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PIERRE SAUREL

L’étrange monsieur Villiers

BeQ
Pierre Saurel

L’étrange monsieur Villiers


roman

La Bibliothèque électronique du Québec


Collection Littérature québécoise
Volume 261 : version 1.0

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L’étrange monsieur Villiers

Numérisateur : Jean Layette.


Éditions Police Journal
Relecture : Jean-Yves Dupuis.
Illustration de couverture :
André L’Archevêque.

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I

Après mille et une difficultés, Jean Thibeault,


l’agent secret connu sous le nom d’IXE-13, était
enfin arrivé en Angleterre.
Il avait passé des heures de tourmente dans
une des petites îles de l’Atlantique, occupée par
les Allemands.
Il avait dû, même, prendre un repos de
quelques jours.
Mais maintenant, tous les matins, il allait se
rapporter à un poste secret des agents.
Il entrait dans une maison par une porte basse
donnant sur une ruelle.
Pour ne pas éveiller les soupçons des espions
ennemis qui pouvaient toujours être aux aguets,
IXE-13 s’était déguisé en vendeur de guenilles.
Un matin, comme il se rapportait de nouveau,
celui qui était en charge lui demanda :

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– Vous êtes IXE-13 ?
– Oui.
IXE-13 le regarda anxieux :
– Vous avez quelque chose pour moi ?
– Je crois que oui.
L’homme se mit à fouiller dans ses papiers.
Il sortit une enveloppe.
– Vous devrez partir.
– Pour où ?
– La France !
La France !
IXE-13 était heureux.
Il souhaitait aller en France.
Il souhaitait rencontrer surtout ses deux
inséparables amis avec qui il avait traversé les
toutes premières heures de son service
d’espionnage.
Ses amis étaient au service des espions de
France Gisèle Tubœuf, sa fiancée, qui se faisait
appeler T-4, et un Marseillais, Marius Lamouche,

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l’aide de Gisèle.
IXE-13 souhaitait ardemment les revoir.
Les retrouverait-il ?
Mais pour l’instant, le plus important était de
connaître la mission qu’on voulait lui confier.
Il demanda à son interlocuteur :
– Où dois-je aller là-bas ?
– Je ne sais rien.
IXE-13 le regarda surpris.
– Vous ne savez rien ?
– Non.
Il lui tendit l’enveloppe.
– Voici vos ordres.
– Ah, bon ! merci !
IXE-13 prit l’enveloppe et la glissa dans un
vieux sac où se trouvaient des bouteilles.
– Soyez prudent, conseilla l’homme.
– Très bien.
C’était un conseil inutile pour IXE-13.

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Il connaissait son métier à fond.
IXE-13 ressortit et revint vers sa chambre.
Là, il s’enferma à double tour.
Puis il s’approcha de la fenêtre.
Il décacheta l’enveloppe.
Le premier papier qu’il en sortit était une lettre
de Sir George, le commandant en chef des
espions des nations unies.
Il lut :
IXE-13 :
« Depuis l’invasion de la France par les
Armées allemandes tout là-bas le service est
désorganisé.
« Il s’organise cependant des mouvements de
résistance.
« Les armées du général de Gaule ont décidé
de reconquérir la France.
« Mais à B... il y a un monsieur Villiers,
Sylvestre Villiers, qui se dit un des chefs de la
résistance.

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« Mais nous avons tout lieu de douter que
c’est plutôt un Français au service des Nazis.
« Nous croyons que ce monsieur Villiers
connaît bien des secrets et nous aimerions, si
c’est un agent ennemi, l’avoir en notre
possession.
« Il y a déjà là-bas des agents secrets de la
France.
« Vous ne devez pas vous occuper d’eux et
faire votre travail, qui consiste à :
– Avoir la preuve certaine que Villiers est un
agent ennemi.
– Le faire prisonnier et nous le livrer.
« Mais méfiez-vous. Il y a là-bas plusieurs
traîtres qui pourront à tout instant vous donner
des coups de poignard dans le dos.
« Travaillez secrètement et seul.
« Vous trouverez sous un autre pli, les détails
de votre mission.
« Bonne chance.
« Sir George »

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IXE-13 relut la lettre deux ou trois fois.
Puis, il sortit une allumette de sa poche.
Il mit le feu à la lettre.
Quelques secondes plus tard, il ne restait plus
dans le cendrier que quelques petites poussières
noires.
IXE-13 regarda les autres papiers.
IXE-13 avait l’ordre de prendre pension dans
cette auberge.
Villiers logeait dans une auberge.
Mais tout d’abord, il devait prendre place sur
un bateau qui le conduirait en Afrique du Nord.
De là, il se rendrait en Espagne où un avion le
déposerait en France.
C’était un long voyage, il est vrai.
Dans un autre papier il trouva un passeport en
règle au nom de monsieur Jacques Foisy.
Mais IXE-13 devait toujours prendre ses
précautions.
Sur le passeport, il y avait une photographie,

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assez embrouillée.
IXE-13 savait ce qu’il fallait faire.
Il se mit à l’œuvre.
Deux heures plus tard, il avait vieilli de près
de vingt ans.
Son crâne était maintenant chauve.
Les traits de sa figure étaient plus prononcés.
Il portait une paire de lunettes d’écaille
comme en portent plusieurs Français.
Un béret sur le coin de la tête, on aurait juré
que le brave Canadien était maintenant un gros
homme d’affaires français.
Puis le lendemain IXE-13 s’embarquait sur un
paquebot en route pour l’Afrique du nord.
Il crut qu’il n’y arriverait jamais.
Le paquebot prenait mille et une précautions.
Les eaux étaient infestées de mines et de sous-
marins.
Mais après une traversée qu’on peut qualifier
de chanceuse, le paquebot arrivait en Afrique.

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Deux jours plus tard notre espion était rendu
en Espagne.
Là, il se rapporta au consulat.
On lui demanda ses papiers.
IXE-13 les montra au nom de Jacques Foisy.
Aussitôt on l’envoya au consulat français.
De nouveau on examina ses papiers :
– Jacques Foisy ?
– Oui.
– Un instant.
Le commis alla chercher un document et le
feuilleta.
Quelques minutes plus tard, l’homme se
tourna vers IXE-13 :
– Ce ne sera pas long, dit-il.
Il se dirigea vers le fond de la pièce.
Il y avait une grosse porte capitonnée.
Il entra.
IXE-13 attendit plus d’un quart d’heure.

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Enfin l’homme ressortit.
Il y avait maintenant plusieurs autres clients au
comptoir.
L’homme s’approcha d’IXE-13 :
– Je regrette, monsieur Foisy, mais nous ne
pouvons rien faire pour vous.
Puis tendant une petite enveloppe.
– Tenez, voilà votre passeport.
IXE-13 prit l’enveloppe. Le commis expliqua :
– Je l’ai mis dans une enveloppe, il était à se
déchirer.
– Merci quand même, dit IXE-13 en saluant.
– C’est regrettable, mais que voulez-vous ?
IXE-13 se dirigea vers la porte.
Il avait hâte d’ouvrir l’enveloppe.
Il savait fort bien que ce ne pouvait être son
passeport.
Son passeport, il l’avait dans sa poche.
Que pouvait donc contenir l’enveloppe ?
Quand il fut enfin seul, il l’ouvrit.

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C’était bien ce qu’il attendait.
La suite des ordres.
On lui disait où prendre l’avion qui le
conduirait en France.
Dans quelques heures, notre as de
l’espionnage commencera sa nouvelle mission.
Sylvestre Villers est-il vraiment un agent
nazi ?
IXE-13 le découvrira-t-il ?
Et si oui, comment pourra-t-il l’emmener
devant ses chefs ?
Il semble que la mission d’IXE-13 sera plus
difficile qu’elle le paraissait au tout début.

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II

L’auberge « Le Hibou » était une des plus


grosses du village de B...
B... n’était pas occupé par les Allemands.
De plus, à B... on avait trouvé des patriotes qui
étaient prêts à défendre chèrement la vie des
leurs.
C’est au Hibou qu’IXE-13 devait aller.
Villiers était un homme d’une quarantaine
d’années.
Il était un inconnu à B...
Dès les premiers jours de son arrivée, il essaya
d’entrer dans le mouvement de résistance.
Il encourageait tout le monde à ne rien céder
aux Allemands.
Au début, on s’était défié de cet homme.
Mais maintenant, on le considérait comme un

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des chefs de la résistance.
Pourquoi le gouvernement avait-il dépêché
IXE-13 sur les lieux ?
L’espion devait faire enquête et nul doute
qu’IXE-13 saura bien accomplir son travail.
Le propriétaire de l’auberge était un gros
monsieur à l’air bonasse.
Tout le monde l’appelait monsieur Hibou bien
que son nom véritable fût Ovide Larmec.
Il avait trois employés.
Deux hommes et une femme.
La femme était attachée au service de la
cuisine.
Un des hommes était une sorte de colosse
mesurant près de six pieds.
Il avait dû être attaché à la marine car il portait
une barbe épaisse qui lui cachait une partie du
visage.
L’autre homme était plutôt un enfant.
C’était un jeune garçon du nom de Dédé.

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Il s’occupait du service des chambres.
Cependant il était infirme.
Jamais on n’aurait pu arracher une parole de
sa bouche car un accident l’avait rendu
complètement muet.
Ce matin-là, le patron était assis derrière son
comptoir.
Soudain, une voiture s’arrêta devant la porte.
Un homme descendit, une valise à la main.
Aussitôt Charles, le colosse, s’avança, prit la
valise et les deux hommes se dirigèrent vers
l’auberge.
Le bonhomme Hibou se redressa.
Il salua son nouveau client aussitôt que la
porte s’ouvrit.
– Bienvenue, monsieur.
IXE-13, car c’était lui, s’avança :
– Pourrais-je avoir une chambre ?
– Pour combien de temps ?
– Oh, je ne sais pas au juste, Disons une

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semaine.
– Bien, monsieur.
Hibou prit un gros livre.
– Chambre 12.
Le colosse partit avec la valise.
Hibou fit signe à IXE-13 :
– Approchez !
L’espion obéit :
Hibou demanda :
– Vous avez vos papiers ?
– Oui.
IXE-13 sortit ses papiers.
Le bonhomme les examina.
Enfin il les lui remit :
– Si vous voulez signer !
IXE-13 signa de sa plus belle main : Jacques
Foisy !
Le bonhomme cria :
– Dédé !

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Aussitôt la porte s’ouvrit.
Le garçon parut.
IXE-13 l’examina vivement.
C’était un jeune garçon aux traits délicats.
– Conduis monsieur à la chambre 12.
Puis se tournant vers IXE-13 :
– C’est inutile de lui parler, il est muet.
– Je vois !
IXE-13 suivit le garçon qui s’était dirigé vers
l’escalier.
Bientôt ils arrivèrent vers la chambre 12.
Le garçon ouvrit la porte.
Il laissa passer IXE-13.
Puis il se tint debout devant la porte.
– Très bien, dit IXE-13, tu peux t’en aller.
Le jeune homme referma la porte et disparut.
IXE-13 regarda autour de lui.
La chambre était assez grande et bien éclairée.
IXE-13 regarda par la fenêtre.

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Ici et là on voyait des débris de maisons qui
étaient tombées sous les bombes nazis.
IXE-13 ne savait par où commencer.
Il décida donc de redescendre.
Il revint près du comptoir.
Le bonhomme Hibou était assis derrière.
– Vous avez vu la chambre ?
– Oui, c’est très bien.
Il y eut un silence entre les deux hommes.
Puis Hibou demanda :
– Serait-ce indiscret de vous demander ce que
vous venez faire ici ?
– Mon Dieu, répondit IXE-13, je voyage, c’est
mon plaisir. Je suis trop âgé pour me battre et
j’aime à visiter.
– Vous avez visité plusieurs endroits ?
– Oui, mais quelquefois nous avons des
difficultés.
– Je le sais.
Nouveau silence.

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Puis IXE-13 risqua :
– Vous avez plusieurs chambreurs ?
– Non. Un seul.
– Un seul ! C’est curieux, comment faites-
vous pour vivre ?
– Les repas. Je sers à manger à presque tout le
village. Les trois quarts des familles sont
démembrées. Presque tous les hommes viennent
manger ici.
– Je vois. Et le chambreur ?
– Monsieur Villiers ?
– Ah, c’est son nom ?
– Oui.
– Il est ici depuis longtemps ?
– Un mois et demi. Il s’est réfugié dans notre
village, c’est un très bon copain. Je crois qu’il a
décidé de demeurer ici. Mais il part souvent pour
faire quelques voyages.
IXE-13 parut intéressé :
– Ah, il voyage lui aussi ?

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– Oh ! pas loin. Il va à la ville voisine et il
revient, c’est tout ce qu’il fait. Un de ses amis
demeure là-bas.
– Oh, bon ! Je croyais qu’il faisait de longs
voyages.
– Non. Je vous le présenterai.
La porte de l’auberge s’ouvrit.
Quatre hommes à l’allure loufoque parurent.
Ils s’arrêtèrent brusquement en apercevant
IXE-13.
Mais le bonhomme Hibou leur expliqua :
– C’est un nouveau locataire. Un ami !
Les hommes sans rien dire allèrent s’asseoir
dans un coin.
Ils commandèrent une bouteille de vin.
Le bonhomme alla la leur porter.
Ils causèrent quelques minutes à voix basse,
puis le bonhomme revint vers le comptoir.
Il regarda sa montre.
– Il est presque l’heure du repas.

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Puis regardant IXE-13 :
– Vous m’excusez ?
– Faites votre travail.
Le bonhomme alla vers la cuisine.
IXE-13 regarda autour de lui.
Puis il se décida.
Il s’approcha de la table où se trouvaient les
quatre hommes.
– Messieurs, permettez-moi de me présenter,
je me nomme Jacques Foisy. Je crois que je
passerai quelques jours dans votre village.
Les hommes ne levèrent même pas les yeux.
IXE-13 resta debout quelques secondes.
Enfin, il se retira plus loin.
Les quatre hommes se mirent à causer à voix
basse.
IXE-13 s’était assis à une table et regardait au
dehors.
Soudain l’un des quatre hommes se leva.
Il s’approcha d’IXE-13.

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– Hé l’ami !
– Quoi ?
– Veux-tu un conseil ?
IXE-13 le regarda dans les yeux. L’homme
poursuivit :
– On n’aime pas les étrangers nous autres.
– Ah !
– Tu es mieux de ne pas « moisir » trop
longtemps ici.
L’homme retourna à sa table.
IXE-13 songea :
– Sans doute des gars de la résistance.
IXE-13 aurait-il de la difficulté avec ceux
même qu’il veut aider ?
Ne lui mettront-ils pas des bâtons dans les
roues ?

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III

Une dizaine de minutes plus tard, la salle de


l’auberge était presque pleine d’hommes.
IXE-13 était demeuré seul dans son coin.
Il regardait autour de lui.
Il essayait d’attraper des bribes de
conversation.
Soudain la porte de l’auberge s’ouvrit.
Un homme élégamment vêtu apparut.
Des voix murmurèrent :
– Bonjour, Villiers.
L’homme salua à la ronde.
Puis il regarda autour de lui.
Il n’y avait qu’une seule place de libre.
À la table d’IXE-13.
Sans hésiter Villiers s’avança :

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– Vous permettez ?
– Mais certainement.
Villiers s’assit.
Il regarda l’espion.
– Vous êtes étranger ?
– Français, mais étranger à l’auberge. Vous
êtes monsieur Villiers, n’est-ce pas ?
– Oui.
– Le propriétaire de l’auberge m’a parlé de
vous.
– Le bonhomme Hibou ?
– Qui ?
– Le propriétaire, nous l’appelons le
bonhomme Hibou.
– Ah, c’est lui ?
Le colosse, Charles, le bonhomme Hibou et
Dédé avaient commencé à servir les tables.
Il n’y avait pas de menu.
Tous mangeaient ce qu’on apportait.
IXE-13 se présenta :

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– Je me nomme Jacques Foisy.
– Enchanté. Demeurez-vous ici ?
– Je suis locataire depuis ce matin.
Les deux hommes se fixaient étrangement.
On aurait dit qu’ils cherchaient à deviner les
pensées de chacun.
Le bonhomme Hibou s’approcha avec deux
assiettes.
– Ah je vois que vous avez fait connaissance,
dit-il.
Villiers répondit :
– En effet, je viens de rencontrer monsieur.
Le bonhomme déposa les assiettes.
– Merci.
Il se retira aussitôt.
Les deux hommes se mirent à manger.
Soudain IXE-13 demanda :
– On dit qu’il y a un gros mouvement de
résistance à B...
– On le dit !

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Mais IXE-13 le savait.
C’est ce petit village qui, un peu plus tard,
devait se lever une armée de libération.
Les Allemands devaient savoir ce qui se
passait à B...
Les chefs de la résistance devaient recevoir les
ordres du général en cas d’une attaque surprise.
Il fallait que les Allemands se tiennent au
courant.
Mais Villiers était-il vraiment le représentant
de la gente nazie ?
Le sang d’IXE-13 bouillonnait dans ses veines
en pensant que peut-être l’homme en face de lui
était un ennemi.
Ils continuèrent de manger en silence.
Les autres de la place leur jetaient un coup
d’œil à la dérobée.
Le repas se termina.
IXE-13 décida de monter dans sa chambre.
Il ouvrit la porte qu’il avait fermée à clef.

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Aussitôt il sursauta.
Quelqu’un était entré.
Qui ?
Il ne pouvait le savoir.
Mais IXE-13 employait toujours le même truc.
Quand il arrivait dans un nouvel endroit, avant
de sortir, il glissait dans l’encadrure de la porte,
un petit papier. Le papier n’était pas tombé à
l’entrée d’IXE-13.
Il était tombé auparavant.
C’était donc un signe que quelqu’un avait
pénétré dans sa chambre.
Immédiatement IXE-13 se dirigea vers sa
valise.
Il la mit sur son lit et l’ouvrit.
Tout était en ordre.
Mais quelque chose lui disait qu’on avait dû la
fouiller.
Cependant, il se rassurait en songeant qu’il ne
gardait jamais aucun papier pouvant dévoiler sa

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véritable identité.
IXE-13 se changea de vêtements et
redescendit.
Il n’y avait plus personne dans la salle
d’entrée.
Vivement il s’approcha du livre de registre
ouvert sur la table.
Il jeta un coup d’œil.
– Chambre 11, Sylvestre Villiers.
Vivement, il remonta l’escalier.
La chambre 11 était voisine de la sienne.
IXE-13 s’approcha à pas de loup.
Il colla son oreille à la porte.
Il n’y avait personne.
Alors il retourna à sa chambre.
Il mit la main dans sa poche et sortit son porte-
clefs.
Ce porte-clefs, assez bien rempli, ne contenait
cependant aucune clef.
C’était une série de petits instruments.

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Il prit une petite mèche de vilebrequin et
attaqua le mur.
Il travailla pendant plus d’une demi-heure.
Enfin il parvint à percer la cloison.
IXE-13 revint dans le corridor.
Il se rapprocha de la chambre 11.
Il mit la main sur la poignée et tourna.
La porte s’ouvrit.
IXE-13 referma vivement la porte derrière lui.
En premier lieu, il nettoya le plancher où l’on
pouvait apercevoir de petits morceaux de plâtre.
De la chambre de Villiers, on apercevait à
peine le trou.
Il fallait le savoir.
IXE-13 sortit et referma soigneusement la
porte.
Le reste de la journée se passa sans autres
incidents.
IXE-13 en profita pour faire un tour dans le
village.

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Tout le monde le regardait comme un suspect.
Les conversations s’arrêtaient aussitôt qu’on le
voyait apparaître.
À l’heure du souper la salle de l’auberge fut de
nouveau remplie.
Villiers vint retrouver IXE-13.
Les deux hommes causèrent de choses et
d’autres.
Enfin le soir arriva.
IXE-13 ne quittait pas Villiers des yeux.
Mais l’homme restait à l’hôtel.
Il était assis dans un des petits salons et lisait
un livre.
IXE-13 le regardait du coin de l’œil.
La porte de l’auberge s’ouvrit.
Deux hommes parurent.
IXE-13 reconnut l’un d’eux.
C’était celui qui lui avait adressé la parole à
l’heure du dîner.
Les deux hommes s’assirent à une table et

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commandèrent une bouteille de vin.
IXE-13 ne s’occupa pas d’eux.
Soudain le même homme qui lui avait parlé
déjà se leva.
Lentement, il s’approcha d’IXE-13.
Il s’accota sur sa chaise.
IXE-13 se retourna.
– Ah, c’est vous ?
– Oui. Vous allez venir avec nous !
– Ah !
IXE-13 sentit quelque chose lui peser dans le
dos.
L’homme était armé.
IXE-13 ne pouvait résister.
Par la fenêtre, il aperçut d’autres hommes qui
semblaient attendre le retour de leurs
compagnons.
S’il essayait de désarmer son adversaire, les
autres accourraient aussitôt.
IXE-13 se leva donc.

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– Dehors ! dit l’homme.
IXE-13 obéit.
Il sortit.
Dans la rue, les hommes les suivirent.
Personne ne parlait.
Le groupe traversa plusieurs rues sombres.
Enfin, ils entrèrent dans une grande maison
basse.
Après qu’ils furent tous entrés, l’un des
hommes referma la porte derrière lui.
On emmena IXE-13 au centre de la pièce.
Celui qui l’avait forcé à le suivre lui dit :
– Maintenant tu vas parler !
– Parler ? fit IXE-13 en le regardant.
– Tu comprends très bien.
– Mais j’avoue que...
– Que viens-tu faire ici ?
– Mais je l’ai dit, je voyage.
Les hommes se mirent à rire :

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– Tu penses que l’on va te croire !
– On ne voyage pas à ce temps-ci.
– Salaud, parle !
Tous criaient :
– Il travaille pour les boches !
Celui qui questionnait imposa le silence. Puis
il demanda :
– Tu dis t’appeler Jacques Foisy ?
– Oui !
– Et tu ne veux rien dire ?
IXE-13 garda le silence.
– Ce sont les Allemands qui t’emploient ?
– C’est faux ! Je n’ai jamais travaillé pour
eux...
Et l’espion répéta :
– Je voyage !
L’un des hommes s’écria :
– À quoi bon le questionner ?
– Vous voyez bien que c’est un traître.

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– Autrement il parlerait, fit un autre.
Puis les cris retentirent d’un peu partout.
– À bas le traître !
– À mort ! À mort !
Les hommes s’avançaient menaçants.
IXE-13 se verrait-il obligé de dévoiler son
identité ?
Mais soudain la porte s’ouvrit brusquement.
IXE-13 vit entrer le jeune Dédé, le muet, en
coup de vent...
IXE-13 sursauta : Dédé avait retrouvé sa
langue.
– Arrêtez ! Arrêtez ! cria-t-il.
Tous se retournèrent. IXE-13 était devenu très
pâle.
Ses mains tremblaient.
Cette voix qui venait de crier :
– Arrêtez ! Arrêtez !
Ce n’était pas une voix de garçon.
IXE-13 en était persuadé.

35
C’était la voix de T-4, de Gisèle Tubœuf, sa
fiancée.
L’espion peut-il s’être trompé ?
Est-ce bien Gisèle Tubœuf qui est changée en
garçon ?

36
IV

Pendant qu’IXE-13 était aux prises avec les


gens de la résistance Sylvestre Villiers n’avait
pas perdu son temps.
Aussitôt qu’IXE-13 eut franchi la porte en
compagnie de celui qui l’avait arrêté, Villiers se
leva.
Il passa près du bonhomme Hibou.
– Je monte me coucher !
– Déjà monsieur Villiers ?
– Je suis fatigué.
– Reposez-vous, ça vous fera du bien.
Villiers se dirigea vers sa chambre.
Il entra dans ses appartements.
Vivement il sortit une malle de sous son lit.
Il l’ouvrit.

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Il y avait plusieurs outils à l’intérieur.
Il en sortit un passe-partout et referma sa
valise.
Il replaça la grosse malle sous le lit.
À pas de loups, il se dirigea vers la porte.
Sortit.
S’avança vers la porte numéro 12.
Écouta tout d’abord.
Personne ne semblait venir.
Alors il se mit à genoux.
Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrait.
Villiers entra et referma la porte derrière lui.
Il jeta un coup d’œil dans la pièce.
Il fouilla dans la valise de l’espion canadien,
remettant le tout pêle-mêle.
Il ne sembla rien trouver d’intéressant.
Comme nous l’avons dit plus tôt l’espion
prenait ses précautions et n’avait rien laissé de
compromettant parmi ses bagages.
Villiers referma la valise.

38
Il la remit sous le lit.
Il allait s’en retourner lorsqu’il s’arrêta net.
– Qu’est-ce que c’est que ça ?
Il s’approcha vivement de la cloison qui
séparait sa chambre de celle de IXE-13.
– Un trou !
Villiers se releva, l’œil triomphant.
Il sourit sataniquement.
– Ah, ah, sans doute un espion des alliés. Eh
bien il va avoir affaire à moi.
Vivement il retourna à sa chambre.
Il mit un paletot de cuir et une casquette, sortit
par la porte de la cuisine.
Ouvrit celle d’un hangar et enfourcha une
motocyclette.
Quelques minutes plus tard, Villiers s’en allait
à toute vitesse sur la route.
Il n’aurait pas été si joyeux s’il avait su que
par le châssis de la cuisine, quelqu’un l’observait.
Cette personne sortit aussitôt après l’espion

39
nazi.
Il monta dans une automobile et s’en fut sur la
même route qu’avait empruntée Villiers quelques
minutes plus tôt.
Villiers est donc un espion nazi ?
Veut-il se sauver d’IXE-13 ou encore lui
tendre un piège ?
Et quel est ce mystérieux personnage qui le
suit en automobile ?

Dédé, le muet qui avait soudainement


recouvré la parole et qu’IXE-13 croyait être sa
fiancée Gisèle Tubœuf attirait l’attention de tous.
Il s’avança au milieu de la pièce.
Et désigna IXE-13.
– C’est un ami !
Cette fois, IXE-13 était sûr.
C’était bien elle.
Le chef des hommes demanda :
– Un ami ?

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– Oui. Vous avez confiance en moi ?
– Certainement.
– Alors ne posez plus de questions. Je veux
être seul avec lui.
– À vos ordres, dit l’homme.
Il se dirigea vers le fond de la pièce.
Ouvrit une porte donnant dans une autre petite
pièce.
Et fit signe à Dédé.
– Venez, dit ce dernier à IXE-13.
Ils entrèrent tous les deux dans la petite pièce.
IXE-13 referma la porte derrière lui.
Dédé se jeta dans ses bras.
– Jean !
– Gisèle, ma Gisèle !
L’espion la couvrait de baisers.
– Ma chérie !
Les deux fiancés ne s’étaient pas vus depuis
plusieurs mois.

41
Gisèle leva la tête.
– Tu m’as reconnue ?
– J’ai reconnu ta voix, dit IXE-13.
– Moi aussi, dit Gisèle.
– Ah !
– Dès le premier instant où tu es entré à
l’auberge, je t’ai reconnu. Je savais que c’était
toi. Mais je ne pouvais rien dire.
IXE-13 sourit :
– Tu étais muet.
– Justement, tu sais, à cause de ma voix !
IXE-13 soupira :
– Tu es arrivée à temps.
– Je sais.
IXE-13 demanda brusquement :
– C’est toi qui as fouillé ma chambre ?
– Moi ?
– Oui.
– Mais non !

42
IXE-13 s’avança vers la porte.
– Gisèle !
– Quoi ?
– Je peux partir ?
– Oui.
Elle demanda :
– Tu es en mission ?
– Oui, mais toi, que faisais-tu ici ?
Elle leva les épaules :
– Mon possible. Le service d’espionnage
français est tout désorganisé. Alors je travaille à
la résistance.
– Je comprends.
Gisèle ouvrit la porte et sortit.
Tous les hommes attendaient.
Elle ordonna :
– Vous allez laisser partir mon ami.
Personne ne répondit.
– Désormais vous le considérerez comme l’un

43
des nôtres.
Elle fit signe à IXE-13 :
– Tu peux partir.
– Merci !
Gisèle alla le reconduire vers la porte.
Ils s’embrassèrent une dernière fois.
– Bonsoir, Dédé, fit IXE-13 moqueur.
– Je te reverrai, mon amour !
– Dieu seul le sait ! Adieu.
IXE-13 s’éloigna rapidement. Il entra à
l’auberge.
Le bonhomme Hibou était assis derrière son
comptoir.
IXE-13 lui demanda :
– Monsieur Villiers est là ?
– Il est couché !
– Je monte à mon tour, dit IXE-13.
Il grimpa vivement l’escalier. Et entra dans sa
chambre. Vivement il s’approcha de la cloison.

44
– Bon Dieu !
Il n’y avait plus personne dans la chambre de
Villiers.
IXE-13 sortit vivement de sa chambre.
Et redescendit l’escalier.
Le bonhomme était toujours là.
– C’est curieux, dit IXE-13.
– Quoi donc ?
J’ai frappé à la chambre de Villiers, et il n’y a
personne.
– Tiens, tiens !
Le bonhomme regarda curieusement IXE-13.
– Vous êtes un de ses amis ?
– Non, mais il m’avait demandé de lui acheter
un paquet de cigarettes, dit IXE-13 au hasard. Je
le lui remettrai demain matin.
Au même moment, la porte s’ouvrit.
Gisèle, toujours en garçon, parut.
IXE-13 se dirigea vers l’escalier. Soudain il
s’arrêta :

45
– Hé, patron !
– Oui ?
– Je n’ai pas de serviettes dans ma chambre.
Le bonhomme Hibou se tourna vers Dédé.
– Tu les as oubliées ?
Dédé fit un grand signe de la tête.
– Vas-y immédiatement.
Dédé disparut.
IXE-13 cria :
– Bonsoir !
– Bonsoir, répéta le bonhomme.
IXE-13 entra dans sa chambre.
Quelques minutes plus tard on frappait à la
porte.
Gisèle parut tenant une serviette.
Elle lui fit signe de ne pas parler.
Et referma la porte derrière elle.
– Eh bien, qu’est-ce qui se passe ?
– Tes imbéciles m’ont fait perdre mon

46
homme.
– Ton homme ? Quel homme ?
– Villiers. Sylvestre Villiers.
– Ah, ta mission ?...
– Oui.
Gisèle remarqua :
– Nous ne nous étions pas trompés, Marius et
moi, nous le redoutions.
IXE-13 sursauta :
– Marius !
– Mais oui. Il est ici.
Marius Lamouche, le brave Marseillais
qu’IXE-13 avait connu lors de ses premiers
voyages, était là lui aussi.
Gisèle expliqua :
– Il ne m’a jamais quittée.
– Mais pourtant, je ne l’ai pas vu !
– Si, dit Gisèle.
– Mais qui est-ce ?

47
– Un autre employé de l’auberge. Celui qui a
pris tes valises à ton arrivée.
– Oh ! je me souviens, le colosse à la barbe ?
Justement, on l’appelle Charles ici.
– Je ne l’avais pas reconnu.
– Lui non plus d’ailleurs.
Mais IXE-13 se ressaisit :
– Nous nous éloignons du sujet.
– C’est vrai, nous disions que Villiers...
– Je le cherche, dit IXE-13.
– Il n’est donc pas dans sa chambre ?
– Non.
– Curieux. Attends-moi.
Elle sortit vivement et revint quelques
secondes plus tard.
– Marius n’est pas là.
– Que veux-tu dire ?
– Je lui avais demandé de surveiller Villiers.
– Ah !

48
– Il doit être parti à sa suite.
– Mais où ?
– Je l’ignore. C’est la première fois que
Villiers sort le soir.
– Mais dans le jour, où va-t-il ?
– Quelques fois, il va au village voisin faire
quelques emplettes.
– Vous l’avez suivi ?
– Oui. Il va toujours au même restaurant.
– Viens avec moi, dit IXE-13.
Elle le regarda surprise : – Où ?
– À la ville voisine. Villiers doit être parti là.
Mais il fallait une voiture.
L’as des espions canadiens demanda :
– Vous devez avoir des voitures au service de
l’auberge ?
– Oui, deux.
– Alors vite, sautons dans une.
– Il faudrait les clefs.

49
IXE-13 ragea :
– Où sont-elles ?
– Marius les a. Mais il y en a deux de chaque.
– Et où se trouve la copie ?
– Près du comptoir en bas. Je ne puis pas aller
la chercher.
IXE-13 maudissait ce contretemps.
– Qu’allons-nous faire ? demanda Gisèle.
– Il n’y a qu’une chose à faire ? dit IXE-13.
– Quoi ?
– Attendre. Tu vas descendre et guetter le
bonhomme. Aussitôt qu’il montera à sa chambre,
prends les clefs et viens me rejoindre.
– Bien.
Gisèle sortit.
IXE-13 alluma une cigarette.
Il était nerveux.
Les minutes passaient.
Il était toujours sans nouvelles de Gisèle.

50
Une heure...
Enfin IXE-13 entendit un bruit de pas.
Il s’approcha de la porte.
Et écouta.
Les pas se rapprochaient. Enfin, on frappa.
IXE-13 ouvrit.
C’était Gisèle.
– J’ai les clefs, déclara-t-elle.
– Alors, viens. Ils sortirent vivement.
Gisèle l’entraîna vers l’arrière.
Quelques minutes plus tard les deux amis
montaient dans le camion et s’éloignaient en
direction de la ville voisine.
Retrouveront-ils Villiers ?
C’est donc Marius Lamouche qui l’a suivi ?
Que fera-t-il ?

51
V

La motocyclette filait à toute vitesse.


Un peu plus à l’arrière le camion au volant
duquel se trouvait Marius Lamouche suivait tous
phares éteints.
Marius était prudent.
Il ne fallait pas que Villiers sache que
quelqu’un le suivait.
Les deux véhicules approchaient de la ville
voisine.
– Peuchère, je me demande bien où il va ?
Rendue dans la ville la motocyclette tourna.
Marius fit ralentir son camion.
Arrivant à son tour au coin de la rue, il aperçut
la motocyclette arrêtée près du restaurant où
Villiers faisait toujours ses emplettes.
Marius arrêta son camion.

52
Il descendit.
À pied, il s’avança vers le restaurant, suivant
le bord des maisons pour ne pas être aperçu.
Il arriva enfin près du restaurant.
Villiers avait disparu.
Mais derrière les stores baissés, on voyait
filtrer de la lumière.
Soudain la lumière s’éteignit.
Vivement, Marius se jeta à l’arrière.
L’avait-on aperçu ?
Mais la lumière ne se ralluma pas.
– Ils doivent avoir changé de pièce, se dit
Marius.
Le Marseillais réfléchit rapidement.
Allait-il essayer de pénétrer à l’intérieur.
– Ce n’est guère prudent, se dit-il.
Personne ne savait que Marius était parti à la
poursuite de Villiers.
Avant son départ il avait cherché à parler à
Gisèle, mais il n’avait pu la trouver.

53
En effet Gisèle était partie délivrer IXE-13 des
mains des Français.
Soudain. Marius sembla perdre une décision.
Rapidement il traversa la rue.
Il marcha pendant quelques minutes.
Puis il tourna sur une petite rue transversale.
Quelques minutes plus tard il sonnait à la
porte d’une grosse maison.
À trois reprises.
Soudain, à l’intérieur, la lumière s’alluma.
Un homme assez âgé parut :
– Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.
– L’aide à la France ! cria Marius.
C’était le mot de passe des gars de la
résistance.
Immédiatement la porte s’ouvrit.
L’homme reconnut son interlocuteur.
– Ah ! c’est vous le gros Charles ?
– Oui, monsieur Laverdue.

54
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Quelque chose d’important.
– Mais entrez !
– Très bien.
Marius entra.
L’homme referma la porte.
– Suivez-moi.
Il emmena Marius dans une petite pièce qui
servait de boudoir.
– Asseyez-vous !
– Merci !
Marius obéit.
Laverdue demanda :
– Eh bien ?
Marius expliqua :
– Vous connaissez Villiers ?
– Oui.
– Vous savez que pendant un certain temps,
nous n’avions pas grand confiance en lui.

55
– Oui, mais depuis...
– Je sais, je sais, mais moi, je l’ai toujours
surveillé.
– Eh bien ?
– Je crois que ce soir, nous allons l’attraper.
– Vous croyez que... ?
– Il vient de quitter précipitamment l’auberge
et il est venu ici.
– Où ?
– Chez Verdi.
Verdi était le nom du restaurateur.
– Verdi ?
– Oui.
Laverdue se gratta la tête.
– Qu’est-ce qu’il est allé faire ?
– Je ne sais pas. Mais Verdi l’a laissé entrer.
– Ce Verdi est un bien drôle de type. Je l’avais
à l’œil depuis quelque temps.
– Ah !

56
Marius reprit aussitôt :
– Et ce n’est pas tout.
– Comment ?
– Je crois que Villiers a un complice à
l’auberge.
– Pas le bonhomme Hibou ?
– Non, non, un nouveau locataire qui est arrivé
ce matin. Il s’est enregistré sous le nom de
Jacques Foisy.
– Il connaît Villiers ?
– Ils ont mangé à la même table ce midi et ce
soir.
– Où se trouve ce Foisy dans le moment ?
– Je l’ignore. Cet après-midi après son arrivée
je suis entré dans sa chambre et j’ai fouillé ses
bagages.
– Vous avez trouvé quelque chose ?
– Non. Absolument rien. Vous savez que ces
hommes-là prennent leurs précautions.
C’était donc Marius qui avait fouillé les

57
bagages d’IXE-13.
Laverdue demanda :
– Que faut-il faire ?
– Vous pouvez réunir quelques hommes ?
– Oui.
– Eh bien, nous allons entrer chez Verdi.
– Vous croyez que nous découvrirons quelque
chose ?
– C’est possible. Nous fouillerons la maison
de fond en comble. Si nous ne trouvons rien,
Villiers devra au moins expliquer sa présence.
– Vous ne croyez pas que nous ferions mieux
d’attendre.
– Non. Il y a trop longtemps que nous
attendons !
Laverdue se leva :
– Après tout, vous avez raison. Êtes-vous en
voiture ?
– Oui.
– Eh bien allez la chercher, j’irai avec vous

58
prendre des hommes.
– Entendu.
Marius revint vers son camion.
En passant près du restaurant, il regarda à
l’intérieur.
Il n’y avait aucune lumière.
Mais la bicyclette était toujours sur le côté de
la maison.
Marius murmura :
– Pourvu qu’il ne se sauve pas avant notre
arrivée.
Marius rejoignit son camion.
Il monta vivement sur le siège.
Quelques secondes plus tard, le véhicule se
remettait en marche.
Marius s’arrêta juste devant la maison de
Laverdue.
Il dut attendre quelques minutes.
Laverdue achevait de s’habiller.
Enfin la porte s’ouvrit.

59
Laverdue parut.
Marius ouvrit la porte du camion.
– Montez !
Laverdue obéit.
Il tendit une feuille à Marius.
– J’ai fait une liste d’hommes.
– Combien ?
– Cinq !
– Avec nous ça fera sept.
– Nous serons assez ?
– Je le crois.
Laverdue expliqua :
– Vous avez les adresses sur la feuille.
– Très bien.
– Alors allons-y.
Marius appuya sur l’accélérateur.
Le camion disparut dans la nuit.

IXE-13 et Gisèle filaient, à toute vitesse dans

60
le second camion de l’auberge du Hibou.
– Tu sais où se trouve le restaurant, n’est-ce
pas ?
– Oui.
– Nous arrêterons avant d’y arriver.
– Pourquoi ?
– Villiers peut apercevoir le camion.
– Tu as raison.
IXE-13 savait qu’il était en retard.
Marius était peut-être en danger.
Il fallait arriver à temps.
– Nous approchons, dit Gisèle.
En effet, on pouvait voir les lumières de la
ville voisine.
La voiture roula encore pendant quelques
minutes.
Soudain Gisèle déclara :
– Tu peux arrêter ici.
IXE-13 stoppa.

61
– Nous ne sommes pas loin ?
– Nous n’avons qu’à tourner le coin de la rue.
– Très bien.
Ils descendirent.
– Viens !
Ils se mirent à marcher très lentement,
regardant autour d’eux.
Ils approchèrent du restaurant.
– C’est ici, dit Gisèle.
IXE-13 posa sa main sur son bras.
– Reste ici.
Gisèle obéit.
IXE-13 s’avança.
Il était maintenant rendu au restaurant.
Il se pencha pour regarder sous les stores.
Il n’y avait aucune lumière à l’intérieur.
Mais sur le côté de la maison, il y avait, un
passage menant à l’arrière.
IXE-13 revint vers Gisèle.

62
– Suis-moi.
– Y a-t-il quelqu’un ?
– Aucune lumière, mais il y a une bicyclette
arrêtée dans le passage de cour.
– Une motocyclette, que tu veux dire ?
– Justement.
– Eh bien, elle appartient à Villiers.
– Tu es certaine ?
– Oui, il l’entreposait dans le garage de
l’auberge.
– Nous allons passer par l’arrière.
– Tu veux entrer dans la maison ?
– Si !
L’espion regarda celle qu’il aimait.
– Tu as peur ?
– Jean ! Tu ne me connais pas ! Je te suis, dit
Gisèle.
Ils passèrent devant le restaurant.
Enfin ils s’engagèrent dans le passage de cour.

63
– C’est bien la moto de Villiers, dit Gisèle.
Ils arrivèrent derrière la maison.
Là non plus il n’y avait aucune lumière.
– Où peuvent-ils être ?
IXE-13 regarda autour de lui.
– Gisèle, dit-il tout à coup.
– Quoi ?
– Regarde, les soupiraux de la cave !
Gisèle jeta un coup d’œil.
Il y avait de gros madriers qui masquaient
l’entrée des soupiraux.
– Ils sont probablement là.
IXE-13, évitant de faire du bruit, monta sur la
petite galerie.
Il essaya d’ouvrir la porte.
Mais elle était bien verrouillée.
Il s’attaqua à une fenêtre sans plus de succès.
Mais la seconde fenêtre ne semblait pas solide.
IXE-13 donna une violente poussée.

64
Elle s’ouvrit.
Il fit signe à Gisèle.
Elle monta à son tour sur la galerie.
– On entre, dit IXE-13.
Le premier, il enjamba la fenêtre et regarda
autour de lui.
Il était dans une petite pièce carrée qui devait
servir de salle de débarras.
La porte donnant sur un corridor était
entrouverte.
IXE-13 aida Gisèle à enjamber la fenêtre à son
tour.
Nos deux espions sont maintenant rendus dans
le repaire des bandits.
Qu’arrivera-t-il ?
IXE-13 réussira-t-il à mettre la main sur
Villiers et son complice ?

65
VI

Marius et Laverdue arrivèrent à la maison du


premier des cinq hommes qu’ils avaient choisis.
Laverdue alla sonner à la porte.
Il revint au bout de quelques secondes.
– Il ne vient pas, demanda Marius ?
– Si !
– Alors...
– Nous allons avertir les autres, puis nous
reviendrons le chercher. Comme ça nous ne
perdrons pas de temps.
– C’est une bonne idée.
Laverdue reprit sa place auprès de Marius.
Ce dernier remit le camion en marche.
Ils passèrent chez trois autres Français,
promettant toujours de les reprendre en revenant.

66
Ils arrivèrent enfin chez le dernier.
Ils durent attendre quelques minutes.
L’homme s’habilla, puis armé d’une carabine,
il vint les rejoindre.
Marius fit tourner le camion.
Ils firent le même chemin en sens inverse.
Les autres étaient prêts.
Bientôt les sept hommes bien armés étaient
tous installés dans le camion qui filait à toute
vitesse vers le restaurant Verdi.

IXE-13 prit Gisèle par la main. Tous les deux


sortirent dans le corridor. Il faisait noir.
De chaque côté du corridor, il y avait deux
portes.
– Pour moi, dit IXE-13, ils sont dans la cave.
Mais quelle porte ?
Il fallait trouver la bonne.
IXE-13 laissa Gisèle au milieu du corridor.
Il s’approcha de la première porte, du côté

67
droit, l’ouvrit et jeta un coup d’œil à l’intérieur.
– La cuisine !
En effet, c’était la cuisine dont les fenêtres
donnaient sur la cour.
IXE-13 referma la porte.
– Ce n’est pas ici, dit-il.
Il s’avança vers la seconde porte.
Et l’ouvrit.
C’était une très petite pièce.
Il n’y avait qu’une table et quatre chaises
comme ameublement.
Mais au fond de la pièce, il y avait une autre
porte.
IXE-13 fit signe à Gisèle.
– Je crois que c’est ici.
Gisèle entra dans la pièce.
IXE-13 essaya d’ouvrir la porte du fond.
Mais elle était fermée à clef.
IXE-13 ragea.

68
– Attends, dit Gisèle.
Elle s’était approchée à son tour.
Elle essaya d’enlever les clous qui tenaient les
gongs.
– Ils ne sont pas solides, dit-elle.
IXE-13 l’aida.
L’un des clous sortit.
– Le gong du haut maintenant.
Mais soudain nos deux amis sursautèrent.
La lumière venait de s’allumer dans la pièce.
IXE-13 se retourna d’un bond.
Un homme se tenait dans l’encadrure de la
porte, revolver au poing.
Gisèle le reconnut aussitôt.
– Verdi ! murmura-t-elle à IXE-13.
Verdi demanda :
– Vous désirez, messieurs ?
Gisèle était toujours habillée en garçon.
IXE-13 ne répondit pas.

69
Un autre homme parut.
C’était Villiers.
– Tiens, tiens, monsieur Jacques Foisy !
Il s’avança au-devant d’eux.
Et Dédé aussi. Il se pencha vers Gisèle :
– C’est toi, petit morveux, qui l’a emmené
ici ?
Il lui donna une gifle retentissante.
IXE-13 se retint pour ne pas sauter sur
Villiers. Verdi déclara :
– Nous sommes mieux de les descendre.
– Oui.
Ils forcèrent nos deux amis à sortir de la pièce.
Ils entrèrent dans un autre appartement.
Là aussi il y avait une deuxième porte.
C’était la porte de la cave.
IXE-13 s’était donc trompé la première fois ?
Les deux espions nazis forcèrent IXE-13 et sa
compagne à descendre l’escalier.

70
En bas, la cave était divisée en deux pièces
distinctes.
La seconde pièce ressemblait à un bureau.
Au fond, dans le mur, il y avait un appareil
télégraphique qui pouvait être camouflé au
besoin.
Villiers poussa les deux compagnons au centre
de la pièce.
– Et maintenant, mon cher monsieur Foisy,
vous allez parler.
IXE-13 ne broncha pas.
– Votre vrai nom, qui êtes-vous ?
Silence complet.
– Pourquoi m’espionnez-vous ?
IXE-13 ne répondait pas.
Villiers sourit :
– Êtes-vous muet comme votre compagnon ?
Les deux hommes éclatèrent de rire.
Villiers fit un signe à Verdi.
– Verdi !

71
– Quoi ?
– Martyrise donc un peu le jeune, ça forcera
peut-être l’autre à parler ?
Verdi s’approcha de Gisèle.
Lui prit un bras.
Brusquement il le lui tordit.
Gisèle laissa échapper un cri de douleur.
Villiers était stupéfait.
– Mais comment ?... il crie ?... Il parle !
Gisèle avait repris son sang-froid.
Verdi lui saisit les deux bras.
Il se mit à les tordre.
– Oh mon Dieu ! laissa échapper Gisèle
malgré elle.
Villiers s’écria :
– Il parle ! Il parle !
Verdi ajouta :
– On dirait une voix de femme !
– Une femme ?

72
– Si c’était vrai, ce serait très intéressant. La
petite amie de l’autre.
– Mais oui, tu as raison, Verdi.
Le restaurateur regardait les mains de Gisèle.
– D’ailleurs, on le voit tout de suite à ses
mains. Elle a les mains douces, douces. Et puis,
quand on remarque comme il faut, on s’aperçoit
bien qu’elle a des formes prononcées pour un
garçon.
Villiers éclata de rire.
Il se tourna vers IXE-13 :
– Alors, tu ne parles pas ?
IXE-13, les dents serrées, ne dit pas un mot.
Villiers regarda son ami :
– Verdi.
– Oui ?
– Tu as une allumette ?
– Oui.
– Alors, que dirais-tu de brûler un peu la
plante des pieds à la demoiselle ?

73
– Très bonne idée !
Verdi sortit une allumette de sa poche.
Puis il s’approcha de Gisèle.
Il commença à délacer ses souliers.
– Arrêtez ! cria IXE-13.
Villiers sourit :
– Tiens, tiens, il devient raisonnable !
Verdi se tenait toujours près de Gisèle, au cas
où l’espion changerait d’idée.
IXE-13 ne cherchait qu’une chose.
Gagner du temps pour ensuite s’échapper.
– Ton nom ?
– Jacques Foisy.
– Mais je te demande ton nom véritable.
– Mais je vous le dis.
– Alors Foisy, c’est ton nom ?
– Oui.
– Et cette demoiselle, tu la connais ?
– Oui.

74
– Comment s’appelle-t-elle ?
IXE-13 mentit effrontément :
– Denise Gadouas.
– Qu’est-ce qu’elle fait habillée en garçon ?
– Ça, je l’ignore, dit IXE-13. Mais je suis venu
ici pour la rejoindre. Elle m’a appris qu’on vous
soupçonnait d’être un agent de ces sales boches ;
alors j’ai décidé de le découvrir avec son aide.
– Ainsi, tu n’es pas envoyé en mission ?
– En mission, par qui ! Pourquoi ?
Verdi les interrompit :
– Sylvestre !
– Quoi ?
– Écoute, on dirait des pas.
Villiers prêta l’oreille.
– Mais oui.
– Et ils sont plusieurs !
– C’est vrai :
IXE-13 était sur ses gardes.

75
Les bruits de pas se rapprochaient.
Vivement, Villiers tendit la main.
Tourna le commutateur.
La lumière s’éteignit.
Au même moment, IXE-13 avait bondi.
Il savait où se trouvait Villiers.
Il ne manqua pas son homme.
L’as des espions canadiens frappa à coups de
pieds et à coups de poings.
– Gisèle ! cria-t-il.
Il n’eut aucune réponse.
Vivement IXE-13 tendit la main, chercha le
commutateur.
L’atteignit enfin.
Et fit de la lumière.
Verdi et Gisèle étaient disparus.
IXE-13 bondit vers la porte.
Au même moment un groupe d’hommes
parurent dans l’escalier de la cave.

76
– C’est Foisy ! cria le premier.
IXE-13 reconnut immédiatement celui qu’on
appelait le gros Charles.
– Marius !
Le gros Charles tressaillit.
IXE-13 continua :
– C’est moi, tu me reconnais ?
Marius était presque tombé en bas de
l’escalier.
Il sauta dans les bras de son patron et lui
donna une accolade.
– Vous, patron !
– Mais oui, tu ne savais pas ?
Les autres hommes étaient entrés dans la
pièce.
Ils aperçurent Villiers.
IXE-13 le désigna :
– C’est un espion. Prenez-en soin.
Puis se tournant vers Marius :
– Tu as vu Gisèle ?

77
– Gisèle ?
– Mais oui, Verdi l’a emmenée.
– Mais non, je ne l’ai pas vue !
– Quoi ?
IXE-13 semblait fou.
– Il faut pourtant...
IXE-13 ne continua pas sa phrase.
Il se lança contre les parois de la cave et se mit
à sonder les murs.
– Marius, viens ici.
L’un des murs résonnait curieusement.
– Il doit y avoir une porte ici.
– Mais vous avez raison, patron.
– Qui habite le logement d’à côté ?
– Verdi lui-même.
IXE-13 bondit vers l’escalier suivi de Marius
et de Laverdue.
Ils arrivèrent bientôt dans la rue.
La porte de Verdi était grande ouverte.

78
– Il s’est sauvé ! dit Marius.
– Sauvé avec Gisèle.
IXE-13 ne perdit pas son sang-froid.
Il avait accompli sa mission.
Villiers était maintenant son prisonnier.
IXE-13 se tourna vers Laverdue :
– C’est vous le chef du groupe ?
– Oui.
– Eh bien, je vous confie Villiers. Ne le laissez
pas s’échapper.
– N’ayez crainte.
– Quant à vous, Marius, nous allons délivrer
Gisèle.

IXE-13 vient à peine de finir sa mission qu’il


se voit de nouveau lancé dans une péripétie
d’aventures qui devraient être sensationnelles.
Ne manquez pas le prochain chapitre des
aventures de l’espion IXE-13, chapitre intitulé :
Fiancée en péril.

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80
Cet ouvrage est le 261e publié
dans la collection Littérature québécoise
par la Bibliothèque électronique du Québec.

La Bibliothèque électronique du Québec


est la propriété exclusive de
Jean-Yves Dupuis.

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