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Analyse du projet « Consolider les capacités productives agricoles biologiques

des femmes et des jeunes ainsi que la gestion entrepreneuriale de la


coopérative ACPACAC, de la commune de Comasagua, El Salvador selon les
principes de l’économie sociale et solidaire ».
Convention n° : CSV 1004 01 E

I Quelques rappels

Le rapport d’exécution intermédiaire fournit les informations quantifiées sur les résultats
obtenus au 30 juin 2019. Ils reprennent la trame du cadre logique. Une annexe de cette note
fournit une synthèse de ces données.
Elles démontrent l’efficacité et l’efficience des activités menées pendant la phase 1 (les 18
premiers mois du projet financé) puisque tous les résultats correspondant aux objectifs
recherchés sont atteints, parfois même dépassés.
Au-delà des résultats proprement dits, ce recueil d’informations met en lumière la capacité de
la coopérative d’enregistrer de manière systématique, régulière et rigoureuse toutes ses
activités et résultats. Ceci lui procure un double avantage ; 1) analyser et interpréter les
données, 2) habituer les responsables et l’équipe technique à cette routine de travail, souvent
considérée comme fastidieuse et rébarbative mais nécessaire par la transparence qu’elle
dégage. On y reviendra plus loin.

Cette note s’attarde plutôt sur un regard plus global de la coopérative La Canasta Campesina
allant parfois au-delà du seul projet 2018-2020 ou intégrant des impacts résultant
d’interventions financées par d’autres bailleurs mais qui n’auraient pu avoir lieu sans
l’existence du cœur du dispositif, alimenté par le financement AFD SPF.

II Surprises d’un premier coup d’œil

L’évaluateur sort d’une semaine intense en visites, rencontres, échanges, impressionné par une
diversité de surprises ; j’en cite quelques-unes :
a. Le conseil d’administration de la coopérative choisit comme secrétaire une femme qui
sait à peine lire et écrire,
b. Saint Domingue via Amlanord entend parler de Canasta Campesina et cherche à s’en
inspirer,
c. Mendeleyiev entre dans le vocabulaire des paysannes de Comasagua,
d. SPF : Système de Paysages Fréquents,
e. Dix-sept tonnes de terre maniées manuellement, qui fait mieux ?
f. Pour quelqu’un qui aime se pencher sur Google-Maps, un conseil : pointez lago de
Coatepeque,
g. Un engagement total malgré les difficultés,
h. Les plans du futur local esquissés avant même d’avoir été commandés

Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive. En l’examinant de plus près, on s’aperçoit que les
exemples mentionnés relèvent de thématiques importantes : gouvernance, résultats,
partenariat, alliances, connaissances, projections vers le futur, impacts, etc. Une des façons
d’examiner ces surprises de prime abord, est de se poser deux questions simples : 1) pourquoi
cela ? et 2) quelles conséquences ?
Prenons le cas de la secrétaire du C.A. (cas a). Evidemment ceux qui ont élu ces candidats ne
sont pas insensés. Ils ont respecté une répartition femmes- hommes, un équilibre entre
1
secteurs géographiques, entre adultes et jeunes, entre autorités morales et strictes compétences
techniques. Et celle qui occupe le poste de secrétariat est une des fondatrices de l’opération
Canasta Campesina, elle est connue pour se démener pour sa communauté et jouit d’une
autorité sur son entourage. Pour compenser sa défaillance, on lui a adjoint un jeune qu’elle
connaît, qui étudie et qui vient de rentrer dans la coopérative ; ce supplément de travail lui
met le pied à l’étrier et constitue pour lui une bonne opportunité de connaître le
fonctionnement de sa coopérative, les enjeux et les contraintes.

Une fois gravie la pente d’accès vers sa maison (cas g), l’homme nous salue rapidement en
s’excusant tout de suite, il doit répondre à un appel téléphonique. C’est sa femme qui
l’appelle depuis son lit d’hôpital où elle se remet peu à peu d’une grave maladie. Elle veut
s’assurer que son mari n’a pas oublié la visite, l’a bien organisée et se sent prêt pour faire
connaître sa serre, sa production de tomates et de concombres. Membre fondatrice de la
coopérative, elle regrette d’être absente pour faire connaître avec passion les bénéfices de sa
« Canasta campesina » pour laquelle elle lutte depuis ses origines.

Cas d). Sans pour autant sauter immédiatement à la vue du visiteur, au détour d’un chemin
creux, émergent des serres, petites ou grandes, au toit de toile blanche apparaissant comme si
elles se camouflaient sous des arbres à la frondaison bien étalée. Ailleurs, elles se glissent en
plein champ au milieu de terrasses récemment construites. Il n’est pas interdit de penser que si
cette dynamique se poursuivait ou mieux s’accélérerait, on assisterait à une mutation du
paysage, offrant une mosaïque combinant petits jardins potagers, parcelles maraichères,
jardins d’associations d’arbres fruitiers, plantations de bananiers, parcelles de maïs et haricots,
pâtures, forêts. Ce qui fournirait une nouvelle explicitation au sigle SPF : Systèmes de
Paysages Fréquents.

Expliquant le contenu de la gamme de bidons qu’elles ont dans leur local (cas c), une
productrice et plus tard dans la visite, un groupe de femmes répond avec aisance en pointant
le doigt sur le bidon concerné « un produit riche en Bore, Zinc, Magnésium, sulfate de
calcium, phosphore, multi-minéraux etc ». Elles ont travaillé avec un chercheur universitaire
spécialisé sur l’agroécologie qui emmène ses étudiants sur leurs parcelles et/ou les forment à
l’élaboration de ces produits qui amélioreront la qualité de leurs sols.

Créer des planches de maraichage afin de payer les études à ses enfants tout en produisant des
légumes sains (cas e), n’est pas une opération anodine. Elle signifie une quantité de travail qui
peut échapper à l’œil du visiteur pressé. Il faut créer un sol, souvent à partir d’apports
extérieurs (litières de forêts, compost, etc). Une serre tunnel de 23 m de long comportant 2
planches de 1 m de large et 30 cm de hauteur signifie un tonnage d’environ 17-18 T et
beaucoup de sueur.

Pour ceux qui naviguent sur Internet (cas f), si le pointeur les amène sur le lac Coatepeque
bien connu des salvadoriens, ils pourront apercevoir dans la zone de Porvenir un ensemble de
cercles concentriques verts plaqués sur la plage du lac. Un élève salvadorien du lycée
français, sensibilisé et impressionné par une introduction au jardinage donnée dans son lycée
par des femmes de la Canasta Campesina obtient de ses parents l’autorisation de faire un
jardin en version adaptée sur leur propriété. Il contacte la coopérative qui le dirige vers leur
conseiller, un chercheur universitaire. Celui-ci saisira l’occasion et mobilisera ses propres
étudiants pour mettre en place le souhait du lycéen.

Le lycée français (cas b) Antoine et Consuelo Saint-Exupéry de San Salvador, dans le cadre
de sa labellisation E3D (établissement en démarche de développement durable) a confié le

2
réaménagement de ses espaces verts, à la coopérative Canasta Campesina. Celle-ci forme les
jardiniers du lycée à entretenir ces espaces en se passant de produits phytosanitaires. Le lycée
et la Coopérative ont un engagement réciproque, l’un d’eux porte sur l’appui aux activités
pédagogiques de Maternelle et Primaire sur l’éveil au cycle de vie des plantes. Une vingtaine
de bacs ont été installés dans lesquels les enfants s’initient à la culture des légumes. Deux
paysannes de Comasagua sont chargées de ces travaux pratiques, en appui aux enseignants
dont la plupart ignore les bases mêmes du jardinage. Tous les quinze jours, on peut donc voir
dans l’enceinte du lycée des groupes d’enfants encerclant ces paysannes, remuer la terre,
planter, arroser, toucher, observer, récolter, cuisiner, etc… poser des questions et recueillir les
conseils précieux de ces femmes.
Il se trouve par ailleurs que le lycée pilote les actions de formation continue pour les
enseignants de 11 établissements français situés dans la zone baptisée Amérique du sud
Rythme Nord (Amlanord). Certaines de ces sessions de formation coïncident avec des jeudis
où les enseignants du primaire bénéficient des conseils de ces paysannes, mais aussi de la
remise des paniers paysans. On peut espérer que certains enseignants du réseau Amlanord se
montrent attentifs à ces formes novatrices de pédagogie et partenariat, s’en inspirent et
essayent de mettre en place des activités similaires dans leur propre pays. A suivre.

Divers consultants, ayant été retenus après un processus d’appel d’offres conduit de façon
rigoureuse, sont devenus des acheteurs assidus de paniers paysans. D’autres vont au-delà ou
empruntent une autre voie et proposent des services gratuits une fois leur contrat terminé ;
certains visiteurs ou stagiaires de courte durée, offrent leurs services dans des domaines de
leur compétence. Exemple de cet étudiant architecte qui lors de sa participation à une
conférence donnée par la Coopérative à Green Corner, épicerie de produits bios établie à San
Salvador, souhaite s’investir en donnant de son temps et plus particulièrement en offrant ses
savoirs pour faire les plans d’un éventuel agrandissement du local de la coopérative (cas h).

III Origine de ces résultats

Ce projet s’enracine dans l’histoire. Une grande partie des innovations et des modes
d’organisation pratiqués actuellement ont été conçus et mis en place dans la période 2009-
2012.
Une bonne partie des
fondateurs de la
coopérative étaient
impliqués dans divers
projets portés par des
ONG locales. En 2014,
après deux ans de
démarches
administratives, s’opère
un basculement, un
transfert de
responsabilités. Un
groupe constitué
majoritairement de
femmes et de jeunes
quittent leur statut de
« bénéficiaires » de
projets animés par des
porteurs « externes » et
3
décident de piloter leur propre organisation.

L’idée de panier paysan apparait la première fois en 2007 entre le SPF et Fundesyram à
Ahuachapán. Elle ne se concrétisera pas. En 2009 de violents glissements de terrain affectent
gravement la province de la Libertad. Grâce à des fonds d’urgence dégagés par le Centre de
crise du MAE, apparaissent en 2010 et 2011 les premiers jardins dans les communautés de
Comasagua. En 2011 une autre tempête frappe le pays. Les ONG interviennent mais sans
obtenir de fonds permettant de financer des opérations de sécurité alimentaire. L’idée de
panier paysan refait surface, appuyée par le lycée français, suite à une conférence sur
l’Economie sociale et solidaire donnée par le SPF à la demande du proviseur et d’un
enseignant en économie. Comment mettre en place cette idée de panier paysan ? Une année
de discussion sera nécessaire en 2011 entre différents partenaires pour définir les 3 tailles de
panier et les prix correspondants et le 12 septembre 2012 se fera la première remise de 37
paniers paysans, réunissant femmes paysannes et élèves du lycée.

Canasta : un bel exercice de co-construction

Pour donner suite à sa conférence, le représentant du SPF propose au proviseur


et à l’enseignant un exercice concret pour les élèves : travailler le concept de
paniers paysans. Ils sont partants. Un groupe de travail animé par l’enseignant
en économie et le représentant du SPF se constitue ; il se compose d’une
vingtaine d’élèves du lycée, une dizaine de femmes paysannes d’El Peñon. Il se
réunit 2 fois par mois, une fois au lycée et l’autre fois à El Peñon. A chaque
session le groupe d’élèves présente les résultats de son travail (sondage auprès
des parents sur les fruits et légumes qu’ils consomment, volume, budget, etc.
études des prix dans les supermarchés, sur les marchés formels et informels,
etc.). De leur côté, les femmes paysannes présentent ce qu’elles estiment
pouvoir produire, sur quelle surface, à quelle périodicité, mais aussi les coûts de
production, etc. Cette phase dure 6 mois. Une fois les grands principes
visualisés, à raison d’une fois par mois durant 4 mois, ce groupe se réunit avec
ceux des parents d’élèves et professeurs qui sont intéressés comme futurs
consommateurs. Ensemble, lycéens, paysans et consommateurs, ils finalisent
les conditions de la mise en place des paniers paysans. Ainsi est née la Canasta
Campesina.

IV La Coopérative Canasta Campesina : de quoi s’agit-il aujourd’hui ?

Un groupe de 107 personnes (femmes et jeunes), réparties dans 12 communautés s’étalant sur
un transect altitudinal de la commune de Comasagua allant de 300 à 1400 mètres au-dessus
du niveau de la mer.
Un contexte d’absence d’emplois pour les jeunes et les adultes. Une part importante d’entre
eux (30 %), ne possèdent aucun titre de propriété ou de location ; sur leurs parcelles, dans
leurs jardins potagers, ou dans leurs serres elles cultivent de façon biologique toute une
gamme de légumes, plantes aromatiques, fruits. Les pionnières se sont organisées et leur
coopérative a été légalisée en 2014. Son titre formel est Acpacac mais tout le monde l’appelle
coopérative Canasta Campesina. Vingt nouveaux membres l’ont intégrée en 2018 et sept pour
ce qui va de 2019 soit une progression de plus de 25 %. La coopérative a conçu un système de
commercialisation en circuit court, développant un modèle spécifique. Ce sont les
4
productrices qui vont au-devant des consommateurs (inverse du système AMAP) ; à partir de
leurs commandes, la coopérative établit et respecte un plan de production discuté
collectivement. Chaque lundi, le comité de production et commercialisation établit pour
chaque communauté la quantité de produits à remettre le mercredi ; ils seront confectionnés
en paniers de 12 articles minimum le soir et livrés le lendemain à heure et lieu utile. Ceci
étant, la production même de la coopérative est insuffisante pour garantir une fourniture
régulière et stable de canastas. Pour compléter ce qui lui manque et satisfaire les
consommateurs, elle fait appel, par un jeu d’alliances, à d’autres groupes de producteurs
biologiques.

Comment se voit cette coopérative ? Comme une équipe bien définie, jeune et dynamique,
passionnée, innovante, débordante d’idées, obtenant des résultats, pouvant être source
d’inspiration pour d’autres groupes, motivée pour assumer les nombreux défis qui se
présentent devant elle, dotée d’un fort potentiel.

L’identité de leur coopérative est clairement posée, ses deux piliers bien identifiés : des
femmes et des jeunes (64 % de femmes 36 % d’hommes, 44 % d’adultes, 56 % de jeunes)
souvent de statut précaire et vulnérables.
L’objectif fixé est précis : 1) atteindre le plus vite possible (et le maintenir) un niveau
d’autonomie, 2) reconstruire /renforcer l’unité familiale1.

Dans la réalité, ces 107 membres se décomposent en 3 grands groupes. Le premier (36-40)
fournit tout au long de l’année la majeure partie de la production qui part à la vente. Il
regroupe une partie des fondateurs, des membres qui disposent d’une plus grande surface
cultivable et sont le mieux équipés en moyens de production. Ils sont plutôt concentrés sur la
zone moyenne et basse de la commune2. Le second groupe (22-25) cultive de manière
continue seulement une partie de l’année, hors période de culture traditionnelle maïs et
haricots. Les 40-50 autres sont soit des nouveaux, ceux qui démarrent par de petites planches
sur lesquelles ils cultivent des légumes pour leur propre consommation, soit ceux qui n’ont
pas (encore) les moyens de produire plus (par manque de terres, ou de moyens, ou d’appui en
conseils techniques).

1
Parmi la nouvelle vague de jeunes adhérents, un certain nombre avoue avoir été très motivé par leur mère.
2
Plusieurs tentatives de mise en place de jardins maraichers ont échoué dans la zone caféière d’altitude; il en
subsiste quelques-unes.
5
V Activités et résultats: quelques faits marquants observés

5.1 Concernant la coopérative

5.1.1 Démonstration faite de sa capacité à créer des sols et des terrasses

Il est difficile de sortir d’une tournée de terrain auprès d’une dizaine de productrices et
jeunes producteurs sans être impressionné par leur prouesse en matière de sols. La
mise en place de potagers, petits ou grands, de serres signifie l’élaboration réelle de
sols fertiles de 30-40 cm de profondeur en quelques années. Des tonnes de matière
organique élaborées, transportées, accumulées. Le cri du cœur de l’une d’entre elles
« lo conquistamos este palo podrido !3» mériterait de figurer dans ces lignes. Le cas le
plus spectaculaire est sans doute ce qui a été réalisé sur un terrain de dalles en brique
(une ancienne aire de séchage de café !), le propriétaire de l’hacienda ayant accepté de
les autoriser à utiliser ce seul espace (sans contrat écrit de location). Il est d’autant plus
pathétique que situé au pied d’une colline traversée par une nappe d’eau, le sol du fond
des planches de légumes se transforme en boue lors de la saison des pluies, faute de
drainage.
Le projet finance la construction de barrières végétales antiérosives, de fossés
d’évacuation d’eau, des pratiques de conservation des sols. Le résultat global de ces
chantiers s’appelle construction de terrasses. A l’heure où des experts montent des
réseaux internationaux4 pour valoriser ces merveilles du génie humain du passé qui
tombent en abandon (les terrasses), la coopérative la Canasta campesina démontre sur
cette thématique un visage modeste certes mais impressionnant et tourné vers le
présent immédiat.

5.1.2 Une capacité réelle de construire en permanence une gouvernance solide

L’aspect le plus marquant - et sans doute le moins visible – de la coopérative est le


souci méticuleux que ses dirigeants portent à sa gouvernance, à l’élaboration des
modes de fonctionnement de ses instances, à la création de conditions et surtout
d’outils favorisant son fonctionnement dans la plus grande transparence.

Tout est enregistré, documenté. Bien sûr le carnet de déplacement de chaque véhicule
est soigneusement confectionné et rempli. Plus rare (et surprenant) : le carnet de visite
des techniciens ou chercheurs chez les paysans : sur une feuille est notée la date de la
visite, son objet, les observations effectuées et les recommandations formulées. Elle
est signée par le technicien et la productrice ou producteur. Celui-ci en garde une
copie. Il peut s’y reporter en cas de besoin. Si un autre technicien passe, il peut
connaître les indications fournies par celui qui l’a précédé.

Passons à un autre niveau : le lancement d’appel d’offres. L’élaboration des termes de


référence est discutée par l’instance concernée (comité de commercialisation s’il s’agit
d’une consultation sur ce thème) sous l’animation du Comité de Pilotage COPIL. Les
enveloppes contenant les offres sont déposées dans le local de la Coopérative. Des
photos sont prises à chaque étape pour justifier toute demande ultérieure, les offres
dépouillées et analysées par l’ensemble des membres présents (deux personnes par
offre) selon une grille de critères discutée préalablement. Les résultats sont transmis
immédiatement à tous les candidats. Celui qui a remporté l’appel d’offres reçoit un

3
« nous l’avons dompté cette litière forestière pour en faire un sol riche en micro-organismes ! »
4
http://terracedlandscapes2019.es/es/objetivos-lineas-tematicas/ International Terraced Landscapes Alliance
6
courrier plus détaillé. Ces procédures peuvent paraitre lourdes, consommatrices de
temps. Elles garantissent la transparence, l’absence d’arbitraire, l’éthique, renvoient
aux valeurs contenues dans la mission et vision de la coopérative. Leur mise en place
constitue un excellent apprentissage pour les jeunes équipes appelées à réfléchir sur le
pourquoi et le comment, à s’entrainer à pratiquer l’honnêteté dans un pays où sévit la
corruption à grande et petite échelle. Ces pratiques présentent aussi des résultats
inattendus, comme le cas d’une productrice qui s’est retirée de la Coopérative sous
prétexte que son fils n’avait pas obtenu le poste de comptable ouvert à candidatures.

Tous les 6 mois, les 107 membres reçoivent une page de synthèse des résultats de la
coopérative (vente de paniers, revenus obtenus, utilisation des fonds, activités
centrales, etc) afin de les socialiser lors d’une réunion mensuelle de producteurs/rices.
Cette tâche d’informer en interne devient une routine assumée par l’équipe technique.

Autre exemple. Le financement accordé par le bailleur de fonds permet l’acquisition


d’équipements. La coopérative a décidé de ne pas les donner (ou les vendre) à ses
adhérents qui en feraient la demande, se démarquant ainsi du fonctionnement de
beaucoup d’ONG’s. Les membres de la coopérative établissent un plan de production ;
tous les lundis le comité de production et de commercialisation municipal CPC-M
examine son avancement, recueille les demandes des productrices/eurs en équipements
tout comme l’abandon ou le faible usage d’équipements par d’autres. Le CPC-M
répartit ou redistribue si nécessaire les équipements en place. Un tel se propose de
libérer un réservoir d’eau de 1 200 L qu’il n’utilise plus, ce dernier sera affecté à tel
autre qui en a fait la demande. On voit ainsi circuler entre les membres, bâti de serres,
filets de serres-tunnels, réservoirs d’eau, tuyaux d’irrigation etc. Par la même occasion
la coopérative se dote progressivement d’un actif conséquent.

Gravissons un autre échelon. La construction d’accords entre la coopérative et des


institutions, le Ministère de l’agriculture pour un diagnostic à réaliser, l’Université
Luthérienne Salvadorienne ULS pour l’articulation des travaux d’étudiants, le lycée
français LFS, le Ministère de l’Education, etc. Chacun de ces accords est discuté,
analysé, débattu collectivement. Au-delà de la transparence recherchée, ces exercices
sont des moments d’apprentissage intense pour l’équipe technique et pour les
dirigeants. Consommateurs de temps et d’énergie mais s’avèrent de solides fondations
pour la jeune coopérative.

En interne, la coopérative s’appuie sur des principes en apparence simples, pas


toujours aisés à appliquer au quotidien mais efficaces quand ils le sont, tels que
– Face à une situation : poser le problème tel qu’il se pose réellement, l’analyser,
en débattre ensemble, décider d’une solution pour aller de l’avant, faire preuve
de pragmatisme,
– Formaliser, responsabiliser, déléguer,
– Créer les conditions pour …

La coopérative fait fonctionner une série d’engrenages (le conseil d’administration, les
comités de production et de commercialisation, d’utilisation des équipements, de suivi
et contrôle écologique, le COPIL) de façon bien huilée. Cet état lui permet de
s’emparer de techniques proposées par d’autres (qui s’échinent parfois à vouloir les
faire adopter à tout prix) et de les intégrer aisément à son contexte, de saisir des
opportunités provenant de différentes sources, d’imaginer des montages solides dans
une optique gagnant-gagnant. Sur son territoire, la coopérative joue en quelque sorte le

7
rôle de fédérateur d’interventions externes multiples, coordonne la gestion
d’interactions institutionnelles.

5.1.3 Une montée en puissance de ses capacités

A partir de 2018, la coopérative a intensifié la mise en place d’infrastructures et


d’équipements (relocalisation de serres de 230 m2, serres tunnels plus petites, systèmes
d’irrigation goutte à goutte, poulaillers de poules pondeuses, mélangeur pour
élaboration d’aliments concentrés pour volaille), soit au total 3 500 m2 d’espaces
protégés. D’ici peu, le tiers des membres devraient être équipés pour produire des
légumes tout au long de l’année. La coopérative devrait bientôt voir l’effet de ses
investissements, en particulier l’accroissement significatif du niveau de production et
des revenus.

Parallèlement la coopérative s’est dotée d’une capacité de fabrication d’intrants en


interne, avec une décentralisation de ses lieux de fabrication : aliments concentrés
pour poules pondeuses (la Shila), fabrication de compost et bocashi (Peñon, Los
Cortez, El Cacique), pépinière (los Cortez). La méthode est toujours la même : la
coopérative achète les ingrédients ou matériaux de base, les achemine chez les
adhérents sur le lieu de fabrication, transporte le produit final chez les utilisateurs, le
leur facture et rémunère les personnes qui ont fabriqué cet intrant.

Le schéma des différentes phases de progression dans le temps est identifiable.

Phase 1 :
 2009-2010 : Etape 1 - intervention pure (urgence)
 2011 – 2012 : Etape 2 – appui à l’établissement de petits jardins et
conceptualisaiton des paniers paysans (jardins)

Phase 2 :

 2013-2015 : Etape 3 - premiers investissements techniques et matériels (jardin +


parcelles + serre + irrigation) : projet U.E
 2016-2017 : Etape 4 - renforcement de la gouvernance + production +
commercialisation : projet sur fonds propres du SPF et projet CFSI
 2018-2020 : Etape 5 - consolidation des capacités de gestion de la Coopérative
(gouvernance, production, commercialisation). Cofinancé par l’AFD et le SPF.

Phase 3 ;

 2021 : Etape 6 - accompagnement de sortie après la fin de l’aide extérieure


(gouvernance, production, transformation, commercialisation, services)

On repère, dans cette évolution, les effets du maitre-sigle que les dirigeants de la
coopérative et l’équipe technique martèlent, D.A.R. diversifier- associer – faire des
rotations5.

5
concernant la gestion des déchets, la coopérative propose le sigle 3 R’s réduire- recycler- réutiliser
8
5.1.4 Une vision de ses acquis

Pour ces femmes, c’est une régularité de revenus étalés sur toute l’année6 et d’un
niveau jugé utile7.

« Avec cette parcelle, ou avec cette serre, j’ai réussi à payer les études de ma fille
pour avoir son bac (ce qui signifie que j’ai eu de quoi lui payer le transport quotidien
au collège et au lycée»).
Mais aussi indépendance « je n’ai plus à demander à mon mari de l’argent et à le lui
justifier … maintenant c’est moi qui ai l’argent et c’est moi qui décide ce que je vais
en faire».
Ou une tranquillité « avec ces parcelles et/ou serres, on travaille beaucoup mais dans
une ambiance paisible », elles se lèvent peut-être toujours aussi tôt mais « on est chez
nous, de ma maison je vois mes parcelles, mon jardin potager ».

Bref, au fil de ces années, leur assurance se fortifie, elles résistent mieux au
découragement (provoqué par des déceptions techniques ou économiques, des
problèmes de santé, des questions personnelles), acquièrent de l’énergie pour
continuer à lutter, sont fières de leurs résultats et bien décidées à continuer, à aller de
l’avant, satisfaites de voir que certains de leurs enfants s’engagent peu à peu sur leur
voie.
Tout cela se traduit par une conquête d’une certaine autonomie (dont il reste à mieux
définir les contours). La première concerne peut être le mari défaillant « maintenant, je
peux lui dire si tu veux qu’on reste ensemble, d’accord mais il faut que tu changes,
sinon tu restes là où tu vas ».

Depuis 1-2 ans, c’est-à-dire le démarrage du projet AFD-SPF et une nouvelle vague de
jeunes paysannes/paysans :
 se lance dans la construction et l’aménagement de parcelles et serres, de
système d’irrigation goutte à goutte, de production,
 s’inscrit dans des modules de formation assurés par l’ULS,
 occupe des postes de responsabilités (commercialisation avec le CPCM,
direction avec le CA, gestion des équipements avec le Cuma, suivi technique
des parcelles avec le Cia).

Alors que les fondatrices relèvent l’autonomie et l’unité familiale comme acquis
importants, les plus jeunes soulignent l’exemple de leurs mères et parents dans le défi
6
Sur ce graphique l’année 2013 apparait à 2 reprises ; la 1ère situation =janvier 2013, la 2de = décembre 2013
7
Une moyenne de 350 $ mensuels alors que l’équivalent du SMIG tourne autour de 200 $.
9
qu’ils se sont donnés, leur engagement, l’acquisition de compétences nouvelles, la
conviction du changement possible, la motivation qu’ils leur ont inculquée pour
s’engager à leur tour.

5.1.5 Production et commercialisation bien coordonnées

Aujourd’hui, la demande en produits de la Canasta campesina est largement supérieure


à sa capacité d’offre locale.

Régulièrement des propositions sont présentées à la coopérative.

Ventes tous les jeudis matin


sur le marché du Ministère de l’agriculture, dit « agro-mercado ». Y sont déjà
présentes deux organisations de producteurs biologiques du pays. L’obtention d’un
stand serait facilitée par la Direction Agronegocios du MAG. Sa responsable actuelle
est une des premières responsables de CLUSA8, organisme réputé au Salvador et en
Amérique centrale comme pionnier du lancement de l’agriculture biologique. La
coopérative Canasta Campesina recueille très favorablement cette suggestion mais ne
peut y répondre faute de production suffisante à offrir.
A son origine la coopérative vendait sur 6 Agromercados. Elle a cessé d’être présente
sur ces lieux pour se consacrer à sa spécificité, la vente des paniers paysans.

Ventes à un marché public assuré.


C’est la proposition du Directeur du CENTA (et ex-vice-ministre de l’agriculture)
appuyée par la FAO : approvisionner en produits alimentaires biologiques (légumes,
fruits, condiments, œufs) les 14 centres scolaires de la commune de Comasagua.

La coopérative a engagé deux équipes de consultants pour creuser et approfondir les


questions d’organisation interne et de commercialisation. Elles ont produit un travail
sérieux et de qualité.
Une de leurs propositions est de cibler, dans la capitale, les centres éducatifs privés
regroupés par secteurs géographiques, en reprenant la méthode utilisée pour le lycée
français : investir dans des actions d’information, de sensibilisation, formation auprès
des élèves. Ceux-ci relaient leur intérêt et souhaits auprès de leurs parents. Une partie
d’entre eux se portent acquéreurs de paniers et constituent des groupe relais.

Ventes en ligne
Sur un financement autre que celui de l’AFD, la coopérative développe avec
l’entreprise C.A.S.S9 une application APP Internet (smartphone et ordinateur). Elle
permettra à chaque adhérent10 de suivre sa production et ses revenus, à la coopérative
de suivre la production de ses membres, aux consommateurs de réserver leur
commande et de payer en ligne.
Pendant les 2 années restantes du projet AFD, cette formule sera expérimentée et pour
les 5 années suivantes l’opérateur s’engage à assurer la maintenance et former des
techniciens.

Cette diversification des modes de commercialisation suppose une capacité


d’accroissement conséquent de la production locale, sérieux défi de taille.

8
Liga cooperativa de los Estados Unidos http://clusa.org.sv/#/somos
9
http://www.ca2s.com/
10
Hormis les quelques zones non couvertes par le réseau.
10
Augmenter la production : de combien ? sur quelles surfaces ? par qui ? où ? (la
répartir 75 % au niveau de Comasagua et 25 % aux Organisations Paysannes
alliées ?).
Face à ce défi crucial la coopérative doit veiller à ne pas se transformer en simple
entreprise de commercialisation, au détriment de ce qui fait son identité ; elle doit
trouver l’équilibre souhaitable.

5.1.6 Des opportunités sont reconnues

 Poursuivre les actions territoriales au niveau communal

L’opération « Conscience verte » appuyée par le SPF fournit des résultats intéressants,
utiles et novateurs pour renforcer le lien Ministère de l’Education - coopérative
Canasta Campesina et étendre les ramifications de la coopérative sur l’ensemble de la
commune. Des expériences de jardins potagers dans les écoles lancées par le Ministère
de l’Education sont nombreuses dans le pays et dans la région. La plus-value de la
coopérative est d’offrir aux enseignants ce qui leur fait généralement défaut pour
mener à bien leur projet : matériel de base (semences, intrants d’origine biologique),
conseils techniques lors de la conduite de ces cultures maraichères tout au long du
cycle de production, échanges entre centres éducatifs, voire coordination d’activités
ad-hoc.
Elle constitue un tremplin intéressant pouvant conduire à la construction, avec d’autres
acteurs locaux et en s’appuyant sur d’autres opérations coordonnées par la
coopérative, d’une « commune verte ».

Un jour viendra peut-être où la ville de Comasagua deviendra membre du Pacte de


Milan. Deux cents villes, actuellement, « s’engagent à développer des systèmes
alimentaires, durables, inclusifs, résilients, sûrs et diversifiés fournissant à tous des
aliments sains et abordables, minimisant les déchets, tout en préservant la biodiversité
et s’adaptant au changement climatique11. .. »

 Poursuivre les actions territoriales au niveau national

On pense à l’articulation avec d’autres organisations de producteurs biologiques. La


création de Anpecoes (Association Nationale des Producteurs écologiques d’El
Salvador12) en est une illustration.

 Etoffer les interactions avec le monde universitaire

Les articulations ULS- Canasta campesina organisées dans le cadre du diplôme


« ingénieur en agro-écologie » peuvent être étendues à de nouveaux secteurs
(économie, droit et sciences juridiques). C’est le souhait du recteur de l’ULS.
Les relations tissées par la Coopérative avec des universités salvadoriennes peuvent
être renforcées, en réponse aux demandes actuelles (cf. visite récente des étudiants
sciences politiques de la UCA) ou aux besoins précis de la Coopérative.

11
http://www.montpellier-milanpact2019.com/fr/le-pacte
12
C’est la première entité représentative des producteurs agro-écologiques du pays.
11
5.1.7 Les principales contraintes sont identifiées

1) La maitrise technique de la culture biologique des légumes

Elle n’est jamais totalement assurée (problèmes de lumière en saison des pluies
surtout en cas d’arbres trop ombrageux, manque de temps des femmes pour
intervenir à temps sur leurs parcelles, attaques parasitaires, etc)
Ces problèmes techniques de base doivent faire appel à des solutions alternatives
fiables ou à des solutions pas trop coûteuses en travail.

2) L’accès à la terre

Cette forte contrainte est connue de tous et depuis longtemps.

Un changement d’échelle est-il un objectif à atteindre à tout prix ou bien risque


mortel ?
Le mouvement de grignotage par les jardins potagers (de fourmi mais régulier et
progressif) d’espaces et d’aménagement fait apparaitre de nouveaux paysages. S’il
devait prendre subitement une ampleur significative, il pourrait inquiéter certaines
catégories de population. Un pourcentage important (30 %) de producteurs est
autorisé à faire leurs jardins sur des parcelles pour lesquelles ils n’ont aucun titre.
La présence tolérée de lopins sur des terres abondantes constitue un rempart de
protection pour leurs propriétaires absentéistes contre d’éventuels accaparateurs.
Mais fourniraient-ils cette autorisation de cultiver sur des parcelles plus grandes et
plus fertiles ? Une fine stratégie de la coopérative Canasta Campesina s’imposera
le jour où le problème se posera.

Quatre coopératives sont présentes sur la commune de Comasagua. Elles


constituent autant de réservoirs potentiels de terre. Négocier avec elles la
possibilité de louer des terres, sur une longue durée semble indispensable. Autre
défi pour la coopérative qui devra faire preuve de créativité pour trouver la bonne
solution, la co-construction entre coopératives.

3) L’accès à l’eau

Même constat pour l’eau, l’augmentation de surfaces cultivées irriguées passe par
une gestion concertée du bassin versant. Sérieux défi de concertation entre ceux
d’en haut et ceux d’en bas, entre les propriétaires de sources et les utilisateurs,
entre les consommateurs de volume élevé d’eau et ceux qui en font un usage
moindre.

Autant de thèmes qui interrogent pleinement la question de la durabilité de la


coopérative Canasta campesina.

5.2 Deux alliés de poids : l’Université Luthérienne Salvadorienne (ULS) et le lycée


français de San Salvador (LFS)

5.2.1 L’Université Luthérienne Salvadorienne

Une convention lie l’ULS et la Coopérative Canasta campesina - SPF depuis juin
12
2017. Elle a été renouvelée début 2018 pour une durée de 3 ans. Ensemble ils
conduisent une diversité d’actions :

1) Les parcelles maraichères des adhérents constituent des terrains de travaux


pratiques pour les étudiants en ingénierie agro-écologique13. Ils interviennent sous
forme de brigades de 12-15 étudiants qui passent une matinée chez un producteur
qui en a fait la demande auprès du CPC-M qui l’examine et l’accepte; 28 visites
ont été réalisées en 2018, 23 en 2019.
Concrètement, dans les parcelles d’une douzaine de membres de la coopérative,
les brigades étudiantes de l’ULS de ces 2 premiers cycles ont contribué à
construire 4 serres tunnels, installer 6 systèmes d’irrigation goutte à goutte, à
construire des fossés et des barrières de protection des sols, à préparer 24 T de
compost et engrais organiques (bocashi), des extraits botaniques, des planches de
maraichages dans 8 serres, à élaborer 7 plans et cartes de parcelles remis aux
productrices/eurs, à réaliser 12 analyses de sol (chimique et microbiologique), à
monter des sessions de formation14.

2) L’ULS assure en 2019 la formation d’une douzaine de jeunes paysannes et


paysans de Comasagua à l’agro-écologie pratique en 9 sessions (un samedi matin)
étalées sur 6 mois (de mai à octobre). Objectif : analyser les problèmes de
l’agriculture et développer les principes de l’agro-écologie15 et surtout préparer les
jeunes afin qu’ils puissent intégrer la nouvelle formation par alternance de
technicien en agroécologie sur une durée de 2,5 ans.

3) Trois jeunes de la coopérative suivent la formation d’ingénieur en agroécologie


dispensée par l’ULS en 5 ans.

4) Le directeur de recherche-développement en agroécologie de l’ULS est engagé à


mi-temps comme coordinateur de l’équipe technique de la coopérative Canasta
Campesina.

5) L’ULS va ouvrir en janvier 2020 un nouveau cycle de formation en 2 ans


« technicien en agro-écologie ». Des jeunes de la coopérative issus de l’initiative
« Escuela de campo » (point 2) le suivront.

Pour l’ULS ces dispositifs sont riches. Les étudiants ont l’opportunité de sortir des
murs de la capitale pour se plonger dans la réalité du monde paysan. Ils s’initient à la
recherche en milieu paysan. En même temps, ils ré-affirment que l’agroécologie est
viable, sans disposer forcément de beaucoup de terres ni de capital. Ces dispositifs
permettent de mieux atteindre les objectifs de son Programme social, travailler avec
les territoires, les populations appauvries, vulnérables. A court terme, des étudiants
d’autres disciplines pourraient travailler en milieu rural en adoptant une méthode
pédagogique similaire (les étudiants en droit, par exemple).

Pour cette université qui a été une des premières du pays à lancer une formation en

13
Quelques étudiants en informatique, comptabilité publique, administration et gestion rejoignent ceux qui
étudient en ingénierie en agroécologie.
14
Source Consolidado acompañamiento tecnico brigada de estudiantes de agrocecologia ULS 2017-2019. Cesar
Ernesto Erazo Cruz.
15
Source Escuela-Taller. Escuela de agroecologia y formacion para el liderazgo campesino. Cesar Ernesto Erazo
Cruz.
13
agroécologie, cette collaboration avec la Canasta Campesina vient compléter et
enrichir d’autres contrats qu’elle a passés avec diverses mairies du pays.

Pour la coopérative, la présence de l’ULS est un atout essentiel. Elle garantit la qualité
du suivi technique des cultures16, constitue une force de frappe temporaire et décisive,
accélère la formation des jeunes de la coopérative et contribue à former de jeunes
cadres qui seront mieux imprégnés de la réalité paysanne.

5.2.2 Le lycée français de San Salvador

Le lycée français (LFS) est un allié historique de la coopérative La Canasta (2011) ;


depuis 2014 le partenariat s’est renforcé :
 Le LFS est un des plus importants acheteurs des paniers paysans (35-40 par
quinzaine) ; moitié par des professeurs moitié par des parents d’élèves. Au regard
des 800 familles parents d’élèves ce pourcentage (5%) peut s’étoffer.

 A partir de novembre 2018, 200 enfants du primaire (7-12 ans) accompagnés par
leurs professeurs (8) bénéficient d’une ouverture/éveil à la vie des plantes sous
forme de travaux pratiques conduits par 2 paysannes de Comasagua. Elles sont
venues pendant 4 mois, au rythme de 2 fois par mois (et 4 h/session). Le lycée les
défraie sous forme d’indemnités journalières (ce qui permet de payer quelqu’un
pour s’occuper de leurs jardins maraichers ces jours d’absence). Le lycée achète à
la coopérative les intrants nécessaires (terreau et compost pour remplir les bacs
maraichers). Au vu de sa réussite cette opération sera reconduite.

 Dans la poursuite de son label E3D, le personnel de maintenance du Lycée reçoit


une formation assurée par la coopérative sur la gestion des pelouses, des espaces
verts sans utilisation d’herbicides, sur la mise en place d’arbres et de plantes
d’ornements, la récupération d’eau des toits, le recyclage de déchets pour les
jardins, etc.

 Le lycée offre un espace gratuit à la coopérative (stand) lors des évènements festifs
qu’il organise (Noche de verano en novembre, kermesse en avril).

 Invitation d’enfants de Comasagua à des activités culturelles (théâtre, concert).

 Organisation de séjours pour professeurs et parents d’élèves dans les communautés


de Comasagua membres de la coopérative.

 A l’initiative d’un enseignant en Science et Nature, organisation de visites d’études


d’un groupe de lycéens dans les communautés de Comasagua et/ou membres de la
coopérative, sur des thématiques particulières (gestion de l’eau, gestion des sols,
changement climatique, sécurité alimentaire etc). Avant de se rendre sur le terrain,
les lycéens préparent une liste de questions qu’ils soumettent et discutent ensuite
avec les paysans et paysannes.

 Accompagnement par des lycéens du LFS d’enfants de Comasagua qui partent 15 j

16
Ils introduisent aussi de nouvelles options de travail. Ils ont, ainsi, créé une application Internet APP leur
permettant à eux et aux paysans de mieux identifier les maladies des légumes cultivées dans leurs jardins et donc
de mieux les contrôler.
14
en voyages en France (préparation, accompagnement sur place dans le cadre des
villages de vacances « Copain du Monde » organisés par le SPF) ; services gratuits
d’un parent d’élève avocate de profession pour faciliter les démarches légales et
juridiques d’obtention de passeport et visa de sortie à des enfants de Comasagua.
 Collecte de jouets par les élèves du LFS pour les enfants de Comasagua (initiative
des « Père Noël Vert » du SPF).

Les liens entre la coopérative la Canasta campesina et le LFS sont inscrits


explicitement dans le projet d’établissement du lycée17. Au moment d’inscrire leurs
enfants, les parents d’élèves sont informés de ce partenariat au titre de l’ouverture sur
le pays et de la coopération éducative et la solidarité. La coopérative offre un terrain
précieux pour son programme d’études sociales et pour son label E3D. La découverte,
l’ouverture vers le monde paysan salvadorien, le contact, la rencontre, le vécu chez des
familles paysannes sont autant d’opportunités utiles à tous. Les interactions entre ces
différents axes de travail permettent à des mondes isolés de se rencontrer, de se
connaître un peu mieux. Des cloisons entre des « lieux interdits » tombent. Ce
partenariat donne lieu à une convention signée entre le LFS, le SPF et la coopérative
La Canasta Campesina, avec aussi une composante économique.

VI Impacts

 La coopérative a reçu 45 visites en un an, soit l’équivalent d’à peu près une visite par
semaine. Ce sont des organisations paysannes, des ONG, des projets gouvernementaux
ou portés par des ONG, des étudiants universitaires, des écoliers, etc. qui veulent
connaître la coopérative Canasta Campesina. Autant dire que la visibilité de la Canasta
Campesina n’est pas que sur internet.

 Reconnaissance accrue de la coopérative au niveau du territoire Comasagua


La Coopérative devient une référence, une autorité locale capable de résoudre des
problèmes ponctuels, que ce soit au niveau des transports (coordination d’institutions
et de la population locales pour lancer des travaux de réfection de la chaussée sur
l’unique route qui traverse la commune), de la santé (évacuation d’urgence de malades
de zones isolées), de l’acheminement d’eau potable (réparation), des écoles (animation
d’un réseau d’écoles primaires autour de la thématique environnementale, dans le
cadre du concours « Conciencia Verde » en coordination avec la responsable
départementale de l’Education), du transport. Sur tous ces thèmes la coopérative
utilise sa même méthode de travail.

 Forte capacité de réagir face aux accidents climatiques


Un indicateur intéressant est d’examiner le comportement des victimes d’accidents
climatiques face à une telle situation. En 2018 une longue sécheresse (fin juin-tout
juillet) et 13 jours de pluie consécutifs en octobre pour cause d’un ouragan ont
provoqué une chute importante de la production agricole au niveau national. La
coopérative la Canasta a fonctionné comme un amortisseur auprès de ses membres
pour ne pas fragiliser davantage les économies familiales. Elle les a dotés d’un capital
semences et intrants bios ce qui leur a permis de relancer les cultures sans s’endetter.
Elle a également embauché à temps partiel un technicien en agroécologie issu de

17
http://lfelsalvador.org/wp-content/uploads/2016/07/Projet-dEtablissement-2015-18-RENTREE-2015.pdf

15
l’ULS.

La liste des impacts ne s’arrête pas là et inclut ceux du paragraphe précédent.

VII Quelques suggestions

La coopérative déborde d’idées, elle peut prendre la tête de foule d’initiatives mais son
souci premier reste de ne pas mettre en péril les économies des familles paysannes.

Les conséquences de la diversité de champs d’action possibles et bien identifiée


apparaissent vite. Etre sur tant de fronts l’oblige à dresser des priorités, ne pas trop se
disperser, à se centrer sur le court terme tout en ne négligeant pas le long terme (savoir
où elle veut et peut aller, former la relève). Cette équipe jeune ne peut pas brûler les
étapes de la croissance de la coopérative et de sa stabilité.

Atténuer le fossé entre le groupe principal de producteur et les autres.


Ce premier groupe a fait la démonstration de sa grande capacité à innover, produire
des cultures maraichères biologiques, mettre au point des systèmes de culture
performants. En s’appuyant sur l’exemple des brigades de l’ULS, ses membres
pourraient à l’avenir jouer auprès des producteurs récemment entrés dans la
coopérative et demandeurs d’un appui technique intense aux moments critiques de leur
phase de montée en puissance, un rôle identique à ces brigades étudiantes.

Assurer un suivi et une analyse fine des pratiques réelles des productrices/eurs (« ma
surproduction de légumes n’a pas été acceptée par la coopérative parce qu’elle n’était
pas programmée », «je n’ai pas eu le temps d’aller dans mon jardin parce que j’ai dû
aller travailler ailleurs pour payer telle dette », « je n’ose pas m’engager plus dans la
coopérative parce que je n’ai qu’un petit jardin qui ne produit que pour moi et pas
pour les paniers », « c’est plus facile pour moi de vendre au dehors de la
coopérative », etc) apporterait une lumière utile sur des ajustements à opérer

Assurer un suivi et une analyse fine des pratiques réelles des équipes techniques :
mieux comprendre le pourquoi et le comment des réponses des producteurs à leurs
conseils.

Analyser non seulement les actions des producteurs au niveau individuel mais aussi les
dynamiques des groupes familiaux, des collectifs au niveau des communautés.

Analyser les succès mais aussi les échecs et surtout la manière dont les groupes
concernés ont réussi à les résoudre et dépasser.

Sur le plan technique, ne pas hésiter à valoriser au mieux les ressources naturelles
disponibles, que ce soit pour l’amélioration des sols (gandul, madre cacao), la
diversification des produits garnissant les paniers (pitahaya, moringa), etc.

Identifier des expériences similaires au niveau régional.

16
VIII Et la durabilité ?

Souvent ce terme renvoie en premier à l’équilibre financier, à l’atteinte de son point


d’équilibre, au moment où le bailleur pourra se retirer. Un retrait brutal des bailleurs, pourrait
selon certains équivaloir à une « sentence de mort ».

La constitution d’une équipe solide, soudée, motivée, compétente, inventive est le plus
souvent l’opération la plus difficile à constituer dans ce que l’on appelle les projets. Ici, c’est
un des points forts de la coopérative la Canasta Campesina et ce n’est pas le fruit du hasard.
Dirigeants, équipe technique, groupe des productrices et jeunes agriculteurs, forment un bloc
qui force l’admiration et en ce sens constitue un atout précieux pour l’avenir.

Sans vouloir esquiver le point crucial du financement, on glisse parfois sur un autre aspect
plus difficile à cerner mais tout aussi indispensable : la gouvernance. Sur ce point, la
coopérative La Canasta campesina a pour elle la forte solidité de son mode de
fonctionnement, l’apprentissage acquis de la construction d’outils qui renforcent sa
gouvernance. Elle identifie clairement ses besoins, ses options possibles pour le court et
moyen terme. En ce sens les conditions d’une durée de vie de la coopérative dépassant la fin
du financement du projet sont réelles. Mais faute de financement, doit-elle se contenter
d’adopter un rythme de vie ralenti ? Forte de sa gouvernance18, de ses résultats, de sa
reconnaissance territoriale, l’obtention d’un financement adapté lui permettrait sûrement de
mettre son expérience au service d’objectifs plus ambitieux tout en étant réalistes et de
produire un impact encore plus conséquent.

Pour la période à venir, face au défi principal du moment, l’accroissement de sa production,


un financement d’investissement serait plus qu’utile, pour :

1) Acheter des terres (beaucoup de terres de bonne qualité sont disponibles en ce moment
mais à un prix hors de portée de la coopérative).

2) Se doter d’infrastructures (serres de différentes dimensions, système de conservation


d’eau et d’irrigation goutte à goutte, camions de transport des canastas et des
équipements de la CUMA).

3) Garantir un conseil technique de haut niveau.


Cultiver de manière organique ou agroécologique requiert un suivi (et appui)
technique solide et dans la durée. Il faut former les nouveaux membres, mais surtout
répondre aux nouvelles questions qui surgissent en permanence dans ces systèmes
maraichers. Les producteurs ont développé leurs capacités d’observation minutieuses
qui génèrent autant d’éléments d’information débouchant sur des interrogations à
traiter.

18
Le premier semestre 2020 qui verra le changement du conseil d’administration et de la Présidence de la
coopérative constitue un moment important. Cette dernière se prépare pour assurer cette période de transition.
L’art sera de dépasser le dilemme entre une certaine concentration du pouvoir dans les mains de quelques-uns
justifiant/ se légitimant de leur expérience et une distribution des responsabilités confiées à de nouveaux
membres moins aguerris.

17
Pour terminer cette note, un dernier mot : réservons sur notre agenda la date du 26 mai 2024
pour célébrer ensemble, bailleurs, partenaires, amis, à Comasagua le dixième anniversaire de
la Canasta Campesina !

18
Annexe 1 Synthèse des résultats au 30 juin 2019
19
Tableau résumé

Objectif Résultats attendus Résultats obtenus Ecart /


prévision
nel
Production totale La production biologique a augmenté
7 ↗16.25
%
R1 Espèces 42 variétés cultivées :
L/F/Aromatiques légumes (24), fruits (12), plantes 140 %
aromatiques (6)
Ateliers poules Création de 5 élevages de 40 poules
pondeuses pondeuses chacune =
Terrasses Augmentation de 35 % de la superficie
Objectif
cultivable mise en terrasses =
1
Barrières végétales pour plantation de 1 670 mètres de haies
R2 la conservation des sols linéaires =
en courbes de niveau
Parcelles irriguées Irrigation de 58 % des parcelles, soit
3,42 hectares. =
Pratiques récupération Plantation de 2 970 arbres
des sols et d’utilisation réduction de 45 % l’érosion de la terre =
eau des pluies. cultivée.

Installation de 14 réservoirs pour l’eau 15 en


de pluie plus
Stockage de 129 000 litres de pluie.
65 m3
3
→129 m

6 membres Conseil 6 membres du CA de la Coopérative ont


d’Administration été formés pour l’élaboration des plans =
formés annuels (l’opérationnel et celui concernant
la production et la commercialisation)
R1
6 femmes et 3 jeunes du 6 femmes et 7 jeunes des CPC,
Objectif Comité de Production municipal et communautaires, ont =
et de commercialisation acquis les bases pour l’élaboration
2 Municipal et participative des plans annuels
communautaires formés (l’opérationnel et celui concernant la
production et la commercialisation).
2 AG Les dirigeants de la Coopérative ont
convoqué et conduit 2 assemblées =
générales.

19
Tableau tiré du résumé du document de projet NIONG (rémumé de projet pag N°1)
19
- Rédaction et publication des vecteurs et
supports visuels (un rapport semestriel sur
les résultats)
R2 Rapports semestriels - Une réunion mensuelle des membres de
la Coopérative pour faire les ajustements
au plan annuel sur la production et la
=
commercialisation
- Une campagne de communication
écrite et orale
Bulletins 100 Réalisation des cent cahiers sur les
résultats socio-économiques, =
actualisés tous les six mois.

Incorporation nouveaux 20 en 2018 et 9 en 2019. 108 %


adhérents
- Adoption d’un règlement intérieur
administratif préparé et élaboré par les
différents comités de la Coopérative

- 7 ateliers de formation en gestion


coopérative (1 sur direction, 2 sur travail 117 %
Formation
en équipe, 1 sur économie solidaire).
en coopérativisme - 60% des membres ont atteint un niveau
suffisant d'appropriation des outils de
gestion. =
- 100 % des membres du CA
possèdent le niveau minimum de
connaissance requis par les statuts. =
Un siège La Coopérative dispose d’un bureau-
siège équipé ; son personnel =
permanent local dispose du matériel
nécessaire pour accomplir ses tâches
administratives.

Suivi technique Le suivi technique sur le terrain a été


renforcé ; la commercialisation est
devenue autonome.

La production agricole biologique est =


diversifiée et a augmenté de 16 %.

Systématisation ULS - Un plan de recherche.


- Un document de synthèse sur les
R3 avancées de la coopérative dans les
domaines de l'organisation, de la
production et de la commercialisation.

Echanges France et 1 échange d'expériences en France


ELS =
au Salvador : 66 visites reçues à
Comasagua ↗↗↗
co-organisation LFS et Comasagua de
20
4 initiatives de solidarité (Journée
Liens LFS internationale du commerce équitable,
formation de 40 élèves, participation
de 103 élèves à la collecte de jouets
neufs dans le cadre de la campagne du
SPF “ Père Noël vert “). Formation en
9 sessions de 200 étudiants et 8
enseignants.

Les femmes et les jeunes dominent les


R1 Coût de production notions de coûts de production, les
maitrisé enregistrent sur les supports élaborés
Réalisation de:
2 formations sur les finances personnelles
et entrepreneuriales
Obj 2 analyses de la production
2 études de cas sur l’administration
3 comptable des finances personnelles

Utilité générée par la chaque opération de vente de la


vente production générant un profit qui est
dûment renseigné
↗ volume de production - 856 livraisons volume
modalités de la commercialisation ont été ventes ↗
améliorées. 4%
malgré 2
phénomènes.
climatiques

R2 RREE des membres ↗


10 %

R3 Enquêtes auprès des en moyenne, 9 enquêtes de satisfaction


consommateurs par semaine faites auprès des clients

21

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