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Penser sa vie, mais aussi vivre sa pensée. Investir collectivement des lieux
afin de mener des vies accordées à ses idées. Réaliser en pratique ce que
l’on défend en théorie. Partout en France s’inventent des formes de vie qui
cherchent à échapper à l’individualisme, au consumérisme et à résister au
fatalisme. De Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) au plateau de
Millevaches, de la commune de Trémargat (Côtes-d’Armor) à la
communauté de Longo Maï, des catholiques décroissants de La Bénisson-
Dieu (Loire) aux « ingouvernables » de Tarnac (Corrèze) et d’Eymoutiers
(Haute-Vienne), un archipel d’oasis dessine une France des contre-sociétés.
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Mais tous affirment que l’opposition était déjà une proposition. « On s’est
opposé à un projet aberrant pour défendre d’autres formes de vie »,
explique Nicolas, installé dans la ZAD depuis dix ans. Une vie « soustraite
au règne de l’économie », dit-on ici. Une vie qui ne séparerait plus nature et
culture. « Un univers unique, un cosmos local », où l’on se retrouve « très
vite maillé aux luttes et au territoire parce que tout y est horizontal, sans
hiérarchie, ouvert à la contribution de quiconque veut donner la main »,
poursuit Damasio. Non pas une communauté, explique Antonin, mais un
maillage de collectifs « de paysans et d’anarchistes, de viandards et de
militants antispécistes, d’éleveurs et de squatteurs, de décroissants et de
néoruraux ».
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d’Amazonie pour qui les animaux et les plantes sont des sujets, avec
lesquels on interagit, et non des objets, que l’on protège ou exploite,
comme c’est le cas chez nous. Des cérémonies conduites « au second degré,
sans verser dans aucune forme de mysticisme », précise Alessandro
Pignocchi.
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« Un retour au village »
Dans les années 1970, « c’était l’utopie du retour à la terre qui dominait.
Aujourd’hui, on observe un retour au village », analyse Gaultier Bès. A ceci
près qu’il s’agit pour lui de « remettre l’église au centre » de celui-ci. C’est
pourquoi, avec ses amis, ils y récitent des laudes, chaque matin, à l’aube.
Les frictions, pourtant, ne manquent pas. Les problèmes ne sont pas les
mêmes qu’à la ZAD. Aucun souci d’expropriation ici, d’autant que le
diocèse possède également quelques bâtiments souvent mis à leur
disposition ; mais un différend avec la mairie et une partie de la
population locale, notamment anticléricale.
« Nos convictions sont une critique latente de leur mode de vie, largement
consumériste et basé sur l’agriculture productiviste », reconnaît Gaultier
Bès. Sans compter que ces représentants de la génération Laudato Si’ n’ont
pas, à une exception près, scolarisé leurs enfants à la communale, mais
ont ouvert une école privée Montessori dans le village le plus proche, à
Briennon. Une manière d’opter pour une pédagogie sensorielle tournée
vers l’expérimentation et les promenades en forêt, plutôt que « de mettre
10 000 euros dans des tablettes numériques », comme l’a fait l’école
publique, observe l’essayiste.
Boudée par les grands céréaliers car trop accidentée, elle fut, petit à petit,
investie par les permaculteurs et les décroissants. Tout d’abord grâce aux
enfants d’agriculteurs qui, dans les années 1970, reprirent les fermes de
leurs parents. Un territoire qu’ils ont décidé de gérer collectivement, grâce
à leur communauté de pensée et à un pouvoir municipal tournant. En
effet, chaque maire ne fait qu’un mandat et il n’y a qu’une seule liste à
chaque élection. Ici, « on fonctionne à l’envers, c’est-à-dire qu’on met le
monde à l’endroit », dit un Trémargatois.
Le maire ne soumet pas ses projets au vote, mais fait appel aux idées de
ses administrés. Puis il demande à ceux qui sont intéressés de les mettre
en œuvre. C’est ainsi qu’ils font parfois des économies. A l’image de
l’aménagement du bourg en espace verts et festifs, qui aurait dû coûter
120 000 euros si la mairie avait contracté avec des prestataires de service,
mais qui en coûta dix fois moins parce que tout le monde mit la main à la
pâte.
« Jamais de ma vie je n’aurais imaginé connaître une vie aussi riche », confie
Yvette Clément. Car tous sont unanimes à louer « le bonheur du partage »
et « la joie communicative de l’entraide ». « C’est probablement ce qui m’a le
plus touché à Trémargat, confirme Mathieu Rivat, auteur de Ces maires qui
changent tout. Le Génie créatif des communes (Actes Sud, 2017) : cette
vitalité, cette joie d’être ensemble et le goût des rapports humains. » Un
esprit perceptible au Trémargad Kafé, bar associatif devenu le véritable
poumon du village où l’on vient boire, jouer, discuter, débattre, se cultiver
et parfois même dormir dans le gîte bon marché situé à l’étage, auquel est
adossée une épicerie associative, Epice et tout, approvisionnée par les
maraîchers environnants.
Il faut dire qu’« il n’y a pas de leader et peu de gens avec des ego démesurés
ici », poursuit Yvette Clément. Ça aide, tout comme cette « culture
égalitariste », abonde Eric Bréhin, ancien maire et professeur de sciences
économiques, doublée d’une « solidarité paysanne sans doute liée à la
pauvreté des terres », ajoute Baptiste Gilbert, qui a quitté son commerce
urbain et les campagnes polluées par les pesticides pour devenir
maraîcher, cultiver tomates et fenouils en permaculture, avec une
véritable passion et science de la nature. « Cela fait chaud au cœur de voir
toutes ces personnes qui, ensemble, cherchent à ne pas être bouffées par le
capitalisme et le productivisme », conclut Yvette Clément.
« Réparer la terre »
Mais pour d’autres, la nouvelle économie peut rimer avec l’écologie.
Cofondée par Walter Bouvais, ancien directeur de la publication du
magazine Terra Eco, la « communauté » Open Lande réunit entrepreneurs,
agriculteurs, hackers et designers pour « réparer la terre ». L’idée ? Créer
une « fabrique » et un lieu de formation pour tous ceux – entreprise ou
particulier – qui opèrent leur transition écologique. Le principe ? « Passer
d’une société qui détruit à une société qui répare, et créer une économie qui
entre en collaboration avec le vivant », explique Walter Bouvais.
Au sens propre, l’oasis est une zone de végétation au milieu d’un désert,
entretenue par l’homme. Mais ces espaces ne sont plus isolés, ils sont
ouverts et connectés. C’est ainsi que tout est lié : ces lieux de vie où la
ouverts et connectés. C’est ainsi que tout est lié : ces lieux de vie où la
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Nicolas Truong
Eymoutiers, Corrèze, Notre-Dame-des-Landes, Loire-Atlantique, La Bénisson-Dieu,
Loire, Trémargat, Côtes-d’Armor, envoyé spécial