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Anne Jacquemin

Didier Laroche

Le monument de Daochos ou le trésor des Thessaliens


In: Bulletin de correspondance hellénique. Volume 125, livraison 1, 2001. pp. 305-332.

Abstract
A new examination of the remains still in place and the missing blocks from the Daochos monument leads to the restoration of a
brick chamber on a stone base opening to the west. There must have been statues of family members of the tetrarch and
hieromnemom Daochos of Pharsala there, as well as a second group of effigies placed differently. A bunch of marks suggests
that the group was destroyed by a natural accident at the time when the statues were being put in place.

περίληψη
Μια επανεξέταση των κατά χώραν λειψάνων και των διάσπαρτων λίθων του μνημείου του Δαόχου οδηγεί στην αποκατάσταση
μιας αίθουσας με πλίνθινους τοίχους πάνω σε λίθινο κρηπίδωμα και είσοδο στα Δυτικά. Τα αγάλματα των μελών της οικογενείας
του τετράρχη και ιερομνήμονα Δαόχου από τα Φάρσαλα θα πρέπει να βρίσκονταν εκεί, καθώς και ένα δεύτερο σύνταγμα
ανδριάντων με διαφορετική διάταξη. Ένα σύνολο ενδείξεων επιτρέπει να υποθέσουμε ότι το κτίριο καταστράφηκε από κάποια
φυσική αιτία, ενώ τα αγάλματα τοποθετούνταν στη θέση τους.

Résumé
Un nouvel examen des vestiges en place et des blocs errants du monument de Daochos conduit à restituer une chambre de
briques sur socle de pierre ouvrant à l'Ouest. Les statues des membres de la famille du tétrarque et hiéromnémon Daochos de
Pharsale devaient y trouver place, ainsi qu'un second groupe d'effigies autrement disposées. Un faisceau d'indices laisse
supposer que l'ensemble a été détruit par un accident naturel, alors que les statues étaient mises en place.

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Jacquemin Anne, Laroche Didier. Le monument de Daochos ou le trésor des Thessaliens. In: Bulletin de correspondance
hellénique. Volume 125, livraison 1, 2001. pp. 305-332.

doi : 10.3406/bch.2001.7145

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bch_0007-4217_2001_num_125_1_7145
Le monument de Daochos

ou le trésor des Thessaliens*

par Anne Jacquemin et Didier LAROCHE

L'un des monuments les plus connus de la région Nord du sanctuaire de Delphes (fig. 1)
doit sa célébrité à ses sculptures — l'un des ornements du musée — et à son dédicant, le Phar-
salien Daochos, que Démosthène fustigea comme traître à la cause grecque en le présentant
comme le premier de « ceux qui, pour satisfaire leur avidité personnelle, sacrifiaient l'intérêt
commun et corrompaient chacun leurs propres concitoyens jusqu'au moment où ils en faisaient
des esclaves »l. Le nom de Daochos n'aurait cependant pas suffi à rendre illustre le monument,
non plus que l'indéniable qualité des sculptures, si E. Preuner n'avait rapproché l'une des ins
criptions gravées sur l'assise porte-statues d'une épigramme trouvée à Pharsale sur une base de
statue portant la signature de Lysippe2. Les archéologues virent alors la possibilité de mieux
connaître l'art de ce grand bronzier sicyonien, puisqu'ils disposaient de copies d'atelier contemp
oraines des créations et non plus seulement de copies plus ou moins libres d'époque impériale.
La bibliographie relative à l'offrande de Daochos (SD 511) est ainsi pour l'essentiel consacrée
aux statues et à l'art de Lysippe3, car le monument proprement dit a peu retenu l'attention,

* Une première version de ce travail a fait l'objet d'une corn- Wm 1938 = Er. Will, «À propos de la base des Thessaliens
munication le 9 novembre 1998 à une séance de l'Associa- à Delphes», BCH 62 (1938), p. 289-304.
tion des Études grecques ; un résumé a été publié : cf. REG
112 (1999), p. X-XI. Les numéros précédés des lettres SD 1 Démosthène, Sur la couronne 395 (trad. G. Matthieu), CUF
renvoient à la numérotation des monuments dans J.-Fr. BOM- (1947). Il convient cependant de nuancer ces propos avec les
melaer, Guide de Delphes. Le site (1991), qui reprend celle remarques de Polybe (XVII 14), qui rappelle, à juste titre, que
de V Atlas des Fouilles de Delphes. l'intérêt des diverses communautés grecques ne se confon-
Abréviations bibliographiques : dait pas à celui d'Athènes.
Croissant 1991 = Fr. Croissant, Guide de Delphes. Le Musée 2 E. Preuner, Ein delphisches Weihgeschenk (1900).
(1991), Chap. Il, La sculpture en pierre, p. 77-138. 3 En dépit de l'abondance des articles et des contributions
Gardiner étal. 1909 = E. M. Gardiner, K. K. Smith, W. B. Dins- diverses, l'ensemble n'a jamais fait l'objet d'une véritable
moor, «The Group Dedicated by Daochus at Delphi », AJA publication, puisque les deux mémoires de V. Regnot portant
13 (1909), p. 447-475. sur les statues nues et les statues vêtues (1964-1965) n'ont
Homolle 1899 = Th. Homolle, « Lysippe et l'ex-voto de Dao- pas été publiés et que l'étude de T. Dohrn, « Die Marmor-
chos », BCH 23 (1899), p. 421-485. Standbilder des Daochos-Weihgeschenk », AntPI VIII (1968),
Pouilloux 1960 = J. Pouilloux, La région Nord du sanctuaire, p. 33-53, ne se proposait pas cette fin.
FDM.

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Illustration non autorisée à la diffusion

F!g. 1. Vue du monument de Daochos depuis le temple (cliché P. Amandry).

malgré les notes trop méconnues de H. Bulle4 et les remarques pertinentes de J. Pouilloux5. L'in
térêt s'est en effet souvent borné à la description de la base et à l'attribution des statues aux
cuvettes d'encastrement6. Ces considérations nous ont donc incités à reprendre l'étude sur le
terrain, tout en relisant le Journal de la Grande fouille et en regardant les photographies du temps
de la découverte.
Récemment W. Geominy a proposé une nouvelle datation de l'ensemble7. Le dédicant
(Daochos II) avait toujours été en effet identifié avec l'hiéromnémon thessalien connu par les
listes amphictioniques entre le printemps 336 et le printemps 3328 ; pour W. Geominy, il s'agi-

4 Cf. H. P0MT0W, Delphica III (1912), p. 8-9 et 159-160. 7 W. Geominy, «Zum Daochos-Weihgeschenk», Klio 80 (1998),
M. Jacob-Felsch (Die Entwicklung griechischer Statuenbasen p. 369-402.
und die Aufstellung der Statuer) [1969], p. 71 et 137-141) est 8 Cf. Fr. lefèvre, L'Amphictionie pylé&delphique. Histoire et
l'une des rares archéologues à en avoir tenu compte, mais institutions, BEFAR 296 (1998), p. 24-25. Daochos a pu conti
elle ne persuada pas A. BORBEIN (cf. JDAI 88 [1973], p. 79) nuer à être en fonction quelque temps après, car on ignore
qui préféra la restitution habituelle du monument, dans la ver les noms des hiéromnémons thessaliens avant le printemps
sion de J. Pouilloux. 329. Voir le stemma de la famille reconstitué par J. Pouilloux
5 POUILLOUX 1960, p. 67-80. (FD III 4, 460) d'après M. SORDl (La lega tessala [1958], p. 66-
6 HOMOLLE 1899 ; GARDINER et al. 1909, p. 447-475 ; WlLL 67, 112-119, 286-301) et L. MORETTl (Olympionikai, I vincitori
1938. negli antichi agoni olimpici, Atti Accademia Lincei, Memorie,
ser. 8, vol. 8,2 [1957], p. 69-70).

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rait au contraire de son petit-fils, qui aurait dédié le groupe dans les années 287-277, tandis que
le serviteur de Philippe serait alors le Daochos Ier du monument. Nous ne discuterons pas, dans
un premier temps du moins, les arguments qui sont à l'origine du changement de datation et
qui sont fondés pour l'essentiel sur l'interprétation des épigrammes, et tout particulièrement de
celle de Daochos Ier.

Le choix éditorial des Fouilles de Delphes imposait trois lieux de publication pour cet
ensemble : l'étude de topographie et d'architecture a trouvé sa place dans le fascicule consacré
par J. Pouilloux à la région Nord ; les inscriptions ont été publiées par le même savant dans l'u
ltime livraison du fascicule 4 des FD III et les statues auraient pu faire l'objet d'un volume des
FD IV. La réalisation de la maquette de Γέπιφανέστατος τοπός du sanctuaire pour l'exposition
L'espace grec, qui marquait en 1996 les cent cinquante ans de l'École française d'Athènes, a mis
en lumière les difficultés que posait la restitution des édifices au Nord-Est du temple — base en
fer à cheval (SD 514), monument de Daochos et pseudo-téménos de Néoptolème (SD 507). La
comparaison entre les maquettes réalisées en 1992 et en 1996 permet d'ailleurs de prendre
conscience de l'évolution de la recherche ; cependant la solution retenue pour la seconde n'était
pas satisfaisante. C'est ce qui nous a également incités à reprendre l'étude architecturale du
monument.

/. Restitution du monument

Lors de la fouille, les archéologues s'intéressèrent peu aux caractéristiques architecturales


du monument, puisque ajournai de L· Grande fouille signale seulement la découverte des fra
gments de statues9, mentionnant, à partir du 28 août 1894, en liaison avec les inscriptions du
« soubassement derrière Gélon » enregistré le 22 août 1894, « la base thessalienne ». S'il est ques
tion de soubassement, de bases, il n'est jamais fait allusion à une structure qui envelopperait « la
base thessalienne », alors que mention est faite, à propos du monument situé immédiatement à
l'Est, de « la chambre en face de PAN »10. La première présentation de la découverte par
Th. Homolle, qui donne le texte des inscriptions replacées dans leur contexte historique, se
contente de présenter le monument comme « un long soubassement dont les extrémités se retour
nentà angle droit comme celles d'une exèdre rectangulaire»11. Deux ans plus tard, lorsqu'il
publie les statues, Th. Homolle s'intéresse essentiellement au piédestal, mais mentionne le « petit

9 Le 17, le 18 et le 30 mai 1894 : fragments de Sisyphos II ; 10 Journal, le 12 septembre 1894. Le nom de Pan, qui désigne
le 22 août 1894 : Aknonios et fragment de Daochos II ; le la base SD 509, vient du nom de l'entrepreneur Pankratès
23 août 1894 : Daochos Ier ; le 28 août 1894 : Agias ; le dont les trois premières lettres figurent sur un bloc de cal-
9 octobre : Sisyphos Ier et le 11 octobre : bases des statues caire.
avec les restes de Daochos II. 11 Th. HOMOLLE, BCH 21 (1897), p. 592-594. Il y a alors
rence de confusion entre la base et ce qui la renferme.

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mur » qui l'enserre et dont il fait l'enceinte du téménos de Néoptolème restauré par les Thessa-
liens après la troisième guerre sacrée12. En 1909, le commentaire architectural de W. B. Dins-
moor, qui accompagne l'article consacré par E. M. Gardiner et Κ. Κ. Smith13 aux statues, défi
nitdans ses grandes lignes la restitution du monument qui s'est imposée : l'identification d'un
bloc à ante14 l'amène à restituer un enclos ouvert au Sud. Peu après, les remarques d'H. Bulle,
publiées dans l'étude de H. Pomtow15, n'eurent pas le même écho. L'archéologue allemand, qui
attribuait à l'édifice un seuil avec implantation de vantaux, restituait l'ensemble comme une
chambre fermée, « une sorte de leschè des Thessaliens », qui avait son homologue immédiate
ment à l'Est, alors qu'à l'Ouest s'élevait une exèdre hellénistique. H. Pomtow abandonna assez
vite l'hypothèse de son collaborateur, à cause d'une aporie, bien évoquée dans la notice de sa
topographie delphique16 : les dimensions du seuil ne coïncident pas avec celles qu'imposent les
trous de pince sur les blocs d'euthyntéria. Comme nous le verrons, H. Pomtow a renoncé trop
vite. La publication par J. Pouilloux, précise et rigoureuse, montre bien comment il est difficile
de concilier les données matérielles et la conception traditionnelle du monument, à savoir un
monument largement ouvert au Sud. Sa restitution conduit même à supposer un enclos dépourvu
d'ouverture. Malheureusement le texte de J. Pouilloux n'est pas illustré sur ce point précis.
Il convenait donc de reprendre l'examen des blocs et d'essayer les différentes solutions de
reconstitution17.

1. L'euthyntéria

En dehors des blocs en place, dix-huit blocs de cette assise ont été identifiés (fig. 2) ; ils
se répartissent en trois séries en fonction de leur largeur. Deux blocs ont une largeur supérieure
à 62 cm (D 30 et D 31), quatre ont une largeur d'environ 60 cm (D 55, D 63, D 64 et D 67)
et treize ont une largeur d'environ 57 cm (D 32, D 33, D 34, D 35, D 36, D 37 [bloc angul
aire], D 46, D 47, D 48, D 49, D 53, D 54, D 65). À l'exception du bloc D 47, tous présen
tent une encoche de levier, indiquant l'existence d'une assise supérieure. Le nombre de blocs
conservés interdit de restituer, comme on le fait traditionnellement, un enclos largement ouvert
au Sud, car on ne peut placer les blocs de la troisième série — les blocs de ca 57 cm de large —
qu'au Sud, les deux autres séries occupant les petits côtés Est et Ouest, dont la largeur est attes
téepar les blocs en place.

12 Homolle 1899, p. 421-485. Les remarques sur le monu- s'agit de la republication sous forme livresque d'un travail
ment se trouvent p. 424-425. Pour Th. Homolle, l'ancien témé- paru d'abord dans la Berliner Philologische Wochenschrift
nos de Néoptolème, qui aurait été « bouleversé par le trem- 1911-1912.
blement de terre de 374», était limité par l'imposant mur 16 RE Suppl. V, col. 133, dans la seconde partie de l'article
polygonal au Nord du temple, dont l'état d'inachèvement a de topographie delphique, publiée par F. Schober, après la
été découvert ultérieurement. mort de l'auteur. Le beau seuil de calcaire a été utilisé par
13 GARDINER et al. 1909, p. 447-476. F. Courby (La terrasse du temple, FD II, p. 230-231) pour res-
14 Ce bloc que Pouilloux (1960, p. 73, n. 1), n'avait pu retrou- tituer une porte dans un hypothétique mur de brèche.
ver a été de nouveau identifié en 1995 par M.-J. Doubroff. 17 L'illustration présentée ici s'appuie sur les relevés des
15 H. Pomtow, loc. cit. (supra, n. 4), p. 8-9 et p. 158-160. Il blocs effectués par M.-J. Doubroff en 1995.

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ne inv Longueur largeur type scellements assemblages possibles

1.1. mur Ouest (largeur supérieure à 62 cm)


D30 89,2 62,2 bloc courant gamma D Té D31 aucun
D31 89,0 63,5 bloc courant gamma G Té aucun D30

1.2. mur Sud (largeur comprise entre 57 et 58 cm)


D32 89,6 57,0; 58,5 bloc courant Té Té D 37 ; D 49 ; D 53
D33 88,7 57,4 bloc courant gamma G Té D 36 ; D 65 D 34 ; D 35 ; D 65
D34 89,3, 90,5 57,5 bloc courant gamma D gamma G D 35 ; D 47 ; D 65 D 32 ; D 35 ; D 47
D35 88,6 57,5 bloc courant gamma G gamma D D 33 ; D 34 ; D 35; D 65 D 35 ; D 47
D36 88,0 88,9 57,5 ; 58 bloc courant gamma G Té D 33 ; D 65 D 46 ; D 47
D37 97,3 58; 62 bloc angulaire Té Té D 32 ; D 49 ; D 55 (Est)
sud-est
D46 88,4 89,2 57,3 bloc courant gamma G gamma D D36 D53
D47 89,2 57,5 bloc courant gamma D gamma G D 34 ; D 35 ; D 48 D 34 ; D 35
sans encoche
de levier
D48 89,2 90,0 57,3 bloc courant gamma D gamma D D 47 ; D 54 D 54 ; D 47
D49 88,6 89,8 56,8; 57,5 bloc courant Té ' Té D 32 ; D 37 ; D 53 D 32 ; D 37 ; D 53
D53 89,3 58,5 bloc courant gamma D Té D 46 ; D 54 D 32 ; D 37 ; D 49
D54 89,5 57,5 bloc courant gamma D gamma D D 46 ; D 48 D 46 ; D 53
D65 89,0 57,5 bloc courant gamma G gamma D D 33 ; D 34 ; D 35 D 33 ; D 34 ; D 35 ; D 36

1.3. mur est (largeur comprise entre 59,6 et 60 cm)


D55 88,3 59,5 ; 60,0 bloc courant Té gamma G D64
D63 90,1 59,7 bloc courant gamma D gamma G aucun D67
D64 88,5 59,6 bloc courant gamma G gamma G D55 D67
D67 89,7 59,7 ; 60,0 bloc courant gamma G gamma G D64 D63
D = gamma droit, G = gamma inversé
Flg. 2. Tableau récapitulatif des blocs d'euthyntéria non en place.

L· mur Est (fig. 3)

Comme le bloc angulaire D 37 ne peut venir qu'à l'angle Sud-Est — l'angle opposé Nord-
Ouest étant occupé par un bloc en place — et que le bloc D 55 lui est contigu au Nord, ainsi
que le montrent la découpe particulière de l'un des angles et la correspondance des dimensions
et des scellements, la série des blocs d'environ 60 cm de large venait à l'Est, où trois blocs sont
encore en place dans la partie Nord. Puisque la correspondance parfaite des scellements impose
de faire se suivre les blocs D 64 et D 63, quatre solutions sont théoriquement possibles, dont
trois relèvent d'une restitution à neuf blocs du petit côté (restitution large) et une d'une rest
itution à 8 blocs (restitution étroite).
Comme D 67 ne peut être contigu à D 63 ni au dernier bloc en place au Nord-Est,
du Sud au Nord, les séquences peuvent être les suivantes :

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variante 3 variante 2 variante 1


Hg. 3. Chambre thessalienne. Restitution du mur Ouest au niveau de l'euthyntéria : variantes 1 à 3.

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O 50 100

D64

D67

variante 1 variante 2 variante 3 variante 4


Flg. 4. Chambre thessalienne. Restitution du mur Est au niveau de l'euthyntéria : variantes 1 à 4.

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variante 1 : D55 + D64 + D63 + bloc inconnu + D 67 + bloc inconnu + 3 blocs en place.
D 64 offre une correspondance de scellements satisfaisante avec D 55.
variante 2 : D 55 + bloc inconnu + D 67 + bloc inconnu + D 64 + D 63 + 3 blocs en place.
D 63 offre une correspondance de scellements satisfaisante avec le dernier bloc en
place au Nord-Est.
variante 3 : D 55 + 2 blocs inconnus + D 67 + D 64 + D 63 + 3 blocs en place au Nord-Est.
D 67 offre une correspondance de scellements satisfaisante avec D 64.
variante 4 : D 55 + bloc inconnu + D 67 + D 64 + D 63 + 3 blocs en place au Nord-Est.

Il est possible d'inverser la séquence D 64 + D 63 — dans ce cas, les tenons des


blocs se trouveront à l'intérieur de l'édifice. Si la séquence D 55 + D 63 est peu
satisfaisante pour les correspondances de scellements, on peut songer à une séquence
D 55 + bloc inconnu + D 63 + D 64 + D 67 + bloc inconnu + 3 blocs en place
au Nord-Est, qui est une autre variante de la solution large.
Nous verrons bientôt le problème que pose la solution étroite. Des diverses solutions
larges, la variante 1 est celle qui correspond le mieux à ce qu'on voit de la direction selon laquelle
on a poussé les blocs.

Le mur Ouest (fig. 4)

Quatre blocs sont restés en place au Nord et la correspondance parfaite des scellements
montre que les blocs D 30 et D 3 1 se suivaient ; mais, comme on ignore si les tenons des blocs
d'euthyntéria étaient à l'intérieur ou à l'extérieur, ils pouvaient être disposés dans cet ordre ou
dans l'ordre inverse. Si la porte dont le seuil est conservé se trouvait au milieu du mur Ouest,
le seuil, dont la longueur correspond à celle de deux orthostates, reposait sur la moitié d'un bloc
+ un bloc + la moitié d'un autre bloc et avait, dans ce cas, sa partie Nord sur le dernier bloc en
place. Comme aucun bloc n'a alors été poussé sur le bloc d'euthyntéria contigu, le bloc D 30,
qui porte une encoche de levier, ne peut être jointif du dernier bloc en place. De surcroît, la
correspondance des scellements n'est pas satisfaisante, ce qui n'est pas le cas pour le bloc D 31,
en cas d'inversion de la séquence (cf. infrd).
Sont théoriquement possibles les séquences suivantes, du Nord au Sud :

variante 1 : les 4 blocs en place au Nord + 2 blocs inconnus (1 bloc et la moitié de l'autre sous
le seuil) + D30 + D31 + bloc inconnu (bloc angulaire Sud-Ouest — le seul bloc
manquant au Sud, puisque la longueur du monument est connue par son côté Nord).
variante 2 : les 4 blocs en place au Nord + 1 bloc inconnu (sous le seuil) + D30 + D31 + bloc
angulaire inconnu.
variante 3 : les 4 blocs en place au Nord + D30 + D31 +3 blocs.

Cette solution à 9 blocs exclut la porte à l'Ouest, puisque le bloc D 31 porte une
encoche de levier. Il est alors possible de choisir une solution à 8 blocs (les 4 blocs
au Nord + D30 + D31 +2 blocs) qui correspond à la variante 4 pour le mur Est.

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Une solution à 7 blocs, théoriquement possible à l'Ouest (les 4 blocs + D 30 + D


31 + bloc angulaire), est exclue à l'Est, où sept blocs sont conservés, mais où les
correspondances de scellements obligent à restituer au moins un huitième bloc (cf.
supra).

L· mur Sud (fig. 5)

Treize blocs sont conservés sur les quatorze que comprenait l'assise. Le bloc 47, dépourvu
d'encoche de levier, est un bloc clé. Il pourrait avoir porté le seuil, mais il y avait la place pour
treize orthostates à l'assise supérieure et le seuil occupait l'équivalent de deux orthostates : il est
donc impossible de placer la porte au milieu. Il faudrait en effet admettre que la seule porte du
monument de Daochos eût été décalée, ce qui est difficile à concevoir18. Comme l'entrée ne
peut être au Sud et qu'une entrée à l'Est, on l'a vu, est impossible, puisque, dans toutes les
variantes, la place du bloc médian qui devrait porter le seuil est occupée par un bloc présentant
une encoche de levier, la porte ne peut donc se trouver qu'à l'Ouest, ce qui exclut la variante 3
du mur Ouest, sous ses formes large et étroite. De l'impossibilité de la variante 3, on pourrait
conclure que les tenons dits « de bardage » se trouvaient toujours à l'extérieur.
Si la variante 1 paraît s'imposer pour le mur Est, le choix entre les variantes 1 et 2 demeure
possible à l'Ouest.
L'édifice ainsi restitué (fig. 6) mesure 8,90 m sur 12,63 m, soit 42 pieds sur 30 avec un
pied voisin de 29,7 cm ; ce qui donne un rapport longueur/largeur de 7/5.
Le tableau de la fig. 2 laisse entrevoir plusieurs arrangements possibles pour les blocs
conservés au mur Sud. La fig. 5 représente l'une des séries possibles, sans que l'on puisse assu
rerqu'il s'agit de la meilleure possible ; seul un rapprochement matériel permettrait de confir
mer ou infirmer la séquence proposée ici.

2. L'assise d'orthostates

Outre les quinze orthostates du mur Nord restés en place, dix blocs de cette assise ont été
retrouvés lors de la fouille et des divers travaux successifs. À la suite des remaniements liés à ces
interventions, les murs Est et Ouest n'ont plus la même apparence que lors de la fouille. Comme
la fouille du remblai progressait du Sud au Nord, il avait été nécessaire de construire un mur
pour étayer la partie de la construction encore en place. Le relevé fait par A. Tournaire (fig. 7)
et publié en 189719, qui montre le soutènement moderne construit au-dessus du mur en grand
appareil polygonal, manque de précision : deux ou trois blocs du mur Ouest semblent en place,

18 II est de règle dans les hestiatoria d'avoir des portes déca- le plan et l'occupation du côté Nord par la base interdisent
lées (cf. N. Bookidis, BCH 107 [1983], p. 149-155), mais ici cette hypothèse.
19 BCH 21 (1897), pi. XVII.

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O 50 100

.-■:.. D55

H» <ί
ι —■
Ι

D47 D48 D54 D34 D35 D65 D33 D36 D46 D53 D49 D32 D37
Fig. 5. Chambre thessalienne. Restitution du mur Sud au niveau de l'euthyntéria : arrangement possible.

0 50 100
Fig. β. Chambre thessalienne : plan restitué avec les bases de statue. Échelle 1/100.

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7. Extrait du plan Tournaire (1897).

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alors que ne figure que le bloc angulaire du


mur Est. Dans sa publication de 1899,
Th. Homolle donne comme dimensions,
pour ce qui restait des retours, 3,64 m à 1895-1943
l'Est et 4,17 m à droite, mais il doit s'agir
de l'assise d'euthyntéria20. Une photogra
phie prise dans les années 1930 montre un bloc remis en place
seul orthostate à l'Est21. Les illustrations
publiées dans le fascicule consacré à la région
Nord permettent de suivre l'évolution des
travaux de restauration des années 1947-
1949, quand le monument a été démonté
et partiellement reconstruit (fig. 8) : sur les
plans 1 et 11, ainsi que sur la coupe (plan
blocs remis en place
4) et la fig. 1 de la pi. 33, quatre orthostates
sont en place à l'Ouest, alors qu'un seul
orthostate se trouve à l'Est. En 1949, après
le remontage, deux blocs d'euthyntéria et
un cinquième orthostate ont été ajoutés à l'assise
*en novembre
supérieure
1979,de la
l'Ouest, ainsi que deux orthostates à l'Est, base a été transportée
comme on peut le voir sur la fig. 2 de la au musée.
pi. 33. Une photographie prise en 1954 Fig. 8. États successifs du monument depuis sa découverte.
(fig. 3, pi. 40) ne montre plus que trois
orthostates à l'Est, ce qui est l'état dans lequel se présente actuellement le monument, mais
aucune notice dans une chronique des fouilles du BCH ne justifie cette modification, que la
publication ne permet pas non plus de comprendre.
À la différence de ce qui se passe à l'assise d'euthyntéria, il ne reste pas assez de blocs pour
proposer des restitutions donnant des places précises aux blocs d'orthostates. Ces blocs ont une
longueur comprise entre 87,2 cm et 96,9 cm, une épaisseur de 46,5-47,7 cm et une hauteur de
66,9-67,7 cm. Les blocs angulaires sont tous conservés, l'un d'eux, qui venait à l'angle Sud-Est
(inv. 3871 = inv. 4508), a été réutilisé vers 106 av. J.-C. par Q. Minucius Rufus, qui y fit graver
une dédicace latine à Apollon22. Un bloc à ante (fig. 9) a été identifié par W. B. Dinsmoor23. À
l'une de ses extrémités, une saillie de 2 cm environ sur les parements interne et externe formait
la base du piédroit de la porte. Le bloc, brisé dans l'Antiquité (des traces de l'emploi de coins

20 HOMOLLE 1899, p. 424, n. 1. Le plan BCH 21 (1897), 22 Deux décrets de proxénie furent ensuite gravés au cours
pi. XVII, auquel l'auteur renvoie, ne permet pas de vérifier les du Ier s. av. J.-C. La pierre a été vue en 1436 par Cyriaque
dimensions. d'Ancône.
21 P. DE LA COSTE-MESSEUÈRE, G. DE MIRÉ, Delphes (1943), 23 Gardiner et al. 1909, p. 476. Voir supra, n. 14.
fig. 182.

BCH 125 (2001)


LE MONUMENT DE DAOCHOS OU LETRÉSOR DES THESSALIENS 317

97,2
-22,0-

-97,2-
I 22,5- -74,7-

Hg. 9. Orthostate de la chambre thessalienne avec piédroit de porte. Échelle 1/20.

BCH125 (2001)
318 ANNE JACQUEMIN ET DIDIER LAROCHE

-203,8
-101,7-
80,2-
-73,3

Lu.
f\

-214,1
-207,7
-146,6

Rfc. 10. Seuil de porte : a. restitution (échelle 1/20), b. photo.

sont encore visibles), n'a conservé que sa partie supérieure, mais ses dimensions en plan, comme
le traitement des différentes faces, correspondent aussi bien aux orthostates courants qu'aux indi
cations fournies par un très beau seuil de calcaire trouvé à proximité (fig. 10). Ce seuil, que
H. Bulle et H. Pomtow24 attribuaient au monument de Daochos, a été très vite exclu des rest
itutions pour des raisons qui tenaient plus à l'idée que les modernes se faisaient d'une présenta
tion de statues qu'aux indices archéologiques proprement dits25 ; F. Courby a proposé ensuite de
le placer dans un mur Nord-Sud qu'il situait à l'Ouest de la base des Corcyréens26. Ni un mur
ni a fortiori une porte ne se justifie à cet endroit. Le seuil porte des mortaises pour crapaudines

24 H. Pomtow, loc. cit (supra, n. 4), p. 8-9. Quoique H. Pom cette exèdre rectangulaire les restes d'une chambre, où une
tow écrive que l'hypothèse de H. Bulle a été anticipée par porte seulement eût été ouverte du côté Sud ; mais on n'a
l'étude de W. B. Dinsmoor, le lecteur est plus sensible à la pas invoqué, me semble-t-il, d'argument probant. J'admettrais
différence de positions des deux savants, dont l'un conclut volontiers que les statues, ici encore, étaient protégées par
nettement à un édifice fermé pourvu d'une porte à vantaux et un toit ; mais, qu'elles aient été vues du dernier tournant de
l'autre à un enclos qu'il ouvre au maximum, comme le mont la voie sacrée et de la place du temple, c'est ce dont il est
rent bien sa restitution du mur Sud et sa remarque : « In the difficile de douter. » Cependant la coupe (ici fig. 12) montre
restoration only one block has been inserted between it and que, même en l'absence d'un mur au Sud du monument thes-
the angle in order to leave the front as open as possible, on salien, on aurait vu, au mieux, la tête des statues.
the analogy of other exedrae » (GARDINER ei al. 1909, p. 476). 26 F. COURBY, La terrasse du temple, FD II (1927), p. 230,
25 Voir ce qu'écrit É. Bourguet, Les ruines de Delphes (1914), fig. 181 p. 229 (plan du secteur) et fig. 184 p. 231 (dessin
p. 197 : « On a proposé dernièrement de reconnaître dans du seuil).

BCH125 (2001)
LE MONUMENT DE DAOCHOS OU LE TRÉSOR DES THESSALIENS 319

et, de part et d'autre de la baie, une feuillure accueillait un revêtement de bois à l'avant et dans
l'embrasement ; l'usure de la pierre indique que le vantail de droite devait être plus souvent ouvert
que celui de gauche, et suppose un usage relativement fréquent du bâtiment.

3. L'élévation de briques crues

Les blocs de l'assise d'orthostates ne pré


sentent aucune encoche de levier ni aucune
mortaise de scellements qui indiquerait la pré
sence d'une assise supérieure appareillée. Cepen
dantle travail du lit supérieur des orthostates
est celui que demande la mise en place de
briques crues27 (fig. lia). Les artisans ont
employé des briques carrées de 45 cm de côté
(1 pied et demi ou six palmes), ce qui per
mettait une bonne alternance de joints sur des
orthostates de 90 cm de long (trois pieds). Il
s'agit du type le plus courant dans l'architec
ture du IVe siècle, une brique carrée haute d'une
palme28. Pour une hauteur des murs entre le
socle d'orthostates et l'entablement d'environ
huit pieds, il aurait fallu quelque trois mille
briques. On rappellera pour comparaison qu'en
automne 337 est attestée une première livra Fig. 11. a. Lit supérieur des orthostates.
b. Restitution de la porte et de l'appareil en brique au-
isonde vingt mille briques pour l'atelier de dessus des orthostates.
Thyai au prix de soixante drachmes les mille29.
Deux reconstructions sont possibles à ce stade de l'étude. Le monument pourrait avoir été
un enclos à ciel ouvert : dans ce cas, le mur, d'une hauteur pour nous indéterminable, aurait été
couronné par un chaperon30. L'état de conservation des statues s'expliquerait par la protection de
l'auvent imaginé par É. Bourguet ou, comme nous le verrons plus loin, par la brièveté de leur

27 A. Jacquemin, D. Laroche, « Un matériau de construction surmonté d'un chaperon (Ph. Bruneau, J. Ducat, Guide de
méconnu à Delphes : la brique crue», dans J.-P. BRUN, Délos3 (1983), p. 146, n° 34, p. 191, n° 63 et p. 199, n° 71),
Ph. Jockey (éds), Τέχναι. Mélanges M.-CI. Amouretti (2001), qui relevaient de la catégorie cultuelle des abata (cf.
p. 389-398. M.-Chr. Hellmann, Recherches sur le vocabulaire de l'archi
28 Cf. R. Martin, Manuel d'architecture grecque I (1965), tecture grecque d'après les inscriptions de Délos, BEFAR 278
p. 54-57. Les enceintes d'Athènes, d'Eleusis, de Corinthe et [1992], p. 22-24). Cette idée était déjà présente dans la publi
de Gela en présentent de bons exemples. cation de Th. Homolle (Homolle 1899), qui évoquait une réuti
29 J. BOUSQUET, CID II (1989), 56 I, 46-53. lisation par Daochos de l'enclos de Néoptolème, après sa des
30 On pourrait songer aux exemples déliens d'enclos semi- truction contemporaine de la ruine du temple et sa
circulaires ou triangulaires comportant un mur de 1-1,50 m reconstruction immédiatement à l'Est.

BCH125 (2001)
320 ANNE JACQUEMIN ET DIDIER LAROCHE

exposition. Il convient cependant de mentionner la difficulté qui existe à trouver des parallèles
satisfaisants : la plupart des enclos paraissent en effet avoir eu des murs de faible hauteur. La seconde
solution, celle d'une chambre fermée, semble plus satisfaisante et ne manque pas de parallèles.

4. La toiture

La reconstruction proposée du monument comme chambre fermée impose l'existence


d'un toit, que la présence de statues de marbre laissait d'ailleurs supposer même à ceux qui re
stituaient un simple enclos31. Quoique des éléments de toiture aient été trouvés dans le secteur
lors de la Grande fouille, aucun des toits du IVe siècle étudiés par Chr. Le Roy ne paraît conven
ir au monument. Le toit 8132, de style négligé, dont on possède un grand nombre d'éléments
— tous dépourvus de la moindre indication de provenance — , était attribué au gymnase en ra
ison de sa date fixée par comparaison avec des toits corinthiens33. Il aurait pu convenir à notre
monument, mais sa datation a été abaissée récemment à la suite de la remise en cause de la chro
nologie de la stoa Sud de Corinthe34.
La ressemblance que H. Pomtow trouvait entre le monument de Daochos et la leschè
des Cnidiens, lorsqu'il restituait un édifice ouvert au Sud avec un toit à impluvium soutenu par
quatre ou six piliers35, frappe de nouveau, lorsqu'on regarde les plans des deux édifices dans leurs
nouvelles restitutions : des études récentes ont en effet modifié l'apparence de la salle de réunion
offerte par les Cnidiens36 pour lui donner un plan proche de ceux des trésors, avec une ouver
turesur le petit côté Ouest.
Les particularités techniques incitent à voir dans le bâtiment thessalien une construc
tion antérieure à la base qui portait les statues offertes par Daochos. La base, dont l'extrémité
Est reposait sur le rocher37, a été installée dans un édifice qui n'était pas prévu pour elle. Le par
ement intérieur des orthostates, aujourd'hui masqué par la base, était parfaitement travaillé et
devait avoir été visible. Quoique H. Bulle ait eu tendance à trop remonter les dates des scell
ements en usage dans le monument38, puisqu'il datait les crampons en gamma (Z-Klammern) de
Y oikos des Thessaliens de ca 400, ses remarques sur le soin du travail et ses comparaisons avec
le trésor des Thébains, daté par J.-P. Michaud de 37 139, demeurent valables. H. Bulle n'écartait

31 Cf. É. BOURGUET, op. cit. (supra, n. 25), p. 197. tanbul, 23-25 mai 1991 (1993), p. 235-236. La nouvelle res-
32 Chr. LE Roy, Les terres cuites architecturales, FD II (1967), titution du bâtiment apparaît sur les plans du sanctuaire que
p. 156-162. D. Laroche a réalisés en 1995 (dans M. ΜΑΑβ (éd.) Delphi.
33 Le seul fragment de toit trouvé au gymnase appartient à Orakel am Nabel der Welt, Catalogue de l'exposition du musée
une autre série. de Karlsruhe [1996], p. 49) et en 1999 (dans A. JACQUEMIN,
34 Chr. LE Roy, « Les terres cuites architecturales de Delphes Offrandes monumentales à Delphes, BEFAR 304 [1999], pi. 3).
vingt ans après leur publication », Hesperia 59 (1990), p. 33- 37 Les sondages qui ont accompagné le démontage de la
39, et surtout p. 38-39. base ont permis de mieux comprendre l'implantation de celle-
35 H. Pomtow, Ioc. cit. (supra, n. 4), p. 9. ci : cf. le rapport de J. Marcadé cité par J. Pouilloux, BCH 71-
36 D. LAROCHE, M.-D. NENNA, dans J. DES COURTILS, J.- 72 (1947-1948), p. 458.
Ch. Moretti (éds), Les grands ateliers d'architecture dans le 38 H. Pomtow, Ioc. cit. (supra, n. 4), p. 157-160.
monde égéen du VIe siècle av. J.-C., Actes du Colloque d'Is- 39 J.-P. Michaud, Le trésor de Thèbes, FD II (1973), p. 1-7.

BCH 125 (2001)


LE MONUMENT DE DAOCHOS OU LE TRÉSOR DES THESSALIENS 321

pas cependant la possibilité d'une utilisation prolongée du type de crampons en Thessalie et une
construction de l'édifice par des maçons thessaliens vers 370, après l'accident du temple. Cer
taines précisions au Journal de la Grande fouille, relatives notamment à la découverte de la sta
tue de Nikè inv. 1 872 le 4 septembre 1 894, laissent entendre que le remblai qui contenait les
fragments des frontons et des acrotères du temple du VIe siècle s'étendait sous l'emprise du monu
ment de Daochos : « Entre le soubassement ΠΑΝ et la base des Thessaliens, à environ 1 m au-
dessous du bas du soubassement ΠΑΝ — découverte d'une Nikè ailée [...]. La profondeur où a
été retrouvée la Nikè, d'autre part, la consistance de la terre, qui à cette profondeur est très
meuble et mêlée de débris, prouve que tout l'espace qui s'étend entre le rocher du soubassement
ΠΑΝ a été remblayé, sans doute à l'époque où le soubassement et la base des Thessaliens ont
été édifiés. » Si, sur ce dernier point, il convient maintenant de dissocier les dates de construc
tion des deux monuments, la présence des fragments sculptés impose de ne point trop remont
er la date d'érection de l'édifice thessalien. Après la catastrophe qui a frappé le temple peu avant
l'été 37 140, il a fallu déblayer les vestiges avant de commencer les travaux et revoir le plan du
secteur. La date la plus haute possible pour la construction du monument thessalien paraît être
ca 365, au moment où commencent les rentrées de la contribution des cités amphictioniques
et les versements des donateurs spontanés41.
On pourrait placer la construction du bâtiment vers 361, quand le koinon avait à sa
tête Agélaos42, qui est probablement un Daochide, descendant du pythionique figuré sur la base
avec ses frères Agias, l'arrière grand-père de Daochos II, et Télémachos. L'édifice thessalien qui
pouvait, comme la leschè des Cnidiens, servir de lieu de réunion — la présence de fenêtres n'est
pas à exclure — aurait ainsi été utilisé, une vingtaine d'années plus tard, par un cousin et suc
cesseur43 pour y installer son groupe familial.

40 Le terminus ante quem du début de l'été 371 est donné tructrice de l'eau {La Terrasse du temple, FD II, p. 112-113).
par une note de Xénophon (Helléniques VI 4, 2) relative à la 41 Voir la reconstruction de la séquence des événements par
proposition du Lacédémonien Prothoos de députer auprès des G. Roux (L'Amphictionie, Delphes et le temple d'Apollon au
cités afin de recueillir des fonds pour le temple de Delphes. IVe siècle [1979]), qui prend pour point de départ 373. Sur
Cependant, à la différence de ce qui s'est passé à Olympie les versements obligatoires et spontanés, voir J. Bousquet,
(cf. A. MALLWITZ, 01. Bericht XI [1999], p. 245-251), le mode CID II, p. 9-12 : la caisse commence à être en fonction au
de destruction du temple n'impose peut-être pas un lien direct printemps 366.
avec le séisme de 373 dont les effets dévastateurs sont par 42 Cf. le traité d'alliance entre les Athéniens et les Thessal
ticulièrement bien connus en Achaïe, comme le pensait iens (IG II2 116 ; H. Bengstson, Die Staatsvertràge des Alter-
Th. HOMOLLE (BCH 20 [1896], p. 693 : voir aussi J. BOUSQUET, tums II [1960], p. 255, n° 293). Sur l'identification du per
dans D. Knoepfler [éd.], Comptes et inventaires dans la cité sonnage, cf. M. Sordi, La lega tessala fino a la morte di
grecque [1988], p. 17-19). F. Courby, qui avait particulièr Alessandro Magno (1958), p. 208.
ement examiné les ruines du temple et s'était intéressé au sys 43 Sur le titre porté par le premier magistrat du koinon thes
tème de consolidation de l'angle Sud-Ouest du nouvel édifice, salien, voir B. Helly, L'État thessalien. Aleuas le Roux, les
a émis l'hypothèse d'une catastrophe liée à la puissance tétrades et les tagoi (1995), p. 39-68.

BCH 125 (2001)


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Flg. 12. Coupe Sud-Nord sur la région de la chambre thessalienne.
LE MONUMENT DE DAOCHOS OU LE TRÉSOR DES THESSALIENS 323

//. Conséquences de h restitution imposée par les vestiges

La restitution du monument de Daochos proposée ci-dessus n'est pas sans conséquences


pour la topographie de la région.
Le remploi par Q. Minucius Rufiis d'un orthostate angulaire prouve que le monument
de Daochos était au moins en partie ruiné en 106 av. J.-C. La restitution du monument comme
chambre fermée donne à ce remploi un caractère plus radical que ce qui était le cas dans la res
titution d'un simple enclos. Cela suffit désormais à rendre vaines toutes les interrogations sur
les raisons pour lesquelles Pausanias n'a pas mentionné le groupe statuaire44.

1. Rapport avec les monuments voisins

A. Le monument « enfer à cheval»

Le monument « en fer à cheval » qui se trouve immédiatement à l'Ouest aurait interdit


l'accès au monument de Daochos, si les deux constructions avaient coexisté. Mais un sondage
effectué par L. Lerat en 1934 a montré que la terrasse du monument thessalien se prolongeait
à l'origine de près d'un mètre au-delà de sa limite occidentale actuelle45, qui résulte en fait de
l'implantation ultérieure d'un soutènement destiné à supporter le côté Est du monument « en
fer à cheval». La différence de niveau (1,50 m) entre les deux constructions s'explique si la
seconde a été implantée, après la destruction de la première, sur un remblai qui en recouvrait
les vestiges. La coupe Nord-Sud de l'état actuel (fïg. 12) vient étayer cette reconstruction. Le
monument « en fer à cheval » est daté de la haute époque hellénistique (fin du IVe s.-IIIe s.) à
cause de son emplacement — il est nécessairement postérieur au monument de Daochos — ,
de sa typologie, de ses moulures et de ses crampons46.

B. La colonne aux acanthes

Comme la restitution large qui semble s'imposer rend impossible la coexistence du monu
mentde Daochos et de la base de la colonne aux acanthes (SD 509), la destruction de l'édifice
a dû précéder l'érection de cette offrande liée à Athènes (fig. 12 et 13). Or la date de ce monu
mentest fondée en grande partie sur l'écriture de la dédicace (FD III 4, 462) qui a été rappro
chée de celle de l'inscription (FD III 4, 461) de Xanalemma cnidien (SD 604), elle-même datée

44 Th. Homolle, loc. cit. (supra, n. 11), p. 598 : « On imagine 45 Pouilloux 1960, p. 82. Le prolongement du mur Nord de
difficilement pourquoi Pausanias n'a pas mentionné cette la terrasse du monument de Daochos a pu être suivi sur 96 cm
offrande, qui frappait par ses dimensions et son haut empla- à l'Ouest, jusqu'au moment où il fait un retour à angle obtus
cernent : c'est une lacune fâcheuse dans une région dont la vers le Sud ; il est conservé sur près d'un mètre,
topographie est très malaisée à restituer. » 46 Pouilloux I960, p. 86-87.

BCH12S (2001)
324 ANNE JACQUEMIN ET DIDIER LAROCHE

Flg. 13. Superposition du monument de Oaochos et de la fondation de la colonne « des danseuses «

Flg. 14. Relevé des cuvettes pour les deux premières statues (à l'Est) de la base de Daochos.

BCH125 (2001)
LE MONUMENT DE DAOCHOS OU LE TRÉSOR DES THESSALIENS 325

par rapprochement avec les inscriptions de la base de Daochos (FD III 4, 469)47. Si l'on accepte
pour la colonne aux acanthes une date autour de 335-325, cela signifie que le monument thes-
salien n'a orné le sanctuaire que pendant une courte durée48.

2. Examen des statues dans la perspective d'une destruction prématurée

La question qui nous importe ici n'est pas celle de l'unité de style du groupe et de son
éventuelle attribution à Lysippe. Nous nous intéressons au monument de Delphes en tant que
tel, qu'il y ait eu copie d'un seul groupe ou composition d'un ensemble original à partir de la
copie de plusieurs statues appartenant à des séries différentes. La question de savoir si les sta
tues découvertes à Delphes ont été réalisées par un sculpteur ou par plusieurs n'est pas non plus
ce qui nous préoccupe. Nous laissons à d'autres, plus compétents en ce domaine, le soin de
répondre à ces questions. Nous voulons seulement mettre en lumière ce que l'on peut savoir
matériellement des statues grâce aux données de la fouille.
Les différentes études de sculpture ont attiré l'attention sur l'état remarquable de conser
vation des statues du groupe thessalien, que ce soit l'épiderme qui a gardé son poli ou les traces
de peinture encore visibles49. Ces détails avaient d'ailleurs souvent conduit à restituer une struc
turede protection ; cependant, nous l'avons vu, les archéologues se refusaient à concevoir que
de telles œuvres eussent été enfermées dans une chambre.
La cuvette pour la première statue à l'Est (fig. 14), qui devait vraisemblablement être un
Apollon50, n'a jamais été achevée, ce qui explique non pas seulement la plus faible profondeur
de la cavité51, mais aussi son irrégularité et le fait qu'elle est plus prononcée sur les bords.
Les particularités des statues peuvent s'expliquer par des habitudes techniques des marb
riers chargés de l'exécution du groupe et par l'utilisation de pièces rapportées52, sans qu'il soit
besoin de songer à des réparations. Il est possible cependant que les statues aient souffert lors
du transport et que de petites réfections aient été nécessaires.

47 La datation que J. Pouilloux et G. Roux (Énigmes à Delphes dimensions de la cuvette leur paraissaient imposer une figure
[1963], p. 141) avaient proposée au terme de leur étude a de taille plus grande que la taille humaine et la forme incitait
été reprise par J. Bousquet (BCH 88 [1964], p. 658). à restituer une figure féminine. Will 1938, p. 292-293, a mon-
48 Ce qui ferait prendre au sens propre les mots de tré la faiblesse des arguments en faveur d'Athéna, que men-
Fr. Croissant (« Les Athéniens à Delphes avant et après Ché- tionne certes l'épigramme de Sisyphos Ier et qui était la divi-
ronée », dans P. Carlier (éd.), Le IVe siècle av. J.-C. Approches nité principale de Pharsale. Sa proposition d'Apollon, le dieu
historiographiques [1996], p. 139) : « [la colonne] écrasait à qui Daochos dédie le groupe, s'est donc imposée,
notamment de sa hauteur et de sa monumentalité l'offrande 51 L'explication donnée par S. Adam (The Technique ofGreek
toute récente de l'un des plus fidèles serviteurs de la Macé- Sculpture in the Archaic and Classic Periods [1966], p. 97)
doine, Daochos de Pharsale. » d'un Apollon assis conviendrait si la cuvette était simplement
49 Croissant 1991, p. 97. plus grande et moins profonde.
50 Si Homolle 1899, p. 438, pensait à un ajout ultérieur, 52 Cf. S. Adam, op. cit., p. 98-102. Depuis le rapprochement
parallèle à celui de Sisyphos II, « d'un personnage étranger fait par E. Preuner entre la base de Pharsale qui porte la signa-
peut-étre à la famille», P. DE la Coste-Messelière (Revue de ture de Lysippe et le monument de Delphes, les études de
l'art [1925], II, p. 217-218) avait, à la suite de P. Wolters et sculpture se sont surtout intéressées à la question de la trans-
F. Poulsen, songé à Aparos, le père d'Aknonios, qui occupait position en marbre d'un groupe de bronze : voir Cl. ROLLEY,
lui la deuxième position. E. M. Gardiner et K. K. Smith (Gardiner La sculpture grecque 2 (1999), p. 325-329.
et al. 1909, p. 468-469) avaient proposé une Athéna : les

BCH 125 (2001)


326 ANNE JACQUEMIN ET DIDIER LAROCHE

La disposition dans laquelle ont été retrouvées les statues donne des indications sur l'a
ccident qui a frappé le monument53. Après avoir mentionné le 21 août la découverte de la base
(« on commence à dégager au-dessus de la base de Gélon un grand soubassement à inscription »),
le journal signale le 22 août que « le soubassement à inscription derrière Gélon porte aussi une
inscription métrique » et qu'on a trouvé « au pied du soubassement [une] statue hellénistique
[d'un homme] vêtue d'une chlamyde comme le soi-disant Phocion, la tête manque ; on a les
mollets à part et la base avec les pieds [...] chaussés d'une chaussure compliquée et curieuse.
Deux autres fragments de pieds, chaussés à peu près de la même façon, ont été trouvés au même
endroit» (= Aknonios + pieds de Sisyphos Ier). Le 23 août, le journal enregistre la trouvaille
d'une « seconde statue vêtue de la chlamyde, au même endroit que l'autre » (= Daochos Ier). Le
28 août, la statue d'Agias est découverte « le dos en l'air, comme si elle avait été précipitée de
son piédestal par-derrière. La pesanteur du marbre, les tassements, la pluie avaient fait quelque
peu descendre la statue vers le mur de la base, qui n'est pas fondé. » Comme la fouille progress
ait à la fois en profondeur et en extension, ce n'est que le 9 octobre que la statue de Sisyphos Ier
fut découverte : « sur la base des Thessaliens, nouvelle statue d'homme en tunique, portant son
manteau sur le bras, la tête qui était rapportée manque ; manque le bas du corps à partir du
genou. » Le 1 1 octobre, trois éléments de base sont découverts, « un à l'est de celles précéd[emmen]t
découvertes, deux à l'ouest. L'avant-dernière à l'ouest avait encore en place l'extrémité inférieure
de la statue» (= Daochos II).
Lors de la fouille ont donc été trouvées en place ou dans un voisinage immédiat — couche
de destruction et d'abandon — d'Ouest en Est la statue de Daochos II, réduite à ses pieds encore
liés à la plinthe trouvée, celle de Sisyphos Ier, celle de Daochos Ier, celle d'Agias et celle d'Ak-
nonios. Les autres statues ont été trouvées dans des contextes qui pourraient laisser penser qu'elles
étaient restées visibles jusqu'à la fin de l'Antiquité, ce qui n'est cependant pas une raison pour
les exclure de l'ensemble. Il est possible en effet que certaines statues aient peu souffert lors de
l'accident et aient pu être réutilisées comme telles. Si l'on exclut la statue d'athlète que Th. Homolle
voulait identifier à Sisyphos II54, la statue qui occupe actuellement la place de l'effigie du fils de
Daochos II a été découverte pour le torse et une cuisse « dans le prolongement du grand autel,
à environ 13 m de l'angle SE, à environ 1 m 1/2 au-dessus du niveau de la voie sacrée », pour
le coude, l'herme et le manteau devant les trépieds des Deinoménides55, ce qui signifie que la

53 À cette période, le journal de fouilles est tenu par P. Per- au 16 août 1894 — en fait le 6 août — à 10 mètres environ
drizet qui était particulièrement sensible au contexte archéo- au-dessous du piédestal des Thessaliens, à l'Ouest et au pied
logique : nature des couches, disposition relative des objets. des gradins qui régnent au-dessus des trépieds de Gélon »
54 Homolle 1899, p. 426-427. Th. Homolle était sensible à (= monument des Corcyréens SD 508) n'étaient guère favo-
l'incongruité représentée par cette œuvre, mais il s'efforça râbles à une appartenance au groupe thessalien.
de justifier sa présence (ibid., p. 437). E. M. Gardiner et 55 P. Perdrizet, Journal de la Grande fouille, le 18 mai 1894
Κ. Κ. Smith n'ont guère eu de peine cependant à exclure la et le 30 mai 1894. La tête a été découverte fortuitement en
statue du groupe (Gardiner et al. 1909, p. 454-459 : cf. Will décembre 1978, à la suite de l'effondrement d'un mur rete-
1938, p. 299). Outre les arguments stylistiques (cf. CROIS- nant des déblais de la fouille : cf. P. THÉMÉLIS, BCH 103 (1979),
sant 1991, p. 108-109), les lieux de trouvaille des fragments p. 514-518. L'ajout d'une couronne de métal qui pourrait signi-
(Homolle 1899, p. 427 : «trouvés en plusieurs fois, du 31 juillet fier que le personnage a obtenu une victoire après l'érection

BCH 125 (2001)


LE MONUMENT DE DAOCHOS OU LE TRÉSOR DES THESSALIENS 327

statue se trouvait dans des couches d'abandon postérieures à la fin de l'Antiquité56. Pour les
mêmes raisons, le torse inv. 1360, qui a été alternativement identifié à celui de Télémachos, à
cause de ses ressemblances avec celui d'Agias, et exclu du groupe pour des raisons stylistiques57,
pourrait être écarté, car il a été trouvé entre le temple et l'autel de Chios, en contrebas de la
rampe. Il en serait de même d'Agélaos, malgré sa forte ressemblance avec Agias, puisque sa tête
a été trouvée à l'Est du temple, sur l'esplanade, à gauche de la voie sacrée58. À cela s'ajoute un
détail singulier : si tous ceux qui ont décrit la statue ont évoqué les jambes élancées du jeune
coureur, Th. Homolle, qui ignorait à qui attribuer la tête, a mentionné « la bouffissure des
oreilles »59, une caractéristique bien connue des boxeurs ou des pancratiastes, mais un détail
curieux chez un coureur, car les exercices courants de la palestre pratiqués par tous les jeunes
gens semblent avoir été plus ceux de la lutte que ceux de la boxe et du pancrace.
Dans le cas de ces trois statues, aucun élément de plinthe n'est conservé. On ne peut certes
écarter l'hypothèse de B. Sismondo-Ridgway, pour qui le groupe était déjà démonté au IIe siècle,
d'un remploi des statues et à la possibilité d'en retrouver des fragments60. On pourrait donc
penser à d'autres groupes de statues d'athlètes et la base en fer à cheval, elle aussi abritée dans
un édifice, serait une fois encore un bon candidat61, d'autant que les lieux de trouvaille ne s'y
opposeraient pas.

3. La seconde série de bases thessaliennes (fig. 15a et b)

Les fouilleurs ont trouvé une autre série de bases, dont les caractéristiques architecto-
niques, les moulures et la qualité de travail répondaient à celles de la base de Daochos. Malgré
l'étude que J. Pouilloux lui a consacrée sous le titre Monuments annexes des Tbessaliens62, elle a
peu retenu l'attention. Neuf blocs — quatre de l'assise inférieure et cinq de l'assise moulurée
prévue pour l'encastrement des plinthes — ont été découverts. À la différence des blocs qui por
taient les statues du groupe de Daochos, ces derniers ne formaient pas une base unique allongée

de sa statue — l'hypothèse d'une couronne honorifique paraît avant d'y renoncer pour des raisons de dimensions. Le torse
moins convaincante — est un fait singulier : on ne voit pas d'Agélaos, qui lui convient parfaitement à la tête, a été trouvé
en effet pourquoi on n'aurait pas alors ajouté une mention le 8 avril 1907 dans un muret de l'olivette au Sud du musée
épigraphique. La présence d'une fibule ronde d'un modèle et les fragments de ses jambes ont été identifiées dans les
plus courant au IIe s. ap. J.-C. qu'au IVe s. av. J.-C. étonne réserves (Gardiner et al. 1909, p. 462-467 ; P. de La Coste-
quelque peu : cf. B. Sismondo-Ridgway, Hellenistic Sculpture Messelière, Revue de l'art ancien et moderne 48/2 [1925],
I (1990), p. 47-49. p. 209-222).
56 La statue avait d'abord été identifiée à Télémachos, puis 59 Homolle 1899, p. 433. Les oreilles d'Agélaos ne sem-
à Agélaos (Homolle 1899, p. 430 n. 1). Il doit son identité blent guère avoir retenu l'attention depuis la première publl·
actuelle à WlLL 1938, p. 299-300. cation.
57 Homolle 1899, p. 433 ; I. TSIRIVAKOS, AE 1972, p. 70-85 ; 60 B. SiSMONDO-RlDGWAY, op. cit. (supra, n. 55), p. 47.
Croissant 1991, p. 93-95 (contra Gardiner et al. 1909, p. 450- 61 Les différentes tentatives pour installer sur cette base le
451) ; WlLL 1938, p. 295 n. 4 ; T. Dohrn, AntPI VIII (1968), Pseudo-Sisyphos II et les trois statues trouvées couchées au
p. 45 ; B. Sismondo-Ridgway, op. cit. (supra, n. 55), p. 47 ; pied de la base du pseudo-téménos de Néoptolème n'ont
Cl. Rolley, op. cit. (supra, n. 52), p. 325. cependant jamais été vraiment décisives : cf. Croissant 1991,
58 Comme la tête avait été trouvée près du torse inv. 1360, p. 105.
Homolle 1899, p. 433, avait pensé l'attribuer à Télémachos, 62 Pouilloux 1960, p. 78-80.

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328 ANNE JACQUEMIN ET DIDIER LAROCHE

D6
D6

37,5
D52

42,8

42,8
43,0

D15

34,5

Fig. 15. a. Proposition de mise en place des bases de statues jumelées (« Thessaliens II »).
b. Bloc inachevé provenant d'un deuxième groupe statuaire.

mais étaient groupés deux par deux, comme l'indique bien le travail des faces latérales, de sorte
qu'on peut restituer au moins trois bases doubles. Si l'on dispose les bases sur le côté Sud en vis-
à-vis du groupe de Daochos, il y a la place pour quatre monuments (fig. 15a). La différence de
hauteur des socles (43, 37,5 et 34,5 cm), un critère dont il faut tenir compte dans les associa
tionsd'éléments, confirme l'existence de quatre bases doubles. Une seule des bases retrouvées
présente une cuvette, qui, d'ailleurs, n'a pas été achevée (fig. 15b) ; sa forme invite à l'associer
à une statue de faible amplitude de mouvement — la comparaison avec la forme des cuvettes
de la base de Daochos est éloquente — et on songera à une statue féminine du type de la Pseudo-
Artémise (inv. 1817) trouvée dans les vestiges du monument voisin GD 50763. Cependant lor
squ'on veut restituer deux statues de ce type sur une base double, on s'aperçoit qu'elles seraient
très proches et il doit falloir alors restituer au moins une statue plus petite, celle d'un enfant.
Les différences de hauteur des bases pourraient aussi être en rapport avec la taille des statues
(adultes et enfants). Un certain nombre d'effigies d'enfants proviennent du voisinage, celle d'une
petite fille (inv. 1791) trouvée le 31 juillet 1894 derrière la base corcyréenne et celle d'un gar
çonnet tenant un oiseau (inv. 324)04 découverte le long du mur polygonal, au-dessous de la base

63 Cf. CROISSANT 1991, p. 103-105.


64 Cf. CROISSANT 1991, p. 110-111.

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LE MONUMENT DE DAOCHOS OU LE TRÉSOR DES THESSALIENS 329

de Daochos. Nous ne prétendons pas replacer ces statues sur les bases doubles qui n'ont vra
isemblablement jamais été achevées, mais rappeler que le type est connu à Delphes.

On aurait alors eu dans Voikos thessalien deux types de monuments de famille, le monu
ment généalogique en lignée masculine et « l'instantané » familial avec femme et enfants65. Le
monument de Daochos est une adaptation de la première formule, puisque, comme dans la
consécration arcadienne à l'entrée du sanctuaire, il y a une sorte de suspension du temps pour
permettre la représentation d'une fratrie. Le choix des figures du groupe thessalien évoque
d'ailleurs curieusement les partis pris de l'ensemble arcadien66 : un dieu à la fois protecteur et
destinataire de l'offrande, un ancêtre nommé, mais non représenté (Aparos le père d' Aknonios ;
Lykaôn le père de Kallistô), un père de plusieurs fils (Aknonios, père d'Agias, de Télémachos et
d'Agélaos ; Arkas, père d'Azan, Apheidas, Élatos et Triphylos), dont un seul a sa descendance
figurée (Agias et son fils Daochos, dont la postérité est présente jusqu'à l'arrière petit-fils ; Tri
phylos et son fils Érasos67). Le ton de l'épigramme dédicatoire du monument de Daochos retrouve
le ton de celle de la consécration arcadienne, avec l'insistance sur le don fait à un dieu présenté
comme le seigneur du lieu (αναξ) et sur la gloire dont sont couverts le γένος, celui des Dao-
chides comme celui des Arcadiens, et le pays (πατρίς ou χθων).

4. La nature de la catastrophe

La destruction du monument qui abritait la base de Daochos est sûrement due à une catas
trophe naturelle. Le bâtiment était mal fondé sur des remblais récents ; seule la partie Nord-Ouest
reposait sur le rocher, comme cela a pu être constaté lors des travaux de 1947 destinés à rendre à
la base une horizontalité et une stabilité qui lui auraient permis d'accueillir les moulages des sta
tues. Il n'est pas non plus indifférent de voir que la fouille a trouvé trois orthostates et cinq blocs
d'euthyntéria en place à l'Ouest et seulement un orthostate et trois blocs d'euthyntéria à l'Est.
On pourrait expliquer la ruine de l'édifice par un glissement de terrain à la suite de pluies
diluviennes qui auraient profondément détrempé un sol instable ou par une inondation cata
strophique semblable à celle que connut le sanctuaire les 9 et 10 décembre 1935, quand un tor
rent de boue, descendu de Rhodini, l'une des Phédriades, recouvrit toute la partie Nord-Est du
téménos, emporta l'angle Sud-Est du mur polygonal de la terrasse du temple, ouvrit deux brèches

65 Cf. A. Borbein, JDAI 89 (1974), p. 88-91 et B. HlNTZEN- ser son message : Hypermnestre qui introduit l'ancêtre Danaos,
Bohlen, « Die Familiengruppe — Ein Mittel zur Selbstdarstel- Danaè et Alcmène, qui eurent, toutes deux, des fils de Zeus :
lung hellenistischer Herrscher», JDAI 105 (1990), p. 129-154. cf. Fr. Salviat, BCH 89 (1965), p. 307-314.
66 II convient certes d'exclure la figure de Nike, dont la pré- 67 C'est du moins ce que rapporte Pausanias (X 9, 5) ; le
sence se justifie dans le cas arcadien et serait incongrue dans texte de l'épigramme gravée sur la base (É. Bourguet, FD III
l'autre, et de tenir compte du fait que l'origine divine d'Arkas, 1, 3) ne permet pas de se prononcer sur l'identité du père de
fils de Zeus, imposait la présence d'une mère humaine. Le l'enfant d'Amilô. En l'absence de toute autre source sur Éra-
monument contemporain qui célèbre l'alliance entre Argos et sos, il est plus sage de s'en tenir à ce qu'écrit le Périégète.
Thèbes doit également recourir à des héroïnes pour faire pas-

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330 ANNE JACQUEMIN ET DIDIER LAROCHE

dans l'enceinte, coupa la route moderne et se perdit dans le ravin du Pleistos68. De semblables
accidents sont connus dans l'Antiquité : les fouilles de L. Lerat notamment ont dégagé des
couches stériles qui séparaient les niveaux mycénien et géométrique, vestige de la catastrophe
qui détruisit le village du deuxième millénaire, ou une partie de cet habitat69. P. Amandry signale
toujours dans ce secteur une couche de « savoura », cette terre stérile, dépourvue de tout matér
iel70. Ces coulées antiques ont suivi la même direction que le flot destructeur de 1935 et sont
sans doute dues à l'action du même Xéropotamo, contre lequel les ouvriers de la Grande fouille
ont érigé les digues mentionnées sur le plan publié en 189771. Un indice en faveur de cette expli
cation pourrait être trouvé dans certaines remarques de P. Perdrizet sur la présence de couches
profondes de terres dépourvues de tout matériel. Il écrit ainsi le 16 août 1894 : «II est remar
quable qu'on ne trouve dans toute cette partie de la fouille, dans tout le coma [χώμα] que l'on
enlève depuis avril devant le fronton [Est du temple] et plus haut [. . .] jusqu'ici à peu près aucun
bronze "interprétable" et absolument aucune poterie. Aujourd'hui on avait l'espoir d'arriver
enfin à mettre la main sur un "stratum" intéressant de débris d'offrandes et d'antiquailles. » L'es
poir est vite déçu, car l'archéologue note le 17 août : « On continue à enlever derrière le sou
bassement portant l'inscription ΠΑΝ, à gauche et à droite un coma fort épais, dans lequel on
ne trouve absol[umen]t aucun débris, aucune antiquaille. » II est difficile, compte tenu du mode
de fouille employé alors, de savoir si cette couche se distinguait de la couche de cendres et d'os
signalée le 16 et le 22 août dans le secteur.
On retiendra que la base ΠΑΝ est particulièrement bien fondée72. Certes elle portait une
offrande qui s'élevait fort haut, mais on peut y voir aussi le fruit de la leçon donnée par l'e
ffondrement du monument de Daochos et de l'édifice voisin SD 507, dont l'aménagement inté
rieur ne fut pas achevé, puisque la base n'accueillit jamais de statues73.

Ce nouvel examen des vestiges de l'offrande dite de Daochos a donc quelque peu changé
la façon de la voir. Son cadre architectural ne pouvait être qu'un trésor réduit à une chambre fe
rmée, qui paraît être antérieur au projet d'installation du groupe familial. L'ensemble a eu une
durée d'existence brève, puisque les statues étaient en cours d'installation quand un accident natur
ela ruiné l'édifice. On ne chercha point à rebâtir le monument sur place, mais il est possible
que certaines statues qui n'avaient pas trop souffert aient été replacées ailleurs. Les restes du bât
iment et les statues brisées furent enterrés sous le remblai et l'emplacement fut occupé à l'Ouest

68 Cf. BCH 60 (1936), p. 461-462 et pi. 55-57. La couche 71 BCH 21 (1897), pi. XVII. Le 12 octobre 1894, P. Perdrizet
de rochers et de terre que déposèrent les eaux dépassa les notait dans le journal de fouilles : « La plupart des ouvriers
trois mètres sur la place du temple. sont employés à la construction d'un barrage qui préservera
69 L. Lerat, RA 1938/2, p. 207-208. contre les ravages possibles du Xéropotamo la partie orien-
70 P. Amandry, BCH 64-65 (1940-1941), p. 254-255. Dans taie du téménos. » La puissance du torrent en décembre 1935
la même chronique, l'auteur signale à propos de la région fut telle que les barrages furent forcés.
Ouest les traces d'un semblable accident qui aurait détruit, 72 Pouilloux 1960, p. 60-67 ; J. Pouilloux, G. Roux, op. cit.
au début de l'époque géométrique, de pauvres maisons de la {supra, n. 47), p. 123-124.
fin de l'âge mycénien (ibid., p. 258-259). 73 POUILLOUX 1960, p. 52-54.

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LE MONUMENT DE DAOCHOS OU LE TRÉSOR DES THESSAUENS 331

D.Laoch*2001

D.Umel» 2001

Rg. 16. États successifs de la région Nord-Est du sanctuaire vers 330 av. J.-C. (1) et vers 200 av. J.-C. (2).

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332 ANNE JACQUEMIN ET DIDIER LAROCHE

par le monument qui comprenait la base en fer à cheval et à l'Est par la colonne aux acanthes
fermement posée sur la base ΠΑΝ (fig. 16). L'emplacement fut laissé vacant, bordé à l'Ouest par
le monument qui comprenait la base en fer à cheval. Il semble que ses constructeurs aient retenu
la leçon de la catastrophe de l'offrande thessalienne, puisqu'ils utilisèrent la brique pour les murs,
à l'exception du mur de fond, et qu'ils firent le maximum pour alléger les blocs de l'assise porte-
statues, en les recreusant74. À l'angle Sud-Est de la ruine fut construite la colonne aux acanthes.
La couche de cendres et d'os dégagée par les fouilleurs indique vraisemblablement que le lieu a
été utilisé par la suite pour y déposer les restes des sacrifices plutôt que comme lieu même d'im
molation et de crémation. Les pierres de la base des murs sont restées enfouies pendant des siècles,
à l'exception du bloc d'angle Sud-Est, déplacé lors de la construction de la base ΠΑΝ. Il fut,
quelque deux cents ans après, remployé comme élément de l'offrande de Quintus Minucius Rufus.
La restitution du monument comme chambre fermée (fig. 17) apporte un élément au
débat sur la matière des statues et confirme certaines conclusions que l'on pouvait tirer de textes
littéraires et épigraphiques. À la diversité de matière, qui oppose presque toujours depuis le
IVe siècle Γ άγαλμα de marbre et Γείκών de bronze, se superpose une différence de lieux d'ex
position : l'effigie de marbre se trouve
généralement dans un bâtiment et
celle de bronze en plein air, ce qui
peut rejoindre la distinction établie
par S. R. Ε Price entre le sanctuaire
pour la première et l'espace public
pour la seconde75. On pourra citer le
cas de la statue en marbre de Lysandre
dans le trésor de Brasidas et des Acan-
thiens, la statue de bronze de Mau-
sole sur l'agora d'Érythrées quand
l'effigie en marbre de sa sœur-épouse
est à XAthénaion, ou les εικόνες de
bronze de Diodôros Pasparos dans
Fig. 17. Essai de restitution de l'intérieur du monument thessalien.
des lieux publics et son άγαλμα de
marbre dans un temple76.

74 Voir les remarques faites par Pouilloux 1960, p. 80-87. tats pertinents, comme l'avait constaté L. ROBERT (REA 62
On ne peut s'empêcher d'être frappé par la coïncidence entre [1960], p. 316-324 = OMS II, p. 832-840).
le nombre de 17 statues portées par la base en fer à cheval 76 Plutarque, Vie de Lysandre, 1, 1 ; M. N. Tod, A Sélection
et les 9 + 8 statues restituées dans la chambre thessalienne, of Greek Historical Inscriptions II (1948), n° 155 (il est mal
mais il n'y a peut-être là que jeu de hasard. heureusement impossible de savoir si Athénaion désigne ici
75 S. R. F. Price, Rituels and Power. Roman Impérial Cuit in le sanctuaire d'Athéna ou uniquement le temple de la déesse) ;
Asia Minor (1984), p. 172-188. Les tentatives pour établir une H. HEPDING, MDAI(A) 32 (1907), p. 243, n° 4, I. 24-33 et 40-
opposition entre religieux et profane (cf. K. Tuchelt, Fruhe 42. Voir aussi A. Jacquemin, op. cit. {supra, n. 36), p. 162-
Denkmàler Roms in Kleinasien I. Roma und Promagistrate, 164.
MDAI(I) Be/fteft XXIII [1979], p. 68-70) ne donnent pas de

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