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L’engagement à la marque : un état de l’art

Eric Julienne

Docteur en Sciences de Gestion

IAE de Paris, GREGOR, Université Panthéon-Sorbonne

21 rue Broca 75005 PARIS

e.julienne@yahoo.fr, +33 6 63 65 40 02

L’auteur tient à remercier les professeurs Joël Brée, Géraldine Michel, Gilles Laurent,

Eric Vernette et Pierre Volle, pour les échanges d’idées qui ont nourri l’écriture de ce papier.
L’engagement à la marque : un état de l’art

Résumé :

Ce papier présente un état de l’art sur l’engagement à la marque structuré autour des trois

principales théories explicatives apparaissant dans la littérature : l’approche attitudinale,

l’approche comportementale et l’approche par l’implication. Au travers de cette revue,

l’auteur souhaite clarifier certaines ambiguïtés conceptuelles et théoriques, et conclut en

suggérant quatre voies de recherche.

Mots-clés : engagement à la marque, attitudes, comportements, implication

Brand commitment : a state of the art

Abstract:

This paper presents a state of the art on brand commitment structured around the three main

explanatory theories appearing in literature : the attitudinal approach, the behavioural

approach, and the involvement approach. Through this review, the author aims to clarify some

conceptual and theoretical ambiguities, and, in conclusion, suggests four research avenues.

Key-words: brand commitment, attitudes, behaviours, involvement


L’engagement à la marque : un état de l’art

Introduction

Les consommateurs ont considérablement changé pendant ces dernières décennies. Ils sont

plus autonomes, plus matures et bien informés. Disposant d’un très large choix de marques,

ils sont devenus versatiles. Parallèlement à cette évolution, les entreprises ont pris conscience

qu’il est beaucoup plus coûteux de conquérir un client nouveau que de conserver un client

existant. La fidélité à long terme, source de rentabilité, est donc au cœur des stratégies

marketing (Reichheld, 1996).

C’est dans ce contexte qu’a émergé, puis s’est développé le concept d’engagement à la

marque dans la littérature académique. Apparu il y a 40 ans sous la plume de Day (1969),

l’engagement est synonyme de fidélité véritable et durable. Fidélité véritable, car c’est une

fidélité voulue, intentionnelle, choisie (paradigme cognitif). Fidélité durable, car il ne s’agit

pas d’une fidélité de court terme résultant d’un arbitrage en faveur d’une marque à chaque

transaction, mais d’une fidélité à la relation, qui s’inscrit dans le temps (paradigme

relationnel).

De nombreux travaux ont été consacrés à l’identification des antécédents de l’engagement. Ce

papier propose un état de l’art structuré autour des trois principales théories explicatives qui

émergent de la littérature : l’approche attitudinale, l’approche comportementale et l’approche

par l’implication. Au travers de cette revue, nous souhaitons clarifier certaines ambiguïtés

conceptuelles et théoriques. Après avoir précisé le concept et sa mesure, nous présentons les

théories explicatives de l’engagement à la marque et leurs dérivées, puis nous concluons en

suggérant quatre pistes de réflexion.

1
1. L’engagement à la marque : concept et mesure

Dans la littérature, l’engagement a été conceptualisé de diverses manières, et plus

spécifiquement comme (1) la facette attitudinale de la fidélité, (2) un attachement

psychologique à la marque, (3) la volonté de maintenir durablement la relation avec la

marque, (4) la stabilité de la préférence pour la marque se manifestant par une résistance au

changement de marque. Nous passons brièvement en revue chacune de ces conceptualisations.

L’engagement a parfois été défini comme le versant attitudinal de la fidélité (Amine, 1998 ;

Quester et Lim, 2003). Toutefois, La recherche marketing a développé de nombreux

construits qui s’apparentent à des attitudes, dans le sens où ils en présentent les

caractéristiques. Par exemple, la satisfaction cumulée, la confiance et l’attachement sont, tout

comme l’engagement, des construits attitudinaux (attitude-like constructs). Ils sont en effet

des états mentaux qui expriment l’évaluation relativement stable et durable que les individus

forment à propos de leur marque ou de leur prestataire (Petty, Wheeler et Tormala, 2003).

Chacun de ces construits possède des composantes cognitive, affective, et conative

(Rosenberg et Hovland, 1960). Chacun d’eux contribue utilement à la compréhension de la

fidélité à la marque. L’engagement ne saurait donc résumer à lui seul toute l’attitude vis-à-vis

de la marque. Il est une facette de l’attitude, aux côtés de la satisfaction, de la confiance et de

l’attachement.

L’engagement a également été défini comme un attachement psychologique à la marque

(Beatty, Homer et Kahle, 1988 ; Kapferer et Laurent, 1992 ; Garbarino et Johnson, 1999),

l’assimilation étant encore plus marquée lorsque les auteurs parlent d’engagement affectif

(Meyer et Allen, 1991 ; Moulins et Roux, 2009). Toutefois, l’attachement a désormais acquis

2
un statut théorique autonome, et il semble que l’engagement soit plutôt une conséquence de

l’attachement (Lacoeuilhe, 2000).

C’est pourquoi il paraît préférable de définir l’engagement comme la volonté de maintenir et

développer une relation durable avec la marque (Fournier, 1998 ; Frisou, 2000). Cette

définition prend appui sur la métaphore relationnelle appliquée à la marque comme partenaire

d’échange (Fournier, 1998). Une conceptualisation assez proche, fréquemment retenue dans la

littérature, consiste à définir l’engagement comme la stabilité de la préférence du

consommateur et sa tendance à résister au changement de marque (Crosby et Taylor, 1983 ;

Bloemer et Kasper, 1995 ; Strazzieri et Hajdukowicz-Brisson, 1995 ; Pritchard, Havitz et

Howard, 1999 ; Lacoeuilhe, 2000 ; Iwasaki et Havitz, 2004)(Auteur, 2009b). C’est en effet en

situation critique que la volonté du consommateur est mise à l’épreuve, par exemple lorsqu’il

reçoit un message publicitaire de marques concurrentes (Ahluwalia, Burnkrant et Unnava,

2000). L’avantage de ces deux conceptualisations - la volonté et la stabilité - est qu’elles

séparent l’engagement de ses antécédents. La finesse de l’analyse du processus de fidélité

tient en effet à la diversité des concepts mis en œuvre. Encore faut-il les distinguer clairement.

Ce faisant, chaque concept trouve sa place spécifique dans la réflexion théorique.

On retrouve la problématique de la conceptualisation au niveau de l’opérationnalisation. Une

conceptualisation par les antécédents amène à mesurer les motivations cognitives et affectives

de l’engagement. Mais ces mesures risquent de manquer de validité discriminante par rapport

à des concepts tels que la satisfaction, la confiance ou l’attachement. A l’inverse, une

conceptualisation par les manifestations permet de résoudre ce problème.  On pourra ainsi

mesurer l’engagement en interrogeant le consommateur sur sa volonté de rester durablement

client de la marque (Le Roux, Chandon et Strazzieri, 1997 ; Frisou, 2000). On pourra

3
également le placer dans une situation critique mettant sa loyauté à l’épreuve, par exemple

une proposition concurrente ou une insatisfaction ponctuelle (Aurier, Benavent et N'Goala,

2001)(Auteur, 2009b), ou encore une indisponibilité de la marque dans le magasin habituel

(Beatty, Homer et Kahle, 1988 ; Mittal et Lee, 1988 ; Bloemer et Kasper, 1993). Dans

chacune de ces situations, on mesure l’engagement du consommateur au fait qu’il tend à

rester loyal à la marque.

2. L’approche attitudinale

En ce qui concerne les théories explicatives de l’engagement, le courant dominant tend à

considérer que celui-ci résulte d’une attitude positive envers la marque. Parmi les construits

attitudinaux les plus souvent mentionnés comme antécédents, citons notamment la satisfaction

globale (Garbarino et Johnson, 1999 ; Samuelsen et Sandvik, 1999), la confiance (Garbarino

et Johnson, 1999 ; Frisou, 2000 ; Chaudhuri et Holbrook, 2002 ; Gurviez et Korchia, 2002), et

l’attachement (Lacoeuilhe, 2000 ; Thomson, MacInnis et Park, 2005).

Ces trois variables ne sont pas indépendantes les unes des autres. La satisfaction cumulée

renforce la confiance qui est à son tour une cause de l’attachement. Selon Aurier, Benavent et

N’Goala (2001), ces trois construits forment les composantes de la relation à la marque, aux

côtés de la qualité perçue et de la valeur perçue. La chaîne relationnelle ainsi décrite (les

composantes de la relation à la marque sont liées par des relations de causalité) présente une

analogie théorique avec le modèle BRQ (Brand Relationship Quality) développé par Fournier

(1998), et cela en dépit d’une posture épistémologique fort différente entre les auteurs. Dans

les deux cas en effet, l’idée centrale est que la qualité de la relation à la marque détermine la

stabilité et la durabilité de la relation.

4
Il convient toutefois de préciser que l’on peut distinguer, au sein de l’approche attitudinale,

deux sous-modèles qui font intervenir l’orientation relationnelle du consommateur. Garbarino

et Johnson (1999) distinguent en effet les consommateurs relationnels et les consommateurs

transactionnels. Non seulement l’engagement est plus fort chez les premiers que chez les

seconds, mais ses causes sont également différentes : chez les consommateurs relationnels,

c’est la confiance et l’attachement qui déterminent l’engagement (relation à long terme), alors

que chez les consommateurs transactionnels, c’est la satisfaction cumulée qui en est le

principal antécédent (relation à court terme, comportement opportuniste)1.

Le modèle de Garbarino et Johnson (1999) a connu deux extensions :

- Benyoussef, Hoffmann et Valette-Florence (2005) montrent le rôle modérateur du

sentiment d’appartenance à une communauté d’utilisateurs de « logiciels libres »

sur le processus d’engagement : pour les utilisateurs qui ont un tel sentiment

d’appartenance, la satisfaction cumulée ne joue aucun rôle direct dans la formation

de l’engagement ; seuls la confiance et l’attachement influencent l’engagement. En

revanche, pour les utilisateurs de « logiciels propriétaires », la satisfaction cumulée

est un antécédent direct.

- Auteur (2009c) montre que les consommateurs monofidèles incarnent typiquement

l’orientation relationnelle en raison de l’exclusivité de la relation avec une marque

au sein d’une catégorie de produit. Chez les monofidèles, la confiance et

l’attachement déterminent l’engagement. En revanche, les consommateurs

1
La conceptualisation du terme « commitment » selon Garbarino et Johnson (1999, p 73) s’apparente à
l’attachement psychologique. Par ailleurs, la définition que les auteurs donnent des « future
intentions » (p 72) exprime la volonté de développer durablement la relation avec le partenaire
d’échange. C’est pourquoi nous avons pris la liberté, pour plus de clarté, d’adapter les traductions pour
qu’elle soient conformes aux conceptualisations que nous avons présentées : « commitment » est
traduit par attachement, et « future intentions » par engagement.

5
multifidèles (consommant plusieurs marques au sein d’une même catégorie de

produit) ont une double dimension : relationnelle, car ils sont attachés aux marques

entre lesquelles ils partagent leur fidélité ; et transactionnelle, car ils arbitrent entre

ces marques suivant des critères opportunistes. Chez les consommateurs

multifidèles, la satisfaction tend à se substituer à la confiance comme facteur

d’engagement, l’attachement ayant en revanche la même influence chez les

multifidèles et chez les monofidèles.

3. L’approche comportementale

Une autre approche de l’engagement, radicalement différente, est issue de la théorie

psychosociale développée par Kiesler (1971) et popularisée en France par Joule et Beauvois

(1987 ; 1998). Kiesler affirme la supériorité des comportements sur les attitudes comme

source d’engagement. Pour Kiesler, les attitudes sont insaisissables et bien peu explicites.

Non seulement on peut changer d’attitude envers un objet, mais on peut même totalement

renier l’attitude qu’on a pu avoir envers cet objet. Il est en revanche difficile de renier son

propre comportement, à moins de parvenir à justifier à ses propres yeux et aux yeux de

l’entourage que l’acte n’a pas beaucoup d’importance ou qu’il a été réalisé sous la contrainte.

Pour Kiesler, l’engagement désigne le lien entre l’individu et ses actes. Et ce lien est d’autant

plus fort que les actes sont :

- explicites (publics, dépourvus d’ambiguïté, et donc difficile à réinterpréter),

- importants (par ex en termes de coûts, de temps passé, d’efforts consentis),

- irrévocables (il est impossible de revenir en arrière, d’effacer l’acte),

- répétés (l’acte est accompli de nombreuses fois),

- librement consentis (c'est-à-dire sans pression, sans récompense ni punition, de

manière à permettre l’auto-attribution de l’acte).

6
Les travaux de Kiesler ont nourri un courant de recherche appliquée au domaine marketing et

commercial, notamment en situations de vente en face à face, d’achat sur Internet ou encore

de lettres de réclamation (Joule et Beauvois, 1989 ; Frisou, 2000 ; Crié et Ladwein, 2002 ;

Gueguen et Fischer-Lokou, 2003 ; Helme-Guizon et Amato, 2004 ; Gueguen et Jacob, 2006 ;

Yildiz, 2007). Le consommateur engagé serait donc celui qui accomplit des actes explicites,

importants et répétés en direction de la marque. Toutefois, parmi les recherches mentionnées,

la plupart décrit les effets comportementaux de l’engagement et non ses effets évaluatifs. Par

effets comportementaux, il faut comprendre que l’engagement dans un acte a pour effet de

rendre plus probable l’émission de nouveaux comportements allant dans le même sens que

l’acte initial. Par exemple, dans une expérience rapportée par Freedman et Fraser (1966), des

ménagères, après avoir dans un premier temps accepté de participer à une très courte enquête

téléphonique, étaient amenées à accepter dans un second temps de recevoir chez elles cinq ou

six enquêteurs durant plusieurs heures (technique dite du « pied dans la porte »). Les effets

évaluatifs de l’engagement ont en revanche été beaucoup moins étudiés par la recherche

marketing. Par effets évaluatifs, nous voulons dire que la réalisation d’actes explicites

renforce la stabilité de la préférence pour la marque, c'est-à-dire son engagement à la marque

au sens où nous l’avons défini plus haut. Il y a ici une distinction entre les deux types d’effets

à laquelle il faut prendre garde. La théorie de l’engagement de Kiesler (1971) ne peut être

mobilisée pour rendre compte de l’engagement durable que du point de vue de ses effets

évaluatifs. Or il n’est pas du tout certain que les effets comportementaux de l’engagement

dans des actes s’accompagnent systématiquement d’effets évaluatifs (Joule et Beauvois,

1998). En effet, pour amener les consommateurs à réaliser des actes engageants, il est

nécessaire de recourir à des techniques de manipulation telles que le pied dans la porte

(Freedman et Fraser, 1966), l’amorçage (Cialdini & al., 1978) ou le leurre (Joule, Gouilloux

et Weber, 1989). Or ces techniques posent des questions à la fois éthiques et légales (Joule et

7
Beauvois, 1989). Si l’on peut supposer qu’elles ont des conséquences comportementales

(persévérance dans des comportements allant jusqu’à l’achat de la marque), on peut imaginer

sans difficulté qu’elles sont peu compatibles avec la relation de confiance nécessaires à

l’engagement durable.

Parmi les travaux mobilisant la théorie de Kiesler (1971) pour expliquer l’engagement durable

à la marque, ceux de Frisou (2000) et Yildiz (2007) affirment leur originalité en ce qu’ils

combinent l’approche attitudinale et l’approche comportementale au sein de modèles

intégrateurs. Leur ambition est de montrer comment les comportements des consommateurs

s’ajoutent à leurs attitudes pour renforcer leur engagement à la marque. Reprenant cette

problématique de l’intégration, Auteur (2009b) montre que les actes n’engagent les

consommateurs que lorsqu’ils sont réalisés en réponse à une sollicitation externe (recours à

une technique de manipulation), car en s’auto-attribuant de tels actes, le consommateur se sent

engagé par eux (Heider, 1958). En revanche, les actes qui reflètent l’attitude positive vis-à-vis

de la marque (par exemple, l’achat et la consommation d’une marque en quantité importante,

de manière régulière et depuis longtemps) ne renforcent pas l’engagement. Il ne semble donc

pas nécessaire d’inclure ces actes d’origine interne (i.e. reflétant l’état psychologique du

consommateur) dans un modèle intégrateur des variables prédictives de l’engagement, car ces

variables sont redondantes avec l’attitude positive et le modèle perdrait en parcimonie.

4. L’approche par l’implication

Le concept d’implication ne se situe pas au même niveau que les variables attitudinales et

comportementales. Toutefois, de nombreux auteurs ont cherché à démontrer l’existence d’un

lien direct entre implication et engagement.

8
Du point de vue théorique, le lien implication durable-engagement se justifie par la théorie du

jugement social (Sherif et Hovland, 1961). Pour résumer cette théorie en la transposant au

domaine de la marque, on peut dire que les individus tendent à organiser les marques d’un

produit donné en régions (ou latitudes) d’acceptation, de rejet, et de neutralité (Jacoby, 1971).

La région d’acceptation inclut à la fois la marque préférée, ainsi que celles considérées

comme acceptables. La région de rejet contient les marques considérées comme les plus

indésirables ou les plus inacceptables. La région de neutralité comprend les marques qui, pour

une raison ou pour une autre, ne sont jugées ni comme acceptables, ni comme inacceptables

(sentiment d’indifférence). Plus le consommateur est impliqué, plus il perçoit les différences

entre marques, et plus il réduit l’éventail des marques qu’il juge acceptables. C’est à partir de

cette approche théorique que Jacoby (1971) mène une étude portant sur 51 ménagères et 9

marques de gâteaux préparés, et valide le lien implication-engagement.

Pourtant, les essais ultérieurs de validation empirique aboutissent à des résultats extrêmement

ambigus, voire contradictoires, si bien que l’on peut légitimement s’interroger sur la réalité du

lien. Certains auteurs semblent confirmer les résultats de Jacoby et Kyner (Park, 1996 ;

Iwasaki et Havitz, 2004), mais le lien semble parfois ténu (Le Roux, Chandon et Strazzieri,

1997), voire inexistant (Amine, 1994 ; Dholakia, 1997 ; Quester et Lim, 2003).

Certains auteurs prennent alors à contre-pied la théorie du jugement social. Ils théorisent qu’il

n’existe pas de lien systématique entre implication et engagement. Par exemple, Traylor écrit

qu’il est « raisonnable d’imaginer qu’un consommateur puisse être fortement impliqué dans

une catégorie de produit sans être engagé envers une marque particulière, ou qu’il puisse

être fortement engagé envers une marque pour ce qu’il considère être un produit peu

impliquant, soit parce que cela simplifie son processus de choix, soit parce que la marque

9
répond à d’importants critères de choix ». Cette absence de lien supposé les amène à

proposer des typologies de consommateurs à double entrée : (1) implication faible/forte,

(2) engagement faible/fort (Traylor, 1981 ; Warrington et Shim, 2000).

D’autres auteurs (Beatty, Homer et Kahle, 1988 ; Knox et Walker, 2003), prenant appui sur la

distinction entre implication durable (ego involvement) et implication d’achat, avancent que

l’implication d’achat médiatise le lien entre implication durable et engagement à la marque.

Ainsi, Beatty, Homer et Kahle (1988) expliquent qu’un individu impliqué de manière durable

est également impliqué au moment de l’achat, en raison de l’importance que revêt le produit à

ses yeux ; il prête alors une attention particulière à faire le bon choix, et cela le conduit à un

processus de décision élaboré, incluant une activité de recherche et de délibération. Une fois

son choix effectué, et sous réserve qu’il soit satisfait, le consommateur est engagé à la

marque, en raison par exemple de la valeur hédonique ou symbolique de la marque. Il résiste

alors davantage au changement de marque.

Sur le plan théorique, les modèles positionnant l’implication d’achat comme antécédent direct

de l’engagement peuvent surprendre. L’implication d’achat est par nature transitoire, et l’on

voit mal comment elle serait plus à même que l’implication durable d’expliquer l’engagement

durable. En fait, ces modèles rendent davantage compte, à notre avis, d’un mécanisme fondé

sur l’inertie pour des produits à faible implication, plutôt que sur un véritable engagement.

L’activité de recherche et de délibération est en effet coûteuse en temps, et le consommateur

pourrait préférer poursuivre un achat routinier plutôt que faire l’effort de la réitérer en cas de

changement de marque. Une inertie d’achat se mettrait en place. A l’appui de cette

interprétation, on relèvera que le modèle de Beatty, Homer et Kahle (1988), et celui de Knox

et Walker (2003) sont testés sur des produits réputés à faible implication (boissons non

10
alcoolisées, produits d’épicerie). Qu’adviendrait-il s’ils étaient testés sur des produits à forte

implication ?

C’est précisément à cette comparaison que se sont livrés Vieceli et Shaw (2004), en testant le

modèle de Beatty, Homer et Kahle (1988) sur deux catégories de produit : une catégorie à

faible implication (les boissons non alcoolisées) et une catégorie à implication plus élevée (les

salons de coiffure). Pour les boissons non alcoolisées, le modèle est validé. Mais pour les

salons de coiffure, la relation entre implication durable et engagement est directe, sans

médiation de l’implication d’achat. Il semblerait donc que pour les produits à forte

implication, c’est l’implication durable qui soit la plus à même d’expliquer l’engagement

durable.

Pour expliquer le lien entre implication durable et engagement, Auteur (2009a) choisit de

revenir à la théorie du jugement social (Sherif et Hovland, 1961) et avance que seule

l’implication durable devrait conduire à l’engagement durable. Il relève que la plupart des

études ont cherché à établir un lien direct entre implication et engagement. S’inspirant par

ailleurs des travaux de Chaudhuri et Holbrook (2002) selon lesquels la relation à la catégorie

de produit se traduit par un double processus d’engagement, cognitif et affectif, il montre

qu’un consommateur impliqué dans une catégorie de produit a tendance à développer une

relation forte avec la marque en termes de satisfaction globale, de confiance et d’attachement.

Par suite, la qualité de la relation à la marque renforce l’engagement. Le rôle de la facette de

plaisir de l’implication est décisive (Laurent et Kapferer, 1985).

11
5. Conclusion : voies de recherche

Malgré les travaux déjà nombreux consacrés au thème de l’engagement à la marque, il nous

semble qu’il existe des voies de recherche extrêmement prometteuses. Nous en suggérons

quatre :

5.1. La tendance à s’engager à la marque

La littérature a développé un concept proche de la tendance à s’engager à la marque : la

propension ou prédisposition relationnelle (Benamour et Prim, 2000 ; Bahia et Perrien,

2003). Par exemple, Bahia et Perrien définissent la prédisposition relationnelle comme la

« tendance assez constante et non fluctuante (enduring tendency) du client à attendre, et à

apprécier, une approche relationnelle de la part d'une entreprise de service donnée ». Si ce

concept est bien adapté aux relations avec des entreprises de service, caractérisées par des

interactions avec le personnel en contact (par ex la banque), il est moins approprié pour

les relations avec les marques de grande consommation. D’où la nécessité d’un concept

plus ciblé. Après avoir validé la pertinence du concept de tendance à s’engager à la

marque, il conviendrait de le mesurer, d’en identifier les antécédents et d’en dégager les

implications managériales en termes de segmentation.

5.2. Le lien entre perception de la marque et engagement à la marque

L’influence des composantes de la relation à la marque sur l’engagement a jusqu’à présent

retenu l’attention des chercheurs. Toutefois, on peut également s’interroger sur l’influence

de la perception de la marque sur l’engagement. La perception de la marque peut être

appréhendée de manière classique au travers de ses dimensions fonctionnelle,

expérientielle et symbolique (Park, Jaworski et Maclnnis, 1986 ; Moulins et Roux, 2009),

12
mais on peut également recourir à des concepts plus récents, par exemple le noyau central

(Michel, 1999) ou la personnalité de marque (Aaker, 1997).

5.3. Le rôle du temps

La littérature a principalement appréhendé l’engagement comme un état psychologique du

consommateur. Au-delà de cette conceptualisation statique, on peut se demander si

l’engagement n’est pas aussi un processus, c’est-à-dire une série d’étapes qui se

dérouleraient dans le temps, et qui conduirait à la volonté de maintenir durablement la

relation. En d’autres termes, il s’agit de savoir s’il existe un lien entre la durée de la

relation et la force de l’engagement (l’engagement se construit-il dans le temps ?). On

peut également s’interroger sur la relation entre étapes de la vie et engagement (Schindler

et Holbrook, 2003). Par exemple, l’adolescence est une étape importante de la

construction de la personnalité. Les marques qui sont choisies à ce moment de la vie d’un

individu ont-elles une probabilité plus grande de susciter un engagement durable ?

5.4. La dimension contraignante de l’engagement

Hormis quelques exceptions (Zauberman, 2003 ; Aydin, Özer et Arasil, 2005), la plupart

des chercheurs inscrivent leur réflexion sur l’engagement à la marque dans le cadre du

paradigme cognitif qui considère depuis Day (1969) que la seule fidélité véritable est celle

qui est choisie et désirée, car résultant d’une attitude positive envers la marque. Ceci a

conduit à exclure de la conceptualisation de l’engagement toute forme de contrainte. Or la

contrainte est bel et bien une dimension de l’engagement. Par exemple, un utilisateur qui

s’est investi en termes d’efforts et de temps passé dans l’apprentissage d’un logiciel d’un

éditeur spécifique aura des difficultés à changer de marque (Becker, 1960 ; Rusbult,

1980). L’engagement durable ne s’exprime pas alors nécessairement en termes d’attitude

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positive, mais de choix passés qui obligent le consommateur à poursuivre dans la voie

qu’il a lui-même tracée. Si cette facette de contrainte est très présente dans la littérature

organisationnelle (Meyer et Allen, 1991) et B-to-B (Anderson et Weitz, 1992 ; Ganesan,

1994), elle est quasi-absente dans la littérature B-to-C. Sa prise en compte devrait

permettrait d’enrichir le concept d’engagement à la marque.

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