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2015/3 n° 17 | pages 3 à 19
ISSN 2259-2490
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-rimhe-2015-3-page-3.htm
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Résumé
Cet article a pour objectif de comprendre les conditions par lesquelles la norme Iso 26000 est
source d’apprentissage. Mené dans le cadre d’une recherche intervention (David, 2000) au sein
d’une PME du secteur de l’évènementiel, le processus d’apprentissage organisationnel de ce projet
de normalisation est analysé au regard de la perspective interactionniste (Nonaka et Takeuchi,
1995 ; Nonaka et Konno, 1998). Trois conditions sont ainsi mises en évidence : la création d’un
contexte organisationnel favorable articulé autour de déterminants stratégiques et opérationnels, la
création d’espaces d’apprentissage spécifiques ainsi que la création d’une dynamique managériale.
Notre recherche permet ici d’enrichir l’approche interactionniste développée par Nonaka et
Takeuchi (1995).
Mots clés
RSE, appropriation, apprentissage organisationnel, Iso 26 000, PME.
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Keywords
Corporate Social Responsibility, appropriation, organizational learning, Iso 26000, Small and
Medium-sized Company.
3
Doctorante, Université d’Angers LUNAM, GRANEM (UMR-MA n°49) - krystel.paulus@gmail.com
4
Professeur, ESC Amiens - richard.soparnot@esc-amiens.com
Introduction
La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et son potentiel d’innovations induit
sont devenus des enjeux stratégiques majeurs pour les PME et, pour certaines, un facteur
essentiel de différenciation (Asongu, 2007 ; Berger-Douce, 2011 ; Midler et Charue-
Duboc, 2011). Alors que la plupart d’entre elles s’orientent vers l’exploitation et/ou
l’exploration de connaissances nouvelles (Castiaux, 2009), d’autres privilégient des
dispositifs d’apprentissage « clef en main » comme les normes (Fernez-Walch, 2010).
Généralement présentées sous la forme de documents (Benezech, 1996) qui formalisent
et partagent un savoir pratique (Bajenaru-Declerck, 2009), les normes peuvent aussi bien
encadrer des objets techniques, comme des processus, tels que les systèmes de
management du type Iso 14001 sur l’environnement ou OSHAS 18001 sur la santé et la
sécurité au travail, ou bien, plus récemment encore, des sujets non-techniques comme
des valeurs sociétales, à l’image de la norme Iso 26000 (Helfrich, 2011). Plus qu’un
simple ajustement de leurs pratiques, ce dernier type de norme interroge les
organisations sur leurs principes d’actions les conduisant parfois dans une profonde
mutation de leur logique de gestion. L’appropriation de la norme Iso 26000 suppose
donc des conditions d’apprentissage spécifiques qui facilitent son déploiement interne.
C’est l’objectif de notre recherche : nous nous intéressons aux conditions par lesquelles
la norme Iso 26000 est source d’apprentissage organisationnel.
Dans la littérature académique, les récents développements sur la norme Iso 26000
abordent les conditions d’apprentissage en se focalisant sur l’idée que les entités
d’apprentissage sont soumises à « des tensions RSE » (Grimand et al., 2013 ; Gabriel et
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C’est dans cette dernière perspective que nous situons notre recherche, conduisant à
considérer l’appropriation de la norme Iso 26000 comme un mécanisme d’apprentissage
organisationnel de la RSE (Ferrary et Pesqueux, 2006). Ce phénomène d’apprentissage
organisationnel, que nous définissons ici comme un processus de création de
connaissances organisationnelles issu des interactions entre les acteurs organisationnels,
repose sur des conditions spécifiques que nous proposons de cerner au travers d’une
conception interactionniste.
Pour cela, nous mobilisons l'approche développée par Nonaka et Takeuchi (1995). Leur
modèle SECI ou spirale du savoir explique l’apprentissage organisationnel à partir de la
conversion des connaissances tacites (personnelles et spécifiques au contexte) et
explicites (facilement codifiables et transmissibles) et leur diffusion entre les différents
niveaux organisationnels (individu, groupe, organisation et inter-organisations). D’après
ces chercheurs, l’activation de cette spirale repose sur cinq déterminants. Le premier
déterminant est le chaos créatif. Il entraîne les membres de l’organisation dans une
rupture de leurs habitudes, de leurs routines et de leurs modèles de raisonnement. Ce
processus de questionnement et de remise en cause des fondements de l’organisation
peut apparaître de manière intentionnelle, lorsque les dirigeants définissent des buts
porteurs, ou bien de manière spontanée, quand l’organisation fait face à une crise. La
redondance est le second déterminant et fait référence au partage intentionnel
d’information avec les membres de l’organisation sur différents domaines d’action. La
troisième condition est l’autonomie. Elle laisse aux individus la liberté de définir les
limites de leurs tâches pour atteindre les buts fixés. L’intention organisationnelle
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documents internes de l’entreprise produits par l’expert avec les acteurs (comptes rendus
de réunions, documents de travail, supports de formation, etc.). Elle permet de réaliser
une première analyse historique et longitudinale a posteriori (Forgues et Vandangeon-
Derumez, 2007) de l’intervention de l’expert d’août 2009 à décembre 2011. Pour éviter
toutes contaminations des sources (Baumard et al., 2007) et garantir leur fiabilité, les
émetteurs et les auteurs de ces sources ont été identifiés et leurs témoignages recoupés.
Les différentes actions de l’expert ont ensuite été comparées par rapport aux éléments
théoriques issus du cadre conceptuel. Tout d’abord, nous avons rédigé une monographie,
ce qui nous a permis de reporter ensuite les actions de l’expert dans une grille
d’observation (Journé, 2012). Celle-ci est ensuite transformée en un tableau de codage
qui reprend les éléments théoriques issus du cadre conceptuel. Ce même procédé est
utilisé pour analyser notre intervention de décembre 2011 à novembre 2013. Cela nous a
permis d’avoir une lecture uniforme des deux interventions. Nous présentons un extrait
de notre tableau codage en annexe 1.
Il est important de préciser ici que notre fonction se limitait exclusivement à la
coordination générale du projet RSE de l’entreprise. Nous n’avions par conséquent
aucun personnel sous notre responsabilité, réduisant ainsi les risques de biais, telles que
l’attention sélective, l’interprétation en fonction de nos attentes et les relations
interpersonnelles (Robson, 1993), inhérents à ce type de posture de chercheur
intervenant.
La confrontation des données théoriques et empiriques a permis de mieux appréhender
les conditions par lesquelles la norme Iso 26000 est source d’apprentissage. Dans la
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dans une logique de performances sociétales. Elle développe des pratiques économiques,
sociales, écologiques et sociétales proactives en refondant ses paradigmes managériaux
selon un système d’amélioration continue et de reporting sociétal. Une stratégie RSE est
également élaborée et se décline autour d’un plan pluriannuel d’actions, d’un panel de
parties prenantes et d’un rapport RSE.
Nos analyses révèlent que cet apprentissage a été rendu possible grâce à trois conditions
que sont la création d’un contexte organisationnel favorable, la création d’espaces
d’apprentissages et la création d’une dynamique managériale.
3-1 - La création d’un contexte organisationnel favorable
Notre analyse révèle que l’apprentissage organisationnel résultant de l’appropriation de
la norme Iso 26000 repose sur la création d’un contexte organisationnel favorable. Celui-
ci s’articule autour de cinq déterminants (intention organisationnelle, chaos créatif,
redondance de l’information, variété requise, autonomie) qui se trouvent être, en réalité,
dupliqués à deux niveaux : un niveau stratégique en lien avec l’équipe de direction et un
niveau opérationnel en lien avec l’expert et notre intervention.
L’analyse de notre matériau révèle que les conditions de génération d’apprentissage par
la norme Iso 26000 sont créées dans un premier temps au niveau stratégique par l’équipe
de direction, cela avant l’intervention de l’expert et de la nôtre.
Le premier déterminant stratégique identifié est l’intention organisationnelle. Il consiste
à guider la PME vers le renouvellement de son modèle économique au travers du prisme
de la RSE de manière à l’inscrire dans une dynamique de progrès.
Pour surmonter la « crise économique » que traverse l’entreprise et atteindre les buts
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lors de l’intervention de l’expert par la refonte des valeurs selon les principes du
développement durable, la construction d’un premier plan d’actions prioritaire, la
détermination des indicateurs de performances sociétales ainsi que les modalités de
dialogue avec les parties prenantes. Durant notre intervention, ce sont l’intégration d’une
dimension éthique aux valeurs RSE, la construction d’un plan d’actions pluriannuel, la
définition des attentes des parties prenantes ainsi que de la rédaction d’un rapport RSE
qui sont déterminées. Celui-ci a pour vocation de présenter annuellement les réalisations
concrètes menées au niveau des enjeux sociétaux et l’état des performances sociétales à
l’ensemble des parties prenantes.
Tableau 1 : Les déterminants stratégiques de l’apprentissage organisationnel
Le second déterminant opérationnel est le chaos créatif. Après avoir formé l’équipe
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Nos analyses révèlent que le chaos créatif est lié à l’expert alors que la redondance de
l’information dépend de notre présence régulière en entreprise.
Notre analyse met en évidence une première condition à l’apprentissage organisationnel
issu de la norme Iso 26000. La création d’un contexte organisationnel favorable se
décline donc à deux niveaux : un premier niveau stratégique qui dépend de l’équipe de
direction, et, un second niveau opérationnel lié aux interventions complémentaires de
l’expert et de la nôtre. Une seconde condition de génération d’apprentissage par la norme
Iso 26000 est la création d’espaces d’apprentissage spécifiques.
sur les résultats des performances sociétales et/ou sur les actions mises en œuvre. La
conversion des connaissances s’effectue dans ce cadre grâce aux NTIC.
Enfin, le dernier espace d’apprentissage que nous retrouvons ici est le Ba génératif (celui
qui facilite la socialisation (tacite/tacite) des connaissances). Ce type de Ba se forme
uniquement lors de notre intervention, et en particulier dans le cadre de debriefing
réguliers auprès des membres de la RMP. En effet, chacun des membres a un rôle bien
spécifique au sein de la RMP. Les missions portent sur le suivi des tableaux de bord des
performances sociétales, l’animation des groupes de travail, la réalisation de fiches
actions. La création d’un climat de confiance, créé par une communication de type face à
face avec ces acteurs organisationnels, permet la conversion des connaissances.
Ces analyses montrent que l’apprentissage organisationnel généré par la norme Iso
26000 repose sur une seconde condition : la création d’espaces d’apprentissage
spécifiques qui permettent la conversion des connaissances en matière de RSE ainsi que
leur diffusion à l’échelle de l’individu, du groupe et de l’organisation.
Une troisième condition d’apprentissage est enfin mise en exergue par notre étude. Elle
concerne la création d’une dynamique managériale.
3-3 - La création d’une dynamique managériale
Nos résultats indiquent que l’apprentissage organisationnel engendré par la norme Iso
26000 s’appuie sur la création d’une dynamique managériale qui s’articule autour de
trois types d’acteurs : l’équipe de direction, les cadres intermédiaires et, enfin, les
personnels. L’équipe de direction, composée du PDG, du chef de projet RSE et du
directeur de l’entreprise, est chargée d’impulser la vision stratégique du projet RSE, tout
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30% clôturés au 8 décembre 2011.
niveaux. Tout d’abord, ils doivent exister à un niveau stratégique, puisque que nos
résultats montrent que ceux-ci sont créés dans un premier temps par l’équipe de
direction. Il ressort ensuite que ces déterminants sont ensuite répliqués à un niveau
opérationnel par l’expert et le chercheur intervenant. En plus de consolider les travaux de
Nonaka et Takeuchi (1995), notre recherche révèle que les conditions d’apprentissage de
la RSE reposent sur l’existence d’un contexte organisationnel favorable articulé à deux
niveaux stratégiques et opérationnels qui apparaissent ici complémentaires. Par ailleurs,
notre étude révèle que l’apprentissage organisationnel généré par la norme Iso 26000
repose sur l’existence d’espaces d’apprentissage spécifiques qui permettent, à la fois, le
partage et la diffusion des connaissances RSE. Elle confirme ainsi l’existence d’espaces
d’apprentissage (Nonaka et Konno, 1998) qui permettent la conversion des
connaissances et leurs diffusions dans l’organisation.
Notre étude montre aussi que l’appropriation du projet de normalisation Iso 26000 est
liée à la création d’une dynamique managériale. Nous retrouvons bien ici les trois types
d’acteurs identifiés par Nonaka et Takeuchi (1995) (management milieu-haut-bas) :
l’équipe de direction en charge de développer une vision stratégique du projet RSE, les
cadres intermédiaires chargés de développer un cadre intégrateur RSE et les personnels
chargés de produire des connaissances opérationnelles dans le cadre de groupes de
travail. Par ailleurs, nos résultats montrent que le positionnement hiérarchique du chef de
projet RSE freine l’apprentissage organisationnel de la RSE, mettant ainsi en lumière
l’aspect socio-politique de ce processus. Alors que Nonaka et Takeuchi (1995) semblent
ignorer les caractéristiques sociales de ces relations, certains auteurs mettent en évidence
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Activité de groupe
sur le diagnostic
« enjeux RSE/
5-6
parties
octobre
prenantes » à
2009 Chaos créatif Opérationnel Opérationnel Equipe projet
partir du
questionnaire
2 jours
préalablement
rempli par
l’entreprise
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