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Eric Julienne
e.julienne@yahoo.fr, +33 6 63 65 40 02
L’auteur tient à remercier les professeurs Joël Brée, Géraldine Michel, Gilles Laurent,
Eric Vernette et Pierre Volle, pour les échanges d’idées qui ont nourri l’écriture de ce papier.
L’engagement à la marque : un état de l’art
Résumé :
Ce papier présente un état de l’art sur l’engagement à la marque structuré autour des trois
Abstract:
This paper presents a state of the art on brand commitment structured around the three main
approach, and the involvement approach. Through this review, the author aims to clarify some
conceptual and theoretical ambiguities, and, in conclusion, suggests four research avenues.
Introduction
Les consommateurs ont considérablement changé pendant ces dernières décennies. Ils sont
plus autonomes, plus matures et bien informés. Disposant d’un très large choix de marques,
ils sont devenus versatiles. Parallèlement à cette évolution, les entreprises ont pris conscience
qu’il est beaucoup plus coûteux de conquérir un client nouveau que de conserver un client
existant. La fidélité à long terme, source de rentabilité, est donc au cœur des stratégies
C’est dans ce contexte qu’a émergé, puis s’est développé le concept d’engagement à la
marque dans la littérature académique. Apparu il y a 40 ans sous la plume de Day (1969),
l’engagement est synonyme de fidélité véritable et durable. Fidélité véritable, car c’est une
fidélité voulue, intentionnelle, choisie (paradigme cognitif). Fidélité durable, car il ne s’agit
pas d’une fidélité de court terme résultant d’un arbitrage en faveur d’une marque à chaque
transaction, mais d’une fidélité à la relation, qui s’inscrit dans le temps (paradigme
relationnel).
papier propose un état de l’art structuré autour des trois principales théories explicatives qui
par l’implication. Au travers de cette revue, nous souhaitons clarifier certaines ambiguïtés
conceptuelles et théoriques. Après avoir précisé le concept et sa mesure, nous présentons les
1
1. L’engagement à la marque : concept et mesure
marque, (4) la stabilité de la préférence pour la marque se manifestant par une résistance au
L’engagement a parfois été défini comme le versant attitudinal de la fidélité (Amine, 1998 ;
construits qui s’apparentent à des attitudes, dans le sens où ils en présentent les
comme l’engagement, des construits attitudinaux (attitude-like constructs). Ils sont en effet
des états mentaux qui expriment l’évaluation relativement stable et durable que les individus
forment à propos de leur marque ou de leur prestataire (Petty, Wheeler et Tormala, 2003).
fidélité à la marque. L’engagement ne saurait donc résumer à lui seul toute l’attitude vis-à-vis
l’attachement.
(Beatty, Homer et Kahle, 1988 ; Kapferer et Laurent, 1992 ; Garbarino et Johnson, 1999),
l’assimilation étant encore plus marquée lorsque les auteurs parlent d’engagement affectif
(Meyer et Allen, 1991 ; Moulins et Roux, 2009). Toutefois, l’attachement a désormais acquis
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un statut théorique autonome, et il semble que l’engagement soit plutôt une conséquence de
développer une relation durable avec la marque (Fournier, 1998 ; Frisou, 2000). Cette
définition prend appui sur la métaphore relationnelle appliquée à la marque comme partenaire
d’échange (Fournier, 1998). Une conceptualisation assez proche, fréquemment retenue dans la
Howard, 1999 ; Lacoeuilhe, 2000 ; Iwasaki et Havitz, 2004)(Auteur, 2009b). C’est en effet en
situation critique que la volonté du consommateur est mise à l’épreuve, par exemple lorsqu’il
tient en effet à la diversité des concepts mis en œuvre. Encore faut-il les distinguer clairement.
conceptualisation par les antécédents amène à mesurer les motivations cognitives et affectives
de l’engagement. Mais ces mesures risquent de manquer de validité discriminante par rapport
conceptualisation par les manifestations permet de résoudre ce problème. On pourra ainsi
client de la marque (Le Roux, Chandon et Strazzieri, 1997 ; Frisou, 2000). On pourra
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également le placer dans une situation critique mettant sa loyauté à l’épreuve, par exemple
(Beatty, Homer et Kahle, 1988 ; Mittal et Lee, 1988 ; Bloemer et Kasper, 1993). Dans
2. L’approche attitudinale
considérer que celui-ci résulte d’une attitude positive envers la marque. Parmi les construits
attitudinaux les plus souvent mentionnés comme antécédents, citons notamment la satisfaction
et Johnson, 1999 ; Frisou, 2000 ; Chaudhuri et Holbrook, 2002 ; Gurviez et Korchia, 2002), et
Ces trois variables ne sont pas indépendantes les unes des autres. La satisfaction cumulée
renforce la confiance qui est à son tour une cause de l’attachement. Selon Aurier, Benavent et
N’Goala (2001), ces trois construits forment les composantes de la relation à la marque, aux
côtés de la qualité perçue et de la valeur perçue. La chaîne relationnelle ainsi décrite (les
composantes de la relation à la marque sont liées par des relations de causalité) présente une
analogie théorique avec le modèle BRQ (Brand Relationship Quality) développé par Fournier
(1998), et cela en dépit d’une posture épistémologique fort différente entre les auteurs. Dans
les deux cas en effet, l’idée centrale est que la qualité de la relation à la marque détermine la
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Il convient toutefois de préciser que l’on peut distinguer, au sein de l’approche attitudinale,
transactionnels. Non seulement l’engagement est plus fort chez les premiers que chez les
seconds, mais ses causes sont également différentes : chez les consommateurs relationnels,
c’est la confiance et l’attachement qui déterminent l’engagement (relation à long terme), alors
que chez les consommateurs transactionnels, c’est la satisfaction cumulée qui en est le
sur le processus d’engagement : pour les utilisateurs qui ont un tel sentiment
1
La conceptualisation du terme « commitment » selon Garbarino et Johnson (1999, p 73) s’apparente à
l’attachement psychologique. Par ailleurs, la définition que les auteurs donnent des « future
intentions » (p 72) exprime la volonté de développer durablement la relation avec le partenaire
d’échange. C’est pourquoi nous avons pris la liberté, pour plus de clarté, d’adapter les traductions pour
qu’elle soient conformes aux conceptualisations que nous avons présentées : « commitment » est
traduit par attachement, et « future intentions » par engagement.
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multifidèles (consommant plusieurs marques au sein d’une même catégorie de
produit) ont une double dimension : relationnelle, car ils sont attachés aux marques
entre lesquelles ils partagent leur fidélité ; et transactionnelle, car ils arbitrent entre
3. L’approche comportementale
psychosociale développée par Kiesler (1971) et popularisée en France par Joule et Beauvois
(1987 ; 1998). Kiesler affirme la supériorité des comportements sur les attitudes comme
source d’engagement. Pour Kiesler, les attitudes sont insaisissables et bien peu explicites.
Non seulement on peut changer d’attitude envers un objet, mais on peut même totalement
renier l’attitude qu’on a pu avoir envers cet objet. Il est en revanche difficile de renier son
propre comportement, à moins de parvenir à justifier à ses propres yeux et aux yeux de
l’entourage que l’acte n’a pas beaucoup d’importance ou qu’il a été réalisé sous la contrainte.
Pour Kiesler, l’engagement désigne le lien entre l’individu et ses actes. Et ce lien est d’autant
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Les travaux de Kiesler ont nourri un courant de recherche appliquée au domaine marketing et
commercial, notamment en situations de vente en face à face, d’achat sur Internet ou encore
de lettres de réclamation (Joule et Beauvois, 1989 ; Frisou, 2000 ; Crié et Ladwein, 2002 ;
Yildiz, 2007). Le consommateur engagé serait donc celui qui accomplit des actes explicites,
la plupart décrit les effets comportementaux de l’engagement et non ses effets évaluatifs. Par
effets comportementaux, il faut comprendre que l’engagement dans un acte a pour effet de
rendre plus probable l’émission de nouveaux comportements allant dans le même sens que
l’acte initial. Par exemple, dans une expérience rapportée par Freedman et Fraser (1966), des
ménagères, après avoir dans un premier temps accepté de participer à une très courte enquête
téléphonique, étaient amenées à accepter dans un second temps de recevoir chez elles cinq ou
six enquêteurs durant plusieurs heures (technique dite du « pied dans la porte »). Les effets
évaluatifs de l’engagement ont en revanche été beaucoup moins étudiés par la recherche
marketing. Par effets évaluatifs, nous voulons dire que la réalisation d’actes explicites
au sens où nous l’avons défini plus haut. Il y a ici une distinction entre les deux types d’effets
à laquelle il faut prendre garde. La théorie de l’engagement de Kiesler (1971) ne peut être
mobilisée pour rendre compte de l’engagement durable que du point de vue de ses effets
évaluatifs. Or il n’est pas du tout certain que les effets comportementaux de l’engagement
1998). En effet, pour amener les consommateurs à réaliser des actes engageants, il est
nécessaire de recourir à des techniques de manipulation telles que le pied dans la porte
(Freedman et Fraser, 1966), l’amorçage (Cialdini & al., 1978) ou le leurre (Joule, Gouilloux
et Weber, 1989). Or ces techniques posent des questions à la fois éthiques et légales (Joule et
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Beauvois, 1989). Si l’on peut supposer qu’elles ont des conséquences comportementales
(persévérance dans des comportements allant jusqu’à l’achat de la marque), on peut imaginer
sans difficulté qu’elles sont peu compatibles avec la relation de confiance nécessaires à
l’engagement durable.
Parmi les travaux mobilisant la théorie de Kiesler (1971) pour expliquer l’engagement durable
à la marque, ceux de Frisou (2000) et Yildiz (2007) affirment leur originalité en ce qu’ils
intégrateurs. Leur ambition est de montrer comment les comportements des consommateurs
s’ajoutent à leurs attitudes pour renforcer leur engagement à la marque. Reprenant cette
problématique de l’intégration, Auteur (2009b) montre que les actes n’engagent les
consommateurs que lorsqu’ils sont réalisés en réponse à une sollicitation externe (recours à
engagé par eux (Heider, 1958). En revanche, les actes qui reflètent l’attitude positive vis-à-vis
pas nécessaire d’inclure ces actes d’origine interne (i.e. reflétant l’état psychologique du
consommateur) dans un modèle intégrateur des variables prédictives de l’engagement, car ces
Le concept d’implication ne se situe pas au même niveau que les variables attitudinales et
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Du point de vue théorique, le lien implication durable-engagement se justifie par la théorie du
jugement social (Sherif et Hovland, 1961). Pour résumer cette théorie en la transposant au
domaine de la marque, on peut dire que les individus tendent à organiser les marques d’un
produit donné en régions (ou latitudes) d’acceptation, de rejet, et de neutralité (Jacoby, 1971).
La région d’acceptation inclut à la fois la marque préférée, ainsi que celles considérées
comme acceptables. La région de rejet contient les marques considérées comme les plus
indésirables ou les plus inacceptables. La région de neutralité comprend les marques qui, pour
une raison ou pour une autre, ne sont jugées ni comme acceptables, ni comme inacceptables
(sentiment d’indifférence). Plus le consommateur est impliqué, plus il perçoit les différences
entre marques, et plus il réduit l’éventail des marques qu’il juge acceptables. C’est à partir de
cette approche théorique que Jacoby (1971) mène une étude portant sur 51 ménagères et 9
Pourtant, les essais ultérieurs de validation empirique aboutissent à des résultats extrêmement
ambigus, voire contradictoires, si bien que l’on peut légitimement s’interroger sur la réalité du
lien. Certains auteurs semblent confirmer les résultats de Jacoby et Kyner (Park, 1996 ;
Iwasaki et Havitz, 2004), mais le lien semble parfois ténu (Le Roux, Chandon et Strazzieri,
1997), voire inexistant (Amine, 1994 ; Dholakia, 1997 ; Quester et Lim, 2003).
Certains auteurs prennent alors à contre-pied la théorie du jugement social. Ils théorisent qu’il
n’existe pas de lien systématique entre implication et engagement. Par exemple, Traylor écrit
qu’il est « raisonnable d’imaginer qu’un consommateur puisse être fortement impliqué dans
une catégorie de produit sans être engagé envers une marque particulière, ou qu’il puisse
être fortement engagé envers une marque pour ce qu’il considère être un produit peu
impliquant, soit parce que cela simplifie son processus de choix, soit parce que la marque
9
répond à d’importants critères de choix ». Cette absence de lien supposé les amène à
D’autres auteurs (Beatty, Homer et Kahle, 1988 ; Knox et Walker, 2003), prenant appui sur la
distinction entre implication durable (ego involvement) et implication d’achat, avancent que
Ainsi, Beatty, Homer et Kahle (1988) expliquent qu’un individu impliqué de manière durable
est également impliqué au moment de l’achat, en raison de l’importance que revêt le produit à
ses yeux ; il prête alors une attention particulière à faire le bon choix, et cela le conduit à un
processus de décision élaboré, incluant une activité de recherche et de délibération. Une fois
son choix effectué, et sous réserve qu’il soit satisfait, le consommateur est engagé à la
Sur le plan théorique, les modèles positionnant l’implication d’achat comme antécédent direct
de l’engagement peuvent surprendre. L’implication d’achat est par nature transitoire, et l’on
voit mal comment elle serait plus à même que l’implication durable d’expliquer l’engagement
durable. En fait, ces modèles rendent davantage compte, à notre avis, d’un mécanisme fondé
sur l’inertie pour des produits à faible implication, plutôt que sur un véritable engagement.
pourrait préférer poursuivre un achat routinier plutôt que faire l’effort de la réitérer en cas de
interprétation, on relèvera que le modèle de Beatty, Homer et Kahle (1988), et celui de Knox
et Walker (2003) sont testés sur des produits réputés à faible implication (boissons non
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alcoolisées, produits d’épicerie). Qu’adviendrait-il s’ils étaient testés sur des produits à forte
implication ?
C’est précisément à cette comparaison que se sont livrés Vieceli et Shaw (2004), en testant le
modèle de Beatty, Homer et Kahle (1988) sur deux catégories de produit : une catégorie à
faible implication (les boissons non alcoolisées) et une catégorie à implication plus élevée (les
salons de coiffure). Pour les boissons non alcoolisées, le modèle est validé. Mais pour les
salons de coiffure, la relation entre implication durable et engagement est directe, sans
médiation de l’implication d’achat. Il semblerait donc que pour les produits à forte
implication, c’est l’implication durable qui soit la plus à même d’expliquer l’engagement
durable.
Pour expliquer le lien entre implication durable et engagement, Auteur (2009a) choisit de
revenir à la théorie du jugement social (Sherif et Hovland, 1961) et avance que seule
l’implication durable devrait conduire à l’engagement durable. Il relève que la plupart des
études ont cherché à établir un lien direct entre implication et engagement. S’inspirant par
ailleurs des travaux de Chaudhuri et Holbrook (2002) selon lesquels la relation à la catégorie
qu’un consommateur impliqué dans une catégorie de produit a tendance à développer une
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5. Conclusion : voies de recherche
Malgré les travaux déjà nombreux consacrés au thème de l’engagement à la marque, il nous
semble qu’il existe des voies de recherche extrêmement prometteuses. Nous en suggérons
quatre :
concept est bien adapté aux relations avec des entreprises de service, caractérisées par des
interactions avec le personnel en contact (par ex la banque), il est moins approprié pour
les relations avec les marques de grande consommation. D’où la nécessité d’un concept
marque, il conviendrait de le mesurer, d’en identifier les antécédents et d’en dégager les
retenu l’attention des chercheurs. Toutefois, on peut également s’interroger sur l’influence
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mais on peut également recourir à des concepts plus récents, par exemple le noyau central
l’engagement n’est pas aussi un processus, c’est-à-dire une série d’étapes qui se
relation. En d’autres termes, il s’agit de savoir s’il existe un lien entre la durée de la
peut également s’interroger sur la relation entre étapes de la vie et engagement (Schindler
construction de la personnalité. Les marques qui sont choisies à ce moment de la vie d’un
Hormis quelques exceptions (Zauberman, 2003 ; Aydin, Özer et Arasil, 2005), la plupart
des chercheurs inscrivent leur réflexion sur l’engagement à la marque dans le cadre du
paradigme cognitif qui considère depuis Day (1969) que la seule fidélité véritable est celle
qui est choisie et désirée, car résultant d’une attitude positive envers la marque. Ceci a
contrainte est bel et bien une dimension de l’engagement. Par exemple, un utilisateur qui
s’est investi en termes d’efforts et de temps passé dans l’apprentissage d’un logiciel d’un
éditeur spécifique aura des difficultés à changer de marque (Becker, 1960 ; Rusbult,
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positive, mais de choix passés qui obligent le consommateur à poursuivre dans la voie
qu’il a lui-même tracée. Si cette facette de contrainte est très présente dans la littérature
1994), elle est quasi-absente dans la littérature B-to-C. Sa prise en compte devrait
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