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Martine Rombeau

Juste un prénom… Marie


Roman
Les personnages et les situations de ce roman
étant fictifs, toute ressemblance avec des
personnes ou des situations existantes ou ayant
existé ne saurait être que fortuite.

***

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CHAPITRE 1

Il faisait très froid ce matin pour un mois d’avril.


Comme tous les jours de la semaine, Célia attendait
son bus qui avait, une fois de plus, du retard. Elle
avait beau taper des pieds pour se réchauffer et
remonter son écharpe jusqu’au nez, rien n’y faisait,
elle était transie de froid. Les quelques personnes qui
prenaient ce même autobus depuis plusieurs années,
manifestaient leur mécontentement. Célia regardait
amusée, la buée qui sortait de la bouche de ses
compagnons de route en grande discussion, et qui
donnait l’impression que tout ce petit monde fumait
en groupe.

Enfin, l’autobus tant attendu fut en vue … un vrai


soulagement. Alors que les premières personnes
commençaient à monter, le chauffeur leur demandait
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de bien vouloir avancer vers le fond, afin que tous les
passagers puissent y prendre place. Il y eut quelques
réflexions, puis tout rentra dans l’ordre. Les portes
refermées, une douce chaleur commençait à
réchauffer les doigts engourdis.

La jeune femme essayait de se faufiler pour atteindre


le fond de l’autobus dans l’espoir d’y trouver une
place assise, mais sans succès. Une place se libéra
toutefois à l’arrêt suivant, juste à côté d’elle. La
femme qui s’était levée lui fit un sourire, lui faisant
comprendre qu’elle pouvait prendre place. Célia ne se
fit pas prier et prit place. Le nez contre la vitre
embuée, elle regardait machinalement ce paysage
qu’elle connaissait par cœur. Elle faisait ce trajet tous
les jours, de Castelginest à Toulouse. En effet, depuis
trois ans maintenant, elle travaillait dans une agence
immobilière dont Bertrand Sévirac était le patron, elle
était son assistante.

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En 2010, à l’âge de trente ans, elle avait démissionné
de son poste de professeur des écoles, trop stressée
par les réflexions blessantes et menaçantes de certains
élèves. Elle ne s’était pas mariée, consacrant tout son
temps à ses élèves, persuadée d’exercer le plus beau
métier du monde. Dans un état dépressif, elle avait
pris du poids en se vengeant sur la nourriture. Sa
tenue était devenue négligée et, malgré un âge tout à
fait correct pour espérer trouver l’homme de sa vie,
personne ne la regardait plus. C’était son amie
Caroline, qui l’avait secouée puis poussée à retrouver
sa ligne et incitée à changer de métier. Célia était
consciente qu’elle devait beaucoup à sa meilleure
amie. Sa silhouette retrouvée, elles avaient alors
parcouru les magasins pour lui recomposer sa garde-
robe. Ainsi transformée, elle s’était jetée sur les
petites annonces dans l’espoir de trouver un travail
qui lui conviendrait.

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Lorsqu’elle se leva pour descendre au terminus de la
place Jeanne d’Arc, la femme qui se trouvait à ses
côtés pendant le trajet, lui tapota le bras :
- Madame, vous oubliez votre livre !

Elle lui glissa l’objet dans la main avant même qu’elle


n’ait eu le temps de lui répondre qu’il ne lui
appartenait pas, puis elles furent rapidement séparées
par les passagers qui se pressaient pour descendre.
Une fois dehors, elle rangea machinalement le livre
dans son sac à main, se promettant de le restituer à la
personne qui l’avait oublié. En se dirigeant vers son
lieu de travail, elle repensa à cette femme dans le bus
qui lui avait laissé sa place avec un sourire. Etait-elle
la propriétaire de ce livre ?

Parvenue devant l’agence immobilière, elle constata


qu’aucune lumière n’était allumée, signe que son

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patron n’était pas encore arrivé. Elle sortit de son sac,
le jeu de clés qu’elle avait toujours sur elle et entra.
Elle alluma toutes les pièces, rangea son manteau au
vestiaire, puis se dirigea ensuite vers le coin cuisine,
afin d’y déposer son repas qu’elle avait préparé le
matin même et en profita pour brancher la cafetière et
faire couler un café.

Pendant ce temps, elle mit en route son ordinateur et


commença par consulter les messages adressés à
l’agence. Elle ouvrit en premier celui laissé par son
patron la veille au soir. Il l’informait qu’il avait un
rendez-vous avec un couple, pour l’achat d’une
maison, à Gratentour, aux alentours de dix heures. Il
pensait être là, en début d’après-midi, si l’affaire se
faisait, sinon en fin de matinée. Les autres messages
étaient principalement publicitaires, excepté un, qui
émanait d’une femme, une certaine madame Clément
qui voulait mettre son appartement en vente. Elle

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souhaitait prendre rendez-vous pour le faire évaluer.
C’était du travail pour Antoine, l’associé de Bertrand,
son patron et Célia lui laissa un mot sur son bureau
afin qu’il prenne contact avec cette femme.
Elle se leva pour éteindre la cafetière et s’en versa une
bonne tasse, qu’elle ramena avec elle et déposa sur
son bureau. Tout en sirotant son café, elle sortit de son
sac à main le livre trouvé dans l’autobus, qui avait
comme titre « L’enlèvement de mon fils ».
Curieusement, il n’y avait pas le nom de l’auteur,
juste son prénom : Marie. Pas de nom d’éditeur non
plus. Célia en déduisit que ce livre avait été autoédité.
Sur la couverture, une photographie de femme. Peut-
être celle de l’auteure ?

En attendant, il fallait travailler. Elle commença par


taper les contrats de location de trois personnes reçues
par son patron la veille au soir, puis elle se débarrassa
de son classement en retard. Antoine fit son apparition

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vers dix heures trente. Il embrassa Célia
chaleureusement et ôta son blouson avant de se
précipiter vers la cafetière pour prendre lui aussi un
café bien chaud.
- Alors, quoi de neuf ?
- Un message d’une madame Clément qui veut vendre
son appartement. Elle voudrait prendre rendez-vous
pour le faire estimer. Je t’ai mis un mot sur ton bureau
avec ses coordonnées.
- Et Bertrand ?
- En rendez-vous, ce matin avec un couple pour
l’achat d’une maison.
- C’est tout ?
- C’est tout !
- Bien, je vais appeler cette dame.

Pendant qu’Antoine était au téléphone, Célia pensait à


Marie. Qu’était-il arrivé à cette femme qui justifie un
titre de livre aussi curieux ? Elle avait hâte de prendre

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sa pause du déjeuner, pour commencer à lire les
premières pages de ce récit.

La sonnette de la porte d’entrée vint la sortir de ses


pensées. Une jeune fille s’approchait timidement :
- Bonjour, je viens de voir en vitrine un studio à louer.
J’aimerais avoir plus d’informations.
- Oui, vous allez me montrer l’annonce qui vous
intéresse et je vous explique tout ce que vous voulez
savoir.

La visiteuse impatiente, attendit pourtant qu’elle ait


enfilé un vêtement chaud, et sortit pour lui désigner
l’annonce. Célia constata que sa cliente avait choisi le
studio au loyer le moins cher, elle avait donc peu de
moyens. Elle l’invita à s’asseoir face à son bureau et
lui posa les questions habituelles : quelles étaient ses
ressources ? Avait-elle un garant ? etc…

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La jeune fille présenta ses papiers. Elle s’appelait
Jessica Duguet, elle avait vingt ans. Elle expliqua
qu’elle était étudiante à la fac de pharmacie, et que
jusqu’à présent, elle vivait en colocation avec une
autre étudiante. Mais cette dernière avait décidé
d’arrêter ses études et, de ce fait, elle ne pouvait plus
assurer seule le loyer de l’appartement. Elle précisa
qu’elle avait une bourse de trois cent cinquante euros
et que ses parents lui en versaient deux cent cinquante
par mois.

Célia crut devoir préciser :


- Vous savez qu’en général, il est demandé deux mois
de loyer d’avance et un chèque de caution équivalent
à un mois de loyer. Vous pensez que vos parents
pourront avancer cette somme ?
- Oui, ils me prêteront la somme, je m’arrangerai pour
les rembourser en faisant du baby-sitting le week-end.

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Célia rechercha sur son ordinateur l’annonce
concernant le studio, puis elle lui demanda de
s’approcher pour regarder les photos sur l’écran.
Jessica semblait intéressée.
- Ça m’irait très bien !
- Si vous avez le temps, je vous le fais visiter ce
matin ?
- Oui, je veux bien merci.

Après concertation avec Antoine, il accepta de rester à


l’agence le temps de la visite. Célia utilisa sa voiture
pour épargner à la jeune fille une marche qui les
gèlerait en quelques minutes.

Le studio de vingt-cinq mètres carrés fut visité très


rapidement, il semblait convenir à Jessica. Elle prit
son portable et composa le numéro de sa mère, elle lui
fit un compte-rendu de sa visite du logement et la

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maman qui semblait d’accord, demanda à sa fille de
lui passer la personne de l’agence immobilière.
La jeune fille tendit son téléphone à Célia en lui
disant :
- Ma mère veut vous parler !

La conversation fut courte entre les deux femmes et


satisfaisante pour Célia. La maman allait lui faire
parvenir par courriel, les éléments indispensables sur
les conditions de ressources du couple qui acceptait de
se porter garant pour leur fille. Il ne restait plus qu’à
rentrer à l’agence et faire signer le contrat de location
à la jeune fille. Une heure plus tard, l’étudiante
repartait, ravie de pouvoir emménager dès la semaine
suivante.

À midi, Antoine se leva pour aller déjeuner et prévint


Célia qu’il ne serait probablement pas de retour avant
seize heures. Le rendez-vous avec madame Clément
était prévu à quatorze heures trente.
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Bertrand, le patron, n’avait pas donné signe de vie, ce
qui voulait dire qu’il avait probablement fait affaire
avec le couple qui voulait acheter une maison à
Gratentour. Il les avait sans doute invités au
restaurant, c’est de cette façon qu’il pratiquait à
chaque fois qu’il concluait une affaire.

Avant d’aller prendre son déjeuner dans le


réfrigérateur, Célia prit la précaution de fermer la
porte de l’agence à clé et de tirer le rideau. C’était les
consignes de Bertrand, lorsqu’elle se trouvait seule
dans l’agence au moment du repas. « On n’est jamais
assez prudent, disait-il ». Elle attaqua sa salade
composée avec gourmandise, puis attrapa le livre
oublié dans le bus.

***

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Les premières pages du récit, racontaient brièvement
la petite enfance de Marie jusqu’à son adolescence.
Elle était née en 1975. Ses parents ouvriers, habitaient
dans les quartiers pauvres de Toulouse et avaient fait
leur possible pour lui offrir une vie plaisante. Le
matin, avant de partir travailler, sa maman la déposait
chez une voisine qui l’amenait à l’école, retournait la
chercher à seize heures trente et la gardait jusqu’à son
retour le soir. Tous les jours de la semaine étaient
ainsi réglés. Son père, lui, faisait des heures
supplémentaires pour pouvoir boucler les fins de mois
difficiles. Ils vivaient chichement, selon leurs moyens.
Marie l’avait accepté jusqu’à l’âge de quinze ans.
Ensuite, elle avait commencé à leur demander de
l’argent de poche, car disait-elle, toutes ses copines en
avaient. Ses parents avaient fait ce qu’ils avaient pu,
mais aux yeux de la jeune fille, ce n’était pas assez.

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À dix-sept ans, elle fréquentait avec d’autres
lycéennes, l’un des lieux les plus prisés par les
étudiants, la terrasse d’un café proche de la place du
Capitole. Un après-midi de mai, elles remarquèrent
que le serveur était nouveau et pas mal physiquement.
Aussitôt, il s’en suivit des interrogations sur son âge,
ses origines, ses goûts musicaux, etc... Marie
remarqua ce sourire irrésistible lorsqu’il la regardait.
Très fière d’avoir été repérée par un si beau garçon,
elle ne résista pas longtemps, quand il l’invita à sortir
avec lui.

Il s’appelait Elias et il avait vingt ans. D’origine


tunisienne, toute sa famille résidait là-bas. Il avait
expliqué à Marie, qu’il travaillait dur, dans l’espoir
qu’un jour, on accepterait de le laisser prendre la
nationalité française et qu’il puisse faire venir ainsi sa
famille. Les parents de Marie l’avaient mise en garde,
en lui expliquant que beaucoup d’étrangers

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cherchaient à se marier en France, pour prendre la
nationalité. Elle n’avait pas écouté et s’était retrouvée
enceinte à dix-huit ans, l’année de son bac. Sachant
que ses parents feraient tout pour empêcher un
mariage prématuré, elle promit d’obtenir son bac en
priorité, ce qu’elle fit. Elle était maintenant majeure et
n’avait plus besoin du consentement de ses parents
pour se marier. Vexés, ils avaient refusé de se rendre
au mariage.

La cérémonie eut donc lieu entre deux témoins et


quelques amis. Disposant de très peu d’argent, ils
durent se contenter d’un studio d’une trentaine de
mètres carrés, sous les toits, dans le quartier Concorde
de Toulouse. Enceinte, Marie ne pouvait prétendre à
un emploi, Elias travaillait donc deux fois plus pour
subvenir à leurs besoins.

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À la naissance de leur fils, Yanis, les parents de Marie
demandèrent à voir leur petit-fils, mais ils se
heurtèrent à un refus de la part de leur fille.
Elle avait fait une demande à la crèche la plus proche
pour faire garder son fils et ainsi chercher du travail,
mais elle s’y était pris trop tard, elle devait donc
passer par une nourrice si elle voulait travailler.
Devant les sommes astronomiques demandées pour la
garde du bébé, elle fut vite découragée.

C’est alors qu’Elias lui proposa une solution. Il avait


droit à quelques semaines de congé, il irait confier
leur fils à ses parents en Tunisie, le temps pour elle,
d’obtenir une place en crèche et de se trouver un
emploi. Elle rejeta catégoriquement cette idée. Pas
question de se séparer de son fils, même pour
quelques mois ! Elle lui avoua qu’elle préférait encore
faire la paix avec ses parents et leur demander de

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l’aide. Il décida de la laisser faire, sachant qu’elle se
heurterait certainement à un refus.

En effet, les parents de Marie encore très en colère


contre leur fille, refusèrent de garder le bébé,
prétextant qu’ils avaient tous deux un travail et qu’il
était hors de question que sa mère laisse tomber son
emploi pour garder leur enfant qu’ils ne connaissaient
même pas. Ils avaient besoin des deux salaires pour
s’en sortir. Bien entendu, elle prit très mal ce nouveau
refus et s’en retourna encore plus fâchée, prévenant
qu’elle ne les reverrait plus jamais.

La solution d’Elias fut donc adoptée à contrecoeur. Il


s’en alla avec son fils au mois de septembre 1993, en
principe pour quatre semaines et pendant ce temps,
Marie chercherait un emploi. Elle trouva rapidement
un CDD de six mois, comme employée de bureau.
Munie de son contrat de travail, elle se rendit à la

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crèche et fit sa demande pour son fils. Là encore, elle
essuya un refus, un CDD ne représentait pas un
emploi stable, elle devait être embauchée
définitivement.

Désespérée, elle envoya un courrier à Elias en Tunisie


pour l’en informer. Elle reçut sa réponse trois
semaines plus tard, c'est-à-dire, plus d’une semaine
après qu’il aurait dû être de retour à Toulouse pour
reprendre son travail. Fébrilement, elle ouvrit la lettre
et faillit s’évanouir après sa lecture. Son mari lui
répondait qu’il resterait donc en Tunisie avec leur fils,
le temps qu’elle trouve un travail à durée
indéterminée. Il ne voulait pas laisser l’enfant chez ses
parents sans la présence de son père ou sa mère.
Effondrée, et ravalant sa fierté, elle se rendit chez ses
parents pour leur raconter ce qui lui arrivait.
À la fin de son récit, les parents de Marie comprirent
que leur fille ne reverrait jamais son fils, ni son mari.

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Elle avait été bernée comme une débutante, telle était
leur réponse.
***

Quelqu’un avait frappé à la porte de l’agence, elle


releva la tête et se rendit compte qu’elle n’avait pas vu
passer le temps. Déjà, quatorze heures ! Elle rangea le
livre et se précipita pour ouvrir la porte. Elle fut
soulagée lorsqu’elle constata que c’était son amie
Caroline qui lui souriait derrière la vitre. Cette
dernière prit une chaise et s’installa pour la tenir au
courant des sorties à faire absolument pour le week-
end qui arrivait. Célia souriait, elle savait que son
amie faisait tout son possible pour lui présenter des
amis afin de lui trouver « l’homme de sa vie ». Elle
laissait faire, car sa compagnie lui était presque
indispensable lorsqu’elle se sentait un peu trop seule.

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Caroline était mariée, mais lui consacrait beaucoup
de son temps. Elle tenait une boutique de vêtements
pour femmes dans le centre-ville et passait souvent à
l’agence lui rendre une petite visite avant de rouvrir
son magasin. Parfois, elles déjeunaient ensemble à
l’agence ou au restaurant. Elle insista auprès de
Célia :
- Alors, tu es d’accord pour venir samedi soir chez
nous ? Tu verras, je te présenterai quelqu’un de bien,
tu vas craquer !
- D’accord, je viendrai

La porte refermée, elle la regardait partir, envieuse.


Caroline était belle, grande et élégante, elle avait deux
années de plus qu’elle et pourtant, lorsqu’elles
déambulaient dans les rues commerçantes de
Toulouse, tous les regards se tournaient vers Caroline.
Célia était agréable à regarder depuis qu’elle avait
retrouvé sa ligne, mais elle ne se faisait pas d’illusion

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quant à sa rencontre avec un possible mari dans les
connaissances de son amie. Elle n’avait pas sa
prestance, mais elle était restée sa seule amie depuis le
lycée.
Bertrand venait de rentrer. Il annonça avec bonne
humeur que la maison de Gratentour était vendue. Il
s’étonna de l’absence d’Antoine.
- Notre bel Antoine n’est pas rentré de déjeuner ?
- Il ne devrait pas tarder, il avait l’évaluation d’un
appartement sur Toulouse. Une femme qui souhaite
vendre.
- D’accord, rien de spécial ?
- Ma foi non, c’est plutôt calme aujourd’hui.
- Bon, si on me demande, vous savez où je suis.

Antoine fit son entrée à seize heures trente. Il allait


demander si le patron était rentré, quand Célia lui
désigna le bureau de Bertrand. Il y entra et referma
derrière lui. Elle savait qu’ils allaient probablement y

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rester, pour discuter de leur journée réciproque,
jusqu’à ce qu’elle parte à dix-huit heures. Seul un
client intéressant pouvait les faire sortir à une heure
tardive. Elle avait frappé à la porte de Bertrand, quand
ce fut l’heure de partir, elle leur souhaita une bonne
soirée, et s’en alla en direction de la place Jeanne
d’Arc pour prendre son bus.

Célia louait un deux-pièces à quelques pas de la


mairie de Castelginest, ville d’environ dix mille
habitants, qui trouve son nom dans l'occitan,
littéralement "Le Château des Genêts". Elle aimait
particulièrement son marché le samedi matin. Des
produits de qualité de la région s’y trouvaient en
abondance sur les étals. Les foies gras, les confits, les
saucisses de foie, sans oublier les pistaches grillées à
la graisse d’oie, dont elle raffolait.

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En descendant de l’autobus, elle s’arrêta pour prendre
son pain à la boulangerie et grimpa prestement les
escaliers jusqu’au troisième étage. Pour cette soirée,
elle allait faire réchauffer une soupe qu’elle avait
préparée la veille avec pleins de bons légumes. Puis,
sans même consulter le programme de télévision, elle
s’installa dans son fauteuil préféré pour pénétrer à
nouveau dans la vie de Marie à travers son journal.

***

Avec mon seul salaire, j’ai dû renoncer à notre studio


et revenir habiter chez mes parents. La cohabitation
fut assez tendue le premier mois. Puis, voyant que je
continuais à chercher un emploi fixe et, me démenant
pour trouver un moyen de voir mon fils, ils finirent
par m’approuver et m’encourager dans mes
démarches.
Ce Noël 1993, aurait dû être le premier passé avec
mon fils, mais là où il était, on ne fêtait pas Noël.
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Malgré tout le soin apporté par mes parents pour
fêter dignement l’évènement, je suis restée prostrée
dans ma chambre, une bonne partie de la journée.

En mars 1994, j’avais finalement été engagée


définitivement dans l’entreprise qui m’employait. Je
fis aussitôt la démarche pour obtenir une place en
crèche pour Yanis sans oublier d’apporter une copie
de mon contrat de travail. L’inscription fut donc prise
en compte, mais avec une attente de six mois. Ce qui
voulait dire que mon fils aurait presque seize mois au
moment de son entrée dans l’établissement. J’étais si
heureuse que j’en avisais aussitôt Elias par courrier,
croyant toujours à son possible retour avec notre fils.

Trois semaines plus tard, une lettre d’Elias était


arrivée. Il semblait très heureux de savoir que j’avais
obtenu un emploi fixe et une place en crèche pour
notre fils dans les six mois à venir. Il m’informait
donc qu’il reviendrait en France à ce moment, à
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condition que j’aie retrouvé un logement. Il ne
comptait pas s’installer chez mes parents. En leur
montrant la lettre les larmes aux yeux, mes parents
n’ont fait que confirmer ce que je refusais de croire,
Elias n’avait pas l’intention de revenir.
J’avais compris un peu tard, que mon mari avait subi
l’influence de sa famille et qu’il ne reviendrait
probablement pas en France. Ses belles paroles ;
prendre la nationalité française et faire venir ensuite
ses parents, n’avaient plus de sens aujourd’hui.
Pourtant, je l’aimais toujours et j’espérais que de son
côté, il comprendrait le cauchemar que j’étais en
train de vivre d’être séparée de notre fils. Il me fallait
désormais prendre un avocat. Les conseils d’une
assistante sociale seraient aussi les bienvenus.

J’avais pu obtenir un rendez-vous rapide avec


l’assistante sociale qui travaillait, en partie, pour
mon employeur. Après avoir écouté le récit de ma

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courte vie de femme mariée, elle me rassura en me
disant que de nombreuses femmes se trouvaient dans
ma situation. Elle me proposa de les rencontrer lors
d’une réunion prévue au sein d’une association créée
pour ce genre de cas. Elle m’expliqua qu’il était
nécessaire d’écouter le récit de ces femmes avant de
voir un avocat. J’ai donc donné mon accord, pour
participer à la prochaine réunion qui avait lieu huit
jours plus tard.

Pendant ce temps, je m’investissais au maximum dans


mon travail, prenant peu de temps pour moi.

***

Célia posa le livre, et alluma son ordinateur afin de


faire des recherches sur les associations traitant ce
genre de problèmes familiaux. Elle trouva
effectivement de nombreux articles concernant les
associations qui gèrent ces situations. Mais la plupart
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d’entre elles n’étaient pas encore créées dans les
années 90.

Ses yeux se mirent à cligner, signe que le sommeil


commençait à prendre le dessus. Elle se mit au lit avec
une pensée pour Marie.

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CHAPITRE 2

Le froid était moins mordant ce matin et le bus arriva


à l’heure. Célia n’était pas bien réveillée, sa nuit avait
été agitée, rêvant de Marie et Yanis. Deux arrêts plus
loin, des lycéens étaient montés. Ils parlaient et riaient
fort, défiant du regard les passagers qui oseraient se
plaindre du bruit qu’ils faisaient. Mais personne ne dit
mot, attendant avec impatience que ce brouhaha cesse.
À sa descente au terminus, Célia crut reconnaître la
femme qui lui avait laissé sa place dans l’autobus la
veille. Elle envisagea un instant de l’interpeler, mais
dans le doute, elle préféra s’abstenir. De toute façon,
le temps qu’elle se pose la question, la femme s’était
déjà éclipsée.

Elle se pressa pour se rendre sur son lieu de travail,


tout en pensant que cette fin de semaine s’annonçait
30
plutôt joyeuse, Caroline l’ayant invitée chez elle
samedi soir. Célia ne se posait même pas la question
de savoir qui était cet homme qu’elle voulait lui
présenter. Son amie aimait toujours s’entourer de
personnages originaux. Elle devait admettre que ces
soirées étaient rarement ennuyeuses, même si elle n’y
avait pas, jusqu’à présent, trouvé l’âme sœur.

Juste avant d’arriver à l’agence, elle sortit son


trousseau de clés, persuadée de trouver le rideau
fermé, mais celui-ci était déjà ouvert et la lumière
était allumée. Bertrand était là, une tasse de café à la
main :
- Bonjour Célia, j’ai déposé deux ou trois trucs sur
votre bureau. Je vous laisse aussi mon agenda, il y a
des rendez-vous à reporter. Je ne serai pas là demain
non plus, il faudra vous arranger avec Antoine.
- Rien de grave ?

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- Non, rassurez-vous, juste un problème d’héritage
familial en Espagne. Je pense être de retour mardi,
sinon je vous appelle. Bon, je me sauve, j’ai juste le
temps de boucler une valise et je prends la route.
- Allez-y, et soyez prudent.

Elle savait que son patron était un peu fou au volant, il


était souvent en excès de vitesse sur les routes, ce qui
lui avait valu plusieurs amendes et retraits de points
sur son permis. Avant de jeter un coup d’œil sur ce
que Bertrand avait laissé sur son bureau, elle se
dirigea vers la cuisine, déposa son déjeuner dans le
réfrigérateur et se versa une tasse de café. Elle
grimaça un peu à la première gorgée, le café était un
peu fort.

Sachant qu’elle devait être présente à l’agence


immobilière le lendemain, alors qu’habituellement,
elle ne travaillait pas le samedi, elle espérait

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qu’Antoine n’émettrait pas d’objection à ce qu’elle
vienne travailler le matin, car elle avait un rendez-
vous chez son coiffeur l’après-midi et elle comptait
s’acheter une robe pour la soirée chez Caroline.

En attendant son arrivée, elle prit connaissance de ce


que son patron lui avait laissé. Deux rapports de visite
destinés aux propriétaires qui souhaitaient vendre leur
bien et un courrier pour un notaire avec lequel
Bertrand avait l’habitude de travailler. Elle décida de
commencer par les reports de rendez-vous, jugés plus
urgents.

Antoine arriva aux alentours de dix heures, Célia


venait juste de raccrocher avec le dernier rendez-vous
reporté. Constatant que Bertrand n’était pas encore
arrivé, il s’informa sur son emploi du temps. Célia lui
expliqua la situation :

33
- Il est parti en Espagne, une histoire d’héritage. Il
pense être là mardi, sinon il rappellera. Nous devons
donc être présents tous les deux demain !
- Très bien, j’espère pour lui qu’il ne s’agit pas d’un
héritage à problèmes ! Tu souhaites venir le matin ou
l’après-midi ?
- Si cela ne te dérange pas, je préfère le matin, car
j’avais pris un rendez-vous chez mon coiffeur l’après-
midi et je suis invitée à une soirée demain soir.
- Un rendez-vous galant ?
- C’est mon amie Caroline qui m’a invitée. Elle va
certainement essayer de me caser, comme à son
habitude !
- Qui sait, elle t’a peut-être trouvé l’homme idéal ?
- Je ne me fais aucune illusion.
- Bien, sinon rien d’autre ?
- Bertrand n’a pas laissé de directives en ce qui te
concerne, si tu as des rendez-vous, tu peux y aller sans

34
crainte, j’ai de quoi m’occuper avec ce qu’il m’a
laissé, j’en ai pour la matinée.
- Étant donné que nous devons venir travailler
demain, je vais sortir pour m’occuper de deux ou trois
choses et je reviens en début d’après-midi.
Après son départ, Célia attaqua la frappe de son
premier rapport. Elle travailla énergiquement jusqu’à
midi, interrompue uniquement par des appels
concernant des renseignements sur des annonces de
location, vues sur le site de l’agence. Puis, comme elle
le faisait à chaque fois qu’elle se trouvait seule
pendant l’heure du déjeuner, elle ferma la porte de
l’agence et baissa le rideau. Elle se dirigea ensuite
vers la cuisine pour faire réchauffer son déjeuner dans
le micro-ondes.
Pressée de lire la suite du récit de Marie, elle engloutit
son repas en un quart d’heure. Elle fit place nette sur
son bureau et sortit le livre de son sac. En ôtant le

35
marque-page, elle entrait à nouveau dans la vie de
Marie.
***

La réunion prévue par l’association ayant pour objet


« l’enlèvement d’enfant par le conjoint » avait lieu
dans une petite salle prêtée par la mairie. Plusieurs
rangées de chaises y avaient été installées et une
dizaine de jeunes femmes avaient déjà pris place,
attendant l’intervention d’une personne venue tout
spécialement pour donner des conseils aux familles. À
mon tour, je me suis assise, espérant avoir des
réponses aux questions que je me posais. Une porte
s’ouvrit sur une femme d’une quarantaine d’années,
elle s’avança jusqu’au micro installé pour l’occasion.
- Je me présente, je suis madame Rousseau. Avant de
commencer, je tiens à vous informer que j’ai moi-
même connu le même sort que la plupart des femmes
ici présentes. Mon fils m’a été enlevé par mon mari, il

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y a une dizaine d’années de cela. Depuis, je parcours
les villes de France pour parler de mon histoire et
donner de précieux conseils aux femmes à qui l’on a
enlevé un enfant. Voici les deux points que je voulais
aborder :
Le premier point est : comment prévenir un
enlèvement ?
- Si les risques de déplacement illicite de l’enfant par
le conjoint sont imminents, vous devez déposer une
demande d’interdiction de sortie du territoire
français. En effet, dans un couple marié, il faut l’aval
des deux parents pour faire sortir un enfant mineur.
Si l’un des deux s’y oppose, en déposant une demande
d’interdiction de sortie du territoire français, le
conjoint n’aura donc pas l’autorisation de partir avec
l’enfant.

À cet instant, je venais de comprendre que je n’avais


même pas eu la réaction de me renseigner sur les

37
possibilités d’empêcher le départ de mon fils à
l’étranger. J’avais tellement confiance en Elias ! Rien
ne laissait supposer qu’ils ne reviendraient pas.

Madame Rousseau aborda ensuite le second point :


que faire en cas d’enlèvement ?
- Il faut tout d’abord exclure la négociation qui
pourrait être utile mais aussi se révéler nuisible, car
elle pourrait influer sur la volonté des autorités
locales d’aider au retour de l’enfant. Il faut exclure
aussi le « contre-enlèvement », c'est-à-dire, tenter de
se déplacer pour ramener l’enfant en France. Ceci est
trop risqué de défendre ses droits à l’étranger, les
lois ne sont pas les mêmes qu’en France et vous
pourriez vous retrouver dans l’impossibilité de
revenir.
Je vous conseille en premier lieu, de contacter la
police ou la gendarmerie de votre quartier, pour
signaler l’enlèvement par déplacement illicite de

38
votre enfant. Puis de prendre un avocat, qui restera
en liaison permanente avec le ministère de la Justice
et le ministère des Affaires Étrangères. Enfin, il faut
savoir que cela va prendre du temps, parfois
beaucoup de temps. Personnellement, je n’ai eu la
permission de voir mon fils qu’au bout de deux
années. Je ne veux pas vous démoraliser, mais il faut
que vous sachiez qu’il va vous falloir beaucoup de
patience. Si vous avez des questions, j’y répondrai
dans la mesure de mes connaissances. Je vais vous
recevoir une par une dans une petite salle à côté,
d’ici une heure. Pour celles qui veulent partir, je vous
souhaite bonne chance dans vos démarches.

Après le départ de madame Rousseau, une femme se


présenta comme étant la responsable de l’association.
Elle s’appelait madame Barrier. Elle nous proposa de
nous mettre en cercle autour d’elle, en déplaçant nos
sièges, de façon à ce que chacune puisse se présenter

39
et raconter son histoire. Chaque femme qui prenait la
parole avait, à peu près, vécu la même chose.
Certaines avaient déjà entamé des actions
d’approche avec le ministère des Affaires Étrangères,
afin d’obtenir la permission d’une visite à leur enfant.

À la fin de cette réunion, j’avais compris qu’il me


faudrait beaucoup de patience et de volonté pour
avoir une chance de revoir mon fils. Madame Barrier
donnait à toutes celles qui n’avaient pas encore pris
contact avec un avocat, les coordonnées d’un cabinet
réputé dans ce domaine. Elle nous conseilla de
revenir à la prochaine réunion pour faire le point sur
nos démarches. Je n’avais pas jugé utile de voir
madame Rousseau pour le moment, préférant faire les
choses dans l’ordre. Et puis, je ne savais pas
vraiment quelles questions lui poser.
J’étais complètement anéantie lorsque je suis rentrée
chez mes parents. A la tête que je faisais, ils ont

40
compris que la partie était loin d’être gagnée.
Néanmoins, ils me consolèrent en m’assurant qu’ils
allaient se battre avec moi. Les jours qui suivirent
furent très difficiles, je ne devais surtout pas craquer
au travail. Pour conserver mon emploi, il me fallait
mettre mes problèmes personnels de côté. Cet emploi
était vital si je voulais avoir une chance d’obtenir la
garde de mon petit Yanis.
***

Célia comprenait que Marie allait vivre l’enfer pour


un long moment, avec toutes ces procédures
administratives par lesquelles elle allait être obligée
de passer. Cette histoire paraissait si lointaine et
pourtant, Marie n’avait que cinq années de plus
qu’elle. Machinalement, elle consulta sa montre et fut
horrifiée de voir qu’il était déjà quatorze heures trente.
Elle se précipita pour ouvrir le rideau de l’agence.
Heureusement, personne n’attendait devant la porte.

41
Elle rangea soigneusement le livre, encore secouée
par ce qu’elle venait de lire.

La sonnette de la porte d’entrée la fit sursauter. Un


homme entra, hésitant. Célia comprit qu’il fallait
intervenir :
- Bonjour monsieur, vous souhaitez un renseignement
peut-être ?
- Heu, oui, voilà ! Je suis veuf depuis presque un an
maintenant et je voudrais vendre mon appartement
devenu trop grand pour moi et envisager l’acquisition
d’un autre plus petit. Pouvez-vous me dire comment
procéder ?

Célia jugea que cet homme devait avoir entre


soixante-quinze et quatre-vingts ans. Elle lui désigna
un siège et le laissa s’installer avant de lui répondre :
- Si c’est uniquement un problème d’appartement
devenu trop grand, vous pouvez peut-être faire une

42
demande pour obtenir une aide à domicile. Si c’est
une question de sentiments, je peux comprendre qu’il
vous soit difficile de rester dans ces lieux sans la
présence de l’être aimé. La question est, avez-vous
des enfants ?
- Oui, j’ai deux enfants qui ont eux-mêmes deux
enfants chacun, pourquoi cette question ?
- Parce que si vous souhaitez vendre votre
appartement, il vous faut l’autorisation de vos enfants,
même si c’est pour faire l’acquisition d’un autre
logement. Le conseil que je peux vous donner, c’est
de prendre rendez-vous le plus rapidement possible
avec votre notaire qui vous donnera toutes les
explications à ce sujet. Tout dépend aussi du régime
sous lequel vous vous êtes mariés. Avez-vous prévenu
votre notaire du décès de votre femme ?
- Non, personne ne m’en a rien dit, il faut le faire
absolument ?

43
- Faites-le très vite monsieur, car je crois que vous
n’avez qu’un an pour faire cette démarche.
L’homme parut très contrarié ;
- Ce qui veut dire que je ne peux pas décider moi-
même de vendre mon bien sans l’autorisation de mes
enfants ? C’est complètement aberrant ! Ce ne sont
pas eux qui ont peiné pour payer le crédit de notre
appartement. Vous êtes certaine de cela ?
- Je comprends votre colère et ce que vous pouvez
ressentir, c’est pourquoi, je vous incite à voir votre
notaire au plus vite monsieur.
- Je vais vous écouter et prendre rendez-vous avec
mon notaire dès aujourd’hui. Ensuite, je reviendrai
vous voir pour vous tenir au courant de ce qui m’a été
dit durant cet entretien. Je vous remercie beaucoup
mademoiselle pour vos conseils avisés. Mais, je viens
de me rendre compte que je ne me suis même pas
présenté, je suis monsieur Beaugrand. Oui, mon nom

44
fait souvent sourire, car je ne suis ni beau, ni grand,
mais c’est ainsi.
- Moi, c’est Célia et je suis très heureuse d’avoir fait
votre connaissance. C’est avec plaisir que je vous
recevrai dans notre agence après votre entretien avec
votre notaire. Quant à votre nom, je trouve qu’il vous
va bien, car vous n’êtes pas si mal !
- Vous êtes une jeune femme très bien élevée Célia, à
très bientôt.

Lorsqu’il se leva pour sortir de l’agence, Célia


remarqua que ses épaules s’étaient un peu plus
voûtées. Elle resta un moment à le regarder s’en aller,
déjà navrée pour lui des démarches qu’il allait devoir
faire pour tenter de vendre son bien. À ce moment,
elle pensa que les lois étaient souvent mal faites.

Antoine fit son apparition une demi-heure plus tard. Il


semblait de bonne humeur.

45
- Voilà ! J’ai pu faire tout ce que j’avais prévu, je suis
donc tranquille pour demain.

Il venait à peine de s’installer à son bureau, qu’une


jeune femme entra et, l’air décidé, s’avança vers lui.
Antoine semblait ravi, car elle était plutôt jolie. Célia
jugea qu’il serait inopportun de vouloir intervenir et
les laissa discuter. Elle se leva et se dirigea vers la
cuisine afin de se servir un café et, par la même
occasion, faire une pause. Ses pensées revenaient sans
cesse vers Marie. Elle songeait à faire des recherches
sur internet pour savoir s’il existait des chiffres ou
statistiques, sur le nombre de femmes qui avaient
obtenu la garde de leur enfant, après qu’il ait été
enlevé par leur conjoint.

Elle sursauta soudain, Antoine était devant elle :


- Désolé de t’avoir fait peur, tu étais dans tes rêves ?
- Excuse-moi, je peux faire quelque chose ?

46
- Non, je vais aller avec cette dame pour visiter son
appartement qu’elle souhaite mettre en vente. Je ne
pense pas rentrer avant ton départ, je te laisserai mon
rapport de visite sur ton bureau ce soir. À demain !
- À demain Antoine.

Célia avait envie de rire devant l’attitude de son


collègue. Elle l’avait rarement vu avec un tel
enthousiasme pour faire la visite d’un logement. Mais
elle comprenait fort bien qu’il ait pu craquer, devant
la beauté de la jeune femme. À vrai dire, il était lui
aussi plutôt séduisant. Grand, svelte, les cheveux
légèrement grisonnants de la quarantaine et un sourire
enjôleur, mais plutôt coureur de jupons.

L’agence était vide, son travail était à jour, il était


seize heures. À moins d’une visite imprévue, il lui
restait du temps pour aller sur le net.

47
Elle trouva un article sur la « mission d’aide à la
médiation internationale pour les familles » créée au
ministère de la Justice, mais seulement en 2001. Ce
qui voulait dire que pour Marie, cette mission
n’existait pas encore. Un autre article parlait du droit
de visite de l’épouse en pays étranger. Il était
conseillé de prendre un second avocat sur le territoire
où se trouvait l’enfant, pour faire constater ses droits
et demander par la même occasion, la garde de
l’enfant.
Après avoir parcouru les différents articles traitant de
ces enlèvements illicites d’enfants, elle tenta une
recherche pour essayer de localiser Marie. Par son
livre, elle espérait trouver un lien qui lui donnerait au
moins un renseignement sur son nom de famille. Mais
peut-être avait-elle divorcé depuis et repris son nom
de jeune fille ? Etait-ce aussi son intérêt de divorcer si
elle voulait récupérer son enfant ? La suite du récit de

48
Marie, lui permettrait peut-être de faire des recherches
plus approfondies.

La sonnette à la porte d’entrée tinta peu avant dix-sept


heures. Une femme d’un certain âge entra et demanda
à voir un responsable, elle souhaitait visiter une
maison en vue de l’acheter. Célia lui
répondit qu’aucun responsable n’était disponible pour
le moment et lui proposa de prendre rendez-vous. La
femme très têtue répliqua :
- Écoutez, je suis là, je peux attendre un moment.
Passez-leur un coup de fil et voyez s’il est possible de
me recevoir dans l’heure qui suit !

Célia comprit qu’il était inutile de chercher à la faire


revenir, elle décrocha le téléphone et appela Antoine.
Celui-ci la reçut plutôt froidement :
- Oui, Célia que se passe-t-il de si urgent ?

49
- Désolée, mais nous avons une cliente qui voudrait
visiter une maison affichée en vitrine, en vue de
l’acheter. Elle préfère attendre un responsable plutôt
que de revenir.
- Bon, je serai là dans une demi-heure, fais-la
patienter !

En raccrochant, Célia s’efforça de sourire face à cette


femme qui n’avait vraiment pas l’air commode :
- Un responsable va arriver d’ici une demi-heure,
puis-je vous offrir un café ou un thé en attendant ?
- Un thé, je veux bien, merci.
Pendant que Célia s’affairait à la cuisine, elle jetait un
coup d’œil de temps à autre sur sa visiteuse. Celle-ci
semblait agacée et avait visiblement, beaucoup de mal
à rester en place. Célia revint avec la boisson
demandée :
- Souhaitez-vous un peu de lait ?
- Non, merci. C’est très bien comme ça.

50
Devant le mutisme de cette cliente, Célia n’était pas
très à l’aise et ne savait pas quelle attitude adopter.
Elle fit semblant de s’affairer sur son ordinateur tout
en regardant l’heure qui tournait. À un moment, sa
visiteuse se leva et demanda où se trouvaient les
toilettes. Célia l’accompagna et attendit son retour, en
surveillant afin qu’elle ne s’introduise pas dans la
partie privée de l’agence.
Avant qu’elle ne soit ressortie, Antoine poussait la
porte et regardait Célia d’un œil interrogateur. Elle lui
fit signe que la personne était aux toilettes. Il s’installa
et constatant qu’il était presque dix-huit heures :
- Tu peux y aller Célia, je fermerai et je laisserai mon
compte-rendu sur ton bureau.
- Merci Antoine, à demain.

Au moment où elle se dirigeait vers la cuisine pour


récupérer ses affaires, la femme sortait des toilettes.

51
Célia l’informa que le responsable était arrivé. Afin de
ne pas les déranger, elle sortit par la porte de derrière,
heureuse de ne pas être obligée de rester le temps de
l’entretien avec Antoine.

Elle se pressait maintenant pour rejoindre la place


Jeanne d’Arc et prendre l’autobus. Le trajet lui sembla
long, la circulation était dense. Lorsqu’enfin les portes
de l’autobus s’ouvrirent devant son arrêt, elle poussa
un grand soupir.

Un court passage chez le boulanger, un coup d’œil à


sa boîte à lettres, et trois étages plus hauts, elle ouvrit
la porte de son appartement. Elle se débarrassa de son
manteau et de son sac à main, ouvrit son congélateur
et opta pour du riz cantonais. Avec des gestes rapides,
elle mit le couvert dans sa cuisine et s’installa pour
dîner. Comme la veille, elle ne s’octroya que très peu
de temps pour ce repas. Elle avait un rendez-vous
avec le passé en compagnie de Marie.
52
***

Mai 1994

Je rencontrai pour la première fois, mon avocat


commis d’office. Il me consacra une demi-heure pour
lui expliquer ma situation. Il promit de me tenir au
courant de l’avancée du dossier dès que possible.
Mais les jours et les semaines ont passé avant qu’il ne
se manifeste. Il s’était écoulé plus d’un mois depuis
notre entretien. Il me donna enfin rendez-vous dans
un café proche du tribunal de Toulouse, il avait
parait-il, une audience qui allait commencer d’ici
peu. Il ne m’apprit pas grand-chose, les démarches
étaient commencées pour un droit de visite et il ne
pensait pas avoir de nouvelles avant deux ou trois
mois.
J’étais désespérée, avec l’impression d’être
complètement abandonnée, malgré la présence
constante de mes parents à mes côtés. Mon petit
53
Yanis avait maintenant plus de dix mois et je ne
savais même pas à quoi il ressemblait. Son père
n’avait pas jugé utile de m’envoyer une photo du
petit. Mes lettres restaient sans réponse et quand
j’évoquais mon droit de visite sur notre enfant, je
recevais des lettres anonymes menaçantes. J’avais
fait des copies de ces lettres pour mon avocat, mais
rien n’avançait.

J’étais alors retournée à une réunion prévue à


l’association comme me l’avait suggéré l’assistante
sociale de mon entreprise. Chaque femme présente
évoquait son expérience. L’une disait qu’elle avait eu
la chance de voir son enfant l’espace d’une journée,
en terrain neutre. Mais elle s’était mise à pleurer,
lorsqu’elle nous a confiées que son enfant l’avait
rejetée, car il ne l’avait pas reconnue et ne voulait
pas la revoir.

54
À ce moment, je me suis posé la question. Il était
évident que mon fils ne me reconnaîtrait pas, étant
donné qu’il était parti à l’âge de trois mois. Comment
réagirait-il si j’avais l’autorisation d’aller le voir ?
En attendant, mes parents me poussaient à demander
le divorce et la garde de mon fils. Pour le divorce, je
devais m’informer au préalable, afin de ne pas
commettre d’impair.

***

Célia venait de faire tomber le livre, elle s’était


endormie dans son fauteuil. Elle se leva, ramassa le
précieux journal et y inséra le marque-page. Elle
s’emmitoufla dans ses couvertures et s’endormit très
vite.

55
CHAPITRE 3

Levée de bonne heure, Célia buvait son thé


tranquillement avant d’aller se doucher. Ce matin, elle
n’aurait pas l’occasion de faire son marché comme
elle avait l’habitude de le faire chaque samedi.
Lorsqu’elle sortit de son immeuble, elle constata que
la température était montée de plusieurs degrés.
Devant son arrêt de bus, elle regardait les camelots
installer leurs étals. Les senteurs des fruits et légumes
et des épices arrivaient déjà jusqu’à elle. Le marchand
de fleurs, lui, mettait en avant des bouquets
fraîchement coupés. L’autobus arriva avec dix
minutes de retard, mais cela n’affolait pas Célia, car le
samedi matin, l’agence ouvrait plus tard.

À sa descente place Jeanne d’Arc, les rues


commençaient à s’animer. Elle s’arrêta à une
boulangerie et acheta un croissant. Puis elle sortit son
56
trousseau de clés arrivée devant l’agence. Une fois le
rideau levé et après avoir ouvert la porte, elle procéda
comme tous les jours, en déposant son vestiaire et
pénétrant dans la cuisine pour préparer le café.

Pendant ce temps, elle prit connaissance des dossiers


laissés sur son bureau par Antoine. Elle constata qu’il
y avait deux rapports de visites, ce qui signifiait qu’il
était certainement rentré très tard chez lui. Ce matin, il
pouvait se permettre une grasse matinée bien méritée.
Elle mit de côté ces dossiers, et prit tout son temps
pour prendre son petit-déjeuner. Les clients arrivaient
rarement avant dix heures le samedi matin. Elle
s’attaqua ensuite à la frappe des rapports.

Plongée dans son travail, elle sursauta quand la


sonnerie de la porte se fit entendre. Le facteur entra
avec le sourire et lui tendit le courrier de l’agence.
Elle le remercia, déposa le courrier et les journaux sur

57
le bureau d’Antoine pour les consulter plus tard et se
remit aussitôt au travail.

Vers onze heures, la porte s’ouvrit sur un jeune couple


qui était resté un moment devant la vitrine à regarder
les annonces, avant de se décider à entrer. Célia se
leva pour les accueillir :
- Bonjour, est-ce que je peux vous renseigner ?
C’est la jeune femme qui s’avança et prit la parole :
- Bonjour, en effet, nous aimerions avoir des
renseignements sur un deux-pièces que nous avons vu
en vitrine.
- Bien sûr, vous allez m’indiquer l’annonce en
question, allons-y !

La jeune femme sortit d’un air décidé et montra du


doigt l’annonce de l’appartement convoité. Célia
comprit qu’elle était très enthousiaste :

58
- Je vais vous faire faire une visite virtuelle sur mon
ordinateur, dans un premier temps. Si vous voulez me
suivre. Installez-vous à mes côtés.

En quelques clics, Célia accéda à l’annonce et cliqua


sur « panorama ». Les images défilaient sous les yeux
de la jeune femme. Elle demanda à revoir les images
encore une fois, puis interrogea du regard son ami. Il
se décida enfin :
- Pouvons-nous visiter aujourd’hui ?
- Pas aujourd’hui, car je suis seule. Vous comprendrez
que je ne peux fermer l’agence. On prend rendez-
vous ? Dès lundi si vous voulez !
- Nous travaillons tous les deux et nous rentrons tard !
- Nous pouvons vous faire visiter jusqu’à dix-huit
heures, ensuite l’agence ferme à dix-neuf heures.

La jeune femme paraissait impatiente :

59
- Je peux vous rappeler, je vais essayer de voir avec
ma mère ?
- Rappelez-moi aujourd’hui jusqu’à treize heures
ensuite, c’est mon collègue qui prend le relais à partir
de quatorze heures.
- D’accord, je fais mon possible pour vous rappeler
avant votre départ. Merci.
Célia regardait le couple sortir en pensant que cet
appartement représentait certainement beaucoup pour
eux. Puis, elle s’en retourna à son travail.

À midi, elle avait terminé. Elle s’empara du courrier


resté sur le bureau d’Antoine et commença à ouvrir
chaque lettre. Des factures et courriers sans grand
intérêt. Elle se saisit des journaux et en commença la
lecture, histoire de passer le temps jusqu’à la fin de sa
matinée. Un article attira son attention : une
association de femmes victimes d’enlèvement illicite
de leur enfant, allait manifester dimanche devant la

60
préfecture. Célia releva aussitôt l’horaire pour s’y
rendre. Peut-être avait-elle trouvé le moyen de
rencontrer Marie ? La jeune fille n’avait pas rappelé.
Elle laissa un mot sur le bureau d’Antoine au sujet de
la visite du jeune couple, puis elle commença à ranger
ses affaires.

Après avoir fermé l’agence, elle sortit par la porte de


derrière. Elle avait maintenant hâte de rentrer, elle
avait juste le temps de déjeuner avant son rendez-vous
chez le coiffeur.
Lorsqu’elle descendit de l’autobus, les camelots du
marché avaient presque tous remballé leurs
marchandises. Elle se contenterait donc d’un plat
surgelé. Le déjeuner terminé, elle nettoya rapidement
le peu de vaisselle qu’elle avait sali et s’apprêtait à
sortir, quand elle revint sur ses pas pour prendre le
livre de Marie. Elle savait qu’elle aurait du temps

61
pour avancer dans son récit avant que la coiffeuse ne
s’occupe d’elle.

À peine entrée dans le salon de coiffure, elle remarqua


la mine défaite de la patronne. Celle-ci lui expliqua
qu’il y avait un problème, car l’une de ses employées
était absente. Il faudrait compter une heure de retard
sur le rendez-vous prévu. Célia la rassura :
- Pas de problème, j’ai apporté de la lecture, ne vous
en faites pas !
- Dans ce cas, je vous souhaite bonne lecture.
Célia sortit le livre de son sac à main, en ôta le
marque-page et tous les bruits alentour semblèrent
soudain feutrés, presque inexistants.

***

Mes parents m’ont suggéré de changer d’avocat. Ils


pensent qu’il n’est pas compétent et laisse traîner les
62
choses. Je vais voir avec l’assistante sociale si elle
peut m’aider. J’ai à nouveau écrit à Elias il y a de
cela presque un mois, en le suppliant de revenir au
moins quelques jours afin que je puisse voir notre fils.
Mais je n’ai pas eu de réponse.
Au bureau, je me suis fait des amis ; ils veulent
m’inviter pour faire des sorties, mais le cœur n’y est
pas. Mes parents pensent que je n’ai pas le droit de
sacrifier ma jeunesse pour un type qui n’en vaut pas
la peine. Je sais qu’ils disent ça, parce qu’ils croient
que je ne reverrai jamais mon petit Yanis. Mais
quelques femmes de l’association ont pu obtenir un
droit de visite, il n’y a pas de raisons que l’on me
refuse ce droit, je vais me battre.

J’aimerais beaucoup louer un studio et reprendre


ainsi mon indépendance, mais avec les frais d’avocat,
je ne peux pas me le permettre. Je sais que mes
parents sont heureux que je sois revenue chez eux, ils

63
se sentent rassurés. Peut-être ont-ils peur que je fasse
une bêtise s’ils me laissaient partir ?
J’ai vingt ans, l’âge où, en principe, on ne pense qu’à
s’amuser, aller danser, voir des spectacles, aller au
cinéma. Mais je reste dans ma chambre à regarder
les photographies prises avec Elias et notre bébé et à
relire le peu de lettres qu’il m’a écrites. J’ai parfois
envie de mourir, je n’imagine pas ma vie sans mon
fils.

Mes amis me posent de temps à autre des questions,


ils ne savent pas que je suis mariée et que j’ai déjà un
enfant. Ma mère m’a déconseillé d’en parler, elle dit
que si ces personnes apprennent que mon mari est
Tunisien et qu’il est parti avec notre enfant, ils me
tourneront le dos en disant que ce genre de chose ne
serait jamais arrivé, si j’avais épousé un Français.
J’ignore si elle a raison, mais de toute façon, je n’ai
pas envie d’en parler au bureau. Je ne comprends

64
toujours pas pourquoi Elias a agi de cette façon.
Nous nous aimions vraiment et faisions des projets
pour Yanis. Que peut-il faire là-bas ? Est-ce qu’il
travaille ? Qui garde mon enfant ? Et pourquoi
refuse-t-il de m’envoyer des photos ?

Juillet 1995

Je n’en peux plus, mon avocat se démène pour mon


droit de visite, mais rien n’y fait. Il a quand même pu
obtenir que mon mari envoie des photographies de
notre fils, en passant par les autorités tunisiennes.
J’ai là, sous mes yeux, mon petit Yanis qui a
maintenant deux ans et il me manque terriblement. Il
est très beau, mais habillé très pauvrement.
Elias a juste écrit un petit mot, « ma mère s’en
occupe bien, mon père est malade, je ne peux pas les
laisser ». Je ne sais pas quoi penser, est-il sincère ou

65
un menteur hors pair, qui a déjà trouvé chaussure à
son pied et n’ose pas me le dire, car nous sommes
toujours mariés ? Mes parents ont peur pour moi. Ils
me disent de m’accrocher à mon travail, car c’est la
seule solution pour moi si je veux obtenir la garde du
petit. Je sais qu’ils ont raison et je me suis décidée à
demander le divorce et la garde du petit. Mon avocat
m’a déjà prévenue que ce serait long et difficile, mais
je suis prête à attendre le temps qu’il faudra, pourvu
que mon fils me revienne.

Au bureau, je suis toujours bien entourée, les


collègues sont très gentils, mais ne comprennent
toujours pas pourquoi je refuse de sortir avec eux.
Etienne, un comptable qui a une trentaine d’années,
m’a fait comprendre qu’il aimerait bien m’inviter au
restaurant un soir. Il est vrai qu’il a un certain
charme, mais je lui ai répondu que je ne serais pas de
bonne compagnie actuellement, car j’avais des

66
problèmes familiaux. Il a eu un regard interrogateur,
mais comprenant que je ne lui livrerais pas l’objet de
mes soucis, il a néanmoins répondu « j’attendrai que
vous acceptiez de vous confier et ensuite, je
renouvellerai mon invitation ». Je lui ai répliqué de
me laisser un peu de temps. Il a souri, comprenant
que tout espoir n’était pas perdu.

***
Quelque chose avait touché l’épaule de Célia, elle
releva la tête et reconnut sa coiffeuse qui l’invitait à
passer au shampoing.
- Et bien dites-moi, votre roman à l’air passionnant,
vous avez à peine réagi quand je vous ai touché
l’épaule.
- Désolée, oui, c’est passionnant effectivement !

À seize heures, Célia sortait enfin du salon de coiffure


et rentra chez elle. Jugeant qu’elle n’aurait pas le

67
temps d’aller faire les magasins à Toulouse, si elle
prenait le bus, elle décida d’appeler un taxi. « Une
fois n’est pas coutume, se dit-elle ! ».

Bertrand lui avait posé la question à ses débuts dans


l’agence :
- Pourquoi ne pas venir en voiture, plutôt que de
prendre l’autobus ? Vous n’avez pas de permis de
conduire ?
- Si, j’ai le permis, mais mon loyer étant élevé, je ne
peux pas prendre de crédit pour m’offrir une voiture et
l’assurance.
- Tant que ça, votre loyer ?
- Plus de la moitié de mon salaire !
- Et l’autre moitié, vous en faites quoi ?
- Habillement, coiffeur, esthéticienne, sorties,
voyages. Il m’arrive de manger aussi. Mon amie
Caroline m’a dit, lorsque je suis venue me présenter
chez vous, « Si tu achètes une voiture, tu n’auras plus
assez d’argent pour te vêtir et sortir, autrement dit, tu
68
vas perdre le meilleur, et tu ne profiteras plus de la
vie. À moins que tu ne préfères avoir une belle voiture
et venir avec des vêtements bons marchés qui vont
rétrécir au premier lavage ».
- Et vous l’avez écoutée, vous pensez que c’est elle
qui a raison ?
- Pour l’instant, oui, car je suis célibataire, et je ne
vois pas pourquoi je me priverais !

Elle en était là dans ses pensées, quand son téléphone


sonna, le taxi était en bas de chez elle. Elle se
précipita et s’engouffra dans le véhicule en quelques
minutes seulement. Après avoir donné l’adresse où
elle souhaitait se rendre, elle se cala contre le dossier
et s’assoupit. Une demi-heure plus tard, le chauffeur
lui signifia qu’elle était arrivée. Gênée de s’être
endormie, elle mit un certain temps à réaliser que le
taxi était à l’arrêt. Le chauffeur lui souriait, attendant
qu’elle réagisse. Célia s’excusa et paya la course.

69
Elle se dirigea ensuite vers les rues commerçantes et
s’empressa d’entrer dans les boutiques qu’elle avait
l’habitude de fréquenter. Ignorant à quel genre de
soirée son amie Caroline l’avait invitée, elle décida
d’essayer plusieurs robes de soirée. Elle jeta
finalement son dévolu sur une robe à fines bretelles,
assez moulante, mais pas trop non plus. Elle opta pour
une couleur bleu nuit. Pour parfaire sa tenue, elle
choisit un petit boléro blanc.
À la sortie du dernier magasin où elle venait d’acheter
une jolie paire d’escarpins, elle constata qu’elle allait
être en retard chez Caroline, si elle revenait sur
Castelginest. En effet, son amie habitant Toulouse, il
serait plus facile de passer se changer à l’agence
immobilière, elle pourrait ainsi se rendre à pied à cette
soirée.

70
L’agence était encore éclairée, signe qu’Antoine était
toujours sur les lieux. Elle décida de passer par la
porte qui donnait sur la ruelle et pénétra sans bruit
dans le vestiaire. Célia trouva étrange de n’entendre
aucun bruit, Antoine devait s’être endormi. Elle
décida de ne pas le réveiller et s’introduisit dans les
toilettes pour se changer. En sortant revêtue de sa robe
nouvellement achetée, elle se dirigea vers le lavabo
pour retoucher son maquillage. Elle termina par
quelques gouttes de parfum derrière le lobe des
oreilles et sur les poignets, puis elle rangea ses
vêtements dans son vestiaire.

La porte avait grincé, elle pensa aussitôt que son


collègue avait dû sursauter en se croyant seul. Mais il
semblait n’avoir rien entendu. Elle s’apprêtait à
repartir, quand elle eut soudain une appréhension. Les
lieux étaient trop calmes ce n’était pas normal. Il était
déjà arrivé à Antoine de s’endormir sur son lieu de

71
travail, mais en général, ce n’était que quelques
minutes et, au moindre bruit, il relevait la tête. Le
grincement de la porte de son vestiaire aurait dû le
réveiller !

Célia s’approcha lentement de l’accueil et constata


qu’Antoine était assis à son bureau, mais ne bougeait
pas. Il était seul dans l’agence et la porte semblait être
restée entrouverte. Arrivée à la hauteur du bureau de
son collègue, elle appela tout doucement, afin de ne
pas le brusquer, mais il ne réagit pas à son appel. Elle
se précipita alors vers lui et constata avec horreur,
qu’il avait été agressé. Il avait du sang sur le visage et
semblait avoir été assommé. Aussitôt, elle appela la
police, puis elle téléphona à Caroline lui expliquant la
situation.
Cette dernière qui habitait à moins d’un quart d’heure
à pied, arriva juste quelques minutes avant l’arrivée de
la police. Elle était accompagnée de son mari et de

72
l’homme qu’elle souhaitait lui présenter. Elle trouva
Célia effondrée à son bureau, les larmes avaient fait
couler son maquillage et taché sa jolie robe. Mais
c’était là le dernier de ses soucis, elle était très
inquiète pour Antoine.
À l’arrivée de la police, une ambulance suivait. Un
médecin était entré et avait constaté qu’Antoine était
dans le coma suite au traumatisme crânien qu’il avait
subi. Il fut emporté rapidement dans l’ambulance.
Quant à Célia, elle fut confrontée à un long
interrogatoire :
- Antoine était-il marié, sinon avait-il de la famille sur
Toulouse ? Avait-on volé quelque chose dans
l’agence ?
Elle avait répondu de son mieux :
- Non, Antoine n’était pas marié, elle ne savait pas s’il
avait de la famille dans la région, il était plutôt discret
sur sa vie privée. Mais peut-être avait-il un répertoire
téléphonique sur son portable où figurent les numéros

73
de téléphone de sa famille ? Enfin, elle n’avait pas
remarqué s’il y avait eu vol.
Avant de partir, les policiers lui demandèrent de
passer au commissariat, le plus tôt possible pour faire
sa déposition.
Elle récupéra ses affaires au vestiaire et referma le
rideau de l’agence. La soirée était fichue et Caroline
en était consciente. Toutefois, elle l’encouragea à
venir prendre un verre chez elle pour se remonter.
Ensuite, ils la raccompagneraient chez elle. Célia
suivit son amie sans dire un mot.

Les invités de Caroline étaient déjà arrivés et avaient


commencé les préparatifs en attendant leurs hôtes.
Quelqu’un tendit un verre à Célia, elle le prit en levant
la tête pour identifier la personne qui l’avait servie.
Elle reconnut l’homme qui avait accompagné
Caroline et son mari. Il se présenta :

74
- Je m’appelle Thomas, je suis l’ami qui devait vous
être présenté, je suis navré de faire votre connaissance
dans ces circonstances.
- Merci pour le verre, j’en avais bien besoin. Caroline
m’avait dit que vous étiez une personne irrésistible,
elle est trop mère poule avec moi et elle veut à tout
prix me caser. Je suis vraiment désolée de me
présenter dans cet état pour une première rencontre,
mais Antoine est un collègue de travail depuis déjà
plus de trois années et il est très attachant. Quand je
l’ai vu avec tout ce sang sur le visage, j’ai eu peur
qu’il soit mort. J’espère qu’il va sortir du coma
rapidement. D’un autre côté, je suis heureuse d’avoir
eu l’idée de passer par l’agence pour me changer,
sinon il aurait pu rester là encore plusieurs heures
avant qu’il ne soit découvert.
- Vous êtes bouleversée. Si vous le souhaitez Célia, je
me propose de vous raccompagner, je comprends très

75
bien que vous n’ayez pas trop envie de vous amuser
ce soir.
- Vraiment, cela ne vous dérangerait pas ?
- Non, je vais juste prévenir nos hôtes et je vous
accompagne.
- Pouvez-vous me rapporter un autre verre ?
- Aucun problème !

Célia avait vidé son premier verre presque d’un trait,


mais elle était toujours sous le choc. Consciente que
son attitude envers Thomas n’était sûrement pas celle
qu’il attendait de la part d’une amie de Caroline, elle
se dit que, fichu pour fichu, boire un verre de plus ou
pas, ce soir n’était pas un soir comme les autres. Alors
tant pis pour l’ami irrésistible, il était déjà gentil de
bien vouloir la raccompagner.

Thomas l’avait reconduite chez elle, mais ils n’avaient


échangé que quelques mots durant le trajet. Lorsque
Célia ouvrit la portière pour descendre de la voiture,
76
la tête lui tourna et elle se laissa retomber sur le siège.
Thomas réagit aussitôt :
- Attendez, je vais vous aider à rentrer chez vous

Il fit le tour de la voiture et l’attrapa sous les aisselles


pour l’aider à marcher. Célia, peu sûre d’elle, mit son
bras autour de son cou. Quand il lui demanda à quel
étage se trouvait son appartement et qu’elle lui
annonça « troisième étage », il comprit qu’il allait
devoir la porter pour gravir les escaliers.

L’alcool commençait à faire son effet sur Célia et


celle-ci se mit à rire lorsqu’elle se sentit soulevée de
terre. Au troisième étage et à bout de souffle, Thomas
lui demanda ses clés pour ouvrir la porte. Elle se mit à
fouiller frénétiquement dans son sac, sans rien
trouver. En homme très bien élevé, il lui demanda la
permission de chercher dans le sac. Il trouva
rapidement un trousseau de clés, mais il eut beau les
essayer toutes, aucune ne convenait pour cette porte.
77
Célia fut prise d’un fou rire :
- Ce sont les clés de l’agence immobilière !
- Dites-moi où sont les vôtres, nous n’allons pas rester
sur le palier ?
- Alors peut-être dans mon manteau, gentil Thomas.

Comprenant que l’état de Célia n’allait pas en


s’arrangeant, il fouilla dans les vêtements qu’elle avait
rapportés de l’agence et finit par trouver les fameuses
clés.

En pénétrant dans l’appartement, il lui fit boire deux


verres d’eau et l’aida à se coucher en lui ôtant
uniquement ses chaussures. Il promit de l’appeler le
lendemain pour prendre de ses nouvelles, tout en étant
conscient qu’elle ne se souviendrait probablement pas
de cette soirée à son réveil.

78
CHAPITRE 4

La lueur du jour qui pointait à travers les persiennes


réveilla Célia. Elle entrouvrit les yeux pour les
refermer aussitôt. La douleur ressentie lui fit
comprendre que sa migraine, due à l’alcool, n’allait
pas s’arranger, si elle ne prenait pas le médicament
miracle après « une gueule de bois ». Elle fit tomber
deux comprimés effervescents dans un verre,
attendant patiemment qu’ils soient dissous.
Elle fit une grimace en avalant le breuvage, puis se
prépara un café bien fort qu’elle emporta avec elle
dans le salon. Assise sur son canapé, elle tenta de se
remémorer sa soirée chez Caroline. Elle se revoyait
entrer dans l’agence immobilière pour passer sa robe
de soirée, puis le grincement de la porte de son
vestiaire, puis ….. Mon Dieu Antoine !

79
Elle se jeta sur le téléphone pour appeler l’hôpital, elle
s’en voulait de s’être saoulée au lieu de prendre des
nouvelles de son collègue. Quand on décrocha enfin
elle se mit à bafouiller :
- Bonjour, je voudrais avoir des nouvelles d’Antoine,
c’est mon collègue de travail, il a été agressé hier
soir !
- Bonjour madame, quelle est la personne dont vous
souhaitez avoir des nouvelles ?
- Heu… Oui, excusez-moi. Je voulais avoir des
nouvelles de la santé d’Antoine Eymard, il a été
agressé hier soir et l’ambulance l’a amené chez vous.
- Êtes-vous de la famille ?
- Non, je viens de vous dire que je suis sa collègue de
travail, je suis celle qui l’a découvert inanimé et qui a
prévenu la police.
- Si vous n’êtes pas de la famille, je ne peux pas vous
donner d’informations par téléphone.

80
- Mais enfin, c’est impossible, je voulais savoir s’il
était sorti du coma, je dois appeler notre patron pour
l’informer de l’hospitalisation d’Antoine, il faut que je
puisse lui dire ce qu’il en est ?
- Écoutez, venez à l’hôpital, et si aucun membre de sa
famille n’a pu être prévenu, on vous donnera peut-être
l’autorisation de le voir.

Après avoir raccroché, Célia passa sous la douche et


se prépara pour partir à l’hôpital. Elle pensait appeler
un taxi pour gagner du temps. Elle finissait de
s’habiller lorsqu’on sonna à son interphone.
- Oui ?
- Bonjour Célia, c’est Thomas, je peux monter vous
voir ?
- C’est-à-dire que j’allais partir à l’hôpital pour avoir
des nouvelles de mon collègue Antoine.
- Très bien, je vous accompagne si vous voulez !
- Vraiment ? Cela ne vous dérange pas ?
- Pas du tout, je vous attends en bas.
81
Elle se pressa, prit son manteau et sortit en toute hâte.
Elle avait les idées encore embrouillées et ne se
souvenait pas vraiment de sa soirée chez Caroline.
Elle reconnut tout de suite Thomas et lui donna une
poignée de main vigoureuse. En prenant place dans la
voiture, elle s’aperçut qu’il la dévisageait. Elle pensa
aussitôt qu’il s’était sûrement passé une chose la
veille dont elle ne se souvenait pas :
- Quoi ? Pourquoi souriez-vous ?
- Non, tout va bien, je vous assure !
- Il y a eu quelque chose entre nous hier soir ?
- Non, pas du tout. Vous aviez un peu trop bu et je
vous ai raccompagnée, c’est tout !
- Je vous ai invité à monter chez moi ?
- Ce n’est pas vraiment ce que je dirais.
- Quoi ? Vous êtes monté ou pas ?
- Ne soyez pas agressive, vous n’arriviez pas à monter
les escaliers, alors je vous ai portée jusqu’au troisième
étage !
82
- Non ! Ce n’est pas possible, vous m’avez … portée ?
- Oui ! Je vous ai couchée aussi.
- Non, vous n’avez pas osé ?
- Rassurez-vous, je ne vous ai pas touchée, je vous ai
juste enlevé vos chaussures et vous vous êtes
endormie aussitôt.
- Mon dieu, quelle honte ! Que va penser Caroline de
mon attitude.
- Je ne dirai rien, cela restera entre nous.
- Merci Thomas, vous savez, je n’ai pas l’habitude de
boire, j’ai eu un tel choc en découvrant Antoine, avec
ce sang sur son visage…
- Je comprends, vous n’avez pas à vous justifier. Il y a
longtemps que vous travaillez avec Antoine ?
- Il était déjà là quand j’ai été engagée. Il est l’associé
de Bertrand, le patron.
- Et votre patron a été prévenu de l’agression
d’Antoine ?

83
- Non, il est en Espagne pour un rendez-vous chez un
notaire. Une histoire d’héritage. Je tenterai de
l’appeler dès que j’aurai pu voir Antoine. Si je
l’appelle maintenant, il va me harceler de questions
auxquelles je ne pourrai pas répondre.
- Nous arrivons, je vous accompagne.

À l’accueil, Célia essaya de garder son calme en


expliquant pourquoi elle voulait voir Antoine Eymard
bien qu’elle ne soit pas de sa famille. La
réceptionniste lui demanda de patienter, elle allait
interroger le médecin qui l’avait pris en charge.
L’attente s’éternisait et Thomas proposa à Célia
d’aller lui chercher un café, elle accepta et le remercia
pour sa gentillesse. La femme de la réception l’appela
quelques minutes plus tard :
- Le médecin n’étant pas de service ce matin, c’est
l’infirmière qui était avec lui hier soir qui va venir
vous voir.

84
Thomas revenait avec les cafés au moment où Célia
venait de se rasseoir :
- Alors ? Vous avez pu avoir des informations ?
- Une infirmière va venir me voir, il faut attendre. Si
vous souhaitez partir Thomas, je ne vous en voudrai
pas, je suppose que vous avez autre chose à faire !
- Rassurez-vous, rien d’urgent aujourd’hui, j’ai tout
mon temps.
- C’est gentil à vous, merci.

Un quart d’heure plus tard, une infirmière apparut à


l’accueil. La réceptionniste montra du doigt Célia et
Thomas. L’infirmière s’approcha d’eux en
dévisageant Célia :
- Vous êtes la personne qui désire voir Antoine
Eymard ?
- Oui, je suis sa collègue de travail, c’est moi qui l’ai
découvert après son agression !
- Comme vous n’êtes pas de sa famille, je ne peux pas
vous autoriser à venir le voir, mais je vais quand
85
même vous dire ce qu’il en est. Il est pour le moment
toujours dans le coma, mais nous pensons qu’il va se
réveiller très vite, car les radios montrent que son
hématome frontal n’est pas très grave. La personne
qui l’a frappé et assommé n’a pas touché une zone
jugée « dangereuse ». Pour l’instant, nous n’avons pas
réussi à prendre contact avec sa famille, savez-vous
comment la joindre ?
- Malheureusement non, je ne sais pas grand-chose sur
lui, à part qu’il est célibataire et il ne parle jamais de
sa famille.
- Bon, laissez-moi votre numéro de téléphone et je
vous tiendrai au courant de son état. Il est inutile de
venir tant qu’il sera dans le coma.
- Merci, je suis vraiment inquiète. Je vais tenter
d’appeler notre patron pour l’informer de son
hospitalisation. Mais ce n’est pas gagné d’avance, il
est en Espagne, je ne sais pas si, là où il est, on
arrivera à le joindre.

86
- L’Espagne n’est pas le bout du monde, tout de
même !
- Non, mais il y a des endroits où l’on ne capte pas et
il n’y a que sur son portable que je peux le joindre.
Merci encore.

En arrivant sur le parking, Célia tenta de joindre son


patron, mais sans succès.
Thomas qui attendait au volant de sa voiture, la vit
raccrocher et venir vers lui :
- Vous n’avez pas réussi à l’avoir ?
- Non, ça ne passe pas.
- Je vous raccompagne chez vous ?
- Non, je vais aller à l’agence voir si l’on a volé
quelque chose. Hier, je n’étais pas dans mon état
normal pour remarquer quoi que ce soit.
- Très bien, alors allons-y !
- Non, je vais me débrouiller, vous en avez assez fait
pour moi. Je ne veux pas être un fardeau pour vous,
sous prétexte que Caroline voulait nous présenter l’un
87
à l’autre. Ne vous sentez pas obligé d’être mon
chaperon.
- Célia, vous n’êtes pas un fardeau pour moi, vous
êtes une femme qui a été bouleversée par l’agression
de son collègue de travail et dans ces conditions, vous
ne pouviez pas être dans votre état normal pour cette
soirée. Je vais vous accompagner et essayer de vous
aider à comprendre pourquoi votre collègue a été
agressé.
- Alors, je veux bien.

La matinée était déjà bien avancée, lorsque Thomas


trouva assez facilement une place pour se garer près
de l’agence immobilière. Célia sortit ses clés et décida
de passer, comme bien souvent, par la porte qui
donnait sur la ruelle pour entrer dans l’agence. Cela
lui évitait de lever le rideau de fer et en même temps,
d’attirer l’attention des voisins. Ne voulant pas laisser
ses empreintes, au cas où l’agresseur aurait laissé les

88
siennes, elle enfila une paire de gants que la femme de
ménage rangeait dans un coin du vestiaire.

Elle fit le tour des bureaux, inspecta les armoires et les


tiroirs. Puis enfin la cuisine, où Bertrand rangeait la
caisse qui ne contenait, la plupart du temps, que des
chèques et un peu d’argent liquide. Celle-ci ne
semblait pas avoir été forcée. Elle fouilla alors le
bureau d’Antoine, feuilleta son agenda. Aucun indice
ne prouvait qu’il attendait quelqu’un la veille au soir.
Célia se mit au clavier de l’ordinateur d’Antoine et
tenta de repérer les derniers sites visités par celui-ci.
Ne trouvant, là encore, rien d’anormal, elle songea
que, seul son téléphone portable, aurait permis de
connaître son dernier interlocuteur. Mais il était entre
les mains de la police. Soudain, elle se mit à pianoter
sur le clavier et entra dans les messages personnels
d’Antoine. Ce dernier lui avait laissé son mot de
passe, au cas où elle devrait le joindre de toute

89
urgence. Elle trouva plusieurs appels en absence et le
message le plus récent, datait de la veille à dix-sept
heures. Célia mit le son et écouta.
« Bonsoir monsieur. Hier dans la soirée, ma femme
vous a demandé de venir visiter notre maison en vue
de la vendre. Pouvez-vous me rappeler très vite ».

L’homme avait laissé son numéro de téléphone


portable, mais n’avait pas jugé bon de laisser son
nom. Il fallait chercher si Antoine avait déjà ouvert un
dossier pour la cliente qu’il avait visitée la veille.
N’en trouvant aucun sur le bureau de son collègue,
elle se dirigea vers son propre bureau et y découvrit
un dossier écrit à la hâte la veille au soir. Elle y releva
le nom de madame Mangin ainsi que le peu
d’informations qui y figuraient, dont : l’adresse et le
numéro de téléphone de la cliente, par contre le
numéro de portable n’y était pas.
Comment savoir si l’homme qui avait laissé un
message à Antoine était bien le mari de madame
90
Mangin ? Devait-elle appeler la police ou fallait-il
essayer d’appeler ce portable et voir ce qui allait se
passer ?

Thomas, qui jusqu’à présent était resté là, à la


regarder chercher de tous les côtés, se manifesta :
- Célia, est-ce que je peux vous aider en quoi que ce
soit ?

Celle-ci, fit un demi-tour sur elle-même et le fixa


comme si elle avait oublié sa présence.
- Je me demandais, si je devais appeler la police au
sujet du dernier rendez-vous d’Antoine, mais aussi de
cet appel qu’il a reçu hier soir !
- Le problème Célia, c’est que vous n’êtes pas censée
être au courant de cet appel téléphonique, puisque
c’est la police qui a récupéré son portable.

91
- Ce n’est pas faux. Ils ont sans doute écouté les
messages du portable d’Antoine. A cette heure-ci, ils
ont peut-être découvert l’auteur du dernier message.
- Ils font leur travail, soyez sans crainte. Il faut
maintenant vous changer les idées et je vous propose
d’aller déjeuner quelque part !
- C’est très gentil à vous, mais je ne suis pas certaine
d’être de bonne compagnie aujourd’hui.
- J’insiste Célia ! Allez, je vous emmène. Finalement,
elle se laissa guider à travers les rues de la ville. Il lui
suggéra un restaurant chinois et elle trouva l’idée
excellente.
- Je veux bien, il y a longtemps que je n’ai pas mangé
chinois.

Elle n’avait pas très faim, mais elle avait tout de


même ses préférences, comme les rouleaux de
printemps dont elle raffolait. Ils choisirent aussi des
nouilles chinoises sautées au bœuf. Elle refusa

92
toutefois le dessert, ayant trop abusé des rouleaux de
printemps. À la sortie du restaurant, Thomas lui
proposa de faire quelques pas :
- Pour la digestion, c’est essentiel. Ensuite, je vous
raccompagnerai.

Ils marchaient depuis un peu plus d’une demi-heure,


lorsqu’ils aperçurent une manifestation au détour d’un
carrefour. Aussitôt, Célia réagit :
- Oh, mon Dieu, Marie !
- Qui est Marie, Célia ? demanda Thomas.
- Je vous expliquerai plus tard, venez vite !

Elle courait maintenant vers la manifestation, certaine


de pouvoir trouver Marie dans le défilé. Le problème,
c’est qu’elle ne savait pas à quoi elle ressemblait. Les
pancartes tenues par quelques femmes, prouvaient que
Célia ne s’était pas trompée. C’était bien la
manifestation contre les enlèvements illicites

93
d’enfants vers les pays étrangers. Elle se pressa pour
tenter d’interroger quelques femmes. Accostant l’une
d’elles :
- S’il vous plaît madame, savez-vous si Marie est ici
dans cette manifestation ?
- Marie qui ?
- Je ne connais pas son nom de famille, elle s’appelle
Marie et son fils se prénomme Yanis, il a été enlevé
par son père !
- Non, je ne connais pas, je vais demander à mes
amies.
La femme fit le tour du défilé et demanda de faire
passer le message : une femme cherchait Marie dont
le fils Yanis avait été enlevé par son père. Elle revint
vers ses amies et voyant que Célia était toujours là, lui
annonça que le message circulait dans la foule. Célia
remercia et resta à leurs côtés, songeuse, pendant que
Thomas suivait à quelques pas. Il s’approcha d’elle et
lui demanda :

94
- Avez-vous pu retrouver votre amie ?

Elle releva la tête et devant la gentillesse de Thomas


qui semblait s’inquiéter pour elle, elle lui confia :
- C’est une longue histoire. Marie n’est pas mon amie,
mais j’aimerais beaucoup la rencontrer. Elle lui
raconta comment elle avait découvert la vie de Marie
à travers ce livre, qu’elle n’avait pas terminé
d’ailleurs.
- Vous pensiez la trouver ici aujourd’hui ?
- Peut-être ! Je ne sais pas. Son histoire m’a vraiment
bouleversée. J’espère pour elle qu’elle aura réussi à
voir son fils.
- Attendons encore un peu, proposa Thomas, et si elle
n’est pas là, je vous raccompagne chez vous.
- Merci, vous êtes adorable. Même si elle avait été là,
je ne sais pas si elle aurait souhaité parler avec moi. Je
ne suis qu’une femme qui lit le récit de sa vie, mais je
ne suis pas certaine de pouvoir faire quelque chose

95
pour l’aider, pourtant cette femme m’a profondément
émue.

Avant de prendre le chemin du retour, Célia essaya à


nouveau d’avoir son patron au téléphone, mais en
vain. Elle tenta aussi d’appeler l’infirmière qu’elle
avait vue à l’hôpital, pour avoir des nouvelles
d’Antoine, mais elle n’était pas là. Elle poussa un
grand soupir et attrapa le bras de Thomas :
- Je crois que je vais rentrer maintenant.
- Allons-y ! déclara celui-ci.

Devant l’entrée de l’immeuble de Célia, Thomas se


rendit compte qu’elle n’avait pas vraiment le moral, il
s’approcha et l’embrassa sur les joues :
- Si vous avez le moral au plus bas, appelez-moi, je
viendrai aussitôt.
Il lui tendit sa carte de visite.

96
- Pourquoi faites-vous cela pour moi ? Vous ne me
connaissez pas et pourtant, vous êtes resté auprès de
moi toute la journée ?
- Peut-être que je ne suis pas insensible à votre
personne, et puis je suis très heureux d’avoir passé
cette journée auprès de vous.
- Merci Thomas. Je vais rentrer et essayer à nouveau
d’avoir des nouvelles d’Antoine et de mon patron.
- À bientôt Célia.

Elle le regarda partir avec un petit pincement au cœur.


Puis elle se ressaisit et entra chez elle. Elle renouvela
son appel à l’hôpital, l’attente fut longue avant qu’une
personne lui réponde que l’état d’Antoine restait
inchangé pour l’instant. Il fallait à tout prix qu’elle
réussisse à joindre Bertrand. Elle entendit enfin une
sonnerie, mais c’est le répondeur qui se déclencha.
Elle laissa un message afin qu’il rappelle de toute
urgence. Elle ne pouvait rien faire de plus que
d’attendre son appel.
97
En se laissant tomber sur son canapé, elle repensa à
cette journée passée avec Thomas. Quel homme
généreux ! À aucun moment il ne l’avait laissée seule
avec ses tourments. Il avait vraiment tout fait pour lui
rendre la vie plus facile, se proposant constamment
pour l’aider. Elle pensa remercier Caroline pour lui
avoir présenté Thomas, mais il était trop tôt pour
appeler son amie. À cette heure-ci, elle n’était pas
chez elle. Finalement, elle s’endormit sur le canapé.
Le téléphone la tira de son sommeil vers vingt-trois
heures. Elle se précipita pour répondre, c’était
Bertrand.
- Bonsoir Célia, je viens juste d’avoir votre message,
qu’y a-t-il de si urgent ?
- Bonsoir Bertrand. Je voulais vous prévenir
qu’Antoine s’est fait agresser hier à l’agence, il est à
l’hôpital dans le coma !
- Mais comment est-ce arrivé ?

98
- Je ne le sais pas. Je suis venue travailler le matin et
Antoine venait l’après-midi. Je suis passée à l’agence
dans la soirée, car j’étais invitée chez une amie à
Toulouse et c’est moi qui l’ai trouvé effondré sur son
fauteuil, le visage en sang !
- Vous avez dû être effrayée ? C’est vous qui avez
appelé la police ?
- Oui, ils sont arrivés avec une ambulance. J’ai été
interrogée et je dois passer demain matin faire ma
déposition au commissariat.
- Vous avez pu voir Antoine ?
- Non, on a accepté de me donner des nouvelles, mais
je n’ai pas eu l’autorisation de lui rendre visite, car je
ne suis pas de la famille. J’ignore s’ils ont réussi à
joindre quelqu’un de son entourage, ils ne disent rien.
- Bon, écoutez Célia, demain matin, vous allez comme
prévu au commissariat faire votre déposition. Ensuite,
vous passerez à l’agence, vous mettez un mot sur la
porte « Fermé pour agression ». Sur la boîte vocale du

99
téléphone de l’agence, vous laisserez le même
message. Je ne peux pas être là avant mardi fin de
matinée, je vous rappellerai d’ici là pour prendre des
nouvelles, du moins si vous en avez. Je suis désolé de
vous laisser vous débrouiller toute seule, mais je ne
peux pas faire autrement.
- Ça ira Bertrand, je ferai ce que vous dites, je vous
tiens au courant, bonsoir.

Célia prit un somnifère et se dirigea vers sa chambre.

100
CHAPITRE 5

Elle ouvrit les yeux péniblement et sauta de son lit,


croyant être en retard, puis elle se remémora sa
discussion avec Bertrand la veille au soir. Pas de
panique, elle allait se préparer pour aller faire sa
déclaration au commissariat, elle avait tout son temps.

Plus tard, en pénétrant dans le hall du commissariat,


elle s’avança vers ce qui semblait être l’accueil. Une
femme en uniforme lui demanda l’objet de sa visite.
Célia se présenta et répondit qu’on l’avait enjointe de
passer pour témoigner, dans l’affaire de l’agression de
son collègue à l’agence immobilière.
On lui demanda de patienter un moment en lui
désignant une chaise. Au bout d’une demi-heure, elle
regrettait déjà de ne pas être passée à l’agence avant
de venir ici. Elle aurait eu le temps de coller une
101
affiche sur la porte, comme le lui avait demandé
Bertrand. Maintenant, il fallait être patiente et attendre
que l’on veuille bien s’occuper d’elle.

Depuis qu’elle était arrivée, elle avait vu défiler des


tas de gens, du plus distingué au plus sale, mais tous,
visiblement en colère pour des raisons différentes.
L’officier de police féminin ne savait plus où donner
de la tête. Elle dirigeait tout ce petit monde du mieux
qu’elle pouvait. Il s’était écoulé une heure, lorsqu’un
officier de police vint à la rencontre de Célia en lui
demandant de le suivre.

Elle se sentit tout à coup soulagée de quitter un


endroit aussi bruyant. Elle fut introduite dans un
bureau minuscule. L’officier de police lui demanda de
s’asseoir et commença à lui poser des questions :
- Bien, vous êtes Célia Carron, vous êtes née le vingt-
six février 1980 à Toulouse.

102
Vous habitez Castelginest, rue des Ecoles, c’est bien
ça ?
- Oui, tout à fait !
- Vous êtes la personne qui a découvert monsieur
Antoine Eymard inanimé suite à une agression, dans
une agence immobilière du centre-ville de Toulouse
nommée « Agence Bertrand Sévirac », agence dans
laquelle vous et monsieur Antoine Eymard êtes
employés. C’est bien ça ?
- En fait, monsieur Antoine Eymard est l’associé de
monsieur Bertrand Sévirac, et je suis l’assistante de
ces messieurs.

Célia expliqua dans quelles circonstances elle avait


découvert son collègue inanimé, précisant qu’elle
avait appelé les secours aussitôt. L’officier lui
demanda :
- Lorsque la police est arrivée, il y avait trois
personnes à vos côtés dans cette agence, pouvez-vous
m’expliquer ?
103
- Oui, bien entendu. J’avais appelé mon amie Caroline
qui habite tout près de l’agence, je n’avais pas envie
de rester toute seule après le choc que j’avais eu
devant le visage ensanglanté de mon collègue. Elle est
arrivée avec son mari et un ami. Nous devions passer
la soirée ensemble.
- Bien, vous pouvez partir, mais vous restez à notre
disposition au cas où nous aurions d’autres questions.

Lorsqu’elle sortit enfin du commissariat, elle se


dirigea comme une somnambule vers l’agence
immobilière. Elle se servit un grand verre d’eau, dans
lequel elle ajouta deux comprimés censés lui faire
passer le mal de tête qui lui vrillait les tympans. Puis
elle mit en route sa cafetière et pendant ce temps, elle
prépara l’affiche que lui avait demandée Bertrand
pour aller ensuite la coller sur la porte vitrée de
l’agence. Elle n’oublia pas de laisser un message sur
le répondeur « l’agence est fermée aujourd’hui, pour

104
cause d’agression ». Elle prit enfin connaissance des
appels laissés sur ce même répondeur, mais rien
d’urgent.

Célia n’avait pas envie de rester seule et se décida


pour appeler Caroline depuis son portable. N’obtenant
pas de réponse, elle lui laissa un message lui
demandant si elle était libre pour déjeuner avec elle.
Elle précisa qu’elle était à l’agence et qu’elle veuille
bien passer par la porte de derrière.
Enfin, elle téléphona à l’hôpital, dans l’espoir de
trouver un responsable qui pourrait lui donner des
nouvelles d’Antoine. Elle fut mise en attente un bon
moment, puis une femme se présenta comme
l’infirmière principale du service et consentit à lui dire
qu’Antoine était sorti du coma, mais devait rester en
observation pour quelques jours encore. Lorsque Célia
demanda si elle pouvait venir le voir, il lui fut répondu
qu’il était trop tôt, et qu’ils la contacteraient dès que
ce serait possible, étant donné qu’ils n’avaient aucune
105
nouvelle de sa famille. Elle raccrocha, rassurée sur le
sort de son collègue. Elle pourrait annoncer à Bertrand
qu’Antoine était, semble-t-il, hors de danger.

Elle était en train de consulter les messages


concernant l’agence immobilière sur son ordinateur,
lorsqu’elle entendit frapper à la porte donnant sur la
ruelle. Elle se leva rapidement pour aller ouvrir.
Caroline entra et l’interrogea :
- Alors ? As-tu des nouvelles d’Antoine ?
- Oui, je viens d’avoir l’hôpital, il est sorti du coma,
mais ils le gardent encore quelques jours en
observation. Ce qui m’inquiète le plus, c’est
qu’apparemment, ils n’ont pas réussi à joindre sa
famille et je n’ai pas la permission d’aller lui rendre
visite pour le moment.
- Pourtant, la police avait son portable ? C’est bizarre
qu’ils n’aient trouvé aucun membre de sa famille sur
le répertoire !

106
- Je suis d’accord avec toi. Si j’avais les clés de sa
maison, j’aurais certainement trouvé un répertoire
téléphonique, mais il doit les avoir avec lui ou c’est la
police qui les aura prises.
- C’est possible aussi, peut-être histoire de voir si sa
maison n’a pas été cambriolée ?
- En tout cas ici, on n’a rien pris, j’ai regardé partout.
- Et Thomas ? Tu l’as revu ?
- Oui, il a été très gentil, il est venu hier matin pour
voir si j’allais bien. Ensuite, il m’a accompagnée à
l’agence et nous sommes allés déjeuner dans un
restaurant chinois.
- C’est vrai ? Je suis heureuse que vous ayez pu faire
connaissance. Et samedi soir, quand il t’a
raccompagnée cela s’est bien passé ?
- Ne m’en parle pas, j’avais trop bu, j’étais saoule. Il a
été obligé de me porter pour monter les escaliers.
J’avais vraiment honte hier matin lorsqu’il m’a
raconté mes exploits.

107
- S’il est revenu prendre de tes nouvelles, c’est qu’il
n’est pas insensible à ton charme, sinon il se serait
abstenu.
- J’avoue que j’avais tellement l’esprit préoccupé par
cette agression, que je ne me suis même pas posé la
question. Pour moi, la soirée de samedi était ratée,
j’en avais fait mon deuil.
- Tu verras, je suis certaine qu’il va te rappeler. C’est
quelqu’un de bien. Bon, je t’emmène pour déjeuner ?
- Allons-y !

Après un excellent déjeuner avec sa meilleure amie,


Célia avait retrouvé le sourire. Caroline lui avait
promis d’arranger une nouvelle soirée avec Thomas.
Elle lui proposa de la raccompagner chez elle, mais
Célia refusa. Elle prétexta un rendez-vous dans le
quartier.
En vérité, elle voulait tenter de trouver l’association
où Marie était entrée pour la première fois en 1993.

108
Pour cela, elle se rendit à la mairie espérant obtenir
des renseignements.
On lui confia que l’association existait toujours, mais
qu’elle ne pourrait s’y rendre que sur rendez-vous.
Selon les dires de la femme qui l’avait reçue,
l’association avait connu beaucoup de problèmes,
comme une détérioration des locaux, un vol de
matériel et des agressions physiques sur le personnel.
La responsable de l’association avait demandé
d’autres locaux moins exposés au vandalisme et aux
agressions. Il lui fut octroyé deux bureaux en ville, à
condition qu’ils ne soient pas ouverts au public sans
rendez-vous. Elle avait donc accepté ces conditions et
pouvait dorénavant recevoir ses visiteuses en nombre
restreint.

Célia nota le numéro de téléphone et le nom de la


nouvelle responsable de l’association ; madame
Lambert. L’ex-responsable, madame Barrier, avait dû

109
prendre sa retraite, car il s’était écoulé vingt années
depuis que Marie avait poussé leur porte. Elle décida
donc de rentrer chez elle et de prendre contact avec
cette personne.

Assise sur un banc à côté de l’arrêt de bus, place


Jeanne d’Arc, Célia avait hâte de rencontrer cette
femme, dans l’espoir de retrouver la trace de Marie.
Lorsque le bus arriva, elle s’installa vers le fond. À
cette heure-ci, on avait encore le choix, une dizaine de
personnes, seulement, était à bord. Son esprit repartit
aussitôt vers Marie. Elle repensait au courage qui lui
avait fallu pour affronter si jeune, le déchirement de
l’enlèvement de son fils.

Une voix assez forte l’avait fait lever les yeux. Le


chauffeur de l’autobus l’invitait à descendre.
Comprenant qu’elle était arrivée à destination, Célia
se précipita vers la porte tout en s’excusant auprès du
chauffeur qui lui répondit :
110
- Heureusement que je vous connais, sinon je vous
emmenais au terminus.

Lorsqu’elle pénétra enfin dans son appartement, elle


poussa un soupir de soulagement. Elle prit son
téléphone pour joindre Bertrand. Par chance, il venait
juste de sortir de chez son notaire. Célia put le
rassurer sur le sort d’Antoine, tout en précisant qu’on
ne lui avait pas encore donné l’autorisation de lui
rendre visite. Il la remercia et lui confia qu’il pensait
être de retour sur Toulouse en fin de matinée le
lendemain. Il précisa qu’il serait à l’agence en début
d’après-midi et qu’il était donc inutile qu’elle vienne
le matin. Cette conversation l’apaisa, elle n’avait
vraiment pas envie de se retrouver seule à l’agence.

Elle tenta ensuite d’appeler madame Lambert,


responsable de l’association dans laquelle Marie avait
été reçue. Un répondeur se mit en route et la renseigna

111
sur les horaires de bureau. Il était trop tard pour
joindre cette personne.
Elle décida alors d’aller prendre une douche, puis elle
se préparerait un plateau repas et passerait sa soirée
devant la télé. Elle avait tout son temps, demain
matin, elle pouvait faire la grasse matinée. Elle sortait
de la salle de bains une serviette-éponge sur la tête et
après avoir revêtu son pyjama préféré, quand la
sonnerie de l’interphone se fit entendre. Très étonnée,
car elle n’attendait personne à cette heure-ci, elle ne
répondit pas tout de suite, pensant que quelqu’un
s’était sans doute trompé d’appartement. Mais la
sonnerie retentit à nouveau et cette fois, elle répondit :
- Oui ?
- Célia ? C’est Thomas ! Je venais aux nouvelles.
- Heu… Oui, c’est-à-dire que je sors de la douche et je
ne suis pas en tenue pour vous recevoir !
- Vous êtes en robe de chambre ou en pyjama, c’est
ça ?

112
- En pyjama avec une serviette sur la tête.
- Si cela vous dérange, je reviendrai plus tard, sinon
de mon côté, aucun souci, j’ai l’habitude de voir ma
sœur dans cette tenue. À vous de décider !
Célia réfléchit un moment, avait-elle vraiment envie
de passer sa soirée toute seule ? Non, pas vraiment !
- C’est d’accord, je vous ouvre !

Il était entré avec un bouquet de fleurs magnifiques et


un large sourire devant la tenue de Célia, qui avait
revêtu une robe de chambre par-dessus son pyjama.
- Vous êtes encore plus belle dans cette tenue !
- Vous vous moquez de moi ?
- Non, je n’aime pas vraiment les femmes
sophistiquées. Tous ces artifices cachent toujours
quelque chose.
- Vous voulez dire que la robe que j’avais choisie
pour la soirée de samedi vous aurait laissé
indifférent ?

113
- Peut-être pas, mais lorsque je vous ai vue en pleurs à
l’agence immobilière, je vous ai trouvée magnifique !
- Oui, bien sûr, avec mon maquillage qui avait coulé
sur mes joues et taché ma robe, c’est certain, je devais
être très attirante. Arrêtez de vous moquer de moi !
- Bon, je ne vais pas vous déranger davantage, je
voulais juste prendre de vos nouvelles et peut-être
dîner avec vous, mais je n’insiste pas. Si vous pensez
que je veux juste faire le joli cœur, il est préférable
que je parte.
- Attendez Thomas, je suis désolée. Je suis un peu
nerveuse en ce moment, il ne faut pas m’en vouloir.
J’avoue que je n’ai pas très envie de sortir ce soir,
mais si vous voulez, on peut dîner ici ?
- J’en serais très heureux !
- Laissez-moi cinq minutes, je vais changer de tenue
et je reviens. Ensuite, vous m’aiderez en cuisine !

114
Elle revint très vite, vêtue d’un jean et d’un pull tout
simple, ses cheveux attachés en queue-de-cheval.
Thomas la regardait avec le sourire.
- Quoi ?
- Ne m’en veuillez pas Célia, mais vous êtes adorable
dans cette tenue et je ne me moque pas !

Célia fronça les sourcils, plongea son regard dans le


sien, puis accepta le compliment avec un sourire :
- Bon, on se le fait ce repas ?
- Allons-y ! répondit Thomas

La soirée se déroula dans la bonne humeur, ils se


découvraient les mêmes passions, à peu de chose près,
les mêmes goûts culinaires et ils étaient sur la même
longueur d’onde sur les émissions télé et les films.
Tous deux avaient l’impression de se connaître depuis
des années. Ne voulant pas précipiter les choses,
Thomas décida de partir aux alentours de vingt-trois
heures :
115
- J’ai vraiment passé une très agréable soirée, j’espère
qu’il y en aura d’autres ?
- Je le souhaite aussi Thomas, nous pourrions
apprendre à mieux nous connaître !

Célia le laissa repartir avec regret, mais elle savait


désormais qu’il ne cherchait pas à profiter d’elle et
qu’il la respectait.

Elle pénétra dans sa chambre pour remettre son


pyjama et se cala devant son téléviseur. Elle ne
comprendrait sûrement pas un mot de ce qui se dirait
sur son écran, toutes ses pensées allaient vers Thomas.
Il n’était pas spécialement beau garçon, mais il avait
du charme. La quarantaine, de taille moyenne, il
faisait sûrement du sport, footing ou gymnastique,
pour conserver sa ligne. Il avait aussi un regard très
expressif.

116
Elle avait envie d’appeler Caroline pour lui raconter
sa soirée, puis elle renonça, voulant garder ce secret
encore un moment. Elle pensa un instant reprendre la
lecture du récit de Marie, mais elle n’arriverait pas à
se concentrer. Elle se leva pour éteindre le téléviseur
et se dirigea vers son lit, espérant ne plus faire de
cauchemars.

117
CHAPITRE 6

Ce matin, Célia se prélassait dans son lit. Puis, elle


pensa aussitôt à Antoine. Avait-il enfin reçu la visite
de sa famille ? En composant le numéro de l’hôpital,
elle espérait tomber sur l’infirmière qui lui avait laissé
entendre qu’elle pourrait lui rendre visite, s’ils
n’avaient pas réussi à joindre la famille. On la fit
patienter un long moment, puis enfin…
- Oui ?
- Bonjour, je suis mademoiselle Carron, la collègue de
travail d’Antoine Eymard. Je voulais savoir si je
pouvais lui rendre visite en tout début d’après-midi ?
- Vous êtes la personne qui a laissé ses coordonnées
téléphoniques l’autre fois ?
- Oui, c’est cela !
- Bien. Pour le moment, aucun membre de sa famille
ne s’est manifesté. Peut-être n’a-t-on pas réussi à les
118
joindre. Comme vous êtes tout de même proche de lui,
je vous autorise à venir le voir, mais pas plus d’un
quart d’heure.
- Merci beaucoup. A-t-il pu-vous raconter son
agression ?
- Non, pour l’instant, il ne se souvient pas de ce qui
lui est arrivé, mais ça viendra, il faut du temps. Si
vous voulez venir en fin de matinée, je serai encore là
et je vous recevrai.
- Très bien, c’est très gentil à vous, à tout à l’heure.

Elle se prépara rapidement un thé, puis passa sous la


douche. Une demi-heure plus tard, elle était à l’arrêt
du bus.

119
Lorsqu’elle pénétra dans l’hôpital de Purpan, elle se
présenta à l’accueil en expliquant qu’elle avait été
autorisée à rendre visite à son collègue de travail. Elle
nomma l’infirmière qui lui avait donné cette
autorisation.

Au bout de quelques minutes, l’hôtesse lui indiqua le


nom du service et l’étage où se trouvait Antoine.
Après avoir déambulé dans les couloirs, un bon
moment, elle finit par trouver le service en question.
Elle se dirigea aussitôt vers le bureau des infirmières.
- Bonjour, je suis Célia Carron, je viens voir Antoine
Eymard.
- Oui, on nous a annoncé votre arrivée - répondit l’une
d’elles. Suivez-moi ! Je vais vous accompagner. Vous
êtes sa première visite, nous n’avons pas réussi à
joindre sa famille et vous, de votre côté ?

120
- J’avoue que je ne connais pas ses proches, je pensais
que la police avait peut-être trouvé quelque chose sur
le répertoire de son portable ?
- Je ne savais pas que la police détenait son portable,
on va les appeler. Vous êtes certaine de cela ?
- Oui, j’étais là quand la police est arrivée, ils ont pris
le portable sur le bureau de mon collègue.
- Très bien, nous allons nous renseigner. Voilà, nous y
sommes, vous pouvez entrer, mais ne restez pas trop
longtemps !

Célia ouvrit la porte tout doucement, il n’y avait


qu’un seul lit dans la chambre. Elle s’avança en
prenant beaucoup de précautions, croyant qu’il
dormait et alla s’installer sur une chaise tout à côté de
lui. Il se tourna soudain vers elle et la dévisagea. Elle
eut un sursaut en voyant son visage tout bleu et très
enflé, puis elle se contrôla et demanda :
- Comment vas-tu Antoine ?
- Qui êtes-vous ?
121
peux demander à notre patron s’il me donne l’autorisation
d’y aller voir ?
- J’ignore où elles sont, regardez dans la penderie
siS’attendant à une telle réaction, elle se présenta :
- Je suis ta collègue de travail, je m’appelle Célia.
Nous travaillons tous les deux dans une agence
immobilière de Toulouse. Notre patron est Bertrand
Sévignac.
Tu as été agressé à l’intérieur de l’agence samedi
après-midi ou dans la soirée. C’est moi qui t’ai trouvé
inanimé. Te souviens-tu de ton agression ?
- Non, je n’ai aucun souvenir, il semble que j’ai tout
oublié. Ce sont les infirmières qui m’ont dit qui
j’étais. Vous êtes ma première visite, si j’ai une
femme, il semblerait qu’elle n’ait pas été avertie
- Je pensais que la police aurait cherché sur le
répertoire de ton portable, car ce sont eux qui l’ont
emporté.

122
- Mais vous, vous ne connaissez personne de ma
famille ?
- Malheureusement non, tu étais plutôt discret sur ta
vie privée ! Mais j’y pense, notre patron a
certainement un dossier personnel sur toi, je le vois
cet après-midi, je vais lui demander s’il y a des
indications concernant ta famille sur ton dossier. De
ton côté, tu as peut-être un répertoire téléphonique
chez toi, si tu as les clés de ta maison, je vais trouver
quelque chose.

Célia se leva et se mit à chercher dans les vêtements


d’Antoine, mais ne trouva rien. Elle s’approcha de la
table de nuit, ouvrit le tiroir, mais pas de clés non
plus. Elle trouva cela étrange.
- Je suis désolée, je n’ai pas trouvé. Je demanderai aux
infirmières en sortant, elles savent sans doute où l’on
a mis tes affaires personnelles. Bon, je suis obligée de
partir, je n’ai pas eu l’autorisation de rester plus d’un

123
quart d’heure. Bertrand, notre patron, viendra
certainement dans la soirée. À très bientôt Antoine !
- À bientôt Célia, j’espère que vous reviendrez me
voir !
- Oui, promis. Dès demain si l’on me donne la
permission.

Elle referma la porte de la chambre et se dirigea vers


le bureau des infirmières. Lorsqu’elle posa la question
sur les affaires personnelles d’Antoine, elles furent
tout d’abord surprises de la question, mais rassurées
lorsque Célia leur expliqua ses raisons.
- Non, nous ne savons pas où sont ses clés, en principe
les affaires personnelles des patients, restent dans leur
chambre. Mais peut-être sont-elles toujours dans votre
agence ?
- Je n’ai rien vu, mais j’y vais de ce pas. Je vous
remercie beaucoup, à bientôt !
*

124
Célia était troublée, elle était certaine qu’Antoine
avait toujours ses clés sur lui et cela lui semblait très
étonnant. Elle s’arrêta en cours de route pour s’acheter
un sandwich et une bouteille d’eau, puis bien décidée
à trouver ces fameuses clés, elle n’attendit pas
l’arrivée de Bertrand pour pénétrer dans l’agence
immobilière.

Elle déposa son sac et son déjeuner sur son bureau,


puis elle fila vers le bureau d’Antoine et se mit à les
chercher. Rien ! Un doute se fit dans son esprit, elle se
déplaça dans le bureau de Bertrand et s’arrêta devant
le meuble contenant des dossiers personnels,
habituellement fermé à clef. Il n’était plus verrouillé,
il avait été forcé, des traces étaient apparentes autour
de la serrure. Pensant qu’il y avait peut-être des
empreintes, elle prit un mouchoir pour ouvrir le
meuble. Elle fouilla dans les dossiers du personnel, un
seul l’intéressait, celui d’Antoine. Elle trouva la
chemise, mais elle était vide ! Ce qui voulait dire
125
qu’après l’agression d’Antoine, tout ce qui avait un
rapport avec lui avait été dérobé. Pourquoi ?
Elle alla s’installer à son bureau et, tout en prenant
son déjeuner, elle cherchait qui avait bien pu effacer
toute trace de la vie d’Antoine ?

En début d’après-midi, Bertrand poussait la porte de


l’agence. En voyant Célia déjà présente, il s’approcha
d’elle aussitôt :
- Alors ? Avez-vous pu voir Antoine ?
- Oui, je l’ai vu en fin de matinée. Il n’est plus dans le
coma, mais il n’a aucun souvenir de son agression et il
ne m’a pas reconnue. Je me suis présentée et je lui ai
expliqué qui nous étions par rapport à lui. Il paraissait
étonné qu’aucun membre de sa famille ne se soit
déplacé pour lui rendre visite
- Plutôt curieux, en effet !
- Je crains qu’il ne se soit mis dans une sale histoire.
- Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

126
- Quand la police est arrivée à l’agence après mon
appel, une ambulance suivait. Ils ont aussitôt emmené
Antoine à l’hôpital de Purpan. Un policier m’a
questionnée et, en partant, il a pris le portable
d’Antoine. J’ai pensé qu’il allait sans doute essayer de
contacter la famille, en cherchant sur le répertoire du
mobile. Mais lorsque je suis arrivée à l’hôpital, les
infirmières m’ont révélé qu’Antoine n’avait eu aucune
visite. J’ai été très surprise que la police n’ait pas fait
le nécessaire. Puis j’ai pensé aux clés de
l’appartement d’Antoine. Si elles étaient dans ses
affaires, nous pourrions alors nous rendre chez lui et
voir s’il disposait d’un répertoire téléphonique et
ainsi, prévenir nous-mêmes son entourage familial.
- Oui, c’est une très bonne idée, vous avez ces clés ?
- Non, j’ai fouillé dans les vêtements d’Antoine et sa
table de nuit, elles ne s’y trouvaient pas. J’ai alors
demandé aux infirmières si c’était elles qui les avaient
rangées. Elles ne les avaient pas non plus.

127
- Très bizarre, tout ça !
- N’est-ce pas ? Mais ce n’est pas tout : lorsque je suis
arrivée tout à l’heure, j’ai immédiatement fouillé son
bureau et là non plus, pas de clés ! J’ai eu soudain
comme une intuition et je suis entrée dans votre
bureau. Je me suis dirigée vers le meuble où vous
rangez les dossiers du personnel, il avait été forcé et le
dossier d’Antoine a disparu.
Bertrand se dirigea aussitôt vers son bureau pour
constater que Célia avait raison.
- Bon sang, mais qui a pu faire ça ?
- Antoine a fait une visite chez une femme qui voulait
vendre son appartement, il a laissé le dossier sur mon
bureau. Puis il y avait un message enregistré par un
homme qui n’a pas laissé son nom, juste un numéro
de téléphone. Mais c’était sur la messagerie
personnelle d’Antoine, je ne sais pas s’il y a un
rapport. Je vais vous faire écouter ce message.

128
Bertrand écouta attentivement et lui demanda :
- Vous avez essayé d’appeler le numéro de ce type ?
- Non, car je n’étais pas censée être au courant de ce
message laissé sur le portable d’Antoine !
- Oui, très juste. Bon, je vais essayer d’appeler, nous
verrons bien où ça nous mène.
- Est-ce qu’il ne serait pas préférable de tenter
d’identifier son interlocuteur en passant par
l’opérateur ?
- Je ne pense pas que l’on accepterait de nous
répondre. Seule la police pourrait avoir accès à ce
genre de renseignements. Je vais tenter de chercher
dans mon répertoire téléphonique, si je peux trouver
l’intermédiaire adéquat. En attendant, je vous laisse
dépouiller le courrier et prendre note des messages
laissés à l’agence.

Célia nota les messages reçus en leur absence et prit


ensuite connaissance du courrier des deux derniers
129
jours. Elle prit soin de faire le dispatching entre ceux
destiné à Bertrand et Antoine, tout en étant consciente
que ce dernier n’était pas prêt de consulter son
courrier. Néanmoins, elle préféra agir comme s’il était
parmi eux.

Bertrand décida d’aller à l’hôpital pour rendre visite à


son associé et ami. Conscient que Célia était encore
choquée par l’agression d’Antoine, il lui fit
comprendre que, si elle ne souhaitait pas rester seule
dans l’agence, elle pouvait fermer et rentrer chez elle.

Restée seule, elle fit un peu de classement et déposa


sur le bureau d’Antoine, le courrier qui lui était
destiné. Le seul fait de s’approcher de ce bureau,
faisait aussitôt ressurgir des images de son esprit.
Comprenant qu’elle n’allait pas pouvoir rester plus
longtemps dans ce lieu, elle prit la décision de partir et
d’aller rendre visite à son amie Caroline avant de
rentrer chez elle.
130
La surprise de son amie fut telle qu’elle consulta sa
montre avant de l’embrasser :
- Tu rentres bien tôt, un problème ?
- Non, Bertrand est parti voir Antoine à l’hôpital. Il
m’a fait comprendre que je pouvais partir, alors me
voilà.
- Je vois, tu es encore traumatisée et tu ne souhaitais
pas rester toute seule ?
- C’est un peu ça. Depuis samedi soir, je fais des
cauchemars toutes les nuits.
- Tu as bien fait de venir ici. D’ailleurs, si tu attends
encore une petite demi-heure, on devrait voir
apparaître Thomas. Il passe toujours me saluer en
quittant son travail et nous discutons un peu. Ensuite,
il rentre chez lui.
- Vraiment ? Il travaille donc tout près d’ici ?
- Il ne t’a pas parlé de ce qu’il faisait et où il
travaillait ?

131
- Non, nous n’avons jamais parlé travail depuis que
nous nous sommes vus, excepté à propos de
l’agression d’Antoine bien entendu.
- Il travaille dans une banque au coin de la rue. Les
demandes de crédits passent par lui. Tiens justement,
le voilà qui arrive.

Il avait le sourire en apercevant Célia dans la boutique


de Caroline. Il poussa la porte avec entrain et
embrassa les deux femmes :
- Heureux de vous revoir Célia. Alors comment va
Antoine ?
- Je suis allée le voir en fin de matinée, il ne m’a pas
reconnue et il n’a reçu aucune visite avant moi. Je suis
très inquiète, car je pensais que la police aurait fait le
nécessaire étant donné qu’ils ont emporté son
téléphone portable. Nous n’avons pas non plus trouvé
les clés de son appartement et son dossier personnel a
été dérobé à l’agence.

132
- Votre patron veut porter plainte ou pas ? demanda
Thomas.
- Pour l’agression, certainement et peut-être pour vol
de documents au bureau. Mais en ce qui concerne le
téléphone et les clés d’Antoine, à part lui, qui peut
porter plainte à sa place ? Si au moins nous avions un
indice sur la personne qui l’a agressé, mais rien pour
le moment.
- Pourquoi voler son dossier personnel, c’est vraiment
curieux ? rétorqua Caroline.
- Oui, car si c’était l’adresse d’Antoine que l’on
voulait, il suffisait de regarder dans la poche intérieure
de sa veste, c’est là qu’il met toujours son portefeuille,
comme la plupart des hommes d’ailleurs. Que peut
contenir son dossier qui soit si important ?

En voyant Célia vraiment perturbée, Thomas


proposa :

133
- Vous devriez prendre des congés, le temps que les
choses se passent. Je vois bien que vous n’êtes pas
rassurée.
- Je ne peux pas laisser Bertrand dans la panade.
Antoine n’est pas prêt de revenir au bureau tant qu’il
n’aura pas recouvré la mémoire et, si la mémoire lui
revient, il se souviendra de son agresseur et il aura
alors certaines formalités à remplir qui lui prendront
un peu de son temps. Dans un sens, c’est bien, car
nous aurons le fin mot de l’histoire, mais cela peut
aussi le mettre en danger.
- Je suis d’accord avec elle, répondit Caroline. Cette
affaire est vraiment curieuse !
- Désolée de vous ennuyer avec mes histoires, je ne
suis pas de joyeuse compagnie, je vais rentrer, déclara
Célia.
- Je vais vous raccompagner, proposa Thomas, mais
avant, venez prendre un verre, histoire de vous
changer les idées.

134
- Il a raison, il faut que tu chasses ces idées noires,
essaie de passer une bonne soirée, c’est ton amie qui
te le demande.
- D’accord, d’accord ! Je vous suis Thomas.
Elle embrassa Caroline et passa la porte de la boutique
avec le sourire.
Thomas l’entraîna dans une brasserie moderne tout
près de la boutique de Caroline. Ils s’installèrent au
fond dans un petit coin tranquille. Célia commanda un
thé et Thomas un demi-panaché. Une fois servis, il
proposa :
- Si vous avez peur de rester seule, vous pouvez venir
chez moi. En tout bien tout honneur, bien entendu. Je
dispose d’une chambre d’ami. Je vous propose de
vous accompagner chez vous, vous prenez quelques
vêtements de rechange et je vous héberge le temps
qu’il faut.
- C’est très gentil à vous, mais actuellement, j’ai
besoin de comprendre l’agression dont a été victime

135
Antoine. Est-ce que cela le concerne personnellement
ou l’agence en général ? Je suis consciente que je ne
suis pas facile à vivre en ce moment, je suis trop
contrariée. Quand le voile sera levé sur cette affaire, je
pense que j’irai beaucoup mieux.
- Comme vous voudrez. N’oubliez pas que je suis là.
- Merci, sans vous et Caroline, je serais complètement
perdue.
- Je vais vous raccompagner, mais n’hésitez pas à
m’appeler, vous avez ma carte de visite.

Devant l’immeuble de Célia, une voiture s’arrêta, à


l’intérieur deux êtres qui avaient tout pour s’entendre,
mais qui devront attendre que cette sombre histoire
soit résolue, pour songer enfin à eux. Elle regarda
Thomas s’éloigner avec regret. Elle monta rapidement
les escaliers, ouvrit la porte de son appartement et
referma aussitôt.

136
Elle se sentait exténuée et alla s’affaler sur son
canapé. Tout à côté d’elle, le livre de Marie attendait.
Elle tendit la main et décida de lire la suite de la vie
de Marie, qui avait été sans nul doute, bien plus
difficile que la sienne.
***
Septembre 1996

J’allais enfin voir mon petit Yanis. Mon nouvel avocat


s’était démené auprès du ministère des Affaires
Étrangères, pour obtenir un rendez-vous en territoire
neutre, ce qui m’avait obligé à prendre un avocat
supplémentaire en Tunisie. Tout cela m’avait coûté
très cher, mais j’avais pu m’arranger avec ma
banque pour obtenir un crédit exceptionnel. Je suis
montée dans l’avion en compagnie de mon avocat,
nous étions attendus à notre descente pour être
dirigés vers le lieu choisi par les autorités
tunisiennes. Je savais que mon fils avait déjà plus de
trois ans et ne me reconnaîtrait pas, mais je gardais
137
espoir qu’il puisse me revenir. Mon avocat avait sur
lui les papiers de ma demande de divorce, j’espérais
qu’Elias accepterait de signer.

Une voiture nous attendait déjà, alors que notre avion


venait juste de s’arrêter sur le tarmac. Arrivés sur les
lieux de notre rendez-vous, je l’ai vu là, devant moi,
auprès de son père. Comment exprimer ce que j’ai
ressenti à ce moment devant le regard de cet enfant
qui semblait me voir pour la première fois. Je me suis
approchée et lui ai tendu les bras, il n’a pas bougé.
Mon regard s’est alors porté vers Elias qui a
simplement baissé la tête, puis il s’est avancé vers
moi et m’a révélé qu’il ne lui avait pas parlé de moi.
Je lui ai demandé pour quelle raison il avait agi ainsi,
puisque Yanis était le fruit de notre amour. Il m’a
simplement répondu qu’il avait quelqu’un d’autre
dans sa vie et que Yanis l’appelait maman.
J’ai compris à cet instant que mon fils ne
m’appartenait plus et je l’ai laissé repartir avec son
138
père. Ce dernier n’a fait aucune difficulté pour signer
la demande de divorce. Je suis partie sans me
retourner, laissant les deux hommes que j’avais tant
chéris. Toute démarche pour reprendre mon enfant
était devenue inutile. Pourquoi chercher à récupérer
cet enfant qui ignorait que j’étais sa maman et ainsi
le faire souffrir ?
Ces années passées à me battre pour rien, me
laissaient penser que mes parents avaient raison
depuis le début. Je n’avais désormais plus qu’eux
pour me raccrocher à la vie. Lorsque je suis revenue
de Tunisie, je me suis effondrée dans leurs bras. Ils
m’ont consolée comme ils ont pu en me certifiant que
j’allais rencontrer quelqu’un qui saurait me rendre
heureuse. Bien entendu, ce sont les paroles
réconfortantes de parents qui pensent que l’on a droit
à une seconde chance.
***

139
Célia, les larmes aux yeux, avait eu son compte
d’émotions pour la journée et referma le livre. Il
fallait absolument qu’elle puisse obtenir un rendez-
vous avec madame Lambert, à l’association pour
tenter de retrouver la trace de Marie. Puis, elle se
prépara pour aller dormir.

140
CHAPITRE 7

Il faisait bon ce matin, les gens avaient le sourire à


l’arrêt de bus et c’était agréable. Mais Célia ne
pouvait pas s’empêcher de se poser des questions :
Bertrand avait-il réussi à savoir qui était le dernier
visiteur reçu par Antoine ? L’hôpital avait-il pu
joindre la police au sujet du portable ?

L’agence immobilière était éclairée à son arrivée,


signe que son patron était dans les lieux. Lorsqu’elle
poussa la porte, Bertrand eut un sourire en
l’apercevant :
- En forme Célia ?
- J’avoue ne pas avoir beaucoup dormi. Comment va
Antoine ? A-t-il recouvré la mémoire ?
- Il va bien, mais il ne se souvient toujours pas de son
agression. Il m’a demandé si vous alliez venir le voir
aujourd’hui.
141
- Oui, j’irai pendant la fermeture entre midi et
quatorze heures. Sinon des appels ?
- Non, c’est très calme, pas de visite prévue pour ce
matin.
- Je vais regarder à tout hasard sur l’ordinateur
d’Antoine s’il y a des messages le concernant et, si
vous le permettez, j’irai sur sa messagerie personnelle
pour voir si l’on a cherché à le joindre ?
- Oui, faites-le. Peut-être que sa famille ou ses amis
ont laissé un message.

Elle pianota un moment sur l’ordinateur de son


collègue, puis entra dans sa messagerie personnelle.
Trois messages étaient enregistrés. Elle appela
Bertrand et monta le volume son pour les lui faire
écouter. Le premier venait sans doute d’une petite
amie apparemment furieuse qu’il lui ait posé un lapin
samedi soir. Le second datait du dimanche et semblait
venir de sa mère qui lui proposait de venir le week-
end suivant et enfin une voix d’enfant qui paraissait
142
déçu qu’il ne soit pas venu le chercher dimanche midi.
Très étonnés, ils dirent en même temps :
- Antoine a un fils ?
- Avez-vous les numéros de téléphone de la maman et
du fils d’Antoine sur les messages ?
- Oui, je vous donne ça !

Elle remit à Bertrand les numéros demandés et


s’installa sur son propre ordinateur pour découvrir les
messages concernant l’agence, tout en tendant
l’oreille sur la conversation téléphonique entre son
patron et la mère d’Antoine.
Après qu’il eut raccroché, il semblait inquiet pour
cette femme à laquelle il venait d’annoncer que son
fils était à l’hôpital de Purpan à Toulouse, suite à une
agression :
- Sa maman n’habite pas dans la région, de plus, elle
est veuve et n’a pas de moyen de locomotion pour se
déplacer. Elle avait l’air plutôt secoué par ce que je
viens de lui annoncer.
143
- Elle habite à quel endroit ?
- Perpignan ! Je pense que je vais la rappeler et lui
proposer de venir la chercher pour aller voir son fils.
Si elle est d’accord, je vous laisse lui réserver un hôtel
pour deux ou trois nuitées, à notre charge bien
entendu.

La proposition de Bertrand fut adoptée par la maman


d’Antoine. Il annonça à Célia :
- Je vais partir sur Perpignan vers seize heures, je
dormirai sur place et passerai la prendre demain
matin. Je l’accompagnerai directement à l’hôtel puis,
à l’hôpital. Ensuite, je vais essayer d’en savoir un peu
plus sur le fils d’Antoine, ce qui veut dire que vous
serez seule aux commandes une partie de cet après-
midi et pour la journée de demain.
- Aucun problème, cette pauvre femme doit être dans
tous ses états, répliqua Célia. Je m’occupe de suite de
lui réserver un hôtel.

144
*
Vers midi, Caroline appela pour lui proposer de
déjeuner avec elle. Cette dernière lui expliqua qu’elle
allait se rendre à l’hôpital pour rendre visite à son
collègue en prenant sur son temps de repas, mais elle
promit de la rappeler ensuite.

Lorsqu’elle frappa à la porte de la chambre d’Antoine,


elle fut surprise de la présence de deux policiers
auprès de lui. L’un d’eux s’approcha aussitôt :
- Bonjour, vous êtes de la famille ?
- Non, je suis une collègue de travail, celle qui vous a
appelé samedi soir suite à son agression. Je venais aux
nouvelles !

Antoine prit la parole :


- Ces messieurs voulaient savoir si j’avais recouvré la
mémoire au sujet de mon agression.
- Alors ? Te souviens-tu de quelque chose ? demanda
Célia.
145
- Hélas non, mais je suis très heureux de votre visite !

Elle voulut profiter de la présence des policiers pour


les interroger au sujet du portable d’Antoine.
- Je voulais vous demander messieurs : comment se
fait-il qu’aucun de vous n’ait pris la peine de prévenir
la famille de mon collègue au sujet de son
hospitalisation, alors que vous déteniez son portable ?

L’un d’eux eut un sourire amusé devant son aplomb :


- Nous avons effectivement pris son portable dans
l’intention d’avertir les proches de M. Eymard, mais
comme vous pourrez le constater, à part le numéro de
téléphone de votre agence et celui de deux ou trois
connaissances, aucun membre de sa famille n’y était
répertorié. Nous lui avons d’ailleurs restitué son
portable.
Ne se laissant pas impressionner, elle demanda :
- Est-ce vous qui avez aussi pris les clés de son
appartement ? Nous ne les avons pas trouvées !
146
- Pourquoi aurions-nous fait une telle chose
mademoiselle, vous semblez soupçonneuse envers
nous ?
- J’ai cherché les clés de son appartement, dans
l’espoir de trouver chez lui un répertoire téléphonique
qui nous aurait permis de prévenir sa famille de son
hospitalisation. Mais il semblerait qu’elles aient
disparu !
- Peut-être les avait-il laissées à l’agence ? rétorqua
l’officier de police.
- Non. Nous avons fouillé partout et n’avons rien
trouvé, répondit-elle.
- Très bien, nous allons faire un tour à son domicile,
en espérant que M. Eymard n’a pas été victime d’un
cambriolage. Si vous le souhaitez mademoiselle, vous
pouvez venir avec nous, vous serez notre témoin en
cas d’effraction.
- Je veux bien, si Antoine le permet bien entendu !

147
- Allez-y Célia, nous nous verrons plus tard et vous
me raconterez.

Elle suivit les deux officiers de police et monta dans


la voiture banalisée. Durant le trajet, un silence pesant
régnait. Elle surprit à deux reprises, dans le
rétroviseur, le regard du conducteur qui ne semblait
pas l’apprécier. Ils stationnèrent devant le porche d’un
immeuble ancien, mais de grand standing.
Les policiers se dirigèrent vers l’entrée et
s’annoncèrent sur l’interphone pour se faire ouvrir la
porte. Ils cherchèrent ensuite le nom d’Eymard sur les
boîtes à lettres. Le nom y figurait bien, mais pas
l’étage. L’immeuble en comptait quatre. Ils
grimpèrent les escaliers, Célia suivait.

L’appartement se trouvait au second étage. Le policier


qui semblait être le plus gradé demanda à son collègue
de ne pas toucher la porte à mains nues. Ce dernier la
poussa alors avec son coude et elle s’ouvrit aussitôt.
148
Ils en conclurent qu’elle n’avait pas été refermée,
juste poussée.
Ils pénétrèrent tous les trois dans les lieux où,
apparemment, rien n’avait été fracturé ou cassé. Le ou
les voleurs avaient pris des précautions pour subtiliser
ce qu’ils étaient venus chercher. Les policiers
demandèrent à Célia de rester dans l’entrée et de ne
toucher à rien. Ils lui confirmèrent enfin que
l’appartement avait été fouillé, mais rien ne prouvait
qu’il ait été cambriolé. Il était évident que seul le
propriétaire de l’appartement pourrait dire si quelque
chose lui avait été dérobé. Ils retrouvèrent les clés de
l’appartement sur un meuble du salon.

Célia demanda :
- Avez-vous trouvé un répertoire téléphonique ?

L’un des policiers s’avança vers le téléphone du salon


et chercha dans le tiroir du meuble :

149
- Il y a juste un annuaire téléphonique du département
et quelques cartes de visite, mais pas de répertoire
papier. Je vais chercher dans celui du téléphone fixe.

Il fit défiler les noms enregistrés puis il lui suggéra de


noter les numéros de téléphone qui semblaient
appartenir à la famille proche. Elle fouilla dans son
sac et sortit son propre répertoire. Elle y nota les noms
et numéros et remercia les officiers de police en disant
qu’elle allait se charger de les appeler aussitôt qu’elle
serait rentrée à l’agence.

Devant leur regard interrogateur, elle précisa que son


patron devait s’absenter cet après-midi, elle devait
donc rentrer maintenant. Néanmoins, et afin de ne pas
éveiller les soupçons, elle posa une ultime question au
sujet de l’appartement, tout en connaissant déjà la
réponse.
- Vous ne faites pas appel à la police scientifique pour
les relevés d’empreintes ?
150
L’officier qui semblait être le chef, éclata de rire en la
prenant carrément pour une débile :
- Nous ne savons même pas s’il y a eu vol et M.
Eymard n’est pas en mesure de se déplacer ici pour
vérifier s’il manque quelque chose. Pourquoi la police
scientifique interviendrait-elle pour relever des
empreintes ? Je vous signale aussi qu’il n’y a pas eu
effraction puisque la porte a été ouverte avec les clés
de M. Eymard. Ce pourrait être n’importe quelle
personne de sa famille qui aurait pu prendre les clés
dans sa veste, nous n’avons aucune preuve qu’elles
aient été volées.

Ils lui confièrent les clés d’Antoine afin qu’elle lui


remette en mains propres. Célia savait qu’il y avait eu
vol, mais elle préférait passer pour une idiote, plutôt
que de révéler que le dossier personnel de son
collègue avait été dérobé à l’agence. Elle ne leur
faisait pas suffisamment confiance même si c’était
151
paradoxal. Ils se séparèrent en bas de l’immeuble et
les officiers de police ne lui proposèrent pas de la
raccompagner. Elle s’acheta un sandwich dans une
boulangerie proche, elle avait tout juste le temps de
héler un taxi.

À quatorze heures, elle pénétra dans l’agence.


Bertrand l’accueillit avec le sourire en la voyant entrer
avec son sandwich à la main.
- Je vois que vous n’avez pas pris le temps de
déjeuner. Alors comment va notre Antoine depuis
hier ?
- Lorsque je suis arrivée, la police était là, s’informant
du retour ou non de ses souvenirs.
Célia lui relata l’entretien qu’elle avait eu avec les
deux officiers de police et leur proposition de
l’emmener avec eux chez Antoine. Puis, elle ajouta :
- De toute façon, je vais passer à l’hôpital ce soir
après la fermeture de l’agence pour lui faire un
compte-rendu de notre visite à son domicile.
152
- Bien, je vais aller manger un morceau vite fait puis
je file. Tenez-moi au courant s’il y a du nouveau.
- Pas de problème Bertrand, allez-y !

Elle jeta un coup d’œil sur son bureau, à part le


courrier habituel, rien d’urgent. Elle attaqua son
sandwich avec gourmandise. Elle appela ensuite
Caroline pour lui parler des derniers évènements.
Cette dernière l’écoutait ébahie, lorsque Célia lui
raconta sa conversation avec les policiers.
- Je n’aurai jamais osé leur parler de cette façon, lui
confia son amie.
- Tu as sans doute raison, mais s’ils n’ont rien à se
reprocher, ils laisseront tomber. J’irai voir Antoine ce
soir comme prévu, on verra bien.
- Fait bien attention à toi, tu me fais peur !
- Non, ne t’inquiète pas, si la police est présente, je
jouerai la naïve. Je te raconterai demain.

153
L’après-midi s’étira lentement, juste quelques coups
de fil. Peu avant la fermeture, elle vit entrer Thomas.
Aussitôt, elle retrouva le sourire.
- Bonsoir Célia, Caroline m’a raconté votre journée
mouvementée. Je vais vous accompagner à l’hôpital et
ensuite, je vous emmène au restaurant cela vous
changera les idées.
- Vous êtes mon ange gardien. Mais je vous assure
que tout va bien.
- Je ne changerai pas d’avis, je ne vous lâche plus !
- Très bien. Alors je vais fermer et nous pourrons
partir.
*

Antoine semblait heureux de sa visite et fit la


connaissance de Thomas avec plaisir.
- Parlez-moi de ce que vous avez vu chez moi, Célia.

Celle-ci lui relata la visite de son appartement et les


conclusions des policiers.
154
- Ils ont raison, déclara Antoine. Je suis le seul à
pouvoir leur dire si l’on m’a volé ou non. Mais
actuellement, je ne me souviens pas à quoi ressemble
mon appartement, alors les objets qui s’y trouvent…

Pourtant, Célia voulait lui poser une question qui lui


brûlait les lèvres :
- Je sais que tes souvenirs mettront un certain temps à
te revenir, mais pourtant, il y a une chose qui me
tracasse. Penses-tu qu’il soit normal que les numéros
de téléphone de tes proches ne figurent pas sur ton
portable ?
- Vraiment ? C’est sans doute pour cette raison que
ma famille n’a pas été prévenue de mon agression ?
- Certainement, mais je suis surprise. Peut-être as-tu
fait l’objet de menaces et, de ce fait, tu as effacé leurs
numéros pour les mettre à l’abri ?
- Je n’en ai aucune idée. J’espère que ce n’est pas le
cas.
- Y a-t-il des souvenirs qui te reviennent petit à petit ?
155
- Très peu en vérité. Les médecins m’ont conseillé
l’hypnose quand je sortirai, si mes souvenirs sont trop
longs à revenir. Il parait que ça marche pour certains.
- On t’a déjà donné une date de sortie ?
- Pas vraiment, dans huit ou dix jours peut-être.
- Nous allons te laisser et j’essaierai de passer demain.
Je me renseigne aussi pour l’hypnose.
- Merci beaucoup Célia pour votre dévouement, je me
sens moins seul.
- Antoine, j’aimerai beaucoup que le tutoiement
redevienne une habitude entre nous ?
- Je vais faire de mon mieux, promis.
*

Une fois dehors, Thomas entraîna Célia vers sa


voiture avec la ferme intention de lui faire découvrir
un restaurant dont il avait le secret. Ils s’arrêtèrent
tout près du restaurant « La Cabane » dont la
spécialité était les fruits de mer. Ravie de la
compagnie de Thomas, elle se laissa conduire.
156
En attendant d’être servis, Célia l’interrogea :
- Parlez-moi de votre travail. Caroline m’a confié que
les demandes de crédits passaient par vous ?
- Vous être intéressée par un crédit ?
- Non, pas du tout. Je voulais juste vous situer par
rapport à votre vie professionnelle, pour vous
connaître mieux.
- Il n’y a pas grand-chose à dire. Actuellement,
beaucoup de demandes sont rejetées pour cause
d’endettement.
- Je vois, ça ne doit pas être facile d’annoncer aux
gens que leur demande de crédits est rejetée !
- Je ne m’en charge pas personnellement, sinon je
déprimerais. Ils sont prévenus par courrier.
- Pas très gai, tout ça !

Il changea de conversation en l’invitant à aller au


cinéma le week-end prochain. Très intéressée, Célia
écoutait ses propositions. Au même moment, on
157
déposa sur leur table, les fruits de mer et le vin
commandés. La conversation s’arrêta le temps de
contempler les plateaux avec gourmandise avant de
s’en délecter.

En quittant le restaurant, ils semblaient ravis de leur


soirée et, la perspective de se revoir le week-end, les
rendaient heureux. Thomas s’arrêta devant la porte de
l’immeuble de Célia et, avant qu’elle n’ait eu le temps
de réaliser ce qui lui arrivait, elle se retrouva dans ses
bras et il l’embrassa pour la première fois. Elle
répondit à son baiser et soudain, elle n’eut plus du tout
envie de le laisser repartir.
Pourtant, ce fut lui qui se détacha de son étreinte en
lui murmurant :
- Je crois que je suis très amoureux de vous, mais je
ne veux surtout pas précipiter les choses avant d’être
certain que nos sentiments soient réciproques.
- J’apprécie votre sérieux Thomas. A samedi soir !

158
Elle descendit de la voiture et sentit la tête qui lui
tournait un peu. Etait-ce le vin ou l’amour qui la
grisait, ou peut-être les deux ? En poussant la porte de
son appartement, elle savait déjà qu’elle allait avoir
beaucoup de difficultés pour trouver le sommeil, après
ce qu’il venait de se passer.

Son regard se dirigea vers le canapé. Le livre de Marie


l’attendait sur la table du salon. Elle se sentit coupable
de n’avoir pas pensé à appeler l’association pour
tenter de la retrouver. Elle décida de lire la suite de
son récit, en espérant en apprendre davantage sur sa
vie, pour effectuer des recherches. Elle enleva le
marque-page et se plongea dans sa lecture.
***

159
Novembre 1996

Au bureau, mes collègues avaient remarqué que je


n’allais pas bien. Ils ont pensé à ce moment, que
c’était dû à un chagrin d’amour. Étienne, le
comptable, est revenu à la charge pour m’inviter à
sortir. J’ai finalement accepté de sortir avec lui. Nous
sommes allés au restaurant, puis il était prévu de
rejoindre des amis à lui pour aller danser. Comme je
n’en avais pas trop envie, il me demanda alors la
raison pour laquelle je refusais de m’amuser. Je lui ai
enfin livré mon terrible secret. Il m’a écoutée, et m’a
dit qu’il comprenait. Ensuite, il m’a raccompagnée
chez mes parents.

Le lendemain, en arrivant au bureau, je remarquai


que l’attitude de mes collègues avait changé à mon
égard. Ils m’évitaient. C’est ainsi que j’ai compris
qu’Étienne avait révélé mon secret à tout le monde.
160
Très déçue de sa conduite, je ne lui adressai plus la
parole, mais cela ne semblait pas le blesser. Puis,
l’ambiance a commencé à changer de jour en jour.
Plus personne ne me parlait, ni ne me regardait,
j’étais devenue transparente.

J’ai alors décidé de chercher un emploi ailleurs et de


tenter de reprendre mes études à temps partiel, dans
l’espoir de devenir professeur des écoles. La présence
des enfants me manquait, je pensais qu’auprès d’eux,
la vie deviendrait plus plaisante que dans ce monde
d’adultes sans pitié. Je ne voulais surtout pas en
parler à mes parents pour le moment, car ils
m’auraient répondu qu’ils m’avaient prévenue de ne
rien dévoiler sur mon secret. J’avais été trop
confiante et très naïve et je le payais !

***

161
Célia referma le livre. Elle était révoltée et se mit à
penser tout haut :
- Quel imbécile cet Étienne, comment peut-on être si
odieux devant le malheur des autres ? Et ses collègues
ne valaient guère mieux. Une vraie bande d’abrutis !
Ma pauvre Marie, que la vie est injuste avec vous.

Soudain, elle se rendit compte qu’elle parlait toute


seule et pensa aussitôt à Thomas. Que dirait-il s’il la
voyait pester de cette façon ? Elle finit par se calmer
et entra dans sa chambre. Demain, elle serait seule à
l’agence, il faudrait assurer.
Avant de fermer les yeux, elle repensa à Marie, avait-
elle réussi à devenir professeur des écoles ? La vie
était curieuse, elle qui était professeur des écoles,
avait voulu en sortir pour avoir une vie plus paisible et
d’autres en rêvaient pour se rapprocher des enfants…

162
CHAPITRE 8

Vers quatre heures du matin, elle s’était réveillée en


nage à la suite d’un cauchemar. Cette fois, c’était
Marie que l’on avait jetée hors de son entreprise
comme une moins-que-rien. Elle pleurait, criait à
l’injustice devant les passants qui continuaient leur
chemin sans lui prêter la moindre attention. Elle
s’était alors élancée sur la chaussée avec l’intention
d’en finir, mais la voiture dans un crissement de
pneus, avait réussi à l’éviter.

Célia se dirigea comme un automate vers la cuisine,


pour boire un grand verre d’eau. Elle entrebâilla la
fenêtre, elle avait besoin d’air. Il faisait bon et le ciel
était rempli d’étoiles. Ce serait probablement une
belle journée. Elle retourna se coucher pour encore
trois heures de sommeil.
163
Une sonnerie la fit sursauter, elle tâtonna sur sa table
de nuit, cherchant son téléphone portable. Un coup
d’œil sur le cadran lui indiquait sept heures quinze.
Elle sauta de son lit, prépara un thé bien fort, se fit
griller deux tartines de pain. Tout en dégustant le pain
encore chaud, elle revoyait sa soirée avec Thomas et
cela lui suffit pour lui donner une belle énergie. Elle
fila enfin vers la douche et une heure après son réveil,
elle était à l’arrêt de l’autobus.

Les voyageurs habituels avaient le sourire, la


température frôlait déjà les dix-huit degrés. En
prenant place dans le bus, elle songeait que la journée
allait être longue, elle serait seule aux commandes
dans l’agence. Bertrand allait probablement prendre la
route d’ici peu, en compagnie de la mère d’Antoine. Il
la déposerait à l’hôtel, l’emmènerait déjeuner, puis ils
iraient rendre visite à son fils.

164
Célia ouvrit l’agence, passa au vestiaire et mit en
route la cafetière. Puis, comme à son habitude, elle
alluma son ordinateur pour consulter les messages
destinés à l’agence. Elle prit quelques notes et se leva
pour se servir un café.

La clochette de la porte venait de tinter et de s’ouvrir


sur le visage souriant de Thomas.
- Bonjour Célia, je n’ai pas pu résister à l’envi de
passer vous voir avant d’aller à la banque. Vous
m’offrez un café ?
- Avec plaisir ! Sucre ? Lait ?
- Sans sucre, sans lait, merci.
Elle déposa les deux tasses sur son bureau et
s’avançant vers Thomas, elle lui susurra à l’oreille :
- Peut-être serait-il temps de se tutoyer, le baiser
d’hier soir me semblait suffisamment intime non ?
- Oui, tu as raison et je vais profiter de cet instant où
nous sommes seuls, je meurs d’envie de t’embrasser.
165
Ils s’enlacèrent et s’embrassèrent comme s’ils allaient
se trouver séparés pour plusieurs jours. Ce fut le
tintement de la porte d’entrée qui les sépara, ils se
retournèrent gênés et rencontrèrent le visage hilare du
facteur :
- Ne vous en faites pas pour moi, je dépose juste le
courrier et je repars !

Célia souriait, elle savait qu’il ne manquerait pas de la


taquiner à ce sujet. Thomas s’éclipsa après avoir avalé
son café presque brûlant et sans oublier de lui dire :
- Je passe te prendre pendant la fermeture et je
t’accompagne à l’hôpital si tu veux ?
- D’accord, mais cette fois, je ne resterai pas
longtemps, car je suis seule à l’agence aujourd’hui.

Elle se sentait heureuse avec Thomas, mais l’histoire


d’Antoine représentait un nuage noir qu’il fallait
pourtant chasser. Elle se connecta sur l’ordinateur de
166
son collègue et entra dans ses messages personnels.
Elle mit le son et écouta le premier. « Alors monsieur
Eymard, la police vous a rendu votre téléphone ?
Vous vous souvenez de moi ou êtes-vous toujours
amnésique ? J’ai bien vu l’autre soir que vous me
regardiez avec insistance et c’est ce qui a fait le
déclic dans ma tête. Je vous ai revu à la barre des
témoins au tribunal, c’est de votre faute si j’ai fait
trois ans de prison ferme, vous vous souvenez
maintenant ? À très bientôt ! ».

Elle fut prise de panique, Antoine était en danger.


C’était certainement ce type qui l’avait agressé. Elle
devait prévenir l’hôpital et la police, elle n’avait pas le
choix. Mais elle reposa le téléphone aussitôt. « Si je
dis à la police que j’écoute les messages privés du
portable d’Antoine, c’est moi qu’ils trouveront
suspecte. Est-ce qu’il a déjà écouté ses messages ? Je
vais tenter de l’appeler ! ».

167
La sonnerie s’éternisa puis une voix féminine
décrocha :
- Oui ?
- Bonjour, je voulais parler à monsieur Eymard, s’il
vous plaît. Je suis Célia, sa collègue de travail.
- Vous savez qu’en principe, les portables sont
interdits dans les hôpitaux ?
- Oui, je sais, mais je suis inquiète pour lui, est-ce
qu’il va bien ?
- Il va bien, mais c’est l’heure des soins, je vous
suggère de rappeler plus tard.
- Merci, excusez-moi, je passerai le voir plus tard.

En raccrochant, elle se sentit rassurée. Elle écouta s’il


y avait d’autres messages pour Antoine, mais rien
d’urgent. Elle avait beaucoup de difficultés à se
ressaisir tellement ce message l’avait effrayée. Elle
attrapa la pile de courrier et en commença le tri. Le
temps allait lui sembler long jusqu’au déjeuner.

168
Elle s’acquitta du mieux qu’elle put des nombreux
coups de fil et messages destinés à Bertrand. Puis,
plusieurs personnes qui avaient trouvé porte close
durant deux jours, vinrent s’informer sur l’agression
dont ils avaient été victimes. Elle prit aussi quelques
rendez-vous pour des visites d’appartement. Elle était
exténuée, lorsque Thomas poussa la porte d’entrée.
Elle se pressa de fermer l’agence et s’installa avec
plaisir sur le siège passager de sa voiture.
Elle ne put s’empêcher de lui parler aussitôt du
message destiné à Antoine. Sur la route qui les menait
à l’hôpital, il était songeur :
- Je pense que cet appel était une menace, il faut en
parler à la police.
- Je vais faire en sorte qu’Antoine puisse écouter ce
message et ensuite, il décidera de ce qu’il veut faire.
- Je comprends, tu veux que la démarche vienne de
lui ?

169
- Bien entendu, je me suis suffisamment distinguée
auprès de la police l’autre jour, lorsque nous avons
visité son appartement.

*
Célia frappa à la porte de la chambre et passa la tête
pour s’assurer qu’elle ne dérangeait pas. Un sourire
illumina le visage d’Antoine. Thomas entra à son tour
et le salua :
- Je suis heureux de vous revoir, comment allez-
vous ? Les souvenirs reviennent ?
- Un peu comme un puzzle, quelques pièces que l’on
ne parvient pas à insérer dans un cadre. Elles arrivent
dans le désordre.

Impatiente d’interroger son collègue, Célia prit la


parole à son tour :
- Tu n’as toujours aucun souvenir de l’agression ?
- Pas pour le moment, des visages se superposent,
mais j’ignore à qui ils appartiennent.
170
- As-tu écouté tes messages sur ton portable ?
- Non, nous ne sommes pas autorisés à téléphoner
dans les chambres.
- Est-ce qu’il y a un endroit où c’est autorisé ?
- Oui, une infirmière me l’a indiqué, pourquoi ?
- S’il te plaît Antoine, prend ton téléphone et allons
écouter tes messages.

Surpris par l’insistance de Célia, il s’exécuta et les


entraîna dans le couloir pour pénétrer dans une salle
prévue à cet effet. Fort heureusement, à cette heure-là,
il ne s’y trouvait pas grand monde. Il la fixa alors et
lui demanda :
- Vous savez quelque chose, c’est ça ?
- Tu m’avais donné l’autorisation d’accéder à tes
messages personnels sur ton ordinateur, c’est ainsi
que j’ai découvert ce matin, le message que tu vas
écouter maintenant.
Antoine alluma son téléphone et s’arrêta net, au
moment d’y inscrire son code. Célia lui dévoila en
171
précisant que c’était lui qui avait insisté pour lui
donner.

Il écouta attentivement et son visage s’assombrit


soudain :
- Cet homme me connaît, mais je n’ai aucun souvenir
d’avoir témoigné au tribunal et d’être la cause de son
incarcération. Cela veut dire qu’il va chercher à me
nuire encore.
- Est-ce que tu souhaites que l’on prévienne la police
de cette menace ? Bertrand est parti chercher ta mère
et ils vont sans doute arriver en début d’après-midi. Je
te suggère de bien réfléchir à ce que tu souhaites faire,
cet homme pourrait s’en prendre à ta famille, on ne
sait jamais !
- Vous avez raison. Je vais en parler à Bertrand, il me
conseillera. Merci de m’avoir fait écouter ce message.

172
- Nous allons partir et te laisser prendre ton repas
tranquillement, mais à la moindre alerte, n’hésite pas
à te confier aux infirmières, elles sauront quoi faire.
- Ne vous inquiétez pas, partez déjeuner, je serai
vigilant.
- Antoine, dis-moi tu, s’il te plaît !
- D’accord, désolé.
*

Une fois sortis de l’hôpital, Thomas proposa de


s’arrêter dans une brasserie :
- Il nous reste une petite heure pour prendre notre
repas, peut-être aurons-nous la chance d’être servis
rapidement.
Célia donna son accord et se laissa conduire sans mot
dire. Il avait compris que le cerveau de celle-ci était
en pleine ébullition :
- Quelque chose te tracasse ?

173
- Hein… ? Oui, non, enfin cela concerne le travail.
Asseyons-nous en terrasse, il fait si beau et passons
notre commande, j’ai faim !

Rassuré, il se leva pour passer leur commande et en


profita pour aller se laver les mains. Célia, elle, était
effectivement tracassée. Elle venait de se remémorer
le message menaçant envers Antoine. Le début du
message commençait par « Alors M.Eymard, la police
vous a rendu votre téléphone ? » Comment cet homme
était-il au courant que les policiers avaient emporté
son téléphone ? Il devait certainement surveiller les
alentours depuis un bon moment et c’était sans doute
lui qui avait volé le dossier personnel de son collègue
à l’agence. Elle téléphonerait ce soir à Bertrand pour
avoir son avis.

Elle ne souhaitait pas parler de son inquiétude à


Thomas, il avait eu suffisamment de patience avec
elle à ce sujet, le déjeuner devait être un moment de
174
détente. Il revint s’asseoir à ses côtés en lui
promettant qu’elle allait être servie rapidement. Célia
fit tout son possible pour se concentrer sur la
conversation que Thomas avait engagée. Puis on
déposa leurs assiettes sur la table avec deux bières
bien fraîches. Ils mangèrent avec plaisir, mais pressés
par le temps, ils se dépêchèrent de retourner à la
voiture. Avant d’ouvrir la porte de l’agence, elle
déposa un baiser rapide sur les lèvres de Thomas. Ce
dernier s’éclipsa pour s’en retourner à sa banque.

Vers la fin d’après-midi, Bertrand appela Célia à


l’agence :
- Bonjour, je profite que notre bel Antoine est avec sa
maman pour venir aux nouvelles.
- Est-ce qu’il vous a parlé du message qu’il a reçu sur
son portable ?
- Non, j’imagine que si c’est personnel, il n’a pas
souhaité m’en parler devant sa mère.

175
Elle lui communiqua l’appel menaçant envers Antoine
et lui précisa qu’elle avait peur pour lui, car s’il était
autorisé à quitter l’hôpital, il ne devait pas rentrer
chez lui. Il y eut un long silence puis Bertrand lui
répondit :
- Je vais m’en occuper, ne vous en faites pas. Je vais
prendre les dispositions qui s’imposent. Je serai au
bureau demain matin.

Elle était consciente que son patron avait désormais


les cartes en main et qu’il allait tout faire pour
protéger son associé de toute agression. En quittant
l’agence, elle se sentait fautive d’être soulagée que ce
soit Bertrand qui prenne la relève pour Antoine.

Dans la rue, Célia ne se sentait pas trop rassurée. Elle


se retourna plusieurs fois pour s’assurer de n’être pas
suivie. Elle, qui par habitude se pressait toujours pour
rejoindre son arrêt de bus, ralentissait au moindre
regard inquisiteur des hommes qu’elle croisait.
176
Un coup de klaxon la fit sursauter, Thomas se rangeait
pour la faire monter dans sa voiture. Elle fut soulagée
de sa présence et ne se fit pas prier pour se faire
raccompagner. Quand la voiture redémarra, elle
commença à décompresser, son ange gardien était à
ses côtés, tout allait bien. Il l’interrogea :
- Tu ne me demandes pas où nous allons ?
- Chez moi non ?
- Si tu n’y vois pas d’inconvénient, nous dînerons
chez moi, mais rassure-toi, nous ne veillerons pas trop
tard, je suis conscient que nous allons travailler
demain. Je souhaite juste que cette soirée puisse te
changer les idées après ce que tu viens de vivre.
- Il est vrai que je n’avais pas vraiment envie d’être
seule, ce soir.

Il ne lui avait pas encore dévoilé le lieu de son


domicile. Lorsqu’il entra sur la rocade, elle comprit
qu’il habitait en dehors de Toulouse.
177
- Tu habites loin de Toulouse ?
- Non, je suis sur les hauteurs de Balma, dans une
zone pavillonnaire. Mais je vais m’arrêter au centre
commercial pour faire quelques achats pour notre
dîner.
- C’est toi qui cuisines ?
- Bien entendu, je n’ai pas pour habitude de faire
travailler mes invités !
- Tu es bon cuisinier ?
- Je me débrouille pas mal parait-il !

Il se gara sur le parking de l’espace Gramont.


Connaissant parfaitement les lieux, il marchait
rapidement et elle essayait de suivre. Il fit un premier
arrêt à la boulangerie, puis se dirigea vers la
poissonnerie. Il discuta avec un vendeur, quelques
minutes et ce dernier lui remit un sac. Thomas régla
ses achats et avec un grand sourire, invita Célia à
rejoindre la voiture. Celle-ci ne put s’empêcher de lui
faire une remarque :
178
- Tu es comme ça tout le temps ?
- Que veux-tu dire ?
- Tu prévois toujours tout à l’avance ? Tout semble
tellement calculé.
- Je tenais surtout à te préparer quelque chose que tu
aimerais. C’est pour cette raison que j’ai passé ma
commande ce matin, pour être certain de te faire
plaisir.
- J’ai beaucoup de chance alors !

La voiture ralentit à l’entrée de Balma. Ils arrivaient


maintenant dans la zone pavillonnaire. Thomas
emprunta une rue qui se situait un peu à l’écart des
autres maisons et s’arrêta devant une belle maison en
meulière. Célia calcula qu’elle devait avoir une
quarantaine d’années. La voiture entrait maintenant
dans le garage, lorsqu’il lui confia :
- Cette maison était celle de mes parents. Ils ont
décidé de partir du côté d’Argelès pour leur retraite et
nous nous sommes arrangés financièrement afin que
179
je puisse garder la maison. Viens, je vais te faire
visiter.
Il prit Célia par la main et l’invita à entrer.

Le vestibule était grand et accédait directement à la


cuisine et, en face, se trouvaient le salon et la salle de
séjour. Tout était très joliment décoré, et visiblement,
Thomas avait souhaité que cette maison reste telle que
ses parents l’avait laissée avant de partir. Elle le
suivait d’une pièce à l’autre, mais il ne l’invita pas à
visiter l’étage. Etait-ce par pudeur ?
Dans la cuisine, il proposa un vin blanc d’Alsace en
guise d’apéritif.
- Installe-toi au salon, je débouche la bouteille et
j’arrive.

Le vin était à bonne température et le canapé du salon


moelleux à souhait. Dans la cuisine Thomas s’activait
pour la préparation du repas, puis il vint enfin la

180
rejoindre, après avoir mis quelque chose au four.
Célia demanda :
- Que nous as-tu préparés de bon ?
- Un soufflé au fromage, des coquilles St Jacques et
une salade verte.
- Tu m’as gâtée, j’adore les coquilles St Jacques.
Quant au soufflé, je serais bien incapable de le réussir.
C’est ta maman qui t’a appris à cuisiner ?
- Non, maman ne cuisinait pas beaucoup, mais elle
avait des dizaines de livres de cuisine. J’ai commencé
à en ouvrir un, puis un autre, et j’y ai pris goût. Faire
la cuisine me détend. Et toi, tes parents ?
- Ils sont retraités, eux aussi. Ils se sont retirés au pays
basque après être tombés amoureux de cette région
suite à un voyage organisé. J’essaie de les voir dès
que j’ai quelques jours de congé.
- Je vois que là encore, nous avons des points
communs. Nos vacances se passent chez nos parents.

181
Un peu plus tard, ils s’installèrent pour un tendre
dîner en se racontant leur vie.

En fin de soirée Célia était un peu gaie, mais il ne


chercha pas à en profiter. Il attendrait le bon moment,
celui où elle n’aurait plus d’autres soucis que celui de
leur bonheur. Il la raccompagna en lui renouvelant ses
sentiments à son égard.
En pénétrant dans son appartement, elle se sentit seule
et commençait à avoir le cafard. Puis en s’avançant
vers le canapé, elle aperçut le livre de Marie qui
l’attendait, prêt à lui dévoiler la suite de sa vie.
***
Mars 1997

Je travaille en intérim en attendant de pouvoir


reprendre mes études. De cette façon, je ne risque pas
de m’attacher à qui que ce soit. Je vais d’entreprise
en entreprise pour des remplacements de courte ou
longue durée. Certaines personnes ne me voient pas
182
arriver d’un bon œil, mais on ne me pose pas de
questions dès l’instant où je fais mon travail
correctement. Bien souvent, les employés m’ignorent
alors je fais de même. Si je ne me plais pas dans une
entreprise, je patiente, sachant que je ne vais pas y
rester. Parfois, j’ai la chance de tomber sur des gens
sympas, mais ils sont rares. J’ai toutefois de très bons
rapports avec la responsable de la société de travail
temporaire.
J’ai reçu il y a un mois de cela, une lettre d’Elias
dans laquelle il avait glissé une photo de Yanis. Il est
beau, il a beaucoup grandi, mais son regard est triste.
Mon petit aura bientôt quatre ans. Elias m’informait
que son père était décédé d’une crise cardiaque, sa
mère avait beaucoup de difficultés à s’en remettre.
Lui s’était remarié et sa femme était enceinte, mais il
ne précisait pas son prénom. J’ai l’impression qu’il
n’y a pas d’amour entre eux à la façon qu’il a de
parler d’elle. Il précise qu’il travaille dur avec sa

183
famille afin de pouvoir aider un peu sa mère. J’avoue
que je ne comprends pas pourquoi il me raconte sa
nouvelle vie. Est-il conscient que cela me fait
souffrir ? Ou peut-être n’a-t-il personne à qui se
confier ?
De mon côté, j’ai renoncé à avoir toute relation avec
un homme pour l’instant, j’ai trop peur de me
tromper encore une fois.
***
Célia referma le livre. Vaincue par la fatigue, elle se
glissa sous ses draps.

184
CHAPITRE 9

Cette semaine de la Pentecôte était plutôt calme. La


ville avait été désertée pour les bords de mer avec les
beaux jours. La maman d’Antoine avait consenti à
retourner chez elle, quand Bertrand s’était proposé de
garder son associé chez lui le temps de sa
convalescence. De son côté, Célia, sur les conseils de
l’hôpital, avait pris contact avec un spécialiste de
l’hypnose pour aider son collègue à recouvrer la
mémoire. Elle avait néanmoins, posé une question à
Bertrand :
- Quel âge a donc le fils d’Antoine ?
- Six ans. Il vit avec sa mère qui en a la garde.
Antoine le prend un week-end sur deux et la moitié
des vacances scolaires. J’ai moi-même été surpris
d’apprendre qu’il avait été marié et qu’un enfant était
né de cette union. Notre ami est un sacré cachottier !

185
- Comment allez-vous vous organiser pour vous
occuper de lui et de vos rendez-vous à l’agence ?
- J’ai fait appel à un collègue et ami qui fera les visites
à ma place. Vous lui laisserez les coordonnées des
clients et il vous déposera chaque soir le compte-
rendu de ses visites. Voici sa carte. Dès la semaine
prochaine, il viendra se présenter.
- Pas de problème Bertrand, nous allons nous en
sortir. Prenez bien soin d’Antoine.

Le vendredi, Célia était seule aux commandes de


l’agence, mais les clients ne se bousculaient pas.
Puisqu’elle avait du temps, elle en profita pour
appeler l’association qui était venue en aide à Marie.
Elle avait retrouvé le papier sur lequel elle avait noté
les coordonnées de la responsable, madame Lambert.

186
La sonnerie s’éternisa et Célia était prête à raccrocher,
certaine que le personnel était déjà parti en cette veille
de week-end, quand une voix fatiguée lui répondit :
- Madame Lambert, bonjour.
- Bonjour madame. Voici ce qui m’amène. J’aimerais
retrouver une personne qui est passée par votre
association en 1993, à la suite de l’enlèvement de son
fils.
- Je vous arrête tout de suite, votre demande remonte à
vingt ans et je ne dispose pas des archives de
l’époque. Et de toute façon, même si je disposais
d’informations sur ces personnes, je ne pourrais pas
les divulguer pour cause de confidentialité.
- Je comprends, j’avais espoir de retrouver cette
femme qui s’appelle Marie et dont l’enfant, un petit
garçon prénommé Yanis, avait été enlevé par son père
tunisien. En effet, Marie a écrit un livre sur son
histoire et je suis en train de le lire.

187
- C’est intéressant ce que vous me dites. Savez-vous
chez quel éditeur a été publié ce livre ?
- Il n’y a pas d’éditeur, c’est apparemment de
l’autoédition. Je pense qu’elle a tout simplement fait
imprimer son livre par un imprimeur de la région.
Tout ce que je sais d’elle, c’est son prénom : Marie et
le titre de son livre est « l’enlèvement de mon
enfant ». Je ne l’ai pas encore terminé, mais j’aimerais
vraiment savoir ce qu’elle est devenue.
- Mais où vous êtes-vous procuré ce livre ?
- Je l’ai trouvé sur la banquette d’un autobus.
Quelqu’un l’aura oublié !
- Écoutez, je vous propose de terminer ce livre, il vous
en apprendra peut-être plus sur ce qu’est devenue
cette Marie. Ensuite, recontactez-moi et nous
prendrons rendez-vous. Nous verrons s’il y a une
possibilité de la retrouver.

188
Célia lui laissa son nom et son numéro de téléphone,
puis raccrocha pensive. Cette femme avait raison,
peut-être que Marie dévoilait-elle l’endroit où elle vit
actuellement, vers la fin de son livre ?

À peine avait-elle raccroché, que son amie Caroline


l’appelait. Elle semblait s’inquiéter de la savoir seule
dans l’agence.
- Es-tu disponible ce soir pour un dîner chez moi, avec
Thomas bien entendu !
- J’en serais très heureuse, as-tu déjà une idée de
menu ? Je peux faire quelques courses si tu veux ?
- Non, ce n’est pas nécessaire, il a déjà tout prévu. Il
semble être très attaché à toi. Il va passer te chercher,
car il ne veut pas te laisser déambuler seule dans les
rues la nuit. Je crois que tu as beaucoup de chance ma
belle !
- Très bien, alors je l’attendrai ici.
- À tout à l’heure, Célia.

189
Enchantée à l’idée de cette bonne soirée annoncée,
elle se mit à chantonner tout en terminant un peu de
classement. Elle tournait le dos à la porte d’entrée, le
nez plongé dans ses dossiers, quand la sonnerie de
cette même porte tinta.

Elle se retourna avec le sourire aux lèvres, pensant


trouver Thomas sur le seuil de l’entrée. Mais l’homme
qui se tenait devant elle n’était pas celui qu’elle
attendait. Elle se mit à trembler devant l’inconnu,
persuadée de se trouver face à l’agresseur d’Antoine.
Pourtant, cet homme ne paraissait pas menaçant. Célia
lui demanda d’une petite voix :
- Bonjour monsieur, que puis-je faire pour vous ?
- Tout d’abord, je tiens à m’excuser pour vous avoir
fait sursauter et sans doute effrayée. Rassurez-vous, je
ne suis pas un malfrat, je voulais juste obtenir
quelques renseignements sur vos locations
190
saisonnières. J’ai des amis qui cherchent un
appartement pour deux semaines en juillet.

Rassurée, elle se reprit très vite et l’invita à s’asseoir.


Pendant qu’elle cherchait sur son ordinateur les
locations encore disponibles pour l’été, avec patience,
elle répondit aux questions de son visiteur.
Finalement, il opta pour un trois pièces dans une
résidence sécurisée avec un gardien. Avant de verser
des arrhes pour la réservation, il passa un coup de fil
afin de s’assurer que le logement choisi, correspondait
bien au désir de ses amis. Puis il sortit son chéquier et
sa carte d’identité.
Après avoir vérifié que rien ne manquait dans les
informations indispensables pour créer son dossier,
Célia remercia son visiteur et le raccompagna jusqu’à
l’entrée de l’agence. Puis, elle ferma à clef aussitôt
après. Elle venait de comprendre qu’elle était toujours
traumatisée suite à l’agression d’Antoine. Elle tenta
de se calmer et essaya de se raisonner « tu ne peux
191
pas sursauter, à chaque fois qu’un visiteur entre dans
l’agence, c’est ridicule ».

Elle rangeait le dossier de son dernier visiteur, quand


Thomas l’appela à son tour :
- Célia, je suis désolé, mais je vais avoir du retard, un
rendez-vous imprévu. Est-ce que l’on peut se
retrouver directement chez Caroline ?
- Pas de problème, c’est tout à côté.
- Alors à tout à l’heure !
- À tout à l’heure.
*

Une fois sortie de l’agence, elle voulut passer chez un


fleuriste afin de choisir un beau bouquet pour
Caroline. Elle trouva rapidement ce qui conviendrait
le mieux pour son amie. Son bouquet plutôt
encombrant dans les bras, elle s’apprêtait à traverser
la rue, mais ne vit pas la voiture qui arrivait un peu
trop rapidement.

192
Un cri la fit s’arrêter et elle se sentit tirer vers l’arrière
par le col de sa veste. La voiture la frôla et alla
s’encastrer dans un réverbère. Célia était tétanisée
quand la personne qui l’avait sauvée d’une mort
certaine, se mit à lui parler gentiment, ce qui la fit
redescendre sur terre :
- Vous l’avez échappé belle mademoiselle.
Apparemment, les freins de cette voiture ont lâché,
j’espère que le conducteur n’est pas blessé !

Célia se retourna vers celui qui venait de lui sauver la


vie et le remercia. Puis ses yeux se tournèrent vers la
voiture qui fumait. Un attroupement s’était créé
autour du lieu de l’accident. La police prévenue
arrivait déjà sur les lieux, suivie d’un camion de
pompiers. Comme dans un rêve, elle regardait tous
ces gens s’activer pour essayer d’extirper le
conducteur du véhicule accidenté. L’homme qui
l’avait tiré en arrière, se rendit compte qu’elle n’allait
pas très bien :
193
- Mademoiselle ? Vous allez bien ?

Elle ne répondait pas et gardait les yeux fixés sur les


sauveteurs qui avaient réussi à faire sortir l’homme de
sa voiture. Il se trouvait maintenant sur une civière
que l’on faisait monter dans le camion des pompiers.
- Mademoiselle, voulez-vous vous asseoir et boire
quelque chose, vous ne semblez pas dans votre état
normal ?

Elle se tourna à nouveau vers son sauveur et finit par


accepter son offre et se laissa guider vers une terrasse
de café. L’homme se présenta :
- Je m’appelle Régis Michaut, je travaille tout à côté
dans un centre médical, voulez-vous que je vous y
accompagne, vous avez peut-être besoin de soins ?
- Non, je vous remercie, ça va aller. J’ai eu très peur,
heureusement que vous étiez là, j’en tremble encore !
- Je vais vous commander un remontant.

194
Il appela le garçon de café et commanda deux
cognacs. Célia se remettait peu à peu, mais semblait
chercher quelque chose. Régis devina ce qui
l’inquiétait et lui annonça :
- Si c’est votre bouquet de fleurs que vous cherchez, il
a été écrasé par la voiture qui vous a frôlée.
Il déposa devant elle le verre de cognac que le garçon
de café venait d’apporter.
- Buvez, vous verrez, vous vous sentirez beaucoup
mieux après.
Elle porta le verre à ses lèvres, fit une grimace, mais
le vida sans se faire prier. L’alcool semblait lui faire
du bien, un peu de couleur revint sur ses joues. Elle
remercia encore Régis pour sa gentillesse. Se sentant
redevable, elle lui laissa sa carte en lui promettant de
l’inviter à déjeuner. Il prit la carte, paya l’addition et
la laissa repartir.

195
Chez Caroline et Gabriel, son mari, un apéritif les
attendait dans le salon, tandis que le couvert était déjà
mis dans la salle de séjour. Caroline attrapa Célia par
le bras et l’entraîna un peu à l’écart.
- Alors dis-moi, comment vas-tu ? Tu arrives à
reprendre le dessus ?
- Tout d’abord, je tenais à m’excuser, car je n’ai rien
apporté. J’avais acheté un beau bouquet de fleurs,
mais… Elle lui raconta ce qu’il venait de lui arriver.

Dès l’arrivée de Thomas, on lui dit qu’un certain


Régis venait de sauver la vie de Célia en la tirant
vivement en arrière, alors qu’une voiture folle
menaçait de la faucher. Cette dernière voulut
conclure :
- Je suis effectivement très perturbée en ce moment et
normalement, j’aurai dû voir cette voiture arriver. Je
crois que Thomas a raison, je pense que je vais
sûrement consulter pour le traumatisme que j’ai subi.

196
Pendant que les deux femmes parlaient de
traumatismes, leurs compagnons étaient à la cuisine et
semblaient s’entendre à merveille. Célia se sentait en
famille, comme si les deux couples étaient amis
depuis longtemps.
Au dîner, le foie gras d’oie était à l’honneur,
accompagné d’une salade verte, puis d’un plateau de
fromages de la région : tome des Pyrénées,
Rocamadour, Laguiole, Cabécou etc… Et enfin un
dessert : le fénétra- spécialité Toulousaine, à base
d’amandes, de citrons confits et de marmelade
d’abricots. Le tout fut arrosé des vins de circonstance
gardés jalousement par leur hôte.

Le retour fut assez joyeux, Célia, qui visiblement


avait le vin gai, chantait à tue-tête dans la voiture et
Thomas l’accompagnait en tapant sur le volant.
Quand la voiture s’arrêta enfin devant le domicile de
la jeune femme, elle se tourna vers lui et demanda s’il
voulait passer la nuit chez elle. Il sentait qu’il devait
197
refuser, car elle avait un peu trop bu et aurait pu
regretter ensuite de l’avoir laissé monter, mais il était
lui aussi un peu grisé et choisit d’accepter l’invitation.
Ils riaient tous deux en grimpant les escaliers et elle
eut quelques difficultés à insérer sa clé dans la serrure.
La porte refermée, ils s’affalèrent sur le canapé et
s’endormir comme deux gamins dans les bras l’un de
l’autre.

Célia ouvrit un œil pour constater qu’elle se trouvait


sur son canapé et non dans son lit et qu’elle s’était
endormie tout habillée. Tout à coup, elle sursauta, en
distinguant un homme qui sortait de sa cuisine, habillé
lui aussi. Il s’avançait vers elle, lui tendant un verre
qui contenait visiblement le remède contre la gueule
de bois. Elle reconnut Thomas qui était en train de
boire la même mixture. Il fut le premier à prendre la
parole :

198
- Nous nous sommes endormis sur ton canapé, je fais
un bien piètre petit ami. Pour me rattraper, j’ai préparé
du café, je pense que nous allons en avoir besoin.
- Je crois aussi. Mais rassure-toi, tu es un petit ami
adorable, surtout ne change pas !

Ils restèrent un bon moment assis à boire le breuvage


imposé dans leur cas, puis ils avalèrent deux à trois
cafés de suite. Ensuite, Célia se leva, pour se diriger
vers la salle de bains. Elle se prélassa un bon moment
sous la douche avant de se sécher et de se vêtir de
vêtements propres.
À son tour, Thomas passa sous la douche et en
sortant, il l’entraîna doucement vers la chambre.

Lorsqu’ils se réveillèrent, l’après-midi était déjà bien


avancé. Il enveloppa Célia de ses bras et l’embrassa
longuement. Puis, il se leva et lui suggéra :

199
- Je te propose de nous voir demain pour le déjeuner.
Je viendrai te chercher. Pour aujourd’hui, je crois que
nous avons besoin de nous reposer, la nuit a été
courte.
- Tu as raison, je tombe de fatigue !

Elle le regarda partir le cœur gros. Elle se dirigea


ensuite vers le réfrigérateur, attrapa le jus d’orange et
s’en servit un grand verre. Elle repensa soudain à
Régis. Sans lui, elle n’aurait sans doute pas passé cette
première nuit avec Thomas. Elle se demanda
d’ailleurs, si ce n’était pas pour cette raison qu’elle lui
avait dit oui cette nuit.

Le livre de Marie était tombé de la table du salon,


certainement suite à leur retour mouvementé de la
veille. Elle le ramassa et songea aussitôt à l’entretien
qu’elle avait eu avec madame Lambert. Finir le livre
avant de reprendre contact avec elle. Elle décida d’en
lire au moins quelques lignes.
200
***

Novembre 1997

Je viens de recevoir une autre lettre d’Elias. Il


m’annonce la naissance d’un petit garçon de plus de
quatre kilos. Il semble très fier. Il ne parle toujours
pas de sa femme. Il dit que Yanis est content d’avoir
un petit frère. Cette fois, il n’a pas joint de photo de
notre fils. Il parle aussi de son travail de plus en plus
difficile, de sa mère qui perd la tête, semble-t-il.

En ce qui me concerne, j’ai laissé tomber l’idée de


reprendre mes études, mes parents ne pourront pas
m’aider financièrement. Je cherche à nouveau un
travail à temps plein. La société de travail temporaire
qui m’emploie devrait pouvoir m’y aider, la patronne
semble satisfaite de mon travail. Je pense que je
prendrai des cours d’anglais en dehors de mes heures

201
de travail, cela devient primordial pour obtenir un
boulot intéressant.

Par ailleurs, j’ai fait la connaissance d’un homme,


employé comme commercial, dans une société pour
laquelle j’ai travaillé trois mois. Il a une trentaine
d’années et nous avons sympathisé. Nous nous voyons
pour déjeuner en semaine et de temps en temps, le
samedi soir pour aller au cinéma. Je pense que ses
intentions sont sérieuses, mais pour l’instant, je n’ai
rien promis.

***

Célia résistait pour ne pas s’endormir « encore


quelques lignes, il faut que je termine ce récit »….

202
Le soleil entrait à flot dans la chambre de Célia, elle
se leva tranquillement, rien ne pressait, on était
dimanche. Elle se prépara un bon petit-déjeuner et
téléphona ensuite à Bertrand pour avoir des nouvelles
d’Antoine. Il paraissait optimiste après une première
entrevue avec l’hypnotiseur :
- Je vous avoue Célia, que je ne croyais pas beaucoup
en ce genre de thérapie, mais j’ai été agréablement
surpris après cette première visite. Il a tenté tout de
suite de stimuler la mémoire d’Antoine, sans l’amener
directement sur le jour de son agression. Il a réussi à
lui faire dire pourquoi les numéros de téléphone de sa
mère et de son fils n’étaient pas enregistrés sur son
téléphone portable. Antoine a répondu qu’il se
souvenait les avoir effacés pour protéger sa famille
quand il avait reçu des menaces.
- Je suis heureuse pour lui, j’espère que ces séances
vont beaucoup l’aider. Il n’a rien dit d’autre au sujet
de ces menaces ?

203
- Non, il tente de se rappeler, mais je lui ai conseillé
de se reposer jusqu’à sa prochaine séance.
- Merci beaucoup pour ces bonnes nouvelles, passez-
lui le bonjour de ma part, je vous souhaite un bon
dimanche.
*

Célia chantait dans sa salle de bains, elle se sentait


beaucoup mieux. Tout à l’heure, Thomas viendrait la
chercher pour aller déjeuner. Il allait sans doute lui
réserver une surprise, elle en souriait à l’avance. Avec
lui, tout paraissait si simple, il s’occupait de tout, il
était attentif au moindre de ses désirs. Etait-il comme
cela avec tout le monde ? Cherchait-il à faire plaisir à
toutes les personnes de son entourage ?
L’emballement de Thomas pour sa personne, lui
faisait malgré tout un peu peur. Avait-elle raison de se
laisser bercer par tant d’attentions ? N’était-il pas
préférable d’apprendre à mieux se connaître, de

204
s’informer sur ce qu’avait été leur vie respective avant
de se rencontrer ?

Elle décida de laisser faire pour le moment et de


l’amener petit à petit à lui parler de sa jeunesse. De
son côté, elle lui raconterait ses jeunes années, s’il se
confiait sans trop de difficultés. Elle en parlerait tout
d’abord à Caroline, qui, elle, le connaissait depuis pas
mal de temps.

Ce dimanche, il l’avait emmenée déjeuner au


restaurant des  « Trois Continents » dans le quartier
Jean-Jaurès de Toulouse. Ils avaient choisi la cuisine
africaine et n’avaient pas été déçus. Comme à son
habitude, Thomas était aux petits soins pour elle. Il lui
avait proposé ensuite d’aller faire une croisière en
bateau sur le canal du Midi. Célia très enthousiaste,
avait accepté aussitôt, la journée était belle, il fallait
en profiter.

205
Dans la soirée, il la déposa devant son domicile, sans
lui demander cette fois de monter chez elle. Célia crut
voir dans son regard qu’il semblait à la fois gêné pour
son comportement de la veille au soir, et en même
temps heureux qu’elle ait décidé de le laisser entrer
chez elle pour la nuit. Elle décida qu’il était grand
temps de parler à Caroline afin d’en savoir plus sur
Thomas.

206
CHAPITRE 10

La température de cette fin mai, était particulièrement


élevée. Dès le matin, Célia avait senti, en montant
dans l’autobus, un air chaud, déjà saturé par diverses
odeurs de parfums, mélangées aux odeurs corporelles.
Elle décida donc d’ouvrir la fenêtre à côté de son
siège, malgré quelques contestations. Elle avait tenu
bon en prétextant qu’elle avait des nausées. Ce petit
mensonge lui permit de terminer le trajet jusqu’à
Toulouse sans être imprégnée de ces odeurs
incommodantes.

Elle était impatiente de faire la connaissance de l’ami


de Bertrand, qui devait le remplacer pour les visites en
clientèle. Il devait passer dans la matinée. En
attendant, elle écoutait les messages laissés pour
l’agence. En fin d’après-midi, elle avait rendez-vous,
207
pour la première fois, avec un psy, chaudement
recommandé par Thomas. Elle était un peu anxieuse,
ne sachant pas à quelle sauce elle allait être mangée.

Après la venue du facteur, qui la taquinait toujours un


peu, depuis qu’il l’avait vue dans les bras de Thomas,
elle entreprit d’ouvrir le courrier. Elle prit soin de bien
séparer les factures, destinées à Bertrand. Très
concentrée dans son travail, elle entendit à peine, le
tintement de la clochette de la porte d’entrée, et
sursauta lorsqu’on lui demanda :
- Bonjour, je suppose que vous êtes Célia ? Moi, c’est
André, je suis l’ami de Bertrand. J’espère qu’il n’a pas
oublié de vous avertir de ma venue ?
- Bonjour André ! Bertrand m’a effectivement dit que
vous alliez passer aujourd’hui. Vous pouvez vous
installer sur le bureau d’Antoine, en face de moi.
- Je ne vais pas rester très longtemps, juste le temps de
prendre connaissance des visites à effectuer et, peut-

208
être aussi, les demandes pour visiter un logement ou
une maison ?
- J’ai déjà déposé sur le bureau d’Antoine, les visites à
faire, par ordre de proximité par rapport à l’agence. Je
vous suggère de faire les deux visites sur Toulouse,
puis vous pourriez ensuite, faire visiter deux
appartements en location, pour des jeunes mariés. S’il
y avait le moindre problème, vous m’appelez ici.
- Pas de problème, je vous dis à plus tard Célia ?
- À plus tard André !

Elle le regarda s’en aller en souriant. Visiblement, cet


homme avait l’habitude de ce genre de travail. Après
son départ, Célia appela son patron :
- Bonjour Bertrand, comment va Antoine ?
- Mieux. Les souvenirs reviennent, pas toujours dans
le bon ordre, mais les puzzles ça me connaît ! Trêve
de plaisanterie, il a des flashs. Tantôt, il se voit dans
une banque, tantôt dans un tribunal. Ce qui
correspondrait bien au message laissé sur son
209
portable, par son agresseur. Il a vraisemblablement été
témoin, soit d’une attaque de banque, soit d’une prise
d’otages dans un tribunal. Je me renseigne auprès
d’un ami qui est dans la police. Il va faire des
recherches, pour connaître l’époque où notre ami a été
convoqué au tribunal, comme témoin. Si son
agresseur a fait trois ans de prison, comme il le
précisait dans son message et qu’il vient d’être libéré,
cela devrait faciliter les recherches. Voilà, c’est à peu
près tout ce que je peux vous dire pour le moment. Et
vous, avec André, ça s’est bien passé ?

- Très bien. Il vient de partir pour faire ses visites.


Tenez-moi au courant, à très bientôt Bertrand.
- À bientôt Célia.

Après avoir raccroché, elle se sentit seule. Les clients


semblaient déserter l’agence, peut-être à cause de
l’agression. Elle décida de faire une pause et se
prépara un café.
210
La sonnette de la porte avait retenti, elle se retourna
pour voir qui était entré. Elle reconnut aussitôt Régis,
l’homme qui l’avait sauvée de la voiture folle.
- Bonjour Célia, je viens aux nouvelles. J’étais inquiet
pour vous, vous étiez tellement choquée par cet
accident !
- Merci de vous informer de ma santé. Cela va
beaucoup mieux, rassurez-vous.
- Vous vous souvenez que vous aviez parlé d’un
déjeuner avec moi ?
- C’est vrai, mais je n’avais pas précisé de date !
- Pour midi, c’est possible ou pas ? Je connais des
petits restos sympas.
- D’accord, nous ne sommes pas trop bousculés en ce
moment. J’ai juste un rendez-vous en fin d’après-
midi, chez un médecin.
- Rien de grave ?
- Non, non. Vous pouvez venir me chercher vers midi
et demi, ça ira ?
211
- Parfait, alors à tout à l’heure.

Célia le regardait partir. Elle n’avait pas vraiment fait


attention à lui, le jour de l’accident, bien trop secouée
par ce qu’il venait de lui arriver. Régis était un
homme d’une quarantaine d’années, plutôt séduisant
avec ses tempes grisonnantes. Il travaillait tout près,
dans un centre médical lui avait-il dit et il était
certainement habitué à rencontrer des personnes en
détresse, pour toutes sortes de raisons. Il semblait, en
tout cas, très humain. Elle pensa soudain à Thomas,
que penserait-il de cette invitation ?
Après tout, elle ne voyait pas pourquoi il y trouverait
à redire. Cette invitation avait été lancée pour
remercier Régis de lui avoir sauvé la vie. Elle se remit
bien vite au travail pour ne pas avoir à se poser trop
de questions.
*

212
Régis était à l’heure. Il avait le sourire en passant la
porte, apparemment heureux de déjeuner avec Célia.
Il l’aida à fermer l’agence immobilière et l’invita à
monter dans sa voiture.
- J’espère que vous serez bien installée dans ma vieille
guimbarde, c’est une voiture de collection
aujourd’hui, ma Golf va avoir vingt-trois ans, mais je
l’entretiens du mieux que je peux.
- Ne vous inquiétez pas, elle me parait en très bon état
et je suis sûre qu’elle est très confortable.
- Je vous emmène dans un bistrot sympa, qui s’appelle
le Bistrot de l’Étoile. C’est une cuisine traditionnelle
et on y mange très bien.
- Je suis curieuse de découvrir cet endroit.

Dès leur entrée, elle constata qu’il était un habitué de


l’endroit. Le patron les installa confortablement et
leur tendit la carte. Remarquant que Célia semblait
hésiter sur le choix du menu, il lui demanda s’il

213
pouvant la conseiller en lui promettant qu’elle allait se
régaler.

En attendant d’être servis, ils discutèrent un moment


cuisine, puis ils commencèrent à parler de leurs
hobbies, et enfin de leurs métiers respectifs. C’est
ainsi que Célia apprit que Régis était kinésithérapeute
et qu’il exerçait sur Toulouse depuis une dizaine
d’années. Quand il lui posa la question sur son rôle
dans l’agence immobilière, elle lui détailla sa
fonction :
- Je reçois les clients ou futurs clients, désirant acheter
ou louer. Je fais parfois visiter sur place, mais c’est
plutôt du ressort d’Antoine. Je tape les rapports de
visite et gère le suivi clients. Avec mon patron et
Antoine, les relations sont plutôt bonnes, ils me font
confiance et me laissent prendre des initiatives.

Elle lui parla aussi de cet autre métier qu’elle avait


exercé avant, et qu’elle pensait être le plus beau
214
métier du monde, celui de professeur des écoles. Il se
mit soudain à rire :
- Comme je vous comprends d’avoir donné votre
démission. Les gamins d’aujourd’hui n’ont plus aucun
respect pour les profs. Je veux bien croire que
beaucoup d’entre eux, fassent des dépressions
nerveuses. Même dans notre domaine, il nous arrive
de tomber sur des gosses mal élevés, trop gâtés. On se
demande parfois qui commande chez eux, les parents
ou les enfants ? Etes-vous mariée Célia ou avez-vous
un compagnon ?
- Non, je ne suis pas mariée et je n’ai pas vraiment de
compagnon. Juste une histoire qui commence et qui
semble sérieuse. Il s’appelle Thomas, je pense qu’il
souhaite se déclarer, mais il prend son temps, il ne
veut pas brusquer les choses.
- Il a de la chance, j’espère qu’il saura vous rendre
heureuse.

215
- Et vous Régis ? Avez-vous quelqu’un dans votre
vie ?
- J’avais une femme dans ma vie, mais au moment où
nous nous sentions prêts à accueillir un enfant, elle
n’est pas arrivée à débuter une grossesse. Nous avons
fait tous les deux des analyses, et il s’est avéré qu’elle
était stérile. Elle n’a pas supporté le verdict. Je lui ai
alors proposé l’adoption qu’elle a refusée
catégoriquement. Elle a fait dépression sur dépression
et elle a fini par basculer. Elle est dans un
établissement psychiatrique depuis quatre ans.
- C’est terrible ! A-t-elle une chance de guérir ?
- Je ne pense pas. Quand je vais lui rendre visite, elle
ne me reconnaît pas, elle ne parle pas ou, tout du
moins, elle dit des choses incohérentes.
- Je suis désolée !
- Bon, nous ne sommes pas venus ici pour nous
apitoyer sur notre sort. Voici les plats qui arrivent,
régalons-nous.

216
Ils mangèrent l’un et l’autre de bon appétit. Cette
trêve leur permit de s’imprégner de tout ce qui s’était
dit juste avant. Et c’est Célia qui relança la
discussion :
- Je suppose que dans votre cas, il n’est pas facile de
refaire sa vie ? Avez-vous tout de même une amie qui
vit avec vous peut-être ?
- J’ai une amie, oui, mais nous ne vivons pas
ensemble, c’est compliqué. De mon côté, j’ai une
femme qui est internée et dont je ne peux pas
divorcer, et mon amie Valérie, de son côté, a deux
fils. Le premier, elle l’a eu avec son ex-mari, le
second quant à lui était de son ex-mari et de sa
seconde épouse. Cette femme est décédée en mettant
au monde un autre enfant mort-né. L’ex-mari s’est
donc retrouvé avec un fils sans maman. Puis, il est
décédé à son tour, et c’est ma Valérie qui en a la
charge aujourd’hui. C’est pour cela que notre vie est
compliquée.

217
- Effectivement, ça ne doit pas être simple. Et ces
enfants, ils se comportent comment avec vous ?
- Ils commencent seulement à m’accepter, alors que je
suis avec elle depuis deux ans. Le premier, Baptiste, a
six ans et, le second, Jules, a trois ans.
- C’est étrange, votre histoire ressemble étonnamment
à celle de Marie, une femme qui a écrit un livre sur
l’enlèvement de son fils par son mari. J’aimerais
beaucoup la rencontrer, mais j’ignore son nom et où
elle habite.

Célia lui raconta le récit de la vie de Marie, en


précisant qu’elle n’en avait pas terminé la lecture.
Régis répondit aussitôt :
- Quand vous l’aurez fini, je serai heureux de pouvoir
le lire. Cela m’intéresse.
- Ce sera avec grand plaisir, je vais essayer de le
terminer rapidement, car j’ai hâte d’en connaître
l’aboutissement.

218
Lorsqu’ils ressortirent du restaurant, ils avaient le
sourire. Régis lui confia :
- Je suis très heureux d’avoir fait votre connaissance,
j’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir
pour un dîner, pourquoi pas avec Thomas ?
- Cela me ferait plaisir si votre amie pouvait venir
aussi. En tout cas, vous savez où je travaille et vous
avez le numéro de téléphone.

Il la déposa à l’heure, devant l’agence et l’embrassa


sur les deux joues, avant de repartir. Célia restait
songeuse. Durant le repas, ils s’étaient raconté leurs
vies, sans aucune retenue. Un déclic s’était produit
entre eux, un besoin de se confier. Elle se rendit
compte qu’avec Thomas, l’un comme l’autre, ne
s’était jamais confié à ce point. Il fallait vraiment
qu’elle discute avec Caroline pour en apprendre plus
sur lui.
*

219
En fin d’après-midi, Célia se présenta au cabinet du
psychiatre recommandé par Thomas. L’immeuble
était plutôt bourgeois. Elle s’annonça à l’interphone et
la porte s’ouvrit. La salle d’attente était grande, très
belle, avec une grande cheminée toute en marqueterie
sculptée. Elle ne servait plus qu’en décoration
d’ailleurs. Un plafond très haut était lui aussi décoré
de nombreuses sculptures. De très grandes fenêtres
illuminaient la pièce. Une seule personne était assise
et attendait son tour. Quelques revues étaient empilées
sur une grande table basse. Célia avait pour habitude
d’apporter sa propre lecture lorsqu’elle se rendait chez
un médecin. Elle avait dans son sac le livre de Marie
qu’elle sortirait, si l’attente devenait trop longue. En
attendant, elle se mit machinalement à compter les
carreaux des fenêtres. Lorsqu’elle s’en rendit compte,
elle cessa aussitôt. Elle espérait toujours se
débarrasser de ce TOC, cette manie de compter tout

220
ce qui l’entourait dès qu’elle était assise sans rien
faire.
Elle glissa la main dans son sac et attrapa son livre et
se plongea à nouveau dans le récit de Marie.

***
Été 1998

Tout le monde ne parle plus que de la coupe du


monde de football. Le reste des actualités ne semble
pas compter. Pourtant, plusieurs catastrophes
naturelles, séisme, inondations, tsunami, font de
nombreux morts et blessés. Je suis en colère, les
médias semblent indifférents devant toute cette
souffrance. J’ai vingt-trois ans et je viens juste de
comprendre que ce sont les médias qui décident de ce
que nous devons savoir ou pas, peu importe ce qui se
passe dans le monde. J’en parle à mon nouveau
compagnon, Sylvain, qui me fait comprendre que « je
suis complètement à côté de la plaque ». Il me
221
soutient que c’est la coupe du monde qui retient
l’attention en ce moment et que cela ne veut pas dire
que les gens se désintéressent des catastrophes
actuelles. Il est devant la télé, comme la plupart des
Français, assis sur un fauteuil, une bière à la main,
en train de regarder un match. Je suis venue habiter
chez lui à sa demande. Il pense que je dois faire une
croix sur le passé, mais comment pourrais-je oublier
que je suis maman ?

Ce matin, je suis allée chez mes parents, une lettre


d’Elias m’attendait. Il parle de Yanis qui a
maintenant cinq ans, une photographie était jointe.
Pour la première fois, je vois le sourire de mon fils. Il
tient son petit frère dans ses bras et parait fier de sa
responsabilité envers ce bébé. Elias ne parle toujours
pas de sa femme, il vient, semble-t-il, me mettre au
courant d’une information importante. Yanis va sans
doute avoir un autre petit frère ou une petite sœur
pour le début d’année prochaine. Je suis abasourdie.
222
Ce n’était pas du tout son genre d’avoir si peu de
respect envers une femme. Que s’était-il passé ?

J’ai fini par trouver un travail stable grâce à la


responsable de l’agence d’intérim. C’est une petite
société qui vient de se créer, dans le domaine du
marketing, j’y occupe le poste de secrétaire-
comptable. J’ai de bonnes relations avec mes
collègues de bureau et, bien entendu, je ne parle
surtout pas de ma vie privée. Mes parents semblent
rassurés sur mon sort. Je continue malgré tout, mes
cours d’anglais dans l’espoir de trouver un emploi
mieux payé.

***

Son nom, venait d’être appelé. Célia rangea son livre


rapidement et emboîta le pas à l’assistante du psy.
Face au médecin qui lui demandait de parler de la
raison de cette consultation, elle était très mal à l’aise
sur son siège. Elle lui fit un rapide compte-rendu de
223
l’agression d’Antoine et de sa réaction face aux
hommes qui l’abordaient, persuadée de se trouver à
chaque fois face à l’agresseur.

Il prit des notes et lui posa d’autres questions avant de


lui remettre une ordonnance. Puis, il lui donna rendez-
vous le mois suivant et annonça un tarif exorbitant.
Célia sortit son chéquier, lui tendit un chèque rempli
et signé et s’en alla sans se retourner. Elle prit la
décision de passer à la boutique de Caroline avant de
rentrer chez elle. Elle était furieuse et avait besoin de
marcher. Cette sensation de s’être fait arnaquer par ce
psy, lui donnait envie de crier.

Lorsqu’elle poussa la porte de la boutique de


Caroline, cette dernière lui fit un grand sourire et cela
l’apaisa. Célia s’empressa de lui raconter sa visite
chez le psy et lui tendit l’ordonnance qui lui avait été
remise. Son amie semblait surprise :

224
- Je ne comprends pas, ce ne sont que des calmants et
des somnifères ? Il n’a rien prescrit d’autre ? Par
exemple, je ne sais pas, des séances de relaxation, du
yoga, enfin quelque chose de plus naturel que ces
produits chimiques ?
- Je suis aussi surprise que toi. Les calmants, ce n’est
pas ce que je souhaitais, j’ai besoin de me calmer sans
doute, mais je pense qu’il y a d’autres façons de se
détendre. Et l’addition est plutôt salée !
- Je connais des personnes qui sauront t’orienter vers
des méthodes plus modernes, qui consistent en des
séances de relaxation de groupe. Laisse tomber ces
médicaments, je t’appellerai pour te donner les
coordonnées de ce centre.
- Merci beaucoup. Le simple fait de parler à une
personne normale, me fait me sentir mieux.
- Pourquoi ? Tu penses que le psy n’était pas normal ?
- Je ne sais pas, quand on entre dans leur cabinet, on a
l’impression d’être dans un autre monde. Il semble

225
vouloir décortiquer nos moindres paroles, nos
moindres gestes. Un peu comme un vétérinaire qui
examine un singe, à travers les barreaux de sa cage.
- Tu sais que tu es drôle quand tu veux ?
- Bon, je compte sur toi pour les coordonnées du
centre de relaxation ?
- Tout à fait !
- Je me sauve, à plus tard.

Caroline la regardait partir en souriant. Elle était en


train de retrouver son amie telle qu’elle était avant
l’agression d’Antoine. Le psy l’avait sortie de cette
terreur latente, bien malgré lui. Elle savait que,
dorénavant, Célia allait vite récupérer.

226
CHAPITRE 11

Après ce long week-end, Célia retrouva son bureau


avec, comme prévu, les comptes-rendus de visites
d’André. Il avait laissé un mot qui l’informait de son
passage en fin de matinée.
Elle se mit au travail en se promettant d’appeler
Bertrand, sitôt qu’elle trouverait une minute. Il
s’agissait de ne pas prendre de retard, car elle avait
posé quelques jours de congé pour la fin de semaine.
Elle irait voir ses parents au Pays Basque pour la fête
des mères.

André fit effectivement son entrée vers onze heures. Il


s’informa sur le nombre de visites à effectuer. Célia
lui donna les informations nécessaires et lui remit les
dossiers qu’elle avait préparés. Jugeant qu’il en avait
pour l’après-midi entière, avant de repartir, il lui

227
précisa qu’il laisserait les documents à taper sur son
bureau dans la soirée.

Avant le déjeuner, Célia appela son patron pour avoir


des nouvelles d’Antoine et l’informer des visites
effectuées par son ami André. Il semblait heureux de
l’avoir au téléphone.
- Bonjour Célia, quoi de neuf ?
- Bonjour Bertrand. André est passé, mais déjà reparti.
Mais je peux vous donner les informations sur ses
visites d’hier ?
- Non, je passerai dans la soirée, laissez les dossiers
sur mon bureau.
- Et Antoine, du nouveau ?
- Il fait beaucoup de progrès, ses souvenirs reviennent
petit à petit. J’attends des nouvelles de cet ami dont je
vous ai parlé, qui fait des recherches pour moi. Il va
m’envoyer tout ça très vite, semble-t-il !
- C’est une très bonne nouvelle. Saluez Antoine pour
moi, à bientôt.
228
Alors qu’elle s’apprêtait à fermer l’agence pendant
l’heure du déjeuner, Caroline entra au même moment.
- Et bien dis-moi, j’arrive juste à temps. J’ai acheté
des salades composées et quelques fruits. On peut
manger ici ou à l’extérieur, dans un parc par
exemple ?
- Je préfère ici, car j’ai des questions à te poser au
sujet de Thomas.
- Des problèmes avec lui ?
- Non, pas du tout, mais il parle peu de lui et
j’aimerais en savoir un peu plus sur son caractère, ses
fréquentations, ses habitudes à l’extérieur. Enfin, tu
vois ce que je veux dire, il ne m’a parlé que de ses
parents qui habitent à Argelès. Je sais aussi qu’il a une
sœur, mais il ne m’en a que très peu parlé !
- Je vois. Je vais essayer de t’en dire plus. Sa sœur
Anne, est à peu près de ton âge. C’est un vrai pigeon
voyageur. Dès qu’elle rencontre un homme qui
l’intéresse, elle va le suivre partout, en France comme
229
à l’étranger. Mais lorsqu’elle en est fatiguée, elle
revient chez ses parents ou chez Thomas, en attendant
une nouvelle rencontre intéressante. Disons-le
franchement, elle se fait entretenir. Elle se laisse vivre
et personne ne lui dit rien, par égard pour son frère.
- C’est en quelque sorte une pique-assiette ?
- Pas vraiment, car elle a toujours de l’argent et quand
elle s’invite, elle ne manque pas d’apporter un cadeau.
- Mais comment fait-elle, si elle ne travaille pas ?
- Les hommes lui offrent des bijoux, lui donnent de
l’argent pour faire les magasins et s’acheter de la
lingerie. Elle arrive toujours à retomber sur ses pieds,
en revendant ses bijoux.
- Je vois. Tous ces hommes sont mariés n’est-ce pas ?
- Bien entendu !
- Et les fréquentations de Thomas ?
- Bien que réticent sur certaines habitudes des
personnes avec qui il a des relations professionnelles,
il pratique le golf, il a ses entrées dans les galeries de

230
peinture. Il est souvent invité au sein d’associations
culturelles.
- Habitudes très bourgeoises, tout ça !
- Oui, mais cela fait partie de son travail, il est très
sollicité par toutes ces personnalités. Je pense que
c’est pour cette raison qu’il n’en parle pas. Il sait que
tu es une personne qui n’a aucun rapport avec celles
qu’il est obligé de fréquenter.
- Il est certain que ce n’est pas mon univers. Il risque
de s’ennuyer très vite avec moi.
- Au contraire, il s’intéresse à toi justement parce que
tu ne leur ressembles pas, tu es quelqu’un de simple et
sans artifice.
- Merci Caroline, j’avais besoin d’en savoir plus sur
lui. J’avais peur qu’il me cache quelque chose.
- Non, je t’assure, fais-lui confiance. Si je peux te
donner un conseil, prends le taureau par les cornes,
bouscule-le un peu.

231
- D’accord, je vais t’écouter ! Je te laisse, car c’est
déjà l’heure de retourner travailler.
- Tiens-moi au courant, d’accord ?
- D’accord, sans problème.

Célia se sentait rassurée après le départ de son amie.


Elle s’avança au maximum dans son classement avant
de quitter l’agence.
En rentrant chez elle, elle appela Thomas pour
l’inviter à dîner, elle avait tant de choses à lui dire…

En arrivant ce mercredi matin, Célia remarqua de la


lumière dans l’agence. Elle ouvrit la porte et trouva
Bertrand dans son bureau.
- Vous êtes de retour ou est-ce un bref passage ?
- Il était temps que je reprenne les rênes de cette
agence, je ne pouvais pas laisser toute cette
responsabilité sur vos seules épaules, si
232
consciencieuse soyez-vous ! Mais rassurez-vous, j’ai
fait appel à une personne qui est auprès de notre ami.
D’ailleurs, son agresseur semble être celui qui avait
été arrêté pour attaque à main armée, non pas dans
une banque, mais dans une bijouterie grâce au
témoignage d’Antoine. Il était présent dans la
boutique au moment des faits, et il était devenu le
principal témoin. Antoine s’est souvenu, que cet
homme était entré dans notre agence, pour demander à
visiter un appartement sur Toulouse. L’homme s’est
aperçu qu’il le dévisageait un peu trop et, en quelques
secondes, il a fait le rapprochement avec l’attaque de
la bijouterie, cinq années plus tôt, et c’est pour cette
raison qu’il l’a agressé.
- On connaît son nom ? Son visage ?
- J’attends des nouvelles de mon ami policier. Il doit
me faire parvenir une photo que nous allons soumettre
à Antoine. S’il reconnaît cet homme comme son
agresseur, il retournera en prison aussitôt.

233
- Bien, pour ma part, André a dû me laisser du
courrier à taper, je vais m’y mettre tout de suite.
- Je l’ai vu hier soir, il avait l’air très heureux de
travailler pour nous.
- Il n’est pas très bavard, mais il semble bien connaître
le monde de l’immobilier.
- Il a surtout beaucoup à faire. Il est commercial dans
notre domaine, mais les visites de maisons ou
d’appartements qu’il effectue pour nous, est en plus
de son travail.
- Il va continuer à travailler pour nous pendant
l’absence d’Antoine ?
- Bien entendu, notre ami ne pourra certainement pas
reprendre ses activités avant au moins un mois. Je vais
vous laisser travailler. De mon côté, je dois rendre
visite à une personnalité, qui cherche une villa à louer
pour les vacances. A plus tard !

234
Célia poussa un grand soupir et se concentra sur son
travail. Aux alentours de midi, elle vit arriver Thomas.
La veille, elle lui avait parlé de Régis avec lequel elle
était allée déjeuner. Il avait grimacé devant cette
révélation, puis il comprit qu’elle avait voulu
remercier son sauveur, se sentant redevable. Elle lui
parla de l’histoire de Régis et de sa proposition d’un
dîner avec sa compagne et Thomas. Il allait rappeler
pour fixer une date.

Ils avaient fermé l’agence pour aller déjeuner à


l’extérieur. Ils choisirent un restaurant italien et
commandèrent rapidement. En attendant d’être servis,
Célia lui dit qu’elle avait posé quelques jours de
congé pour rendre visite à ses parents, pour la fête des
mères. Thomas lui confia que, lui aussi, allait se
rendre chez ses parents pour cette même fête, mais
qu’il se sentirait bien seul sans elle.
Il la raccompagna devant la porte de l’agence, en lui
promettant de l’appeler le soir même.
235
*

Installée derrière son bureau, Célia avait pratiquement


terminé la frappe des rapports de visites laissés par
André, quand Bertrand fit son apparition. Il était
souriant :
- Je viens de faire signer un contrat de location
saisonnière d’une superbe villa et j’ai deux rendez-
vous importants pour demain matin. Pensez à regarder
les messages sur l’ordinateur avant de partir ce soir,
j’attends des documents.
- Je ne manquerai pas d’y aller voir. En parlant de
messages, savez-vous si Antoine a reçu d’autres
messages menaçants sur son téléphone portable ?
- Il ne m’a rien dit à ce sujet !
- Si vous le permettez, je vais regarder.
- Faites, on ne sait jamais !

Elle consulta la messagerie d’Antoine. Elle y trouva


un message de son fils, un de sa mère, et un autre de
236
son ex-femme. Enfin le dernier message, lui fit froid
dans le dos : « Alors Antoine ? On est sorti de
l’hôpital et on n’est pas rentré à la maison ? Tu
crains pour ta vie, c’est ça ? Tu as raison, tu peux
trembler, je vais te retrouver plus facilement que tu
ne le crois. Ta petite assistante, tu sais, Célia ? Elle
va me donner bien gentiment l’adresse où tu te
caches. À très vite ! ».

À ces mots, Célia avait pâli :


- Bertrand, il n’y a pas encore de message pour vous,
mais par contre, parmi ceux destinés à Antoine, il en
est un que je vais vous faire écouter, il fait peur !
À peine avait-il fini d’écouter ce message menaçant,
Bertrand décrocha son téléphone pour appeler
Antoine. Ils discutèrent un moment puis il raccrocha.
Il prit le temps de réfléchir, puis appela son ami
policier. Il alla s’isoler un peu et, plus tard,
s’adressant à Célia :

237
- Quelqu’un va vous prendre ce soir pour vous
accompagner chez vous. Une voiture restera en
surveillance devant votre domicile. Pour Antoine, il
sera protégé aussi. N’ayez crainte, ils vont l’avoir ce
malade.
- Avouez que cette menace fiche la trouille !
- Je sais. Cela me fait peur aussi, mais on va trouver
ce type.

En fin d’après-midi, une voiture banalisée se gara


devant la porte de l’agence. Célia monta dans le
véhicule. Un moment plus tard, elle se retrouva
devant son immeuble et descendit en remerciant le
policier qui l’avait accompagnée. Elle entra très vite
dans le hall, prit son courrier et grimpa les marches
des escaliers deux par deux. Une fois chez elle, elle
referma sa porte à double tour et s’approcha de la
fenêtre afin de s’assurer que la voiture de police était
bien restée en surveillance devant l’immeuble. Ensuite

238
seulement, elle pénétra dans sa salle de bains pour
prendre une bonne douche.

Enfin revigorée, elle se prépara une salade composée


qu’elle mangea avec appétit et termina son repas avec
quelques cerises bien juteuses. Elle nettoya ensuite le
peu de vaisselle utilisée pour son dîner et après avoir
rangé le tout, elle s’installa dans son canapé. Trouvant
son appartement un peu trop calme, elle alluma son
téléviseur, puis elle se releva pour se diriger vers la
fenêtre afin de s’assurer une fois de plus que la
voiture de police était toujours présente. Le véhicule
n’avait pas bougé, l’officier de police n’allait pas
tarder à être relayé.
Elle retourna s’asseoir sur son canapé et commença à
zapper avec la télécommande du téléviseur, Les
différents programmes proposés la laissèrent
indifférente, elle opta tout de même pour une émission
sur le réchauffement climatique, suivie d’un débat, Le
magazine lui avait plu, mais le débat qui suivait entre
239
les différents invités, tourna vite à la cacophonie, elle
décida d’y mettre fin en éteignant le téléviseur.

Thomas n’ayant pas appelé, elle eut un regard vers la


table du salon, Le livre de Marie attendait sagement
que l’on veuille prendre connaissance de la suite du
récit, ce que fit Célia en ôtant le marque-page.

*
Décembre 1998

Encore un Noël sans Yanis, juste avec mes parents et


Sylvain. J’ai reçu une carte d’Elias qui me souhaite
de bonnes fêtes de fin d’année. Il a glissé dans
l’enveloppe, une photographie de notre enfant et une
autre où il est entouré de ses enfants et de sa femme.
Enfin, je peux voir à quoi ressemble sa nouvelle
épouse. Elle a de très jolis yeux, on devine une peau
très mate et des cheveux ébène sous son voile. Elle a
240
un ventre énorme, elle est sans doute prête à
accoucher. Le regard de celle-ci sur les enfants,
semble protecteur. Cela me rassure. Yanis ne sourit
pas sur la photographie où il est seul, mais sur la
photographie familiale, il a un sourire complice avec
son demi-frère. Elias me demande tout de même si je
vais bien et si je vis toujours chez mes parents. Je
pense que je vais lui écrire pour la nouvelle année.

Mes parents semblent inquiets de ma relation avec


Sylvain, ils voient d’un mauvais œil son penchant
pour l’alcool. Je n’ai pas eu le courage de leur dire
qu’il avait perdu son emploi, suite à la suppression de
son permis de conduire pour conduite en état
d’ivresse. Il est au chômage depuis deux mois
maintenant.
Dans la société qui m’emploie, tout va pour le mieux.
J’ai eu l’heureuse surprise d’une prime de Noël de
deux mille francs ! Le patron m’a même promis une

241
augmentation de salaire pour le printemps prochain,
il a l’air content de mon travail. Mes collègues qui
ont plus d’ancienneté que moi, ont eu une prime plus
importante, ils travaillent dur et le méritent. Nous
sommes tous heureux de travailler ici, l’ambiance est
bonne. Mes cours d’anglais progressent, je me
débrouille pas mal.

***

Célia reposa le livre. Elle sentait que la vie de Marie


n’allait pas être de tout repos.

242
En se levant ce jeudi matin, elle jeta un coup d’œil à
la fenêtre pour s’assurer que la voiture banalisée de la
police était toujours garée devant son bâtiment. Ce
n’était pas la même voiture, mais cela suffit à la
tranquilliser. Ce premier jour de congé, allait être
chargé. Elle avait quelques derniers achats à faire pour
son départ le lendemain. Choisir le cadeau qui
convenait pour sa mère et faire l’acquisition de tenues
plus légères, car en ce début de juin, les températures
frôlaient déjà les vingt-huit degrés et enfin, boucler sa
valise avant le dîner prévu dans un restaurant choisi
par Thomas. Elle sortit de chez elle tout en inspectant
les alentours, puis s’avança vers la voiture banalisée.
L’officier de police lui ouvrit la porte arrière de la
voiture et lui demanda à quel endroit il devait la
déposer. Un peu gênée d’utiliser les services de la
police pour aller faire ses achats, elle donna l’adresse
de l’agence immobilière. Elle en profiterait pour

243
interroger Bertrand sur la santé d’Antoine et pour
s’informer sur le portrait de son agresseur.

Son patron fut étonné de la voir pousser la porte de


l’agence :
- Un souci Célia ?
- Non, je passais juste pour prendre des nouvelles
d’Antoine et savoir si vous avez pu obtenir la photo
de son agresseur !
- Je vois, vous voulez connaître la tête de celui qui a
menacé de se servir de vous, pour vous faire avouer
l’adresse d’Antoine. J’ai effectivement reçu la photo
que mon ami m’avait promise.
Il sortit du tiroir de son bureau une photographie qu’il
lui tendit.
- La voici, comme vous pouvez le voir, il ressemble à
monsieur tout le monde, mais je comprends qu’avant
de partir en congé, vous vouliez vous assurer de n’être

244
pas suivie par cet homme. Vous pouvez en faire une
photocopie et la garder sur vous.

Elle ne se fit pas prier et fit une copie en couleur.


Satisfaite, elle la rangea dans son sac à main.
- Merci, et Antoine comment va-t-il ?
- Il va bien, quelqu’un est auprès de lui, il est en
sécurité.
- Encore merci. Je vais partir rassurée. À bientôt
Bertrand !
- Bonnes vacances, Célia.

Dans la rue, elle était sur ses gardes. Elle s’était


imprégné du visage du suspect et était prête à hurler
s’il apparaissait devant elle. Elle avait décidé de
passer en premier, par la boutique de Caroline pour
ses achats vestimentaires, soit une vingtaine de
minutes de marche.

245
Lorsqu’elle pénétra enfin dans le petit magasin de son
amie, elle était essoufflée d’avoir marché trop vite.
Caroline s’en inquiéta :
- Tu as couru ?
- Non, j’ai marché vite, c’est tout 
- Toujours peur de rencontrer l’agresseur d’Antoine ?
- Un peu oui. Mais maintenant, j’ai sa photo, Bertrand
l’a reçue hier de son ami policier et j’en ai fait une
photocopie.
- Je peux voir ?
- Oui, tu peux même en faire une copie aussi.

Caroline scruta le visage de l’homme qu’elle avait


sous les yeux et lui fit part de son impression :
- Il n’a pas l’air d’une personne dangereuse, c’est
plutôt monsieur tout le monde !
- Oui, tu as raison, il passe totalement inaperçu et
c’est bien ce qui le rend encore plus dangereux.

246
- C’est sans doute vrai. A part ça, tes préparatifs pour
ton départ ?
- Justement, j’ai besoin de quelques vêtements plus
légers et aussi quelque chose de classique, sans être
trop voyant.
- Je vais te trouver ça. Assieds-toi un instant, je
reviens.
Pendant que Caroline se dirigeait vers l’arrière-
boutique, Célia jeta un œil à travers la vitrine qui
donnait sur la rue. Tout semblait calme. Elle était dans
ses réflexions, quand son amie revint avec les bras
chargés.
- Allez, viens, suis-moi dans la cabine d’essayage, je
t’ai trouvé des tenues sympas.
- Avec tout ce que tu as choisi, j’en ai pour au moins
une heure dans cette cabine !
- Laisse-toi faire, cela fait du bien au moral d’essayer
un tas de robes, prends ton temps.

247
Elle dut reconnaître, que passer chaque vêtement
choisi par Caroline, la mettait en valeur et lui donnait
du plaisir. Elle ressortit de la cabine avec trois robes,
quelques tee-shirts et débardeurs. Son amie la félicita
pour ses choix :
- Te voir sourire en quittant ma boutique, c’est le plus
beau cadeau que tu puisses me faire.
- Tu avais raison, faire des achats vestimentaires
donne autant de plaisir que de piocher dans une boîte
de bons chocolats. Je vais te laisser mes emplettes
pour le moment, car j’ai encore quelques petites
choses indispensables à acheter. Je passe les prendre
ensuite !
- Pas de problème, je te les garde.

Dehors, elle se pressait pour se rendre dans l’un des


magasins préférés des femmes, pour acheter crèmes
de soins, maquillages et parfums. Enfin, elle retrouva
Caroline et celle-ci appela un taxi pour Célia.
248
- Tu es chargée comme un mulet, je ne vais pas te
laisser rentrer en bus !
En réalité, elle avait peur pour son amie, depuis
qu’elle lui avait présenté la photo de l’homme qui
avait menacé de s’en prendre à elle. Un peu plus tard,
un taxi se garait devant le magasin. Célia embrassa
son amie qui lui souhaita un bon séjour chez ses
parents.

Rentrée chez elle, elle prépara sa valise et se glissa


sous la douche. Ensuite, elle déjeuna de deux œufs à
la coque avec une salade verte. Elle voulait manger
léger, car Thomas viendrait la chercher en soirée pour
dîner dans un restaurant.
Elle fit un peu de ménage, puis elle se détendit et
décida de rester chez elle pour lire la suite du récit de
Marie. Bien installée dans son canapé, un verre de jus
d’orange bien frais sur la table du salon, elle ouvrit le
livre de Marie.
***
249
Février 1999

Je viens de recevoir une lettre d’Elias. Sa femme vient


d’accoucher d’une petite fille. Il a joint une photo
prise à l’hôpital. Sa femme a le bébé dans les bras et
Yanis, son demi-frère et Elias, sont assis à ses côtés.
A part la mère, personne ne sourit.
Elias ne dit toujours pas quels sont les prénoms de
ses enfants, ni celui de sa femme. Pourquoi ? Etait-ce
un mariage arrangé ? Il parle de sa mère qui perd la
tête depuis la mort de son père. Il dit que sa femme
refuse de s’en occuper, qu’elle a trop de travail avec
les enfants. C’est donc la femme de son frère qui en a
la charge et cela fait des histoires entre les deux
familles. Il ne semble pas heureux, il ne parvient pas
à nourrir correctement sa famille. Son frère lui mène
la vie dure.

250
Je me demande toujours pourquoi il se confie à moi,
après ce qu’il m’a fait. Je pense que cela confirme ce
que je pensais déjà, il n’a pas d’ami.
Avec Sylvain, ça ne va plus. Il ne fait aucun effort
pour retrouver du travail. J’en ai parlé à Vanessa,
une collègue de travail avec qui je m’entends bien.
Elle m’a conseillé de partir de chez lui. Elle propose
une colocation chez elle, le temps de me trouver un
logement. Je crois que je vais accepter, car je ne
supporte plus les beuveries de Sylvain et je ne
souhaite pas donner du souci à mes parents.

J’ai gardé des contacts avec l’association qui


s’occupe des enlèvements illicites d’enfants à
l’étranger. J’ai demandé si je pouvais travailler avec
eux, même bénévolement, en dehors de mon travail.
Ils vont me rappeler.

***

251
Célia venait de comprendre que, malgré son travail
qui lui plaisait, Marie avait une vie ennuyeuse et que
son compagnon, Sylvain, ne lui apportait rien de bon.
Sa demande pour travailler bénévolement à
l’association, prouvait qu’elle avait besoin de côtoyer
ces femmes à qui l’on avait enlevé leur enfant.
Elle referma le livre et alla s’habiller, Thomas n’allait
pas tarder.

Lorsqu’il avait sonné à l’interphone, Célia était


descendue aussitôt. Elle monta dans la voiture et,
après un long baiser, ils prirent la route de Toulouse.
Célia se demandait quel était le restaurant choisi par
Thomas.
« Le Mas de Dardagna ». C’est une jolie maison de
briques, en pleine campagne. Destination idéale pour
les repas romantiques du soir.
Le patron leur avait proposé : une poêlée de girolles,
une pièce de veau du Ségala accompagné de céréales
fèves et petits pois, et enfin un cheese-cake aux fruits
252
rouges et spéculoos. En connaisseur, Thomas avait
choisi le vin approprié. Durant le repas, ils parlèrent
tous deux de leurs familles réciproques, afin d’avoir
une idée des personnages.

Ils étaient ressortis du restaurant, ravis des mets dont


ils s’étaient régalés, se promettant d’y retourner
prochainement.
La route du retour se fit dans le silence. Ils allaient
être séparés durant une semaine et celle-ci allait leur
sembler longue. L’envie de se retrouver dans les bras
l’un de l’autre, serait attendue avec impatience. Avant
de descendre de la voiture, Célia se tourna vers
Thomas, l’embrassa et se sauva sans se retourner.

253
CHAPITRE 12

Célia s’était réveillée tôt, heureuse à l’idée de passer


quelques jours avec ses parents. Après un petit-
déjeuner copieux, elle appela un taxi pour se rendre à
la gare, direction Biarritz.
*
Il faut savoir qu’à l'origine, Biarritz n'était qu'un petit
village de pêcheurs à la baleine, puis cette ville est
rapidement devenue une station balnéaire
harmonieuse et raffinée. Située entre montagnes et
mer, Biarritz offre un cadre naturel idéal propre au
Pays Basque. La ville est construite sur une suite de
collines le long de la côte. Elle donne directement sur
différentes criques et plages comme la grande plage,
la côte des Basques ou le port des pêcheurs.
*

254
Lorsque ses parents étaient partis à Biarritz pour leur
retraite, ils avaient vendu leur maison de Castelginest.
Célia en avait été profondément peinée, car c’était la
maison de son enfance, mais elle comprenait fort bien
qu’ils n’avaient pas eu d’autre choix. Leur départ
l’avait bouleversée, pourtant, elle avait déjà trente ans
et était tout à fait capable de se débrouiller seule. Elle
pensait souvent que si elle avait eu un frère ou une
sœur, la séparation aurait été moins difficile.

À son arrivée à la gare de Biarritz, son père Thierry


l’attendait. Ils s’embrassèrent longuement puis il
incita Célia à se hâter, car il était garé en double file.
Pendant le trajet, il lui posa des questions sur Thomas.
Célia lui promit de répondre à ses questions lorsqu’ils
seraient arrivés. Le domicile de ses parents était situé
tout près d’une petite église. Cette vieille église
catholique, apostolique, était en fait connue pour les
désenvoûtements des maisons, exorcismes sur la
personne, sorcellerie et autres mauvais sorts, etc…
255
Un rideau avait bougé et, presque aussitôt, la porte
d’entrée s’était ouverte sur le sourire de Corinne, sa
maman. Elle s’avança pour ouvrir le portail de la
maison. À peine descendue de voiture, Célia se
retrouva dans les bras de sa mère qui la serra très fort.

Ils s’installèrent confortablement dans la salle de


séjour, devant des boissons fraîches. Célia savait
pertinemment que ses parents ne la laisseraient pas
tranquille, tant qu’elle n’aurait pas parlé de Thomas.
- Je sais que vous souhaitez mon bonheur, mais je ne
connais Thomas que depuis deux mois, nous nous
entendons très bien et pour l’instant, nous apprenons à
nous connaître mieux.
Elle leur précisa qu’il n’y avait rien de décidé pour le
moment, mais qu’elle avait l’espoir que cette aventure
devienne sérieuse.

256
Ensuite, Célia invita ses parents à déjeuner au
restaurant. Elle avait réservé dans en endroit qui avait
un petit sas à l'entrée, bien discret, et plein de charme.
Puis, ils furent agréablement reçus par la maîtresse de
maison, qui leur proposa des rillettes de crabe royal en
gelée d'huîtres ; une barbue sauvage rôtie au jus de
viande et herbes fraîches et des frites de polenta... et
enfin la fraise de Plougastel : cubes de fraise et citron-
bergamote.
Le repas fut un vrai régal et Célia promit à la
maîtresse de maison, de lui faire de la publicité, sitôt
rentrée à Toulouse. De leur côté, les parents de Célia
ne tarissaient pas d’éloge sur ce restaurant plein de
charme.

Avant de rentrer, elle décida de faire un tour à la plage


et, si la température de l’eau était agréable, elle se
laisserait tenter. Les parents, eux, n’avaient pas
souhaité la suivre et rentrèrent chez eux.

257
Sur la plage, les baigneurs étaient nombreux. Le soleil
tapait fort, ce qui décida Célia à plonger son pied dans
l’eau pour prendre la température. Elle s’élança alors
vers la mer et pénétra dans l’eau, en s’aspergeant un
peu avant de se lancer. Une heure plus tard, elle
rentrait. Ses parents la bombardèrent de questions sur
son travail et sur son collègue de travail Antoine.

Ce dimanche était le jour de la fête des mères. Célia


se réveilla par le cri des mouettes par la fenêtre qui
était restée ouverte. Elle attrapa le cadeau qu’elle avait
acheté pour sa maman et descendit les escaliers à pas
feutrés. L’une des marches avait grincé et elle fut vite
repérée. Corinne passa la tête pour découvrir sa fille
avec un paquet dans les mains. Célia lui tendit :
- Bonne fête maman. Je vais t’aider à mettre la table
pour le petit-déjeuner.

258
- C’est prêt, va t’installer dans la salle à manger, ton
père est parti chercher les croissants.

Thierry entrait au même instant, les bras chargés de


viennoiseries. Il s’approcha de sa femme et lui tendit
un gros bouquet de fleurs.
- Bonne fête ma chérie.
- Merci beaucoup. Je vais les mettre tout de suite dans
un vase.

Thierry s’était installé à côté de Célia et attendait que


sa femme revienne, pour découvrir ce que sa fille
avait offert à sa mère. Corinne ouvrit le paquet. Un
beau coffret à bijoux venait de sortir de l’emballage.
Une fois le couvercle soulevé, il s’échappa aussitôt
une jolie mélodie qui emplit la pièce. Corinne
s’empressa d’embrasser sa fille.
- Il est magnifique, merci Célia.

259
Dans la matinée, ils sortirent tous les trois pour se
rendre au marché. Corinne avait tout prévu pour ce
dimanche spécial. Le gigot d’agneau accompagné de
légumes frais. Le fraisier commandé la veille chez le
pâtissier par son père. Célia était heureuse de se
retrouver en famille, des moments rares, ces derniers
temps.

Comme la veille, Célia était partie à la plage, voulant


profiter au maximum de la baignade en mer. Elle posa
sa serviette et son chapeau de soleil sur la plage et
s’empressa de se mettre à l’eau. Elle plongea sous les
vagues et s’éloigna vite du rivage. Elle croisa un
baigneur qui semblait à bout de souffle, mais tentant
néanmoins de rejoindre la bouée la plus proche, à une
vingtaine de mètres maintenant. Célia ralentit son
mouvement, pour nager à ses côtés et l’inciter ainsi à
franchir en douceur la distance jusqu’à la bouée, sur
laquelle ils se hissèrent. Après avoir repris son

260
souffle, l’homme remercia Célia d’être resté à ses
côtés jusqu’au bout.
- Je croyais la bouée plus près, j’ai paniqué.
Heureusement que vous étiez là. Merci beaucoup,
mademoiselle ?
- Célia, je suis en vacance chez mes parents et vous ?
- Luc, un quinquagénaire qui se croyait encore jeune
et qui vient de se faire dépasser par une charmante
jeune femme !
- Ne vous sous-estimez pas Luc, j’étais maître-nageur
il y a encore trois ans, et je m’entraîne régulièrement
en piscine. J’ai une certaine forme physique, c’est
tout.
- Au retour, laissez-moi vous offrir un verre ou une
glace, à votre choix.
- J’accepte volontiers.

Ils s’accoudèrent au bar de la plage et Luc entama la


conversation :
- D’où venez-vous charmante Célia ?
261
- De Toulouse, je travaille pour une agence
immobilière, mes parents sont venus s’installer ici
récemment, pour leur retraite. Et vous ?
- Je suis de Lyon, j’ai de la famille ici, j’y viens le
plus souvent possible. Je suis divorcé et j’ai deux
grands enfants. Et vous vous êtes mariée ?
- Non, une histoire qui commence avec Thomas, qui
est aux petits soins avec moi. Il est lui aussi auprès de
ses parents pour la fête des mères.
- Je vous souhaite tout le bonheur possible, Célia.

À cet instant, quelqu’un interpela une certaine Cécile.


Une main se posa sur l’épaule de Célia et l’homme
qui s’adressait à elle, lui dit en riant :
- Alors Cécile, on fait sa bêcheuse, on ne reconnaît
pas ses copains de fac ?

Célia se retourna et, d’un air amusé, lui rétorqua :

262
- J’ignore qui vous êtes, mais il semblerait qu’il y ait
confusion. Je ne m’appelle pas Cécile, mais Célia et je
n’ai jamais été à la fac dans cette région.
- Bon d’accord, tu ne souhaites pas me parler, tu m’en
veux toujours de t’avoir laissé pour Bénédicte ?
- Écoutez, je ne sais pas avec qui vous me confondez,
mais je vous assure que je ne suis pas Cécile !
- Alors vous êtes son sosie parfait. Dommage que je
n’ai pas une photo sur moi, vous pourriez voir
combien vous lui ressemblez. Excusez-moi Célia.

Le type parti, Luc riait de la situation :


- Si vous avez votre sosie dans la région, méfiez-vous,
vous pourriez avoir d’autres anciens petits-amis qui
viendraient pour relancer, en vous prenant pour cette
Cécile.
- Cela pourrait être drôle ! Je vais vous laisser Luc et
merci pour cette invitation. Peut-être à bientôt ?
- À bientôt Célia !

263
En revenant au domicile de ses parents, Célia pensait
qu’elle aurait vraiment aimé voir le visage de son
sosie, tout en espérant n’avoir rien à voir avec cette
Cécile.

Le soir au dîner, elle leur raconta sa petite


mésaventure en riant.
- Il paraît que nous avons tous notre sosie quelque
part. Dommage que j’ai loupé celle qui me ressemble
tant.

Ses parents ne semblaient pas prendre la chose à la


rigolade :
- Tu sais que cela pourrait être dangereux ? répondit
Corinne.
- Pourquoi donc ?
- Ta ressemblance avec cette fille, il pourrait y avoir
usurpation d’identité si tu n’y prends pas garde.

264
- Tu regardes trop de films maman, c’est juste une
coïncidence !

Elle se leva, embrassa ses parents et se dirigea vers sa


chambre.
Avant de s’endormir, elle envoya un message à
Thomas et son amie Caroline, disant qu’elle était
heureuse d’être auprès de ses parents.

Les jours passaient trop vite et déjà Célia reprenait le


train pour Toulouse. Elle rentra éreintée à son
domicile et s’affala de tout son long sur son lit.

*
Ce lundi, elle se leva d’un bond et se précipita sous la
douche, elle était en retard et elle n’aimait pas ça. Elle
ferma la porte de son appartement et courut jusqu’à
l’arrêt de bus.
Elle sortit son trousseau de clés en voyant que
l’agence était encore fermée, malgré son retard d’un
265
quart d’heure. Lorsque le rideau de fer fut soulevé,
elle remarqua de suite que quelque chose d’anormal
était arrivé. Tout était sens dessus dessous, les chaises
et fauteuils étaient tombés sur le sol. Dans la cuisine,
elle trouva des restes de repas sur le bureau de
Bertrand et la photo du suspect de l’agression
d’Antoine. Devant un tel capharnaüm, elle tenta
d’appeler sur le portable de son patron, mais tomba
directement sur sa messagerie. Elle laissa un message
et appela Caroline pour lui faire part de ses
inquiétudes. Celle-ci lui répondit qu’elle arrivait tout
de suite et lui conseilla d’appeler la police. En
attendant l’arrivée de son amie ainsi que celle de la
police, elle se prépara un thé. Elle avait besoin d’y
voir clair.

Caroline arriva pratiquement en même temps que la


police. Célia répondit avec calme aux questions des
policiers et émit la possibilité d’un enlèvement de son
patron par l’agresseur d’Antoine.
266
Elle les informa des menaces téléphoniques sur le
portable de ce dernier, et leur confia la photo de
l’agresseur qui venait tout juste de sortir de prison.
Les policiers lui demandèrent l’adresse de son patron
pour voir si les soupçons de Célia étaient justifiés. Ils
lui conseillèrent de rester à l’agence pour le moment,
le temps de vérifier la présence ou non de son patron à
son domicile.

Son amie ne pouvait pas rester avec elle, elle devait


ouvrir sa boutique. Célia la rassura :
- Ça va aller, la police va rappeler pour m’informer de
ce qu’ils vont découvrir chez mon patron. En
attendant, je vais fermer derrière toi. Merci de t’être
déplacée pour moi !
- Ferme bien la porte et fais attention à toi. Veux-tu
que j’appelle Thomas ?
- Non, inutile de l’affoler. Je vais remettre de l’ordre
dans toute cette pagaille.

267
Le coup de fil de la police arriva une heure plus tard,
l’appartement de Bertrand était vide et, lui aussi, était
dans un désordre indescriptible. Célia s’affola et leur
confia que son patron avait caché chez lui son associé
menacé de mort par son agresseur. Elle avait peur
pour eux. Ils lui proposèrent d’appeler un taxi pour
rentrer chez elle en fin de journée. Pour la rassurer, ils
lui certifièrent qu’une voiture de police ferait des
rondes autour de son bâtiment, dès ce soir. En
attendant, ils allaient mener leur enquête sur la
disparition de son patron.

Après avoir tout remis en place, elle chercha l’agenda


de Bertrand. Elle finit par le trouver au fond d’un
tiroir. Avait-il cherché à le cacher ? Elle le feuilleta
rapidement et consulta ses rendez-vous des derniers
jours. Quelques visites aux domiciles de clients

268
éventuels, un rendez-vous chez son dentiste, un autre
chez son coiffeur, rien d’extraordinaire.

En voulant le remettre là où elle l’avait trouvé,


l’agenda lui glissa des mains et une enveloppe tomba
de celui-ci. Son prénom y était inscrit. Rapidement,
elle consulta le message qui lui était destiné :
Célia, j’espère que vous trouverez ce mot, car je
pense que des micros ont été installés ici. J’ai
constaté, à plusieurs reprises que j’étais suivi. J’ai
donc mis Antoine à l’abri, ailleurs que chez moi. Je
ne vous dirai pas où, car vous pourriez croiser
l’homme qui a agressé Antoine. Il est toujours à sa
recherche. Mon ami policier m’a promis de veiller
sur vous à votre retour de congé. Je vais faire tout
mon possible pour être présent le jour de votre
reprise à l’agence.

Elle décida de garder son calme. L’absence de


Bertrand, ne signifiait pas pour autant qu’il lui était
269
arrivé quelque chose. Son appartement avait été
fouillé certes, mais il n’était peut-être pas chez lui à ce
moment. L’agresseur d’Antoine, cherchait une adresse
où le trouver. Elle se rassura du mieux qu’elle put.
Enfin, elle décida d’écouter les messages destinés à
l’agence et ceux plus personnels concernant Antoine.
Ceux de l’agence n’avaient rien d’urgent. Ceux
d’Antoine par contre, devenaient de plus en plus
menaçants. Elle en avait relevé au moins dix par jour
de la même personne, sans doute celle sur la photo.
Elle pensa un instant appeler Caroline pour lui faire
part de ce qu’elle avait découvert, mais elle se ravisa
aussitôt, en se souvenant ce que Bertrand lui avait
laissé entendre, au sujet de micros installés dans
l’agence.
Elle fit un peu de classement, et décida d’appeler
Thomas pour lui dire qu’elle passait le chercher pour
aller déjeuner. Il était ravi de son retour et lui répondit
qu’il l’attendait avec impatience.

270
Elle sortit de l’agence en prenant soin de bien
refermer le rideau de fer. Elle se baissa pour donner
un tour de clé et, en se relevant, elle faillit tomber en
heurtant une personne qui se trouvait là. Elle allait
s’excuser, quand elle reconnut l’homme de la photo,
l’agresseur d’Antoine. Il l’attrapa et tenta de la faire
monter de force dans une voiture tandis qu’elle se
débattait en criant, pour attirer l’attention des
passants.
Soudain, elle sentit qu’on la relâchait et elle entendit
une voix qu’elle reconnut tout de suite. C’était celle
de Régis. Elle se retourna, et rencontra le regard
vainqueur de celui-ci. Son agresseur était à terre et ne
bougeait plus. Encore tremblante, elle entendit Régis
la taquiner.
- Et bien Célia, je dois dire que mon idée de venir
vous inviter à déjeuner était bonne, car je crois que
l’homme qui est à terre, ne vous voulait pas que du
bien ?
271
- Merci Régis. Effectivement, cet homme est celui qui
a agressé mon collègue l’autre jour, et il le cherche
par tous les moyens. Il est dangereux, il est sorti de
prison récemment.

Un attroupement s’était créé autour d’eux et l’un des


commerçants, voisin de l’agence immobilière, avait
déjà téléphoné à la police. Régis surveillait l’assaillant
de Célia, prêt à le mettre K.O. à nouveau, s’il tentait
de s’échapper. Peu de temps après, la police arriva et
embarqua l’individu en demandant aux témoins, de
bien vouloir passer au commissariat pour déposer.

Célia se sentait soulagée et appela Caroline et Thomas


pour leur annoncer la bonne nouvelle. Elle leur
proposa un déjeuner avec Régis, qui venait de lui
sauver la vie pour la deuxième fois. Son amie accepta
aussitôt, curieuse de voir à quoi ressemblait cet ange
gardien. Thomas approuva ce déjeuner, par
reconnaissance envers cet homme courageux.
272
Avant de partir déjeuner, elle rouvrit le rideau de fer
pour laisser un mot sur le bureau de Bertrand, au cas
où il arriverait pendant son absence. Elle referma tout
de suite après.

Ils s’étaient tous donnés rendez-vous place du


Capitole. Dès leur arrivée, Thomas se dirigea aussitôt
vers Régis pour le remercier d’être intervenu à temps
pour empêcher l’enlèvement de Célia. Il invita tout le
monde à le suivre pour fêter l’arrestation de
l’agresseur.
Les deux amies suivaient les hommes qui semblaient
avoir sympathisé. Thomas s’arrêta devant « La
Cantine du Florida » qui offrait une cuisine
traditionnelle de qualité. Le repas se déroula sous les
meilleurs auspices. Caroline était subjuguée par la
gentillesse de Régis, et Thomas consentit à accepter
avec Célia, une invitation à dîner chez Régis en

273
présence de Valérie sa compagne, pour le week-end
suivant.

Après cet excellent déjeuner, ils retournèrent à leurs


occupations, chacun de leur côté. Lorsque Célia
poussa la porte de l’agence immobilière, elle trouva
un Bertrand souriant.
- Alors, il a été arrêté ? C’est bien vrai ?
- Oui, la police l’a embarqué un peu avant midi. Avec
Thomas et Caroline, nous sommes allés au restaurant
avec mon sauveur.
- Votre sauveur ? Que s’est-il passé ?

Elle lui relata son enlèvement échoué, grâce à Régis,


ce même homme qui l’avait sauvé une première fois.
Bertrand était estomaqué :
- Cet homme est vraiment courageux ou très
amoureux de vous Célia !
- Pas du tout, il a une compagne, mais il n’a pas choisi
la facilité, c’est certain.
274
- En attendant, notre ami Antoine va beaucoup mieux
et il pourra reprendre ses fonctions, dès la semaine
prochaine.
- Il a recouvré la mémoire complètement ?
- Oui, grâce à l’hypnose. À chaque séance, il a
progressé, jusqu’à reconnaître enfin son agresseur sur
la photo que je lui ai présentée. Ensuite, tout est allé
très vite, il s’est souvenu de l’attaque de la bijouterie
et de son témoignage au tribunal, puis la
condamnation du malfrat.
- Je suis heureuse pour lui, maintenant tout va rentrer
dans l’ordre. Mais vous ne m’avez pas dit où vous
vous cachiez tous les deux ?
- Grâce à mon ami qui est dans la police, il s’est
chargé de nous trouver un endroit où l’on ne pourrait
pas nous trouver. Je ne vous le dévoilerai pas, sauf si
vous étiez en danger à votre tour !
- Ce n’était pas trop difficile d’être obligé de vous
cacher ?

275
- Nous avons vécu des moments pénibles, mais vous
aussi, il me semble. Heureusement que votre ange
gardien était là, pour la seconde fois.
*

En fin d’après-midi, Thomas l’appela, pour lui


signaler qu’il ne pourrait pas venir chez elle, comme
prévu pour le dîner, un gros client tenait à l’inviter. Il
ne pouvait pas se désister, un contrat important était à
la clé. Célia le rassura, elle allait rester tranquille chez
elle et regarderait sans doute un bon film à la télé.

Aussitôt rentrée chez elle, elle se mit en tenue


décontractée et s’affala sur son canapé. Elle n’avait
pas faim, le déjeuner avait été trop copieux. Elle allait
se saisir de la télécommande du téléviseur, quand son
regard fut attiré par le livre de Marie, resté à l’attendre
depuis plusieurs jours. Son choix était fait, ce serait
Marie.

276
***
Août 1999

Une nouvelle lettre d’Elias. Sa mère a été


hospitalisée, sa belle-sœur ne veut plus s’occuper
d’elle et sa femme a refusé catégoriquement de la
prendre avec eux.
Leur petite fille se porte bien, elle a déjà six mois. Il
dit que Yanis s’occupe beaucoup de sa petite sœur.
Mon petit homme a déjà six ans. Elias demande si je
vais bien et si j’ai un homme dans ma vie. Je ne sais
pas encore si je vais lui répondre.

Je vis depuis cinq mois chez ma collègue de travail


Vanessa qui est devenue mon amie. Elle a fini par me
persuader de quitter Sylvain qui était devenu une
vraie loque. Comme mon salaire s’améliore, je
cherche une location. Vanessa dit que j’ai tout mon
temps, elle n’a personne dans sa vie pour le moment.
Mes parents sont contents de savoir que je ne suis
277
plus avec Sylvain. Ils espèrent que je vais trouver
l’homme idéal pour refaire ma vie. J’ai répondu que
je n’étais pas pressée, je n’avais que vingt-quatre
ans. Ils n’ont pas insisté.

L’association avec laquelle j’avais gardé contact,


m’a convoquée dernièrement. La responsable
madame Barrier, m’a proposé de faire du bénévolat
de temps en temps, en échange de quoi, elle
m’informerait des nouvelles lois qui vont être votées
bientôt, sur les enlèvements illicites d’enfants vers les
pays étrangers.

Pour la première fois depuis longtemps, je vais partir


en vacance, avec Vanessa. Nous avons réservé une
location de studio en Espagne. Mon amie connaît des
gens sur place, elle a promis que nous allons bien en
profiter.

***
278
Célia restait pensive. Les vacances d’été approchaient,
elle allait certainement passer quelques jours chez ses
parents et ensuite ? Est-ce que Thomas allait lui
proposer de partir à deux et profiter aussi de ces
congés pour apprendre à se connaître mieux et
envisager l’avenir ?

279
CHAPITRE 13

En se rendant sur son lieu de travail ce mardi, elle eut


droit au sourire accueillant d’Antoine.
- Bonjour Célia, heureux de te retrouver !
- Comme je suis contente que tu sois revenu, je me
suis fait un sang d’encre pour toi. Alors, comment te
sens-tu ?
- Ça va, j’ai encore quelques petits trous de mémoire,
mais je gère.
- En tout cas, tu es un vrai cachottier, car on ignorait
que tu avais un fils.
- Oui, je dois dire qu’il a été un peu effrayé de me voir
dans cet état. Je vais d’ailleurs l’avoir un peu avec
moi cet été.
- Super, je suis heureuse pour toi. Y a-t-il du café ?
- Oui, je viens de le préparer. Tu peux te servir !
- Merci, Antoine.
280
La matinée se déroula sans problème. Bertrand fit son
apparition peu avant midi et invita Antoine à venir
déjeuner avec lui. De son côté, Célia attendait
l’arrivée de Thomas pour s’en aller à son tour.
Le téléphone sonna au moment où elle s’apprêtait à
ranger son bureau. Elle reconnut aussitôt la voix de sa
mère, qui venait aux nouvelles. Elle souhaitait peut-
être entendre sa fille lui confier qu’elle et Thomas
allaient bientôt se décider à franchir le pas et se
marier. Mais elle ne pouvait pas s’avancer dans cette
discussion, tant que l’homme qu’elle aimait, n’aurait
pas fait les premiers pas dans ce sens. Elle raccrocha,
en ayant toutefois rassuré sa mère sur ses sentiments
pour lui.

On venait de frapper à la vitre. Thomas lui fit signe


qu’il l’attendait pour aller déjeuner. En sortant de
l’agence, où la climatisation était réglée sur vingt-cinq
degrés, la chaleur du dehors tomba sur les épaules de
281
Célia. Il faisait sans doute plus de quarante degrés sur
la place du Capitole, lorsqu’ils s’engouffrèrent dans
une brasserie proche, devenue habituelle pour leur
repas du midi. En attendant d’être servis, elle lui parla
du retour d’Antoine et Thomas et du contrat signé la
veille avec le client qui avait dîné avec lui.

Sur le chemin du retour, bras dessus bras dessous, ils


parlèrent vacances pour la première fois. L’un comme
l’autre, avait envie de passer quelques jours dans
l’intimité de leur tout jeune couple, tout en sachant
qu’ils devraient ne pas délaisser leurs parents. Il fut
convenu, qu’ils ne passeraient pas plus de cinq jours
chez chacun d’eux, et qu’ensuite, ils se consacreraient
dix jours rien que pour eux. Restait à choisir le lieu et
à réserver très rapidement. Célia avança qu’elle
connaissait pas mal de monde, le tout était de se
décider sur l’endroit. Thomas promit d’y réfléchir très
vite.

282
À son arrivée, l’agence était fermée, signe que
Bertrand et Antoine étaient encore au restaurant.
Après avoir ouvert la porte et, en attendant leur retour,
elle décida de lire quelques pages du livre de Marie.
***
Septembre 1999

J’ai passé de supers vacances en Espagne avec


Vanessa. Ce n’était qu’une semaine, mais c’était
génial. Grâce à elle, j’ai fait la connaissance de ses
amis espagnols et de quelques personnes qui font
partie d’une association du même type que celle dont
madame Barrier s’occupe à Toulouse. Nous avons
tout de suite sympathisé et je leur ai raconté mon
histoire. Ils m’ont assuré que même divorcée, je
pouvais demander la garde de mon enfant, dès
l’instant où j’ai un revenu correct et un logement. Je
leur ai répondu que, pour le logement, c’était en
cours, mais pour reprendre mon enfant, cela me
semblait difficile, puisqu’il m’avait été enlevé à l’âge
283
de trois mois et qu’il avait aujourd’hui six ans. De
plus, il ignorait mon existence, puisque son père ne
lui avait pas parlé de moi. Ils m’ont dit de continuer à
me battre, de ne jamais baisser les bras.

Octobre 1999

Mon petit Yanis, vient de faire son entrée à l’école


primaire. Elias m’a dit qu’il était très heureux, car
notre enfant avait l’air doué. Seul problème, le petit
était obligé d’aller à l’école à pied, ce qui
représentait une heure de route. Elias disait que son
travail ne lui permettait pas de l’amener à l’école le
matin, cela lui ferait perdre la matinée. Mais, à ce
qu’il parait, Yanis comprenait très bien et ne lui en
voulait nullement.

284
Janvier 2000

J’ai enfin trouvé un logement dans le centre-ville. Un


petit, deux pièces, dans un immeuble ancien de quatre
étages, mais très correct. Le loyer est raisonnable. Il
se situe au deuxième étage. Grâce à Vanessa, qui a
toujours plein de combines, par ses connaissances,
j’ai pu me meubler à petit-prix. Bien entendu, c’est
pour l’instant, le strict nécessaire, mais j’ai la ferme
intention de compléter mon mobilier avec un achat
tous les mois, selon mes moyens.

***
Célia leva la tête, Bertrand et Antoine revenaient. Elle
ferma à regret le livre de Marie.
Ils semblaient contents de s’être retrouvés et
plaisantaient à propos de l’amnésie d’Antoine. Elle
souriait, elle était heureuse que la bonne humeur fût

285
de retour dans l’agence. Elle proposa de leur faire un
café, ce qu’ils acceptèrent aussitôt.

Le trio commença à se raconter les derniers


évènements, tout en sirotant leur café. Lorsqu’ils
abordèrent l’agression d’Antoine, Célia lui posa une
question :
- À ton avis, pourquoi cet homme a-t-il dérobé ton
dossier personnel ? Que pouvait-il contenir qui soit si
important ?
- Tout simplement l’adresse de ma mère et celle de
mon ex-femme. Je pense qu’il voulait faire pression
sur elles pour leur faire avouer où je me cachais.
Mais, il a dû se trouver bête, en découvrant que ma
mère comme mon ex-femme, n’habitaient pas dans la
région. Il a alors trouvé plus facile, d’essayer de
t’enlever pour te faire parler. Mais, à ce que j’ai
compris, un certain Régis, qui a l’air de tenir
beaucoup à toi, se trouvait là au bon moment et a mis
une correction à ton agresseur.
286
- Il est vrai que Régis m’a sauvé la vie par deux fois,
mais ce n’est pas mon petit ami. Il a quelqu’un dans
sa vie et moi, j’ai Thomas.
- Très sympa, ce Thomas, lui aussi à l’air de tenir à
toi. C’est devenu sérieux ?
- Je ne souhaite pas trop m’avancer sur ce terrain, tant
qu’il ne s’est pas déclaré. Qui vivra verra ?

Le téléphone sonna et Célia en profita pour laisser les


deux hommes qui devenaient, un tantinet, trop
curieux. C’était un agent du commissariat de police
qui lui demandait de passer dès que possible pour
faire sa déposition au sujet de son enlèvement avorté.
Elle promit de passer le lendemain, en début de
matinée. Elle en avisa aussitôt Bertrand qui répliqua :
- Aucun problème, je serai là de bonne heure

Elle s’en retourna à son bureau et commença à classer


des documents empilés sur le bureau d’Antoine. À
peine s’était-elle installée, que la porte d’entrée
287
s’ouvrit sur le visage souriant d’André. Il se dirigea
vers Célia pour la saluer et, se déplaça vers le bureau
de Bertrand, ayant entendu les rires des deux hommes.
- Alors, on bavasse au lieu de travailler ?
- Entre, André, vient nous raconter ta journée,
répondit Bertrand.
À dix-huit heures, Célia passa la tête dans le bureau
de son patron pour lui signaler qu’elle partait, et laissa
les trois hommes en pleine discussion.

Elle décida de passer par la boutique de Caroline


avant de rentrer chez elle. Cette dernière fut surprise
de cette visite impromptue :
- Célia ? Quel bon vent t’amène ?
- J’avais envie de te voir, j’ai laissé trois hommes en
plein délire à l’agence, je me sentais un peu de trop,
alors j’ai décidé de voir mon amie Caroline !
- Qui sont donc ces trois hommes en plein délire ?
- Bertrand, Antoine et André, celui qui a remplacé
Antoine pendant son hospitalisation.
288
- D’accord, je vois. Je ne suis pas débordée de travail,
je t’offre un café ou un thé ?
- Je veux bien un thé.
Caroline revint avec deux tasses :
- Alors raconte, pourquoi t’es-tu sauvée ?
- Je ne me suis pas sauvée, mais Antoine voulait
savoir ce qu’il en était entre moi et Thomas.
- Et alors ?
- Alors je ne sais pas quoi répondre. Thomas ne se
décide pas à faire le premier pas, pourtant, je pense
qu’il m’aime.
- J’en suis certaine, mais comme je te l’ai déjà dit, il
faut le bousculer un peu.
- Je ne sais pas grand-chose sur sa vie d’avant, il a
certainement eu une autre femme ou même plusieurs,
avant notre rencontre ?
- Il a eu une femme, effectivement, dont il était très
amoureux. Mais trop débordé par son travail, il
n’avait pas beaucoup de temps à lui consacrer. Leur

289
relation n’a pas duré plus de trois ans. Ensuite, il a eu
quelques aventures, sans plus. Je pense qu’il a des
difficultés pour se déclarer, de peur que votre couple
ne dure pas à cause de son travail. Il est souvent
sollicité pour des dîners, des déjeuners, même parfois
le week-end. Il n’a pas vraiment le choix, s’il veut
conserver son poste.
- Tout cela n’est pas grave, je le comprends, mais tout
ce que je demande, c’est de ne pas être obligée d’aller
avec lui à ces dîners.
- Je vois, mais toi, est-ce que tu lui as parlé de ta vie
d’avant ?
- Il n’y a pas grand-chose à dire, tu le sais bien. Juste
quelques aventures qui n’ont pas abouti, lorsque
j’étais professeur des écoles. Mais depuis que je
travaille à l’agence immobilière, je me suis contentée
de venir à tes soirées pour me distraire, sans essayer
pour autant de trouver l’homme idéal. J’étais bien trop
déçue de mes rencontres passées.

290
- Il va pourtant falloir que vous vous décidiez à en
parler tous les deux, je ne vais pas jouer les
entremetteuses pour vos beaux yeux, répondit
Caroline en riant.
- Tu as raison, je vais essayer de le bousculer un peu.
Bon, je vais te laisser, demain matin, je dois passer au
commissariat pour témoigner de mon agression.
- Je t’accompagnerai, pas de problème.
- Merci, à demain.

Célia était songeuse en sortant de la boutique de son


amie. Comment allait-elle aborder Thomas pour le
décider à s’engager ?
Dans le bus qui la ramenait à Castelginest, elle décida
qu’elle l’appellerait ce soir. Puis, elle sortit le livre de
Marie, elle avait le temps de lire quelques pages de
son récit.

***

291
Avril 2000

Un nouveau courrier d’Elias vient de me parvenir, sa


maman est décédée. Il a l’air très malheureux. Il dit
qu’il n’a plus que son frère, mais ce dernier ne lui
parle plus suite à une dispute au sujet de
l’enterrement de leur mère. Elias voulait faire faire
un caveau, afin que ses deux parents puissent être
ensemble, mais son frère a refusé, arguant qu’il
n’avait pas les moyens. Leur vie était déjà assez
difficile comme cela. Elias me dit que même sa femme
est contre lui, il ne lui reste que ses enfants pour tenir
le coup. Je le sens à bout, mais que faire ? Nous
sommes divorcés. Je vais lui répondre qu’il faut tenir
pour Yanis.

Mon appartement commence à prendre tournure.


Chaque mois, j’achète quelque chose pour le décorer.
Mon employeur a augmenté mon salaire, je peux

292
enfin respirer. Mes parents sont heureux de voir que
j’arrive à m’en sortir.
Vanessa a rencontré quelqu’un, je pense que c’est
sérieux. Bien entendu, elle est moins présente pour
moi, mais c’est naturel. Je suis heureuse pour elle,
elle le mérite.

Juillet 2000

Je vais de plus en plus souvent à l’association.


Madame Barrier compte sur moi pour recevoir des
femmes qui connaissent les mêmes tourments que
ceux que j’ai connus. Elle pense que je suis prête
pour tenir une réunion à sa place et renseigner les
intéressées sur les démarches qu’elles vont devoir
entreprendre.
Je m’y suis préparée et je m’informe au jour le jour
sur les nouvelles lois qui concernent les
« enlèvements illicites d’enfants à l’étranger ».

293
J’ai un peu peur, mais il faut que je le fasse, je
penserai très fort à Yanis.

***

Un coup de frein lui avait fait lever la tête, Célia


essaya de se repérer. Elle était presque arrivée, elle
rangea son livre avec regret. Marie allait s’investir au
sein d’une association qui en valait la peine, et c’était
bien.
En descendant de l’autobus, elle inspira très fort, elle
était certaine que Marie allait continuer à se battre.

En attendant, il était vital qu’elle appelle Thomas, ils


devaient parler de leur avenir ensemble. Elle espérait
qu’il pourrait se libérer ce soir. Elle prit le téléphone
et composa son numéro. Au bout de quelques
sonneries, elle tomba sur la messagerie. Le message
qu’elle lui laissa devait le convaincre.

294
« Thomas, c’est Célia. Je voudrais que tu viennes ce
soir, il est grand temps de décider de notre avenir, ne
crois-tu pas ? ».

Quelques minutes plus tard, Thomas rappela :


- J’arrive d’ici une heure, tu as raison, il faut qu’on
parle !
- Alors je t’attends, je vais préparer le repas.
- N’en fais pas trop, je suis sorti d’un déjeuner très
copieux
- D’accord, à tout à l’heure.

À peine avait-elle raccroché que le téléphone sonna à


nouveau.
- Bonjour Célia, c’est Régis. Vous vous rappelez, lors
de notre déjeuner commun avec Thomas, il était prévu
que Valérie et moi devions vous recevoir le week-end
prochain ?
- Oui, je me souviens, c’est toujours d’actualité ?

295
- Hélas non, l’un des enfants de Valérie, a la varicelle.
Nous préférons reporter, surtout si le second l’attrape
à son tour !
- Aucun problème, je comprends. On remet ça à plus
tard. On se rappelle ?
- Ok, on se rappelle, bonne soirée.

Elle restait pensive, et s’interrogeait sur la véracité des


propos tenus par Régis. L’enfant était-il vraiment
malade ou était-ce Valérie qui ne souhaitait pas les
recevoir et, avait trouvé ce prétexte, pour
décommander ? Après tout cela ne la regardait pas.

Elle réfléchissait maintenant à ce qu’elle pouvait bien


préparer pour le dîner. Une salade composée fera bien
l’affaire.
Elle venait juste de terminer la préparation du repas,
lorsque la sonnerie de l’interphone se fit entendre.
Thomas était arrivé.

296
Il entra avec une bonne bouteille de vin, et un sourire
qui en disait long sur ses intentions vis-à-vis de son
hôtesse. Il lui fit des compliments sur la table déjà
dressée avec goût. Elle lui prit la bouteille des mains
et s’avança pour lui donner un long baiser. Puis, elle
lui fit signe de s’asseoir.
- Je voulais être franche avec toi, j’ai discuté avec
Caroline, car je m’interrogeais sur tes intentions et ton
passé, dont tu ne m’as jamais parlé. J’aimerais que ce
soir, nous parlions tous les deux de nos vies avant de
se rencontrer et, ensuite, de ce que nous allons décider
pour notre vie future !
- Hou là ! Tout ça en une seule soirée ?
- Oui, je voudrais que nous partions sur de bonnes
bases. Je sais que tu as un travail très prenant, que tu
as des obligations parfois contraignantes, mais dès
l’instant où je suis avertie, je suis prête à l’accepter
sans problème, à la condition bien sûr, que tu ne
cherches pas à m’inventer des excuses tordues,

297
lorsque tu es retenu quelque part. Je ne souhaite que la
vérité, même si parfois, elle pourrait être agaçante !
- Si j’ai bien compris, tu souhaites que nous
officialisions notre relation ?
- Ce n’est pas ce que tu souhaites ?
- Si, bien entendu, mais je pensais que cette demande
devait être faite par moi ?

Célia se mit à rire et lui répondit :


- Caroline m’a conseillé de te bousculer un peu, si je
souhaitais que tu fasses ta demande !
- Je vois, vous êtes donc complices. J’ai en effet hésité
longtemps, car je suis conscient que mon travail n’est
pas facile et que cela risque de te perturber. Mais je te
jure de ne jamais rien te cacher et si tu veux partager
ma vie, je serai le plus heureux des hommes.
- Caroline m’a dit que tu as eu une relation avec une
femme, il y a quelques années et que cela n’avait pas
duré parce que tu t’absentais trop souvent. Je te

298
promets de ne jamais te faire de réflexion
désobligeante, lorsque tu devras t’absenter pour ton
travail. Mais par contre, je souhaite rester en dehors
de tes relations professionnelles. Je préfère que nos
sorties restent très privées, juste avec nos amis.
- Je comprends, je ne t’imposerai pas ces dîners dont
j’ai horreur, qui ne servent qu’à flatter l’ego de mes
clients, mais nécessaires pour le poste que j’occupe.
Tu n’es pas de leur monde, et c’est pour cela que je
t’aime. Tu es une femme honnête, sans hypocrisie, et
ça me fait un bien terrible quand je suis auprès de toi.
- Tu ne me demandes pas ce qu’a été mon passé ?
Thomas se mit à rire à son tour :
- Je crois que nous avons la même confidente, et je
suis déjà au courant de ton passé.
- Alors, tu sais tout de moi.

Cette nuit-là, fut… particulière.

299
CHAPITRE 14

Ce mercredi, Célia devait se rendre au commissariat


pour faire sa déposition, suite à son agression.
Caroline, comme promis, l’attendait devant l’entrée
du bâtiment.
- Pas trop stressée pour venir déposer ?
- Non, depuis que notre agresseur a été arrêté, je vais
beaucoup mieux.
- Alors allons-y, répondit Caroline, ensuite tout ça ne
sera plus qu’un mauvais souvenir

Elles pénétrèrent dans le commissariat et s’avancèrent


vers l’accueil. Célia déclina son identité et précisa
l’objet de sa venue. L’officier de police les pria de
patienter un instant. Il s’absenta un moment et revint
en leur demandant de bien vouloir le suivre. Il s’arrêta
devant une porte, frappa et s’effaça pour les laisser

300
entrer. Dans la salle, Célia remarqua Antoine qui,
apparemment, attendait sa venue. À ses côtés, une
femme qui semblait être une avocate, les invita à
s’asseoir auprès d’eux.

Un autre officier de police pénétra dans la pièce. Il


précisa que monsieur Eymard, ici présent, ayant déjà
déposé plainte contre son agresseur, monsieur Jean-
Claude Rouillé, souhaitait entendre Célia Carron pour
s’assurer que son agresseur et celui de monsieur
Eymard, était bien la même personne. Il fit glisser sur
la table une photographie du délinquant, afin que la
jeune femme puisse l’identifier. Célia confirma que
l’homme de la photographie était bien celui qui avait
tenté de l’enlever. L’officier lui remit ensuite sa
déposition à lire et compléter, afin qu’elle soit remise
au Procureur de la République.

Pendant qu’elle relisait sa déposition, la porte s’ouvrit


sur Régis, qui avait semble-t-il, était convoqué lui
301
aussi, pour témoigner de la tentative d’enlèvement de
Célia. Il fit un grand sourire à cette dernière, avant de
s’installer, à son tour, autour de la table. L’officier
l’interrogea afin de compléter éventuellement, le
témoignage de Célia, puis, il procéda, comme pour les
autres, en remettant sa déposition à Régis pour être
relue et signée.

À la sortie du commissariat, Antoine, Célia, Caroline


et Régis se retrouvèrent pour aller prendre un café,
avant de partir travailler. Antoine engagea la
conversation le premier, alors qu’ils s’attablaient à la
terrasse d’une brasserie. Il demanda à Régis :
- Ainsi, c’est vous le fameux Régis, celui qui a sauvé
à deux reprises, la vie de Célia ?
- C’est vrai. Et vous, vous êtes celui qu’elle allait voir
tous les jours à l’hôpital, avec la peur que vous ne
retrouviez pas la mémoire. Votre agression l’avait
beaucoup perturbée !

302
- Et moi, intervint Célia, j’ai eu la chance d’être bien
entourée pour me remettre de mes émotions, grâce à
Caroline, Thomas et Régis. Bref, si nous changions de
conversation.

S’adressant à Régis :
- Comment vont les enfants de Valérie ?
- Ils ont tous les deux la varicelle, d’ailleurs, je dois
avoir une photo sur mon téléphone portable, attendez
un instant… Voilà, regardez comme ils sont beaux !

Il tourna le portable vers Célia et celle-ci put se rendre


compte, que Régis n’avait pas menti lorsqu’il avait
annulé le dîner prévu avec elle et Thomas. Les deux
enfants avaient été pris en photo dans la baignoire. Il y
avait comme du mouchetis rouge partout sur leur
corps.
- En tout cas, répondit Célia, leur état à l’air de
beaucoup les amuser. Si l’on ne voyait pas leurs

303
boutons, on jurerait qu’ils sont en pleine forme. Vous
passerez le bonjour à Valérie de ma part.
- Ce sera fait, je vais vous laisser, je dois partir
travailler. À bientôt peut-être ?
Il serra la main à tout le monde avant de s’éloigner.

Antoine et Caroline n’avaient pas perdu une miette de


la conversation entre Célia et Régis. C’est Caroline
qui prit la parole :
- Et bien dis-moi Célia, je crois que tu plais beaucoup
à cet homme ?
- Je trouve aussi, rétorqua Antoine.
- Vous vous trompez tous les deux. C’est simplement
de l’amitié entre nous. Cet homme a beaucoup
souffert, sa femme est internée depuis quelques
années, elle a subi un grave traumatisme quand elle a
appris qu’elle était stérile et ne pourrait jamais avoir
d’enfant. Après plusieurs dépressions nerveuses, elle a
fini par basculer. Régis dit qu’elle ne le reconnaît pas
304
quand il va lui rendre visite. De plus, sa relation avec
Valérie est difficile, car ils ne peuvent pas vivre
ensemble pour l’instant.
- Pour quelles raisons ? demanda Caroline.
- Sa compagne a deux enfants qui n’acceptent pas la
présence de Régis pour le moment.
- Effectivement, c’est une situation très délicate !
répondit Antoine. De plus, tant que sa femme sera
internée, il ne pourra pas être libre de refaire sa vie.
On ne divorce pas d’une personne internée.
- Exact, Régis pense que sa femme ne pourra jamais
ressortir de cet hôpital. Je suis vraiment navrée pour
eux, car cet homme est vraiment quelqu’un de bien.
Rétorqua Célia.

Antoine jeta un coup d’œil sur sa montre, il décida


qu’il était temps d’aller travailler.
- Si nous y allions Célia, je pense que Bertrand serait
heureux que nous ne le laissions pas trop longtemps
tout seul.
305
- Moi aussi, je dois y aller, déclara Caroline. Peut-être
à plus tard Célia ?
- Oui, je t’appellerai.

À leur entrée dans l’agence immobilière, Bertrand


avait le sourire.
- Alors, c’est fait, vous avez fait votre déposition ?
- C’est fait, répondit Antoine. Maintenant, il faut
attendre le procès et cela risque de prendre du temps.
Mais nous sommes soulagés que notre agresseur soit
retourné en prison.
Les deux hommes s’enfermèrent dans le bureau de
Bertrand, afin de faire le point sur leurs dernières
visites immobilières.

Célia, quant à elle, rêvait déjà de vacances. Restait à


en connaître le lieu. Elle espérait que Thomas aurait
eu le temps de s’y pencher. Le tintement de la porte
d’entrée la sortit de ses songes. Une femme d’un

306
certain âge s’avançait vers elle timidement. Elle tenta
de la mettre à l’aise :
- En quoi puis-je vous être utile, madame ?
- Bonjour mademoiselle, voici ce qui m’amène. Je
suis veuve depuis déjà cinq ans et l’appartement que
j’occupe est bien trop grand pour moi seule.
- Vous désirez le vendre pour un autre plus petit ?
- Non, pas du tout, je souhaiterais en louer une partie !

Célia lui fit signe de s’asseoir face à elle.


- Expliquez-moi exactement ce que vous souhaitez
faire.
- Et bien voilà ! J’ai appris par la presse, que de
nombreux étudiants ne trouvaient pas de quoi se loger.
Ou alors à des prix exorbitants ! Je trouve honteux
que l’on puisse profiter d’eux. Alors je me suis
demandé s’il était possible de louer deux de mes
chambres à de jeunes étudiants avec peu de moyens.
Je ne demanderais pas grand-chose en loyer à la
condition, qu’ils soient des jeunes gens ou jeunes
307
filles corrects et respectueux envers moi et les autres
copropriétaires du bâtiment. C’est-à-dire, ne pas être
bruyants et ne pas rentrer tard le soir !
- Je comprends madame. Ce serait en quelque sorte,
comme une pension ?
- Oui, c’est cela. En contrepartie d’un peu d’aide pour
le ménage, je leur offrirai deux repas par jour. Le
petit-déjeuner et le dîner.
- C’est très généreux à vous. Je pense que cela devrait
être possible, mais il sera nécessaire, au préalable, de
faire visiter votre appartement à l’un des patrons de
notre agence. S’il estime que votre logement peut
accueillir de jeunes étudiants sans problème, il saura
vous donner de bons conseils. En attendant, nous
allons prendre rendez-vous pour la visite de cet
appartement.
- La cliente ressortit avec le sourire, satisfaite de cet
entretien.

308
Célia nota sur l’agenda d’Antoine une visite avec
madame Durant. Elle lui écrivit l’adresse et lui
expliqua brièvement de quoi il retournait.
Peu de temps après, il sortait du bureau de Bertrand,
prêt à effectuer ses visites. Il remarqua le nouveau
rendez-vous noté par Célia et il parut étonné.
- Tu m’expliqueras quand je reviendrai ?
- Pas de problème, à tout à l’heure.

Juste avant midi, Bertrand lui signifia qu’il déjeunait


avec un client et qu’il reviendrait tard. Il était donc
inutile d’attendre son retour pour rentrer chez elle.

Quelques minutes plus tard, Thomas, lui téléphonait


pour lui signaler qu’il ne pourrait pas se libérer pour
déjeuner avec elle, Célia espérait que Caroline serait
disponible. Elle laissa un message sur son portable.
Après avoir fermé l’agence, elle attendit que son amie
se manifeste. Mais, apparemment, il semblait qu’elle
soit très occupée, car elle ne répondit pas à son
309
message. Un peu déçue, elle décida de rester à
l’agence pour déjeuner. Elle irait juste se chercher un
sandwich ou une salade composée dans le petit
supermarché du coin de la rue.

Dehors, la chaleur était intense et les terrasses des


cafés étaient bondées. Elle poussa la porte du
supermarché, soulagée d’y trouver un peu de
fraîcheur, grâce à sa climatisation. Elle acheta sa
salade composée préférée, ainsi qu’une bouteille
d’eau et quelques nectarines. Dès qu’elle eut franchi
la porte de sortie, la chaleur accablante lui retomba
sur les épaules. N’ayant pas pensé à prendre un
chapeau pour se protéger du soleil, elle se dépêcha de
retourner vers l’agence, par peur de prendre un coup
de chaleur.

Après y être entrée, elle soupira d’aise, en retrouvant


la climatisation de son lieu de travail. Elle dévora sa
salade et mangea une nectarine, se réservant les autres
310
pour le lendemain. La pendule de l’agence indiquait
treize heures. Elle jugea qu’il lui restait du temps pour
prendre connaissance de la suite du récit de Marie.

***
Août 2001

Un nouveau courrier d’Elias. Yanis, va rentrer en


CE1, début septembre. Son père ne tarit pas d’éloges
sur lui. Il est, parait-il très en avance sur ses
camarades de classe. Plus sérieux aussi. Il est très
dévoué pour son frère et sa sœur. Il aide de son mieux
dès qu’il rentre de l’école. Mais Elias dit que sa
femme n’est pas très gentille avec Yanis. Elle fait trop
de différences entre ses enfants et lui. Il sent que cela
rend son fils malheureux, surtout qu’il ne sait pas
qu’elle n’est pas sa mère. Elias pense le lui dire, mais
il croit qu’il est encore trop jeune pour lui dévoiler la
vérité.

311
Je pleure mon petit Yanis, j’aimerais tant le serrer
dans mes bras et lui donner tout l’amour qu’il mérite.
Je suis très fière de savoir qu’il travaille très bien à
l’école et qu’il soit aussi dévoué pour son frère et sa
sœur.
Je vais répondre à Elias et le supplier de lui dire la
vérité sur sa naissance. Il comprendra alors
pourquoi, il est moins aimé que les autres par celle
qu’il croit être sa mère.

Mon appartement est désormais meublé et la seule


chambre de ce logement est prévue pour accueillir
Yanis. Je dors dans le coin salon. Mon travail marche
bien, mon salaire augmente doucement. Vanessa
passe me voir de temps en temps, son couple a l’air
de marcher. Elle semble heureuse et m’a informée
qu’elle attendait un bébé. J’en avais les larmes aux
yeux. Je lui confiai que je serais toujours là pour elle,

312
si elle avait besoin de faire garder son bébé un soir
ou un week-end. Elle était ravie de ma proposition.

*
11 Septembre 2001

Je suis devant mon écran de télévision et je crois


rêver. Ce que j’ai sous les yeux ressemble à un film
de science-fiction. Des images passent en boucle, en
direct de New-York. Les tours jumelles de Manhattan
viennent d’être attaquées par deux avions, venus
s’encastrer en elles. Les deux incendies dégagent
énormément de fumée, les gens dans la rue courent en
tout sens. D’autres restent prostrés, ne réalisant pas
ce qui se passe sous leurs yeux. D’autres encore,
pleurent de désespoir et réalisent que la guerre est
déclarée contre les États-Unis.

Je ne peux pas détacher mes yeux de l’écran,


tellement l’instant est incroyable, puis, la première
313
tour s’effondre et les gens fuient à travers les rues. La
fumée est telle que l’on n’y voit plus rien que de la
poussière. Les pompiers, affairés tout autour, reculent
aussi, sachant que beaucoup d’entre eux, sont
désormais morts sous les décombres. La seconde tour
va s’effondrer quelques minutes plus tard. Je suis en
larmes, toutes ces personnes prises au piège dans les
tours ! Combien d’entre elles vont s’en tirer ? Les
gens crient, pleurent, c’est New-York qui est à terre !
Je décide d’éteindre mon téléviseur, sachant que les
journaux n’auront de cesse de nous repasser ces
images. Je ne sais pas encore, qui sont les terroristes
qui ont attaqué les États-Unis, même si j’ai déjà
quelques soupçons. Mais je suis certaine que nous
aurons très vite la réponse.

Vanessa m’appelle pour me demander si j’ai vu les


images à la télévision. Elle aussi est bouleversée par
ce qu’elle vient de voir. Elle a peur, les médias disent

314
que nous sommes tous concernés, ces attentats ne
sont selon eux, que le début d’une vague de
terrorisme. Je lui rappelle que la France avait déjà
subi des attentats à Paris en 1995, dans le R.E.R., où
des bombes avaient fait plusieurs morts, ainsi que
dans la région parisienne. Bien entendu, rien de
comparable avec ces deux tours dans lesquelles plus
de cinq mille personnes se trouvaient dans leur
bureau ce matin-là, d’après les dires des journalistes.
Je lui dis pour la rassurer, que les terroristes ne
pouvaient pas être partout en même temps. Je suis
consciente que ce que je viens de lui dire est
complètement idiot, mais il semble que cela ait suffi à
la calmer. Elle me dit que j’ai raison et qu’elle me
rappellera.
Je sais que ces images que je viens de voir, sont
diffusées dans le monde entier. Je pense très fort à
Yanis, et même à Elias. Comment vivent-ils cela de
chez eux ?

315
21 Septembre 2001

L’horreur continue… Cette forte explosion que nous


avons tous entendus à Toulouse et alentour, panique
toute la ville. C’est sûr, nous avons subi une attaque
de terroristes. Nous avons tous peur, où donc a eu
lieu cette explosion ? Quelques minutes plus tard,
nous entendons les sirènes des pompiers et des
ambulances. Ce matin, au bureau, nous sommes tous
aux fenêtres, tentant de voir quelque chose, mais d’où
nous sommes, nous ne voyons rien. Notre chef a un
petit poste de radio dans son bureau, il nous appelle
afin que nous puissions écouter ce que disent les
médias. C’est l’usine AZF qui a explosé, ce n’est pas
un attentat terroriste, mais il y aurait de nombreux
morts et blessés, ainsi que de nombreux dégâts dans
toute la ville de Toulouse. Un grand silence se fit,
avant que notre patron nous autorise tous à rentrer
316
chez nous, ne serait-ce que pour voir si notre famille
était touchée ou pas. Nous marchons comme des
automates vers nos bureaux respectifs, afin de
prendre nos affaires et sortir. Nous sommes tous
bouleversés. Chacun monte dans sa voiture et se
dirige vers son domicile.

Je pars à pied, je suis à un quart d’heure du métro. Je


sais que mes parents ne travaillent pas du côté
d’AZF, en principe, ils ne sont pas touchés, mais je
vais aller voir à leur domicile, si tout va bien. Je
m’engage vers la bouche du métro, mais visiblement,
tout le monde a eu la même idée que moi, c’est un
véritable raz-de-marée d’êtres humains qui
s’engouffrent dans les sous-sols de Toulouse.
Heureusement, je n’ai que peu de stations à passer
pour arriver chez mes parents. Pendant le trajet,
j’entends des conversations plutôt effrayantes,
concernant de nombreuses personnes blessées, suite à
l’explosion, même à plusieurs kilomètres à la ronde.
317
À ce moment, je mesure l’ampleur de la catastrophe.
Lorsque je sors du métro, je pousse un soupir de
soulagement, la cité où vivent mes parents n’a pas été
touchée. Je vais passer la soirée avec eux.
Nous avons découvert ensemble, devant l’écran de
télévision, les secours qui n’en finissaient pas de faire
des allers et retours pour amener tous les blessés vers
les hôpitaux. Ce soir-là, j’ai passé la nuit chez eux.

***
Célia releva la tête de son livre bouleversée à son tour
par le récit de Marie. Elle venait de revivre des
évènements difficiles. Toulouse avait été
profondément choquée par ce drame et ses habitants
avaient eu beaucoup de difficultés à s’en remettre.
Quant aux attentats du 11 septembre à New-York, elle
se souvint qu’elle était restée elle aussi les yeux rivés
sur le téléviseur de ses parents, se demandant si tout
cela était réel.

318
Elle referma le livre et se leva pour ouvrir le rideau de
fer. Elle avait beaucoup de difficultés à se concentrer
sur son travail. C’est la sonnerie du téléphone qui lui
fit retrouver ses esprits. Thomas venait de rentrer de
son déjeuner avec un client et lui demandait si, à son
tour, elle avait pu déjeuner avec Caroline. Célia lui
répondit par la négative et lui confia son état d’esprit
après avoir lu la suite du récit de Marie. Thomas lui
répondit :
- Je vois, ce soir, je ne vais pas te laisser seule. Nous
irons au cinéma, puis nous dînerons en amoureux chez
toi.
- Je suis d’accord avec ton programme !
- Alors, je passe te chercher à l’agence à dix-huit
heures.
- J’ai hâte de te voir, à tout à l’heure.

En raccrochant, elle avait retrouvé le sourire et elle


s’attela à rattraper son retard de classement.

319
Aux alentours de seize heures, Antoine revint, tout
sourire de ses visites.
Il lui remit ses rapports de visite et s’installa face à
elle. Il avait visiblement envie de discuter avec elle.
- Comment vas-tu Célia ?
- Très bien depuis ce matin et toi, ta journée ?
- Très bonne aussi. J’ai même déjeuné avec Caroline !
- Je comprends mieux pourquoi elle ne répondait pas
quand j’ai voulu l’inviter à midi.
- Si j’avais su que vous deviez déjeuner ensemble, je
n’aurais pas invité ton amie, je suis désolé.
- Ne le sois pas, nous n’avions rien prévu, j’appelais à
tout hasard, car Thomas n’était pas libre.
- Je vois. Il doit être très pris. Caroline m’a un peu
expliqué ses responsabilités dans la banque où il
travaille. Pas facile de trouver du temps pour sa
fiancée !
- Détrompe-toi, ce soir, il passe me chercher. Nous
allons au cinéma et ensuite nous dînerons en
320
amoureux. Si tu te tracasses pour moi, tu vois, tout va
bien !
- Alors si tout va bien pour toi, je suis content.
- Et moi, je devrais te poser la même question. Est-ce
que tout va bien pour toi ? As-tu quelqu’un dans ta
vie, à part ton fils ?
- Pas pour l’instant, je ne suis pas pressé de me
remettre en couple. Je vis au jour le jour. Je fais
parfois de belles rencontres, mais la plupart du temps,
ces jeunes femmes sont toutes mariées. Alors je laisse
tomber.

Après avoir discuté un bon moment, tous les deux,


Antoine lui demanda si cela ne la dérangeait pas s’il
rentrait chez lui maintenant. Il se sentait un peu
fatigué.
- Non, je t’en prie, rentre. Thomas va passer dans peu
de temps. À demain ?
- À demain Célia, et bonne soirée !

321
Après son départ, elle était songeuse. Qu’est-ce qui
avait poussé Antoine à vouloir déjeuner avec
Caroline, alors qu’ils ne se connaissaient pratiquement
pas ? Elle tenterait adroitement, de tirer les vers du
nez de son amie. Un coup de klaxon lui fit lever la
tête, Thomas était là. Elle s’habilla très vite et ferma
l’agence en un temps record, avant de se laisser
emporter vers une soirée qui s’annonçait très câline.

322
CHAPITRE 15

Après s’être concertés, Célia et Thomas, avaient


décidé de passer leurs vacances en Vendée. Elle avait
donc réservé une chambre d’hôte, à quelques
kilomètres du petit port de St-Gilles-Croix-de-Vie,
pour dix jours d’intimité. Il était convenu de partir sur
Argelès en premier, puis de remonter sur Biarritz et
enfin sur la Vendée. Thomas avait prévenu ses
parents, qu’ils ne resteraient pas plus de cinq jours
chez eux et Célia en avait fait de même auprès des
siens. Il fallait patienter encore une semaine avant de
pouvoir profiter enfin de leurs congés. En attendant,
Célia avait déjà commencé à préparer sa valise.

Ce vendredi soir, elle allait faire ses derniers achats


chez Caroline. Celle-ci la vit entrer avec le sourire :
- Alors, encore une semaine avant les vacances ?
323
- Oui, j’en ai vraiment besoin avec tous ces
évènements que nous avons vécus dernièrement.
- Comme je te comprends !
- Et vous ? Vous partez quand ?
- Pas avant quinze jours. Mais nous ne prenons que
deux semaines.
- Pourquoi donc ? Le mois d’août est plutôt mort ici,
tu crois que ça vaut le coup de garder ta boutique
ouverte ?
- Je n’ai pas trop le choix, j’ai un mari très pris, il doit
partir à Londres la dernière semaine d’août. C’est
plutôt politique qu’autre chose, mais si cela peut lui
permettre de s’étendre au-delà des frontières, tout est
possible. Les nouveaux parfums d’ambiance que sa
société vient de mettre sur le marché, semblent
intéresser beaucoup de monde.
- Je souhaite que ça marche pour lui et pour toi aussi,
bien évidemment. Tu vis ça comment, ses
déplacements incessants ?

324
- Je suis plutôt heureuse pour lui, moi, j’ai ma
boutique et quelques amis !
- À propos d’amis, comment se fait-il que tu sois allée
déjeuner avec Antoine, l’autre fois ? Vous vous
connaissez peu pourtant ?
- Seriez-vous jalouse mademoiselle ?
- Mais non, je m’interrogeais, c’est tout !
- Nous parlions de toi, si tu veux tout savoir ! Antoine
m’a posé des questions sur Thomas, il savait que nous
étions amis, il voulait être sûr qu’il soit celui qui te
rendra heureuse. Il semble qu’il se fait du souci pour
toi. Voilà, tu sais tout !
- Antoine ? Se faire du souci pour moi ? Mais nous ne
sommes même pas amis, je ne sais rien de lui. Il nous
a même caché qu’il avait été marié et qu’il avait un
fils. Il s’est toujours comporté comme un très bon
collègue de travail et nous nous entendons d’ailleurs
plutôt bien, mais nous ne nous fréquentons pas.

325
- Il faut croire que tes fréquentes visites à l’hôpital et
ton inquiétude pour sa santé, l’ont poussé à vouloir te
connaître mieux. Il m’a posé beaucoup de questions
sur toi.
- Vraiment ?
- Il semble que tu sois entourée de personnes qui
s’intéressent beaucoup à toi !
- Mais de qui veux-tu parler ?
- Antoine pensait que Régis se trouvait souvent sur
ton chemin, un brave type d’après lui. Mais il semblait
perplexe en ce qui concerne votre couple avec
Thomas.
- Pour quelles raisons ?
- Parce que vous n’êtes pas du même monde. Je lui ai
expliqué que Thomas n’aimait pas le monde qui
l’entourait, mais que cela faisait partie de son travail
de les fréquenter. Il a semblé dubitatif, il a répondu
qu’il gardait un œil sur toi.

326
- Ce qui veut dire que j’ai maintenant deux anges
gardiens, répondit Célia en riant.
- Tu as beaucoup de chance d’être si bien entourée de
personnes qui te veulent du bien. Bon, si nous allions
voir dans l’arrière-boutique ce qui pourrait te convenir
le mieux pour tes vacances ?
- Allons-y !

Célia était repartie toute guillerette de la boutique de


Caroline, avec un sac plein d’un peu de tout : short,
jupe, pantacourt, chapeau, foulard, etc…
En attendant son bus place Jeanne d’Arc, elle ouvrit le
livre de Marie.

327
***

Novembre 2001

Un nouveau courrier d’Elias. Il avait entendu parler


de la catastrophe de l’usine AZF de Toulouse. Il
s’inquiétait de savoir si nous avions été touchés. Il
parlait aussi de mouvements perturbateurs en
Tunisie. Mais il affirmait que ce n’était pas grave,
rien à voir avec les attentats qui touchaient les Etats-
Unis. Yanis va bien, il est désormais en CE2, il
apprend toujours bien à l’école et il adore son frère
et sa sœur. Il est fier d’être le grand frère. Elias dit
qu’il est obligé de travailler plus pour nourrir sa
famille. Il aide des voisins dès qu’il a un moment. Il
ne parle pas de son couple.
Je vais de plus en plus souvent à l’association pour
soulager madame Barrier. J’anime les réunions avec
elle, pour des femmes désespérées, à qui l’on a enlevé
leur enfant. Je fais de mon mieux pour les informer de
328
leurs nouveaux droits. Je leur communique aussi les
coordonnées d’avocats spécialisés dans ce domaine.
Je les aide pour écrire leur correspondance destinée
aux administrations. Je me sens plus utile ici.
Pourtant, mon travail au bureau marche bien et
j’aime ce que je fais. Je suis bien entourée, les
collègues sont sympas. Vanessa grossit à vue d’œil,
elle va accoucher d’ici deux mois.
Mes parents s’inquiètent pour moi, ils espèrent que je
vais bientôt trouver le mari idéal. Mon père sera
bientôt à la retraite et désespère d’être enfin grand-
père.

Janvier 2002

Vanessa vient de mettre au monde une belle petite


fille, elle l’a appelé Harmonie. Les parents sont très
fiers de ce petit bébé. Vanessa m’a demandé d’en être
la marraine et j’ai accepté avec joie.

329
Pour la première fois depuis longtemps, j’ai accepté
de sortir avec l’un de mes collègues. Il m’a proposé
un dîner dans un restaurant, dont il tient à garder le
nom secret pour le moment. Il ne sait rien de ma vie,
je n’ai parlé à personne du drame que j’ai vécu. Je
verrai plus tard, si c’est une personne à qui l’on peut
se confier ou pas.

Pour le moment, notre principal souci, c’est le


passage à l’euro. Tout le monde se sert de sa
calculette pour faire des conversions en francs. Il
nous parait évident que nous nous trouvons devant
l’arnaque du siècle.

***
Tout à coup, elle leva la tête et s’aperçut que le bus
arrivait. Le conducteur n’était pas le même, il devait
sans doute remplacer le chauffeur habituel pendant ses
vacances. Elle prit place et se replongea dans le livre
de Marie.
330
***
Mai 2002

Toulouse se remet doucement de ses plaies. Les


médias n’en parlent presque plus. Les grands
délaissés, sont les blessés restés hospitalisés depuis
ces derniers mois. Certains resteront à jamais
handicapés. Tout ce qui a été détruit par l’explosion
est encore très loin d’être reconstruit. Des logements,
des écoles, etc… Il faudra encore beaucoup de temps
aux habitants, pour retrouver le sourire.

Je suis complètement « gaga » d’Harmonie, la fille


de Vanessa. Je la garde souvent pour soulager mon
amie. Il fait beau et nous en profitons pour faire des
promenades avec le bébé.

Le collègue avec lequel je suis sortie plusieurs fois


s’appelle Cyrille, il a trente-deux ans. Il a déjà été en
331
couple, mais ça n’a pas marché. Il reste donc
prudent, mais semble vouloir s’engager tout de même.
Pour ma part, je laisse faire les choses et puis on
verra….
Je passe beaucoup de temps à l’association pour me
former et aider les personnes qui en ont besoin.

Août 2002

À nouveau, je suis partie en vacances avec Vanessa


en Espagne, mais cette fois, avec son ami Kévin et
bien entendu, la petite Harmonie. Je suis aux anges,
car la petite m’ouvre toujours grands les bras,
lorsqu’elle me voit arriver. J’ai revu les amis
espagnols de Vanessa, nous avons longuement parlé
des cas d’enlèvements illicites d’enfants, de plus en
plus nombreux. Ils n’ont pas manqué de m’interroger
sur Yanis, je n’ai pu que leur répondre qu’il était
toujours avec son père, car il ne savait toujours pas
332
que j’étais sa mère. Elias n’avait pas encore parlé à
notre fils. Lorsque nous sommes partis, j’ai ressenti
comme un grand vide en les quittant. Je me suis alors
raisonnée en me disant que j’allais revoir Cyrille et
que les retrouvailles allaient être géniales.

À mon retour sur Toulouse, je fus surprise de n’avoir


reçu aucun courrier d’Elias depuis longtemps. Je
décidai de lui écrire pour avoir des nouvelles.

J’ai repris le travail avec entrain. Mes collègues, tout


bronzés, se racontaient leurs vacances. Je n’ai pas vu
Cyrille et je m’en étonnais, mais apparemment, j’étais
la seule à m’interroger sur son absence. J’ai pensé
alors, qu’il avait sans doute repoussé ses congés à la
dernière minute. En sortant du travail, je suis allée
rendre visite à mes parents. Ils semblaient heureux de
ma présence. Je leur racontais mes vacances en
Espagne et ma joie d’être la marraine d’une adorable
petite fille. Je m’attendais à un nouvel interrogatoire
333
sur ma vie de femme, mais ils n’ont pas posé de
questions.

Cyrille n’est pas revenu au bureau, il n’a prévenu


personne, y compris moi. Je ne comprends pas ce qui
lui arrive. Pourquoi ne pas s’être manifesté ? J’en ai
parlé à Vanessa, elle non plus ne comprend pas. Elle
m’a prise dans ses bras et m’a dit :
« Ne sois pas triste, ce type ne te mérite pas, c’est
tout ! ». Je reste sceptique sur ce silence.

Septembre 2002

Je n’en reviens pas, je viens de recevoir une lettre de


Yanis. Mon Yanis m’a écrit ! C’est vrai qu’il a déjà
neuf ans. Cela veut dire alors que son père lui a parlé
de mon existence ? J’ouvre la lettre en tremblant et je
lis :

334
Bonjour,
Je viens d’apprendre que tu es ma maman. Ce n’est
pas papa qui me l’a dit, c’est ma mère, enfin, celle
qui est la femme de papa. Je comprends mieux
pourquoi elle ne m’aime pas. J’ai demandé à papa
pourquoi il n’avait rien dit, il m’a répondu que c’était
de sa faute, qu’il m’avait enlevé à toi. J’aimerais te
connaître, maintenant que je sais que tu es ma
maman, et que tu as dû souffrir d’être loin de moi,
autant que je souffre ici, de ne pas être accepté par
ma famille. Papa n’est pas méchant avec moi, mais il
travaille très dur et, quand il rentre le soir, il est si
fatigué, que nous n’avons pas le temps de parler. Il
m’a dit qu’il n’avait pas l’argent pour me payer
l’avion pour venir te voir. Si tu as envie de me voir,
peut-être as-tu l’argent pour me faire venir ?
Réponds-moi s’il te plaît.

Yanis

335
Je suis en larmes, mon petit Yanis veut venir me voir.
Je me précipite pour prendre de quoi écrire pour lui
répondre. Je vais tout faire pour le faire venir et, si ce
n’est pas possible, je partirai là-bas, pour aller le
voir.

***
Célia releva la tête, ses yeux étaient embués de
larmes. Soudain, elle se rendit compte qu’elle arrivait
à destination. Elle se leva d’un bond pour demander
l’arrêt du bus. Il était temps ! La porte s’ouvrit, et une
grande bourrasque l’accueillit à sa descente. Un orage
se préparait. Elle rentra rapidement chez elle, juste
avant le déluge.
À peine arrivée dans son appartement, elle entendit le
tonnerre gronder et de nombreux éclairs zébraient déjà
un ciel tout noir.
Après s’être mise à l’aise, elle sortit ses achats du sac
plein à craquer des vêtements achetés chez Caroline.
336
Elle chantonnait en les rangeant dans son armoire. Ce
soir, elle dînerait seule, Thomas était pris.

Elle décida de se préparer un plateau repas, elle se


calerait ensuite devant sa télévision. Elle retourna
dans l’entrée, afin de prendre le livre qui était resté
dans son sac à main, pour le poser sur sa table de nuit.
Mais là, panique, le livre n’y était pas. Elle regarda
dans le sac d’où elle avait sorti ses achats, rien non
plus.
Elle essaya de garder son calme, ferma les yeux, et se
transporta dans le bus. Elle se revit en train de lire le
paragraphe où Yanis écrivait une lettre à sa mère, elle
en avait été toute retournée. Puis, elle avait réagi en
voyant qu’elle arrivait à sa station, elle s’était levée
d’un bond et… C’est là, que livre était tombé !

« Ce n’est pas possible, non, quelle crétine ! J’ai


laissé le livre dans l’autobus ».

337
Elle venait de se rendre compte, qu’en perdant ce
livre, elle perdait aussi son espoir de retrouver Marie.
Maintenant, c’était fichu. Elle se sentait fautive de
n’avoir pu terminer ce récit. Comment savoir la fin de
l’histoire de la vie de Marie ?
Une solution peut-être : téléphoner au dépôt des
autobus, au cas où ?
Quelqu’un décrocha, elle expliqua la raison pour
laquelle elle téléphonait. Après avoir pris les
renseignements sur la ligne de bus que prenait Célia,
on lui demanda son numéro de téléphone et il lui fut
répondu que tout serait fait pour retrouver ce livre,
mais qu’il y aurait de fortes chances, qu’il ait été
ramassé par l’un des voyageurs.

Elle eut soudain envie de téléphoner à Thomas, mais


elle ne pouvait pas le déranger ce soir et elle le savait.
Et si elle appelait Régis ? Il avait l’air intéressé par le
récit de Marie. Peut-être aurait-il une idée pour
récupérer ce livre ?
338
On décrocha assez vite :
- Bonsoir Régis, c’est Célia. J’espère que je ne vous
dérange pas ?
- Pas du tout, au contraire, ça me fait plaisir. Qu’est-ce
qui vous arrive ?
- Je voudrais un conseil, j’ai perdu dans l’autobus, le
livre qui raconte la vie de Marie. Il a dû tomber au
moment où je me suis levée pour appuyer sur le
bouton pour demander l’arrêt.
- Vous avez appelé le dépôt des bus ?
- C’est la première chose que j’ai faite, mais j’ai bien
peur qu’ils ne le retrouvent pas.
- Alors voyez du côté de l’éditeur, vous pouvez sans
doute le commander ?
- Il n’y a pas d’éditeur, c’est un livre auto édité !
- Hum ! Mais il y a un imprimeur ?
- Oui, c’est même certain, mais je ne me souviens pas
du nom.

339
- Chaque imprimeur a un logo particulier, vous
souvenez-vous de ce logo ?
- Je ne m’en souviens pas !
- Vous rappelez-vous s’il y avait un numéro ISBN ?
- Je ne crois pas, je ne me souviens que du titre, c’est
« L’enlèvement de mon fils ».
- Je vais chercher sur internet et je vous rappelle.
- Merci beaucoup Régis, je m’en veux beaucoup, car
je ne l’avais pas terminé.
- Ne vous inquiétez pas, je vais chercher, et je vais
trouver. Vous pouvez dormir tranquille. Je vous
rappelle.

Elle raccrocha rassurée. Elle n’avait plus très faim, le


plateau repas n’était plus d’actualité. Elle se contenta
d’une pomme et alluma son téléviseur. Elle zappait
sans trouver de programme qui pourrait l’intéresser.
La question de Régis sur le logo de l’imprimeur,
continuait à la tarabuster. Elle avait beau tenter de se
remettre en mémoire la couverture du livre de Marie,
340
la seule chose dont elle se souvenait, c’était la couleur
verte du logo. C’était vraiment peu.

Cette nuit-là, fut agitée de cauchemars pour Célia.


Elle rêva de Marie qui ratait son avion pour aller
retrouver son fils. Puis c’était Yanis qui s’était enfui
de chez son père, pour tenter de monter sur un bateau,
en passager clandestin, pour rejoindre la France. Et
enfin, c’était Elias qui avait enfermé Yanis, pour
l’empêcher de partir retrouver sa mère.
À son réveil, vers neuf heures, elle bondit de son lit.
Puis, réalisant que c’était samedi, elle se recoucha en
soupirant.

C’est la sonnerie de son téléphone qui la réveilla une


heure plus tard. Croyant avoir Thomas au bout du fil,
elle interrogea :
- Ta journée est finie ?
- Bonjour Célia, c’est Régis !
341
- Je suis confuse, je croyais parler à Thomas.
- Je l’avais bien compris comme ça. Je crois avoir
retrouvé la trace de l’imprimeur de votre livre. Savez-
vous à quelle époque, il a pu être imprimé ?
- Les dernières pages que j’ai lues, parlaient de 2002,
mais je n’étais pas arrivée à la fin du livre. Je pense
que cela pourrait se situer aux alentours de 2004,
voire 2005 !
- Merci pour ces renseignements Célia. Je continue
mes recherches.
- Je me suis souvenue que le logo était de couleur
verte, si ça peut aider !
- Oui, certainement, je vous rappelle.
- Merci pour votre gentillesse.

En prenant son petit-déjeuner, elle songea que Régis


était vraiment quelqu’un de bien… Subitement, elle se
dit que l’association dans laquelle Marie s’était tant
investie, pourrait peut-être l’aider à retrouver sa trace.

342
Elle décida d’aller prendre sa douche et, ensuite, elle
téléphonerait à l’association, dans l’espoir de trouver
des informations la concernant. Si elle avait de la
chance, elle pourrait prendre rendez-vous avec la
responsable.
Au bout de cinq sonneries, une personne décrocha.
Célia se présenta et demanda à parler à la responsable
de l’association. On lui répondit qu’elle avait déjà un
rendez-vous ce matin, et qu’ensuite, elle s’en allait à
midi. Elle demanda, s’il était possible d’obtenir un
rendez-vous avant la fin de semaine prochaine. Son
interlocutrice lui demanda de patienter un instant,
puis :
- Je peux vous proposer jeudi à quatorze heures.
- Ça m’irait très bien !
- Voilà, c’est noté. À jeudi madame.

Un peu rassurée, elle décida de sortir faire un tour au


marché. Il y avait beaucoup de monde et la chaleur
343
était déjà bien installée. L’orage de la veille, n’avait
pas vraiment rafraîchi l’atmosphère. Les étals des
fruits et légumes étaient très colorés. La senteur des
herbes aromatiques dominait, particulièrement la
menthe fraîche. Elle décida d’acheter des poivrons
rouges, afin de les farcir, puis elle prit aussi deux
salades, des pêches et un melon.

Ce soir, Thomas l’emmenait au restaurant. Il n’avait


pas précisé l’endroit. Il devait passer la prendre, aux
alentours de dix-neuf heures. À midi, elle déjeunerait
de quelques crudités, puis elle se mettrait à la cuisine,
car le lendemain midi, c’est elle qui invitait Thomas.
Elle avait donc tout son temps, pour préparer les
poivrons farcis.

Elle déjeuna sur le pouce et s’en alla faire quelques


emplettes au petit supermarché du centre-ville, pour le
repas du lendemain midi. Elle y croisa une copine
d’école, qu’elle n’avait pas vue depuis très longtemps
344
et qui semblait avoir quelques difficultés à se faire
obéir de ses deux enfants qu’elle tenait par la main.
Célia ne s’attarda pas et s’en retourna chez elle.

À l’heure dite, Thomas sonnait à l’interphone pour se


faire ouvrir. Célia se précipita dans sa salle de bains
pour se donner un dernier coup de peigne, mettre deux
gouttes de parfum, elle avait juste le temps, avant
qu’il ne sonne à la porte.
En l’embrassant, il lui demanda :
- Alors ? Tu ne t’es pas trop ennuyée de moi ?
- Énormément, j’avais hâte de te voir, ce soir. Où nous
emmènes-tu ?
- Chez moi ! J’ai eu un imprévu, ma sœur Anne est de
retour et s’est invitée.
- Très bien, cela me permettra de faire sa
connaissance !
- Nous serons obligés de faire quelques courses pour
préparer un bon repas, si cela ne te dérange pas ?
- Pas du tout, allons-y !
345
*

La soirée avait été fort ennuyeuse pour Célia. Non


seulement, Anne n’avait pas daigné donner un coup
de main pour préparer le dîner, et plus encore, elle
n’avait cessé de s’adresser à son frère durant tout le
repas, la laissant de côté, en l’ignorant délibérément.
C’est encore Célia qui débarrassa la table et mit le
lave-vaisselle en route, pendant que le frère et la sœur
se racontaient les derniers potins de la jet-set.

Lorsque Thomas prit la voiture, Célia pensait encore


qu’il allait dormir chez elle, mais il se contenta de la
déposer. Quand il se pencha pour l’embrasser, elle
recula et claqua la portière de la voiture, très en
colère. Il la rattrapa et tenta de lui expliquer la
situation :

346
- Célia, ne m’en veux pas, Anne est arrivée sans
prévenir, comme à son habitude et je n’ai pas pu faire
autrement que de la garder pour le dîner.
- Alors il ne fallait pas venir me chercher. Je pensais
que ta sœur aurait été curieuse de rencontrer l’amie de
son frère, mais au lieu de cela, à part bonjour, elle ne
m’a pas adressé la parole de la soirée. Et de plus, elle
n’a pas donné un coup de main, ni pour mettre la
table, pendant que nous étions aux fourneaux, ni pour
débarrasser. Alors oui, je suis en colère ! Ta sœur est
une parfaite égoïste, et si tu dois la recevoir chez toi
encore quelques jours, il est inutile de venir me
chercher.
- Je comprends que tu sois en colère, mais Anne a
toujours été ainsi, ce n’est pas seulement avec toi. Elle
aime se donner de l’importance en fréquentant le beau
monde.
- Grand bien lui fasse, mais ce sera sans moi !

347
Il resta les bras ballants en la regardant partir. Elle
était en colère par sa faute. Il savait qu’Anne pouvait
se montrer dédaigneuse envers les autres femmes,
mais il ne s’était pas rendu compte qu’avec sa sœur,
ils avaient laissé Célia de côté, pendant qu’ils riaient
de bon cœur.

Ce soir-là, Célia prit un somnifère pour s’endormir.


Elle jugea que Thomas s’était montré trop faible avec
sa sœur et il était hors de question, que cette dernière
la prenne pour sa bonne.

348
CHAPITRE 16

Célia s’était réveillée très tard ce dimanche matin. La


bouche pâteuse, elle se leva pour se préparer un thé.
Sa colère était tombée, mais la contrariété était
toujours présente. Elle qui pensait passer un très bon
week-end en compagnie de Thomas, elle était fort
déçue de son attitude. Quel homme était-il donc, pour
laisser sa sœur diriger sa vie ? Jusqu’à quel point
oserait-elle s’immiscer dans leur vie, lorsqu’ils
seraient vraiment en couple ? Il était urgent d’avoir
une discussion avec lui pour connaître sa vision des
choses après leur mariage. En attendant, ce dimanche
serait certainement très ennuyeux, à moins qu’elle ne
décide de sortir pour se changer les idées.

349
Elle appela Caroline :
- Célia ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ? C’est plutôt rare de
t’avoir au téléphone un dimanche !
- Je voulais juste savoir si tu étais chez toi aujourd’hui
ou pas ?
- Oui, mais nous avons des invités, tu veux te joindre
à nous ?
- Non, tu es gentille, j’avais besoin de parler. Mon
week-end avec Thomas est tombé à l’eau, à cause de
sa sœur !
- Je vois, elle a encore fait des siennes, c’est ça ?
- Je t’en parlerai plus tard, mais il m’a beaucoup
contrariée. Je passerai te voir mardi. Excuse-moi de
t’avoir dérangée un dimanche.
- Non, tu ne me déranges pas. Mais je comprends que
tu n’aies pas envie de venir déjeuner avec nos amis.
Tu dois parler à Thomas au plus vite, ne laisse surtout
pas Anne diriger votre vie. On se voit mardi ?

350
- Oui, passe me chercher vers midi à l’agence, si tu
veux bien.

En raccrochant, elle pensait appeler Thomas, mais à


l’idée que ce soit sa sœur qui décroche, elle renonça.
Elle s’installa dans son canapé, alluma son téléviseur
et finit par choisir un reportage sur les sans-abris.
Tout en regardant tous ces pauvres gens essayer de
survivre comme ils le pouvaient, elle repensa soudain
à Marie et au petit Yanis. Elle avait hâte d’aller à son
rendez-vous de jeudi avec la directrice de
l’association.

Le téléphone interrompit ses pensées. Elle pensa


aussitôt à Thomas, mais ce n’était pas lui, c’était
Régis.
- Bonjour Célia, j’espère que je ne vous dérange pas ?
- Non, il n’y a pas longtemps que je suis debout. Vous
avez pu trouver quelque chose ?

351
- Et bien, hier, j’ai fait le tour des imprimeurs de
Toulouse, la plupart ne s’occupaient pas d’impression
de livres. Il a fallu faire un tri. Mais dès lundi, je me
remets au travail, car aujourd’hui, impossible !
- C’est très sympa à vous. Vous êtes en famille
aujourd’hui ?
- Non, Valérie est partie chez ses parents avec les
enfants, elle rentre ce soir.
- Et vous ? Vous n’allez pas avec elle chez ses
parents ?
- Non, Valérie ne leur a pas parlé de moi pour le
moment, car d’après elle, étant donné que je suis
marié et dans l’impossibilité de divorcer, elle pense
que ses parents ne m’accepteraient pas.
- C’est insensé ! Comment construire un avenir dans
le mensonge ?
- C’est bien ce que je pense, j’attends de voir si elle se
décide un jour à leur parler de moi.

352
- Si vous êtes seul, venez donc partager mon repas, ce
serait avec joie !
- Vraiment ? Vous aussi, vous êtes seule aujourd’hui ?
- Et oui, un petit contretemps avec Thomas, je vous
expliquerai. Alors ?
- C’est d’accord ! J’arrive. Vous me laissez votre
adresse ?
- Castelginest, vous connaissez ? J’habite « rue des
écoles ». Appelez-moi quand vous arrivez, et je
descendrai.
- À tout de suite Célia.
Pendant ce temps, elle sortit de son réfrigérateur les
poivrons farcis qu’elle avait faire cuire la veille et
prépara rapidement une entrée avec des crudités. Elle
installa ensuite le couvert sur la table de la salle de
séjour.

Trois quarts d’heure plus tard, il était là. Il avait


apporté le dessert. Il jeta un coup d’œil à

353
l’appartement et la complimenta sur sa propreté et la
décoration.
- Venez Régis, nous allons prendre un apéritif.
- Avec plaisir. Alors comme ça votre Thomas n’était
pas libre aujourd’hui ?
- Je crois que, comme pour vous, quelques problèmes
familiaux perturbent notre couple.
Célia lui raconta sa triste soirée de la veille. Elle lui
confia qu’elle s’était sentie frustrée d’avoir été tenue à
l’écart durant toute la soirée. Après avoir entendu une
telle description de la sœur de Thomas, il prit un air
navré et lui répondit :
- J’espère pour vous qu’il va prendre la bonne
décision, sinon, votre couple risque d’éclater, s’il fait
passer sa famille avant vous. C’est un peu ce qui se
passe pour moi et croyez-moi, ce n’est pas facile tous
les jours.
- J’aurai une discussion avec lui, car nous devons
partir en vacances ensemble. Les premiers jours, nous

354
serons chez ses parents, puis ensuite chez les miens.
J’espère vraiment qu’il n’y aura pas de problème.
Maintenant, j’avoue que j’ai une petite appréhension.
- Il n’y a pas de raison, si vous n’êtes que tous les
deux, la sœur ne vous embêtera pas.
- Je verrai bien, allons déjeuner maintenant !

L’après-midi était passée à toute vitesse. Régis décida


qu’il était temps de partir, Valérie n’allait sans doute
pas tarder à rentrer. C’est avec regret que Célia le
laissa partir, elle avait vraiment passé un excellent
moment avec lui. Ils s’étaient confiés l’un à l’autre,
sans retenue. La porte refermée, le silence redevint
pesant. Elle ralluma son téléviseur.

En début de soirée, le téléphone sonna. Cette fois,


c’était Thomas.
355
- Bonsoir Célia, est-ce que tu m’en veux toujours ?
- Je suis calmée, mais toujours contrariée, je l’avoue.
Nous devions passer le week-end ensemble et je m’en
faisais une joie.
- Je comprends, mais je n’ai pas osé dire à ma sœur
que je ne pouvais pas la recevoir lorsqu’elle est
arrivée.
- Thomas, tout comme moi, tu as une famille, tu les
aimes et c’est tout à fait naturel, mais tu ne dois
jamais faire passer ta famille avant ta vie privée. Tu
dis m’aimer et pourtant hier, je suis passée après ta
sœur. Là, je n’ai pas compris !
- Je t’ai dit que j’étais désolé. Hier soir, j’étais
heureux de revoir Anne et je n’ai pas fait attention à
son attitude envers toi.
- J’accepte de te pardonner pour cette fois, mais je
n’ai pas pour habitude que l’on m’impose des choses,
sans m’avoir concertée avant.

356
- Très bien. Anne voulait aller chez nos parents avec
nous, je ne pensais pas que cela pourrait te déranger.
Je vais revoir cela avec elle.
- Thomas, si ta sœur n’avait pas été aussi odieuse avec
moi, j’aurais sans doute accepté que nous
l’emmenions avec nous chez tes parents, mais si elle
se comporte de la même façon quand nous serons à
Argelès, je crains le pire. Je ne voudrais surtout pas
qu’il y ait des histoires devant tes parents. Est-ce que
tu peux comprendre cela ?
- Oui, bien entendu, je vais lui parler, promis.
- Alors appelle moi quand ce sera fait, n’oublies pas
que nous devons partir samedi.
- Je te rappellerai demain. Bonsoir.

Après avoir raccroché, Célia pensait y avoir été un


peu fort, mais elle avait voulu mettre les choses au
point tout de suite. Elle ne voulait pas être la petite
belle-sœur bien gentille, qui fait tout ce qu’on lui

357
demande sans se révolter. En aucun cas, elle ne serait
une femme soumise, qui s’efface derrière son mari !

Plus tard dans la soirée, c’est Caroline qui appelait :


- Célia ? J’espère que je ne te dérange pas ?
- Bien sûr que non, tu le sais bien.
- Nos amis sont partis, je voulais savoir si tu allais
mieux ?
- Pas vraiment, Thomas m’a rappelée tout à l’heure, et
je lui ai dit ce que je pensais de sa sœur
- Tu devais vraiment être en colère ?
- Mets-toi à ma place, sa sœur ne m’a pas adressé la
parole de toute la soirée, elle s’est comportée comme
si je n’existais pas. Nous devions, Thomas et moi,
passer le week-end ensemble, résultat, il m’a déposée
chez moi après le dîner samedi soir et il est reparti
chez lui. J’ai bien peur Caroline, que s’il n’ose pas
l’affronter, notre futur mariage risque de tomber à
l’eau.
358
- Et qu’a-t-il répondu après ce que tu lui as dit sur
Anne ?
- Il m’a dit qu’elle avait effectivement prévu de partir
avec nous chez leurs parents. Apparemment, il avait
l’air de trouver cela normal.
- Tu veux que je lui parle ?
- Je ne sais pas si c’est vraiment utile, je préfère qu’il
rappelle.
- Je comprends. Mais il est vrai qu’il se laisse mener
par le bout du nez par Anne, depuis longtemps. On se
voit toujours mardi ?
- Oui, bien sûr, comme prévu. Merci d’avoir appelé.
- Pas de quoi, je suis ton amie, tu le sais bien.

Avant de se coucher, Célia prit à nouveau un


somnifère.

359
Ce lundi matin, elle se traînait littéralement pour sortir
de son lit. Elle prit une douche presque froide pour se
réveiller. Elle se prépara un thé bien fort, elle devait
être en forme pour attaquer sa dernière semaine de
travail. En poussant la porte de l’agence, elle vit
qu’Antoine était déjà là. Il l’accueillit avec un grand
sourire.
- Bonjour Célia, as-tu passé un bon week-end ?
- Pas vraiment non, mais je te remercie de t’en
inquiéter.

Puis, elle se dirigea vers son bureau sans un sourire.


Antoine ne l’avait jamais vue dans cet état.
- Célia, je ne veux pas me mêler de ce qui ne me
regarde pas, mais si tu as besoin de parler, je suis là !
- Tu es gentil, mais ça va aller. Je suis en colère contre
Thomas et contre moi-même. Je vais m’en remettre.
- Bon, comme tu veux. Je vais partir faire mes visites,
je serai de retour en fin de matinée. À tout à l’heure ?
- À plus tard, et merci.
360
Elle se promit de ne pas faire supporter sa mauvaise
humeur à Antoine et Bertrand. Elle allait se calmer en
tapant le courrier que son patron lui avait laissé sur
son bureau.
*

En fin de matinée, un coup de fil de Régis lui fit le


plus grand bien.
- Célia, j’ai une bonne nouvelle pour vous. J’ai
retrouvé l’imprimeur du livre de Marie, j’ai réussi à
obtenir le nom de famille de cette femme. Elle
s’appelle Marie Grazziani. L’imprimeur n’a pas voulu
me donner son adresse, mais je pense que l’on va
trouver sur internet. Je continue mes recherches et je
vous rappelle.
- Merci beaucoup Régis, je suis heureuse de pouvoir
mettre un nom de famille sur Marie. J’aimerais
tellement la retrouver.
- On va la trouver, je vous laisse. À plus tard !
361
Lorsque qu’Antoine revint vers midi, il trouva Célia
beaucoup plus souriante qu’il ne l’avait laissée le
matin.
- Je suis heureux de voir que tu vas mieux. Es-tu prise
pour le déjeuner ou pas ?
- Je suis libre Antoine. Tu souhaites déjeuner avec
moi ?
- Pourquoi pas ? Nous n’en avons pas souvent eu
l’occasion !
- Alors d’accord, je te suis.

Antoine lui avait fait découvrir un nouveau restaurant


chinois, installé depuis peu, à deux pas de l’agence
immobilière. Lorsqu’ils y pénétrèrent, ils furent
aussitôt accueillis par le patron. Il les installa dans un
genre de box, très confortable, et revint ensuite avec la
carte des menus. Célia regardait la décoration qu’elle
trouvait très jolie. Le plafond orné d’un ciel étoilé et
les lumières tamisées rendaient l’endroit très intime.
362
Pour y avoir déjeuné plusieurs fois, Antoine lui
conseilla deux ou trois plats qui sortaient un peu de
l’ordinaire. La commande passée, ils commencèrent à
se détendre :
- Alors dis-moi, pourquoi étais-tu de mauvaise
humeur ce matin ? Tu peux te confier, je n’irai pas le
répéter, rassure-toi.
- Disons que Thomas est un homme charmant et plein
de bonnes intentions, mais quand sa sœur débarque à
l’improviste, il laisse tout tomber pour elle. Nous
avions prévu un programme : dîner au restaurant et
cinéma, mais quand il est venu me chercher, le
programme avait changé. Nous dînions chez lui avec
sa sœur, Anne. Au début, j’étais plutôt contente de
faire sa connaissance, mais je me suis vite rendu
compte qu’elle ne m’appréciait pas, elle ne m’a pas
adressé la parole de la soirée et Thomas a fait comme
s’il n’avait rien vu. Je suis restée plantée là, comme
une godiche à les écouter rigoler, sans y être invitée.

363
- Quel accueil ! Il a de la chance que tu ne sois pas
partie après avoir pris une telle claque de la part de sa
sœur. Si tu tiens vraiment à lui, il va falloir que tu lui
fasses comprendre que s’il veut t’épouser, il doit te
mettre en avant, vis-à-vis de sa famille et pas le
contraire.
- Sa sœur veut venir avec nous chez leurs parents.
- Holà, il ne faut pas qu’il cède, sinon je ne donne pas
cher de ta peau, elle risque de monter la tête à ses
parents contre toi.
- C’est pour cette raison que j’attends sa réponse ce
soir. Et, en fonction de ce qu’il va me répondre,
j’aviserai.
- Ne gâche surtout pas tes vacances pour cela.
J’espère que vous aviez choisi un autre endroit pour
ces vacances ?
- Nous devions aller ensuite chez mes parents pour
quatre à cinq jours, puis en Vendée, où j’avais réservé
pour nous deux à St-Gilles-Croix-de-Vie.

364
- Je connais, c’est un super endroit. Tiens-moi au
courant.
- D’accord, je te dirai.
*

Ils rentrèrent repus à l’agence où Bertrand venait tout


juste d’arriver.
- Vous étiez partis déjeuner ensemble ?
- Oui, comme nous n’avions personne avec qui aller
déjeuner, j’ai invité Célia !
- Vous avez eu raison. Quoi de neuf Antoine ?

Les deux hommes allèrent s’enfermer dans le bureau


de Bertrand. De son côté, Célia se remit au travail,
mais le cœur n’y était pas. Elle repensait à Régis,
Caroline et enfin Antoine, qui, tous les trois, lui
avaient conseillé de parler à Thomas en urgence, si
elle ne voulait pas avoir de problèmes avec lui une
fois mariée.
*
365
Plus tard, lorsqu’elle quitta l’agence pour rentrer chez
elle, elle remarqua la voiture de Thomas. Ce dernier
lui ouvrit la porte sans sortir de la voiture. Célia
monta sur le siège passager. Il s’approcha pour
l’embrasser, mais elle le repoussa gentiment avant de
lui demander :
- As-tu réfléchi à ce que je t’ai dit hier ?
- J’en ai parlé avec Anne, elle a dit qu’elle était
désolée, elle n’avait pas voulu semer le trouble entre
nous deux. Tu ne la connais pas, c’est une fille sympa,
pleine de vie, qui adore plaisanter. Apprends à la
connaître et tu verras que tu l’apprécieras.
- Écoute Thomas, je veux bien faire un effort et aller
chez tes parents avec elle, bien que ce ne soit pas ce
qui était prévu. Je le ferai parce que je tiens à toi.
Mais, je te préviens, si elle se comporte chez tes
parents de la même façon que samedi soir, je repars
immédiatement, je ne me laisserai pas ridiculiser
devant ton père et ta mère.

366
- Mais tu repartirais comment ? Tu n’as pas de voiture
voyons !
- Ne te préoccupe pas de cela, je sais très bien me
débrouiller quand il le faut.
- Je te promets que tout se passera bien. Allez Célia, je
t’aime et tu le sais.
- Justement, j’attends de toi que tu saches me le
montrer, si on cherchait à me nuire.
- On part toujours samedi alors ?
- À condition que tu ne me laisses pas seule jusque-là.
- Je viendrai demain, si tu veux bien de moi.

Une fois Thomas parti, elle se traita d’imbécile


d’avoir accepté. Mais elle ne souhaitait pas que l’on
pense qu’elle ne voulait pas s’intégrer dans sa famille.
Elle commençait déjà à angoisser. En montant dans le
bus, elle chercha machinalement le livre de Marie,
mais il n’y était pas.

367
Elle rentra chez elle, persuadée qu’elle avait pris la
mauvaise décision. Elle s’affala sur son canapé,
alluma son téléviseur et essaya de se concentrer sur
une série policière américaine. Elle grignota quelques
gâteaux secs, puis avala un grand verre de coca.

Quand le téléphone sonna, elle devina aussitôt que


c’était Régis.
- Célia, j’ai bien trouvé l’adresse de Marie, mais il
semblerait qu’elle ait déménagé. Je vais continuer mes
recherches dans les villes alentours, on va bien finir
par la retrouver, ne vous inquiétez pas.
- Merci Régis, mais ne vous donnez pas autant de mal,
je ne voudrais pas vous attirer des ennuis avec
Valérie, je vais me débrouiller, c’est vraiment très
gentil.
- Pas de problème, je suis seul en ce moment, Valérie
préfère que je ne sois pas là, tant que les enfants sont
malades. J’ai donc tout mon temps et ça m’occupe.

368
- Dans ces conditions, je suis d’accord. À bientôt !
Se sentant soutenue par Régis pour la recherche de
Marie, elle se sentit mieux et alla se coucher, sans
somnifère cette fois.
*

Ce mardi, elle n’était pas en grande forme. Dans


l’autobus qui l’amenait à Toulouse, elle repensait à sa
nuit, qui avait été encore une fois cauchemardesque.
Tous les gens qui l’entouraient y avaient été plus ou
moins présents. Il en était advenu un méli-mélo de
situations plutôt dramatiques dans ses rêves, mais très
certainement burlesques, s’il s’était agi d’une situation
réelle. En poussant la porte de l’agence immobilière,
elle choisit d’en sourire. Bertrand l’accueillit très
gentiment et lui offrit de prendre un café avec lui,
avant de partir pour ses rendez-vous. Il l’interrogea :
- Comment allez-vous Célia, bientôt les vacances ?
- Je vais bien, et c’est bientôt le départ effectivement.
Y a-t-il quelque chose de spécial aujourd’hui ?
369
- Non, pas du tout. Je voulais prendre de vos
nouvelles, savoir si vous vous sentiez mieux après
tout ce que vous venez de vivre récemment.
- Merci de vous en inquiéter, tout va bien.
- Alors, je vais partir pour voir deux ou trois éventuels
clients et je pense revenir en début d’après-midi.
Antoine va arriver un peu plus tard, ce matin. Vous
serez donc seule aux commandes pour une bonne
partie de la matinée.
- D’accord, pas de souci, à plus tard.

En se remémorant la discussion avec Bertrand, Célia


devina qu’il avait vu Antoine la veille, c’était
sûrement pour cette raison qu’il lui demandait si elle
allait bien. Son collègue avait donc répété à Bertrand
ce qu’elle lui avait livré. Il avait pourtant promis de ne
pas répéter ce qu’elle lui confiait. Décidément, elle se
demandait à qui elle pouvait se fier. Elle se mit vite au
travail pour éviter de commencer à avoir des doutes
sur tout le monde.
370
Antoine arriva, comme prévu, en fin de matinée. Il
vint la saluer :
- Bonjour Célia, comment vas-tu ce matin ?
- Bonjour, tu as parlé de moi à Bertrand ?
- Je suis désolé, je m’inquiétais pour toi.
- Tu avais promis de ne pas répéter ce que je te
confiais !
- C’est vrai, tu as raison de m’en vouloir.
- Ceci dit, je suis une vraie crétine, car j’ai tout de
même accepté de partir avec Thomas et sa sœur à
Argelès, chez ses parents.
- Ils habitent Argelès ? Mais c’est tout à côté de
Perpignan. Tu te souviens que ma mère habite
Perpignan ?
- Oui, bien sûr ! Mais ça ne change rien au fait que je
suis une parfaite idiote d’avoir accepté. Je suis
certaine que ça va déraper avec sa sœur !
- Si tu as accepté, il faut y aller. Mais n’hésites pas à
me téléphoner si la situation se dégradait et que tu ne
371
puisses pas rentrer. Je téléphonerai à ma mère et elle
viendra te chercher à la gare de Perpignan. Tu
pourrais ainsi te reposer dans sa maison, en attendant
que je vienne te chercher.
- Mais Antoine, tu te rends compte de ce que tu dis ?
Je ne veux pas mêler ta maman à mes histoires. C’est
une vieille dame qui a déjà eu très peur pour toi quand
tu étais amnésique.
- Oui, mais ce que tu ne sais pas, ma chère Célia, c’est
que ma vieille maman, comme tu dis, ne m’a fait que
des éloges sur toi, après que j’ai recouvré la mémoire.
- C’est une femme charmante, et toi aussi d’ailleurs,
mais il m’appartient de me sortir seule de là où je me
suis mise. J’espère toujours que c’est moi qui me fais
des idées sur la sœur de Thomas.
- Comme tu voudras, mais n’hésite pas à m’appeler si
nécessaire.
- Merci Antoine, je suis très touchée.

372
- J’oubliais, je t’ai ramené des rapports de visite à
taper. Je pars déjeuner avec un client, je serai de
retour vers seize heures.
- Alors bon appétit avec ton client ou ta cliente, et à
tout à l’heure

Antoine venait à peine de sortir, que Caroline arrivait


pour déjeuner avec elle.
- Salut toi, tu vas bien ?
- Ça va, aujourd’hui, tout le monde s’inquiète pour
moi. Je devrais être contente non ?
- Tout le monde ?
- Bertrand, Antoine, toi hier et Régis aussi. Et malgré
la gentillesse de tous, je me sens très mal dans ma
peau. J’angoisse à l’idée de partir en vacances.
- Tu as eu Thomas au téléphone hier soir ?
- Oui, je vais t’expliquer tout ça en marchant jusqu’au
restaurant.

373
Les deux femmes fermèrent l’agence et s’engagèrent
vers la place du Capitole, là où les nombreuses
terrasses étaient déjà envahies à cette heure de la
journée. Elles s’installèrent sous les parasols de la
terrasse d’une  « saladerie ». Pendant le repas,
Caroline écoutait son amie lui relater sa conversation
avec Thomas.

À la fin de son récit, elle regarda Célia droit dans les


yeux et lui répondit :
- Je le connais bien, il est adorable, mais très faible
avec sa famille. Je pense, d’après ce que tu viens de
me raconter, qu’il ne saura pas prendre le dessus sur
sa sœur. Maintenant que tu as accepté de laisser entrer
le loup dans la bergerie, il va te falloir beaucoup de
courage pour l’affronter. Je comprends que tu puisses
angoisser. Ne te laisse jamais marcher sur les pieds
par sa famille, il faut que tu leur montres que tu as du
caractère et que tu tiens à Thomas.

374
Ensuite, tu verras selon l’attitude de ton futur mari, si
ce mariage doit se faire ou pas. J’aime beaucoup
Thomas, mais je t’aime encore plus, toi mon amie. Et
la seule chose que je veux pour toi, c’est ton bonheur !

- Merci Caroline de m’avoir parlé sincèrement, je


tiendrai compte de ce que tu viens de me dire.

Célia était en train de terminer la frappe qu’Antoine


lui avait laissée, lorsque celui-ci entra. Avec un grand
sourire, elle lui remit le tout et le taquina :
- Alors ce déjeuner avec ta cliente ?
- Très bien, je te remercie, et toi ?
- Avec Caroline, c’était très bien aussi.
La conversation s’arrêta au moment où Bertrand
entrait à son tour. Comme à chaque fois, il invita
Antoine à venir dans son bureau pour discuter de leurs
rendez-vous réciproques. Elle les quitta comme
d’habitude à dix-huit heures.

375
Le soir même, Thomas était au rendez-vous. Pendant le
dîner, il fut charmant, tendre et semblait vouloir
reconquérir Célia. Celle-ci, toujours amoureuse de lui, se
retrouva très vite dans ses bras. À la façon qu’il avait de se
comporter, elle pensa qu’il avait déjà oublié l’objet de leur
désaccord. Elle ne chercha pas à le contrarier et l’invita à
rester pour la nuit. Il ne se fit pas prier et en profita pour
lui déclarer à nouveau ses sentiments.

Le lendemain matin, Célia s’éveilla seule dans son lit.


Thomas était parti en lui laissant un mot sur la table
de la cuisine : « Je suis heureux de notre
réconciliation, j’essaierai d’être là demain soir, je
t’appellerai. Je t’aime. Thomas »
Elle avait attendu, il n’avait pas appelé.

Le jeudi, comme prévu, Célia entrait dans le bâtiment


où elle avait rendez-vous avec madame Lambert,

376
directrice de l’association où Marie était entrée pour
la première fois en 1993.
À l’accueil, on la fit attendre un moment, puis une
femme d’un certain âge, s’avança vers elle.
- Vous êtes Célia Carron ?
- Oui, elle-même,
- Allons dans mon bureau.

Très pressée d’en savoir plus sur Marie, elle emboîta


le pas à cette charmante femme. Après avoir été
invitée à s’installer face à son bureau, madame
Lambert engagea la conversation.
- Alors, vous êtes donc la personne qui m’a appelée
pour m’apprendre que vous recherchiez une certaine
Marie, laquelle avait poussé la porte de notre
association, lorsque son fils lui avait été enlevé par
son mari tunisien ?
- C’est exact, j’ai effectivement appris tout cela en
lisant le récit de son histoire, dans un livre qu’elle
avait fait imprimer. Avec l’aide d’un ami, nous avons
377
pu apprendre son nom de famille, elle s’appelle ou
s’appelait, si elle s’est mariée entre-temps, Marie
Grazziani. Je sais, par ses écrits, qu’elle a travaillé
bénévolement dans votre association avec madame
Barrier. Tout du moins, jusqu’en 2002 voire plus.
Mais hélas, j’ai perdu son livre dans un bus, ce qui fait
que je ne connais pas la suite de son histoire et, bien
entendu, je n’en sais pas plus sur ce qu’elle est
devenue.
- Et vous voudriez la rencontrer pour quelle raison ?
- Parce qu’à travers son récit, je me suis attachée à
elle. Je sais ce qu’elle a vécu, elle a beaucoup souffert
de l’absence de son fils Yanis. Et le dernier jour où
j’ai pu la lire, elle parlait d’une lettre qu’elle avait
reçue de son fils Yanis, qui lui disait qu’il avait appris
que sa véritable mère, c’était elle. Il voulait venir la
voir et lui demandait de l’argent pour prendre l’avion,
car son père ne pouvait pas lui en donner. C’est tout
ce que j’ai pu apprendre d’elle pour l’instant.

378
- J’ai fait des recherches, suite à votre appel et, ce que
vous venez de me révéler sur son identité, correspond
tout à fait, à ce que j’ai découvert. Effectivement, elle
est venue dans cette association, pendant trois années.
Ensuite, elle est partie à la frontière espagnole, dans
l’attente de pouvoir reprendre son fils.
- Super, elle a donc pu le retrouver, c’est magnifique.
Je suis heureuse pour elle.

- Cela n’a pas été sans problème au début. Mais son


ex-mari est mort en tombant d’un échafaudage, après
cela, les choses se sont accélérées. La veuve ne
voulant pas garder avec elle un enfant qui n’était pas
le sien, n’a fait aucune difficulté pour lui rendre son
enfant. Elle a tout de même exigé de l’argent en
contrepartie. Les autorités n’en ont rien su, tout cela
s’est fait dans la discrétion. Marie était prête à tout
pour reprendre son fils.
- Et tout cela vous l‘avez appris de quelle façon ?
379
- En faisant les mêmes démarches que vous, retrouver
l’imprimeur du livre et lui demander de m’en
imprimer un exemplaire. Inutile de vous dire que je
l’ai lu très rapidement. En partie ici, mais aussi chez
moi.

- Et vous savez si elle habite toujours sur Toulouse ?

- Au moment d’aller chercher son fils en Tunisie, elle


était chez ses amis à la frontière espagnole. Là-bas
aussi, il y a une association similaire à la nôtre. Ils lui
ont proposé de venir travailler avec eux et elle a
accepté. Depuis, elle s’est mariée avec un Espagnol
qui s’appelle José et avec lequel elle a eu une petite
fille.
- Je vais cet été tout près de la frontière espagnole,
pourriez-vous me donner l’adresse de l’association,
j’aimerais y passer.

380
- Je vous comprends et comme vous avez perdu son
livre, je vous laisse celui que j’ai acheté, vous pourrez
ainsi en terminer la lecture. Je vais vous donner
l’adresse de l’association, allez-y avec le livre, elle
comprendra pourquoi vous êtes là.

- Merci madame Lambert, je vous suis infiniment


reconnaissante, je reviendrai vous voir pour vous
raconter, si j’ai la chance de la voir et pour vous
rendre votre livre.

- Rien ne presse, je vous souhaite de réaliser votre


projet. Merci Célia de vous être inquiétée du sort de
Marie.
- À bientôt madame.

En sortant, Célia avait envie de faire des bonds, et de


laisser éclater sa joie. Elle téléphona aussitôt à Régis,
pour lui faire part de la bonne nouvelle. Elle promit de

381
le rappeler pour lui raconter son entretien avec la
responsable de l’association.

Le soir même elle avait repris la lecture du livre de


Marie.

382
CHAPITRE 17

Les bagages avaient été chargés dans le coffre de la


voiture. Anne s’était excusée auprès de Célia pour son
comportement du week-end passé. Elle lui expliqua
que c’était la joie de revoir son frère, qui lui avait
probablement fait oublier sa présence, ce soir-là. Ceci
dit, elle monta à l’arrière du véhicule, laissant Célia
s’asseoir aux côtés de Thomas. Au bout de quelque
temps, le silence qui régnait dans la voiture, devenait
pesant. Ayant entendu un bruit bien distinctif, Célia se
retourna vers Anne, pour constater que cette dernière
ronflait, allongée sur la banquette arrière.

Thomas souriait devant son air étonné et lui confia :


- C’est normal chez elle, dès qu’elle se trouve à
l’arrière d’une voiture, elle s’endort.

383
- Heureusement que la durée du voyage n’est pas
longue, soupira Célia.
Comme Thomas ne semblait pas vouloir lui tenir la
conversation, elle décida de fermer les yeux, pour lui
faire croire qu’elle s’était endormie. Son
comportement l’agaçait énormément, elle espérait que
cela ne durerait pas.

Lorsqu’ils arrivèrent à Argelès, elle fit semblant de se


réveiller, tout comme la sœur de Thomas à l’arrière. Il
leur déclara en riant :
- J’ai beaucoup de chance, j’avais deux femmes dans
ma voiture, et elles se sont endormies, bonjour la
conversation !
- Désolée, répondit Célia. J’avais très mal dormi la
nuit dernière.
- Et moi, je me suis réveillée bien trop tôt, déclara
Anne.

384
La ville était déjà envahie de touristes. La chaleur
atteignait les vingt-cinq degrés à l’ombre, et
nombreux étaient ceux qui se faisaient bronzer sur les
plages. Thomas contourna les axes principaux, pour se
diriger vers une zone un peu plus éloignée et plus au
calme. Il s’arrêta enfin devant une petite maison de
plein pied avec, sur le devant, une jolie pelouse
entourée de fleurs odorantes. Au centre, une table et
des chaises avaient été installées, surmontées d’un
grand parasol.

Il s’extirpèrent de la voiture pour se diriger vers la


malle et prendre leur bagage. C’est Anne qui entra la
première dans la maison, suivie de Thomas et Célia.
Leurs parents avaient le sourire en les accueillant. Ils
se montrèrent charmants avec Célia, à tel point, que
celle-ci se demanda si Thomas les avaient mis au
courant de la discussion qui avait eu lieu entre eux.
Elle décida de ne rien montrer de son appréhension.

385
Pendant le déjeuner, Gisèle, la maman de Thomas,
était aux petits soins avec elle et Jacques, le papa, très
charmant. Au moment de débarrasser la table, Célia
allait se lever, quand Gisèle lui fit le geste de rester
assise. Elle fit un signe à sa fille qui voulait dire, lève-
toi. Anne s’était levée avec un demi-sourire vers Célia
et avait suivi sa mère dans la cuisine. Gênée par cette
situation, Célia n’osait pas regarder en direction de
Jacques, son futur beau-père. Elle se contenta de faire
semblant d’écouter la conversation qui s’était engagée
entre Thomas et son père. Néanmoins, elle avait
entendu des bruits de voix étouffées dans la cuisine,
certaine que le ton était monté entre la mère et la fille.
Un instant plus tard, les deux femmes revenaient avec
un plateau, sur lequel une cafetière et quatre tasses
avaient été déposées, ainsi qu’un sucrier et des petites
cuillères. Gisèle servit le café et Anne revint avec un
mug rempli de thé.

386
La vaisselle fut ensuite mise dans le lave-vaisselle et
c’est alors qu’Anne proposa à son frère de se rendre à
la plage pour une baignade. Célia attendait que
Thomas lui demande son avis, mais il n’en fut rien. Il
lui dit simplement :
- Va mettre ton maillot de bain, et n’oublies pas de
prendre des serviettes, je suis impatient d’aller me
baigner.

Célia s’exécuta sans rien dire et sortit avec eux. Le


frère et la sœur marchaient devant. Elle, fermait la
marche.
La plage grouillait de monde, difficile de trouver une
place pour y poser sa serviette. Ils finirent par
dénicher un endroit un peu à l’écart et ils
s’installèrent. Thomas semblait pressé d’aller se
baigner, mais sa sœur voulait se faire bronzer avant. Il
demanda alors à Célia si elle souhaitait y aller avec
lui. Elle ne répondit pas, mais elle se leva, et se mit à

387
courir vers la mer. Un peu déconcerté, il courut pour
la rattraper.

Quand il pénétra dans l’eau, elle avait déjà pris de


l’avance sur lui. Il se mit à nager avec ardeur et réussit
à revenir à sa hauteur. Il la félicita :
- Tu nages drôlement bien dis donc, j’ai eu du mal à te
rattraper.
- Je vais nager le soir, après le travail, dès que j’ai un
peu de temps.
- Je ne savais pas, on dirait que tu es professionnelle !
- C’est sans doute parce que j’étais maître-nageur
autrefois.
- C’est vrai ? Mais où donc ?
- Dans la ville voisine de Castelginest, là où l’on
emmenait les enfants de l’école pour leur apprendre à
nager.
- Si je me noie, je suis donc assuré d’être sauvé par
toi.
- Peut-être que oui, peut-être que non !
388
- Que veux-tu dire par là ?
- Que tout dépendra de ton attitude envers moi,
pendant nos vacances !

Elle repartit aussitôt vers la plage, dans un crawl


puissant, laissant Thomas sur place. Lorsqu’il arriva
enfin sur le sable fin, il s’écroula littéralement sur sa
serviette. Célia eut un petit sourire de victoire. De son
côté, Anne se faisait dorer. Son corps luisait, de crème
solaire dont elle s’était enduite. Un quart d’heure plus
tard, elle se tourna vers son frère et lui demanda :
- Tu viens nager avec moi ?
- Je préfère attendre encore un peu, je suis crevé
d’avoir nagé avec Célia tout à l’heure.
En entendant ses mots, cette dernière fit semblant de
s’être endormie, mais elle sentit peser le regard
d’Anne sur elle.

Le soleil ardent, fit se lever Célia une nouvelle fois


pour aller se mettre à l’eau.
389
Anne la suivit sans dire un mot. C’est alors qu’elle
aborda sa future belle-sœur :
- Tu te sauvais toute seule, tu aurais pu me dire que tu
voulais te baigner !
- Excuse-moi, répondit Célia. Je croyais que tu
dormais
- Il parait que tu as épuisé Thomas en allant nager ?
- C’est certainement le manque d’entraînement, je
pense.
- Parce que toi, tu t’entraînes ?
- Je vais souvent nager, c’est tout !
- On fait la course ? demanda Anne.
- Si tu veux. Jusqu’où veux-tu aller ?
- La bouée là-bas, à une centaine de mètres.
- D’accord !

Anne fut la première à l’eau. Célia remarqua aussitôt


qu’elle n’était pas bonne nageuse et lui laissa un peu
d’avance. C’est alors que sa future belle-sœur lui
lança une remarque blessante :
390
- Alors, qu’est-ce que tu fais ? Tu as donc pris autant
de poids que tu n’arrives plus à nager ?

Célia en colère, se mit à nager avec énergie jusqu’à la


bouée, laissant Anne très loin derrière. Quand cette
dernière arriva à son tour, elle était tellement
essoufflée, qu’aucun mot ne put sortir de sa bouche.
Ce qui amusa Célia, persuadée qu’elle lui aurait dit
une autre méchanceté. Elle la laissa reprendre son
souffle, avant de repartir vers la plage, en nageant plus
lentement.
Arrivée sur le sable, Anne s’affala sur sa serviette.
Thomas souriait. Il avait compris que sa sœur avait
voulu faire la course avec Célia et qu’elle avait été
prise à son propre jeu.

Lorsqu’ils rentrèrent, ils passèrent sous la douche et


Thomas proposa à toute sa famille, d’aller dîner au
restaurant. Les parents étaient tentés, mais Anne

391
refusa, prétextant qu’elle était trop fatiguée. Ils
décidèrent alors de rester avec Anne, mais
encouragèrent leur fils et Célia à y aller sans eux. Il
eut une hésitation, mais devant le regard de Célia, il se
souvint de ce qu’elle lui avait dit en arrivant à
Argelès, et prit la bonne décision :
- Bon, alors nous y allons tous les deux !

Ils n’avaient pas encore fermé la porte, qu’ils


entendirent Anne faire une réflexion :
- Ils sont gonflés de nous laisser tous seuls, cette fille
lui a mis le grappin dessus, il n’est plus comme avant.
Ils n’entendirent pas la réponse des parents, mais
Thomas avait blêmi en entendant les paroles de sa
sœur. Il prit Célia par le cou et tout en marchant vers
le centre-ville, il lui annonça :
- Nous allons prendre tout notre temps, la soirée
s’annonce belle !
Célia souriait, heureuse qu’il ait pris la bonne
décision.
392
Ils s’installèrent sur une terrasse où des musiciens
gitans jouaient divinement bien de la guitare. Les
estivants tapaient des mains pour les accompagner.
L’ambiance était superbe. Ils étaient aux anges et se
mêlèrent aux applaudissements du public. Ils se
sentaient bien, enfin les vacances commençaient.

*
Le lendemain matin, après un petit-déjeuner copieux,
Thomas proposa à Célia, de faire une balade en ville
et, par la même occasion, de flâner au marché « petite
poste », parmi les étals tous plus appétissants les uns
des autres. Elle s’empressa bien sûr d’accepter la
récréation ! Ils déambulèrent tranquillement à travers
la ville et Thomas en profita pour lui conter l’histoire
d’Argelès.
*
« La ville d’Argelès-sur-Mer doit son nom à la terre
argileuse sur laquelle elle est construite. La commune
393
est implantée sur un territoire de presque 6000
hectares. Il s’étend du massif des Albères, au niveau
de la frontière espagnole, jusqu’au cœur de la plaine
du Roussillon et la rivière Le Tech. Le sommet le plus
important d’Argelès, est le pic des Quatre Termes, un
peu plus de 1000 m.

Deux dolmens se dressent depuis plus de 4000 ans


dans la végétation dense des Albères : ce sont les plus
vieux témoins de l’occupation humaine sur l’actuel
territoire d’Argelès ».

Célia le félicita pour cette très jolie présentation de la


ville et en profita pour le taquiner sur ses aptitudes à
presque travailler dans l’immobilier…

Après les emplettes du marché, ils s’arrêtent à la


boulangerie, où Thomas acheta des tartelettes aux
fruits. Puis, ils rentrèrent, ravis de leur petite
promenade.

394
Gisèle était déjà aux fourneaux, tandis que Jacques
préparait l’apéritif. Célia se proposa pour donner un
coup de main en cuisine, mais sa future belle-mère, lui
répondit :
- Ça va aller, je vais m’en sortir. Si vous voulez, vous
pourrez mettre la table après l’apéritif ?
- Avec grand plaisir !

Le père et le fils discutaient tout en sortant les


bouteilles et les amuse-gueules. Célia allait les
rejoindre, lorsqu’Anne fit son apparition. Il était midi
et il semblait qu’elle venait tout juste de se réveiller.
Jacques ne sembla pas apprécier de voir sa fille se
lever aussi tard :
- Il est bien temps de te lever, nous allons passer à
l’apéritif !
- Je suis en vacances, non ? Moi, je vais prendre un
café !
Elle s’en retourna vers la cuisine en grommelant.

395
Quelques minutes plus tard, on la vit passer dans le
couloir avec son nécessaire de toilette. Sa mère lui
demanda :
- On t’attend pour prendre l’apéritif ou pas ?
- Non, après la douche, je vais me baigner.

Les parents de Thomas ne répondirent pas et


invitèrent Célia à venir trinquer avec eux, dans la salle
de séjour. Juste avant qu’ils ne passent à table, Anne
sortit en claquant la porte. Devant le visage contrarié
de ses parents, Thomas engagea la conversation sur la
destination de leurs vacances. Gisèle s’adressant à
Célia :
- Vous passez donc chez vos parents, avant de partir
en Vendée ?
- Oui, nous y resterons quatre ou cinq jours, puis
ensuite direction la Vendée.
- Quel est votre métier, si je ne suis pas indiscrète bien
entendu ?

396
- Je n’ai pas de secret. Je suis l’assistance du directeur
d’une agence immobilière et de son associé.
- Et quelles sont vos fonctions ?
- Je reçois les clients ou futurs clients. Je les conseille
quand ils en ont besoin. Parfois, je leur fais visiter
l’appartement ou la maison qui les intéresse, quand
mon patron ou son associé, sont pris par d’autres
engagements.
- Et ce travail vous plaît ?
- Beaucoup, nous faisons parfois de belles rencontres.
- C’est-à-dire ?
- Je vous cite l’exemple d’une dame veuve, qui est
venue me voir pour savoir si elle avait le droit de
louer deux de ses chambres à des étudiants.
- En voilà une drôle d’idée ?
- Elle avait lu dans les journaux, que beaucoup de
parents d’étudiants, n’avaient pas les moyens de payer
le loyer d’un appartement pour leur enfant. Comme

397
elle vivait dans un grand appartement, elle voulait
aider ces étudiants à sa manière.
- Et, elle a pu louer ?
- C’est à l’étude actuellement. J’ai trouvé cette femme
très généreuse.
- Généreuse certes, mais peut-être très imprudente !
Imaginez qu’elle tombe sur des jeunes sans scrupules,
qui la dépouillent de tout ce qu’elle a ?
- C’est pour cette raison que c’est à l’étude. Les
jeunes seront sélectionnés par l’agence,
renseignements pris auprès de leurs établissements.
- Hum ! Et vous gagnez bien votre vie ?

Thomas interrompit sa mère :


- Maman, s’il te plaît ! C’est très personnel.
- Excusez-moi, Célia. Je suis trop curieuse.
- Vous êtes toute excusée madame, répondit-elle.

Après le repas, Thomas invita Célia à faire une


promenade, pour lui faire visiter les environs. Elle
398
accepta avec joie, heureuse d’être enfin seule avec lui.
Anne n’était pas encore revenue de la baignade, rien
n’obligeait donc son frère à l’emmener avec eux.
Ils visitèrent les ports de Canet et St Cyprien. Puis, il
proposa une baignade. Elle était ravie et commençait à
décompresser. Lorsqu’ils rentrèrent à Argelès, Anne
semblait furieuse que son frère ne l’ait pas attendue
pour partir en balade. Il tenta de se défendre :
- Tu n’étais pas rentrée de la plage quand nous
sommes partis !
- Vous ne pouviez pas m’attendre ?
- Anne, ça suffit, tu vas trop loin. Nous ne sommes
pas à ta disposition.
- Je vois, mademoiselle Célia passe avant nous, c’est
ça ?

Intérieurement, Célia bouillait, elle attendait de


Thomas qu’il explique à sa sœur, qu’ils avaient prévu

399
de passer des vacances tranquilles, mais certainement
pas perturbées par sa sœur. Il répondit simplement :
- Célia est ma future épouse, et il est normal que je
sois auprès d’elle pendant nos vacances.
- Vous comptez vous marier quand ?
- Quand nous l’aurons décidé.

Jacques mit fin à cette dispute :


- S’il te plaît Anne, cesse ces enfantillages. Ils ont
parfaitement le droit d’être seuls pour se promener,
s’ils ont l’intention de se marier !
- Je vois, vous êtes tous contre moi. Bien joué, Célia,
tu es très forte pour semer la pagaille dans une
famille !

Thomas regardait sa sœur, médusé :


- Retire tout de suite ce que tu viens de dire à Célia !
- Certainement pas, si tu te maries avec elle, je ne
viendrai pas.

400
Le regard des parents allait de Thomas à Anne et
ensuite vers Célia. Ils semblaient attendre une réaction
de Célia, qui visiblement, n’avait pas l’intention
d’intervenir. Thomas, lui, restait stupéfait devant la
méchanceté de sa sœur.
- Je crois, Anne, que c’est toi qui es très forte pour
semer la zizanie dans la famille. Je voudrais bien
savoir ce que tu as contre elle ?
- Elle n’est pas de notre milieu, et elle n’a aucune
classe. Tu aurais pu trouver mieux, non ?
- J’ai choisi Célia, justement parce que je n’aime pas
le monde que je fréquente. Toute cette hypocrisie,
cette façon de toiser les gens qui ne vivent pas comme
eux.

Aussitôt, Jacques intervint :


- Tu veux dire Thomas que tu nous renies ! Tu
n’aimes pas le monde dans lequel nous t’avons élevé ?

401
- Vous savez très bien que je vous aime, cela n’a rien
à voir !
- Je crains qu’il te faille faire un choix mon fils. Si tu
veux te marier avec Célia et que tu refuses d’y inviter
nos connaissances, nous ne serons pas présents non
plus !

À ce moment, Célia poussa un grand cri :


- Stop ! Votre fils vous adore, alors pourquoi chercher
à lui faire des ennuis ? Si vous ne voulez pas de moi,
très bien, je vais m’en aller. Effectivement, nous ne
sommes pas du même monde, mais je pensais que
vous seriez attentifs au désir de votre fils.
- Célia, ne complique pas tout, répondit Thomas.
- Non, Thomas, je ne cherche pas les complications.
Dans notre famille, on se respecte, on ne menace pas
quelqu’un qui a fait un choix différent des autres.
Chez nous, l’amour est plus important que l’argent. Je
préfère que nous arrêtions là tous les deux, pour deux

402
raisons : la première, est que je ne veux pas que tu te
fâches avec tes parents à cause de moi. La seconde,
est que je n’accepterai jamais d’être une femme
soumise, qui accepte, en baissant la tête, les réflexions
blessantes de sa belle-famille. Je vais appeler un taxi,
et prendre mes bagages.
- Enfin Célia, tu as vu l’heure qu’il est ? Où comptes-
tu aller ? demanda Thomas.
- Ça, c’est mon problème !

Elle grimpa les escaliers jusqu’à la chambre et, avant


de faire sa valise, elle prit son téléphone portable et
appela Antoine. Au bout de quelques sonneries, on
décrocha :
- Oui, Célia ?
- Comment sais-tu que c’est moi ?
- Ton nom vient de s’afficher sur mon téléphone !
- Ah bon ?
- Que puis-je faire pour toi ?

403
- Ta proposition tient toujours pour aller chez ta
mère ?
- Bien entendu, tu as des ennuis ?
- Oui, je pars, je vais appeler un taxi pour m’emmener
à la gare.
- Très bien, quand tu seras à la gare, appelle-moi, pour
me donner l’heure d’arrivée de ton train.
- Mais il est tard, je ne vais pas demander à ta maman
de venir me chercher à la gare à cette heure-ci ?
- C’est moi qui viendrais te chercher, je suis venu
passer le week-end chez ma mère.
- Mais ce n’était pas prévu ?
- Je n’étais pas sûr, mais j’avais envie de la voir.
Appelle vite ton taxi !
- Heu, d’accord, j’appelle !

Elle appela la station de taxis. On lui répondit qu’il y


avait un quart d’heure d’attente. Pendant ce temps,
elle prit ses affaires pour les ranger dans sa valise. Au
moment où elle s’apprêtait à sortir de la chambre, elle
404
entendit toquer à la porte. Elle ouvrit et trouva le
visage de Thomas, complètement décomposé :
- Ce n’est pas sérieux Célia, tu veux vraiment t’en
aller ?
- Oui, tu tiens beaucoup trop à ta famille. Tu serais
malheureux avec moi, nous n’avons pas la même
façon de vivre.
- Mais où vas-tu ?
- Un taxi va arriver et, pour ce soir, j’irai à l’hôtel.
Demain, je partirai chez mes parents. Maintenant,
laisse-moi passer, mon taxi va arriver.
- Ne pars pas s’il te plaît !
- Tu sais que c’est la meilleure décision que je
pouvais prendre. Choisis, quelqu’un de ton milieu, tu
verras, tu seras heureux.

Célia descendit rapidement les escaliers avec sa


valise, et passa la porte d’entrée sans un mot pour
cette ex future belle-famille. Le taxi venait juste
d’arriver.
405
À la gare, renseignements pris sur les horaires de train
pour Perpignan, elle s’empressa de téléphoner à
Antoine.

Il était déjà plus de vingt heures, lorsque le train arriva


en gare de Perpignan. Antoine était là. Il s’avança
pour lui prendre sa valise et lui fit la bise.
- Viens, maman nous a préparé quelque chose pour
notre arrivée.
- Je suis navrée d’arriver comme ça, comme un
cheveu sur la soupe.
- La soupe est la spécialité de ma mère, tu vas voir, tu
vas l’adorer.
- Quoi ? La soupe ou ta mère ?
- Les deux, répondit Antoine en riant.
- Alors, allons-y !
Dans la voiture, elle raconta ses deux premiers jours
de vacances avec la famille de Thomas et les
réflexions blessantes qu’elle avait subies. Elle trouvait

406
presque des excuses à Thomas, obligé d’accepter une
vie qui n’était pas la sienne.
Après l’avoir écoutée, Antoine répondit :
- Ici, tu seras reçue comme une princesse, ne
t’inquiètes pas. Demain, je dois repartir sur Toulouse,
mais je vais voir avec Bertrand, pour prendre quelques
jours de congé. Je pense revenir mercredi soir, de
cette façon, je t’emmènerai chez tes parents.
- Mais Antoine, je peux prendre le train, pour aller
chez eux !
- Si Bertrand m’accorde une semaine de congés, je t’y
emmènerai avec plaisir. Voilà, nous arrivons.

Il s’était garé devant une maison un peu à l’écart.


C’était une vieille maison comme les aimait Célia.
Une maison qui avait une âme. Lorsque la porte
s’ouvrit, ce fut sur le sourire de madame Eymard, la
maman d’Antoine.

407
CHAPITRE 18

Célia s’éveilla aux alentours de huit heures. Le soleil


était déjà haut dans le ciel. La chambre, que la maman
d’Antoine avait préparée pour elle, était ravissante
même si la décoration datait, sans aucun doute, de
plusieurs années. Un papier peint très joliment fleuri,
sans excès. Le mobilier rustique comprenait : un lit
d’une personne, une commode et une petite armoire
avec un miroir en son centre. La literie, très
confortable, lui avait permis de s’endormir sans trop
de difficultés, malgré les derniers évènements plutôt
décevants.

Elle se leva, attirée par la bonne odeur du café. Dans


la cuisine, madame Eymard avait préparé un bon
petit-déjeuner. Ça sentait bon le pain grillé et Célia fut
accueillie très chaleureusement :
408
- Venez donc vous installer et mangez de bon appétit.
- Merci beaucoup madame Eymard,
- Pas de mondanités entre nous, appelez-moi
Valentine.
- Vraiment ? Vous souhaitez que je vous appelle par
votre prénom ?
- J’en serais très heureuse, vous avez tellement été aux
petits soins avec mon fils quand il était hospitalisé, je
vous en suis très reconnaissante.
- Merci beaucoup. Antoine est déjà parti ?
- Oui, il y a environ une demi-heure. Il a dit qu’il
allait appeler dès son arrivée à Toulouse. Ce matin, si
le cœur vous en dit, nous irons au marché ?
- Oui, je veux bien.
- Alors je vous laisse prendre votre petit-déjeuner
tranquille.
*

La veille, Antoine avait rapidement mis sa mère au


courant que Célia allait arriver, suite à son coup de
409
fil : une mésentente familiale chez les parents de son
futur mari.
Pendant le souper, sa maman avait interrogé Célia à
propos de cette mésentente. Cette dernière lui raconta
alors ses deux journées passées à Argelès. La maman,
ébahie, avait répondu :
- Mon Dieu, comment cette jeune femme a pu être
aussi odieuse avec vous ? Et ses parents n’ont rien
dit ?
- Si, ils lui ont demandé de cesser ses enfantillages.
Mais apparemment, ils ont l’habitude des caprices de
leur fille.
- Mais votre fiancé, lui, ne disait rien ? Il ne vous a
pas défendu ?
- Il l’a fait, oui, mais pas de la façon que je l’espérais.
Il a demandé à sa sœur d’avoir plus de respect à mon
égard, mais il n’a pas eu le courage d’affronter ses
parents pour leur signifier, que désormais, nous

410
allions nous marier et qu’ils devaient m’accepter, telle
que je suis.
- Qu’entendez-vous par là ?
- Je ne suis pas du même milieu que cette famille et
leur fille me l’a bien fait comprendre. Thomas a dit
que pour lui ce n’était pas un problème s’il ne
fréquentait pas leur milieu. Ce qui a eu pour
conséquence, la colère de son père, qui a répondu que
dans ces conditions, ils ne viendraient pas au mariage,
s’ils ne pouvaient pas inviter leurs connaissances.
- Il a quand même tenu tête à ses parents !
- Oui, c’est vrai. Mais je sais qu’il les aime beaucoup
et, s’il ne devait pas les revoir à cause de notre
mariage, tôt ou tard, nous aurions certainement
divorcé. J’ai préféré rompre avant le mariage. Je suis
certaine qu’il trouvera une femme du même monde
qu’eux et qu’il sera finalement plus heureux.
- Vous l’aimez toujours ?
- Je ne sais pas, j’ai été très déçue !

411
Antoine qui avait écouté son récit, ajouta :
- Tu as tout ton temps pour y réfléchir. Ici, tu es chez
toi, et je sais que maman va bien s’occuper de toi. Tu
vas te détendre et visiter la ville. Je pars demain matin
et je vous appelle, dès mon arrivée.

*
Après le petit-déjeuner, Célia fila à la salle de bains et
se prépara pour sortir avec Valentine.
Le marché était grand et plaisant. Elle avait pris le
bras de madame Eymard comme elle l’aurait fait avec
sa maman, et les deux femmes déambulaient
joyeusement entre les étals. Avant d’acheter quoi que
ce soit, Valentine lui demandait toujours si elle aimait
ou pas. Quand le panier qu’elle tenait sur son bras,
commençait à se faire lourd, Valentine le posait, afin
de régler le commerçant. Célia profita de cet instant,
pour le lui prendre discrètement. Valentine ne dit rien,
mais sembla apprécier cette initiative. Elles rentrèrent
412
ensuite, bras dessus bras dessous, ravies de cette belle
matinée.
Au moment de préparer le repas de midi, Célia
proposa son aide pour éplucher les légumes. Valentine
voulut refuser, mais accepta finalement.

Pendant le repas, Célia parla du livre de Marie et de


son histoire. Elle raconta que Marie, avait finalement
décidé de partir en Espagne, pour récupérer son fils
par l’intermédiaire d’une association du même type
que celle de Toulouse. Ensuite, elle y était restée et
travaillait depuis pour l’association espagnole. Elle
ajouta que Marie y avait rencontré son futur époux et
que depuis, ils avaient eu ensemble, une petite fille.

Lors de son récit, Valentine était restée suspendue aux


lèvres de son invitée.
- Cette histoire est incroyable, je suis très heureuse
que cette jeune femme ait réussi à récupérer son fils.

413
- Moi aussi, et si Antoine le veut bien, quand il sera de
retour, j’aimerais qu’il m’accompagne jusqu’à cette
association, pour rencontrer cette femme étonnante.
J’ai eu tellement d’émotions en lisant son livre, que
j’avais l’impression de la connaître. J’avoue que
parfois, elle m’a fait pleurer.
- Je suis certaine que mon fils vous y accompagnera
avec plaisir, nous ne sommes pas loin de la frontière
espagnole, vous pourrez aisément faire l’aller et retour
dans la journée.

L’après-midi, Célia était allée à la plage, pendant que


Valentine faisait sa sieste.
Elle avait pris le livre de Marie, pour en continuer la
lecture. Même si elle savait déjà la fin heureuse de son
histoire, elle souhaitait quand même en lire le contenu
et, partager avec elle, à travers ses mots, les émotions
fortes qu’elle avait vécues.

***
414
Novembre 2002

J’ai réussi à obtenir, dans un premier temps, de


pouvoir prendre mon fils pendant les vacances
scolaires de Noël. La femme d’Elias avait appuyé ma
demande auprès des autorités, arguant que Yanis
était le fils de son défunt mari et d’une femme
française. Il semblait que cette famille devait avoir
des appuis importants, il s’agissait d’en profiter.
De mon côté, j’ai revu mon avocat qui s’est démené
auprès des autorités françaises, afin que mon fils me
revienne, suite au décès de son père.

Décembre 2002

Yanis est là, auprès de moi, très heureux de faire ma


connaissance. Il est très étonné du confort de mon
petit appartement. Je l’ai emmené en ville pour faire
les magasins. Il avait les yeux grands comme des
415
soucoupes devant les vitrines décorées pour les fêtes
de Noël. Je lui ai expliqué ce que cela signifiait et
ensuite, nous avons acheté un sapin. Nous étions si
heureux d’être ensemble, nous éclations de rire pour
un rien. C’était tellement bon d’avoir mon fils auprès
de moi.

Mon amie Vanessa est venue avec son mari et sa fille,


pour faire la connaissance de Yanis. Elle nous a aidés
pour la décoration du sapin. Yanis était émerveillé
devant les guirlandes multicolores qui brillaient de
mille feux. Il avait accroché sur les branches du
sapin, les sujets de Noël avec beaucoup de
précautions.
Nous avons passé le réveillon avec mes parents qui
étaient fous de joie de connaître enfin leur petit-fils.
Yanis était si heureux !

416
Janvier 2003

Selon la loi, mon fils devait repartir en Tunisie, en


attendant que tous les papiers soient en règle, pour le
faire venir définitivement en France. Yanis pleurait
au moment du départ et nous lui avons expliqué que
ce ne serait pas long. Mais après son départ, nous
étions tous en larmes. Il fallait espérer que du côté
tunisien, les choses allaient s’accélérer. Je m’étais
engagée vis-à-vis de mon fils à lui écrire toutes les
semaines, pour le tenir au courant des décisions
prises au sujet de son retour définitif en France. Il
avait promis, à son tour, de m’écrire le plus souvent
possible.

***

417
Célia referma le livre. Elle avait envie d’aller se
baigner, mais elle ne savait que faire de son livre, elle
n’avait pas envie de le voir s’envoler à nouveau.
Elle repéra une famille sur la plage, dont la maman
était en train de lire un roman. Elle s’approcha de la
femme et lui demanda :
- Bonjour madame, est-ce que vous accepteriez de me
garder mon roman, le temps que j’aille me baigner ?
Je ne compte pas y rester longtemps, juste le temps de
faire quelques brasses pour me rafraîchir.
- Oui, bien sûr, j’adore lire moi aussi. Je comprends
très bien que vous teniez à votre livre. Allez-y sans
crainte, je vous le garde !
- Merci beaucoup madame.

Ravie de la gentillesse de cette femme, elle se


précipita vers la mer. Elle nagea avec délice, l’eau
était à bonne température. Tout en nageant, elle se
remémora sa baignade avec la sœur de Thomas. Cette
dernière avait vraiment mal pris qu’elle l’ait laissée
418
sur place, en faisant la course. Célia sourit à cette
pensée. Thomas était aussi dans son esprit, elle avait
dû faire un gros effort pour le quitter, car elle en était
toujours amoureuse. Mais elle savait qu’elle avait pris
la bonne décision, leur mariage aurait été beaucoup
trop compliqué avec ses parents et sa sœur. Elle
pensait aussi à ses propres parents. Ils seraient
certainement déçus d’apprendre qu’elle avait rompu
avec lui. Elle leur téléphonerait dès qu’elle en saurait
plus, après l’appel d’Antoine. En attendant, la douceur
de Valentine lui faisait beaucoup de bien.
Elle avait aussi hâte de passer la frontière espagnole,
dans l’espoir de rencontrer Marie et sa petite famille.

Soudain, elle se ressaisit, elle se remit à nager avec


vigueur vers la plage, persuadée d’être partie trop
longtemps. Une fois sortie de l’eau, elle repéra le
parasol sous lequel se trouvait la brave mère de
famille qui avait accepté de lui garder son livre,
pendant qu’elle allait nager.
419
En s’approchant, elle s’excusa d’avoir pris son temps,
mais la femme la rassura :
- Ne vous excusez pas, vous n’êtes pas partie si
longtemps que ça ! En tout cas, je vous ai vu nager,
vous êtes très douée.
- Merci, J’ai pris l’habitude d’aller nager dès que je le
peux.
- Vous seriez certainement très utile sur une plage
comme celle-ci, les gens sont tellement imprudents
pendant les vacances. Tenez, voici votre roman, vous
semblez y tenir beaucoup.
- Beaucoup effectivement, merci pour me l’avoir
gardé.
- Je vous en prie, peut-être à une autre fois ?
- Ce sera avec plaisir, au revoir.

Célia s’allongea sur sa serviette, afin de se faire


sécher. Puis, elle décida qu’il était temps de rentrer,
Antoine avait sans doute appelé sa maman.

420
Elle s’était un peu perdue en revenant, puis elle
reconnut une petite place qui se situait à deux pas de
la maison de madame Eymard. Quand la maison fut
en vue, elle se sentit soulagée et sonna à la porte.

Valentine lui ouvrit, impatiente de lui raconter son


entretien téléphonique avec son fils. Elle invita Célia à
s’installer au salon.
- Avant toute chose, vous devez sans doute avoir très
soif après cette promenade au bord de mer, voulez-
vous un jus de fruit ?
- Avec plaisir madame Eymard, j’ai très soif en effet.
- Appelez-moi Valentine, s’il vous plaît. Je vous
apporte votre boisson et je reviens de suite.

Un court moment après, Valentine lui remit un verre


de jus d’orange bien frais et se cala dans un fauteuil
qui faisait face au canapé, sur lequel Célia était assise.
- Alors voilà ! Antoine m’a appelée peu après votre
départ. Il a donc négocié avec votre patron Bertrand,
421
cinq jours de repos. Il a bien entendu été obligé de lui
parler de votre situation. Bertrand a répondu qu’il n’y
avait aucun problème pour les congés qu’il demandait
et qu’il allait s’arranger avec un certain André,
jusqu’à son retour. Donc, mon fils sera là dès demain
soir.
- C’est vraiment gentil à lui, mais je ne voulais surtout
pas que mon histoire prenne autant d’ampleur. De
toute façon, je vais annuler la location que j’avais
prise en Vendée. Tant pis si je perds de l’argent, mais
je ne vais certainement pas y aller seule. À moins que
mes parents veuillent y passer quelques jours avec
moi.
- Ce serait une très bonne idée, vous ne les voyez pas
souvent n’est-ce pas ?
- Je devais partir jeudi chez eux pour cinq jours,
comme il avait été prévu au départ avec Thomas. Puis
ensuite, la location en Vendée était réservée pour que
nous passions un moment en couple. Je crois que je

422
vais simplement rester un peu plus chez eux et je
rentrerai de mes vacances avec une semaine d’avance.
- Je vous propose d’attendre l’arrivée de mon fils
avant de prendre une décision. Il sera là demain soir,
vous appellerez vos parents mercredi.
- Vous avez raison, attendons l’arrivée d’Antoine.

*
Le lendemain soir, Antoine débarquait peu avant dix-
neuf heures. Il avait le sourire en entrant. Après avoir
embrassé sa mère, il s’avança vers Célia et l’embrassa
sur les joues.
- Grâce à toi Célia, je viens de négocier des congés
avec Bertrand, je pourrai donc t’emmener chez tes
parents sans aucun problème.
- Je te remercie, mais j’aurais préféré que tout le
monde ne soit pas au courant de ma rupture avec
Thomas. À cause de moi, Bertrand va devoir se
débrouiller avec l’agence.

423
- N’aie aucun souci pour cela, André va venir lui
prêter main forte. Et puis, nous sommes en août, c’est
une période très calme. Alors, quoi de neuf depuis
dimanche soir ?

Valentine prit la parole :


- J’ai emmené Célia au marché et nous nous sommes
promenées dans les rues commerçantes. Elle m'a aussi
raconté une histoire, qui m’a vraiment bouleversée et
je pense que tu devrais l’écouter pour ce qu’elle a à te
demander.

Antoine dévisagea Célia et lui fit signe de venir


s’installer dans le salon. Après quoi, il s’informa :
- Qu’as-tu à me demander ?
- Si tu le veux bien, j’aimerais, avant de partir chez
mes parents, que tu m’accompagnes en Espagne. Je
souhaite rencontrer une personne qui travaille dans
une association, à la frontière espagnole. Mais, pour
que tu comprennes la raison pour laquelle je souhaite
424
voir cette personne, il faut d’abord que je te montre
quelque chose.

Elle se leva et sortit de son sac le roman de Marie.


- Il y a quelques mois de cela, j’ai trouvé ce livre dans
l’autobus ou, plus exactement, on me l’a remis en
pensant qu’il m’appartenait. J’ai commencé à lire le
récit de cette femme, puis je l’ai perdu dans le bus, à
mon tour. Je vais te raconter son histoire.

Elle essaya de résumer l’histoire de Marie, jusqu’au


moment où elle avait arrêté sa lecture. Antoine prit le
livre dans ses mains, puis leva les yeux sur Célia :
- Il n’y a aucun problème pour moi, je comprends que
tu veuilles rencontrer cette femme, elle a été très
courageuse. Si tu veux, nous partirons demain matin.
Je pense que nous aurons le temps de faire l’aller et
retour dans la journée. Prépare-toi pour sept heures.
- Merci beaucoup, c’est tellement important pour
moi !
425
Valentine s’adressant à son fils :
- Je suis très heureuse que tu aies accepté de
l’accompagner dans sa démarche. Maintenant, à table.

Pendant le repas, Antoine questionna Célia :


- Est-ce que ta décision de rupture avec Thomas est
définitive ? Ou c’est juste parce qu’il t’a déçue et que
tu veux le punir ?
- Ma décision est définitive. Je ne suis pas du genre à
vouloir punir une personne qui ne me défend pas
auprès de ses parents, je préfère partir. Je sais que si
l’on pardonne une fois à l’homme que l’on aime, tôt
ou tard, il profitera de nos sentiments pour lui, et dans
le cas présent, Thomas donnerait raison à ses parents
en cas de conflit. Je ne peux pas bâtir une vie de
couple sur des bases aussi perfides.
- Très bien, donc jeudi matin, nous partons chez tes
parents à Biarritz ?

426
- Tu me l’as proposé, alors j’accepte, mais tu seras
obligé de rester au moins une journée chez eux, car ils
voudront te connaître.
- Aucun problème, tu me feras visiter la ville ?
- Bien entendu !

Valentine semblait heureuse de la décision de son fils.


Elle se demandait même si celui-ci n’avait pas un petit
coup de cœur pour Célia.
Après avoir débarrassé la table et aidé Valentine à
faire la vaisselle, Célia les salua et monta se coucher.
Elle prit son téléphone pour le faire sonner à six
heures. Elle remarqua alors qu’elle avait reçu
plusieurs appels, ils étaient tous de Thomas. Elle les
écouta pour tenter de le comprendre. Il promettait de
changer et de ne plus mêler sa famille à leur couple.
Elle savait qu’il ne pourrait pas tenir sa promesse,
alors elle effaça les messages et ne répondit à aucun
d’eux.
*
427
Ce mercredi matin, Célia s’était réveillée avant
l’heure. Elle s’était douchée, puis avait préparé un sac,
avec à tout hasard, un maillot de bain et une serviette
de plage, mais aussi un change un peu plus habillé, au
cas où, ils se rendraient au restaurant. Dans son sac à
main, le livre de Marie, ses papiers d’identité. Ensuite,
elle était descendue à pas de loup pour pénétrer dans
la cuisine.

Celle-ci était déjà allumée, Antoine préparait le café.


En entendant un bruissement derrière lui, il se
retourna et l’aperçut.
- Bonjour Célia. Bien dormi ?
- Bonjour Antoine, ça va, le lit est bon. Et toi ?
- Très bien. Viens prendre ton petit-déjeuner et nous
partons juste après.
- Ta maman dort encore ?

428
- Non, elle était déjà levée avant moi. Mais je pense
qu’après notre départ, elle ira certainement se
recoucher un peu.
- Elle est adorable, tu as beaucoup de chance d’avoir
une maman comme elle !
- Oui, j’en suis conscient, surtout après ce que tu nous
as raconté sur les parents de Thomas ! Est-ce que tu
lui as téléphoné ?
- Non. Il m’a laissé plusieurs messages sur mon
téléphone portable, mais je n’ai pas répondu. Je crois
que c’est mieux ainsi. Tu m’avais averti, suite à cette
soirée avec sa sœur Anne, Thomas semblait vouloir
lui parler pour l’avertir de notre futur mariage, mais je
pense sincèrement, qu’il n’aura jamais gain de cause
avec sa famille. Finalement, il est à plaindre.
- Ne t’en fais pas, tu finiras par oublier. Cette petite
balade en Espagne va te changer les idées. Allez,
viens, allons embrasser maman avant de partir.

429
Valentine avait préféré les laisser seuls pour prendre
leur café. Elle s’affairait dans la salle de séjour
lorsqu’elle les entendit entrer.
- Alors vous êtes prêts à partir pour l’Espagne ?
- Nous sommes prêts, répondit Antoine.
- Je vous souhaite bonne chance Célia pour votre
rencontre avec Marie. S’il y avait le moindre
problème, surtout appelez-moi !
- Je t’appellerai de toute façon, maman.

Antoine embrassa sa mère tendrement, attrapa Célia


par la main et l’entraîna vers la voiture.
- Alors dis-moi tout ! Où allons-nous exactement ?
- Je ne connais que le nom du village ou de la ville,
c’est du moins celui que l’on m’a donné à
l’association de Toulouse. Cela s’appelle : Llançà.
- Je connais, je m’y suis rendu souvent autrefois, avec
des amis. Son port est devenu un centre touristique
important de la Costa-Brava. Sais-tu que cette ville est
réputée pour ses bonbons en forme de lance ?
430
- Non, je ne savais pas. Leurs noms, ont bien entendu
un rapport avec celui de la ville ?
- Tout à fait. Ils sont d’ailleurs fabriqués à base
d’amandes et de beurre de cacao. La ville se situe à
environ un kilomètre de la côte. C’est un endroit
tranquille, avec tout autour des vergers et des vignes.
- Je suis impatiente de la visiter.

Vers dix heures, ils atteignirent le petit village, situé


au nord-est de l’Espagne, et tout proche de la réserve
naturelle de Cap de Creus. Ils y découvrirent aussi de
nombreuses petites calanques. Célia était
impressionnée par la beauté du paysage. Antoine
saisit son regard émerveillé.
- Excuse-moi d’interrompre ta fascination pour la
nature, mais il me faudrait l’adresse exacte de
l’association.
- Oui, désolée. Je l’ai notée dans mon agenda, une
seconde ! Voilà, on m’a dessiné un petit plan, ça se
trouverait tout à côté de la mairie.
431
- D’accord, alors, repérons un panneau qui indique la
mairie.

Ils trouvèrent rapidement et cherchèrent une place


pour se garer. Ils finirent par trouver un parking
payant. Antoine préféra cette solution, plutôt que de
tourner encore en rond pendant plusieurs minutes.
Lorsqu’ils descendirent du véhicule climatisé, la
chaleur leur tomba sur les épaules, comme une chape
de plomb. Ils se dirigèrent directement vers la mairie.
Célia espérait que les employés parlaient français, car
elle ne parlait pas l’espagnol. Antoine s’était approché
de l’accueil et se renseignait déjà auprès de l’hôtesse.
En revenant vers Célia, il avait le sourire :
- Nous sommes à deux pas, la femme connaît bien
l’association.
- Elle parlait français ?
- À la frontière espagnole, les employés parlent
presque tous le français, mais parfois, ils y mettent de

432
la mauvaise volonté. J’ai donc utilisé l’espagnol,
quand cette femme m’a fait comprendre qu’elle ne
connaissait pas notre langue.
- Tu parles espagnol ?
- Oui, ce n’est pas la plus compliquée des langues. Pas
toi ?
- Non, je ne suis pas très bonne. Heureusement que tu
es venu avec moi.
- Allez, viens, on va découvrir à quoi ressemble
Marie !

C’était une petite vitrine que l’on aurait pu dépasser


sans la voir, s’ils n’avaient pas été déterminés à la
trouver. C’est Antoine qui entra le premier, au cas où,
il aurait dû utiliser la langue espagnole pour se faire
comprendre. Par chance, la personne qui s’approchait
d’eux, parlait français. C’était une femme qui
approchait la quarantaine, très brune avec des cheveux
longs. Elle les accueillit avec le sourire :

433
- Que puis-je faire pour vous ?

Antoine fit alors signe à Célia d’approcher.


- Bonjour madame, je suis à la recherche d’une
dénommée Marie, qui travaille chez vous.

La femme prit un air étonné et la dévisagea avec


insistance.
- Je suis Marie ! Est-ce que l’on se connaît ?

Célia avec un grand sourire, sortit le livre de Marie de


son sac et le déposa sur le comptoir. Marie regarda le
livre et ensuite Célia :
- Vous avez lu mon livre ?
- Oui, et je peux dire que vous m’avez fait pleurer. Je
vous cherche déjà depuis un certain temps, je voulais
vous connaître.
- Et vous êtes ?
- Excusez-moi, je ne me suis pas présentée, je
m’appelle Célia Carron.
434
- Comment m’avez-vous retrouvée ?
- L’association de Toulouse m’y a aidée. À travers
votre récit, j’ai appris à vous découvrir et
curieusement, il m’a semblé, au fil des pages, que je
vous connaissais depuis toujours. Je suis vraiment
heureuse de vous rencontrer. Vous devez sûrement me
prendre pour une folle, mais mon ami qui est là, avec
moi, a sa maman qui habite Perpignan. C’était une
occasion pour moi, d’essayer de vous connaître
mieux.
- Je suis très touchée vraiment. Voulez-vous que nous
nous retrouvions pour déjeuner quelque part dans le
centre-ville ou sur le port ?
- J’en serais très heureuse, vous choisirez, c’est plus
simple. Dites-nous à quelle heure, nous pouvons
passer vous prendre ?
- Disons treize heures trente, pas avant. Vous savez,
ici, les gens déjeunent tard !
- Oui, je sais. D’accord pour cette heure.

435
Marie lui fit un grand sourire au moment où elle passa
la porte de l’association.

Antoine, qui était resté un peu à l’écart, avait compris


que la personne était celle que Célia cherchait. Il était
heureux pour elle. Dès qu’elle le rejoignit, il
l’interrogea :
- Alors, c’était elle ?
- Oui, je suis ravie, vraiment. Elle a proposé que nous
déjeunions avec elle. Nous passerons la prendre vers
treize heures trente.
- Je suis content pour toi. En attendant, nous pourrions
visiter un peu la ville et le port après nous être
désaltérés ? Qu’en penses-tu ?
- Avec plaisir, j’ai très soif avec cette chaleur.

Antoine semblait très heureux que ce déplacement en


Espagne, ait été bénéfique pour Célia. Elle avait
besoin de se changer les idées et la rencontre avec
cette Marie, était le remède miracle. Ils s’arrêtèrent
436
sur le port et s’installèrent à une terrasse ombragée.
Célia admirait les bateaux de toutes sortes. Elle
respira profondément avant d’entamer la
conversation :
- On a eu beaucoup de chance, n’est-ce pas ?
- Je suis d’accord avec toi. Il n’était pas certain que
l’on puisse la trouver du premier coup.
- J’ai hâte de savoir comment elle a réussi à reprendre
son fils. Cette femme a tellement souffert.

Antoine la détaillait avec insistance. Elle semblait


soudain très lointaine, et elle souriait, l’air détendu. Il
songeait que, depuis son agression, il avait regardé
Célia autrement. Elle avait été si présente durant son
hospitalisation, si inquiète, qu’il lui semblait la
découvrir. Ils travaillaient ensemble depuis plus de
trois années et jamais, il n’avait ressenti pour elle, ce
qu’il ressentait aujourd’hui. Il savait qu’il avait une
réputation de coureur de jupons, mais il voulait

437
essayer de lui démontrer le contraire aujourd’hui. Elle
n’était certes pas aussi jolie que son amie Caroline,
mais elle avait la beauté du cœur et une façon bien à
elle, de montrer ses sentiments à ceux qui
l’entouraient. Elle avait les pieds sur terre et savait ce
qu’elle voulait. Il était certain que Célia et Marie
allaient devenir de vraies amies. Il avait hâte, lui
aussi, de connaître le combat de cette femme.

Un peu plus tard, ils allèrent se baigner dans une


petite crique. Antoine, regardait amusé, une Célia en
forme, qui était partie comme une fusée vers une
grosse bouée à une cinquantaine de mètres. Elle se
hissa sur cette bouée et attendit Antoine, qui arrivait à
son rythme jusqu’à elle. Après s’être assis à côté de
Célia, il reprit son souffle et la complimenta :
- J’ignorais que tu nageais aussi bien, je n’ai pas pu te
suivre. Tu as mangé du lion ou quoi ?

438
- Je pense que le fait d’avoir retrouvé Marie, m’a sans
doute donné du tonus et une furieuse envie de vivre.
Mais je te confesse que, il y a quelques années, j’étais
maître-nageur dans une piscine.
- Vraiment ? Et tu as laissé tomber pour quelle
raison ?
- Lorsque je suis arrivée à l’agence pour travailler
avec toi et Bertrand, je n’avais plus beaucoup de
temps pour cela. Mais je vais le plus souvent possible
m’entraîner en piscine.
- Je comprends mieux. En tout cas, je te félicite pour
ta performance. Et tu as d’autres secrets à confier ?
- C’est l’hôpital qui se moque de la charité !
- Que veux-tu dire ?
- Je veux dire, monsieur, qu’avant ton agression, nous
ne connaissions rien de ta vie privée. Nous avons
découvert avec surprise, Bertrand et moi, que tu avais
été marié et que tu avais un enfant. Alors, as-tu toi
aussi d’autres secrets que tu tais ?

439
Antoine se mit à rire et lui confia :
- Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat. Si nous
pensions à remonter pour nous sécher et nous changer.
Il est déjà treize heures.
- Allons-y.
- Oui, mais cette fois, attends-moi, j’aurais l’air moins
ridicule !
- D’accord.
Célia plongea, et nagea ensuite tranquillement à ses
côtés jusqu’à la plage.

Lorsqu’ils arrivèrent devant l’association où travaillait


Marie, celle-ci leur fit un grand sourire lorsqu’ils
poussèrent la porte d’entrée.
- J’arrive tout de suite.
À peine cinq minutes plus tard, Marie fermait la porte
de l’association et les entraînait vers le bord de mer.
440
Elle s’arrêta devant le restaurant « Miramar ». Ils
pénétrèrent dans un très grand hall, où ils furent
accueillis par le chef, qui visiblement connaissait bien
Marie. La salle à manger vers laquelle on les dirigea,
était de type véranda avec vue sur mer. La décoration
était très réussie, elle était faite de verre, miroir et
bois. Les chaises elles, étaient réalisées en simple
rotin et la table de bois ancien.

De là, on pouvait observer ce qui se passait dans les


cuisines et admirer une grande cave à vins. Marie leur
conseilla plusieurs menus, Célia et Antoine
comprirent aussitôt que cet endroit lui était habituel.
D’un commun accord, ils choisirent les fruits de mer.

Marie commanda le vin approprié et d’un sourire,


elle entama la conversation.
- Alors, dites-moi Célia, vous avez lu mon livre
jusqu’au bout ?

441
- Hélas non, je l’avais perdu entre-temps. Mais la
responsable de l’association a réussi à en retrouver la
trace chez un imprimeur, et l’a ensuite commandé.
Elle me l’a gentiment confié pour que je puisse en
terminer la lecture. Je me suis arrêtée au passage où
Yanis était venu passer un Noël avec vous.
- Je vois. Je vais vous raconter la suite … Il s’est
écoulé encore quelques mois avant que je puisse en
avoir la garde définitive. Depuis, nous ne nous
quittons plus. Yanis a maintenant vingt ans, il termine
ses études pour travailler dans la restauration. Mon
mari José, travaille comme cuisinier dans ce
restaurant, c’est pour cette raison que je vous ai
amenés ici.
- Yanis avait donc dix ans lorsque vous avez pu le
reprendre avec vous ?
- Oui, cela n’a pas été simple pour lui de reprendre
l’école en Espagne. Mais il était si heureux de pouvoir
vivre avec moi, qu’il était prêt à tout.

442
- Et vous n’êtes pas revenue en France ?
- Disons que, pendant les quelques mois où je suis
venue ici, en attendant d’aller chercher Yanis en
Tunisie, j’ai fait la connaissance de José, qui n’était
autre que le frère d’une amie qui tenait l’association
où je travaille aujourd’hui. Nous sommes tombés
amoureux et de ce fait, je suis restée. Deux ans plus
tard, nous avons eu une petite fille, que nous avons
nommé Loretta.
- Et vos parents sont restés en France ?
- Dès qu’ils ont eu l’âge de prendre leur retraite, ils
sont venus nous rejoindre en Espagne.
- C’est magnifique, je suis tellement contente pour
vous !
- Mais vous ne m’avez pas présenté votre ami ?
- C’est vrai, excusez-moi. Antoine m’a gentiment
proposé de m’accompagner pour vous rencontrer,
puisque nous étions chez sa maman à Perpignan et
nous sommes partis tôt ce matin.

443
- Et vous vivez ensemble à Toulouse ?
- Non, nous ne vivons pas ensemble, Antoine est juste
un ami, nous travaillons tous les deux pour la même
agence immobilière à Toulouse.
- Vous devez vraiment lui être très attaché Antoine,
pour lui avoir proposé de l’accompagner ici.
- Oui, très. Grâce à elle, j’ai survécu à une agression.
Elle m’a trouvé sans connaissance dans l’agence un
samedi soir, elle a aussitôt appelé les secours. Je suis
resté amnésique plusieurs semaines, mais je m’en suis
sorti. Je sais que je lui dois beaucoup. Si elle n’était
pas intervenue ce soir-là, mon état se serait sans doute
aggravé. D’après les médecins, si l’on ne m’avait
découvert que le lendemain matin, je ne serais peut-
être pas sorti du coma.
- Je comprends que vous teniez beaucoup à elle. Vous
êtes venus seuls tous les deux ? Vous n’avez pas de
femme ou mari ?

444
Célia prit la parole :
- Je viens de rompre avec mon fiancé, sa famille ne
m’appréciait pas. J’ai préféré partir avant le mariage.
- Je vous donne entièrement raison, il ne faut jamais
se laisser dominer, jamais. Et vous Antoine ?
- Je suis divorcé depuis trois ans. J’ai un petit garçon
de six ans. C’est sa maman qui en a la garde, je le vois
un week-end sur deux et à la moitié des vacances.
- Dites-moi, vous non plus vous n’avez pas eu
beaucoup de chance, on dirait ?
Marie s’interrompit, les plateaux de fruits de mer
arrivaient. Célia et Antoine restèrent bouche bée,
devant le choix des crustacés : palourdes, pétoncles,
coques, clovisses et oursins, ainsi que crevettes et
tourteaux.
Le repas se termina avec d’énormes coupes glacées.

En sortant du restaurant, Marie leur proposa de rester


une journée de plus, afin de faire la connaissance de
445
son mari et de ses enfants. Célia la remercia et lui
promit de revenir. Elle lui expliqua qu’elle ne pouvait
pas rester plus longtemps, elle devait être chez ses
parents à Biarritz le lendemain.
- J’ai vraiment été heureuse de vous rencontrer Célia,
vous revenez quand vous voulez avec votre ami, vous
serez toujours les bienvenus. Je vous expliquerai aussi
comment fonctionne notre association.
- Promis, Marie. Je reviendrai vous voir dès que
j’aurai des congés.

Elles s’embrassèrent et Marie les laissa partir avec


regret. Antoine prit Célia par la main et lui confia :
- Si tu le permets, je reviendrai avec toi. Je suis moi
aussi, très curieux de connaître sa famille.
- Vraiment ? Cela ne t’ennuiera pas ?
- Pas du tout. Allons-y maintenant, ma mère va
s’impatienter.
- Tu as raison, ne la faisons pas attendre, elle est si
gentille.
446
Le soir venu, ils racontèrent à Valentine leur journée
en Espagne et leur rencontre avec Marie. Valentine les
écoutait, ravie que Célia ait pu retrouver cette femme
pleine de courage, qui avait enfin retrouvé son fils et
épousé un bon mari. En regardant son fils, elle
espérait qu’à son tour, il referait sa vie avec une
gentille femme. Peut-être que cette femme serait
Célia ?

447
CHAPITRE 19

Ce jeudi matin, en prenant congé de sa mère, Antoine


lui promit qu’il serait de retour vendredi soir ou
samedi matin au plus tard. Valentine avait compris
que son fils ne pouvait pas s’en aller comme un
voleur, après avoir accompagné Célia à Biarritz, chez
ses parents. Il était évident qu’ils voudraient faire sa
connaissance et le garderaient au moins une nuit chez
eux, avant de le laisser repartir. Célia embrassa
chaleureusement Valentine, lui promettant de lui
donner des nouvelles.

La veille au soir à Perpignan, Célia avait téléphoné à


ses parents. Sa mère avait décroché heureuse
d’entendre sa fille.
- Alors, vous arrivez bien demain avec Thomas ?

448
- Il y a un petit changement, j’ai rompu avec Thomas.
C’est un ami qui va m’accompagner chez vous.
- Mais, que s’est-il passé ?
- Je t’expliquerai demain, ce serait trop long par
téléphone. Tout ce que je peux te dire, c’est que la
sœur et les parents de Thomas ont été odieux avec
moi. Je les ai quittés dimanche soir.
- Mais où étais-tu depuis dimanche soir ?
- Chez la maman d’Antoine, l’associé de mon patron.
Elle habite Perpignan et comme Antoine était chez
elle, je l’ai appelé, pour lui demander s’il pouvait
m’accompagner chez vous. Je lui ai raconté ce qu’il
s’était passé chez les parents de Thomas, il m’a alors
proposé de prendre le train jusqu’à Perpignan et il est
venu me chercher à la gare. J’ai été très bien reçue par
sa maman, elle avait même préparé une chambre pour
moi.
- Mais pourquoi nous préviens-tu seulement
maintenant ?

449
- J’avais besoin de faire le point, d’être un peu seule,
j’étais trop déçue et très en colère contre Thomas, qui
m’a si mal défendue auprès de ses parents. C’est pour
cette raison que j’ai préféré rompre avant le mariage.
- Mais tu n’étais pas seule, d’après ce que je viens de
comprendre ?
- Maman, je vous expliquerai cela demain, ce soir, je
vais me coucher tôt, car nous partons de bonne heure
demain matin.
- D’accord, alors à demain, nous vous attendons.

Ils avaient quitté Perpignan vers sept heures, il y avait


environ cinq heures de route pour arriver à Biarritz.
Célia et Antoine s’étaient contentés d’un café bien
fort avant de prendre la route. Dans la voiture, il avait
allumé la radio pour écouter les informations. Célia
avait tendu l’oreille un instant, puis comme rien de
nouveau n’était annoncé, elle se contenta de regarder
450
le paysage, songeuse. Antoine, ayant remarqué que sa
passagère n’écoutait pas la radio, il l’éteignit. Puis, il
l’interrogea :
- Dis-moi Célia, j’ai écouté, bien malgré moi
d’ailleurs, ce que tu disais à ta mère hier soir au
téléphone. Pourquoi lui avoir dit que c’était toi qui
m’avais demandé de t’emmener chez eux, après ta
rupture avec Thomas ?
- Excuse-moi de n’avoir pas dit la vérité, mais si
j’avais raconté à ma mère que, la veille de mon départ
en vacances, j’avais déjà eu une altercation avec mon
futur mari à cause de sa sœur, et que toi et Caroline,
m’aviez déconseillé de partir avec Thomas si sa sœur
venait avec nous, je crains bien qu’elle m’ait traitée
d’idiote !
- Tu as peur de la réaction de ta mère ?
- Elle me trouve parfois trop naïve, trop gentille.
- Tes parents ont peut-être peur que tu ne te décides
pas à te marier ?

451
- Tu as raison. Ils pensent certainement que je ne me
marierai jamais ; et qu’ils n’auront pas de petits-
enfants.
- Si ce n’est pas indiscret, tu as quel âge Célia ?
- Trente-trois ans, pourquoi ?
- C’est un âge tout à fait raisonnable pour avoir des
enfants, à condition de trouver le bon mari.
- Oui, et ça ne se trouve pas sous le pied d’un cheval,
n’est-pas ?
- Et ce Régis, auquel tu semblais être très attachée ?
- Régis ? Mais il est déjà pris et je le considère comme
un ami. Nous avons appris à nous connaître, nous
avons beaucoup parlé tous les deux. C’est une bonne
personne et de plus, il m’a quand même sauvé la vie
par deux fois, ça ne s’oublie pas !
- Et tu n’aurais pas un petit faible pour lui ?
- Non Antoine, tu te trompes. C’est juste de l’amitié,
Régis n’est pas mon type d’hommes.
- Et quel est ton type d’hommes ?

452
- En tout cas, pas un homme qui se laisse mener par le
bout du nez comme Thomas ou même Régis.
- Pourquoi Régis ?
- Parce que c’est sa compagne qui décide toujours de
leur emploi du temps, du jour où il peut venir chez
elle, par exemple. C’est une situation plutôt difficile
pour lui, mais il semble l’accepter. Ce qui veut dire
qu’il est trop faible de caractère.
- Donc, ton type d’hommes, c’est celui qui ne dira pas
oui, à toutes tes demandes ?
- Je n’exigerai jamais de quelqu’un, une chose qu’il
consentira uniquement pour me faire plaisir. J’estime
que dans un couple, il doit y avoir des concertations
sur les choix de l’un et l’autre, non ?
- Tu as parfaitement raison. Alors cherche vite celui
qui te conviendra.
- Tu te moques de moi ?
- Non, pas du tout. Je t’encourage à ne pas baisser les
bras, au contraire !

453
Plus tard, Antoine s’arrêta à une station-essence sur
l’autoroute pour faire le plein puis, ils en profitèrent
pour faire une pause-café et dévorer des croissants.
Enfin, vers douze heures trente, ils entrèrent dans la
ville de Biarritz.
*

Célia le dirigea sur le trajet à suivre, jusqu’au


domicile de ses parents.
Quand la voiture se gara devant la maison des Carron,
Antoine était « dans ses petits souliers ». Il
appréhendait d’être reçu par les parents de Célia, étant
donné qu’ils avaient encore en tête, le futur mariage
de leur fille avec Thomas. Elle comprit sa gêne et lui
confia :
- Ne t’inquiète pas, mes parents ne te jugeront pas,
sachant que tu m’as sauvée des griffes de mon ex-
belle famille. Simplement, ils doivent se poser des

454
questions sur le fait que tu étais dans les environs, au
même moment que moi.
- Ce n’était pas prévu !

Elle le regarda avec un petit sourire narquois et lui


répondit :
- Nous en reparlerons plus tard, allons-y maintenant,
ils vont se demander pourquoi nous ne sortons pas de
la voiture.

Lorsqu’elle ouvrit la porte de la maison, ses parents


s’approchèrent pour les accueillir. Célia fit aussitôt les
présentations :
- Je vous présente Antoine, ami et associé de mon
patron. Il est bien entendu, un très bon collègue de
travail.

Le père de Célia fit un pas en avant, embrassa sa fille


et fit signe à Antoine d’avancer. Il lui serra la main en
le regardant droit dans les yeux et se présenta :
455
- Je m’appelle Thierry, soyez le bienvenu.

La mère, quant à elle, s’approcha et déclina son


prénom :
- Moi, je m’appelle Corinne, est-ce que je peux vous
embrasser ?

Un peu déstabilisé, Antoine se laissa faire. Thierry


vint à sa rescousse en lui proposant :
- Venez, laissons mon épouse et ma fille discuter entre
elles. Vous connaissez les femmes, quand elles se
retrouvent, elles ont toujours beaucoup de choses à se
dire. Nous allons nous installer dans le salon pour
prendre un verre. Je peux vous offrir, du pastis, du
whisky, du porto ou encore un muscat ?
- Je veux bien un pastis, mais avec beaucoup d’eau,
répondit Antoine.

Après avoir fait le service, Thierry entama la


conversation :
456
- Alors si j’ai bien compris ce qu’a dit notre fille à ma
femme, votre maman vit à Perpignan ?
- Oui, elle est venue s’y installer après la mort de mon
père, il y a sept ans. À l’origine, nous habitions un
petit village proche de Perpignan, mais comme
maman ne conduisait pas, elle a préféré vendre la
maison, pour s’installer en ville, là où elle trouverait
tout le confort.
- Je comprends, en vieillissant, nous avons besoin
d’être proches de toutes les commodités et des
médecins, hôpitaux, etc… Quel âge a votre maman, si
ça n’est pas indiscret ?
- Soixante-quinze ans. Elle est encore très alerte, mais
elle vit seule et ce n’est pas toujours facile. Je vais la
voir dès que l’occasion se présente.
- De Toulouse, ce n’est pas trop loin, vous pouvez y
aller le week-end.

457
- Je ne peux pas y aller tous les week-ends, car à
l’agence, nous travaillons le samedi aussi, à tour de
rôle.
- Pourtant, Célia ne travaille pas le samedi ?
- Non, cela reste exceptionnel. En général, nous nous
débrouillons Bertrand et moi.
- Notre fille semble beaucoup vous apprécier. Vous
êtes celui qui s’est fait agresser dans l’agence
immobilière ?
- Oui, et je dois beaucoup à Célia qui a réagi très vite
pour appeler les secours.
- Je me souviens qu’elle semblait complètement
bouleversée de vous savoir dans le coma. Vous allez
mieux maintenant apparemment ?
- Tout est rentré dans l’ordre, je vous remercie, et tout
cela grâce à votre fille.
- Est-ce que vous connaissiez Thomas ?
- Je l’ai vu deux ou trois fois, effectivement !
- Il vous semblait quelqu’un de bien ?

458
- Oui, ils avaient l’air très amoureux tous les deux !
- Et vous savez pourquoi Célia a rompu avec lui ?
- Oui, monsieur, mais je crois que c’est plutôt votre
fille qui devrait répondre à cette question !
- Vous avez raison, je suis tellement désolé pour elle,
elle est si dévouée, si gentille, mais sans doute pas
assez méfiante.
- C’est vrai, mais quand on la connaît bien, on
remarque qu’elle est tout à fait capable de prendre de
bonnes décisions, même si elles sont parfois tardives,
car il est vrai qu’elle donne sa confiance facilement.
- Bien, je vais voir ce qu’elles font et je reviens.

Thierry se dirigea vers la cuisine et frappa à la porte


vitrée. On le fit entrer et la porte se referma. Antoine
se sentait mal à l’aise, mais attendit patiemment leur
retour.
Quelques minutes plus tard, ils entrèrent dans le salon
avec le sourire. C’est la mère de Célia qui prit la
parole :
459
- Excusez-nous Antoine, mais après ce que vient de
nous révéler notre fille sur la famille de Thomas, nous
comprenons mieux pourquoi elle a décidé de rompre
avec lui. Elle nous a aussi raconté votre proposition de
la faire venir chez votre maman ce soir-là, et nous
vous en remercions. Personnellement, je suis outrée
de savoir que ces gens-là ont eu le culot de lui dire
qu’elle n’était pas de leur monde et donc, pas digne de
leur fils. Si cela ne tenait qu’à moi, j’irais les voir
pour leur dire ce que je pense d’une famille comme la
leur !
- Surtout pas, maman ! répondit Célia. Mieux vaut
l’indifférence avec des personnes aussi
désobligeantes. Ils ont certainement vu d’un mauvais
œil, leur fils directeur dans une banque, se marier avec
une simple employée d’agence immobilière.
- J’espère ma fille, répondit Thierry, que tu sauras te
méfier de ce genre de pantin, fils à papa, qui obéit
encore à ses parents à l’approche de la quarantaine.

460
- Ne vous inquiétez pas, je suis bien entourée à
Toulouse et je ne suis pas prête à retomber dans ce
genre de piège. Si nous mangions maintenant, j’ai une
faim de loup ?

Antoine sourit de voir Célia requinquée. Il se sentit


tout à coup beaucoup mieux et mangea de bon appétit.
Les parents semblaient conquis par la décision
d’Antoine, d’être venu chercher leur fille à la gare de
Perpignan pour l’inviter chez sa mère et ainsi la
protéger de ces êtres vils.

Après le déjeuner, Célia proposa à Antoine de lui faire


visiter la ville, ce qu’il accepta avec joie. Elle
l’entraîna vers le port des pêcheurs et l’église Sainte
Eugénie. Puis, ils déambulèrent vers les magasins de
la rue Mazagran du centre-ville. Enfin, s’approchant
de la grande plage, elle lui fit découvrir la place Belle
Vue et son casino et l’Hôtel du Palais. Devant la
beauté des monuments, il en profita pour faire des
461
photos. Ensuite, ils décidèrent d’aller se baigner.
Ayant emporté leur maillot de bain avec eux, ils
s’empressèrent de courir vers la mer pour se
rafraîchir. À leur retour, peu avant dix-huit heures, ils
semblaient heureux de cette belle journée.

Corinne avait déjà prévu de préparer une chambre


pour Antoine. Ce dernier, ravi d’être accepté si
gentiment, leur proposa de les inviter au restaurant.
C’est Thierry qui répondit :
- Non, Antoine. Nous avons déjà réservé pour le dîner
dans un restaurant en bord de mer, en remerciement
d’avoir pris soin de notre fille. Vous nous inviterez la
prochaine fois que vous viendrez nous voir ?
- Ce sera avec le plus grand plaisir, monsieur Carron.
- Appelez-moi Thierry pas de monsieur entre nous !
- Très bien Thierry.

462
Célia s’approchant d’Antoine :
- N’aie pas peur, il t’a simplement adopté. S’il te
propose de l’appeler par son prénom, c’est que tu lui
plais.
- Alors tant mieux.

Ce dîner au bord de mer fut très réussi. Les parents de


Célia avaient commandé les spécialités du pays.
Notamment l’Aoxa. (Émincé de bœuf ou de veau au
piment d’Espelette avec poivrons et oignons). Bien
entendu, le foie gras et le jambon de Bayonne étaient
à l’honneur. Le tout arrosé de vins de pays. Du côté
d’Antoine, la tension était retombée et la discussion
engagée avec les parents de Célia sur ses
responsabilités au sein de l’agence immobilière, lui fit
sentir qu’ils s’intéressaient à lui. Il semblait heureux
d’avoir gagné leur confiance. Célia, elle, les regardait
ébahie, elle venait de comprendre que ses parents
l’avaient déjà élu comme son futur mari. Elle n’en prit
463
pas ombrage, Antoine repartait le lendemain chez sa
mère.
Ils rentrèrent tous exténués de leur journée bien
remplie, chacun regagnant sa chambre.
*

Au matin, le petit-déjeuner fut copieux, mais


beaucoup moins gai que la veille, avec le départ
d’Antoine. Célia comme ses parents, l’embrassa en lui
recommandant de saluer sa maman de leur part. Une
fois dans sa voiture, il fit un signe de la main et partit
sans se retourner.

Tout à coup, l’impression d’un grand vide dans la


maison, fit que chacun se trouva une occupation pour
ne pas montrer sa peine de l’avoir laissé partir. Célia
aida de son mieux pour le ménage et la préparation du
déjeuner. Elle remarqua que sa mère semblait
soucieuse.

464
- Quelque chose ne va pas maman, tu ne parles pas
beaucoup ce matin ?
- J’étais en train de penser que tu avais eu beaucoup
de chance qu’Antoine se trouve chez sa maman à
Perpignan, au moment où de ton côté, à Argelès, tes
futurs beaux-parents te faisaient comprendre que tu
n’étais pas digne de leur fils. Aurait-il eu vent du
caractère très spécial de la famille de ton futur
époux ?
- Bon, ça va, je vais te raconter ce qui s’est passé la
veille de notre départ en vacances.

Célia relata cette fameuse soirée avec la sœur de


Thomas et sa frustration d’avoir été laissée pour
compte. Et enfin, son erreur d’avoir accepté de partir
avec la sœur de son futur mari, malgré les
avertissements de sa meilleure amie Caroline, ainsi
que ceux d’Antoine.

465
- Je comprends mieux. Antoine se doutait que tu
rencontrerais des problèmes avec ta belle-famille. Il
voulait être présent au cas où.
- Je crois que tu as raison, je me suis posé la question
aussi.
- Tu penses qu’il est amoureux de toi ?
- Je l’ignore. Il est vrai qu’il a beaucoup changé
depuis son agression. Il s’est soudain rapproché de
moi, mais je pense que c’est parce qu’il se sent
redevable, envers moi.
- En tout cas, il semble être quelqu’un de bien !
répondit Corinne.
- Oui, certainement. Mais actuellement, je suis un peu
déroutée par cette rupture avec Thomas. Je pensais
vraiment que nous aurions pu être heureux. C’était
trop beau.
- Allez n’y pense plus. Après le déjeuner, vas faire un
tour, change-toi les idées !

466
- Tu as raison, j’irai à la plage. Pourquoi ne viendrais-
tu pas avec moi ?
- Tu sais que je crains les chaleurs trop fortes.
- Prenons un parasol et une glacière ?
- D’accord ! Nous irons ensemble. Mais ne compte
pas sur ton père, tu sais que les plages, il les aime
lorsqu’elles sont désertées des touristes.
- En temps normal, moi aussi. Mais actuellement, j’ai
besoin de voir du monde.
*

Comme prévu, après le déjeuner, elles se dirigèrent


vers la grande plage. Elles plantèrent le parasol et
étalèrent leurs serviettes. Célia sortit de son sac une
crème solaire, destinée à protéger la peau fragile de sa
mère. Après lui en avoir « tartiné » le dos et les bras,
elle se leva pour aller se baigner. Elle savait faire la
différence entre l’océan Atlantique, et la mer
Méditerranée qui n’avait pas de marée. À Biarritz et
alentours, les vagues étaient parfois très hautes. La
467
seule solution pour nager sans être rejetée par elles sur
la plage, était de plonger sous la vague. Cet endroit
était très prisé par les surfeurs, mais beaucoup de
touristes se laissaient surprendre par la force des
vagues et les secouristes veillaient sur les baigneurs
imprudents.
Célia se mit à l’eau et, dès la première vague, plongea
et nagea jusqu’à la prochaine pour replonger à
nouveau. C’était vraiment un réel plaisir pour elle que
de maîtriser les éléments. Fatiguée, elle revint
lentement vers la plage, attrapant au passage, une
petite embarcation qui dérivait vers le large. À son
arrivée sur la plage, des enfants accouraient vers elle,
pour la remercier d’avoir pu ramener leur bateau
pneumatique.
Célia les mit en garde :
- N’essayez surtout pas d’aller sur la mer avec ce
bateau quand les vagues sont aussi hautes, elles le
retourneraient comme une crêpe. Et même si les

468
vagues ne sont pas très fortes, mettez des gilets de
sauvetage, avant de grimper sur ce bateau.
Les enfants l’écoutèrent et repartirent avec leur bateau
pneumatique sur la plage.
Corinne qui avait regardé la scène, pensait que sa fille
aurait dû continuer son métier de maître-nageur. Dans
l’eau, elle était dans son élément.

Quand Célia vint la rejoindre, elle trouva sa mère en


train de regarder le livre de Marie.
- Alors ? On fouille dans mon sac ?
- Non, il était à moitié sorti du sac. Et comme je suis
très curieuse, j’ai voulu voir de quoi il retournait.
- Il m’a été prêté, je dois le rendre ensuite. Mais tu
peux le lire, je vais tout d’abord te dire qui est Marie.

Célia lui relata l’histoire de Marie et aussi le bonheur


qu’elle avait eu de pouvoir lui parler, en allant lui
rendre visite en Espagne. Corinne écoutait, étonnée de
voir sa fille si emballée par l’histoire de cette Marie.
469
- Je vais le lire, car il me semble que cette femme a
beaucoup souffert. Et tant mieux si son histoire se
termine bien.

Après s’être séchée, Célia proposa à sa maman de se


rendre au bar de la plage pour prendre un
rafraîchissement ou une glace. Cette dernière accepta
ravie. Elles s’installèrent sur la terrasse et, attendant
d’être servies, regardaient les surfeurs qui semblaient
très à l’aise sur leur planche.
Soudain, Célia reconnut l’homme dont elle avait fait
connaissance lors de sa venue pour la fête des mères.
Celui-là même qui l’avait appelée Cécile.
Apparemment, lui aussi l’avait reconnu et s’avançait
vers les deux femmes.
- Bonjour Célia, vous me reconnaissez ?
- Oui, vous êtes celui qui m’avait prise pour une autre
en m’appelant Cécile.
- Exact. Je m’appelle Guillaume, je suis l’ex petit ami
de cette personne qui vous ressemble tant. Je vais
470
vous faire voir une photo d’elle et vous me direz ce
que vous en pensez.
Guillaume sortit de son portefeuille, une photographie
prise avec lui et la fameuse Cécile. Célia dut admettre
qu’il y avait une forte ressemblance avec elle, elle
passa la photo à sa mère, qui, elle aussi fut stupéfaite
du parfait sosie de sa fille.

Elle interrogea aussitôt Guillaume :


- Cela parait incroyable, quel âge a cette jeune
femme ?
- Trente-six ans, je crois. Je l’ai perdu de vue depuis
un moment et c’est pour cette raison que j’ai abordé
votre fille, croyant retrouver Cécile.
- Elle habite dans la région ?
- Non, je l’ai connu alors qu’elle était en vacances en
Bretagne.
- Et vous connaissez sont nom de famille ?

471
- Elle s’appelait Cécile Laforêt, mais elle a
certainement changé de nom en se mariant.
- Si elle est mariée, alors !
- Je n’en suis pas certain, mais je le pense, il y a plus
de sept ans que nous ne nous voyons plus.
- Merci Guillaume, pour ces précisions, rétorqua
Célia. Je comprends mieux cette méprise.

Guillaume parti, les deux femmes restèrent songeuses.


De son côté, Célia pensait qu’il vaudrait mieux éviter
la plage désormais, tant que ce Guillaume serait là, car
elle pensait que sa mère allait certainement continuer
à le harceler de questions au sujet de cette Cécile.
Même si elle-même trouvait cela troublant, elle
préféra rentrer.
*
Le soir, au dîner, elle demanda à ses parents, s’ils
souhaitaient venir avec elle en Vendée, là où elle avait
réservé pour une dizaine de jours. Ils allaient refuser,
mais Thierry s’informa :
472
- Si nous n’y allons pas, tu iras seule ?
- Je ne pense pas, je vais certainement annuler.
- Mais tu vas perdre de l’argent en annulant cette
location ?
- Oui, bien sûr, mais je pense qu’ils n’auront aucun
mal à trouver un autre locataire.

Thierry se tourna vers Corinne et lui demanda :


- Qu’en penses-tu ? Une semaine en Vendée, nous
changerait un peu ?
- Oui, c’est certain. Mais est-ce suffisamment grand
pour trois ?

Célia répondit avec un petit sourire :


- Il y a un canapé clic-clac, en plus d’un lit de deux
places. Il n’y a pas de problème, excepté, qu’il vous
faudra être sage durant huit jours, car nous serons
dans la même chambre.
- Nous ferons un effort pour notre fille chérie,
répondit Thierry en riant.
473
- Alors de mon côté, je ferai des efforts aussi, rétorqua
Célia. Nous partons mardi matin.

Après le dîner, Corinne et Thierry regardèrent la


télévision dans le salon. Célia, elle, envisageait de
reprendre la lecture du livre de Marie et se rendit dans
sa chambre. Son portable sonna au même instant. Elle
pensa à Thomas qui essayait peut-être de la relancer,
mais c’était Antoine.
- Bonsoir Célia, j’espère que je ne te dérange pas ?
- Non, pas du tout. Alors tu es bien arrivé ?
- Oui, j’avoue que repartir sans toi, m’a donné un peu
le cafard !
- Tu es si gentil avec moi. Tu as retrouvé ta maman ?
Elle si charmante !
- Oui, j’ai cette chance. Ne m’en veux pas, mais je
crois que je suis tombé amoureux de toi, j’avais
besoin de te le dire.
- Ne crois-tu pas que c’est parce que tu te sens
redevable envers moi, depuis ton agression ?
474
- Pas uniquement, j’ai appris à mieux te connaître
depuis. Tu ne ressembles pas aux femmes que j’ai
l’habitude de fréquenter. Tu as la tête sur les épaules,
tu sais ce que tu veux, tu as un cœur en or, tu sais
donner, alors que beaucoup d’autres femmes ne
savent que demander. Elles sont futiles et seul, leur
physique compte. J’ai envie d’une vraie femme, celle
qui acceptera de partager ma vie en m’acceptant
comme je suis et pas comme elle voudrait que je sois.
- Vaste programme, dis-moi. Je t’aime beaucoup,
mais j’ai besoin de faire une pause, après ma rupture
avec Thomas, je suis un peu perdue.
- J’attendrai Célia. Je ne souhaite qu’une chose, te
rendre heureuse !
- Merci Antoine d’avoir été là pour moi. Je sais
maintenant, que ce n’était pas un hasard que tu te sois
trouvé à Perpignan le soir de ma rupture avec
Thomas.
- Je voulais veiller sur toi. J’avais un pressentiment.

475
- Et tu as eu raison. Rappelle-moi de t’écouter, la
prochaine fois que je m’apprête à faire une bêtise.
- Tu peux compter sur moi. À bientôt Célia.
- À bientôt Antoine.

Après avoir raccroché, elle pensait à Caroline. Etait-


elle au courant de sa rupture avec Thomas ? Et
maintenant, Antoine qui se déclarait. Elle avait besoin
d’en parler à quelqu’un, et ce quelqu’un, ne pouvait
être que son amie. Celle-ci décrocha rapidement :
- Célia ? Comme je suis contente de t’avoir, comment
vas-tu ?
- Tu es au courant pour Thomas et moi ?
- Mais oui, il semblait si perdu quand il est revenu
mardi matin.
- Il t’a dit la raison pour laquelle je suis partie ?
- À cause de sa sœur, c’est ça ?
- Pas uniquement. Ses parents aussi ont été odieux
avec moi. Cette famille est vraiment abjecte. Je me
demande comment Thomas arrive à les supporter.
476
- Mais lui, il était gentil avec toi ?
- Oui, il semblait même perdu de voir sa famille aussi
ignoble avec moi. Mais j’ai vite compris que si lui
m’acceptait comme je suis, sa famille ne
m’accepterait jamais.
- Mais si Thomas t’aime comme tu es, c’est le
principal, non ?
- Non, Caroline. Il adore sa famille. Tôt ou tard, nous
aurions divorcé à cause d’eux. J’ai préféré rompre
avant, c’est plus simple.
- Ma pauvre Célia, comment te sens-tu maintenant ?
- Je suis chez mes parents pour le moment. J’ai besoin
de faire le point. Ils vont venir avec moi en Vendée,
cela me fera le plus grand bien.
- Quand rentres-tu ?
- Dans une dizaine de jours. J’aurais beaucoup de
choses à te raconter.
- Vraiment ? Tu veux m’en parler ?
- À mon retour, sinon je n’aurais plus rien à te dire.

477
- D’accord, alors j’attendrai.

Célia se demandait si Thomas avait donné la vraie


raison de leur rupture à Caroline. Celle-ci semblait
sceptique sur sa version. Elle se dit qu’elle verrait cela
à son retour.

Elle attrapa son sac pour prendre le livre de Marie,


mais se souvint tout à coup, qu’elle l’avait laissé à sa
mère. N’ayant pas envie de déranger ses parents,
sûrement bien calés dans leur fauteuil devant la
télévision, elle décida alors de chercher dans la
bibliothèque de sa chambre, afin de relire l’un des
romans qu’elle avait laissés chez eux, au fil des
années.
Elle opta pour « La bicyclette bleue » de Régine
Deforges, qu’elle avait adorée. Elle se souvint que les
trois premiers tomes avaient fait l’objet d’un téléfilm,
où l’héroïne était interprétée par Laëtitia Casta. Mais
elle avait regretté que les sept tomes de cette saga
478
merveilleuse n’aient pas été mis en scène. Elle attrapa
le premier tome, dont les pages étaient déjà jaunies et
dont la couverture souffrait d’avoir été manipulée tant
et tant de fois. Elle s’y plongea avec délice, tout en
pensant que les amours de l’héroïne, n’avaient pas été
simples, sans toutefois manquer de piquant.

Elle admettait que de son côté, elle était loin de mener


cette vie palpitante. Entre sa rupture avec Thomas et
la déclaration d’Antoine, elle était un peu perdue.
Finalement, elle finit par s’endormir après quelques
pages.

479
CHAPITRE 20

Ce mardi matin, Célia s’était réveillée tôt. Elle avait


pris sa douche et attrapé sa valise qu’elle avait
préparée la veille. Après le petit-déjeuner, elle partait
avec ses parents en direction de la Vendée et
finalement, elle était ravie de passer quelques jours
avec eux, dans un lieu inconnu.

En arrivant à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, ils


s’arrêtèrent pour chercher leur route. La maison
composée de chambres d’hôtes se situait à trois
kilomètres environ du centre-ville. Après avoir repéré
l’endroit, Thierry redémarra râlant quelque peu,
croyant que sa fille avait réservé près de la mer. Mais,
quand il arrêta la voiture devant l’adresse indiquée, il
eut un doute et se retourna pour l’interroger :
- Tu es certaine que c’est ici ?
480
- C’est bien l’adresse indiquée sur mon prospectus.
Entrons, nous verrons bien.

Thierry entra le véhicule dans la cour d’une très belle


et grande maison. Une femme arrivait à leur
rencontre.
- Bonjour mesdames, bonjour monsieur, vous êtes
bien la famille Carron ?
- Oui, répondit Célia. J’avais réservé pour deux
personnes, mais finalement, nous serons trois. Est-ce
que cela va poser un problème ?
- Absolument pas. Nos chambres d’hôtes, sont
prévues pour recevoir de deux à six personnes. Je vais
vous en donner une avec deux parties. Si vous voulez
me suivre, je vais vous faire visiter.
Tout en suivant la propriétaire, Célia se demandait
combien elle allait devoir payer en plus, pour ce
changement de location. Leur hôtesse entra dans la
maison et les invita à monter à l’étage. Elle s’arrêta
devant une porte, l’ouvrit et s’effaça pour les laisser
481
entrer. Célia, comme ses parents, ne s’attendait pas à
voir une chambre aussi spacieuse. Devant leur
étonnement, la propriétaire expliqua :
- En fait de chambre d’hôtes, c’est un T1. Vous avez
une chambre avec un lit de deux personnes et une
autre plus petite avec un lit superposé. Par ici, un coin
salon, et entre les deux chambres, la salle de bains. Si
cela vous convient, je ne vous demanderai que cinq
euros de plus par jour ?
- Cela nous convient très bien, répondit Célia.
- Bien, alors je vous laisse emménager. Si vous
souhaitez vous baigner, sachez que nous avons une
piscine à l’arrière de la maison. De même, si vous
souhaitiez prendre vos repas ici, dans notre salle à
manger, il faudra nous prévenir la veille. Le petit-
déjeuner est bien entendu prévu dans votre location.
Je vous souhaite un très bon séjour. Voici vos clés.
- Merci pour votre accueil madame, rétorqua Thierry.

482
Une fois la porte refermée, il avait retrouvé le sourire.
- Nous ne sommes pas au bord de la mer, mais s’il y a
une piscine à notre disposition, ça me convient très
bien. Allons chercher nos bagages.

Célia était ravie. La propriétaire avait su, avec


beaucoup de tact, suggérer ce qui était le mieux pour
eux. Elle se moquait de dormir dans une petite
chambre, sur la couchette du bas d’un lit superposé.
L’important pour elle, c’était de passer un peu de
temps avec ses parents, tout en leur offrant un peu de
dépaysement. Étant donné qu’il était déjà midi passé,
ils décidèrent d’aller déjeuner en ville et d’emporter
serviettes et maillots de bain.

À Saint-Gilles-Croix-de-Vie, ils avaient garé la


voiture, puis s’étaient dirigés vers le petit port de
plaisance. Les restaurants ouverts étaient nombreux à
cette époque de l’année. Thierry et Corinne étaient
tentés pour les « moules-frites », proposées par la
483
plupart des restaurants. Célia approuva ce choix, plus
pour leur faire plaisir, que pour elle-même.
Personnellement, elle aurait choisi quelque chose de
plus léger.
Plus tard, ils s’installèrent sur la grande plage avant de
se jeter à l’eau. Vers la fin de l’après-midi, ils se
promenèrent dans les petites rues commerçantes de la
ville, puis terminèrent par un dîner avec pizza et
salade. Exténués par cette journée mouvementée, ils
allèrent se coucher tôt.

Dans sa chambre, Célia ne dormait pas. Elle pensait à


Marie qu’elle espérait revoir bientôt, pour faire la
connaissance de sa famille et des amis qui l’avaient
aidée pour récupérer son fils Yanis. Ses pensées
allaient aussi vers Antoine, qui lui avait fait sa
déclaration. Il avait été tellement prévenant avec elle,
elle aurait dû se douter que s’il le faisait, c’était pour
de bonnes raisons. Valentine aussi avait été si

484
charmante avec elle. Est-ce que cette maman s’était
doutée que son fils était tombé amoureux d’elle ?
Et puis cette rencontre avec Guillaume à Biarritz au
sujet de Cécile. Cette jeune femme l’intriguait, qui
était-elle pour lui ressembler autant ?

Elle se demandait aussi quel accueil lui serait réservé


en revenant à Toulouse, tout d’abord par son patron,
puis Antoine et enfin Caroline. Quant à Thomas, elle
commençait déjà à l’oublier. Elle finit par s’endormir
sur toutes ces questions qui la taraudaient.
*

Les jours qui suivirent furent plutôt plaisants, avec de


fréquentes visites dans les villes alentours et des
baignades sur ces grandes plages de sables
vendéennes. Elle avait même loué un vélo à St-Jean-
de-Mont, pour se promener sur les pistes cyclables de
la ville, le long des plages. Elle avait adoré la

485
dégustation des coquillages et surtout les huîtres très
goûteuses de Brétignolles-sur-mer.

Le vendredi soir, Célia avait fait part à ses parents de


son souhait de rentrer sur Toulouse. La location de la
chambre d’hôtes courant jusqu’au lundi, Thierry et
Corinne pouvaient ainsi en profiter encore un peu
avant de retourner chez eux à Biarritz.

Ils l’avaient donc accompagnée le samedi matin à la


gare de La-Roche-sur-Yon, et pensaient que leur fille
commençait à s’ennuyer loin de ses amis, mais elle
avait surtout envie de reprendre le travail pour avoir
l’esprit occupé. Elle embrassa ses parents sur le quai
de la gare, en leur promettant de revenir très bientôt.
Puis elle monta dans le train, à la recherche d’une
place libre.
Le train arriva dans l’après-midi en gare de Matabiau
à Toulouse. Beaucoup de voyageurs se pressaient vers
la sortie. Célia essayait de se faufiler difficilement
486
pour atteindre la station de taxis. Elle poussa un grand
soupir en apercevant la longue file d’attente, mais elle
n’avait pas d’autre choix que de prendre son mal en
patience. Avec ses bagages, elle pouvait difficilement
rejoindre à pied son bus habituel. De plus, elle n’avait
pas trop envie d’affronter la foule, ayant déjà eu sa
part dans le train où elle avait dû voyager debout,
faute de place assise.
Au bout d’une demi-heure d’attente, elle réussit enfin
à prendre place dans un taxi et en apprécia la
climatisation. Lorsqu’elle arriva devant son bâtiment,
elle se sentit heureuse de rentrer chez elle.

Dans le hall, elle attrapa son courrier qui débordait de


sa boîte à lettres et, prenant une grande inspiration,
elle attaqua les escaliers avec ses bagages à bout de
bras. Quand enfin, elle mit la clé dans la serrure de la
porte de son appartement, elle poussa la porte avec
son pied, posa ses valises, et referma aussitôt derrière
elle. Elle remarqua aussitôt que le téléphone de
487
l’entrée clignotait, ce qui voulait dire qu’elle avait des
messages. Sans même défaire ses bagages, elle se
précipita dans la cuisine pour boire un grand verre
d’eau et se dirigea vers la douche pour se rafraîchir.

Après un long moment, elle en ressortit confortée. Elle


enfila une petite robe légère, puis se dirigea vers le
téléphone pour écouter ses messages. Elle en avait compté
quatre de Thomas, un d’Antoine, un autre de Régis puis
enfin, un dernier de Bertrand. Elle passa rapidement sur
ceux de Thomas qui essayait d’obtenir un rendez-vous
avec elle.
Celui d’Antoine semblait plus alarmiste, il parlait de
son ex-femme qui avait eu un accident et était
hospitalisée. Il disait qu’il allait sans doute être obligé
de s’absenter quelques jours de l’agence, pour rester
auprès de son fils.

488
Celui de Régis était plutôt positif, il avait été adopté
par les enfants de Valérie et partait deux semaines
avec eux en vacances.
Enfin, celui de Bertrand datait de la veille et lui
demandait si elle pouvait reprendre le travail lundi,
car Antoine avait un problème familial.

Elle décida de rappeler son patron aussitôt. La


sonnerie s’éternisait et son appel bascula sur le
répondeur. Elle laissa un message disant qu’il pouvait
compter sur elle pour lundi matin. Ensuite, elle tenta
d’appeler Antoine sur son portable. Il décrocha
rapidement :
- Bonjour Célia, tu es déjà rentrée ?
- Oui, je viens de rentrer chez moi et j’ai eu ton
message. Est-ce que c’est grave pour ta femme ?
- Mon ex-femme. Non, pas trop, mais elle va rester
alitée un bon moment.
- Elle vit seule ? Enfin, je veux dire, elle n’a pas de
compagnon ?
489
- Si, elle a quelqu’un, mais il est en déplacement à
l’étranger et Catherine m’a demandé si je pouvais
m’occuper de notre fils, le temps de son
hospitalisation. Ce qui fait que je vais rester un bon
moment absent pour rester proche de l’hôpital et de
Denis.
- Denis, c’est ton fils ?
- Oui, il est un peu perdu.
- Je comprends. Mais ne t’en fais pas, je reprends le
travail lundi matin et s’il y a des visites que je peux
faire à ta place, je le ferai.
- Merci Célia, ça me fait du bien de t’entendre. Je
pense beaucoup à toi, tu sais.
- Occupe-toi bien d’eux Antoine. Ton fils ne t’en
aimera que plus, si tu es présent auprès de lui dans ces
moments difficiles.
- Tu as raison, je prendrai soin d’eux. À très bientôt
Célia.
- À bientôt, je te rappellerai.

490
Après avoir raccroché, elle se sentit un peu seule. Elle
appela ses parents pour leur dire qu’elle était bien
arrivée et leur souhaita de passer une bonne fin de
séjour.
Et comme à chaque fois qu’elle déprimait, elle se
vengea sur les sucreries. Elle se dirigea vers son
congélateur, attrapa une crème glacée et alla s’affaler
sur son canapé.

Elle alluma son téléviseur et zappa un moment sur les


chaînes numériques. Elle s’arrêta sur une scène d’un
film qu’elle connaissait par cœur, c’était celle où
Elliot découvre E.T. Elle savait qu’en regardant ce
film, elle allait rire, mais aussi pleurer à chaudes
larmes, comme à chaque fois qu’elle l’avait regardé.

Elle se réveilla vers minuit, elle s’était endormie sur le


canapé. Elle avait rêvé d’Antoine et de Thomas. L’un
comme l’autre, avait décidé de s’affronter pour
491
épouser Célia. En imaginant la scène, elle se mit à rire
et, se parlant à elle-même : « ma pauvre fille, je te
trouve bien prétentieuse de faire des rêves de ce
genre ». Elle se leva pour boire un grand verre d’eau,
se changea pour une chemise de nuit légère et se
coucha dans son lit.
*

Ce dimanche, elle avait décidé de sortir uniquement


pour faire quelques achats alimentaires. Elle n’avait
envie de voir personne, juste rester tranquille chez elle
à se reposer. À part ses parents, Antoine et Bertrand,
qui savaient qu’elle était rentrée chez elle, nul autre
n’était au courant. Caroline et Régis étaient en
vacances, quant à Thomas, elle ne répondrait pas à ses
appels. Elle pensait, en voyant le livre de Marie sur la
table du salon, qu’elle allait en lire les dernières pages
et le rendre à madame Lambert, la directrice de
l’association, qui l’avait si bien reçue. Elle prendrait

492
rendez-vous avec elle, pour lui parler de sa rencontre
avec Marie.
***

Mars 2003

Déjà, deux mois que Yanis est parti. Nous nous


écrivons régulièrement, mon fils me dit que la femme
de son père avait hâte de le voir partir en France,
qu’elle avait suffisamment de mal à élever son frère et
sa sœur. Elle lui a dit qu’il avait de la chance d’aller
à l’école, sinon il devrait aider son oncle à travailler
la terre. Je pleure à chaque lettre que je reçois de lui.

Mon avocat m’a confié que les choses avançaient


bien pour le retour de mon fils, il me fallait être
patiente. Les autorités tunisiennes s’étaient
concertées avec les autorités françaises très
récemment, concernant la garde de Yanis.

493
Mai 2003

Ma correspondance avec Yanis continue de plus


belle. Mon avocat se démène pour que mon fils rentre
en France dès que possible, afin qu’il puisse y faire
sa rentrée scolaire en septembre prochain. Il m’a
d’ailleurs conseillé de me faire assister par
l’association espagnole, qui s’occupe du
rapatriement des enfants enlevés illicitement par leur
père ou leur mère, et travaillant en relation avec
notre pays.
J’ai décidé de prendre des congés exceptionnels, pour
partir en Espagne et attendre là-bas, le feu vert de
l’association. Mon amie Vanessa va m’y aider avec
ses connaissances.

494
Juin 2003

Je pars aujourd’hui pour l’Espagne, mon employeur


m’a accordé des congés sans solde. J’espère que tout
se passera bien là-bas et que mon petit Yanis
n’attendra plus très longtemps. Mes parents m’ont
encouragée et attendent avec impatience de revoir
leur petit-fils. Vanessa m’a promis de venir me voir
dès que possible en Espagne. Ses amis vont
m’héberger le temps qu’il faut.

Juillet 2003

Ça y est, mon avocat est arrivé en Espagne avec de


bonnes nouvelles, il a avec lui tous les papiers
nécessaires pour que je puisse aller chercher Yanis
en Tunisie, mais il va m’accompagner, comme la loi
l’exige.

495
À notre descente d’avion, les autorités tunisiennes,
nous attendaient. Nous les avons suivies dans une
salle de réunion de l’aéroport. Mon avocat leur a
alors fourni tous les documents demandés et, bien
entendu nos papiers d’identité. Ensuite seulement, un
officier de police est allé chercher Yanis qui nous
attendait dans une autre salle. Dès qu’il m’a vue, il
s’est mis à courir vers moi et m’a serrée très fort
contre lui. Et moi, je pleurais de joie en embrassant
encore et encore, ce fils qui m’avait été enlevé à l’âge
de trois mois et me revenait enfin, à dix ans. Ensuite,
nous avons repris l’avion pour l’Espagne. Mon amie
Vanessa allait arriver, ainsi que mes parents, pour
quelques jours de vacances. Quant à moi, j’avais
décidé de rester en Espagne avec mon fils, car dans
l’intervalle, j’avais rencontré José, le frère de la
responsable de l’association et avec lequel j’espérais
bien refaire ma vie.
***

496
Célia était très émue à la lecture de ces dernières
pages du récit de Marie. Elle avait hâte de la revoir,
elle et sa petite famille. Elle referma le livre les yeux
embués.
*

Ce lundi matin, le petit-déjeuner fut avalé rapidement,


la douche ne dura pas plus de dix minutes et une
demi-heure après s’être levée, Célia fermait la porte
de son appartement, direction la station de bus.
En cette fin du mois d’août, les autobus n’étaient pas
chargés. Le trajet jusqu’au terminus de la place Jeanne
d’Arc à Toulouse, fut très rapide. Célia avait donc tout
son temps pour arriver à l’heure à l’agence
immobilière.

Son patron était déjà là. Il lui fit un grand sourire à


son arrivée.
- Bonjour Célia, heureux de vous voir. Comme vous
le savez, Antoine est retenu pour quelques jours, étant
497
donné l’hospitalisation de son ex-femme. Il va garder
son fils Denis, jusqu’à l’arrivée des parents de son ex.
Ensuite, il pourra revenir, car ses ex-beaux-parents,
s’occuperont de Denis, jusqu’à la rentrée scolaire. En
attendant, mon ami André va revenir pour nous aider.
Vous êtes en forme, j’espère ?
- Je suis en forme et heureuse de revenir travailler
- Mais, vous avez rompu avec votre petit ami me
semble-t-il ?
- C’est vrai, Antoine vous a mis au courant ? C’est
mieux ainsi, et je n’ai pas vraiment envie d’en parler.
- Parfait, alors mettons-nous au travail.

Bertrand lui remit une pile de documents à taper, tous


plus urgents les uns que les autres. Célia eut un
sourire, c’est tout ce qu’elle voulait, travailler jusqu’à
l’overdose, pour ne plus penser à sa rupture. Elle ne
vit pas la matinée passer, entre les coups de fil et la
frappe des courriers. Il était plus de midi, quand
Bertrand lui tapota sur l’épaule.
498
- Partez donc déjeuner maintenant, car j’ai un rendez-
vous important vers quatorze heures trente et pense
être absent deux à trois heures.
- Très bien, juste le temps de prendre mes affaires et
j’y vais.

En sortant, elle ne savait pas trop où aller déjeuner. Il


était exclu qu’elle aille dans la brasserie où elle se
rendait le plus souvent avec Thomas. Elle pensa
soudain au restaurant chinois qu’Antoine lui avait fait
découvrir, à deux pas de l’agence.
D’un pas décidé, elle se dirigea aussitôt dans cette
direction. Passé la porte, elle fut reçue
chaleureusement et on l’invita à s’installer à une table
pour deux. On lui laissa la carte des menus. Pendant
qu’elle la consultait, elle entendit une voix qui
l’interpellait. Elle leva la tête pour découvrir que la
personne en question, n’était autre que madame
Lambert, la directrice de l’association.

499
- Bonjour Célia, est-ce que vous me permettez de
déjeuner à votre table ?
- Avec plaisir madame Lambert, je suis heureuse de
vous voir.
- Vous venez de rentrer de vacances ?
- Oui, j’ai repris le travail ce matin.
- Avez-vous pu aller en Espagne pour tenter de
trouver Marie ?
- Oui, j’ai pu la voir, je vais vous raconter cette belle
journée.

Célia lui relata cette rencontre formidable avec la


promesse de se revoir toutes les deux. Elle ajouta :
- J’ai aussi votre livre chez moi, je viendrai vous le
rendre dès que vous aurez un instant, à moins que
vous ne passiez à l’agence immobilière ?
- Je passerai, cela me donnera l’occasion de papoter
un peu, pendant les heures de fermeture de
l’association.
Elles se quittèrent joyeusement, pressées de se revoir.
500
*

En fin d’après-midi, après le retour de Bertrand. Célia


rangea ses affaires et s’apprêtait à sortir, lorsqu’elle
vit la voiture de Thomas qui, semble-t-il l’attendait.
Bertrand avait vu la réaction de Célia au moment où
elle allait sortir.
- Quelque chose ne va pas ?
- Ne vous inquiétez pas, je vais gérer. C’est Thomas
qui attend ma sortie. Je vais régler cela une fois pour
toute.
- Je suis là s’il y a le moindre problème, répondit
Bertrand.
- Merci, mais je crois que ça va aller.

Une fois dehors, elle se dirigea directement vers la


voiture. Il lui ouvrit la porte côté passager. Lorsque
elle se glissa à l’intérieur, il voulut démarrer, mais elle
l’en empêcha aussitôt :
501
- Dis-moi ce que tu as à me dire, mais on reste ici.
- D’accord. Je veux que tu reviennes Célia, on ne peut
pas tout arrêter comme ça à cause de ma sœur ! De
plus, elle vient de partir avec un nouveau pigeon, sur
la Côte d’Azur.
- Et quand elle sera lassée de ce « pigeon », elle
reviendra chez son grand frère qui ne sait rien lui
refuser.
- Non, c’est fini, je lui ai dit que je ne voulais plus la
voir !
- Je suis désolée, je ne veux pas entrer dans une
famille où je n’aurais pas ma place, où ta famille ne
me fera pas de cadeau. Je préfère rester libre et
continuer à vivre ma vie avec des personnes de mon
milieu.
- Célia, je t’en prie, faisons un nouvel essai !
- Non, Thomas. C’est fini, il est inutile de venir me
relancer.

502
Elle ouvrit la portière sans un regard vers celui qu’elle
avait aimé, et se dirigea vers l’agence, pour
tranquilliser son patron, et attendre que la voiture soit
partie. Ensuite seulement, elle alla rejoindre son arrêt
de bus. Thomas n’avait pas essayé de la suivre et cela
la rassura. À sa descente de l’autobus, elle regarda
autour d’elle encore une fois et fut soulagée de ne voir
aucune voiture connue devant son bâtiment.

Lorsqu’elle pénétra dans son appartement, le


téléphone de l’entrée clignotait. Elle appuya sur le
bouton et écouta :
C’était Thomas.
-  J’ai compris le message, ne t’inquiète pas, je ne vais
pas te harceler, sois heureuse, Célia.

503
CHAPITRE 21

Le mardi matin, Célia se sentait mieux en allant


travailler. Le message laissé par Thomas, la veille au
soir, lui avait permis de déstresser et de passer une
bonne nuit.

En poussant la porte de l’agence immobilière, elle


trouva son patron déjà fortement occupé dans son
bureau avec André. Ce dernier avait donc très
gentiment accepté de remplacer Antoine, encore une
fois, le temps qu’il faudrait. Célia se dirigea vers le
vestiaire pour y ranger ses affaires et en profita pour
se verser un café avant de se rendre à son bureau. Elle
venait à peine de s’installer, qu’ils arrivaient tous
deux vers elle. Bertrand, la veste sur le dos, lui remit
plusieurs documents.

504
- Bonjour Célia, nous allons partir tous les deux,
chacun de notre côté, pour des rendez-vous urgents.
Ne vous attendez pas à nous revoir avant la fin
d’après-midi. Je vous ai laissé de quoi vous occuper
et, si nous rentrions après votre départ ce soir, vous
trouverez sur votre bureau plusieurs dossiers à
enregistrer demain matin. Vous l’avez compris, vous
allez être seule aujourd’hui.

- Bonne journée à vous et ne vous inquiétez pas, je


vais gérer.

Célia prit son temps pour boire son café avant de


s’attaquer à la pile de dossiers que son patron lui avait
remis. Ses pensées allaient vers madame Lambert
avec laquelle elle avait sympathisé et bien entendu
vers Marie, qu’elle souhaitait revoir très vite. Elle
avait décidé de lui écrire dès ce soir, puisqu’elle avait
l’adresse de son association.

505
Peu avant midi, elle eut la surprise d’avoir Caroline au
téléphone.
- Depuis quand es-tu rentrée ?
- Depuis hier. Et toi ? Je te croyais encore en
vacances ?
- Nous sommes rentrés hier aussi. Rappelle-toi, je
t’avais dit que Gabriel devait partir à Londres, la
dernière semaine d’août.
- Oui, je me souviens maintenant. As-tu profité de ces
vacances ?
- Si tu es libre à déjeuner, je passe te prendre et nous
en discuterons.
- D’accord, je t’attends, mais je ne pourrai pas
m’absenter longtemps, car je suis seule à l’agence
aujourd’hui.
- Alors j’arrive tout de suite.

Dès l’arrivée de son amie, Célia ferma l’agence. Elles


étaient heureuses de se retrouver et allèrent s’installer
506
à leur terrasse habituelle. Après avoir passé leur
commande, c’est Caroline qui prit la parole :
- Alors dis-moi, ces vacances ?
- C’est bel et bien fini avec Thomas !
- Vraiment ? Tu ne lui as pas pardonné ?
- Le plus simple, c’est que je te donne ma version.

Elle lui raconta son arrivée à Argelès, le


comportement de la sœur de Thomas, puis celui des
parents. Sa décision de partir, le coup de téléphone à
Antoine, et son arrivée à Perpignan. Caroline
l’interrompit :
- Mais comment Antoine savait que tu étais à
Argelès ?
- Je lui avais dit, mais j’ignorais qu’il était chez sa
mère à Perpignan, au moment où je partais d’Argelès.
Caroline se contenta de sourire et la laissa continuer.

- Ensuite, Antoine a eu la gentillesse de


m’accompagner en Espagne, pour que je puisse rendre
507
visite à Marie, celle dont j’étais en train de lire le
livre, tu te souviens ?
- Oui, cette jeune femme à qui l’on avait enlevé son
enfant ?
- C’est ça. Nous avons très vite sympathisé. Elle vit
là-bas maintenant, avec son mari José, son fils Yanis
qui a maintenant vingt ans, et sa fille Loretta, neuf
ans. Je vais d’ailleurs lui écrire ce soir, j’espère que
j’aurais une réponse.
- Son fils avait quel âge quand elle l’a récupéré ?
- Dix ans !
- Elle a vraiment eu beaucoup de courage et s’est bien
battue. Je comprends que tu t’intéresses à cette
femme.
- J’admire ces femmes qui ne reculent pas devant les
problèmes. Elle en a vraiment bavé, son fils n’avait
que trois mois quand son père est parti avec lui. Je
devine le déchirement que cela a dû être pour elle.

508
- Et qu’as-tu fais ensuite ? Tu es allée chez tes parents
à Biarritz, comme prévu ?
- C’est Antoine qui a tenu à m’y accompagner, il est
resté une journée avec nous, puis il est reparti chez sa
mère à Perpignan.
- Vraiment sympa Antoine !
- Oui, je sais ce que tu vas me dire, il m’a déclaré
qu’il était amoureux de moi, le soir même où il était
rentré sur Perpignan.
- Et ? Que lui as-tu répondu ?
- Que pour l’instant, ma rupture avec Thomas était
trop fraîche et que je ne savais plus très bien où j’en
étais.
- Mais est-ce que tu penses, maintenant que ta relation
avec Thomas est terminée, que tu pourrais être, toi
aussi, amoureuse d’Antoine ?
- Je ne sais pas. Je l’aime beaucoup, car il y a
maintenant plus de trois ans que nous nous
connaissons, et j’avoue que j’ai eu très peur lorsqu’il

509
s’est fait agresser, mais de là à dire que c’est de
l’amour, je l’ignore.
- Et Régis, as-tu des nouvelles de lui ?
- Si j’en crois le dernier message que j’ai eu de lui, il
semblait heureux, car il partait en vacances avec
Valérie et ses enfants, pour une quinzaine de jours.
- Et il t’a dit où il partait ?
- Non, mais je suis très contente pour lui, si les choses
s’arrangent avec Valérie, il semble très attaché à elle.
- Et Thomas, il a tenté de te revoir ?
- Oui, je l’ai vu hier, en quittant l’agence. Il
m’attendait. Je lui ai demandé de ne plus me relancer
que c’était terminé.
- Il a fait le mauvais choix en acceptant d’emmener sa
sœur avec vous. C’est une vraie garce, cette fille.
J’espère qu’il aura compris la leçon cette fois.
- Je vais être obligée de rentrer à l’agence Caroline,
car j’ai beaucoup de travail.
- Oui, bien sûr, on s’appelle ?

510
- D’accord, mais cette fois, tu me racontes tes
vacances, car aujourd’hui, nous n’avons parlé que de
moi.
- Promis.

Rentrée à l’agence, Célia se remit tout de suite au


travail. Malgré quelques coups de téléphone, la fin de
ce mois d’août était encore assez calme. Il était à
peine dix-sept heures, lorsqu’elle termina les dossiers
remis par Bertrand. Elle allait attendre encore une
heure avant de partir, au cas où Bertrand et André
rentreraient.

Elle songeait à la discussion qu’elle avait eue avec


Caroline. Que ressentait-elle pour Antoine ? Il est vrai
qu’il était très attentionné avec elle, il adorait sa mère,
il avait de l’humour. Il avait attendu d’être rentré à
Perpignan pour se déclarer, il n’avait pas osé avant.
En Espagne, il avait été charmant et lorsque Marie les
avait interrogés pour savoir s’ils vivaient ensemble, et
511
qu’ils avaient répondu non, elle avait eu un petit
sourire, comme si, elle avait deviné que l’un était
amoureux de l’autre. Enfin, elle avait dit qu’elle serait
heureuse de les revoir tous les deux.
Depuis deux jours qu’elle était rentrée, elle devait
admettre qu’Antoine lui manquait. En attendant, il
pouvait profiter un peu plus de son fils.
Elle repensait aussi à ses parents, ils semblaient
l’avoir également adopté et le jour de son départ, tout
le monde s’était senti triste.

*
Ni Bertrand, ni André, n’ayant montré le bout de leur nez
à dix-huit heures, elle décida alors de fermer l’agence.

Elle se rendit à son arrêt de bus et attendit patiemment


son arrivée. Elle songeait à s’acheter un livre,
maintenant qu’elle avait terminé celui de Marie. En
descendant de l’autobus, elle allait se diriger vers la
librairie tout près de chez elle, quand elle se souvint
512
qu’elle n’avait pas terminé le premier tome de « La
bicyclette bleue » qu’elle avait rapporté dans ses
bagages. Célia avait hâte maintenant de rentrer chez
elle, elle se préparerait une petite salade composée et
s’installerait sur son canapé avec son livre.

À peine avait-elle poussé la porte de son appartement,


qu’elle remarqua aussitôt que le répondeur de son
téléphone clignotait. Elle appuya sur le bouton et
écouta :
-Bonsoir, Célia. C’est Antoine. Je voulais te dire que
mon ex-femme est sortie de l’hôpital, elle est
maintenant chez elle. Ses parents arrivent à la fin de la
semaine pour prendre le relais. Denis aura donc ses
grands-parents qui s’occuperont de lui. Ce qui veut
dire, que je serai de retour à l’agence, lundi prochain.
J’ai hâte de te revoir, tu me manques beaucoup. Je
sais que j’ai la réputation d’être un coureur de jupons,
mais c’est tout simplement parce que je n’avais pas
trouvé la femme avec laquelle je souhaitais refaire ma
513
vie. Et cette femme, c’est toi Célia. Bien sûr, il faut
pour cela que tu aies des sentiments pour moi, j’en
suis conscient. C’est pour cette raison, que je
souhaiterais que tu acceptes une soirée avec moi. Afin
de se connaître mieux. Je te propose, si tu es libre, de
nous rencontrer samedi soir, pour dîner ? Je suis seul
dans ma chambre, si tu as envie d’appeler… ».

Quand elle reposa le téléphone, sa main tremblait.


Elle venait de comprendre que le simple fait d’avoir
entendu la voix d’Antoine, lui avait fait un bien
énorme. Il semblait sérieux dans sa demande et, bien
qu’elle ne souhaitait pas précipiter les choses, elle
avait vraiment envie de cette sortie avec lui. Juste
avec lui, et voir si elle serait capable de prendre sa
décision.
Elle composa son numéro, mais son appel fut dirigé
sur le répondeur. Elle lui laissa juste un message
« d’accord pour cette soirée samedi soir, juste entre
nous, pour se connaître mieux». Elle avait un peu peur
514
de ce qu’elle venait de décider, mais elle ne voulait
pas trop le faire attendre. Si vraiment elle ne ressentait
rien pour lui après cette soirée à deux, elle lui dirait
franchement.

Ensuite, elle passa sous la douche, mit sa tenue


d’intérieur et attaqua sa salade composée. Puis, elle
s’installa sur son canapé, attrapa son livre, et entra
dans les aventures palpitantes de Léa Delmas.
*

La fin de semaine arriva très vite. Le vendredi, elle


eut des nouvelles de Régis qui lui proposa de passer la
voir à l’agence. Ce qu’elle accepta aussitôt.
Elle le vit surgir aux alentours de midi et demi où il
entra avec le sourire aux lèvres :
- Bonjour Célia, heureux de vous revoir. Avez-vous
passé de bonnes vacances ?
- Vous aviez vu juste au sujet de Thomas et sa sœur.
J’ai rompu.
515
- Et vous êtes triste ou pas ?
- Pas autant que je ne le pensais, mais passons à autre
chose. Et vous ces vacances avec Valérie et les
enfants ?
- Venez, nous parlerons en route. Je vous emmène
déjeuner.

Célia ferma l’agence avec l’aide de Régis, puis ils


s’en allèrent bras dessus, bras dessous. Ce fut lui qui
relança la conversation.
- Ces vacances ont été très profitables. Les enfants ont
fini par m’adopter. Nous avons beaucoup joué avec
eux sur la plage, et Valérie semblait transformée. Elle
a fini par accepter que je vienne plus souvent chez
eux, car les enfants le lui avaient demandé. Ils me
trouvent drôle, parait-il !
- Je suis très heureuse pour vous, et vous semblez
tellement aimer Valérie !
- C’est vrai, j’ai failli abandonner plus d’une fois, car
par moments, c’était très difficile. Mais j’étais
516
conscient de ce qu’elle vivait et du geste qu’elle avait
fait, lors du décès de son ex-mari. Adopter un enfant
qui n’était autre que celui qu’il avait eu avec sa
seconde femme, c’était vraiment incroyable. Rien que
pour cette raison, je lui tire mon chapeau, il lui a fallu
beaucoup de courage.
- Je trouve aussi que c’est admirable.

Durant le déjeuner, Célia pensait qu’elle avait bien


mal jugé Valérie pour sa façon d’imposer les jours où
Régis pouvait venir chez elle. Elle comprenait
aujourd’hui, qu’elle avait voulu, par-dessus tout, le
bonheur des enfants. Et Régis, lui, ne s’y était pas
trompé. Ensuite, la conversation s’était dirigée sur
Marie. Célia eut un grand sourire et lui relata sa
rencontre avec cette autre femme exceptionnelle. Ils
discutèrent un bon moment sur ces enlèvements
illicites d’enfants à l’étranger qui ne cessaient de
s’accroître. Heureusement, de nouvelles lois
permettaient des démarches un peu plus faciles, pour
517
obtenir un droit de visite pour celui ou celle à qui l’on
avait enlevé leur enfant.
Régis la raccompagna jusqu’à l’agence et ils se
quittèrent en se faisant la bise. Célia venait de
comprendre qu’elle avait vraiment beaucoup de
chance d’avoir rencontré cet homme, qui était
maintenant devenu son ami. Ils adoraient parler de
leur vie réciproque et savaient que l’autre était
toujours à l’écoute.
*

Ce vendredi soir, rassurée sur le sort de Régis. Elle se


sentait apaisée. Elle n’avait pas osé lui parler de la
déclaration d’amour d’Antoine, elle attendrait de savoir
s’il était vraiment celui avec lequel elle voudrait refaire sa
vie.
En rentrant chez elle, un nouveau message l’attendait
sur son répondeur :
- Bonsoir Célia, c’est Antoine. Je passerai te chercher
demain pour dîner, laisse-moi simplement ton adresse.
518
Je sais que tu habites à Castelginest, mais je ne
connais pas la rue. Appelle-moi sur mon portable. Tu
risques de tomber sur la boîte vocale, car je suis au
volant. Je pense très fort à toi, à demain.
Elle rappela pour lui laisser l’adresse exacte et lui
confia qu’elle était heureuse d’aller dîner avec lui.
Elle passa sous la douche et revêtit sa tenue
d’intérieur préférée.

Ensuite, elle ouvrit le courrier qu’elle avait pris dans


sa boîte à lettres en arrivant. Une enveloppe attira
particulièrement sa curiosité, elle venait d’Espagne.
Elle l’ouvrit rapidement, c’était Marie qui lui
répondait. Elle lui disait sa joie d’avoir de ses
nouvelles et lui laissait le numéro de téléphone de son
amie Vanessa, restée à Toulouse. Elle lui certifia que
cette amie serait très heureuse de faire sa
connaissance. Elle précisait, « c’est une belle âme ».
Célia reposa la lettre, ravie que Marie ait accepté de
lui répondre et de plus, lui proposait de partager son
519
amie Vanessa. Cette femme avait vraiment un cœur
d’or. Elle se promit de lui répondre très vite.

Elle allait s’installer sur son canapé, quand le


téléphone sonna :
- Bonsoir Célia, c’est ta meilleure amie, on peut se
voir ?
- Je sors de la douche et je suis en tenue décontractée,
mais viens, toi !
- Avais-tu prévu quelque chose pour ce soir ?
- Non, je suis libre, on dînera chez moi ?
- Je m’ennuie un peu, je veux bien
- Alors à tout à l’heure !

Célia savait que le mari de Caroline était à Londres,


elle comprenait la solitude de son amie.
Elle décida de faire quelque chose de simple, pour
leur dîner en tête-à-tête. Elle ouvrit son réfrigérateur,
opta pour du saumon fumé, qu’elle accommoderait
avec de la crème fraîche et des pâtes.
520
Une demi-heure plus tard, son amie sonnait à
l’interphone.
Célia l’accueillit avec le sourire :
- Entre donc, et viens t’asseoir, c’est presque prêt.
- Qu’as-tu préparé de bon ? interrogea Caroline, tout
en la suivant dans la cuisine.
- Pâtes et saumon, j’espère que tu aimes ?
- J’adore, tu plaisantes ?

Une fois installées et tout en dégustant un vin blanc


d’Alsace, Célia demanda à son amie :
- Alors, tu ne m’as pas raconté vos vacances, où étiez-
vous ?
- À Saint-Raphaël, chez des amis de Gabriel. Mais je
me suis ennuyée !
- Pourtant, c’est une région sympa ? Qu’avez-vous fait
avec ces amis ?
- Justement, pas grand-chose : plage, restaurant,
casino, boîte de nuit !

521
- Je suppose que tu veux dire que, ce pas-grand-chose,
n’était pas ce que tu espérais ?
- Tout à fait. J’aime bien la plage, mais à condition de
ne pas y rester des heures, c’est plus fort que moi, je
ne sais pas rester à ne rien faire. La bronzette, ce n’est
pas pour moi. Les restaurants, j’aime bien, mais pas à
tous les repas. Ce n’est pas parce qu’on est en
vacances, qu’il ne faut rien faire du tout, une petite
salade composée, c’est vite fait. Et puis le casino et
les discothèques, ne m’intéressent pas du tout.
- Je te comprends. Moi, j’aime visiter quand je suis en
vacances. Si c’est en bord de mer, je vais nager et
faire des mini-croisières, acheter du poisson à la criée,
etc.. Tu l’as dit à Gabriel que tu t’ennuyais ?
- Il le sait, mais mon avis ne compte pas beaucoup, car
il veut conserver son standing, tu comprends.
- Je sens que tu t’es disputée avec lui ou je me
trompe ?

522
- Non, tu ne t’es pas trompée. Il m’en veut de ne pas
faire d’efforts pour ses amis.
- Quel genre d’amis est-ce ?
- Un genre que tu n’apprécierais pas. Des personnes
qui ont une haute opinion d’elles-mêmes, si tu vois ce
que je veux dire. ?
- Très bien, le genre : tous les gens sont des imbéciles,
sauf moi, c’est cela ?
- Tout à fait. Je suis heureuse d’être rentrée chez moi
et retrouver ma boutique.

Pendant le dîner, Célia lui parla du courrier qu’elle


avait reçu de Marie. Caroline l’écoutait avec intérêt :
- Comme j’aimerais fréquenter des gens comme eux,
ce doit être passionnant. Surtout continue à lui écrire
et arrange-toi pour retourner la voir.
- C’est prévu. Je ferai tout mon possible pour y aller à
mes prochaines vacances. Mais je vais prendre contact
avec Vanessa, l’amie de Marie, afin de lui proposer de

523
la rencontrer pour la connaître mieux. Je te tiendrais
au courant.
Caroline quitta Célia après minuit. Elle était ravie
d’avoir pu passer un bon moment avec sa meilleure
amie.
*

Célia s’était levée tard ce samedi, elle avait eu


beaucoup de difficultés à trouver le sommeil. Elle
s’était interrogée sur ce dîner avec Antoine et avait
peur de se tromper encore. Après avoir pris son petit-
déjeuner, elle se ressaisit et passa sous la douche. Elle
prit son panier et sortit dans la rue. Il faisait beau et le
marché venait de s’installer à deux pas de chez elle.
Les étals, tous plus attirants les uns des autres, lui
donnaient envie d’acheter tous ces bons produits et de
se mettre à cuisiner.
En rentrant chez elle, avec son panier débordant de
fruits et légumes, de poisson et de volaille, elle avait
déjà prévu de préparer deux plats. Elle avait acheté
524
deux mulets, qu’elle allait préparer avec des citrons
verts et de la crème d’anchois. Elle préparerait ensuite
un poulet à la basquaise. Elle avait besoin de
s’occuper pour ne pas trop penser à la soirée qui
arrivait. La cuisson du poisson terminée, elle prépara
une tarte aux prunes, qu’elle enfourna vers midi.
Elle ne s’accorda pas plus d’un quart d’heure pour
prendre un petit en-cas. Puis, elle se remit à la
préparation de son poulet basquaise. Lorsqu’elle eut
terminé, elle rangea ses plats préparés dans son
réfrigérateur.

Dans l’après-midi, elle répondit au courrier de Marie,


en la remerciant pour lui avoir laissé le numéro de
téléphone de son amie Vanessa. Célia pensait appeler
cette dernière, lundi soir. Ce week-end, elle voulait en
consacrer une partie pour Antoine. Elle trouvait
maintenant le temps long et son impatience lui
prouvait qu’elle était plus attachée à lui qu’elle ne le
pensait.
525
Vers dix-neuf heures, elle commençait à s’inquiéter,
avait-il changé d’avis ?

La sonnerie de l’interphone, mit fin à son inquiétude.


Lorsqu’elle ouvrit la porte, Antoine entra avec un
énorme bouquet de fleurs.
- Bonsoir Célia, je suis heureux que tu aies accepté de
passer cette soirée avec moi.
- Entre, Antoine. Nous passerons cette soirée ici, j’ai
passé ma journée à cuisiner.
- Et en plus, tu cuisines, j’ai beaucoup de chance !
- Installe-toi sur le canapé, je vais nous servir un peu
de Sangria que je prépare moi-même, j’espère que tu
aimes ?
- J’aime beaucoup, en effet, surtout si c’est fait
maison.
- Alors comment va ton ex-femme ?
- Bien, ses parents sont là pour l’aider, le temps de son
immobilisation.
- Et ton fils ?
526
- J’ai bien profité de lui ces derniers jours, il semble
s’habituer à me voir un week-end sur deux. Et toi ?
Ces vacances avec tes parents ?
- J’en ai profité aussi.

Ils passèrent une partie du dîner à se raconter leurs


vies. Puis, Antoine demanda :
- Est-ce que c’est vraiment fini avec Thomas ?
- Oui, vraiment. Je pense téléphoner à Vanessa, l’amie
de Marie, pour proposer une rencontre et me changer
les idées,
- C’est excellent. ! Je comprends que tu as besoin de
faire le vide dans ta tête, je ne veux pas te bousculer.
Considère que je suis ton ami et que je suis là pour
t’aider à prendre ta vie en main.
- Merci d’être patient Antoine. Je vais sans doute
aussi proposer mes services à l’association de
madame Lambert.
- Tu as raison de vouloir t’y investir.

527
Avant de partir, Antoine prit les mains de Célia dans
les siennes et lui confia :
- J’espère que lorsque tu iras en Espagne pour
retrouver Marie à tes prochaines vacances, tu me feras
une petite place dans ta valise. J’aimerais être là pour
rencontrer sa famille.
- Je le souhaite aussi Antoine. D’ici là, nous aurons
appris à nous connaître.

Célia le regarda partir. Au moment où il avait pris ses


mains dans les siennes, elle avait senti aussitôt son
cœur s’emballer. À cet instant, elle avait eu envie de
l’embrasser, mais elle ne voulait pas se tromper
encore une fois. Elle allait faire son possible pour lui
donner une réponse sur ce qu’elle ressentait pour lui.
Il s’agissait de ne pas le faire attendre trop longtemps.

528
CHAPITRE 22

Ce dimanche, Célia allait le passer à faire beaucoup


de ménage, pour s’occuper l’esprit. Le dîner de la
veille avec Antoine avait été très agréable. Il avait
vraiment envie de partager tout avec elle. Elle le
sentait sincère et espérait bien qu’il serait là, quand
elle irait rendre visite à Marie en Espagne.

Elle pensa aussitôt à Vanessa. Allait-elle l’appeler


aujourd’hui, un dimanche ? Après tout, si l’on ne
décrochait pas, elle tenterait un autre jour. Au bout de
quelques sonneries, on décrocha et c’est une voix
féminine qui répondit.
- Bonjour, excusez-moi de vous déranger un
dimanche, je vous appelle de la part de Marie.
J’aimerais beaucoup faire votre connaissance, je
m’appelle Célia.
529
- Bonjour Célia, Marie m’a parlé de votre visite en
Espagne. Moi aussi, j’aimerais bien vous connaître, si
vous n’avez rien de prévu aujourd’hui, on pourrait se
rencontrer. Mon mari sera au stade pour un match de
foot cet après-midi. On peut se donner rendez-vous
place du Capitole ou devant l’association si vous
savez où elle se trouve ?
- Oui, je connais, vers quelle heure voulez-vous que
l’on s’y retrouve ?
- Disons, quatorze heures trente, par exemple ?
- J’y serai, à tout à l’heure Vanessa.

Les autobus étant rares le dimanche, Célia décida de


prendre un taxi. Avec un quart d’heure d’avance,
Célia attendait l’arrivée de Vanessa devant
l’association. L’attente fut de courte durée,
visiblement l’une comme l’autre avait hâte de faire
connaissance. Vanessa avait le sourire en s’avançant
vers elle :

530
- Bonjour, Marie m’avait donné votre description, je
n’ai donc pas eu de difficultés pour vous reconnaître.
- Bonjour Vanessa, je suis très heureuse de vous
rencontrer. Votre fille n’est pas avec vous ?
- Je vois que Marie vous a aussi parlé de ma petite
famille ? Venez, nous allons bavarder en route et je
vous présenterai ma fille Harmonie. Elle a onze ans
maintenant et le dimanche, elle va souvent retrouver
sa meilleure amie Pauline qui habite près de chez
nous. Avec Kévin, nous avons eu un garçon, trois ans
après Harmonie, il est parti avec son père voir le
match de football.
- Marie disait dans son livre qu’elle était la marraine
d’Harmonie ?
- Oui, c’est pour cette raison que nous ne nous
sommes jamais perdues de vue. Même depuis qu’elle
a décidé de partir en Espagne définitivement, nous
allons la voir le plus souvent possible pour les
vacances.

531
- Vous devez être très fière d’avoir une amie comme
Marie, quel courage il lui a fallu pour obtenir la garde
de son fils.
- Elle n’a jamais baissé les bras effectivement.
Pourtant, elle a eu des moments de désespoir, elle en a
bavé croyez-moi !
- J’ai lu ces moments difficiles qu’elle a vécus dans le
récit de sa vie.
- Et vous Célia, être vous mariée ? Avez-vous des
enfants ?
- Non, par pour l’instant. J’ai rompu récemment avec
celui que je pensais être mon futur mari. Mais sa
famille n’était pas du même monde que moi et je
sentais bien que je n’étais pas la bienvenue. Plutôt que
de priver mon futur mari de sa famille, j’ai préféré
arrêter là.
- Décision difficile, mais vous avez eu raison. Mieux
vaut être célibataire que d’avoir à supporter une belle-
famille horrible. Nous arrivons.

532
Vanessa venait de s’arrêter devant une petite
résidence de quatre étages. Elle composa son code
secret à la porte d’entrée, qui s’ouvrit
automatiquement. Elles grimpèrent deux étages et
Vanessa ouvrit la porte de son appartement. Celui-ci
était agréable et décoré avec goût. S’adressant à
Célia :
- Installez-vous, je vais chercher des boissons
fraîches.

Célia regardait cette femme qui devait frôler la


quarantaine, tout comme Marie. Elle semblait
épanouie et bien dans sa peau, encore très jolie. Son
hôte revenait avec un plateau bien garni de boissons et
petits gâteaux. Elles parlèrent de leur métier, de leur
vie, de leurs amis, des enfants de Marie et ceux de
Vanessa. Lorsque Célia lui demanda :
- Vous n’avez jamais pensé à partir rejoindre Marie en
Espagne ?
533
- Si, c’est notre but, nous avons tous nos amis là-bas.
Avec Kévin, nous mettons de l’argent de côté pour
acheter une maison en Espagne. Pour le travail, nous
savons déjà que nous sommes attendus. José et Kévin
comptent s’associer pour créer leur restaurant.
- C’est merveilleux, je vous le souhaite de tout cœur.
J’ai un ami dont la maman habite Perpignan, nous
irons aux prochaines vacances et en profiterons pour
aller rendre visite à Marie.
- Elle en sera très heureuse, elle m’a parlé de vous, en
bien, rassurez-vous. Marie m’a dit que c’est grâce à
l’association que vous avez pu la retrouver ?
- En partie, oui. J’ai d’ailleurs l’intention de donner un
peu de mon temps pour cette association, j’ai un très
bon contact avec la responsable.

L’heure tournait, Célia se leva et informa Vanessa


qu’elle devait partir. Elle promit de téléphoner pour
prendre des nouvelles et inviter sa petite famille pour
un déjeuner ou un dîner lors d’un week-end. Elles se
534
quittèrent en s’embrassant, ravies de cet après-midi
passé ensemble. Elle n’avait pas dit qu’elle était venue
en taxi, car elle était certaine que Vanessa se serait
proposée pour la raccompagner chez elle.

En marchant vers la station de taxi, elle se sentait


heureuse. Cet après-midi passé avec Vanessa l’avait
rapproché un peu plus de Marie. Elle avait hâte de
retourner en Espagne avec Antoine, elle savait
désormais que c’était son souhait qu’il soit auprès
d’elle pour l’accompagner.
Ce soir, elle allait lui téléphoner pour lui dire qu’elle
avait bien réfléchi et que sa réponse était oui. Elle
était certaine que de son côté, Antoine appellerait sa
maman pour lui annoncer la bonne nouvelle. Célia
sourit en pensant à Valentine, c’était une femme
tellement charmante, elle savait qu’elle l’avait déjà
adoptée. Elle appellerait ensuite sa meilleure amie
Caroline, pour lui parler de sa rencontre avec Vanessa
et de sa décision de dire oui à Antoine. Quant à ses
535
parents, elle était certaine qu’ils seraient les plus
heureux du monde de savoir que leur fille ait choisi
Antoine.

Au moment où elle s’apprêtait à monter dans le


premier taxi qui arrivait, elle entendit qu’on l’appelait.
Elle se retourna et aperçut Antoine qui traversait la
rue en courant. Une voiture arriva au même moment
et, dans un crissement de pneus, le conducteur tenta
de l’éviter, mais Antoine fut percuté et soulevé de
terre. Célia cria horrifiée et se précipita vers lui. Il
était sans connaissance, le chauffeur de taxi appela les
pompiers. Les secours arrivèrent très rapidement et
Antoine fut emporté à l’hôpital. Très secouée, Célia
demanda au chauffeur de taxi de suivre le véhicule
des pompiers. Ce dernier accepta aussitôt et tenta de
la rassurer du mieux qu’il put, en certifiant que le
conducteur de la voiture avait freiné au maximum et
que le choc n’avait pas été très violent.

536
Célia imaginait le pire, lorsque le taxi la déposa
devant l’entrée de l’hôpital, elle se précipita à
l’accueil. Elle donna le nom d’Antoine et fut dirigée
vers les soins intensifs. On lui demanda si elle était de
la famille, cette fois, elle ne se laissa pas intimider et
déclara qu’elle était sa petite amie. On l’informa
qu’elle devrait patienter, les médecins s’occupaient de
lui.
Dans la salle d’attente, le temps lui semblait long, elle
ne tenait pas en place et marchait de long en large.
Elle sortit un instant pour aller se chercher une
boisson au distributeur et revint s’asseoir. Elle
angoissait et se sentait responsable de n’avoir pas
entendu Antoine l’appeler lorsqu’elle allait monter
dans le taxi.

Deux heures plus tard, on lui annonça que les radios


d’Antoine, montraient que les blessures n’étaient pas
graves, quelques hématomes et un tibia fracturé. Il allait
être plâtré et gardé pour la nuit. Elle eut tout de même la
537
permission d’entrer dans sa chambre. Célia avança
doucement, en essayant de ne pas faire de bruit.
Antoine avait les yeux ouverts, il demanda :
- Qui êtes-vous ?
- Ce n’est pas possible Antoine, tu ne me reconnais
pas ?
- Non, vous êtes qui ?
- Je suis… je suis ta petite amie !
- Approchez, je ne vous vois pas très bien.

Elle s’approcha tout près et c’est alors qu’il prit ses


mains dans les siennes et les serra très fort.
- Je ne suis pas amnésique Célia, je suis très heureux
de savoir que tu es ma petite amie. Tu ne pouvais pas
me faire plus plaisir.
- Oui, mais tu as triché, répondit-elle.
- J’ai triché, mais je ne le regrette pas.

Célia était troublée, son cœur s’était emballé à


nouveau quand les mains d’Antoine avaient saisi les
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siennes et elle n’avait pas du tout envie de les lui
retirer.
Elle se pencha pour l’embrasser, et lui répondit :
- Étant donné que c’est la seconde fois que je viens te
voir à l’hôpital, morte d’inquiétude, je constate qu’il
est impossible de te laisser seul. Je pense que je vais
envisager de rester auprès de toi et ne plus te quitter.
- Tu veux dire Célia, que tu acceptes de vivre avec
moi ?
- Oui, j’en suis certaine !

Il l’attira à lui et l’embrassa longuement :


- Je suis le plus heureux des hommes, je ferai tout
pour te rendre heureuse.

Un infirmier entra dans la chambre et s’adressa à


Célia :
- Je suis désolé, je vais devoir vous demander de le
laisser se reposer maintenant. Si tout va bien, il pourra

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sortir demain. Téléphonez-nous demain, en fin de
matinée.

Célia attrapa une main d’Antoine, déposa un baiser


sur celle-ci, puis elle sortit rapidement, contente qu’il
soit hors de danger. Elle avait hâte de venir le
chercher le lendemain, elle prendrait soin de lui.

Elle demanda un taxi à l’accueil et sortit pour


téléphoner à Caroline. Elle avait tant de choses à lui
raconter. Elle ne manquerait pas non plus d’inviter
Régis et Valérie avec leurs enfants.
Elle avait envie d’inviter tous ceux qui avaient partagé
ses inquiétudes lors de l’agression d’Antoine et de son
long coma qui avait suivi.
Maintenant que la vie lui souriait.

FIN

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Remerciements à ma famille et mes amis et tout
particulièrement à Marie, pour sa patience, sa gentillesse
et ses précieux conseils.

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Protégé par Copyright France, le 1er mai 2015
Référence du dépôt : L2Y41F5

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