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ANALYSE NUMÉRIQUE POUR INGÉNIEURS

André FORTIN

Notes de lecture
par Philippe PASQUET, CISI

Les outils numériques disponibles dans les logiciels de calcul sont nombreux et sophistiqués.
Développés par des numériciens de haut vol – qui ont parfois du mal à faire passer le message,
même via les étapes commerciales – ils sont de ce fait, au mieux sous-employés, au pire mal
utilisés. Fort heureusement, les choix sont déjà en partie effectués par le concepteur ; mais,
quand tant de possibilités sont offertes, il reste malgré tout du ressort de l'utilisateur d'opter pour
telle méthode ou tel schéma. D'où l'agréable surprise que procure un ouvrage d'analyse
numérique rassemblant une foule de méthodes assorties d'exemples simples, le tout présenté de
manière claire, concise mais précise. Or, tel est le profil du livre d'André Fortin, Analyse
numérique pour ingénieurs (publié par les éditions de l'Ecole polytechnique de Montréal et
diffusé en France par TEC & DOC - LAVOISIER), dont le titre est déjà tout un programme.
Prenons le cas des ingénieurs qui œuvrent dans la simulation en mécanique des structures par
éléments finis. Pour les calculs statiques linéaires, l'analyse numérique intervient au moins à
quatre reprises.

• Les fonctions de forme sur lesquelles l'utilisateur a peu d'influence : en général, l'élément fini
proposé possède ses propres fonctions de forme. Néanmoins, si le type de fonction est figé, il
faut choisir la famille d'éléments donc, bien souvent, le degré de la fonction.
• L'intégration numérique utilisée dans les codes de calcul est souvent effectuée à partir d'un
nombre variable de points d'intégration.
• La résolution du système linéaire alors constitué par l'assemblage des raideurs et des charge-
ments élémentaires est faite en général après une décomposition en produit de matrices trian-
gulaires supérieure et inférieure. La triangularisation sous la forme LU est la plus populaire.
• L'exploitation graphique des résultats fait le plus souvent appel à des méthodes de lissage pour
le tracé des isovaleurs.

Ces quelques points, choisis dans le plus simple des calculs, confirment que la partie numéri-
que est très présente. Pour chacun d'entre eux, les possibilités sont nombreuses. L'ouvrage
d'André Fortin nous permet de mieux comprendre leur utilisation. Reprenons donc les quatre
étapes précédentes à la lumière de ses descriptions et de ses explications.
L'interpolation, comme les trois autres, fait l'objet d'un chapitre. Il est bien évident que les
formes d'éléments finis sont simples et les formules de Lagrange et de Newton coïncident dans
le cas des éléments isoparamétriques usuels. L'utilisation des p.méthodes permet quant à elle de
profiter au mieux de la récursivité de la méthode de Newton. Les méthodes de projection de
champ impliquent, par essence, une erreur d'interpolation qui est quantifiée dans ce chapitre. On
retiendra ce résultat très important : "Il est délicat d'utiliser des polynômes de degré élevé pour
effectuer des interpolations."

L'intégration numérique permet d'approcher la valeur d'une intégrale non évaluable analyti-
quement. Les méthodes les plus utilisées sont de type Gauss ou Simpson. De la formule du
point milieu à la quadrature à n points, l'auteur fournit les bases qui conduisent à telle ou telle
méthode. L'avantage de la formule de Gauss réside dans le choix judicieux des points d'inté-
gration. Pratiquement, sauf dans le cas des p.méthodes, le nombre de points n'est jamais
supérieur à trois, ce qui intègre exactement des polynômes de degré 5, d'où le raffinement
nécessaire dans les zones à forts gradients car, au-delà de 5, l'erreur croit rapidement.

La résolution pour les systèmes de taille moyenne (plusieurs milliers d'inconnues quand même)
fait toujours appel aux décompositions de type LU, dont Gauss est un cas particulier. L'auteur
aborde avec soin les techniques de recherche du meilleur pivot et nous sensibilise aux erreurs
d'arrondi que le calculateur peut engendrer, entre autres, par des simplifications de géométrie.
Les remarques distillées dans ce chapitre nous font une fois de plus regretter l'absence, dans les
codes de calculs, d'indicateur concernant le conditionnement des matrices, même si, "une matri-
ce étant bien conditionnée, un mauvais algorithme de résolution peut conduire à des résultats
erronés".

Un autre chapitre est consacré à la résolution des systèmes de très grande taille à l'aide de
méthodes itératives. D'intenses recherches sont en cours pour mettre au point des méthodes qui
convergent rapidement à coup sûr, car les méthodes classiques, type Jacobi, ne convergent que
dans certains cas. Leur exposé sort bien évidemment du cadre de cet ouvrage.

Le lissage des résultats peut conduire à de graves erreurs d'interprétation car sa problématique
est très liée à celle de l'interpolation (il s'agit en quelque sorte d'une extrapolation) : il a, en
général, tendance à uniformiser les résultats dans les zones à forts gradients mais peut aussi,
dans certains cas, exagérer les différences. A ce propos, l'auteur conseille l'emploi des splines
cubiques.
Si l'on s'intéresse à des problèmes un peu plus compliqués, on trouvera aussi de nombreux
développements. Le chapitre consacré aux équations non linéaires recense deux méthodes de
résolution, différentes par l'organisation de l'équation à résoudre : la méthode du point fixe
converge à l'ordre 1 tandis que la convergence de la méthode de Newton – qui en est un cas
particulier – est quadratique, au prix du calcul d'une dérivée supplémentaire. Toute modification
de la méthode de Newton (sécante ou pente initiale) dégrade ce caractère quadratique sans
systématiquement entraîner une économie de calcul. On retiendra aussi l'algorithme de
Steffenson qui permet d'augmenter l'ordre de convergence de la méthode du point fixe.

Le chapitre traitant des équations différentielles rassemble essentiellement les méthodes pas à
pas. L'auteur démontre que les algorithmes d'ordre élevé sont plus économiques à précision
égale, car ils permettent de choisir un pas d'intégration plus grand. Mais, nous précise-t-il, gare
à cet avantage ; les erreurs se propagent d'un pas à l'autre. Ce chapitre laissera néanmoins le
lecteur un peu désarmé. On peut comprendre que l'auteur ait choisi de ne pas aborder les
méthodes modales, bien que cela représente une classe de calculs très importants dans le milieu
industriel et un nombre d'algorithmes assez conséquent, qui sont parfois une jungle pour les
utilisateurs. Mais, traiter des méthodes pas à pas sans analyser précisément leur stabilité est
difficilement compréhensible et constitue une lacune certaine de ce chapitre.

Ces "oublis" n'occultent pas les nombreuses qualités de cet ouvrage, qui a d'ailleurs reçu le prix
Roberval 96 pour l'enseignement supérieur. Il faut entre autres en souligner l'aspect pédago-
gique : tous les chapitres sont complétés par un grand nombre d'exercices ; la clarté : il va du
plus simple au plus compliqué ; la précision : il ne fait jamais confusion entre méthodes (outil
mathématique incontestable) et algorithmes (mise en œuvre de la méthode).

Saluons donc cet ouvrage, que l'on peut recommander aux étudiants et aux ingénieurs, même si
– et ce n'était pas son ambition – il ne remplacera pas les traités en plusieurs tomes. L'auteur
avait pour objectif de "faire (…) des utilisateurs intelligents" : mission accomplie.

Paru dans le bulletin XXI-2 de Φ2AS (distribué le 12 juin 1997) IPSI

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