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Neurophysiol Clin 1999 ; 29 : 473-81

© 1999 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved


Article original

Localisation des centres du langage par l’analyse


quantifiée de l’EEG (versus test de Wada)
dans l’épilepsie temporale chez le droitier

P. Corcia, B. De Toffol*, C. Hommet, A. Autret


Clinique neurologique, CHU Bretonneau, 2 bis, boulevard Tonnellé, 37044 Tours cedex, France

(Reçu le 18 août 1998 ; accepté le 3 juillet 1999)

Résumé – L’analyse quantifiée de l’EEG a été utilisée chez neuf patients épileptiques temporaux droitiers
inclus dans une procédure préchirurgicale pour tenter de prédire la localisation des centres du langage. Ce
travail avait pour but de valider un protocole d’étude des variations de la puissance spectrale de l’alpha dans
un paradigme d’activation précédemment développé chez des sujets sains droitiers : la diminution significative
de la puissance spectrale du rythme alpha sur l’hémisphère gauche au cours d’une tâche d’écriture de la main
droite par rapport aux valeurs de repos, et/ou la diminution de la puissance spectrale du rythme alpha sur
l’hémisphère droit au cours d’une tâche de reconnaissance de formes de la main gauche par rapport aux valeurs
de repos, étaient considérées comme un marqueur électrophysiologique de la spécialisation hémisphérique
gauche pour le langage. Dans ce travail, la localisation du langage obtenue par l’étude des variations spectrales
chez les patients était comparée aux résultats du test de Wada considéré comme la technique de référence.
Parmi les neuf sujets, huit avaient l’hémisphère gauche dominant pour le langage (pour un hémisphère droit)
au test de Wada. Six patients avaient une diminution significative de la puissance de l’alpha en accord avec les
résultats du test de Wada ; pour les trois patients restant (incluant le patient dont l’hémisphère droit était
dominant pour le langage), les variations spectrales étaient non significatives. La diminution de la puissance
spectrale du rythme alpha sur l’hémisphère actif au cours d’un paradigme d’activation cérébrale semble
statistiquement liée à la spécialisation hémisphérique gauche des centres du langage. Cependant, pour un
patient épileptique donné, l’étude des seules variations spectrales ne permet pas de définir de manière
cliniquement pertinente la latéralisation des centres du langage. © 1999 Éditions scientifiques et médicales
Elsevier SAS

puissance spectrale de l’EEG / test de Wada / épilepsie temporale

Summary – Determination of language dominance using EEG spectral analysis versus the Wada test in
temporal epilepsy (right-handed subjects).
Spectral analysis of the EEG alpha rhythm was studied in nine temporal epileptic right-handed patients in
order to predict localization of the speech area. We studied the variation of the spectral power of the alpha
rhythm during an activation paradigm previously validated in normal right-handed subjects. Significant alpha
power decreases in the left hemisphere during writing with the right hand (as compared to resting) and/or
significant alpha power decreases in the right hemisphere during left-hand recognition and classification of
cardboard objects (as compared to resting) were considered as consistent with left-hemisphere dominance for

* Correspondance et tirés à part.


474 P. Corcia et al.

language. The results of EEG spectral analysis were compared with those of the Wada test. The left hemisphere
was dominant for language according to the Wada test in eight subjects and the right hemisphere in one subject.
Six patients had a significant alpha power reduction in the hemisphere concerned during lateralized cognitive
tasks, consistent with language localization in the left hemisphere according to the Wada test. The three
remaining patients had no significant EEG spectral power variations. A significant decrease of alpha power in
the active hemisphere during cerebral activation seems statistically related to left-hemispheric dominance for
language in right-handed subjects (hemispheric specialization). However, the localization of the speech area
using this electrophysiological method does not appear clinically relevant for a case-by-case decision in
individual patients. © 1999 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

EEG spectral analysis / Wada test / temporal lobe epilepsy

INTRODUCTION

La tentative d’apporter un concomitant EEG au concept de spécialisation hémisphérique


a fait l’objet de nombreuses études chez le sujet normal, à l’aide du paradigme
d’activation hémisphérique [4, 11]. Une tâche cognitive censée intéresser préférentielle-
ment l’un des hémisphères cérébraux est réalisée par un groupe de sujets, et des
paramètres issus de l’activité EEG de fond enregistrés sur des régions homologues des
deux hémisphères sont étudiés au cours de la tâche et comparés aux valeurs de « repos »
[4]. Chez des sujets normaux droitiers, il a ainsi été montré qu’une tâche neuropsycho-
logique censée intéresser préférentiellement un hémisphère cérébral s’accompagne, sous
certaines conditions, d’une diminution significative de la puissance de l’alpha dans les
dérivations centropariétales homolatérales [5, 6] par rapport à une situation de repos.
Ainsi, l’écriture de la main droite s’accompagne d’une diminution significative de la
puissance de l’alpha sur l’hémisphère gauche par rapport aux valeurs enregistrées lors
d’une situation de repos, et la reconnaissance d’objets de la main gauche s’accompagne
d’une diminution significative de la puissance de l’alpha sur l’hémisphère droit par
rapport à cette même situation de repos [7]. Cette diminution de la puissance de l’alpha
a été considérée comme un « marqueur » électrophysiologique de la spécialisation
hémisphérique [10]. La signification et l’interprétation de ce type de travaux sont
cependant controversées [12] : la diminution de la puissance de l’alpha est inconstam-
ment retrouvée chez des sujets gauchers ou ambidextres [2, 9] et de très nombreux
facteurs peuvent annuler la diminution attendue (sexe, latéralisation manuelle, attention,
différences individuelles, difficulté de la tâche, choix de la position des électrodes [7]. Il
a ainsi été avancé que les variations spectrales latéralisées pourraient ne traduire que des
modifications aspécifiques en rapport avec les concomitants sensorimoteurs des tâches
cognitives [12].
Nous avons utilisé le protocole d’activation hémisphérique décrit ci-dessus pour tenter
de prédire au cas par cas chez des patients droitiers épileptiques temporaux réfractaires
la dominance hémisphérique pour le langage, parce qu’un test de Wada devait être réalisé
dans la procédure préchirurgicale et qu’il apporte la preuve de la dominance hémisphé-
rique pour le langage. Nous souhaitons ainsi contribuer à clarifier la signification des
variations spectrales observées chez les sujets normaux droitiers en termes de spéciali-
sation hémisphérique.
Une épilepsie temporale est considérée comme « réfractaire » si les crises persistent
malgré le traitement médicamenteux bien conduit ou si ce dernier est mal toléré.
Lorsqu’un « foyer » épileptogène unique a pu être individualisé – au terme d’une
exploration pré-chirurgicale clinique, électrophysiologique (EEG, vidéo-EEG, éventuel-
lement sEEG), morphologique (IRM cérébrale) et fonctionnelle (SPECT critique et
intercritique) – et que sa résection soit possible sans conséquences délétères, une
Localisation des centres du langage par l’analyse quantifiée de l’EEG 475

intervention est proposée. L’importance de la résection souhaitable est conditionnée


notamment par la latéralisation hémisphérique des centres du langage. Actuellement,
cette détermination est précisée par une méthode invasive : le test de Wada qui consiste
en l’anesthésie transitoire d’un hémisphère cérébral par l’amytal sodique (barbiturique
d’action rapide) injecté directement dans la carotide après cathétérisme fémoral [17].
Dans ce travail, une méthode atraumatique fondée sur l’analyse quantifiée de l’activité
de fond de l’EEG prédit l’hémisphère dominant pour le langage, et les résultats sont
comparés cas par cas à ceux du test de Wada considéré comme la technique de référence.
Nous avons ainsi testé l’hypothèse suivante : « Chez un patient épileptique temporal
droitier, si la puissance spectrale de l’alpha diminue significativement sur l’hémisphère
gauche lors d’une tâche d’écriture de la main droite et/ou si la puissance de l’alpha
diminue sur l’hémisphère droit lors d’une tâche de reconnaissance de formes de la main
gauche par rapport au repos, alors le sujet est supposé avoir une dominance hémisphé-
rique gauche pour le langage ».

PATIENTS ET MÉTHODE

Patients
Neuf patients (cinq hommes, quatre femmes) ont été étudiés. L’âge moyen était de
28,5 ans (13,1–57,2). Il s’agissait de patients épileptiques temporaux réfractaires
(tableau I) vus consécutivement pour un bilan préchirurgical standardisé (EEG, vidéo-
EEG, IRM avec réalisation de coupes coronales sur les régions hippocampiques, SPECT
inter-ictal à l’HMPAO, bilan neuropsychologique) [3] qui répondaient aux critères
d’inclusion ci-après :
– épilepsie temporale très probable dont la zone épileptogène était latéralisée à droite ou
à gauche ;
– EEG standard intercritique sans anomalies focalisées permanentes avec activité de
fond normale ;
– dominance manuelle droite au test de latéralité d’Edinburgh [15] ;
– examen clinique normal à l’exception de troubles de la mémoire spécialisée ;
– analyse spectrale faite à distance d’une crise sur une partie du tracé ne comportant pas
d’activités paroxystiques.

Méthode
Les sujets étaient confortablement installés en position demi-assise sur un lit placé dans
une pièce de 9 m2 partiellement insonorisée. Des électrodes au Cl/Ag étaient collées sur
le scalp après repérage rigoureux. La position des électrodes correspondait au système
international 10-20 modifié par l’adjonction d’électrodes intermédiaires [1]. Deux
électrodes collées au-dessus et au-dessous de l’œil droit permettaient de détecter des
mouvements oculaires. La têtière placée derrière la tête du sujet était reliée par un câble
au polygraphe situé dans la pièce adjacente. Après la pose des électrodes, le confort du
patient devait être parfait. Tous les enregistrements étaient effectués l’après-midi qui
précédait le test de Wada. Plusieurs séquences ont été réalisées :
– une séquence de repos (YF) au cours de laquelle le sujet a pour consigne de ne
« penser à rien » ;
– une épreuve d’écriture spontanée de la main droite sur une feuille placée à la droite du
sujet les yeux fermés (EYF) ;
476

Tableau I. Patients inclus, données cliniques.


Patient Sexe Ay ge Dominance manuelle Ay ge 1re crise Topographie lésionnelle Histologie lésionnelle Hémisphère dominant
(Wada)

CP F 32,2 droite 3 ans face interne droite non opérée gauche

PN F 23,4 droite 28 ans face externe gauche oligo-dendrogliome gauche

CA F 23,1 droite 18 mois face interne droite sclérose mésiale gauche

DF M 32,1 droite 8 mois face interne gauche sclérose mésiale gauche

LY M 57,2 droite 57 ans lobe T1 et T2 droit astrocytome gauche


P. Corcia et al.

FN F 31,6 droite 20 ans face interne gauche astrocytome gauche

CC M 29,11 droite 9 mois face interne droite aspécifique gauche

LM F 13,2 droite 10 ans temporale interne droite non opérée gauche

SD M 15,11 droite 10 mois face interne gauche sclérose mésiale droit


Localisation des centres du langage par l’analyse quantifiée de l’EEG 477

– une épreuve de reconnaissance de la main gauche de formes géométriques en carton


placées à la gauche du patient (OYF).
Ces trois séquences, exécutées les yeux fermés le regard en position médiane, étaient
agencées suivant un carré latin afin d’éliminer un éventuel effet lié au rang de passation.
Chacune des séquences était contrôlée visuellement par l’expérimentateur depuis une
fenêtre, à l’insu du sujet. À l’issue de chaque épreuve, la performance de chacune des
tâches était vérifiée. La bande de fréquence étudiée était l’activité alpha globale :
7,03–12,89 Hz et subdivisée en alpha 1 : 7,03–8,98 Hz, alpha 2 : 8,98–10,94 Hz, alpha
3 : 10,94–12,89 Hz.
L’ordinateur de traitement est un Declab Minc 11/23. L’EEG est enregistré sur les
dérivations centropariétales symétriques Cp4–P4 et Cp3–P3, l’oculogramme sur deux au
moyen d’un polygraphe ALVARt (bande passante 0,5 Hz–2,5 kHz à 3 dB). Avant la
numérisation, l’EEG est filtré par des filtres anti-repliement (Butterworth) dont la
fréquence de coupure est fixée à 30 Hz avec une pente d’atténuation de 24 dB/octave.
Puis l’EEG est échantillonné en temps réel sur six voies (C4–Cp4 ; D1, Cp4–P4 ; D2,
Cp6–P4 ; D3, C3–Cp3 ; D4, Cp3–P3 ; D5, Cp5–P3 ; D6) à la fréquence de 100 Hz.
Chaque séance expérimentale comprend l’acquisition des trois séquences détaillées
ci-dessus. Chaque séquence comprend l’acquisition de 48 blocs de 2,56 secondes
(période d’analyse) soit une durée d’environ deux minutes par séquence. Chaque période
d’analyse est filtrée par multiplication temporelle par une fenêtre de Hanning. Quatre
spectres élémentaires de 2,56 s sont moyennés pour former une spectre intermédiaire.
Les spectres intermédiaires dont l’énergie est supérieure à 250 microV2/Hz dans la bande
0–1 Hz sont considérés comme des artefacts et rejetés. Douze spectres intermédiaires au
maximum (certains ont pu être rejetés) permettent de calculer un spectre moyen définitif
dans chacune des bande de fréquence. Les valeurs des spectres moyens définitifs dans
chaque bande de fréquence ainsi que certains paramètres calculés sur les spectres
intermédiaires utiles aux calculs statistiques ultérieurs sont stockés dans un fichier
définitif, dérivation par dérivation et sujet par sujet.

TRAITEMENT STATISTIQUE

Nous avons recherché pour chaque sujet une différence entre les séquences YF et EYF
d’une part et YF et OYF d’autre part. Le paramètre étudié était LogP (logarithme de la
puissance spectrale moyenne d’un sujet pour une séquence). Nous avons effectué pour
chacun des sujets :
– une comparaison, par un test de t, de la moyenne de la puissance spectrale du rythme
alpha entre la séquence de repos et la séquence d’écriture d’une part sur les dérivations
hémisphériques gauches C3–Cp3, Cp3–P3, Cp5–P3 ;
– une comparaison, par un test de t, de la moyenne de la puissance spectrale du rythme
alpha, entre la séquence de repos et la séquence de reconnaissance d’objets sur les
dérivations hémisphériques droites C4–Cp4, Cp4–P4, Cp6–P4.
Nous avons donc effectué deux tests t par sujet.

RÉSULTATS

Pour des raisons de clarté, nous ne rapportons que les résultats des dérivations
homologues Cp4–P4 et Cp3–P3 représentatives de l’ensemble des résultats (figure 1).
478 P. Corcia et al.

Figure 1. Valeur de la puissance spectrale moyenne du rythme alpha en Cp4–P4 et Cp3–P3 pour chacune des
séquences, pour chacun des sujets. Le résultat du test t entre YFf–EYFf et YF–OYF est représentée par * si
p < 0,05 et par ** si p < 0,01.

Pour six patients (CP, PN, CA, DF, LY et FN) il existait une diminution significative
de la puissance spectrale de l’alpha entre YF et EYF sur l’hémisphère gauche et entre YF
et OYF sur l’hémisphère droit. Le test de Wada mettait en évidence une dominance
hémisphérique gauche pour le langage. Dans ces six cas, l’hypothèse de travail était
vérifiée. Pour les trois autres patients, l’hypothèse de travail n’était pas vérifiée.
Pour le patient CC il existait une diminution non significative de la puissance spectrale
de l’alpha sur l’hémisphère gauche entre la tâche d’activation et le repos et une
augmentation de la puissance spectrale de l’alpha sur l’hémisphère droit entre la tâche
d’activation et la tâche de repos. Le test de Wada mettait cependant en évidence une
dominance hémisphérique gauche pour le langage.
Pour le patient LM, il existait une augmentation non significative de la puissance
spectrale de l’alpha entre les tâches d’activation et le repos. Le test de Wada mettait en
évidence une dominance hémisphérique gauche pour le langage.
Pour le patient SD, il existait une augmentation non significative de la puissance
spectrale de l’alpha entre les épreuves d’activation et le repos. Le test de Wada mettait
en évidence une dominance hémisphérique droite pour le langage.

DISCUSSION

Un paradigme d’activation hémisphérique simple mis au point chez des sujets normaux
a été utilisé pour tenter de préciser la latéralisation des centres du langage chez des
Localisation des centres du langage par l’analyse quantifiée de l’EEG 479

patients épileptiques temporaux droitiers engagés dans une procédure préchirurgicale : la


diminution significative de la puissance de l’alpha sur l’hémisphère gauche (sur une
dérivation) au cours d’une séquence d’écriture de la main droite par rapport aux valeurs
de repos et la diminution significative de la puissance de l’alpha sur l’hémisphère droit
(sur une dérivation) au cours d’une séquence de reconnaissance d’objets de la main
gauche étaient considérées comme la marque d’une latéralisation hémisphérique gauche
des centres du langage. La situation clinique de tous les patients étudiés nécessitait la
pratique d’un test de Wada qui localise clairement les centres du langage. Les variations
spectrales au cours d’une procédure d’activation hémisphérique pouvaient ainsi être
directement appréciées à partir d’une connaissance certaine de la spécialisation hémis-
phérique, ce qui est évidemment impossible chez des sujets normaux. Le test de Wada a
permis de préciser la latéralisation des centres du langage dans tous les cas.
Le paramètre utilisé (Log P) mesurait la puissance moyenne de l’alpha pendant une
durée de deux minutes au repos d’une part et lors d’une séquence « active » d’autre part.
Cette valeur était obtenue en moyennant des spectres intermédiaires (N = 12) calculés
toutes les 10,24 secondes. Certains spectres intermédiaires pouvaient être rejetés.
L’utilisation du paramètre Log P rend la population quasi normale et permet l’emploi
d’un test de t.
L’utilisation de la mesure de la puissance moyenne de l’alpha sur un hémisphère
pendant une séquence neuropsychologiquement active d’une durée de deux minutes
repose sur l’hypothèse d’une mise en jeu permanente et durable de l’hémisphère
considéré par rapport au « repos » et donc, in fine, sur une conception spécialisée et
localisationniste de la cognition, sur la base d’un modèle lésionnel : une lésion de
l’hémisphère gauche chez un droitier induit un trouble du langage, une lésion de
l’hémisphère droit un trouble visuospatial. Chez les sujets normaux droitiers, la mise en
évidence d’une diminution latéralisée de la puissance spectrale moyenne de l’alpha par
rapport au repos au cours de diverses tâches cognitives est ainsi interprétée comme le
concomitant électrophysiologique de la spécialisation hémisphérique [7].
Six patients sur neuf répondent à notre hypothèse : il existe une diminution
significative de la puissance de l’alpha sur l’hémisphère gauche lors de la tâche d’écriture
et une diminution significative de la puissance de l’alpha sur l’hémisphère droit lors de
la tâche de reconnaissance ainsi qu’une latéralisation hémisphérique gauche des centres
du langage lors du test de Wada. Les trois patients restants ne vérifiaient pas notre
hypothèse (notre méthode ne permettait pas de prédire la latéralisation du langage en
accord avec le test de Wada) mais aucun résultat ne réfutait l’hypothèse (en montrant une
latéralisation opposée à celle du Wada). Aucune des données présentées dans le tableau I
ne permettait de stratifier notre faible population en un groupe composé des patients CC,
LM et SD sur un élément clinique, radiologique ou histologique particulier.
Bien que notre étude regroupât des patients épileptiques temporaux droitiers, cette
population d’un faible effectif était hétérogène en raison du sexe, de la latéralité du foyer
épileptique, de l’âge des premières crises et de la nature histologique de la lésion.
Toutefois aucun de ces paramètres ne permettaient de distinguer les six patients vérifiant
notre hypothèse de travail des trois autres.
Certains facteurs connus pour interférer avec la latéralisation gauche du langage dans
l’épilepsie nécessitent d’être discutés :
– la distribution des anomalies épileptiques sur le scalp : les enfants souffrant d’une
épilepsie partielle idiopathique hémisphérique droite présentent une latéralisation hémis-
phérique gauche des centres du langage alors que les deux hémisphères sont impliqués
dans le traitement du langage si le foyer est à gauche [16] ;
480 P. Corcia et al.

– l’étiologie de l’épilepsie : la répartition interhémisphérique du langage varie selon


l’histologie lésionnelle. S’il s’agit d’une lésion tumorale, l’hémisphère « sain » conserve
sa spécialisation contrairement à l’hémisphère lésé. S’il s’agit d’une lésion « morpho-
logique » comme dans le cas des scléroses mésiales, la latéralisation du langage reste une
fonction assurée préférentiellement par l’hémisphère gauche, chez les patients droitiers,
quel que soit l’hémisphère qui porte le foyer [14] ;
– l’âge de début de l’épilepsie : la répartition du langage entre les hémisphères diffère
en fonction de l’âge de début des crises (l’âge de 5 ans est critique). Ainsi, les sujets
droitiers ayant une épilepsie lésionnelle hémisphérique gauche symptomatique de
révélation précoce (avant 5 ans) présenteraient préférentiellement une latéralisation
hémisphérique droite des centres du langage [13], ce transfert ne survenant qu’à la
condition d’une extension du processus tumoral aux aires du langage [8].

CONCLUSION

Ce travail portant sur un effectif faible de patients est en faveur de l’hypothèse établie
chez des sujets normaux selon laquelle une diminution significative de la puissance de
l’alpha sur l’hémisphère préférentiellement impliqué dans une activité cognitive serait
liée à la spécialisation hémisphérique et non à des facteurs aspécifiques. Il serait
cependant déraisonnable d’espérer remplacer le test de Wada par notre méthode
electrophysiologique atraumatique pour latéraliser les centres du langage chez un patient
épileptique devant être opéré, compte tenu de l’influence du facteur « épilepsie » sur la
latéralisation des centres du langage à l’âge adulte et de l’importance cruciale des
décisions.

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