 et 2007.
Le premier, le 26 mars 2006 à 5 heures, a complètement recouvert la route avec
environ 35 000 mètres cubes de matériaux volcaniques. En raison de l’heure
matinale de l’événement, seules deux personnes sont mortes. L'éboulement s'est
produit au PK 11,9, dans un secteur considéré comme sensible lors d’une étude de
terrain effectuée en 2005. Aucun suivi n’avait été mis en œuvre sur ce site, nous
n'avons donc eu aucun avertissement de ce phénomène.
Le second s'est produit le 6 mai 2007 à 3h30 du matin. Un volume d'environ 4 000
mètres cubes est tombé dans le piège à cailloux situé entre la falaise et la route. Cet
éboulement s’est produit au PK 12,1, c'est-à-dire très proche du précédent. Il n’y a
pas eu de mort ni de blessé parce que le site était sous surveillance depuis deux
mois et que des mesures de sécurité appropriées ont été prises deux jours avant la
rupture.
Ces deux événements font suite à un grand nombre de désordres (des chutes de
pierres et des éboulements de masses rocheuses) qui affectent régulièrement la
R.N.1 depuis sa construction dans les années 1960. De 1960 à 2005, environ une
douzaine d’éboulements, d’un volume de 500 à 200 000 mètres cubes, ont été
enregistrés. En 2005, une étude a porté sur l'identification des zones dans lesquelles
des masses rocheuses de plus de 1 000 mètres cubes seraient susceptibles de
tomber. Cette étude a conduit à la mise en place d'une esquisse structurale du
massif rocheux et à l’'identification de zones particulièrement dangereuses dans la
partie ouest de la falaise.

3.2. Le dispositif de surveillance

Après la rupture de 2006, une analyse précise des zones (Potherat et al., 2010),
considérées comme les plus dangereuses a été effectuée dans le but d'identifier les

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secteurs les plus actifs. L'un d'eux a été caractérisé par une fracture ouverte de
15 cm pouvant créer un éboulement potentiel d'environ 10 000 mètres cubes. Un
système de surveillance a été installé sur ce site dans le but de mettre en évidence
les premiers signes d’une rupture. À la fin de février 2007, quatre extensomètres
automatiques (C1 à C4) ont été mis en place (Figure 4a). Les données ont été
collectées toutes les minutes, transférées via Internet et analysées quotidiennement
par le CETE de Lyon.

b)

c)

Figure 4 . Localisation des capteurs (a) vitesses d’évolution du capteur C2 de mars à


avril 2007 (b) et du capteur C1 du 3 au 6 mai 2007 (c)

3.3. L’analyse des données

Le typhon Gamède a détruit les capteurs le 26 février 2007. De nouveaux


extensomètres ont donc été installés au début du mois de mars. La première période
de surveillance (15 mars au 20 avril) montre des déplacements d'environ 1 mm/j sur
un capteur et de 0,02 à 0,43 mm/j sur les autres (Figure 4b). Cette information et
l'expérience venant d'autres études de cas ont conduit à la fixation d'un seuil de pré-
alarme à 5 mm/j, et d’un seuil d'alarme à 8 mm/j, pour lequel le trafic routier devrait
être arrêté. Après une période sans mesure en raison de chutes de pierres sur les
extensomètres le 26 avril, les données ont été enregistrées à nouveau à partir du 3
mai. La vitesse d’ouverture de la fracture au droit du capteur C1 atteint 7,8 mm/j le 3
mai à 18 heures (figure 4c). Le capteur C3 montre un mouvement inverse, c'est-à-
dire une fermeture de la fracture, ce qui indique probablement un mouvement de
basculement de l’écaille. Le graphique de l'évolution du capteur C1 est devenu
asymptotique le samedi à midi et l'éboulement a eu lieu le dimanche 6 mai à 3h29.

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Le tableau 1 résume les vitesses enregistrées sur trois capteurs du 15 mars au 6 mai
2007.

Tableau 1 . Vitesse journalière (mm/j) des capteurs 1, 2 et 3 sur plusieurs périodes


du 11 mars au 6 mai 2007.

11/03 au 14/03 au 3/05 au 4/5 4/5 au 5/5 5/5 au 6/5


19/03 23/04

C1 0,87 0,93 5 8 >10 rupture

C2 0,43 0,42 0,4 HS HS

C3 0,02 0,02 HS HS HS

3.4. La gestion de crise

L’analyse des données était effectuée chaque jour par le CETE de Lyon en
concertation avec les autorités locales afin de renseigner en temps réel les
responsables de la sécurité du trafic à la Direction Départementale de l’Équipement
de Saint-Denis.
La valeur du seuil d'alarme a été atteinte le jeudi 3 mai dans l'après-midi. Afin
d’anticiper tout accident au cours du week-end, nous avons recommandé d'arrêter le
trafic routier sur les deux voies les plus proches de la falaise, et de le basculer sur les
voies coté mer. L’éboulement de 4000 mètres cubes est tombé dans le piège à
cailloux et aucun bloc n’a atteint les voies circulées.

3.5. Conclusion

Au cours de la première période, les vitesses étaient plutôt modérées (<1 mm/j),
mais suffisamment élevées pour justifier la mise en place d'un système de
surveillance. Même dans le cas d’une écaille rocheuse en falaise, la rupture ne se
produit pas immédiatement au moment de la divergence, mais trois jours plus tard.
Ce délai fut suffisant aux autorités locales pour prendre les mesures de sécurité
adéquates.

4. Conclusion
Le tableau 2 résume les principales caractéristiques et les données de pré-rupture
pour chaque site. Ces paramètres sont différents d'un site à l'autre en raison de
contextes variables (massif rocheux, falaise, gros volume ou pas,...). Les
déplacements mesurés avant rupture sont plus élevés pour les volumes de roche
importants que pour les chutes de blocs.

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Tableau 2 . Les principales caractéristiques et les données de pré-rupture


enregistrées pour chaque site

Contexte Déplacement Volume Vitesse Seuil de


géologique total avant rupture divergence
(m3 )
(mm) 365j-30j-7j-1j (mm/j)

(Durée)

Le Piton
Masse
de la 300 (25 ans) 1500 0,1-1-10-23 10
rocheuse
Becqua

La Falaise
90 (2 mois) 4000 ?-0,9-0,9-7 5
Réunion rocheuse

Ces études de cas montrent qu’un éboulement rocheux ne se produit pas


soudainement, mais est précédé de signes précurseurs tels que l’ouverture de
fractures qui peut être mesurée à l’aide d’un système de surveillance adéquat.
L’accélération finale (au-delà du seuil d’alerte) intervient quelques jours, voire une
semaine avant la rupture, ce qui donne le temps aux responsables de la gestion du
site de prendre les mesures de sécurité nécessaires (évacuation du site, interruption
du trafic,…).
Une des principales difficultés réside dans l’identification de la masse instable avant
instrumentation. Une étude détaillée des linéaires d’escarpement rocheux ou de
falaises supposées fragiles sont à faire afin de localiser les sites à instrumenter en
priorité.
Les systèmes de suivi les plus fiables sont les extensomètres, capables de travailler
par tous types de temps.
Si les données sont automatiquement récoltées et analysées chaque jour, il est
possible d’anticiper la rupture. En revanche, si les mesures se font en mode
discontinu, il est recommandé de passer en mode automatique dès que les taux de
déplacement augmentent de manière significative.

Références bibliographiques
Effendiantz L., Rochet L. (2000). Suivi d’une instabilité rocheuse jusqu’à l’éboulement. Commune de
la Perrière (Savoie). Bulletin des laboratoires des Ponts et Chaussées –225 – Ref. 4312 , 47-56.

Potherat P., Duranthon J.-P., (2010). The monitoring of unstable rock masses applied to risk
management, IAEG congress 2010, Auckland.

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