Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Guerreau Alain. Isabelle Stengers (éd.), D'une science à l'autre. Des concepts nomades. In: Histoire & Mesure, 1988 volume 3
- n°1. Varia. pp. 146-147;
https://www.persee.fr/doc/hism_0982-1783_1988_num_3_1_1617
146
Les livres
Mais cette perspective fut reprise par Karl Pearson, qui la munit des
outils mathématiques dès lors classiques, le « coefficient de corrélation »
et le « khi-deux ». Pearson, ardent partisan de l'eugénisme, fut un des
principaux promoteurs de la « mesure de l'intelligence », et de la
« mesure de l'hérédité de l'intelligence ». Ainsi, Galton, qui précisa la
définirent-
notion de ilsrégression,
ces notions,
puisqui
Pearson,
nous paraissent
qui établit
à lalesfois
formules
très abstraites
majeures,et
essentielles, dans un contexte précis et pour intervenir dans un débat
spécifique, celui de l'eugénisme. Mais bientôt le mouvement eugéniste
lui-même allait « lâcher » Pearson au profit de Ronald Fisher, qui
élabora la « génétique quantitative », les tests qui portent son nom et la
fameuse « analyse de la variance ». Ces recherches sont tombées dans un
total discrédit alors que les formules figurent dans tous les manuels.
On s'aperçoit ainsi qu'une partie importante des statistiques
classiques est née entre 1880 et 1935 dans le champ de recherche de ce qui
apparaît a posteriori presque comme une « fausse science » ; ce qui
amène M. Veuille à cette conclusion, essentielle pour qui emploie les
statistiques : « créature du scientisme total, de la croyance en une science
qui ne serait que la prise en compte des seuls faits tels qu'ils sont, la
corrélation montre par contraste que ce qu'elle voudrait considérer
comme un corps étranger est un facteur irréductible de la connaissance :
l'ingéniosité humaine, et les projets qu'elle se donne dans la formation
d'une culture scientifique » (p. 66). M. Gutsatz, dans le chapitre suivant
(« loi et causalité ») revient à une question voisine, à partir d'une
réflexion sur l'économétrie et sur les travaux de Yule. Au terme d'une
étude serrée des divagations des économistes sur les notions de cause et
de déterminisme, l'auteur conclut : « les outils statistiques, lorsqu'ils sont
utilisés en sciences sociales, ne sont que des artefacts qui permettent de
mieux apercevoir un champ préalablement défriché par une
conceptualisation » (p. 86).
Le chapitre de P. Lévy sur « le paradigme du calcul » paraît en
revanche bien contestable, car reposant sur une insuffisante connaissance
de la pratique scientifique (p. 111 « comment quantifier le rôle de
l'imaginaire social, par exemple ? » : l'auteur pourrait s'abonner à
Histoire & Mesure !). Les autres chapitres, qui ne touchent pas ou très
peu les mesures et les statistiques ne nous intéressent pas directement ici.
On lira avec intérêt les observations et réflexions sur les notions de
sélection naturelle, d'ordre, d'organisme. Très incertains en revanche les
développements sur « problèmes » et sur « normes ». Malgré beaucoup
de scories, ce livre comporte des pages d'histoire des sciences très
instructives et peut aider à une réflexion de fond sur l'usage des
statistiques dans les sciences sociales.
A. GUERREAU
147