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Sahara occidental : « Pourquoi j’ai rompu avec le Polisario »

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Jeune Afrique Abonnés <service.client@jeuneafrique.com> mar. 29 nov. 2022 à 20:02


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Avant-première
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Les témoignages sur le fonctionnement interne du Front Polisario sont rares. Celui de Hadj
Ahmed Barrikallah, né en 1957 dans la bourgade de Villa Cisneros (aujourd’hui Dakhla), est
exceptionnel à plus d’un titre. Ce descendant de grandes familles sahraouies a connu les
années turbulentes des accords tripartites signés en 1975 par le Maroc, la Mauritanie et
l’Espagne, avant de rejoindre le Polisario. Devenu ambassadeur, et même ministre, de la
République arabe sahraouie démocratique (RASD) autoproclamée, il a découvert l'envers du
décor, et fini par rompre avec le mouvement indépendantiste, sans pour autant rallier le
royaume chérifien. Nous vous proposons aujourd’hui de découvrir le troisième épisode de la
série que Jeune Afrique consacre cette semaine à ce témoignage exceptionnel.

Politique

Sahara occidental : « Pourquoi j’ai rompu avec le


Polisario »
par Rym Bousmid et Fadwa Islah
Hadj Ahmed Barikallah a longtemps représenté la RASD auprès de pays amis. Constatant
que la situation des Sahraouis ne s’améliorait en rien, il rompt avec le Polisario et lance
son propre mouvement. Troisième volet de notre série.

LA FACE CACHÉE DU POLISARIO (3/3) – « Je mobilisais beaucoup d’argent, des millions de


dollars. En tant que ministre, j’étais chargé de la coopération décentralisée, c’est-à-dire de
récupérer toutes les aides destinées au Polisario qui provenaient non pas du gouvernement
central, mais des municipalités, des régions, des ONG, des centrales syndicales, des
organisations humanitaires de pays comme l’Espagne, la Norvège, la Suède, l’Afrique du
Sud, l’Italie… Cela représentait des sommes importantes : en Espagne, par exemple, la
coopération décentralisée peut atteindre 40 millions de dollars par an », nous confie Hadj
Ahmed Barikallah.

À (re)lire - [Série] Sahara occidental : la face cachée du Polisario

Et de poursuivre : « C’est ce qui m’a poussé à présenter ma démission au bout de six mois,
le 5 mai 2012, car je ne pouvais pas accepter de voir les réfugiés dans les camps souffrir
pendant que les aides bénéficiaient surtout aux hauts cadres du Polisario, qui se servaient
au passage pour financer leur train de vie et celui de leur famille, qu’ils envoient vivre en
Europe, où ils achètent des maisons pendant que le peuple endure des conditions de vie et
sanitaires totalement indignes. Et le pire, c’est que je devais rédiger des rapports le plus
souvent faussés pour les ONG et autres donateurs pour justifier l’utilisation des aides. Bien
sûr, j’en avais fait part à Mohamed Abdelaziz, mais sans résultat. »

Sacs de lentilles et de riz

Comme nous le raconte le fondateur du Mouvement sahraoui pour la paix (MSP), ces
montants, qui auraient pu permettre de construire des habitats solides, de lancer des
projets urbains structurants pour la population, de développer une agriculture adaptée,
servaient avant tout l’intérêt du noyau au pouvoir. Et parfois de répondre, au coup par coup,
aux revendications sociales.

Bilan : près de cinquante ans après sa création, la RASD ne compte pas d’hôpitaux dignes
de ce nom, les projets agricoles ont tous échoué, il n’y a toujours pas d’eau courante dans
les habitations, les réfugiés sont totalement dépendants des sacs de lentilles ou de riz
fournis par les autorités algériennes pour préparer les repas, leurs enfants doivent se rendre
à Alger ou à Cuba pour poursuivre leurs études au-delà du collège… Et encore, il faut être
pistonné pour pouvoir accéder à des études supérieures. « La plupart des médecins
sahraouis qui ont été formés sont des fils et filles de dignitaires qui seuls accèdent aux
bourses d’études », fait-il remarquer, soutenant qu’avec le Polisario, il faut du piston pour
tout et n’importe quoi : étudier, avoir un passeport, circuler librement…

Barikallah, qui avait passé l’essentiel de sa vie entre l’Espagne et l’Amérique latine, où il était
redevenu ambassadeur à Caracas après sa démission en 2012, prend conscience de la
réalité du pouvoir en place.

« Les sept magnifiques »

Loin d’être démocratique, la prise de décision au sein du parti est à l’époque concentrée
entre les mains de sept personnalités surnommées « los 7 magnificos » (les sept
magnifiques), majoritairement issus d’une seule et même tribu, les Reguibate, et qui sont
les membres de ce qu’on appelait le « Comité exécutif » ou « Conseil de commandement de
la révolution » du Polisario : l’ex-président de la RASD Mohamed Abdelaziz (décédé en
2016), Bachir Mustafa Sayed (ministre et conseiller, actuel numéro deux de la RASD),
Mohamed Lamine Ould El Buhali (ancien patron des services secrets, actuel commandant
de l’armée de réserve), Mohamed Lamine Ahmed (ex-Premier ministre, actuellement chargé
du département des Finances), Mahfoud Ali Beiba (ex-Premier ministre de la RASD, mort en
2010), Brahim Ghali (qui a succédé à Abdelaziz à la tête de la RASD) et Ayoub Lehbib (ex-
chef militaire de la RASD, rallié au Maroc en 2002, décédé en novembre 2022).

Bien que ce « Comité exécutif » ait théoriquement disparu en 1989, les mêmes personnages
ont conservé leur influence à travers le « Bureau du secrétariat ». Et toute personne qui
s’opposerait à eux s’expose au minimum à une mise à l’index, et plus généralement à des
sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’emprisonnement et à la torture. « J’ai réalisé que
plusieurs personnes, dont des amis d’enfance, que je croyais mortes au combat, avaient en
fait péri dans les geôles du Polisario », soutient notre interlocuteur.

À (re)lire - Sahara occidental : «De Dakhla à Tindouf, comment je suis devenu séparatiste»

Les camps, poursuit-il, seraient régulièrement aussi le théâtre d’agressions sexuelles. « Les
abus de pouvoir conduisant à des violences sexuelles et à des viols sont monnaie courante,
au point que des blagues circulent sur le fait qu’il vaut mieux ne pas avoir une femme ou
une fille trop jolie », dénonce l’ancien diplomate.

La voie de la paix

Des vérités que le natif de Dakhla n’a pas supportées, malgré son statut privilégié de haut
commis du Front, issu d’une des familles sahraouies qui comptent. En décembre 2015, il
décide d’exprimer ses réserves dans une lettre ouverte lue lors du 14e congrès du Polisario.
Résultat : les leaders du mouvement le traitent en pestiféré et le mettent au placard.

Dépité, convaincu que le changement n’aura jamais lieu, il jette définitivement l’éponge en
novembre 2017 pour entrer dans une longue réflexion sur l’avenir du peuple sahraoui. Une
réflexion qui le mènera d’abord à lancer, avec un groupe de militaires et de civils, dont
l’ancien membre du secrétariat du Polisario Oulad Ould Moussa, l’Initiative sahraouie pour le
changement (ISC). Avant de décider, en avril 2020, de bâtir une nouvelle voie politique, qu’il
imagine comme la seule issue possible pour une jeunesse sahraouie en manque d’horizon.

À (re)lire - Sahara occidental : « J’ai porté des mallettes de cash pour le Polisario »

« L’état de la population sahraouie dans les camps me fait mal au cœur. Les gens vivent
dans la misère, l’essentiel de l’argent est détourné par une petite brochette de responsables.
Le choix du Polisario d’entraîner les gens dans la guerre, présentée comme la seule
solution, est absurde. Beaucoup de jeunes en sont conscients, surtout avec les nouveaux
canaux de communication, et souffrent de l’absence de perspectives. Ils sont livrés à eux-
mêmes. Faute de pouvoir émigrer en Europe, certains se lancent dans différents trafics, de
drogue et de carburant notamment, quand d’autres s’engagent dans des groupes jihadistes
qui opèrent au Sahel. Cette situation ne peut pas continuer », s’indigne Hadj Ahmed, qui
compte désormais offrir une alternative de paix et de dignité au peuple sahraoui.

« Je veux faire avancer mon peuple, trouver une solution à ce conflit qui n’a que trop duré.
J’ai choisi de m’installer en Espagne pour garder une crédibilité. Je n’ai d’ailleurs aucun
contact avec les autorités marocaines, ni avec les services, mais je compte bien négocier
au nom de la population des camps avec le royaume sur la base du plan d’autonomie qui
me semble une solution équilibrée à ce conflit. La victoire militaire est impossible, on ne
peut pas continuer à courir derrière un mirage. Et le Polisario ne peut rien faire sans l’aval de
l’Algérie, qui donne le pain, les lentilles et les laissez-passer aux Sahraouis. Notre peuple est
pris en otage. Cela doit cesser. »
Cet article fait partie de notre série en trois épisodes « La face cachée du Polisario », dont
l’intégralité est à retrouver ici. 

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