Vous êtes sur la page 1sur 14

Pourquoi l’arrêt Clément-

Bayard du 3 août 1915


est-il célèbre ?
par Partiels-droit.com |  Cours de droit en ligne

L’arrêt Clément-Bayard rendu en date du 3 août 1915 par la

Cour de cassation est un arrêt fondateur et célèbre en ce

sens qu’il a consacré la théorie de l’abus de droit.


Ce qu’il faut savoir, c’est que le caractère «  inviolable et

sacré » du droit de propriété est proclamé par la

Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

Mais, déjà, les rédacteurs du Code civil avaient bien

conscience que des limites devaient être posées à l’exercice

de cette prérogative, subordonné à la condition «  qu’on

n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les

règlements » (article 544 du Code civil).

C’est en ce sens que l’arrêt Clément-Bayard est novateur, il

illustre pour la première fois l’hypothèse d’un abus du droit

de propriété. L’abus de droit est le fait, pour une personne,

de commettre une faute par le dépassement des limites

d’exercice d’un droit qui lui est conféré, soit en le

détournant de sa finalité, soit dans le but de nuire à autrui.

C’est l’apprentissage tiré de cet arrêt Clément-Bayard.

FAITS ET PROCÉDURE DE L’ARRÊT


CLÉMENT-BAYARD DU 3 AOÛT 1915
Clément-Bayard et Coquerel sont des propriétaires voisins.

Clément-Bayard s’occupe aux promenades en ballon

dirigeable. Son voisin décide d’installer sur son terrain des


carcasses en bois de seize mètres de hauteur surmontées de

tiges de fer pointues.

Lors d’une de ses sorties en ballon dirigeable, Clément-

Bayard se heurte la construction de son voisin et se déchire.

À cet effet, il saisit le juge pour demander la condamnation

de Cocquerel au paiement de dommages et intérêt en

réparation du préjudice subi.

La Cour d’appel d’Amiens, par un arrêt du 12 novembre

1913, condamne Cocquerel à réparer le dommage causé à

Clément-Bayard. Elle considère que le dispositif « ne

présentait aucune utilité pour l’exploitation du terrain  ».

Elle met en évidence un autre élément : l’intention de nuire

à Clément-Bayard. Par ces motifs, elle condamne le voisin à

réparer le dommage de sa construction et ordonne

l’enlèvement des tiges de fer surmontant les carcasses en

bois.
PRÉTENTIONS DES PARTIES ET
PROBLÉMATIQUE JURIDIQUE DE
L’ARRÊT CLÉMENT-BAYARD
Les prétentions des parties dans l’arrêt Clément-Bayard

sont les suivants : le voisin débouté invoquait l’absoluité de

son droit de propriété. Perçu comme un droit naturel et

imprescriptible de l’Homme et un fondement de

l’organisation sociale, le droit de propriété a été conçu,

dans le Code civil, comme un droit absolu, exclusif et

perpétuel.

L’article 544 du Code civil revoit que « la propriété est le

droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus

absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par


les lois ou par les règlements ».

À l’époque contemporaine, la Déclaration universelle des

droits de l’Homme de 1948 a reconnu le droit de chacun à

la propriété. La Convention et la Cour européennes des

droits de l’Homme reconnaissent à chacun « le droit au

respect de ses biens » et garantissent ainsi, en réalité, le

droit de propriété.
En l’espèce, le voisin considère qu’un propriétaire a le droit

absolu de construire sur son terrain les ouvrages de défense

ou de clôture qu’il souhaite « pour éviter une incursion sur

son terrain ». Il soutient donc que sa construction est pure

défense de sa propriété à l’encontre de Clément-Bayard et

exerce, selon lui, son droit de propriété pour ce faire.

Débouté par la décision de la Cour d’appel d’Amiens, le

voisin forme un pourvoi en cassation.

Ainsi, le problème de droit soulevé dans l’arrêt Clément-

Bayard est le suivant : il est soumis à la Cour de cassation la

question de savoir si l’on peut abuser de son droit de

propriété.

LA SOLUTION DE L’ARRÊT
CLÉMENT-BAYARD
Par son arrêt Clément-Bayard rendu le 3 août 1915, la

chambre des requêtes de la Cour de cassation rejette le

pourvoi. Elle reprend les appréciations de la Cour d’appel et

relève l’intention de nuire à Clément-Bayard dans la

construction des tiges en bois. Elle énonce, ainsi, une

première limite à l’absoluité du droit de propriété.


Le dépassement de cette limite est assorti de sanctions. La

Cour d’appel condamne le voisin à l’indemnisation du

préjudice subi par Clément-Bayard, mais aussi lui ordonne

de faire cesser l’abus en enlevant les tiges de fer

surmontant les carcasses en bois.

À cet effet, une nuance est faite par la Cour d’appel

confirmée par la Haute juridiction. La démolition de toute la

construction a été refusée sans contradiction au motif qu’il

n’était pas démontré que « ce dispositif eût jusqu’à présent

causé du dommage à Clément-Bayard et dût

nécessairement lui en causer dans l’avenir ».

L’arrêt Clément-Bayard est célèbre en ce qu’il dégage des

éléments de démonstration de l’abus de droit de

propriété . L’abus de droit peut être caractérisé dès que la

personne qui en est titulaire en  outrepasse l’exercice dans

le dessein de nuire à autrui , ce qui conduit à le détourner

de sa finalité.

Généralement, l’intention nocive va de soi ; elle se déduit

des simples circonstances de fait. Il en est ainsi lorsqu’un

propriétaire mène grand tapage sur ses terres afin


d’effrayer le gibier que tente de chasser son voisin (CA

Amiens, 5 février 1912) ou lorsqu’un individu se livre à des

expériences physiques amusantes dans le seul but de

produire des parasites qui empêcheront son voisin

d’effectuer, devant ses clients, les démonstrations

d’appareils de radiodiffusion qu’il essaie de vendre (CA

Amiens, 22 nov. 1932).

Dans d’autres circonstances, l’intention de nuire se déduira

de la résistance infondée à une demande légitime ; il en est

ainsi du refus de laisser pratiquer dans un mur des

ouvertures garnies de verre opaque qui eussent permis de

laisser passer la lumière (CA Paris, 28 oct. 1941). De même,

commet un abus de droit le propriétaire qui s’oppose sans

raison valable à la démolition de constructions vétustes

ayant fait l’objet de deux arrêtés de péril et empêche, par

ce refus, un voisin de procéder sur son fonds à des travaux

autorisés (Cass. 3 e  civ., 20 mars 1978).

En l’espèce, l’intention de nuire a été déduite de l’inutilité

de la construction, mais aussi et surtout de la longueur des

tiges en bois (seize mètres) qui présentaient des chances de

porter atteinte à Clément-Bayard lors de ses promenades.


Les apprentissages issus de l’arrêt Clément-Bayard révèlent

l’intention de nuire par l’absence d’utilité de la

construction. L’absence de motif légitime n’est qu’un

élément de présomption d’une intention maligne. Ainsi le

propriétaire d’un fonds peut, certes, capter les eaux

souterraines qui s’y écoulent, quel que soit le dommage qui

en résulte pour les propriétaires des fonds inférieurs, sauf

s’il abuse de son droit par malveillance ou par défaut

d’utilité – celui-ci étant la preuve, ou, plus justement, la

présomption de celle-là (Cass. 3 e   civ 26 nov. 1974). Et s’il y a

abus du droit de propriété dans le fait de construire un mur

cachant la maison voisine et dans la pose de barbelés sur la

clôture, c’est sans doute parce que leur inutilité induit

l’intention nocive (Cass. 3 e  civ., 30 oct. 1972).

De même, un propriétaire abuse de son droit en s’opposant

sans motif légitime à l’enlèvement des dépôts de détritus et

déchets permanents constitués sur son terrain au mépris

d’un arrêté municipal pris aux fins d’assurer la salubrité

ainsi que la sécurité des voisins immédiats (CA Poitiers,

1 r e  ch., 1 avr. 1997).


Il importe toutefois que les juges du fond recherchent si un

exproprié, entrepreneur de travaux publics, n’avait pas un

motif légitime d’entreposer des gravats sur le terrain dont il

était propriétaire jusqu’à l’ordonnance d’expropriation et

dont il a la jouissance jusqu’à la prise de possession par

l’expropriation (Cass. 3 e  civ., 8 nov. 2000).

Quoi qu’il en soit, la défense du droit de propriété ne peut,

en aucun cas, dégénérer en abus. La conservation ou la

protection du droit de propriété n’est pas susceptible

d’abus (Cass. 3e civ., 20 mars 1978).

Il en va ainsi spécialement de toutes actions tendant à

sanctionner les constructions sur le terrain d’autrui, comme

les empiétements (Cass. 3 e  civ., 7 juin 1990). Peu importe

que le préjudice subi par le propriétaire soit minime (Cass.

3 e  civ., 23 juin 1981), que l’atteinte au droit de propriété

n’occasionne aucune gêne au propriétaire (Cass. 3 e  civ., 7

juin 1990) que l’ouvrage litigieux fût destiné à servir

l’intérêt commun du constructeur et du demandeur (Cass.

3 e  civ., 14 mars 1973), que le coût de la démolition soit très

élevé par rapport à l’avantage procuré (Cass. 3e  civ., 7 nov.

1990), ou encore que le préjudice soit simplement moral.


Ainsi l’utilisation commerciale de l’image de son bien étant

un attribut de son droit de propriété, le propriétaire d’un

immeuble ne commet nullement un abus de droit en

exerçant une action tendant à faire cesser l’utilisation du

graphisme de cet immeuble par une société sur ses

documents commerciaux (CA Metz, 26 nov. 1992).

En parlant de droit de propriété, découvrez aussi sur

Partiels-droit.com : C’est quoi l’action en revendication

de la propriété  ? Pourquoi est-elle une action favorable

au propriétaire ? Pour plus d’information sur ce sujet,

suivez tout simplement le lien !

LA PORTÉE DE L’ARRÊT CLÉMENT-


BAYARD
L’abus du droit de propriété introduit par l’arrêt Clément-

Bayard donne naissance au trouble anormal de voisinage

poussé au paroxysme.

Certaines décisions sanctionnent l’abus de droit des

imprudences commises par un propriétaire au détriment de

ses voisins. C’est ainsi, par exemple, que l’utilisation d’un

herbicide ayant causé des dommages à du bétail a pu être


sanctionnée à ce titre (Cass. 1re  civ., 16 déc. 1951). Il en va

de même de celui qui a inoculé le virus de la myxomatose

pour détruire des lapins de garenne (T. civ. Dreux, 18  mars

1952). Or il est douteux que l’auteur de ces dommages ait

agi avec intention de nuire.

Invoquer la théorie de l’abus de droit est inutile. La faute

d’imprudence, de négligence, commise par le propriétaire

suffit à sa condamnation.

Mieux, la théorie des troubles de voisinage, en ce qu’elle

dispense le demandeur d’administrer la preuve d’une faute

cause du préjudice qu’il subit, est d’une efficacité éprouvée,

et ceci pour des résultats (en principe) identiques.

Cette dernière théorie a pour effet de faire condamner à

réparation celui qui a causé, dans le cadre normal de son

droit de propriété, un dommage à son voisin. Or il est

aujourd’hui admis que la responsabilité pour troubles

anormaux de voisinage est une responsabilité objective.

La Cour de cassation (Cass. 3e civ., 4 févr. 1971) a censuré

des décisions ayant subordonné la réparation du dommage

à la preuve d’une faute et estimé que le droit pour un

propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus


absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est

limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété

d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients

normaux du voisinage.

 Il en résulte que pour condamner celui qui cause un

trouble anormal de voisinage, la jurisprudence se borne à

constater l’existence d’un préjudice subi par le demandeur.

L’autonomie du régime des troubles de voisinage par

rapport à l’institution générale de la responsabilité est

marquée.

C’est un régime particulier de réparation fondé sur un

principe prétorien selon lequel « nul ne doit causer à autrui

un trouble anormal de voisinage  » (Cass. 3e civ., 26 juin

1996). Ainsi le grief tiré de la violation des articles 1384,

alinéa 1er et 1386 est-il inopérant dès lors que les juges du

fond, saisis d’une demande dont le fondement juridique

n’était pas précisé, ont statué en faisant application de la

responsabilité pour troubles de voisinage (Cass. 2 e  civ., 18

juill. 1984).
Par émulation, la notion d’abus de droit a fait une entrée

remarquée dans le domaine des droits d’auteurs, par la voie

législative. C’est en effet le législateur qui, en 1957, a

introduit le concept d’abus notoire commis par les

représentants de l’auteur décédé dans l’exercice qu’ils font

du droit moral attaché à son œuvre.

L’article 20 de la loi du 11 mars 1957, devenu l’article L.121-

3 du Code de la Propriété intellectuelle dispose notamment

“en cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du

droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur

décédé… le tribunal de grande instance peut ordonner

toute mesure appropriée… ». Plus délicate est la question

posée par l’usage que peut faire l’auteur de ses droits

moraux (droit de divulgation, droit de repentir, droit de

retrait…).

En réalité, l’abus de droit est, en la matière peut-être plus

qu’en toute autre, difficile à cerner. C’est ainsi que la Cour

de cassation s’est bien gardée, lorsqu’elle a été saisie du

problème, de se prononcer sur le point de savoir si le refus

de laisser divulguer, dans un intérêt privé, des documents

représentant un caractère historique peut être constitutif


d’un abus notoire du droit de divulgation (Cass. 1 r e  civ., 15

janv. 1969).

Vous aimerez peut-être aussi