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Anne CHALARD-FILLAUDEAU
Le paradoxe de l’actualité
Pour user d’une métaphore triviale, nous dirons que l’actualité
n’est pas une « rente de situation » en matière d’épistémologie. Les
Cultural Studies sont de fait engagées dans un processus difficile
où elles peuvent à tout moment se saborder — et cela aussi bien au
niveau des actes que sur le plan épistémologique.
Au niveau des actes, certainement. Si l’actualité doit être
continuellement redéfinie comme telle par des actes et une posture
en phase avec le contexte, les Cultural Studies doivent
incessamment se poser la question de la démarche à adopter et des
positions à défendre. Elles doivent régulièrement trancher entre
diverses options idéologiques et scientifiques qui ne sont pas sans
conséquences sur leur intégrité de discipline. Le contexte actuel
nous en fournit un exemple probant. Le déclin des systèmes socio-
démocratiques à l’heure de la mondialisation génère en effet deux
nouvelles formes de Cultural Studies qui donnent lieu à de vifs
débats au sein du microcosme complexe des Cultural Studies :
— Une forme économique qui s’interroge sur la manière dont le
politique doit attribuer et répartir les allocations nécessaires à la
production et à la distribution culturelles, qui donne des conseils et
demande des comptes au capitalisme au nom des « laissés-pour-
compte ».
consiste dès lors à contracter des alliances avec l’État et, par là, à
essayer d’influer sur les procès de gouvernementalité.
Formes de compromission qui font courir aux Cultural Studies,
en principe critiques et indépendantes, le risque d’une perte
d’identité. Le caractère subversif de ces nouvelles formes de
Cultural Studies réside premièrement dans leur acceptation de
l’État et deuxièmement dans le fait qu’elles produisent une
expertise neutre.
Les « Cultural Studies » : une science actuelle ? 39
On peut encore évoquer un autre type de compromission, lié
cette fois à l’extrême médiatisation des Cultural Studies.
L’actualité les « sape » pour ainsi dire, puisqu’elles sont mises en
demeure de répondre à des sujets d’actualité, de traiter les sujets
qui font sensation et non ceux qui relèveraient d’un réel intérêt
scientifique. Prises dans la valse des sujets, elles n’ont guère le
temps de produire une pensée complète et cohérente et se plient à
l’exigence de publicité immédiate. Et que dire enfin de leur « mise
en scène » médiatique qui les fait participer au processus de
production de la culture ? Peuvent-elles être simultanément
engagées dans un processus de réflexion sur la culture qui implique
nécessairement un certain recul ?
La situation n’est pas moins épineuse sur le plan
épistémologique. Il semble en effet que ce soit précisément cette
actualité qui empêche qu’on ne les ressaisisse comme une science
constituée. Et comment le pourrait-on dès lors que leur
problématique n’est jamais définitivement arrêtée et qu’elles
mutent avec le contexte ?
Elles ont par ailleurs brouillé la hiérarchie disciplinaire,
bousculé la stricte répartition des rôles en permettant que
l’interprète (le décodeur) soit également acteur (encodeur) et que
l’acteur soit aussi interprète. Or cette permutation réciproque
débouche sur une crise de la faculté de juger. Qui est à même de
juger ? Et qui justement est à même de prendre la parole et, plus
encore, d’agir ?
Autant de questions qui montrent que le dossier Cultural
Studies n’est pas clos et qu’il ne saurait l’être… Précisément parce
3. Rolf LINDNER, Die Stunde der Cultural Studies, Wien, WUV, 2000.
4. On recommandera tout particulièrement la lecture des deux ouvrages
suivants qui, pour l’un, présente les textes fondateurs de la discipline et, pour
l’autre, établit une manière de bilan sur une discipline en actes et en devenir :
Simon DURING (ed.), The Cultural Studies Reader, London, Routledge, 1993 ;
40 Anne CHALARD-FILLAUDEAU
titre, en effet, entretient délibérément l’équivoque : Rolf Lindner
prend acte du caractère actuel des Cultural Studies tout en y
mettant un bémol : peut-être cette heure de gloire est-elle en même
temps leur dernière heure, leur chant du cygne. Il est vrai que
l’actualité ne rime pas avec pérennité et que les Cultural Studies se
sont toujours fait fort d’évoluer avec le contexte et de s’y
adapter… Alors si le contexte venait à requérir leur disparition…
Mais cette heure de gloire est peut-être aussi une promesse pour
l’avenir. Peut-être aura-t-on plus que jamais besoin du mode
engagé des Cultural Studies, de leur volonté tenace de constituer
un moment critique du champ académique et de leur recherche
libératoire d’une contre-hégémonie. Voilà bien une question
éminemment actuelle !
École pratique des hautes études, Paris
David MORLEY and Kuan-Hsing CHEN (eds.), Stuart Hall. Critical Dialogues in
Cultural Studies, London, Routledge, 1996.