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E-rea

Revue électronique d’études sur le monde anglophone 


17.2 | 2020
1. Le discours rapporté et l’expression de la
subjectivité / 2. Modernist Non-fictional Narratives of
War and Peace (1914-1950)

Une analyse de la démultiplication des éthos dit et


montré dans le discours du Bourget de François
Hollande raconté par Laurent Binet
Alain RABATEL

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/erea/9292
DOI : 10.4000/erea.9292
ISBN : ISSN 1638-1718
ISSN : 1638-1718

Éditeur
Laboratoire d’Études et de Recherche sur le Monde Anglophone
 

Référence électronique
Alain RABATEL, « Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours du
Bourget de François Hollande raconté par Laurent Binet », E-rea [En ligne], 17.2 | 2020, mis en ligne le
15 juin 2020, consulté le 19 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/erea/9292  ; DOI : https://
doi.org/10.4000/erea.9292

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Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours d... 1

Une analyse de la démultiplication


des éthos dit et montré dans le
discours du Bourget de François
Hollande raconté par Laurent Binet
Alain RABATEL

Introduction
1 Je voudrais analyser les manifestations de l’éthos de F. Hollande dans un extrait de Rien
ne se passe comme prévu, récit de Laurent Binet qui a couvert la campagne de
François Hollande en 2012, à l’instar de ce qu’avait fait Yasmina Reza en 2007 pour celle
de Nicolas Sarkozy avec L’Aube le soir ou la nuit, paru en 2007 chez Flammarion, et
Philippe Besson, pour la campagne d’Emmanuel Macron, avec Un personnage de roman.
Ce genre de récit n’est pas vraiment une docu-fiction, car il repose sur un contrat de
fidélité1 envers les événements en vertu du privilège exclusif consenti par le candidat
d’accéder à l’ensemble de sa campagne, vue de l’intérieur d’un quartier général, au plus
près de lui, même si ce contrat n’empêche pas l’auteur d’exprimer sa subjectivité
d’écrivain. Comme le récit paraît une fois que l’élection est allée à son terme, son
efficacité politique est nulle relativement à l’événement, mais intéressante pour la
construction d’une certaine légende de la victoire et l’image du (candidat-)président.
On est donc face à un genre émergent, le « récit-de-campagne-de-l’élection-
présidentielle-écrit-par-un-écrivain-non-professionnel-de-la-politique-qui-suit-le-
gagnant-de-l’élection-depuis-ses-débuts-jusqu’à-sa-victoire-finale-(et-qui-ne-publie-
son-livre-que-si-son-candidat-est-victorieux »).
2 L’extrait – qui occupe les pages 128 à 138 de l’ouvrage – renvoie à un moment charnière
de la campagne de François Hollande, celui de son discours d’entrée en campagne, le 22
janvier 2012, au Bourget, une fois que le candidat peut désormais s’adresser à tous les
Français en ayant la légitimité que lui confère la victoire à la primaire. Mon choix

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s’explique, rétrospectivement, par une autre raison : certes, si, en 2012, « rien ne s’était
passé comme prévu », à cause du forfait de Dominique Strauss‑Kahn, avec l’affaire du
Sofitel (Rabatel, Monte et Soares Rodrigues 2015), la lecture du récit de Laurent Binet,
notamment celle du discours du Bourget, peut se lire aussi comme l’annonce
prémonitoire (et bien involontaire) de la défaite de 2017. François Hollande a réussi là à
redonner espérance à la gauche : mais cet espoir n’a cessé de lui revenir dans la figure
tel un boomerang, à chaque fois que ses décisions étaient en décalage avec la
mythologie d’une profonde transformation sociale. Laurent Binet (car c’est lui qui est
en cause, dans cette affaire, plus que le narrateur) ne sélectionne dans son récit que les
extraits qui vont dans le sens de ces/ses espérances, à les comparer avec l’ensemble du
discours2. La stratégie du candidat, comme celle du narrateur, les place devant leurs
responsabilités, y compris énonciatives. Tel sera le questionnement ultime de ce
travail.
3 Mais avant d’en arriver là, j’examinerai d’abord la manière dont les formes du discours
rapporté/représenté sont convoquées dans le récit (1). Je dégagerai les mécanismes
d’une démultiplication de l’éthos, avec d’une part, la présentation de soi, renvoyant à
l’éthos dit et montré imputable à F. Hollande, à travers ses discours directs (éthos dit 1,
éthos montré 1) et, d’autre part, la représentation discursive de cet éthos représenté 3 à partir
de la contextualisation des discours directs par le narrateur (éthos dit 2, éthos montré
2) (2). Cette construction énonciativement déséquilibrée4, dans laquelle F. Hollande
joue bien sûr un rôle fondamental, mais qui est cependant scénarisée par une instance
surplombante, pose la question de la prise en charge des énoncés, du récit, de
l’espérance ainsi suscitée, question à laquelle je répondrai à partir de la distinction
entre prise en charge et responsabilité, au plan linguistique, non sans m’interroger sur
le régime de croyance dans le domaine politique, articulé avec la notion d’éthos
incorporé (3).

1. Les manipulations du discours représenté direct


dans le récit du discours du Bourget
4 Les seules formes de discours représenté (DR) (Rabatel 2008 349‑355) utilisées sont des
discours directs (DD), exclusivement. En principe, le DD est considéré comme la forme
la plus autonome du rapport de paroles, dans le cadre des théories du discours
rapporté, que ce soient celles d’Authier-Revuz ou de Rosier, autonomie qui se marque
par le fait que les extraits de DD correspondent à des prédications le plus souvent
complètes, dans des propositions ou ensembles de phrases simples ou complexes. Or, et
c’est un argument supplémentaire en faveur du choix de la dénomination discours
représentés, les DD qui sont cités ici le sont toujours en laissant à l’auteur du DD la bride
courte, pour ainsi dire, ce qui revient à priver ce dernier d’autonomie et à le mettre
constamment sous la coupe du locuteur citant. Cette situation de domination du
locuteur citant sur le locuteur cité est en principe rare, car les DD sont des citations, et
la tendance est en principe au respect des paroles citées, à proportion de l’importance
de la source, comme du contenu. À ces deux titres, on serait normalement en droit de
s’attendre à ce que le narrateur/locuteur citant soit dans une situation de révérence. Or
ce n’est pas vraiment le cas, et la domination irrévérencieuse du locuteur citant est

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massive et diversifiée dans les manipulations qu’il fait subir au DD, qui justifient
amplement qu’on traite du DD comme d’un discours représenté direct.
• i): Le DD est incomplet, tant au plan syntaxique qu’au plan sémantique, car la citation (1) est
coupée par le narrateur/locuteur citant5 :
(1) « Présider la République, ce n’est pas… » (132)
5 Il est significatif que le narrateur reformule (1) par (2), non par un DI, mais par un
discours narrativisé réduit à l’essentiel6, comme si l’alliance du dire et du dit était
anecdotique, alors qu’elle est capitale pour la performance de l’orateur :
(2) Dénonciation méthodique de l’affairisme et du lepénisme qui a régné depuis
cinq ans. (132)
• ii) : Le DD est rapporté incomplètement avec ses maladresses d’expression (en italiques),
soulignées par le narrateur, ce qui est rarement de mise, surtout dans ce genre de texte et
avec ce type de locuteur :
(3) Une maladresse sans conséquence mais qui trahit encore un peu de nervosité : « le
dévouement de ceux qui se dévouent… » (132)
• iii) : Les fragments guillemetés, incomplets, intègrent les commentaires du narrateur, en
italiques, sous la forme d’une onomatopée qui réduit le discours à une langue de bois
tournant à vide (4) ou d’une explicitation des implicites fielleux du discours (5) :
(4) « Présider la République, c’est, blablabla… » (132)
(5) « Rien ne m’a été donné (coucou, Martine !)… J’ai réussi à remporter les primaires
quand bien peu imaginaient mon succès à l’origine » (133).
• iv) : Lorsque le DD est complet, il est fréquemment interrompu par des points de suspension,
et entrelardé de commentaires du narrateur. Cet effet est redoublé lorsque le texte
accumule de nombreux bouts de DD et de commentaires en italiques, ce qui intensifie les
effets de surplomb exemplifiés en ii) et en iii) :
(6) Avant même qu’il commence à parler, je vois qu’il n’est pas comme d’habitude.
« Mes chers amis… je suis, euh, venu vous parler de la France… ». Soit il est ému, soit il
a la trouille, ou bien les deux. « … de la France d’aujourd’hui, une page est en train de
s’effacer, et de la France de demain, nous sommes en train de l’écrire. »
Applaudissements polis, il a l’air tendu, pour l’instant il récite son truc. « Je le fais ici, en
Seine-Saint-Denis… ». Apologie en creux de la diversité, avec en creux le FN désigné
comme le premier adversaire, OK. « L’enjeu de cette campagne… qui commence… ».
Surmonte ta peur, jeune Jedi. « L’enjeu, c’est la France… c’est la France, toujours… ».
Du calme. C’est un diesel. Au début, c’est jamais transcendant. (131-132)
6 L’effet produit est encore plus fort lorsque les commentaires font ressortir les tics, les
habiletés du candidat (ou de ses prête-plume, c’est tout un) :
(7) « Tout dans ma vie m’a préparé à cette échéance. » Voilà le passage personnel. « Je
suis socialiste. » Spécial dédicace à Jospin. « La gauche, je ne l’ai pas reçue en
héritage. » C’est parti pour le story-telling d’Aquilino : « J’ai grandi en Normandie dans
une famille plutôt conservatrice… ». Son père avait des idées contraires aux siennes mais
il lui a laissé la liberté de choisir et lui a permis d’affirmer ses convictions : « La gauche, je
l’ai choisie… ». Bien joué. (133)
• v) : Même les grands mouvements oratoires au DD sont constamment interrompus et
entrecoupés de commentaires distanciés et ironiques :
(8) « L’égalité !... L’égalité !... (‘François président ! François président !’)… Et je
multiplierai par cinq les amendes des communes qui bafouent la loi sur la solidarité urbaine
» […] « L’égalité ; l’égalité encore !... » Maintenant, il pourrait réciter le bottin que la
foule s’embraserait pareil. « L’égalité… c’est aussi la sécurité pour tous ! » (136)
7 On est face à des manifestations d’un discours représenté direct manipulé. En
l’occurrence, l’idée de manipulation renvoie ici au fait que le locuteur citant intervient
sur la structure du DD – ce qui n’est en principe pas la règle dans la plupart des

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situations et des genres – sans que cette instrumentation se réduise à une manipulation
de mauvaise foi7. D’autres procédés orientent l’interprétation du DD, mais ils
ressortissent davantage d’une dimension narrative : ce sont des seconds plans
descriptifs, explicatifs ou commentatifs qui concernent la foule et les dirigeants du PS
qui assistent au meeting. Comme on va le voir, ils pèsent sur l’analyse de l’éthos. Mais il
faut distinguer l’éthos du locuteur cité exprimé par son discours et l’éthos du locuteur
cité représenté par le locuteur citant.

2. L’éthos de François Hollande (éthos dit 1, éthos


montré 1), scénarisé par le narrateur (éthos dit 2,
éthos montré 2)
2.1 Cadres théoriques de référence

8 Je n’évoquerai pas ici les divers travaux contemporains sur l’éthos qui ont enrichi les
théorisations premières d’Aristote, depuis Ducrot (1984), Amossy (1999, 2010),
Kerbrat‑Orecchioni (1990), en linguistique, sans compter en sociologie, le lien avec l’
hexis et l’habitus, chez Bourdieu (1982). Je m’appuierai essentiellement sur les travaux
de Maingueneau (1987, 1999)8, qui a fourni un cadre énonciatif-discursif très
intégrateur pour rendre compte de l’éthos prédiscursif, discursif, de leurs scènes
englobante, générique, de la scénographie énonciative propre à tel discours. Je retiens
également de la mise au point effectuée par ce dernier en 2014 la nécessité d’analyser
des manifestations de l’éthos qui jouent tantôt sur la rupture entre éthos dit et montré,
avec effacement de l’éthos montré9, tantôt sur leur convergence, tantôt encore, même
si c’est plus rarement, sur l’effacement de l’éthos dit au profit du seul éthos montré
(Maingueneau 2014 35‑38).
9 Je m’appuie aussi sur l’approche interactionniste de l’éthos (e.g.
Kerbrat‑Orecchioni 1990, 2019), qui dépasse l’analyse verbo-centrée en intégrant les
dimensions mimo‑gestuelles, corporelles, praxiques. Certes, il y a une différence entre
des interactions vives entre interactants de même rang, et la représentation, dans un
récit, des dimensions mimo‑gestuelles, corporelles, praxiques, par le locuteur/
énonciateur premier (L1/E1)10, qui assure la mise en scène/en discours des interactions.
Il les montre sans nécessairement les prendre en charge, comme on le verra, mais la
situation peut être brouillée si la contextualisation traduit une certaine connivence
entre L1/E1 et le locuteur/énonciateur second principal (l2/e2), François Hollande,
voire avec d’autres locuteurs/énonciateurs seconds d’arrière‑plan, par exemple
certains nègres littéraires, le public, etc. Autrement dit, dans des textes – e.g. des récits,
des articles de presse, etc. – dans lesquels on analyse l’éthos des acteurs de l’énoncé, et
non celui de leur auteur, si le DD est en principe le vecteur principal de l’éthos, sa
scénarisation dans le cadre du récit affecte considérablement sa co‑construction, et il
est plus juste dans ces conditions de parler non pas seulement d’une présentation de soi
(ou éthos 1) via le DD, mais aussi d’une représentation scénarisée de l’éthos de F. Hollande
(ou éthos 2). Cette caractéristique structurante entraîne trois conséquences théoriques
fondamentales quant à l’étude de l’éthos :
10 - La première est que, tout en retenant les distinctions ducrotiennes, je serai amené à
complexifier l’idée de monstration, ancrée chez Ducrot dans le locuteur L. Dès qu’on
sort des discours monologaux dans lesquels l’éthos ne concerne que L1/E1, pour

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analyser des discours monogérés qui mettent en scène des locuteurs seconds, l’éthos de
ces derniers se dédouble entre la présentation de soi effectuée par les locuteurs seconds
responsables de leur parole, par exemple dans des DD, et la représentation de cet éthos
par le locuteur citant. Il y a donc un éthos montré en appui sur des énonciations
montrées (que je propose de nommer éthos montré 111), dont est responsable le locuteur/
énonciateur de son dire, et un éthos montré 2, dès lors qu’elles proviennent de la mise en
scène du locuteur/énonciateur cité par un locuteur/énonciateur surplombant, tel le
narrateur de notre extrait (Rabatel 2015, 2016)12.
11 - La deuxième conséquence est que si cette démultiplication de l’éthos opère pour
l’éthos montré, elle concerne aussi l’éthos dit, avec éthos dit 1 et éthos dit 2.
12 - La troisième conséquence est que cela amène à affiner les analyses des phénomènes
de prise en charge et de responsabilité énonciatives, puisque, dans les cas d’éthos dit 2
et montré 2, on est fondé à se demander qui les prend en charge, L1/E1 ou l2/e2, voire
les deux13.

2.2 L’éthos du locuteur second François Hollande : éthos dit 1, éthos


montré 1

13 À vrai dire, l’étude de son éthos, à partir des citations au DD, est déjà une médiation,
par rapport à la forme princeps du discours, telle que les enregistrements audiovisuels
la donnent à entendre et à voir. Les verbatim de la Presse Quotidienne Nationale sont un
premier filtre, même si ce dernier n’a rien de commun avec celui, spectacularisé,
auquel procède le narrateur de Rien ne se passe comme prévu. Compte tenu de cette
situation, je passerai plus vite sur les manifestations de cet éthos natif que sur les
implications qui résultent de sa scénarisation, mais, pour ce faire, il est d’abord
nécessaire d’illustrer les combinaisons possibles entre éthos dit et montré.

2.2.1 Éthos dit sans éthos montré

14 Soit les deux exemples suivants cités par Maingueneau, récupérés sur Meetic :
(9) « J’ai 35 ans brune aux yeux bleus aux formes généreuses, j’aime voyager et
toutes les bonnes choses de la vie. Je souhaite rencontrer quelqu’un d’attentionné
et de généreux, souriant comme je le suis… À bientôt. » (pseudo Nana)
(Maingueneau 2014 35)
(10) « Je suis un homme de 56 ans, brun aux yeux marrons, mince. Séparé depuis
plusieurs mois et père de deux enfants. Je suis responsable d’édition dans une
maison d’édition universitaire à Paris. Je suis d’origine catalane. Sincère,
authentique, j’ai le goût des autres. Je suis engagé dans l’action humanitaire, j’aime
les voyages… Homme de caractère à la fois fragile, sensible et romantique, j’attends
d’une femme : intelligence, sensibilité, une bonne dose d’humour, et de la tendresse
pour partager de très bons moments à deux… Je vous attends. (pseudo Ezechiel)
(Maingueneau 2014 36)
15 Dans les deux cas, Maingueneau parle d’un effacement de l’éthos montré, comme on
parle d’effacement énonciatif (Vion 2001, Rabatel 2008). L’impression d’effacement
provient du fait que les informations sont interprétées comme des données factuelles,
indépendantes du jugement de l’énonciateur. Les expressions « formes généreuses »,
« généreux », « sensible et romantique » renvoient à une catégorie relativement
objective et non à une appréciation subjective concernant le fait d’appartenir plus ou
moins nettement au cœur de la catégorie. L’éthos porte sur le dit, en l’absence de

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marques du dire redoublant le dit. Cependant, on n’est jamais sûr que ce genre
d’effacement ne puisse pas être interprété comme une « stratégie délibérée »
d’effacement volontaire (Maingueneau 2014 38). On pourrait faire la même analyse
pour (11) et (12) :
(11) « J’ai donné, j’ai reçu, du temps, du travail, des coups… » (134)
(12) « Je n’ai pas besoin de changer en permanence pour être moi-même. » (134)
16 De fait, F. Hollande évoque ici son parcours personnel, de façon sobre – par opposition
aux procédés linguistiques et rhétoriques utilisés ci-dessus –, en congruence avec la
modestie attendue pour évoquer sa face positive14, et même sa face négative. Mais il est
loisible d’interpréter cette économie (éthos dit sans éthos montré) comme une ruse
suprême, et de considérer que ces extraits comprennent des actes de langage indirects
(avec un éthos montré d’autant plus efficace qu’il est discret) visant concurrents ou
adversaires qui ont connu une vie politique d’héritiers, relativement protégée, aux
antipodes des épreuves qu’il a su surmonter. C’est d’ailleurs ce que fait le narrateur, en
ajoutant ses propres commentaires, comme on le verra plus loin avec l’exemple (18).

2.2.2 Convergence de l’éthos dit et montré

17 Cette convergence est exemplifiée ainsi :


(13) « J’aime l’esprit, la responsabilité et la ténacité. Ces trois valeurs impliquent
naturellement une recherche épurée et élitiste de l’idéal masculin. Cela ne peut
s’adresser qu’aux hommes de courage prenant des responsabilités importantes tout
en maintenant un contrôle de leurs situations. Cela requiert donc de l’envergure
mais aussi du respect envers les autres. À vrai dire ils ne sont pas beaucoup à
posséder de tels atouts. Au plaisir de vous lire. » (pseudo Erminat)
(Maingueneau 2014 36)
18 Il y a un étayage réciproque entre ce qui est dit et montré, comme le signalent la suite
des arguments, l’implication du locuteur dans son dire avec l’emploi des adverbes,
« naturellement », « à vrai dire », de la négation restrictive (« ne peut s’adresser aux
hommes »), l’effort pour coller à l’idéal masculin ainsi décliné, etc. On retrouve de
nombreuses convergences analogues dans le discours du candidat, je n’en citerai que
quelques-unes :
(14) « Certains me reprochent de ne jamais avoir été ministre… Quand je vois ce
qu’ils sont devenus, ça me rassure ! Et ce sont les mêmes qui reprochaient à
François Mitterrand de l’avoir été onze fois ! Clémenceau est devenu président du
Conseil à soixante-cinq ans. Mais je n’attendrai pas jusque là, je vous le promets ! »
(134)
19 En (14), la convergence de l’éthos dit et montré est sensible dans la dramatisation de
l’argument de l’absence de responsabilité ministérielle, avec une distanciation ironique
qui retourne par sous-entendu l’argument contre leurs auteurs (qui ont été x fois
ministres sans jamais avoir laissé de traces). La modalisation exclamative ironique
redoublée noue une complicité avec le public par-dessus ses détracteurs, pour souligner
de surcroît leur mauvaise foi puisque dans son cas on lui reproche de n’avoir pas exercé
de responsabilités ministérielles tandis que dans celui de F. Mitterrand, on lui
reprochait de l’avoir trop fait. Le choix des références historiques est de plus très
éloquent en lui-même, avec la référence obligée à Mitterrand, et celle, plus inattendue,
au Tigre, un des plus grands hommes politiques français, qui n’accéda aux plus hautes
responsabilités qu’à un âge avancé, plus que celui de F. Hollande. Bref, cette dernière
référence permet la réorientation argumentative des arguments des adversaires. Outre

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qu’il met ainsi les rieurs de son côté, il montre une détermination que les critiques
n’entament pas, mais renforcent.
20 On observe une égale convergence à la fin de son discours, dans les formules les plus
célèbres de l’événement :
(15) « LE CHANGEMENT, C’EST MAINTENANT ! LE REDRESSEMENT, C’EST
MAINTENANT ! LA REPUBLIQUE, C’EST MAINTENANT ! » (138)
21 Certes, les capitales de vocifération sont le fait du narrateur, mais l’enregistrement du
discours fait manifestement entendre, par-dessus les réactions d’enthousiasme de la
foule, la voix qui s’emporte et emporte le public ; de plus, les modalités exclamatives,
comme la mise en relief avec la reprise anaphorique « c’est maintenant », répétées trois
fois, sont la marque d’un profond engagement dans l’appel à la mobilisation, dans un
discours dont la direction d’ajustement souhaite que le monde se conforme à la réalité
de son discours.

2.2.3 Éthos montré avec effacement de l’éthos dit

22 Maingueneau illustre ce cas de figure par le message suivant, toujours posté sur Meetic :
(16) « Impose ta chance,/Serre ton bonheur,/& va vers ton risque./À te regarder,/
Ils s’habitueront…
VOUS…/Montrez-moi vos mains…
MOI…/Les femmes ne sont jamais plus fortes que/lorsqu’elles s’arment de leur
faiblesse… (pseudo VIEDEDEN, 36 ans) (Maingueneau 2014 37).
23 L’allusion à Char ne sera décodée que par les personnes cultivées et pour le reste, le
message est tout à fait mystérieux au plan de ce qui est dit, on ne se représente pas le
sexe ni le physique ni les goûts de la personne qui parle, ni son but (excepté le fait que
c’est une annonce sur un site de rencontres et que le locuteur revendique et exhibe une
distinction (au sens bourdieusien) sibylline. Ce genre de prise de parole est évidemment
marginal. Cela explique que l’on ne le rencontre guère dans un meeting électoral, cette
mise en scène ostensive étant jugée le comble du mauvais goût. Cela étant, et ce n’est
pas un hasard, on n’est pas étonné de le retrouver dans la mise en scène effectuée par le
narrateur. On a souvent fait remarquer (Calvet et Véronis 2008) la montée en puissance
des formes de première personne, mise en relation avec un éthos de volonté 15,
éventuellement corrélé à un affaiblissement des différences doctrinales et
programmatiques entre la gauche et la droite, qui serait compensé par les différences
de personnalité. Ici, ce sont les formes de première personne, déconnectées de tout
contenu, qui sont mises en relief dans l’exemple (17), comme dans l’extrait suivant :
(17) Prolongement de la séquence personnelle, « je », « je », « je » (134).
24 Mais, en (17), on n’est plus dans un éthos montré 1 détaché de l’éthos dit 1, on est déjà
au niveau de l’éthos montré 2, déconnecté de l’éthos dit 2, comme on va le voir plus en
détail.

2.3 Démultiplication des éthos dits et montrés 1 et 2

25 On pourrait enrichir l’analyse menée en 2.2, en dédoublant les catégories dégagées par
Maingueneau (2014), avec :
• Un éthos dit 2 avec effacement de l’éthos montré 2

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Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours d... 8

26 La démultiplication des éthos avec leur représentation par le narrateur apparaît bien
dans l’exemple (18), qui complète (11). L’exemple (18) fait d’emblée entrevoir la
différence entre un éthos montré 1 et sa représentation par le narrateur (éthos montré
2), avec une distanciation soulignant le caractère stratégique de cette présentation de
soi – « lyrique », certes, mais non sans arrière‑pensée critique –, comme le souligne « le
crochet au passage », probablement destiné à son adversaire principal, N. Sarkozy,
connu pour ses virevoltes idéologiques :
(18) « J’ai donné, j’ai reçu, du temps, du travail, des coups… » Du binaire et du
ternaire pour négocier le virage lyrique, ça me plaît bien. (134)
27 Ici l’éthos dit 1 de la citation est réinterprété comme une stratégie discursive : « du
binaire et du ternaire pour négocier le virage lyrique, ça me plaît bien ». Cet éthos dit 2
réduit le discours de Hollande à une stratégie, mais celle-ci n’est apparemment pas
prise en mauvaise part, compte tenu que le narrateur exprime son appréciation (« ça
me plaît bien »). Cependant, on reste en droit de se demander si l’approbation du
narrateur pour Hollande porte sur le fond, ou se limite à apprécier en connaisseur
(d’artiste à artiste) le travail de celui qui sait faire partager des émotions (quelle que
soit par ailleurs leur vérité).
• Une convergence de l’éthos dit 2 et montré 2, ou encore des éthos dit et montrés
représentés, comme dans les fragments en italiques de (19) :
28 La convergence des éthos représentés par le narrateur est fortement mise en relief
dans la contextualisation qu’il effectue, juste après avoir rapporté la formule qui
résumera son discours (voir supra (15)). En effet, les commentaires du narrateur
soulignent l’efficacité de l’engagement et de la détermination de l’orateur, et
explicitent les effets que voulait sans doute produire Hollande, pour effacer toutes les
images négatives (en italiques) qui lui collaient à la peau. Mais ce jugement nouveau sur
le nouveau F. Hollande émane bien de L1/E1.
(19) Conclusion d’un Hollande possédé, on dirait un orateur des années trente, il hurle sous
les hurlements de la foule : « LE CHANGEMENT, C’EST MAINTENANT ! LE
REDRESSEMENT, C’EST MAINTENANT ! LA REPUBLIQUE, C’EST MAINTENANT ! » Il
n’y a plus de Flanby, plus de Babar, plus de Gauche molle, c’est l’ange de la vengeance qui
serre les poings sous nos yeux pour péter la gueule à la Droite, c’est le socialisme réincarné,
le champion que la gauche s’est choisi et qui sera digne de notre confiance, le cavalier noir
qui va dégommer Sarkozy et sa bande, le nouveau héraut de la Social-démocratie dans le
monde, celui qui va faire rendre gorge aux Allemands, aux Chinois, aux Bahamas, au
Luxembourg, notre héros, notre sauveur, celui en qui nous plaçons tous nos espoirs, celui qui
va gagner, enfin. « Vive la République ! Et vive la France. » Il balance son « vive la
France » d’un geste de la main légèrement dédaigneux, mélange d’orgueil et de désinvolture,
l’air de dire qu’il sait qu’il a fait le boulot, et qu’il a remporté le morceau. (138‑139)
29 Hollande y est présenté comme possédé, tellement il est habité et veut réussir son
envoi, sa conclusion. Le polyptote « il hurle sous les hurlements » indique une
co‑construction qui va bien au-delà de la connivence, qui repose sur un unisson. La
mimo‑gestualité finale indique la maîtrise distanciée du professionnel,
indépendamment des autres commentaires relatifs à la redénomination de F. Hollande
en Sauveur, en champion (« cavalier noir », « champion que la gauche s’est choisi »,
« nouveau héraut de la Social-démocratie dans le monde », « celui qui va faire rendre
gorge », « celui qui va gagner, enfin »). Bien sûr, les commentaires sont de la
responsabilité du narrateur, mais la caractérisation du ton de Hollande, de sa gestualité
relève de la convergence entre un éthos dit 2 et un éthos dit 1. Les fragments en

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Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours d... 9

majuscules permettent au narrateur d’expliciter ce que le discours de Hollande disait


(éthos dit 1) sous sa forme intensive et répétitive. De même pour l’évocation finale du
dédain et de la désinvolture, qui font entendre (après les commentaires en italiques de
(19)) que Hollande a conscience d’avoir gagné son pari, une importante bataille
d’image.
• Un éthos montré 2 avec effacement de l’éthos dit 2, comme en (20), qui prolonge (17) :
(20) « je », « je », « je », un crochet au passage : « Je n’ai pas besoin de changer en
permanence pour être moi‑même. » (134)
30 L’éthos montré 2, en italiques, se limite à des « je » sans objet, comme si le contenu
initial était sans importance, ce qui revient à relativiser l’éthos dit 1 et l’éthos montré 1,
en faisant prévaloir l’interprétation du narrateur, comme stratégie pour critiquer
indirectement son concurrent, qui n’a jamais cessé de se mettre en avant, y compris
dans ses volte-face.
31 Somme toute, on retrouve ici un mouvement que j’avais déjà analysé à propos des
phénomènes d’usage et de mention, en montrant comment des propos relativement
prototypiques, en usage, pouvaient être interprétés comme des mentions d’énoncés
stéréotypés, clichés réduisant l’auteur de ces jugements à n’être que le porte-parole
transparent d’une vérité qui le dépasse (Rabatel 2003 276, repris dans Rabatel 2008 613).
Toutes choses égales, c’est le même processus ici, sauf que l’on n’a pas affaire à des
clichés. F. Hollande est présenté comme celui qui sait comment trouver les mots pour
répondre aux attentes du public. Le résultat est que F. Hollande et ses scribes passent
pour des experts qui savent dire ce que le peuple veut entendre, adopter des
comportements espérés, jouer les rôles attendus, éventuellement au risque de nourrir
des soupçons sur leur sincérité. Comme si F. Hollande, ainsi mis à distance, disséqué,
n’était qu’un tas de petits calculs intéressés, bref, un politicien professionnel,
particulièrement talentueux, et, de ce fait, particulièrement dangereux. Cette maîtrise
peut être interprétée dans un sens plus positif, car il est très possible d’être intéressé à
réussir sans être pour autant (totalement ou partiellement) insincère. Mais l’hypothèse
n’est pas la plus probable compte tenu de la mauvaise presse dont pâtissent les
politiciens en général, F. Hollande en particulier, comme le rappellent les surnoms peu
amènes qui lui ont été donnés par ses adversaires de droite comme par ses concurrents
de gauche, que l’on retrouve cités par deux fois dans le texte (voir (19) et (21)).
32 Mais il serait insuffisant de ne s’en tenir qu’aux éléments de contextualisation de
citations, sans prendre en compte le rôle des différents acteurs de la communication et
du processus interprétatif dans la construction de l’éthos. On constate d’ailleurs que la
prise en compte de ces dimensions est de nature à réévaluer au positif le jugement
négatif ci‑dessus, en raison des diverses interactions entre F. Hollande et l’ensemble
des participants de l’événement. Il est d’ailleurs hautement significatif que les surnoms
dont F. Hollande est affublé ne sont pas du tout cités de la même façon à la fin de
l’extrait (voir supra (19)) – où ils sont évoqués dans une construction négative (« ce
n’est plus X, Y, Z… ») témoignant par ce mouvement combien F. Hollande est arrivé à
faire considérer ces injures comme nulles et non avenues, ou alors comme devant être
portées désormais au débit des accusateurs –, tandis qu’au début, le narrateur évoque
l’entrée en scène du candidat en prenant en compte (et aussi en charge, faiblement) les
sobriquets dont le candidat est affublé par ses concurrents ou adversaires :
(21) Je comprends qu’il arrive au grondement de la salle, parce que, comme
d’habitude, on ne le voit pas au milieu du bordel ou alors un bout de crâne, un éclair
de lunettes, une main qui dépasse pour serrer d’autres mains. François Hollande, alias

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Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours d... 10

Flanby, Fraise des bois, Gauche molle, Guimauve le Conquérant, Babar, fend la foule en liesse.
Tout le monde veut le toucher, tout le monde crie son prénom. Laborieusement, mètre
après mètre, on voit la grappe enchevêtrée des gardes du corps et des photographes
progresser vers la scène. Ça y est, il monte, il va se placer derrière son petit pupitre,
complètement à gauche (signe). Allez, vas-y, petit capitaine de pédalo ; l’heure est venue
de voguer vers ton destin, dis-nous ce que tu as à nous dire et qu’on en finisse. Qu’on sache,
oui, qui tu es vraiment. (131)

3. Les conséquences de la monstration de l’éthos au


plan énonciatif et interprétatif : prise en charge et
responsabilité énonciatives
33 La prise en charge (PEC) correspond au fait, pour l’énonciateur, d’assumer comme
vraie(s) une (ou plusieurs) proposition(s) prédiquée(s), à la condition de ne pas réduire
le vrai à la vériconditionnalité ou à la conformité entre le contenu de la proposition et
la réalité extralinguistique : est vrai aussi ce qui est vrai pour le sujet modal en discours
(je-vrai, tu-vrai, on-vrai, « fantôme de la vérité » (Berrendonner 1981), qui correspond à
l’effacement énonciatif) même si par ailleurs ce que l’énonciateur croit vrai peut être
faux ; est vrai enfin tout ce qui correspond aux valeurs modales (en appui sur toutes les
modalités, pas seulement sur les modalités aléthiques, donc y compris les modalités
intersubjectives), qui correspondent à des façons de voir du locuteur/énonciateur
primaires (L1/E1).
34 Contrairement aux approches traditionnelles de la PEC (voir Rabatel 2009, 2012a,
Rabatel 2017 123‑140), je n’oppose pas la PEC à la non PEC, mais la PEC directe de L1/E1
à la (quasi) PEC indirecte par une autre instance de validation que L1/E1 (dans le hic et
nunc de l’énonciation), soit L1’/E1’, ou l2/e2 ou e2 16, et c’est ensuite dans une deuxième
étape que j’analyse si L1/E1 marque son accord, son désaccord avec le PDV d’un autre,
ou se contente de le prendre en compte. Les positionnements d’accord, de désaccord ou
de neutralité concernent en effet autant l’autre que soi que l’autre de soi 17 :

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35 Quant à la responsabilité énonciative (Rabatel et Chauvin‑Vileno 2006, Rabatel et


Koren 2008), elle concerne le locuteur relativement à la gestion de l’ensemble de son
discours, de ses choix de textualisation, d’ordre des mots, de gestion des informations,
de citation, aux choix d’expanser ou non tel événement, de condenser tel autre, de citer
telle source et pas telle autre, d’ouvrir ou clore une citation à tel endroit, d’utiliser le
DD, le DI, le DIL, des formes hybrides, des reformulations, etc. Même si le locuteur ne
prend pas en charge tel ou tel énoncé (par exemple lorsqu’il cite quelqu’un, ou
reformule un énoncé du point de vue de son auteur, sans forcément le partager), il est
néanmoins responsable de l’ensemble de ce qu’il dit, de ce qu’il ne dit pas et qui circule
pourtant dans l’interdiscours. Tous ces choix pèsent sur l’idée que L1/E1 est en
situation d’accord ou de désaccord discret avec ceux qu’il cite, sans le dire
explicitement.

3.1 Prise en charge, vérité et mensonges, ou la complexité de la


PEC, vue du côté du public

36 Pour l’essentiel, la PEC des DD est celle du locuteur/énonciateur second F. Hollande,


tandis que la PEC des énoncés primaires échoit à L1/E1, le narrateur. Néanmoins, il est
intéressant de réfléchir aux cas limites. Ainsi, qui prend en charge les énoncés en
italiques, dans les exemples ci-dessous ? Assurément, la PEC revient à L1/E1.
Néanmoins, comment traiter de la PEC des implicites ? Il est certain qu’en (22), (23),
c’est L1/E1 qui explicite les allusions de l2/e2, voire qui juge qu’il y a allusion. Après
tout, nul ne sait ce qui se passe dans la tête de F. Hollande, et le cotexte ne nous donne
pas d’indication. Tout au plus peut-on faire fonctionner nos connaissances
encyclopédiques relatives au monde politique, à la cruauté de la lutte des places, pour
comprendre que ces allusions sont plausibles, et partageables par bien des personnes.
Cependant, aller plus loin que la seule PEC par L1/E1 relève d’un choix interprétatif. La

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seule chose qu’on puisse dire, pour rendre compte du fait que ces allusions
n’étonneront pas les connaisseurs du monde politique, c’est d’invoquer une
consonance, une connivence qui repose sur une sorte de PEC imaginaire, quasi am
fantasma, qui reste hypothétique, mais néanmoins probable, et dont les contours sont
indéterminés (et indéterminables). Le plus probable est donc cette consonance – c’est-
à-dire un accord implicite (Rabatel 2017 113, 116ss) – entre E1 et e2. Mais il faut bien
comprendre que cette consonance est posée comme telle par L1/E1 en direction de l2/
e2, parce que ses commentaires sont des prédications secondes directement accolées à
la prédication première, sans distance, entre parenthèses, sous une forme assertive.
Cependant, la réciproque n’est pas indiquée par le texte, la consonance est donc
unidirectionnelle, asymétrique. On mesure là l’intérêt de la notion, qui est plus précise
que celle de connivence, bidirectionnelle, ou réciproque.
(22) « Je suis socialiste. » Spécial dédicace à Jospin. (133)
(23) « Rien ne m’a été donné (coucou, Martine !)… J’ai réussi à remporter les primaires
quand bien peu imaginaient mon succès à l’origine. » (133)
37 Ces explications valent également pour (24) (ou, supra, (20)). En revanche, le cas de (25)
est plus complexe, car comme le texte précise que F. Hollande « insiste », qu’il veut
« nous achever », il est possible d’imaginer ici une consonance réciproque, dans la
mesure où l’intention allusive semble déjà portée par l2/e2, à travers ses ajouts, et aussi
à travers l’engagement de l’orateur, qui sollicite la complicité de la foule par sa
question, puis y répond avec force, avec un engagement très fort marqué par la
modalité exclamative. Et c’est ainsi que l’engagement et l’intention du candidat,
nettement exprimés, sont non seulement annoncés par les commentaires initiaux sur
l’insistance de l’orateur, mais encore postérieurement explicités par le commentaire
qui met les points sur les i (« Douce revanche, quand Sarkozy avait affirmé la
supériorité du prêtre »).
(24) N’en jetez plus ! La foule se pâme. Mais il insiste, il veut nous achever : après avoir
reçu son prix, qui croyez-vous que Camus a remercié ? Son instituteur ! Douce revanche,
quand Sarkozy avait affirmé la supériorité du prêtre. (136)
(25) « La France n’est pas un problème, elle est la solution. » Deuxième message
subliminal, après Thatcher. Reagan disait : « L’État n’est pas la solution à notre problème ;
l’État est le problème. » (138)
38 Cela dit, la question est plus complexe encore. Car même si l’on considère que l2/e2
prend en charge son discours, par conséquent tous les DD, on est en droit de
s’interroger sur les effets massifs qui résultent de la façon dont L1/E1 met en scène les
DD de l2/e2. Comme on l’a vu, les DD sont constamment sous la visée regardante de L1/
E1. C’est pourquoi la PEC de l2/e2 sur ses DD, qui est incontestable, et présupposée par
l’emploi même du DD, est comme sapée par les réactions et commentaires initiaux du
narrateur, voire par certains comportements des auditeurs, qu’il s’agisse des
responsables socialistes ou du public. On peut cependant dire que ces mouvements de
distance ironique ou critique n’ont qu’un temps, et qu’à partir du moment où
F. Hollande enflamme la salle par son développement sur l’égalité, le comportement de
la foule change. Ce changement est indéniable, et il concerne aussi le narrateur. Par la
suite, lorsque le narrateur met en doute la pertinence des engagements, par exemple,
pour faire plier A. Merkel ou les dirigeants chinois, il constate que les auditeurs, et
lui‑même, en fait, adhèrent à un discours qui les fait « rêver » (voir infra, (30)). Par
conséquent, à la fin de son discours, si le locuteur François Hollande est renvoyé à son
talent d’orateur, au métier dont il fait preuve, à la manière somme toute très

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professionnelle avec laquelle il joue le rôle attendu du candidat, cela n’atténue plus le
crédit porté à la PEC de son discours ni l’efficacité illocutoire et perlocutoire de son
dire.
39 Cependant, il vaut la peine de s’intéresser à la PEC en fonction de la situation
interactionnelle du meeting. Il y a un crédit accordé au candidat qui est d’autant plus
grand qu’il correspond aux attentes et aux rêves. Partant de là, une partie de la PEC que
l’on prête à Hollande provient de la volonté du public de croire aux promesses du
candidat. Cette consonance renvoie au phénomène d’incorporation (Rabatel, à
paraître). Ce phénomène est largement imaginaire. Faire corps est un processus
complexe, rationnel et émotionnel, transitoire ou de plus longue durée. La question est
de savoir si ce qui a été dit et pris en charge vaut pour l’instant, ou pour toujours, en
l’occurrence, pour la durée d’un mandat électoral. L’orateur peut croire à ce qu’il dit au
moment où il le dit, il sait aussi qu’il ajustera son discours selon les circonstances. Mais
pour la foule qui s’incorpore au message, la PEC am fantasma par consonance vaut pour
un engagement total. Il y a là des bases objectives qui peuvent expliquer tous les
malentendus, de bonne ou de mauvaise foi, pour ceux qui pensent que tout ajustement
est nécessairement une trahison des engagements18. L’expérience d’un meeting – très
forte, au plan humain, individuel et collectif, rationnel et émotionnel – explique que le
public puisse surdéterminer de tels discours et que cela nourrisse bien des désillusions
à venir.
40 Cette croyance qui résulte de l’incorporation est certes indue au plan théorique, mais
très prégnante et elle produit des effets qu’une réflexion sur la PEC ne peut pas ignorer,
même s’ils excèdent la dimension linguistique du phénomène. La prise en charge, au
plan théorique, pour le spécialiste, ne dit rien sur l’engagement profond du locuteur
dans son dire, indépendamment de l’engagement locutoire, et surtout, elle ne dit rien
sur ce que pense, croit le locuteur en son for intérieur. Mais, du point de vue des
attentes du public, l’idée de la prise en charge va quasi de pair avec l’idée que l’homme
politique croit ce qu’il dit, totalement, sans prise de distance, que ses promesses
l’engagent pour la vie, alors qu’elles n’engagent, comme disait J. Chirac, que ceux qui
les croient.

3.2 De la responsabilité énonciative de Hollande, de ses scribes et


de Laurent Binet

41 Reste la question, par-delà la prise en charge de chacun des énoncés pris isolément, de
celle de la totalité du discours, pour Hollande, d’abord. Cette question concerne le
candidat, mais elle vise aussi tous ceux qui ont contribué à son discours. La
responsabilité essentielle, et en définitive unique, c’est celle du candidat. Viendra-t-il à
manquer à sa parole, à sa promesse, il en paiera le prix (par exemple en baissant dans
les sondages) ; mais c’est l’ensemble de son camp qui pâtira, y compris ceux qui
n’étaient pas vraiment sur la même ligne que lui, comme en témoignent les résultats
électoraux de l’ensemble des élus socialistes, fidèles aux choix du président et de ses
gouvernements successifs, ou frondeurs. Ce qui montre que l’image du candidat – en
fait de tous les responsables politiques – est surdéterminée. La responsabilité politique
n’est jamais individuelle, elle est d’emblée située au niveau collectif, et donc aussi, par-
delà l’identité personnelle du candidat, elle concerne l’identité collective du parti
socialiste (et même celle de ses partenaires gouvernementaux).

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42 Mais la situation concerne aussi Laurent Binet. Je dis Laurent Binet, et pas le narrateur,
parce qu’en fin de compte, il est difficile de poser une coupure entre le narrateur, et le
sujet parlant, voire le sujet tout court, celui qui, malgré ses réticences, contribue à
écrire la geste socialiste du Monsieur 1 % qui termine victorieux. Car Laurent Binet finit
par croire, par adhérer, il est soulagé de voir ses craintes initiales infondées. Et, en
croyant, il contribue à faire croire tous les sceptiques, tous ceux qui, comme lui, dans la
diaspora communiste19 ou la nébuleuse mélenchonienne, sont méfiants, mais finissent
par considérer autrement le discours hollandais, intègrent l’idée de sa détermination à
affronter fortement les adversaires, les forces de l’argent, les technocrates
supranationaux, etc. Par conséquent, les niveaux de responsabilité ne sont pas les
mêmes, mais il n’est pas douteux que la responsabilité politique concerne de près ou de
loin, à un titre ou à un autre, tous ceux qui ont été des acteurs de l’événement et ont
participé à sa mise en lumière…
43 La responsabilité de Laurent Binet est autre encore : elle concerne ses choix, le fait qu’il
n’ait pas cité les passages où Hollande ne faisait pas que « ré-enchanter le rêve
français », mais évoquait aussi les difficultés (soulignées par moi dans les extraits
suivants). Je cite quelques fragments parmi d’autres, en précisant que les citations sont
extraites de la fin du discours, donc à un moment particulièrement stratégique :
(26) Je sais que le combat sera rude, qu’on cherchera à faire peur, qu’on inquiètera…
Si demain nous sommes en responsabilité, ceux à qui l’on prendra feront davantage
entendre leur voix que ceux à qui l’on donnera. Je sais qu’il n’y aura pas de
manifestation pour nous soutenir. (Verbatim)
(27) Chers amis, je veux citer Pierre Mendès France, qui nous disait que « la vérité
doit forcément guider nos pas ». Je vous dois donc la vérité. Je connais les
contraintes financières, l’ampleur de nos déficits, la gravité de notre dette, la
faiblesse de la croissance en 2012, la lourdeur de l’héritage qui nous sera légué. Je
ne promettrai donc que ce que je suis capable de tenir. Je dois maîtriser sans rien
renoncer les choses et d’abord le temps.
Le quinquennat s’ouvrira donc sur des réformes de structure, celles qui
constitueront un redressement dans la justice, le redressement économique, la
réforme fiscale, le pacte éducatif, la décentralisation. Nous traiterons aussi les
urgences, l’emploi, et notamment l’emploi des jeunes, le logement, la santé. Mais
c’est ensuite que nous pourrons redistribuer ce que nous aurons créé, ce que nous
aurons fabriqué, ce que nous aurons engagé, ce que le pays aura pu, par son
redressement, favoriser. Voilà les temps qui doivent être proposés. (Verbatim)
(28) Sur le plan international, avec le sommet de l’Otan prévu à la fin du mois de
mai 2012, nous engagerons le retrait de nos troupes d’Afghanistan. Sur le plan
européen, si les Français m’en donnent mandat, mon premier déplacement sera
pour rencontrer la Chancelière d’Allemagne et pour lui dire que nous devons
ensemble changer l’orientation de l’Europe vers la croissance et dans le lancement
de grands travaux. (Verbatim)
(29) Nous savons que nous avons des moyens limités, mais que nous avons la
volonté ! C’est cette démarche qui convaincra. (Verbatim)
44 Toutes ces citations mettent l’accent sur la gravité de la situation, sur des conditions à
remplir pour que les engagements puissent être tenus. C’est particulièrement net pour
la réforme de l’Europe : F. Hollande évoque une condition qui a pu passer inaperçue, le
fait que les réformes n’aboutiront que si l’Allemagne est d’accord. Il n’est pas dans mon
intention de dire que F. Hollande avait bien raison de demander de relire son discours
du Bourget et que les éléments de vérité étaient là, qu’il n’y avait donc pas de
tromperie. Ces précautions sont bien moins nombreuses que les mesures
programmatiques. C’est la loi du genre, un discours d’entrée en campagne doit

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mobiliser fortement, et il serait impossible de le faire si chaque mesure était tempérée


par moult précautions ! Il n’empêche, la responsabilité énonciative de Laurent Binet
déséquilibre davantage un discours de facto déséquilibré par la situation même, et, ce
faisant, il donne à voir les ingrédients du désaveu final de 2017. On me rétorquera qu’il
évoque ses doutes, en (30) :
(30) Alors certes, on ne comprend pas très bien en quoi le fait d’être élu par les
Français suffira à lui donner la « légitimité » et la force nécessaire pour faire plier
une Angela Merkel qui, aux dernières nouvelles, se tamponne 20 bien de savoir si le
président français est élu à 80 % ou tiré au sort. De même, quand il dit qu’il
n’accepte pas que le yuan soit sous-évalué, on serait curieux de savoir comment il
va contraindre la banque centrale chinoise à prendre les mesures nécessaires,
considérant qu’on n’est déjà même pas foutus de donner des ordres à notre propre
BCE…
Qu’à cela ne tienne. […] Un socialiste qui tient un discours si ostensiblement de
gauche, même réaliste, même un peu roublard sur les bords, ça fait si longtemps
qu’on n’avait pas vu ça qu’on ne va pas bouder notre plaisir. (137)
45 Mais justement, ce sont ses propres doutes, et pas ceux du candidat. Pour F. Hollande, il
ne s’agit pas de doutes, plutôt de conditions à remplir pour l’action – dont il devait
mieux que quiconque mesurer la difficulté de les satisfaire. C’est dans cet écart entre ce
que sait le candidat mais qu’il ne dit pas, ne peut pas dire, sauf à tuer le rêve et entre ce
que la foule (ne) veut (pas) entendre que résulte le drame de la politique…

Conclusion
46 Les débats auxquels a donné lieu le discours du Bourget relativement à la sincérité de
F. Hollande ou à ses mensonges, ou, à tout le moins, ses ambiguïtés, soulignent l’intérêt
de ne pas confondre éthos et idiolecte, et de comprendre aussi que tout être humain,
tout locuteur parle en étant amené à prendre plus ou moins en considération le poids
des circonstances, lesquelles sont aussi plus ou moins intrinsèquement contraignantes.
Si l’idiolecte concerne la construction de soi, par la manifestation de traits qui
renvoient à la singularité d’un moi repérable à travers la manifestation d’un ensemble
de traits idiosyncrasiques (Rabatel 2005) – qui peuvent entrer en intersection avec la
notion de style (Rabatel 2007 25‑32) –, en revanche, l’éthos concerne davantage une
présentation de soi (Amossy 2010) calculée, c’est pourquoi je préfère parler de
positionnement de soi à travers son aptitude à endosser des rôles attendus selon les
genres, les situations, en lien avec l’objectif de mettre ces moyens au service du but que
l’on se propose d’atteindre, conformément aux origines aristotéliciennes de la notion,
qui traite des preuves par l’éthos, parallèlement aux preuves par le logos et par le
pathos. En d’autres termes, l’idiolecte, même si c’est affaire de degré, est moins en prise
que l’éthos avec le poids des situations, des paramètres socioculturels, d’une part, avec
la visée argumentative d’autre part, qui est toujours sous‑jacente au positionnement de
soi, conformément d’ailleurs à la dimension tactique ou stratégique liée à la notion
même de positionnement.
47 Il existe un double niveau de construction de l’éthos, à la mesure des instances qui
entrent en jeu, avec un phénomène de surplomb. Souvent, ce dernier va de pair avec
une sur‑énonciation (Rabatel 2014), c’est-à-dire avec une reformulation de PDV qui
semble être en accord avec l’autre, et en réalité repose sur une sorte de coup de force
qui oriente le propos initial dans un sens différent21. En réalité, l’hypothèse est ici

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plutôt une co‑énonciation, un accord avec le positionnement de Hollande comme avec


son programme et son éthos, comme cela se voit bien avec la différence entre la façon
dont L1/E1 évoque Hollande en (19) et en (20). Il y a donc une co‑construction
progressive de l’éthos, qui repose sur des valeurs de gauche partagées. Cette
co‑construction en co‑énonciation opère en miroir, car la façon dont Laurent Binet
reconstruit l’éthos dit 2 et montré 2 de F. Hollande construit du même coup l’éthos dit 1
et montré 1 du narrateur, en tant que l’un et l’autre de ces éthos discursifs actualisent
l’éthos prédiscursif22 de ce qu’un bon candidat de gauche (vraiment de gauche) doit dire
dans un meeting d’entrée officielle en campagne.
48 Enfin, il existe aussi une double dimension de la construction de l’éthos, au plan de la
construction de l’identité individuelle et collective, qui opère à un triple niveau, avec
F. Hollande, son narrateur, non sans oublier l’ensemble du public (responsables,
militants, sympathisants) qui vient parachever le processus d’incorporation, avec
toutes les ambiguïtés liées aux tentations d’absolutiser une identité collective
transitoire soumise aux aléas du jeu politique, quand la foule préfère entendre des
promesses qui assouviront ses rêves, par‑delà les contingences du moment.
49 En d’autres termes, l’éthos discursif co‑construit (Lacaze 2018 88) ne s’incorpore jamais
aussi bien que lorsqu’il redonne vie à l’éthos prédiscursif de candidat idéal de la
gauche, à la croisée des représentations et attentes du locuteur comme des
destinataires de sa prise de parole. Mais c’est là – dans le décalage entre un discours
classique, orienté vers les grandes messes du passé (voir supra la dernière phrase de
(30)) et la confrontation brutale avec la dure réalité du monde tel qu’il est –, que se
(re)joue le scénario de la déception des forces de gauche, qu’évoquait rapidement
F. Hollande en (26), et que Laurent Binet ne cite pas. Parce que, décidément, il est
dangereux de désespérer Billancourt, même quand Billancourt n’existe plus que dans la
mémoire collective et dans le poids des frustrations et souffrances sociales – qu’il faut
savoir entendre, pas seulement dans les discours…

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NOTES
1. Cependant, la fidélité repose sur un contrat moral et la liberté consentie, très grande dans le
cas de Binet, n’empêche pas un regard subjectif sur l’événement et sur le candidat.
2. https://www.youtube.com/watch?v=up62HaC6cFI
3. Cette publication reprend la conférence présentée le 13 février 2018 à l’université d’Aix-
Marseille, à Aix-en-Provence. La distinction entre éthos direct du locuteur (autrement dit auto-
éthos) et éthos représenté du locuteur (ou hétéro-éthos) émanant du narrateur peut être croisée
avec la distinction entre « éthos affiché », « revendiqué » (auto-éthos) par le locuteur et l’« éthos

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Une analyse de la démultiplication des éthos dit et montré dans le discours d... 19

attribué » par un interlocuteur (hétéro-éthos), que propose Catherine Kerbrat-Orecchioni 2019 :


137. Les deux modélisations sont complémentaires, par-delà certaines différences. Kerbrat-
Orecchioni et alii 2019 analysent une situation agonique en face-à-face (le débat entre Marine Le
Pen et Emmanuel Macron, le trois mai 2017, juste avant le deuxième tour de l’élection
présidentielle, avec une co-construction éthotique violente et de mauvaise foi, lorsque Marine Le
Pen prétend dévoiler le vrai visage et les implicites du discours de son adversaire ; vu la nature
conflictuelle du genre du débat, cette violence se retrouve aussi dans la façon dont Emmanuel
Macron co-construit l’éthos de son adversaire, sans mauvaise foi. En revanche, la situation
étudiée ici relève d’une interaction asymétrique, seul le narrateur pouvant participer à la co-
construction de l’éthos de François Hollande (la réciproque n’étant pas possible) ; de plus, la co-
construction éthotique est bienveillante dans l’ensemble, malgré quelques réserves initiales du
narrateur.
4. Le déséquilibre éthotique est accru par la scénarisation des interactions entre le discours de
F. Hollande et le public, englobant la foule des militants, sympathisants, les dirigeants socialistes,
le narrateur et les journalistes. Je n’en traiterai pas ici, dans la mesure où elles participent
fortement à la double construction d’un éthos et d’une identité personnels et collectifs
(Grinshpun 2015), qui fera l’objet d’une publication complémentaire (Rabatel, à paraître).
5. S’il est de coutume de distinguer le narrateur de l’auteur, la distinction n’est pas toujours aisée
à faire, car la gestion du récit, qui échoit au narrateur, peut difficilement être totalement coupée
des choix opérés en amont par l’auteur. C’est particulièrement vrai dans des récits de
témoignage, comme celui-ci, fortement lestés d’idéologie. D’autant que, comme je le raconte plus
loin, note 20, Laurent Binet se présente comme plutôt proche de la gauche radicale. Cela explique
ses réserves et la désinvolture avec laquelle il représente le discours initial de F. Hollande,
réserves qui s’atténuent au fil du discours.
6. Autour du pivot « dénonciation », qui indique la nature de l’acte de discours.
7. L’hypothèse la plus vraisemblable est que l’ensemble des procédés i) à v) témoignent, en ce
début de la narration de l’événement, d’une part d’une entrée en matière tendue du candidat
dans son rôle (tant il sait le poids des attentes et des réticences de ses concurrents de la primaire,
qui assistent tous au meeting), d’autre part des réticences du narrateur : en effet, Laurent Binet
précise dans son livre qu’il appartient plutôt à la gauche radicale (voir infra, note 20). Comme on
le verra par la suite, plus F. Hollande avance dans son discours, plus il est à l’aise, et plus aussi
Binet se montre impressionné par les talents de l’orateur et convaincu par son positionnement
socialiste. C’est pourquoi les marques de distance et de désinvolture dans la façon dont le
narrateur rapporte le DD disparaissent au fil de la réception/narration du discours.
8. Parmi de nombreuses autres publications sur le sujet.
9. Ces différentes situations sont exemplifiées infra, en 2.2.1, 2.2.2 et 2.2.3.
10. Je distingue le locuteur, source d’un acte de production d’un énoncé (ou d’une parole
rapportée, pour les locuteurs cités) et les énonciateurs, en tant que source d’un point de vue. La
notion linguistique de point de vue (PDV) correspond à la façon dont un énonciateur fait
entendre, par les choix (d’ordre) des mots, le PDV de l’énonciateur sur l’objet du discours,
indépendamment de l’existence éventuelle d’une opinion ou d’un jugement explicites
(Rabatel 2008). La distinction L/E peut sembler superflue pour les cas de syncrétisme lorsque le
locuteur exprime son PDV. Elle devient nécessaire pour rendre compte de l’explicitation des
implicites des discours : ainsi, en (5), (7), (18), les allusions contenues dans les DD de l2/e2 sont
explicitées par L1/E1, qui les assume, mais elles sont aussi attribuées à F. Hollande, en tant
qu’énonciateur second du PDV explicitant l’allusion, même s’il n’en est pas le locuteur. De même
pour l’analyse du redoublement de l’éthos dit 2 et montré 2, en 2.3, ou, plus largement, pour
rendre compte de faits de polyphonie discrets, lorsque les PDV renvoient à des énonciateurs non
locuteurs, comme en (19) ou (21).

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11. Ce montré 1 correspond à la notion d’énonciation montrée héritée de Wittengstein et


retravaillée par Ducrot, notamment. Sur ces questions complexes, voir l’ouvrage de Chanay,
Colas-Blaise et Le Guern (2013).
12. De la même manière qu’il existe, au plan des modes de sémiotisation des émotions dites,
montrées, étayées (Micheli 2013, 2015), non pas une forme d’émotion montrée, mais deux, si on
prend en compte la scénarisation des émotions des locuteurs intratextuels par un locuteur
premier (Rabatel 2013a 72, 2013b 149, 2013c 170, 2015 150‑152, 2016 121‑123).
13. La question est encore plus cruciale dans les cas de monstration empathique où L1/E1
attribue des PDV à des énonciateurs seconds auxquels il ne donne pas la parole (Ducrot 1984,
Rabatel 2008, 2016, 2017).
14. Voir Brown et Levinson (1987).
15. Voir les caractéristiques du style de N. Sarkozy analysées par Bertrand et al. (2007), Calvet et
Véronis (2008 27‑47), de Cock et al. (2008 17‑20, 107), Bordas (2008 100) : vocabulaire simple et
limité, répétitions, anaphores rhétoriques, phrases courtes, formules chocs, recours aux
émotions, à un éthos de volonté, avec un emploi des formes de première personne, exploitation
massive de références à l’histoire qui écrivent le grand récit du retour de la France volontaire,
tout en brouillant des frontières idéologiques poreuses et en déstabilisant le camp adverse.
16. C’est-à-dire des énonciateurs seconds non locuteurs, dans le cas de points de vue exprimés
dans des « phrases sans parole ».
17. Je ne traite pas ici des relations de second niveau, accord, désaccord, prise en compte : voir
Rabatel (2012b).
18. Sans compter que les programmes sont parfois sujets à bien des réajustements, quand on sait
combien il est hasardeux de les élaborer sans avoir en mains tous les éléments relatifs aux
contraintes économiques, financières liées à l’état du pays, aux engagements institutionnels, et
en définitive à la difficulté de ne pas avoir l’aide des services de l’État pour chiffrer précisément
les mesures proposées, etc.
19. Laurent Binet se présente dans l’ouvrage comme fils d’ancien communiste, sensible au
discours mélenchonien (tout en lui reprochant son sectarisme) ; parmi les socialistes, il se sent
davantage en phase avec la vision d’Aquilino Morelle, plus à gauche que celle du strauss‑kahnien
Finchelstein (Binet, 2012 : 129). Aquilino Morelle est en outre, comme « Malek » Boutih et
« Benoît » Hamon, cité par son prénom, dans une apostrophe. Mais c’est celui qui l’est le plus
(p. 133 et 135) ce qui dénote une vraie proximité (idéologique). On retrouve également l’emploi
du prénom et du nom complet, p. 136, dans un énoncé en troisième personne : « voilà la séquence
d’Aquilino Morelle ». Il est plus que probable que François Hollande connaît (sinon lui, du moins
son entourage proche) ce positionnement et a cherché à utiliser à son avantage l’attrait que le
candidat a suscité envers ce non socialiste, mais viscéralement de gauche, afin de renforcer
l’image du candidat de vraiment de gauche, vraiment socialiste (on se souvient qu’en 2002, Lionel
Jospin avait déclaré que son programme n’était pas socialiste)…
20. Je ne dis rien sur l’éthos dit du narrateur, construit par un registre de langue parfois très
familier (« même pas foutus… », « Merkel se tamponne bien de savoir »). Il est vraisemblable que
ces choix stylistiques indiquent un positionnement du narrateur ayant en tête un lectorat radical
qui ne se paie pas de mots (bourgeois). Je ne développe pas, car mon objet est l’éthos de
F. Hollande et sa représentation par le narrateur ; mais il n’est pas sans intérêt de noter que ce
positionnement émerge au moment où le narrateur donne un satisfecit à F. Hollande, sans en
être dupe, « pour ne pas bouder [son] plaisir »…
21. Cependant, il ne serait pas impossible d’imaginer que le surplomb donne lieu à une
sur‑énonciation : en ce cas l’éthos dit 2 et montré 2 orienteraient la compréhension de l’éthos dit
1 et montré 1, en donnant de l’éthos du candidat une image de chef de guerre, qui jouerait
sciemment avec les espoirs les plus fous du public. Mais cette hypothèse, pour être pleinement
valable, supposerait que l’éthos du narrateur/de Laurent Binet repose sur une position de

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supériorité épistémique ou idéologique, exprime la certitude que F. Hollande serait un imposteur


et irait droit à l’échec. Tel n’est pas le cas, le narrateur adhère au positionnement que F. Hollande
donne de lui‑même, comme on le voit à plusieurs reprises, notamment en (18), (19), (30). Certes,
l’usage que le narrateur fait du discours représenté direct manipulé pourrait donner prise à une
certaine sur‑énonciation, si l’on considère que les explicitations des implicites du discours de
F. Hollande appartiennent en propre au narrateur, et pas au candidat ; mais cette hypothèse fait
peu de cas du talent avec lequel F. Hollande joue avec l’implicite...
22. Contrairement à l’idée dominante qu’éthos préalable et prédiscursif sont des synonymes, j’ai
tendance à considérer que si l’éthos préalable correspond à la représentation du locuteur
antérieure à sa prise de parole, à sa réputation, relativement indépendante des contextes, l’éthos
prédiscursif renvoie à une image plus socioculturelle du positionnement que, selon les attentes/
représentations des destinataires et du locuteur, ce dernier doit endosser dans telle situation, tel
genre de discours.

RÉSUMÉS
Cet article analyse le discours du Bourget de François Hollande en 2012, qui marque l’ouverture
de sa campagne présidentielle après sa victoire aux primaires, tel qu’il est scénarisé par Laurent
Binet dans son récit de campagne, Rien ne se passe comme prévu. Il fait l’hypothèse que dans des
textes – e.g. des récits, des articles de presse, etc. – dans lesquels on analyse l’éthos des acteurs de
l’énoncé, et non celui de leur auteur, si le discours direct est en principe le vecteur principal de
l’éthos, sa scénarisation dans le cadre d’un discours englobant (e.g. un récit) affecte
considérablement sa co-construction. Il est plus juste dans ces conditions de parler non pas
seulement d’une présentation de soi (ou éthos 1) via le discours direct, mais aussi d’une
représentation scénarisée de l’éthos des locuteurs représentés, personnages ou personnalités (ou
éthos 2). Partant de là, il propose de distinguer un éthos montré en appui sur des énonciations
montrées (nommé éthos montré 1), dont est responsable le locuteur/énonciateur de son dire, et un
éthos montré 2, dès lors que ses manifestations proviennent de la mise en scène du locuteur/
énonciateur cité, par un locuteur/énonciateur citant surplombant. La démultiplication de l’éthos
concerne aussi l’éthos dit, avec éthos dit 1 et éthos dit 2. Cette dissociation, qui souligne la nature
de co-construction de l’éthos, est encore complexifiée par la prise en compte des destinataires,
qui s’incorporent cet éthos, d’autant plus fortement qu’il repose sur des valeurs partagées. Une
telle situation conduit à revenir d’une part sur les analyses des phénomènes de prise en charge,
puisque, dans les cas d’éthos dit 2 et montré 2, on est fondé à se demander qui les prend en
charge, l’énonciateur cité ou citant, voire les deux. Elle interroge d’autre part la responsabilité
énonciative des énonciateurs dans l’activation des processus de croyance qui sont au fondement
d’un éthos discursif partagé, privilégiant l’imaginaire des valeurs de gauche (éthos prédiscursif)
et minorant les difficultés de leur mise en œuvre.

The present paper examines François Hollande's speech at Bourget in 2012, which marks the
opening of his presidential campaign after his victory in the primary election, as it has been
staged by Laurent Binet in his narrative of the campaign, Nothing goes as planned. He argues that
in several texts – e.g. reports, newspaper articles, etc. – in which the ethos of the enunciators is
examined, and not the ethos of the author of the utterance, if the direct speech is in principle the
main vector of the ethos, its representation within the narrative affects considerably its co-

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construction. Under these circumstances it is preferable to speak not only about a presentation of
self (ethos 1) through the direct speech, but also of a staged representation of the ethos of the
represented utterers, characters or personalities (ethos 2). On this basis, he distinguishes
between a shown ethos based on shown enunciations (called shown ethos 1), for which the
enunciator of the speech is held responsible, and a shown ethos 2, whenever its manifestations
come from the representation of the reported enunciator by a reporting enunciator. The
demultiplication of ethos also concerns the said ethos, with a said ethos 1 and a said ethos 2. This
dissociation, which underlines the process of co-construction of the ethos, becomes even more
complex if the addressees are taken into account, that appropriate this ethos, especially given
the fact that the latter is built on shared values. On the one hand, this situation leads to a
reexamination of the analysis of the phenomena of commitment because, in the case of the said
ethos 2 and shown ethos 2, one could reasonably ask who will be held responsible for it: the
reported or the reporting enunciator, or the two of them. On the other hand, this also raises the
question of the enunciators’ enunciative responsibilities in the activation of belief processes that
form the basis of a shared discursive ethos, privileging the values of the political left (pre-
discursive ethos) and minimizing the difficulties of their implementation.

INDEX
Keywords : represented manipulated direct speech, co-construction of ethos, said ethos, shown
ethos, pre-discursive ethos, commitment, partial commitment am phantasma by connivance, co-
enunciation, over-enunciation, enunciative responsibility
Mots-clés : discours représenté direct manipulé, co-construction de l’éthos, éthos dit, éthos
montré, éthos prédiscursif, prise en charge, quasi-prise en charge am fantasma par connivence,
co-énonciation, sur-énonciation, responsabilité énonciative

AUTEUR
ALAIN RABATEL
Professeur de sciences du langage
Université Claude-Bernard Lyon 1
Membre du laboratoire ICAR, UMR 5191
alain.rabatel@univ-lyon1.fr, a.rabatel@free.fr, alain.rabatel@ens-lyon.fr
Alain Rabatel est Professeur de Sciences du Langage à l’Université de Lyon 1. Spécialiste
d’énonciation, de linguistique textuelle et d’analyse des discours, il est l’auteur de nombreux
travaux (http://www.icar.cnrs.fr/membre/arabatel). Il s’est d’abord fait connaître pour ses
travaux sur les points de vue et la polyphonie dans les récits ainsi que sur l’analyse des discours
représentés. Il s’est ensuite intéressé aux liens entre argumentation indirecte et énonciation.
Outre ses recherches sur les interactions didactiques et le discours religieux, ses travaux portent
aussi sur l’analyse des discours médiatiques. Dans Pour une lecture linguistique et critique des médias.
Empathie, éthique, point(s) de vue (Lambert-Lucas 2017), il interroge la façon dont les médias
rendent compte des événements conflictuels, à partir des notions de visibilité ou d’invisibilité, de
reconnaissance, de déontologie et de responsabilité, dans le cadre d’une éthique de la discussion
démocratique. Il publiera en 2020, chez Lambert-Lucas, un ouvrage consacré à une approche
pragmatique et énonciative des figures et de la figuralité, La confrontation des points de vue dans la
dynamique figurale.

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