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Gilles Jeannot
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Gilles JEANNOT
1. Trosa (S.), « Payer les fonctionnaires au mérite », Sociétal, no 44, 2e trimestre 2004. Bayser (A. de),
Georgeault (V.), Maréchal (P.), « La rémunération au mérite : mode ou nécessité ? », Les Cahiers du groupe
Bernard Bruhnes, no 13, novembre 2004.
2. Conseil d’État, Rapport public 2003. Perspectives pour la fonction publique, Études et documents du
Conseil d’État, no 54, Paris, La documentation française, 446 p.
3. Les exemples sont plus précisément focalisés sur les cadres « managers », cependant bien des
questions posées concernent tous les fonctionnaires.
Mais derrière ce constat pratique, dont il faudra discuter la pertinence, se révèle une
troisième question, plus fondamentale, sur la possibilité même d’associer ces deux termes :
« gérer » et « carrière ». Parler de gestion des carrières, carrière supposant l’emploi à vie,
c’est aborder la question du déroulement concret des parcours des individus, avec deux
préoccupations : celle d’un accroissement de l’efficacité (les postes doivent être occupés
par les personnes présentant les compétences nécessaires) et celle de l’accomplissement de
parcours enrichissant pour les individus. Cependant il ressort des études rassemblées que,
une telle gestion est souvent problématique : lorsque la carrière est considérée comme un
droit et n’offre pas de prise à la gestion ou lorsqu’elle est mise en cause au profit d’une
fonction publique d’emploi.
La question de la gestion des ressources humaines au sens large a été une nouvelle fois
posée récemment par diverses initiatives. Afin de mieux cerner les différentes propositions
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lesquels il est essentiel que le salaire de base correspondent aux salaires offerts sur le
marché du travail. Les perspectives de carrière et de promotion et l’intérêt du travail exercé
s’avèrent être des facteurs de motivation essentiels alors que les compléments salariaux
apparaissent comme accessoires [...]. En fait l’une des raisons clef du maintien et de
l’extension des politiques de rémunération liée à la performance est leur rôle dans la
facilitation des changements connexes organisationnels ou de gestion ».
La mise en place des « classifications » à La Poste que présente Thierry Crop, et qui
a un équivalent dans la plupart des grandes entreprises publiques, illustre la seconde
évolution (corrélation entre salaire et poste). Cette réforme repose, en effet, sur une
codification des niveaux de complexité des différents postes et, dans un deuxième temps,
associe un niveau de salaire à un poste donné 6. On retrouve là certains principes
fondamentaux des démarches tayloriennes et cela a l’avantage d’introduire un critère
objectif d’évaluation qui ne dépend pas de la personne mais des caractéristiques de son
poste. Une tel principe contraste avec celui de « séparation du grade et de l’emploi » propre
à la fonction publique de l’État 7. Les cadres d’emplois de la fonction publique territoriale,
analysés par Bernard Perrin, ne sont pas une grille de classification des emplois tels qu’ils
ont été développés dans les entreprises publiques ; cependant ils mettent aussi en cause le
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6. Norbert Alter propose une lecture plus critique des réformes de classification des entreprises
publiques : Alter, L’innovation ordinaire, Paris, PUF, 2000, 278 p.
7. Pour les corps dont le champ d’action est très restreint, la différence est moins marquée.
8. C’est l’appréciation qui a été portée dans le cadre d’une synthèse internationale des réformes de la
gestion du personnel incluant à la fois les démarches de type « classification » et de type « compétence » :
Hood (C.), Lodge (M.), « Competency, Bureaucracy and Public Management Reform : a Comparative
Analysis », Governance, vol. 17, no 3, juillet 2004, p. 313-333.
9. Jean Saglio en particulier a montré la progressivité de l’introduction de critères de compétences dans
les grilles de qualifications : Saglio (J.), « Les négocations de branche et l’unité du système français de relations
professionnelles : le cas des négociations de classification », Droit social, no 1, 1987, p. 20-33. La proposition
principe de corrélation du salaire au poste occupé, que comme une nouvelle modalité
indépendante de détermination du salaire.
Si on met ces « nouvelles idées » en regard avec les principes de gestion de la fonction
publique d’État en France, et en particulier le recrutement sur un concours scolaire suivi du
principe de séparation du grade et de l’emploi, la dernière forme évoquée, est celle qui pose
le plus de problème de compatibilité. En effet si, du côté des systèmes fondés sur une grille
de classifications, le besoin a pu être ressenti d’introduire un peu de souplesse dans
l’appréciation des individus, cette souplesse est très grande dans la fonction publique
d’État, c’est d’ailleurs une de ses plus grandes qualités. On peut même avancer l’hypothèse
que, lorsque il y a effectivement différenciation des carrières, celle-ci suit plutôt, sans le
savoir, des principes qui sont ceux de la gestion des compétences 10. La différenciation des
salaires, quant à elle, n’est pas nouvelle. Comme les modulations de primes existent déjà
pour beaucoup de corps supérieurs, la véritable nouveauté serait de lier les modulations de
prime aux résultats. Le modèle le plus exotique est alors peut-être celui des classifications
des postes, même si certains usages de la nouvelle bonification indiciaire 11 vont dans ce
sens. Dans une perspective qui est celle d’une recherche d’équilibre plus que d’une
recherche d’idéal, il semble donc que ce soit en France, du côté d’une plus grande prise en
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de généralisation de tels principes de détermination du salaire a provoqué un des débats les plus vifs dans la
sociologie du travail de ces dernières années, certains y voyant la possibilité d’une reconnaissance de
l’autonomie de l’individu au travail et d’autres une forme encore plus avancée de l’arbitraire patronal. Pour des
points de vue contrastés : Paradeise (C.), Lichtenberger (Y.), « Compétence, Compétences », Sociologie du
travail, no 43, 2001, p. 33-48 et Rozenblatt (P.), Le mirage de la compétence, Paris, Syllepse, 2000, 267 p.
10. Cet argument est développé dans : Jeannot (G.), « Les conditions d’une gestion des compétences des
cadres de l’action publique territoriale », Politiques et management public, volume 23, no 2, juin 2005, p. 1-19.
11. Le nouvelle bonification indiciaire (NBI) a pour résultat une surindiciation de postes de responsa-
bilité.
est globalement qualifiée comme étant « mauvaise » par 37 % des cadres travaillant dans
les entreprises publiques et 36 % des cadres du privé. À l’autre extrémité de l’échelle, on
ne trouve que 17 % des cadres de l’administration pour trouver cette gestion bonne ou très
bonne, contre 31 % dans les entreprises publiques et 32 % dans les entreprises privées » 12.
Il est frappant de noter que « la ligne de démarcation passe entre les entreprises publiques
et privées, d’une part, et les administrations, d’autre part ». L’insatisfaction est encore plus
forte pour les cadres femmes : 6 % dans l’administration et 13 % dans le privé considèrent
que la gestion des carrière est satisfaisante.
Les points de vue rassemblés dans ce numéro permettent de documenter un sujet
rarement abordé frontalement et d’apprécier la réalité d’une gestion différenciée des
carrières, en particulier en évoquant ce qui se joue dans les commissions administratives
paritaires. Ce qui émerge principalement est la variabilité des situations. Il est possible de
citer des situations de gestion différenciée des parcours de carrières. Les exemples
présentés dans la « table ronde » suffisent à invalider la thèse unilatérale d’une pure
application bureaucratique de règles impersonnelles et tout particulièrement du principe
d’ancienneté ainsi que d’une situation de blocage dont gestionnaires du personnel et
syndicats se renvoient la responsabilité 13. La contribution de Céline Wiener montre aussi
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12. Karvar (A.), Rouban (L.), Les cadres au travail, les nouvelles règles du jeu, La découverte 2004,
p. 233 sq.
13. Ces situations analysées dans ce numéro sont, en particulier celles du ministère de l’agriculture (Jean
Barouillet), du ministère de l’équipement (Serge Vallemont), du ministère de l’emploi (Daniel Mathieu) et de
la police nationale (Marie France Moneger-Guyomarc’h).
14. Pallez (F.), « Les souplesses cachées du mammouth », Le Journal de l’École de Paris, janvier 1999,
p. 3.
sujets les moins valorisés du ministère (la politique de la ville plutôt que les routes par
exemple) qui ont le mieux réussi à gravir tous les échelons.