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Cahiers d'économie politique

A propos de la convergence des prix courants vers les prix naturels


: un commentaire de trois interprétations récentes
Richard Aréna

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Aréna Richard. A propos de la convergence des prix courants vers les prix naturels : un commentaire de trois interprétations
récentes. In: Cahiers d'économie politique, n°6, 1981. La formation des prix: A. Smith, D. Ricardo, K. Marx. pp. 53-75;

doi : https://doi.org/10.3406/cep.1981.943

https://www.persee.fr/doc/cep_0154-8344_1981_num_6_1_943

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A PROPOS DE LA CONVERGENCE
DES PRIX COURANTS
VERS LES PRIX NATURELS :

Un commentaire
de trois interprétations récentes1

par Richard ARENA

Le vieux problème smithien de la gravitation des prix de marché


autour des prix naturels a fait l'objet, ces dernières années, d'un
regain d'intérêt de la part d'un certain nombre d'économistes
français et italiens (2). Trois contributions récentes doivent à ce propos
être distinguées en raison de la rigueur théorique avec laquelle elles
reposent la question et tentent de proposer une réponse (3). La
présente contribution n'est qu'un simple commentaire de ces travaux.
Elle privilégie toutefois une lecture particulière qui vise à préciser
le degré d'originalité théorique des solutions apportées à l'égard des
approches néo-classiques de la concurrence traditionnellement
qualifiées dans la littérature de théories du tâtonnement et du non-
tâtonnement. Dans cette optique, elle s'attache plus particulièrement
à examiner les travaux étudiés à partir de trois points d'interprétation
liés à la représentation du marché classique, à la possibilité
théorique de la convergence des prix courants vers les prix naturels et,
le cas échéant, aux conditions mathématiques de cette convergence.
Ce faisant, son objet est de tenter d'établir un bilan très provisoire
du débat sur la question de la gravitation.

(x) Je remercie C. Benetti, C. Berthomieu, J. Cartelier, A. Maricic et D. Torre pour


les précieuses remarques, critiques et suggestions qu'ils ont bien voulu formuler lors de
l'élaboration de la version définitive de ce travail. Il est évident que je n'en ai pas
toujours tenu compte et je reste donc seul responsable de tout ce qui pourrait déplaire au
lecteur.
(2) Pour une bibliographie des travaux de ces économistes, cf. notre contribution
Note sulla questione dell'articolazione prezzo naturale — prezzo di mercato, Giornale
degli Economisti et Annali di Economia, à paraître.
(3) Nous pensons à l'article Stabilita ed instabilita negli schemi sraffiani {Economia
Internazionale, n° XXVII, 1975) de M. Egidi, au cinquième chapitre de l'ouvrage de
G. Benetti, Smith. La teoria economica délia societa mercantile (Milan, Etas Libri, 1979) et
à l'article Marchandise homothétique, capital financier et loi de Say (cf. le présent numéro
des Cahiers d'Economie politique) de J. Cartelier.
Cahiers d'Economie Politique, n° 6
54 Richard Arena

1.1. L'approche de la concurrence proposée par M. Egidi semble


être a priori fondée sur la représentation classique du marché (4).
Le point de départ formel du processus de convergence est en effet
l'existence, dans l'ensemble de l'économie, de couples prix-quantités
sectoriels (p^o), ^(o)) pour chaque branche de production i différents
des couples naturels (pit qt) (5). Les écarts entre les p^o) et les px
proviennent, pour l'auteur, d'une inégalité entre les offres et les
demandes sectorielles au temps o. Ils sont censés se répercuter sur
les taux de profit et impliquer indirectement l'apparition de
quantités produites q^o) différentes, elles aussi, des q{ en vertu des
équations :
^/l+RM) (6) (I)
où q^t) est le niveau de production de la branche i au temps t,
où ri est le taux de profit de la branche i
2>ri(qi.'£aijpj)
où RM est le taux de profit moyen égal à

où ai} est la quantité de bien-capital circulant j utilisée pour produire


une unité du bien i,
et où pj est le prix unitaire du bien j.
Cette référence à la pensée classique s'avère toutefois plus
rhétorique que théorique. Le modèle utilisé par M. Egidi ne fournit en
effet aucune explication de l'écart entre les grandeurs initiales et les
grandeurs « naturelles » (7). Cet écart est un donné pour le processus
de gravitation et ne suppose aucune représentation formelle explicite
du marché. Le marché demeure absent pendant toute la durée de
la convergence. En particulier, les q^t) sont des quantités produites
et non pas des quantités demandées ou apportées au marché (8).

(4) Pour une caractérisation de cette représentation, cf. notre Note sur la conception
classique de la concurrence, Cahiers d'Economie politique, n° 5.
(5) Pi(°) et Qi(°) sont respectivement le prix unitaire du bien i et le niveau de
production de la branche i au temps o. pi représente le prix naturel (équivalent, pour l'auteur,
au prix de marché pour lequel l'offre et la demande sont égales) de la marchandise i
et qi figure le niveau d'intensité-étalon de la branche i, i.e. celui pour lequel le surplus
du bien i est proportionnel à la somme de ses utilisations productives dans toute
l'économie. Le cadre d'analyse est celui de la production simple.
(6) Nous reviendrons infra sur la procédure formelle qui permet à M. Egidi d'écrire
ces équations valides pour de petites variations de r^ dans un intervalle défini à partir
de 1 -f rjl + RM, cf. M. Egidi, op. cit., pp. 25-27.
(7) Cette question fait en revanche l'objet d'une analyse spécifique chez A. Smith
fondée sur la notion de« demande effective»; cf. sur ce point G. Benetti, Smith..., op. cit.,
et notre Note sur la conception..., op. cit.
(8) La possibilité de la coexistence d'une invariance des prix naturels et d'une
modification des niveaux de production est assurée par la formulation d'une hypothèse de
constance des rendements à l'échelle.
Prix courants et prix naturels 55

De même la variation des p^t) ne dépend que des écarts [ri — RM)
et [qt — <7i(£)] en raison des équations :

v,, pt{t + 1) = a(0 • (1 + RM/i + h) (9) (il)

Elle n'est donc pas explicitement liée à un écart entre grandeurs


échangées sur le marché. Enfin, la notion de demande est inexistante
dans le modèle. Le processus concurrentiel décrit par M. Egidi doit
donc être interprété comme un processus visant à étudier la
trajectoire de grandeurs de production données « au hasard » (les p^t)
et les q^t)) vers des grandeurs de production d'équilibre «
déterminées par une autre partie de la théorie » (10) (les pi et les qt) . La
référence au marché n'est donc qu'implicite chez notre auteur.
L'analyse retenue se borne à décrire le déplacement d'une structure
productive donnée et inexpliquée par le modèle vers une autre structure,
exogène comme la première.
Le deuxième aspect que nous envisagerons est celui de
réflectivité de ce déplacement. Si nous supposons que le processus de
convergence est réel, i.e. analogue à celui que décrivent, dans d'autres
approches conceptuelles, les théories du non-tâtonnement et celles
du déséquilibre, les q{{t) (avec q^t) ^ &) et les p^t) (avec p{{i) ^ fc)
deviennent des grandeurs réalisées. Dans ce cas, on doit admettre
que, dès la première étape o du processus, les productions q^o) ont
été effectives et nécessité l'utilisation de quantités sectorielles d'in-
trants, supérieures ou inférieures à celles de la production «
naturelle ». Il faut en outre accepter la réalité d'un marché qui s'est
tenu au temps o et où s'est échangée une partie des biens produits,
supérieure ou inférieure à celle qui caractérise la situation naturelle.
Ces transactions ont forcément été régies par des rapports d'échange
incompatibles avec la reproduction d'ensemble de l'économie (n).
Dans cette hypothèse, rien ne nous assure qu'à la période suivante
le processus de concurrence soit seulement possible. Les quantités
d'intrants reprises par les producteurs à l'issue du marché de la
période o peuvent en effet ne pas permettre l'utilisation de la techno-

(9) Ici également, cf. M. Egidi, op. cit., pp. 25-27, pour un exposé du mode d'obtention
de ces équations.
(10) Nous reprenons l'expression employée dans le même contexte par P. Garegnani
(in On a change in the notion of equilibrium in recent work on value and distribution.
A comment on Samuelson, in Essays in modern capital theory, édité par M. Brown, K. Sato
et P. Zarembka, North Holland, 1976, p. 29).
(u) Comme le note et le montre P. Sraffa (in Production de marchandises, Paris, Dunod,
1970) à propos des systèmes de subsistance, les prix naturels p^ constituent en effet le
« seul ensemble de valeurs d'échange qui, s'il est adopté par le marché, rétablisse la
distribution originelle des produits et rende possible la répétition du procès » (p. 4). Dans
le cas des systèmes avec surplus, les prix fc restent les seuls qui sont susceptibles d'assurer
la reproduction sous contrainte d'une difficulté de production unique donnée.
56 Richard Arena

logie symbolisée par les (aiS) alors que la constance de ces coefficients
de production est une condition nécessaire de convergence. Bien plus,
quand bien même nous nous trouverions dans l'éventualité favorable
d'une praticabilité des aij} nous n'aurions aucune certitude quant
à la possibilité de produire, sur la base des quantités d'intrants repris
et investis au temps 0, les niveaux qi (1) exigés par la période
consécutive 1 et la suite du processus de convergence. Les mécanismes
concurrentiels décrits par notre auteur ne peuvent donc être que
virtuels, i.e. analogues à ceux que décrit, au sein d'une autre approche
théorique, la procédure walrasienne du tâtonnement sur bons. De
ce point de vue, la gravitation des prix courants vers les prix naturels
n'a chez M. Egidi qu'un intérêt logique, i.e. celui de montrer que
la reproduction d'ensemble de l'économie doit être pensée dans le
monde des prix naturels, en dehors de toute référence à la notion
de marché.
A partir des remarques précédentes, il est alors aisé de préciser
le statut du prix de marché dans l'analyse de notre auteur. Nous
savons déjà qu'il est un prix donné au hasard au temps o, puis un
prix dont la variation, au cours des périodes suivantes, est conditionnée
par celle des taux de profit. Deux caractéristiques supplémentaires
permettent d'en proposer une définition (12). En premier lieu, les vecteurs
p{t) (avec p{t) = (piit)) et i = 1, 2, ...,n; t = 1, 2, . . ., O. sont
toujours supposés vérifier la condition suivante : (I ■— ■ A) p(t) ^ o
où I est la matrice unitaire et A la matrice des (<%). Les « prix de
marché » assurent donc toujours un taux sectoriel de profit positif
ou nul; ils ne peuvent ainsi être associés à des productions non
rentables. En second lieu, les p^t) doivent vérifier la condition suivante :

pendant toute la durée du processus de convergence. Ces deux


caractéristiques supplémentaires permettent d'établir que les p^t) sont des
pseudo-prix de marché. Ils sont en fait des prix d'offre auxquels on
associe des taux sectoriels de profit différenciés. Cette constatation
doit être rapprochée de notre interprétation du processus
concurrentiel proposé par M. Egidi : l'échange n'y joue aucun rôle explicite.

1.2. La possibilité théorique de la convergence des prix courants


vers les prix naturels est assurée par M. Egidi, moyennant la
formulation de quatre hypothèses essentielles qu'il convient maintenant de
préciser.
La première de ces hypothèses est celle de la constance des
rendements à l'échelle. Sa nécessité s'impose dès lors qu'on accepte,

(12) M. Egidi, op. cit., p. 30.


Prix courants et prix naturels 57

avec M. Egidi, d'étudier des variations des niveaux d'activité et


qu'on veut cependant éviter une modification des prix naturels qui
rendrait le processus de convergence impossible. Ses conséquences
sont toutefois très dommageables dans l'optique d'une reformulation
de la théorie classique. L'hypothèse de constance des rendements
conduit en effet à une procédure duale, i.e. symétrique de fixation des
prix et des quantités et exclut celle d'une détermination des seules
valeurs d'échange naturelles sur la base d'un surproduit physique
donné (13).
La seconde hypothèse formulée est celle de la nécessaire stabilité
de la part en valeur des différents secteurs dans la production totale
pendant le processus de concurrence. Elle comporte trois volets. Le
premier résulte des équations :
V,, qi(o).pt{o) = qtpl (") (III)
II consiste à réduire le « hasard » qui préside au donné des deux
premiers écarts [pi — pi(o)) et (<& — ^(o)). Les exigences des
relations (III) nous imposent les conditions suivantes :

Le second volet de l'hypothèse est contenu dans les égalités


Vi3 Pi{o).qi(o)=pi{\).qi{\)= ...

Il exprime l'impossibilité d'une remise en cause de la valeur des


« dotations initiales » sectorielles par les mécanismes concurrentiels.
On reconnaît ici une contrainte analogue à celle qu'exerce, au sein
d'une approche conceptuelle différente, le théorème walrasien des
répartitions équivalentes (15). Le troisième volet qu'il nous faut
souligner porte sur le choix d'un numéraire des prix. M. Egidi remarque
en effet à ce propos que « le vecteur des prix de marché varie de
façon à laisser invariante la mesure de la valeur de la production
totale » (16). Il faut donc supposer que :
l \/iA (IV)
L'écriture de ces égalités équivaut à deux normalisations
successives. La première consiste à choisir un numéraire des prix quel-

(13) Une réflexion sur l'importance et la signification de l'hypothèse de constance


des rendements au sein de la théorie des prix de production est menée dans R. Arena,
T. Saiah, Eléments pour une étude de la signification théorique des prix dans l'analyse multisectorielle
de la production et de V accumulation, mémoire de des, Nice, 1975.
(14) Cf. M. Egidi, op. cit., p. 32.
(15) Cf. L. Walras, Eléments d'économie pure, Paris, Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence, 1952, 14e leçon.
(w) Cf. M. Egidi, op. cit., p. 31.
58 Richard Arena

conque parmi les biens de l'économie. La seconde tient compte de


la précédente. Sur la base de la connaissance des prix normalisés,
i.e. exprimés dans le numéraire privilégié, on peut alors imposer
l'équation (IV). Les ^(^ ou <&(/)) sont en effet des grandeurs
relatives comme les prix et s'expriment dans une unité de mesure
arbitraire. La solution de M. Egidi soulève toutefois une double
objection. Tout d'abord, on notera que la première normalisation pose
problème (17). Par définition, elle implique en effet l'identité
permanente du prix de marché de déséquilibre et du prix de marché
d'équilibre (ou prix naturel) du bien choisi comme numéraire et
l'exclut ainsi du processus de convergence (18). En second lieu,
l'équation (IV) a la dimension d'un simple postulat. Lorsqu'on procède
à une comparaison de prix relatifs appartenant à des systèmes
différents comme en (IV), aucun numéraire commun ne s'impose en
effet a priori. Cette remarque prend tout son sens dès qu'on constate
que le choix du numéraire influe sur la mesure des agrégats (19).
La conclusion est simple : il n'existe pas, dans le cas général, de
solution au problème de la commensurabilité de prix relatifs
appartenant à des systèmes différents (20). En particulier, la marchandise
homothétique associée à la matrice A ne saurait constituer le
numéraire commun recherché. D'une part, elle n'est pas un étalon de
prix (21). D'autre part, elle doit être considérée comme une
marchandise composite quelconque dans tous les systèmes de prix relatifs
autres que p, c'est-à-dire, pour p(o), p(l), . . ., p(t), . . ., p{£ï). Le
postulat d'un numéraire commun est toutefois nécessaire dans
l'analyse de M. Egidi. Son refus interdirait toute tentative de
comparaison entre les vecteurs des prix de marché d'équilibre, des prix
de marché de déséquilibre ou des prix naturels et ruinerait la
problématique de la convergence.
La troisième hypothèse effectuée par M. Egidi est celle du choix
d'un taux de profit de référence auquel on rapportera les taux de

(17) La critique reste évidemment valide si la première normalisation porte sur les
niveaux d'activité.
(18) Si on choisit tout d'abord un numéraire des quantités, on se trouve alors confronté
au problème symétrique d'une identité permanente entre quantités de marché d'équilibre
et de déséquilibre. En fait, les deux cas se confondent : l'équation q^-pi = Çi(t)-Pi(t), Vj,
t transforme une identité permanente des deux types de prix en identité permanente des
deux types de quantités (et vice versa).
(19) Cf. sur ce point notre contribution, Note sur le changement des méthodes de
production, LA, cnrs, n° 301, Nice, juin 1979, à paraître.
(20) On rejoint ainsi les problèmes posés par l'élaboration des nombres-indices; à
ce propos, cf. P. Chanier, L'inexistence des indices dans le cas général et ses conséquences
pour la théorie de l'équilibre, Economie appliquée, t. XXX, 1977, n° 1.
(21) Sur ce point, cf. G. Benetti et J. Cartelier, Prix de production et étalon, in
G. Benetti, C. Berthomieu et J. Cartelier, Economie classique, économie vulgaire. Essais
critiques, Grenoble, pug Maspero, 1975.
Prix courants et prix naturels 59

profit sectoriels différenciés pour mesurer l'écart par rapport à la


situation « naturelle ». Deux éventualités sont a priori concevables.
La première consiste à privilégier le taux de profit naturel uniforme r*
associé aux prix pi. M. Egidi écarte d'emblée cette solution jadis
retenue par D. Ricardo. Il n'existe en effet aucune raison de suivre,
sur ce point, l'auteur des Principes, r* est d'abord une grandeur
déterminée antérieurement au marché et indépendante de lui; on conçoit
mal, dans ces conditions, qu'elle puisse lui être appliquée sans
précaution. En second lieu, les acteurs du processus concurrentiel ne
sont pas censés connaître un tel taux et, moins encore, l'utiliser
comme norme de référence. Enfin et surtout, le choix de r* ne serait
pas arbitraire mais téléologique puisqu'il faudrait avoir la
connaissance préalable de la solution du problème pour pouvoir penser
ensuite le processus de convergence vers cette solution. On
retrouverait alors une caractéristique remarquable de la théorie walrasienne
du tâtonnement mise en évidence par W. Jaffe en 1967 (22) : pour que
le théorème des répartitions équivalentes puisse s'appliquer dans la
construction de l'auteur des Eléments, il faut supposer, avant le
tâtonnement, la connaissance des prix d'équilibre et utiliser ainsi ces prix
pour calculer à tout moment la valeur des dotations qui doit rester
constante. On comprend mieux alors la position de M. Egidi qui
rejette la possibilité de choisir r* comme norme de référence et lui
préfère celle de RM (23). En particulier, ce dernier taux est facilement
calculable par les producteurs (sur la base des taux de profit
différenciés ri , de la technologie A et des prix pi dont il dépend) .
Une quatrième hypothèse de M. Egidi permet de caractériser
l'évolution des prix et des niveaux d'activité dans le processus
concurrentiel. Elle se traduit par la formulation des relations (I) et (II).
Elle consiste à supposer que, lorsque le taux de profit d'un secteur ri
est supérieur (ou inférieur) au temps t au taux moyen RM, le niveau
de production s'accroîtra (ou diminuera) en t + 1 et le prix du
bien p{ s'abaissera (ou s'élèvera) en t + 1 : on retrouve ici, au taux
de profit moyen près, un schéma d'évolution des prix et des
quantités analogue à celui d'A. Smith. Aucune hypothèse particulière
n'est effectuée quant au comportement individuel des producteurs
ou des consommateurs. Les seconds sont entièrement absents,
conformément à l'exclusion de tout rôle explicite de la demande dans le
modèle. Quant aux premiers, ils n'apparaissent pas en tant qu'agents
individuels. Les modifications des quantités produites et des « prix

(22) Cf. W. Jaffe, Walras' theory of tâtonnement : a critique of recent interpretation,


Journal of Political Economy, 1967.
(23) La longueur relative de notre discussion du choix de r* se justifie par la place
qu'occupe ce taux dans les interprétations de la gravitation proposées par J. Gartelier
et, surtout, par C. Benetti.
60 Richard Arena

de marché » sont saisies au niveau des secteurs et sont indépendantes


de la composition et de la structure productive des différentes
branches : on reconnaît là le rôle central joué par la notion de secteur
dans la théorie classique (24).
Une cinquième hypothèse devrait être mentionnée. Elle concerne
la procédure d'enchaînement temporel des « prix de marché ». Son
élaboration est toutefois liée à la question des conditions
mathématiques de la convergence et nous l'envisagerons donc à l'occasion
de l'examen de ce problème.

1.3. Les conditions mathématiques de la convergence des « prix


de marché » vers les prix naturels sont essentiellement liées chez
M. Egidi au passage des équations :

où F est une fonction de r{ et de RM telle que :


F(l + r,(t)/l + RM(0) > 1 pour r,(t) > RM(*)
F(l + r4(0/l + RM(0) < 1 Pour rt(t) < RM(0
F(l + r4(*)/l + Rm(0) = 1 Pour rt(t) = RM(*)

et P,{t + 1) = A(

où G est une fonction de r4 et RM telle que :


G(l + RM(0/l + rf(0) < 1 pour rt(t) > RM(*)
G(l + RM(0/l + rt(t)) > 1 pour rt(t) < RM(t)
G(l + RM(O/1 + r4(0) == 1 pour u{t) = RM(0 («)

aux équations (I) et (II).


La démonstration de notre auteur suppose d'abord l'écriture d'un
développement limité de F et de G. Après avoir posé X = 1+^/1+ Rm
et Y = 1 -{- Rm/1 H~ r%-> M- Egidi recourt alors aux formulations
suivantes :
F(X) =F(1) +(X — l)F(l)

et G(Y)=G(1) + (Y-1) G'(l)


(Y
+

(24) Cf. notre contribution : Note sur la conception classique..., op. cit.
(25) Cf. M. Egidï, op. cit., p. 25.
(26) Ibid., pp. 25-26.
Prix courants et prix naturels 61

qu'il réduit ensuite à :


F(X) =F(1) + (X-1)F'(1) (VI)
et G(Y) = G(l) + (Y — 1) G'(l) (27).

L'auteur n'étudie pas la validité de ces transformations mais il


est aisé de l'établir. Les relations (V) sont en effet des séries de Taylor
dont l'une des formules générales est :

/(X) —f(x) -f j— (X — x) + • • •

Or, les conditions de la validité d'une telle formule et de sa


réduction aux deux premiers membres comme en (VI) sont remplies
f(x)(X
i n)n
n)
si et seulement si le reste de la série, i.e. ; tend
ni
vers 0 quand n croît indéfiniment. C'est bien le cas ici puisque
(X \)n (Y ■ l)n
Fln)(l) ou ni — G(M)(1)
r—
F(l) v ' tendent vers 0, d'autant plus
r
62 Richard Arena

Lorsque l'écart entre r^t) et RM se réduit au sein du processus


de convergence, l'expression du deuxième membre tend vers :
2, aijPj(l + RM)(1 _ p) + S, «y^(l + RM) p.
La relation (VII) se transforme alors en :

qui est la série convergente correspondant au cas a = (3 == 1. La


même analyse peut être reconduite à propos de a pour les quantités,
à quelques nuances près.
Il n'existe donc pas de limitations majeures au sujet de la forme
des fonctions F et G. Dans le cas général, si a et fi se compensent de
sorte que V i, t, A(0-<7i(0 =/>i.<7i, la convergence est assurée.
A ce stade de notre commentaire, il nous faut signaler une
différence essentielle entre l'article de M. Egidi que nous venons d'aborder
et les travaux de C. Benetti et J. Cartelier qui retiendront notre
attention dans les paragraphes suivants. La contribution de M. Egidi
se présente comme une tentative de reformulation et de résolution
moderne de la question de l'articulation prix naturel - prix de marché.
Les contributions de C. Benetti et J. Cartelier doivent en revanche
être considérées comme critiques. Elles ont pour objet principal de
mettre en évidence les limites de la question et non d'y apporter
une réponse satisfaisante.

2.1. A l'inverse de celle de M. Egidi, la représentation de la


concurrence classique proposée par C. Benetti accorde un rôle
essentiel à la notion de marché. En particulier, elle met en scène
la notion smithienne de demande effective. Ceci ne signifie pas pour
autant que la valeur de cette demande puisse différer, chez notre
auteur, de celle de l'offre. Cette éventualité est exclue par le fait
que l'offre et la demande envisagées dans l'échange sont toujours
supposées réalisées. En revanche, la confrontation sur le marché entre
la demande effective Q exprimée en numéraire et la quantité
apportée de ce même bien Qj fait naître un écart entre le prix
courant unitaire du bien/>f et son prix naturel pf , qui est à l'origine
du processus de concurrence. Le marché est présent pendant toute
la durée de ce processus. En particulier, les Q]f ne sont pas des
quantités produites disponibles mais des quantités offertes et échangées.
L'objet de l'analyse n'est donc plus, comme chez M. Egidi, la
description de l'évolution d'une structure de production vers une autre;
il est celle du processus d'adéquation entre une quantité échangée
et un véritable prix de marché, d'une part, et une quantité produite
et un prix antérieur aux transactions, d'autre part.
Le problème de la nature du processus concurrentiel est envisagé
explicitement par C. Benetti. Pour l'auteur, les grandeurs Pf et QW
Prix courants et prix naturels 63

sont en effet des grandeurs effectives. Les échanges entre Q et Vf .QJ


ont réellement lieu; ils ne sont pas virtuels. On pourrait alors
s'interroger sur la possibilité de convergence du processus décrit. En effet,
si une quantité de biens supérieure ou inférieure à la quantité
naturelle produite fait effectivement l'objet de transactions sur le marché,
tout laisse à penser que le déroulement des échanges aura une influence
sur les modalités de la reproduction, i.e. sur le niveau des quantités
produites à la période suivante. Dès lors, les grandeurs naturelles Q^
(la quantité naturelle du bien i) et Vf connaîtront une variation
et la convergence deviendra inintelligible (31). L'auteur exclut
toutefois cette possibilité en supposant que la même demande effective Qi
réapparaît au début de chaque période de marché. Or, si le marché
est une phase de la reproduction, i.e. celle des reprises, la constance
temporelle de Ci ne peut résulter que d'une invariance de la quantité
produite QJ. Cette hypothèse équivaut à supposer que le
déroulement des échanges n'a aucune incidence sur la grandeur de Qf
en t -\- 1. La seule grandeur influencée sera Q^(t +1). Cette
présentation du problème, qui nous semble nécessaire à l'établissement
de la thèse de la convergence, appelle toutefois deux remarques.
En premier lieu, on peut s'interroger sur l'effectivité des
transactions intervenant sur la base de QJ et de Vf. Ces échanges
supposent qu'à chaque étape la même demande effective, les mêmes
quantités produites et, par conséquent, le même prix naturel (on
serait tenté d'écrire les « mêmes solutions d'équilibre ») sont reconduits.
Les transactions n'ont donc aucune influence sur les dotations
initiales des secteurs en biens produits. Si on admet la validité de
l'égalité nécessaire posée par C. Benetti :
Pf.fflf = Q?.P? (32) (Vin)

i.e. si on suppose que les grandeurs de marché sont effectives, ces


transactions ne peuvent affecter la solution d'équilibre prédéterminée
autour de laquelle on définit la gravitation. Cette représentation du
marché n'évoque donc pas, comme celle de M. Egidi, les théories
du tâtonnement dans lesquelles les échanges ne peuvent avoir lieu
hors de l'équilibre. Elle ferait plutôt songer, dans un contexte certes
très différent, à la représentation d'un processus de non-tâtonnement
dans laquelle on admettrait la validité du théorème walrasien des
répartitions équivalentes.
En second lieu, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur
la nature de l'articulation entre le fonctionnement des mécanismes
concurrentiels et le processus de reproduction lié aux grandeurs
naturelles. Quel est le statut de ces grandeurs sur lesquelles le marché

(31) Cf. notre Note sur la conception classique..., op. cit.


(32) Cf. C. Benetti, Smith..., op. cit., p. 88.
64 Richard Arena

n'a pas de prise? Dans quel espace temporel, logique ou réel, a lieu
la reproduction décrite par les systèmes de prix de production si
la convergence est un processus effectif? La réponse à ces questions
nous conduit à un véritable dilemme théorique. Ou bien on admet
qu'un processus effectif de reproduction élargie de quantités a lieu
et implique la succession de vecteurs différents de prix naturels
correspondant aux diverses périodes de reproduction; la variation des
quantités interdit alors d'envisager la réalité des mécanismes
concurrentiels décrits. Ou bien la gravitation est réalisée et la reproduction
devient alors virtuelle, simple ou inexistante dans le cas où les
grandeurs naturelles se maintiennent sans modification ad vitam aeternam.
La solution la plus satisfaisante semble être de considérer les
mécanismes de la concurrence comme des mécanismes imaginaires et de
faire de la reproduction un processus effectif. Mais il est alors possible
d'envisager un écart entre une « demande effective » et une offre
virtuelle. Si QJ.Pf diffère de Q*f.Pf , le prix de marché (dès lors
imaginaire) ne peut plus être déterminé selon la procédure décrite
par C. Benetti. Bien plus, la réduction des écarts virtuels entre Q^.Pf
et Q^.Pf nécessite la variation de QJ ou de Pf . En effet, rien
ne justifie plus la constance de QJ et de Pf puisque aucune des
quatre grandeurs n'est réalisée (33). Dès lors, le processus de
convergence devient impossible. Pour fortes qu'elles soient, les conditions
d'invariance des grandeurs naturelles et d'effectivité des mécanismes
de concurrence constituent donc la voie d'accès obligatoire à la
convergence au sein de la construction proposée par G. Benetti.
La notion de prix de marché introduite par notre auteur présente
des points communs avec celle que nous avons examinée chez M. Egidi.
D'une part, la grandeur du prix courant doit être soumise à l'égalité :
QJ.P? = Q^(t).?f{t), Vi, t. D'autre part, elle est toujours
associée à un taux de profit différencié r^t). En revanche, à l'inverse
de ce qu'il est chez M. Egidi, le concept de prix courant relève
incontestablement chez G. Benetti d'une problématique de l'échange.
Le prix courant naît en effet sur le marché, à la suite de la
confrontation de la demande effective et de l'offre. Il ne peut toutefois être
assimilé à un « prix d'équilibre » analogue à celui que L. Walras
définit dans ses Eléments d'économie pure : l'existence de fonctions
d'offre et de demande est logiquement inutile à la formulation du
problème classique de l'articulation prix naturel - prix courant (34).

2.2. La possibilité théorique de la gravitation est due chez


C. Benetti comme chez M. Egidi à l'existence d'un certain nombre de

(33) II faudrait là encore imposer un « théorème » analogue à celui, walrasien, des


répartitions équivalentes qui serait parfaitement arbitraire.
(34) Cf. C. Benetti, Smith..., op. cit., pp. 93-94.
Prix courants et prix naturels 65

conditions déjà en partie évoquées et qu'il nous faut maintenant recenser.


La première d'entre elles est celle de la stabilité de la part en
valeur des différents secteurs dans la production locale et de son
égalité à la part naturelle pendant le processus de convergence.
Nous avons pu certes constater qu'elle revêtait une signification
profondément différente de celle que M. Egidi lui attribuait. Elle
reste toutefois formellement identique à la condition de constance
formulée par cet auteur, présente le même caractère restrictif et
s'avère tout aussi nécessaire. La procédure de choix du numéraire
présente, en revanche, une différence essentielle. La condition de
M. Egidi n'est pas en effet strictement identique à l'équation
correspondante de C. Benetti qui s'écrit :
v,, slPf.Qî = sl«(C0-C»(0 = i
ou vM, Pf.QÎ = if(0.<»(0 = i.
En effet, pour le second de ces auteurs, « la fonction de
numéraire est attribuée à la valeur (brute) produite par une industrie
ou (souligné par nous, R. A.) au produit national (brut) (35). En
outre, on notera que QJ ne coïncide pas avec q{ puisque la première
de ces deux quantités est quelconque et que la seconde est un
multiplicateur associé à la construction de la marchandise étalon. Enfin,
chez G. Benetti, les QJ ou les Ç^it) ne sont pas des quantités
relatives mais des quantités absolues. La double normalisation
implicitement nécessaire chez M. Egidi n'a pas ici de signification. Les
objections qu'elle impliquait ne portent donc pas sur celle qu'opère
G. Benetti (36). En revanche, le choix d'un numéraire commun reste
une procédure arbitraire pour les raisons que nous avons déjà
soulignées. La deuxième hypothèse de G. Benetti est le choix du taux
de profit naturel comme taux de référence. Si ce choix s'avère fort
utile pour démontrer, dans un certain nombre de cas, la convergence
des prix de marché vers les prix naturels, il se heurte toutefois aux
objections que nous avons déjà évoquées dans notre § 1.2 à la suite
des remarques formulées par M. Egidi. G. Benetti souligne d'ailleurs
lui-même le caractère très restrictif d'un tel choix. S'il suppose en
effet, au début du chapitre 5 de son ouvrage, que le prix naturel
est une « norme » et que, « en tant que tel, (il est) absent du
marché » (37) il note, à la fin du même chapitre que, dans la conception
du marché classique reformulée, les individus « devraient non
seulement connaître les variables naturelles mais encore s'y conformer
totalement et en permanence » (38).

(35) G. Benetti, Smith..., op. cit., p. 88.


(36) G. Benetti exclut d'emblée « la mesure des prix en termes d'un prix unitaire »
(p. 88, n. 1) pour des raisons identiques à celles que nous évoquions dans la section 1.
(37) G. Benetti, Smith..., op. cit., p. 88.
(38) Ibid., p. 96.
66 Richard Arena

Une troisième hypothèse permet de préciser les formes des


évolutions des prix et des quantités. L'hyperbole équilatère qui figure
les différents points de demande effective contraints par ces relations
pourrait a priori laisser croire à une courbe de demande de type
néo-classique par agrégation de comportements individuels
implicites (39). G. Benetti montre l'impossibilité d'une telle interprétation.
D'une part, en effet, les grandeurs économiques qui interviennent
dans le processus de concurrence ne sont jamais virtuelles, à l'instar
de celles qui s'inscrivent sur les courbes des fonctions traditionnelles
d'offre et de demande. D'autre part, l'offre et la demande ne sont
pas ici des forces symétriques et indépendantes; elles sont toujours
numériquement confondues. Aucune hypothèse subjectiviste de
comportement n'est donc supposée, conformément à la problématique
ricardo-smithienne. On notera enfin que la représentation de la
concurrence proposée par G. Benetti n'implique pas, à proprement
parler, la formulation d'une hypothèse de mobilité des capitaux. Un
écart initial constaté entre quantité naturelle et quantité apportée
au marché ne donne pas en effet explicitement lieu à un transfert
des ressources des secteurs où les taux de profits sont les plus bas vers
ceux où ils sont les plus hauts (40). Nous avons vu en effet que les
quantités de marchandises produites et utilisées dans la production
ne variaient pas durant le processus de gravitation puisque QJ et Pf
restaient inchangées.
Cette hypothèse paraît exclure celle d'une mobilité intersectorielle
des intrants. Il faut donc supposer que seuls varient les niveaux des
quantités de biens offerts, indépendamment des procès qui leur ont
donné naissance (41). Cette interprétation, qui repose implicitement
le problème de l'articulation marché-reproduction déjà évoqué,
présente toutefois le mérite essentiel de ne pas supposer la formulation
préalable de l'hypothèse irréaliste de mobilité parfaite des facteurs
de production (42).

3.1. L'article récent de J. Gartelier reprend lui aussi la question


classique de la convergence des prix de marché vers les prix naturels.
L'introduction dans l'analyse de la notion de « capital financier »
aboutit toutefois à une reformulation substantielle du problème (43).

(39) Cf. C. Benetti, op. cit., pp. 104-107.


(40) C. Benetti paraît toutefois admettre la possibilité de mécanismes fondés sur de
tels transferts dans le deuxième paragraphe de la page 89 de son ouvrage.
(41) Cette éventualité ne semble cependant envisageable qu'au sein d'un processus
virtuel de convergence.
(42) Cette interprétation n'exclut pas l'interdépendance technique des biens soumis
à la concurrence; sur ce point, cf. C. Benetti, Smith..., op. cit., p. 103.
(*3) Nous limiterons le commentaire de cette reformulation à la partie III de l'article
puisque son objet est précisément d'établir la thèse de la convergence.
Prix courants et prix naturels 67

La formation des prix de marché décrite par l'auteur est en effet


très différente de celle que propose G. Benetti dans son interprétation
de Smith. Le prix résulte d'une procédure d'enrichissement du
montant de capital financier obtenu par capitalisation d'un revenu. Cette
procédure semble a priori unique puisque le premier vecteur des prix
de l'économie est affiché au hasard et que la détermination des
suivants est conforme aux règles décrites. La procédure évoquée pose
toutefois un certain nombre de problèmes et s'inscrit dans une
représentation très particulière du marché.
On peut, en premier lieu, s'interroger sur la nature des prix
affichés au début du processus. Si l'on se réfère au texte de J. Car-
telier, il semble que le hasard soit le seul facteur de fixation de ces
rapports d'échange. Cette impression ne peut toutefois que s'avérer
fausse. Comme le note en effet l'auteur, l'expression des prix de
marché en marchandise homothétique nous oblige à supposer qu'il
existe un marché au moins et (n — 1 ) au plus sur lesquels la quantité
offerte à la vente et achetée O{ du bien / (i = 1, 2, . . ., n) est
supérieure à sa quantité produite égale à 1. Dès lors, en raison de
l'hypothèse Op = Ip* assimilée par l'auteur à la version ricardienne de
la loi de Say (dans laquelle O figure la matrice diagonale des
grandeurs Oi} p le vecteur des prix de marché pi , I la matrice diagonale
unitaire des quantités produites et p* le vecteur des prix naturels/^),
les prix de marché seront inférieurs aux prix naturels sur un marché
au moins et {n — 1) au plus. Ce fait empêche un affichage des prix
au hasard. En particulier, les cas où les producteurs choisissent tous
des prix courants supérieurs aux prix naturels (ou des prix courants
inférieurs aux prix naturels) sont impossibles (u). Comment pourtant
s'assurer de l'exclusion logique de ces cas? Trois solutions semblent
a priori possibles. La première consiste à supposer que les producteurs
peuvent se concerter pour aboutir à cette exclusion. Il faut toutefois
qu'ils connaissent les prix naturels avant le marché pour savoir si
les prix sur lesquels ils s'entendront leur seront inférieurs ou
supérieurs. Cette éventualité est contradictoire avec l'approche de J. Car-
telier dans laquelle les capitalistes ne connaissent évidemment pas
les prix naturels avant le marché (45) . La seconde nécessite de recourir
à un « dictateur » qui imposerait l'exclusion des cas logiquement
impossibles aux agents. On admettrait ainsi l'existence du « génie
supérieur » dont Ricardo parle à Malthus et, par là même, on
renoncerait à décrire une économie de marché décentralisée. Une dernière

(44) Le choix d'un numéraire autre que la marchandise homothétique ne modifie


pas cette conclusion comme le montre J. Cartelier lorsqu'il choisit le taux de profit moyen
comme référence du processus de convergence.
(*6) S'ils connaissaient leur niveau et la convergence des prix de marché vers les prix
naturels, ils s'empresseraient de les choisir avant le marché...
68 Richard Arena

possibilité consiste à accepter l'idée que la situation naturelle (à


travers la loi de Say et l'expression des prix en termes de la
marchandise homothétique) s'impose structurellement aux
comportements des agents en les contraignant à respecter l'exclusion des cas
non souhaités. Il faut alors renoncer à écrire que, comme chez
A. Smith, « le point de départ de la description du marché n'est
pas la situation naturelle » (46) . Si le premier vecteur des prix affichés
est un vecteur de prix de marché, il ne résulte pas pour autant de
la « libre » confrontation entre l'offre et la demande comme chez
A. Smith où, en quelque sorte, le marché conduit les individus à
une situation naturelle inconnue d'eux (47). Chez D. Ricardo, il est
la conséquence de la contrainte qu'exerce la production naturelle
sur les échanges entre quantités de marchandises.
En second lieu, il nous faut examiner la nature des rapports
d'échange qui succéderont aux prix affichés. Le vecteur/»0 des prix/>°
(pi symbolisant le prix de marché du bien i à la période t) sera en
effet utilisé pour évaluer un revenu capitalisable (I — A) p° ou, en


raison de l'équation (8) de l'article de J. Gartelier, p* — Ap° (48).
On notera, ce faisant, que, en raison de la loi de Say, les matrices
des quantités qui jouent un rôle essentiel dans l'établissement de la
grandeur de ce revenu sont celles qui ont permis la détermination
des prix naturels. Cette première constatation indique que nous avons
déjà changé de représentation. La divergence que décrit l'existence
du capital financier ne porte que sur des grandeurs de prix. Elle
ne concerne pas les quantités produites et utilisées dans la production.
Elle ne se réfère qu'implicitement à des écarts entre quantités
produites et quantités vendues puisqu'on peut toujours remplacer Op
par l.p*.
La première étape du processus de la formation des prix consiste
à capitaliser le revenu p* — Ap°. On peut utiliser indifféremment le
taux de profit naturel r* ou le taux de profit moyen et les interpréter
comme des taux d'intérêt de référence. Le choix de r* pose
r*
évidemment problème. On notera d'abord que est, au moins, un taux
de rendement physique exprimant la difficulté unique de production
de l'économie (49) et, au plus, le taux de profit uniforme d'un système

(46) Cf. J. Cartelier, Marchandise homothétique, capital financier et loi de Say,


op. cit., p. 45.
(47) Cette proposition serait encore plus évidente si les « prix naturels » smithiens
n'étaient pas des prix de production au sens de Bortkiewiecz-Sraffa comme dans
l'interprétation de l'ouvrage de C. Benetti mais des prix d'approvisionnement (cf. A. Smith,
Lectures on jurisprudence, Oxford at the Clarendon Press, 1978, pp. 353-362 et 494-499).
(48) A est la matrice carrée, non négative et indécomposable des quantités unitaires
de marchandises utilisées dans la production.
(49) Sur ce point, cf. C. Benetti et J. Cartelier, Théorie ricardienne de la
marchandise et mesure invariable des valeurs, in Marx et l'économie politique (collectif), pug Mas-
pero, 1976.
Prix courants et prix naturels 69

de prix de production; il n'est jamais, en tout cas, un taux d'intérêt.


On pourrait alors penser que le niveau du taux d'intérêt de référence
est précisément le même que celui du taux de rendement (ou de
profit) du système productif. Préalablement, il faudrait alors pouvoir
démontrer cette assertion dans un cadre théorique compatible avec
celui de l'approche classique. Une deuxième solution consisterait à
faire appel à une caractéristique du capital financier, essentielle pour
J. Cartelier, i.e. « la proportionnalité de l'enrichissement et de sa
source » (50). Elle ne peut cependant être retenue puisque cette
proportionnalité ne suffit pas à consacrer un taux particulier tel que r*.
Enfin, l'argument selon lequel « la propriété ne peut être définie
qu'au niveau des branches » (51) ne nous paraît pas plus convaincant.
D'une part, les moyens de production ne sont pas, pour nous, les
lignes de la matrice A mais des quantités d'éléments d'une
nomenclature à laquelle on associe une difficulté de production unique.
D'autre part et par voie de conséquence, la propriété peut ne pas
être définie aux niveaux des branches. Les propriétaires ont
effectivement un « statut indéterminé » et la résolution de cette
indétermination ne peut être qu'extérieure à la théorie traditionnelle des
prix de production. Le choix du taux de profit moyen est certes
préférable puisque, à l'inverse du taux naturel, il est calculable et
donc connaissable par les producteurs. Néanmoins, les arguments
formulés à l'encontre du choix de r* peuvent, à notre sens, être
reconduits, moyennant quelques modifications : le taux moyen est
en effet un taux de profit calculé sur la base de prix de marché et
ne paraît donc pas pouvoir être assimilé à un taux d'intérêt.
Si nous admettons toutefois l'hypothèse du choix des taux moyen
et naturel comme taux de capitalisation, nous obtenons à l'étape
suivante la valeur du capital financier au temps o notée k° à partir
de l'équation matricielle :

ou

(où r est le taux de profit moyen de l'économie). Celle-ci est ensuite


affectée du multiplicateur (1 + O ou (1 + r), ce qui revient à
étendre au capital financier une forme de valorisation du capital
généralement réservée au cas du capital productif où elle est
intelligible. En particulier, l'argument d'une correspondance parfaite
entre la structure physique et la structure de propriété ne nous
paraît pas suffisant pour les raisons que nous avons déjà évoquées.
Si nous acceptons toutefois l'utilisation du multiplicateur (1 -f- r*)
ou (1 + r), la détermination du vecteur des prix de marché p1 de

(50) Cf. J. Cartelier, Marchandise homothétique, loi de Say..., op. cit.


(51) Ibid.
70 Richard Arena

la période 1 est alors possible dans l'approche de J. Cartelier.


La simple récapitulation des hypothèses nécessaires à son
obtention suffit toutefois à nous interdire d'interpréter p1 comme un
vecteur de prix de marché, p1 a une nature hybride puisqu'il consiste
à appliquer à une masse de capital financier (dont la grandeur a été
obtenue par capitalisation) une valorisation du même type que celle
d'un procès de production. Cette double détermination ne fait pas en
tout cas référence au marché. En particulier, la présence implicite d'un
marché financier traditionnel est exclue par le donné du taux r* ou r et
l'absence des notions d'offre et de demande de capital dans l'analyse.
Une dernière interrogation doit être enfin formulée. Elle porte
sur l'effectivité du processus de convergence décrit par J. Cartelier
et est relative à la nature de la relation qui existe entre les quantités
produites et les quantités vendues. Si on admet en effet avec l'auteur
que, chez D. Ricardo, « on ne voit pas comment (les quantités
apportées au marché) pourraient être différentes des quantités produites
qui sont fixes » (52), il faut en déduire que les agents ne peuvent
vendre plus que ce qu'ils ont produit. C'est ce que l'auteur confirme
lorsqu'il interprète cette situation de sous-production comme
donnant lieu à des carnets de commande. Dans ce cas, que vont devenir
ces carnets constitués au temps o à la période 1 ? Si le processus
décrit n'est pas effectif, i.e. si ces carnets correspondent seulement
à des « bons » ou à des « vœux », les quantités vendues sont en fait
imaginaires et les transactions n'auront lieu qu'à l'issue du processus
de convergence. L'équilibre sera alors atteint et l'égalité entre
quantités produites et demandées fera disparaître les carnets de commande.
Le cas de la surproduction, i.e. de l'existence d'invendus, peut être
envisagé de la même façon. En revanche, si le processus de
convergence est réel, on se trouve confronté à de délicats problèmes
d'interprétation. On peut d'abord supposer que la production de I n'a
lieu qu'à la période o et que, dans cette période et celles qui lui
succèdent, on échange effectivement et progressivement ce seul stock
de production. On comprend mal alors pourquoi à chaque période 1,
2, . . ., t, les producteurs devraient récupérer l'équivalent de p*. En
effet, si au temps o, les producteurs ont rédigé des carnets de commandes
c'est qu'ils ont vendu l'ensemble des quantités qu'ils avaient
produites. A la période 1, ils n'auront alors plus rien à proposer sur
le marché puisque, dans cette première hypothèse, on leur interdit
une nouvelle production; ils ne pourront donc récupérer p*. Dans
le cas d'invendus au temps o, les transactions ne pourront porter
que sur ces invendus puisque le reste de la production aura été
écoulé; on voit difficilement pourquoi les producteurs
p*
récupéreraient : ils n'ont plus que E = (I — D) (où D représente la

(62) J. Cartelier, Marchandise homothétique..., op. cit., p. 43.


Prix courants et prix naturels 71

matrice diagonale des quantités vendues à la période o et E celle


des quantités invendues) et, aux prix naturels, on a toujours
évidemment E.p* < I.p*. Si, dans les deux cas envisagés, les agents
ne peuvent récupérer p*, la loi de Say est alors invalidée et le
processus ne converge plus. Il faut alors envisager la deuxième solution,
i.e. la reproduction à chaque début de période de convergence de
la quantité I. Certains problèmes vont alors disparaître mais d'autres
subsistent. En effet, dans le cas d'invendus au temps a, l'hypothèse
d'accumulation des invendus à coût nul effectuée par J. Cartelier
nous laisse supposer que les producteurs disposeront au temps 1 des
quantités I -f- E. En revanche, dans le cas de carnets de commandes
garnis au temps o, si la matrice diagonale des quantités obtenues
par comptabilisation de ces carnets est F, on est autorisé à penser
que les agents devront en priorité, au temps 1, satisfaire la demande F
et ne disposeront donc en fait que des quantités I — F pour la période
courante. Dans les deux situations, on ne comprend toujours pas
pourquoi les entrepreneurs devraient récupérer p* à la situation
naturelle. Ils devraient en fait reprendre, selon le cas, (I -j- E) p* ou
(I — F) p*. L'égalité nécessaire of p* — lp* est alors remise en cause
et la convergence n'est plus assurée. A l'ensemble des remarques
précédentes, il faut ajouter une dernière objection : si, à chaque
période du processus, on reproduit les quantités de la matrice I
et si V t, o{ p1 = Ip*, on doit bien constater que les prix et les
quantités naturels produits de la période t ne sont jamais remis en
cause par la variation des grandeurs de marché de la période (t — 1).
On peut donc réitérer, sur ce dernier point, les remarques que nous
effectuions dans un contexte analogue à propos de la contribution
de G. Benetti (53). On notera que la procédure de capitalisation et
de formation des prix n'a aucune incidence sur les dotations initiales
des secteurs en quantités de biens produits et utilisés dans la
production. Elle a lieu au sein d'un processus « quasi virtuel » puisque
p\ I et A sont donnés au départ et ne sauraient se modifier.
En conclusion, une représentation cohérente de la convergence
nécessite donc que les mécanismes concurrentiels décrits par J.
Cartelier soient considérés comme imaginaires. Les raisons tiennent pour
l'essentiel à la question de l'articulation production-marché :
l'hypothèse de l'étanchéité de ces deux sphères d'activité est le tribut qu'il
faut payer à la thèse de la convergence.

3.2. Cette thèse peut être établie dans la construction de J.


Cartelier si on suppose la validité des deux hypothèses suivantes. La

(53) A contrario, l'ensemble des remarques que nous venons de faire et qui concernent
le problème de réflectivité du processus de convergence semblent applicables à
l'interprétation de C. Benetti, moyennant quelques modifications mineures.
72 Richard Arena

première est celle de la loi des débouchés. Cette loi doit prévaloir
à toutes les étapes du processus. Il faut donc supposer, comme dans
les approches de G. Benetti et M. Egidi, la stabilité de l'égalité de
la part de la valeur « de marché » des différents secteurs dans la
production globale et de leur part « naturelle » pendant toute la
durée du processus. Un numéraire commun arbitraire doit en outre
être retenu. L'originalité de la position de J. Gartelier consiste ici
dans le choix de la marchandise étalon associée aux prix naturels (M) ;
l'importance de ce choix pour le processus de convergence est
soulignée dans l'annexe de l'article. Nous n'insisterons pas ici sur les
aspects restrictifs du choix d'un numéraire commun; nous avons
déjà eu l'occasion de les souligner.

Au-delà de leurs différences, les analyses de G. Benetti, J.


Gartelier et M. Egidi permettent au lecteur de recenser les hypothèses
nécessaires à l'établissement de la thèse classique « réinterprétée »
de la convergence des prix de marché vers les prix naturels. Ces
hypothèses portent sur la nature des instruments conceptuels utilisés
et sur les conditions théoriques qui assurent cette thèse. La similitude
que certaines d'entre elles entretiennent avec celles de la théorie de
l'équilibre général concurrentiel conduit à s'interroger sur
l'originalité de la théorie classique « réinterprétée ».
En ce qui concerne la nature des instruments conceptuels utilisés,
les contributions étudiées se distinguent clairement des approches
menées en termes d'équilibre général. Les représentations du marché,
les statuts du prix courant et l'absence d'hypothèses subjectivistes
de comportements qui les caractérisent en ont témoigné tout au long
de notre étude. Pour ce qui est des conditions théoriques de la
convergence, la comparaison des deux types d'analyse est plus complexe.
En ce qui concerne Peffectivité du processus concurrentiel, les
approches de J. Cartelier et de M. Egidi supposent, à l'instar des
théories walrasienne et néo-walrasienne du tâtonnement, des
mécanismes virtuels et excluent, à notre sens, la possibilité de transactions
effectives à des prix différents des prix naturels. On pourrait étendre
cette remarque à la contribution de C. Benetti pour des raisons
sensiblement analogues à celles que nous avons exposées à la fin
du § 3 . 1 à propos de l'article de J. Gartelier. Il semble toutefois
qu'une telle conclusion remette en cause l'interprétation des
grandeurs de marché comme grandeurs effectives et, partant, la
justification de la nécessaire égalité de la demande effective et de la valeur
des quantités apportées au marché (55).

(54) En fait, le recours possible au taux de profit moyen limite cette originalité puisqu'il
suppose l'expression des prix dans un numéraire différent de la marchandise homothétique.
(55) II faut alors supposer que cette égalité est une pure et simple hypothèse.
Prix courants et prix naturels 73

Dans les trois contributions envisagées, les mécanismes de


convergence sont soumis à la stabilité obligatoire de l'égalité de la valeur
des quantités sectorielles de déséquilibre (virtuellement produites
pour M. Egidi, apportées au marché pour G. Benetti, virtuellement
vendues pour J. Cartelier) et de celle des quantités sectorielles
naturelles pendant toute la durée du processus. Cette contrainte est la
traduction directe de l'existence de deux lois, la loi naturelle et la
loi de la formation des prix de marché. Elle semble jouer un rôle
analogue dans les Eléments d'économie pure de L. Walras où elle
apparaît sous la forme du « théorème » des répartitions équivalentes (56).
Elle n'a pas sa place, en revanche, dans les approches néo-walrasiennes
du tâtonnement. En effet, au cours du processus virtuel de
concurrence, les prix criés successivement se modifient et les dotations
physiques des agents restent en revanche identiques. Dès lors, la valeur
de ces dotations change nécessairement et est toujours différente de
la valeur d'équilibre, à l'exception fondamentale, évidemment, de
la dernière étape où apparaissent les prix d'équilibre (57).
L'hypothèse de stabilité de la valeur n'est pas davantage nécessaire dans
les théories du non-tâtonnement. Dans ce cas, en effet, les dotations
physiques et les prix criés varient tous deux pendant le processus.
La valeur des dotations se modifie donc évidemment et est toujours
différente de la valeur d'équilibre correspondant aux dotations
initiales. A l'issue de la dernière étape, les prix obtenus sont en effet
d'équilibre, mais ils diffèrent généralement de ceux qui sont
calculables mathématiquement sur la base de dotations physiques
initiales (58). Ces observations illustrent une différence essentielle entre
les approches néo-classique et classique « réinterprétée » : alors que
la seconde est soumise à deux lois, la première n'obéit qu'à une
seule loi, celle de la formation des prix d'équilibre; elle ne présente
aucune contrainte analogue à celle qu'exerce la situation naturelle
dans la théorie classique « réinterprétée » et semble, de ce point
de vue, moins restrictive que cette dernière.

(56) Sur ce point, cf. W. Jaffe, Walras' theory of tâtonnement : a critique of recent
interpretations, The Journal of Political Economy, vol. 75, n° 1, février 1967.
(57) Sur ce point, cf. K. J. Arrow et L. Hurwicz, On the stability of the competitive
equilibrium, Econometrica, n° 26, 1958; K. J. Arrow, H. D. Block et L. Hurwicz, On
the stability of the competitive equilibrium, II, Econometrica, n° 26, 1959; K. J. Arrow
et F. Hahn, General competitive analysis, San Francisco, Holden Day, 1971, chap. 11 et 12;
T. Negishi, The stability of a competitive economy, a survey article, Econometrica, n° 30,
1962, et H. Uzawa, Walras' tâtonnement in the theory of exchange, Review of Economic
studies, 1959-1960.
(58) Sur ce point, cf. K. J. Arrow et F. Hahn, General competitive analysis, San Francisco,
Holden Day, chap. 13; F. Hahn et T. Negishi, A theorem on non tâtonnement stability,
Econometrica, n° 30, 1962; T. Negishi, The stability of a competitive economy : a survey
article, Econometrica, n° 30, 1962, et T. Negishi, General equilibrium theory and international
trade, Amsterdam, North Holland, 1972, chap. 14.
74 Richard Arena

Le choix arbitraire d'un numéraire commun des systèmes de prix


naturels et de prix courants constitue en revanche une analogie avec
l'approche de l'équilibre général. On reconnaît là en effet une
procédure proche de celle que met en œuvre le commissaire-priseur
walrasien lorsqu'il exprime dans un même numéraire l'ensemble des
systèmes de prix de déséquilibre. C'est ce qu'illustre l'utilisation par
l'arbitragiste d'une équation du type suivant :

A(*+l)=max{0,A(0 + /«(*)}

(où p^t) est le prix du bien i (i = 1, 2, ...,«) à la période t et


f^i) une grandeur du même signe que Zi{p{t) la fonction) de demande
excédentaire du bien i (59).
L'existence d'un seul prix pour chaque bien à tout moment est
également un point de similitude. Cette hypothèse, rarement relevée,
est notamment soulignée par K. Arrow et F. Hahn (60).
Une dernière analogie doit être évoquée. Elle est liée au processus
de calcul et d'évolution des prix. Dans les approches walrasienne
et néo-walrasiennes, on sait que les prix « criés » sont calculés par
une autorité centrale en fonction des offres et des demandes virtuelles
et que les agents ne peuvent que s'y conformer et les « prendre » (61) .
D'une façon similaire, dans la théorie classique « réinterprétée »
l'invariance des grandeurs naturelles pendant tout le processus
s'impose à la formation des prix courants. En outre, les relations
d'évolution des prix et des quantités sont parfaitement indépendantes
de la volonté d' « agents » éventuels (62).
Notre étude des trois contributions fait ainsi apparaître un résultat
extrêmement négatif pour la théorie classique « réinterprétée » de
la concurrence. Au mieux, les hypothèses nécessaires à la
convergence dans cette théorie sont identiques à celles de la théorie de
l'équilibre général concurrentiel. Au pire, elles sont plus restrictives.
Or, comme le remarquent des auteurs tels que K. Arrow, F. Hahn

(59) Cf. H. Uzawa, Walras' tâtonnement..., op. cit., p. 184 à qui nous avons emprunté
la relation; le postulat d'un numéraire commun apparaît à la même page.
(60) Cf. K. J. Arrow et F. Hahn, General competitive analysis, op. cit., p. 322.
(61) On écrit alors que les agents ne sont pas price-makers mais price-takers.
(62) G. Benetti a plus particulièrement mis en lumière et caractérisé cette analogie
(cf. Smith..., op. cit., pp. 95-98). La contradiction soulignée entre la volonté de proposer
une représentation des mécanismes d'échange et de concurrence dans une société où
les agents sont autonomes et la nécessité de postuler, à cet effet, un mode ultra-centralisé
de formation des prix présente le même degré de gravité pour les théories classique et
walrasienne si on leur assigne comme objet cette représentation d'inspiration
microéconomique. En revanche, si on suppose que, dans l'approche classique, les nécessités
structurelles de la reproduction macrosectorielle contraignent les comportements des
« agents », cette dernière analogie ne revêt plus la même signification. Le souci de nos
trois auteurs d'éviter des hypothèses subjectivistes et microéconomiques de comportement
dans leur analyse ne peut se comprendre, à notre sens, que dans cette dernière optique.
Prix courants et prix naturels 75

ou J. M. Grandmont, les conditions de convergence des processus


de tâtonnement et de non-tâtonnement conduisent à la formulation
d'une approche peu apte à rendre compte d'une manière satisfaisante
des mécanismes concurrentiels d'une économie de marché
décentralisée (63) . Devant cet échec relatif de la théorie classique «
réinterprétée », deux voies de recherche sont possibles. A l'image des
travaux examinés dans notre contribution, la première consiste à
admettre la coexistence de deux concepts de prix et de deux lois
au sein d'une représentation unique de l'Economique et à préciser
la nature de leur articulation. De ce point de vue, les travaux
envisagés sont exemplaires tant en raison de leur diversité que de leur
rigueur théorique. La théorie classique « réinterprétée » aboutit alors
à des résultats qui ne semblent pas plus généraux que ceux de la
théorie néo-walrasienne. Une seconde voie consisterait à déduire des
incohérences de la présentation originelle de la gravitation proposée
par A. Smith la nécessité de l'abandon de l'hypothèse de coexistence
de deux lois et de deux concepts de prix au sein d'une même approche
théorique (64). L'idée même de la gravitation devrait donc être
écartée. Il faudrait alors modifier profondément la conception
classique de la concurrence pour qu'elle soit plus conforme à la logique
de la reproduction. Dans cette optique, la réflexion devrait porter
sur trois points essentiels que constituent le statut de la monnaie,
la représentation du marché comme lieu de rencontre entre une offre
et une demande indépendantes et la forme des liaisons entre les
structures macrosectorielles de la reproduction de l'économie et les
comportements intra-sectoriels d'agents redéfinis. Cette seconde voie
de recherche est toutefois plus virtuelle qu'effective en l'état actuel
du débat. De ce point de vue, en paraphrasant K. J. Arrow et F. Hahn,
on peut sans aucun doute écrire qu' « actuellement la justification
principale (de l'article) est qu'il existe des résultats à mettre à l'actif
(de la gravitation) alors qu'il n'en existe pas à mettre à l'actif de
ce que la plupart des économistes considéreraient comme des
constructions plus réalistes » (65).

CNRS, Université de Nice.


LA, n° 301, cnrs, Transformations de l'appareil productif et structuration de l'espace
social.

(63) Cf. J. M. Grandmont, Etudes sur les fondements microéconomiques de la macroéconomie,


cepremap, working-paper, décembre 1977, p. 74, et K. J. Arrow et F. H. Hahn,
General competitive analysis, op. cit., pp. 322-326.
(64) C'est cette voie qu'empruntent deux de nos précédentes contributions : Note
sur la conception classique de la concurrence, op. cit., et Note sulla questione dell'arti-
colazione prezzo naturale prezzo di mercato, Giornale degli Economisti, à paraître.
C6) Cf. K. J. Arrow et F. H. Hahn, General competitive analysis, op. cit., p. 322.

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