Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
chapitre 1.
Pour pouvoir étudier l’impact en place pour réduire la contamina- indépendamment de leur source,
des mycotoxines sur la santé et tion ou les niveaux d’exposition. de façon plus intégrée et en prin-
identifier des mesures efficaces Pour évaluer le risque, c’est-à- cipe plus fiable. La mesure de
d’atténuation, il faut disposer dire pour connaître l’impact des l’exposition, que ce soit en combi-
d’informations sur leur prévalence mycotoxines sur la sécurité sani- nant l’évaluation de la consomma-
dans les aliments de base. Il faut taire des aliments et sur la santé tion aux niveaux de contamination
également bien connaître les par- de l’individu ou de la population, il ou à l’aide des biomarqueurs, peut
ticularités de chaque pays ou de suffit, dans l’idéal, de déterminer servir à identifier les principaux
chaque région pour pouvoir iden- le niveau d’exposition, en intégrant composants alimentaires impliqués,
tifier les denrées alimentaires re- les taux de contamination des ali- à définir des zones où le niveau
sponsables de l’exposition aux ments aux profils de consomma- d’exposition n’est pas acceptable,
toxines dans les différentes popula- tion alimentaire. Ce n’est générale- à évaluer l’impact des mycotox-
tions. Les données de prévalence ment pas possible dans les pays en ines sur la santé et leur rôle dans
permettent également de suivre développement, essentiellement à le développement de la maladie, et
l’efficacité des mesures de sécurité cause de l’absence d’informations enfin à déterminer l’efficacité des
sanitaire des aliments telles que sur le pays, ainsi que du manque stratégies d’intervention. Les nou-
l’instauration de taux maximums, de ressources et de capacités velles méthodes d’analyse multi-
tout en sachant que leur respect d’analyse. toxines, appliquées aux aliments
pourrait avoir des implications pour Les biomarqueurs d’exposition, ou aux prélèvements biologiques,
la sécurité de l’approvisionnement. comme par exemple les adduits afla- ont permis de prendre conscience
En suivant l’évolution de la préva- toxine–albumine (AF–alb) sériques de l’exposition simultanée à
lence, on peut également obtenir ou la fumonisine B1 urinaire (UFB1), l’aflatoxine et à la fumonisine,
des informations sur l’efficacité permettent d’estimer l’exposition ou à d’autres mycotoxines que
des différentes stratégies mises à c h a c u n e d e c e s t ox i n e s l’on ne soupçonnait pas.
2
chapitre 1
(Sacc.) Nirenberg et F. proliferatum Biomarqueurs des aflatoxines effectuées en Afrique occidentale
(Matsush.) Nirenberg, sont des con- et des fumonisines désignent le maïs et l’arachide
taminants courants du maïs et des comme les deux principales
produits à base de maïs. La fumoni- Les niveaux de contamination et de sources d’ingestion d’aflatoxines.
sine B1 (FB1) est la plus abondante consommation des denrées alimen- Les niveaux de biomarqueurs re-
(généralement ~70% des contami- taires peuvent varier énormément trouvés habituellement chez les en-
nations par les fumonisines), et on entre les villages et entre les indivi- fants de moins de 5 ans au Bénin,
la trouve généralement en même dus dans le contexte d’une agricul- en Gambie et au Togo peuvent at-
temps que les fumonisines B2 (FB2) ture de subsistance en milieu rural. teindre 1000 pg d’aflatoxine–lysine/
et B3 (FB3), ces dernières étant en Ces deux paramètres (contamina- mg d’albumine (Turner, 2013). Pour
quantités moindres. Sa présence tion et consommation) sont difficiles comparaison, les niveaux d’adduits
dans le sorgho a également été rap- à mesurer et à analyser. La toxico- AF–alb rapportés lors de la récente
portée (Bulder et coll., 2012). cinétique et la toxicodynamique des enquête nationale sur la santé et la
Les fumonisines ont été évaluées toxines ingérées varient selon les nutrition des Etats-Unis (National
par le JECFA en 2001 et en 2012 individus. C’est pourquoi des efforts Health and Nutrition Examination
(Bolger et coll., 2001 ; Bulder et coll., considérables ont été consacrés au Sur vey ; NHANES) étaient pra-
2012). Comme l’exposition résulte à développement de biomarqueurs tiquement tous (99%) en-dessous
la fois du niveau de contamination des aflatoxines et des fumonisines de la limite de détection, et la
et du niveau de consommation, cer- (Turner et coll., 2012). moyenne géométrique des résul-
taines communautés rurales dans Pour l’AFB1, les adduits AF–alb tats positifs n’était que de 0,8 pg/mg
les pays en développement peuvent présents dans le sang périphéri- (Schleicher et coll., 2013).
dépasser la dose journalière maxi- que ont été validés comme bio- L’AF–alb a également été utilisée
male tolérable provisoire (DJMTP) marqueurs des expositions de du- dans diverses études pour évaluer
de 2 μg/kg de poids/jour de fumoni- rée modérée ou de longue durée l’association entre l’exposition aux
sine si leur alimentation contient (plusieurs mois), tandis que les aflatoxines et le retard de croissance
des quantités importantes de maïs biomarqueurs urinaires, aflatoxine– chez les nourrissons et les jeunes
(Burger et coll., 2010). N7-guanine et AFM1, reflètent les enfants (Turner, 2013). Habituelle-
Wild et Gong (2010) ont analysé expositions plus récentes. Grâce à ment, les marqueurs de l’exposition
les données disponibles sur les ces biomarqueurs, il a été possible chronique aux aflatoxines sont con-
niveaux d’ingestion de fumonisine d’établir un lien entre l’exposition sidérés comme plus fiables, car ils
(µg/kg de poids/jour) dans plus- aux aflatoxines et le développement fournissent une mesure intégrée sur
ieurs pays d’Afrique, notamment du cancer du foie (Kensler et coll., plusieurs mois. Plusieurs biomar-
l’Afrique du Sud (agglomérations de 2011 ; IARC, 2012) et de démontrer queurs potentiels de l’exposition aux
Bizana [1–19 µg/kg de poids/jour] et l’efficacité des études d’intervention fumonisines ont été étudiés, parmi
de Centane [2–36], Transkei [4] et (Turner et coll., 2005). lesquels les bases sphingoïdes
KwaZulu-Natal [0]), le Burkina Faso D’après les données obtenues dans le plasma et l’urine, et la FB1
(0–2) et le Kenya (ville de Bomet en Afrique sub-saharienne avec les dans les cheveux, les ongles, le
[< 0,1]). En République unie de biomarqueurs des aflatoxines vali- sérum, l’urine et les fèces (Sheph-
Tanzanie, Kimanya et coll. (2014) dés, il est probable que les niveaux ard et coll., 2007), mais aucun d’eux
ont noté des taux d’exposition de d’exposition varient énormément n’a été validé dans des études chez
0,2 à 26 µg/kg de poids/jour chez dans de nombreuses régions, en- l’homme. L’UFB1 a été mesurée
les enfants. tre zones agro-écologiques et vil- dans des échantillons provenant
En Amérique latine, l’exposition lages voisins et même au sein de de sujets habitant dans des régions
à la fumonisine a été estimée ces zones agro-écologiques et de où l’exposition aux fumonisines ali-
à 3,5 µg/kg de poids/jour (zones ces villages, ainsi qu’au cours des mentaires est élevée (Gong et coll.,
urbaines) et 15,5 µg/kg de poids/ saisons et au fil des années (Turn- 2008a ; Xu et coll., 2010 ; van der
jour (zones rurales) au Guatemala er et coll., 2012 ; Turner, 2013). Westhuizen et coll., 2011 ; Riley et
(Wild et Gong, 2010). Une étude Les données obtenues avec les coll., 2012 ; Torres et coll., 2014).
plus récente fait état de doses biomarqueurs soulignent encore En règle générale, des liens statis-
ingérées se situant entre 0,20– l’importance de l’exposition péri- tiquement significatifs ont été rap-
23 µg/kg de poids/jour (Torres et natale, notamment in utero et du- portés entre les taux d’UFB1 et les
coll., 2014). rant la petite enfance. Les études taux d’ingestion de FB1 mesurés ou
4
chapitre 1
disponibles pour ces pays et celles des plans bien établis pour le recueil certaines parties d’Afrique orientale,
qui le sont reposent généralement des échantillons. La conception de les cultivateurs pourraient apporter
sur un nombre limité d’échantillons plans d’échantillonnage dans le but le maïs à la minoterie locale, où la
de qualité incertaine. De ce fait, le de déceler la présence de mycotox- recherche d’aflatoxine et de fumoni-
fossé se creuse entre pays dével- ines dans les denrées alimentaires sine pourrait s’effectuer à l’aide de
oppés et pays en développement est complexe, mais il existe un outil kits de détection rapide spéciale-
quant à la qualité et la quantité des pour aider les pays à cet égard : ment conçus pour les applications
données de prévalence générées l’outil d’échantillonnage pour les sur le terrain. Dans ce contexte, il
par les laboratoires. Il faudrait dis- mycotoxines de l’Organisation des devrait être possible de collecter
poser, dans les pays en développe- Nations Unies pour l’Alimentation des données sur une base relative-
ment, d’outils d’échantillonnage et l’Agriculture (Food and ment large, ce qui permettrait une
et d’analyse adaptés aux besoins Agriculture Organization of the meilleure surveillance, même si
spécifiques, comme par exemple : United Nations ; FAO) (http://www. cela ne permet de capter que cer-
• Une méthode de détection utilis- fstools.org/mycotoxins/). De plus, taines des données de prévalence
able sur le terrain/au niveau des le programme GEMS/Food (Sys- dans certaines régions, et aucune
parcelles de subsistance, qui soit tème mondial de surveillance de dans d’autres régions. Cela pourrait
bon marché et facile à utiliser, l’environnement – Programme de néanmoins permettre d’identifier les
et permette toute une gamme surveillance et d’évaluation de la sites où il convient d’intervenir.
d’analyses dynamiques. Cela contamination des denrées alimen- La mesure de l’exposition indi-
pourrait en outre constituer un sys- taires) de l’Organisation mondiale de viduelle est importante pour les in-
tème d’alerte rapide qui donnerait la Santé (OMS) collecte les données vestigations épidémiologiques sur
des indications pour la riposte et mondiales concernant la contami- la cause des maladies et pour la
les actions à mener pour assurer nation des aliments et fournit des in- démonstration de l’efficacité des
la sécurité sanitaire des denrées formations sur la consommation des interventions. Le développement
alimentaires. denrées alimentaires. Les données d’une source fiable de normes cer-
• Un programme de surveillance sur la consommation alimentaire tifiées, spécialement pour les bio-
régional ou national, impliquant moyenne per capita sont détermi- marqueurs des aflatoxines, devrait
la mise en place d’un laboratoire nées d’après les bilans alimentaires permettre d’augmenter de façon
de référence dans la région ou le de la FAO. Il est important de noter substantielle leur utilisation dans les
pays concerné. Le programme de que la base de données fournit les recherches épidémiologiques.
surveillance devra s’intégrer aux niveaux moyens de consommation, Le problème de l’insuffisance
systèmes de surveillance existants mais ne capte pas les profils de con- des données pourrait donc se ré-
et se développer avec le temps. sommation au niveau des fermes soudre par l’utilisation des biomar-
Par exemple, de nombreuses ré- de subsistance. Une autre base de queurs de l’exposition individuelle.
gions possèdent des programmes données de GEMS/Food recueille Les biomarqueurs des aflatoxines
nationaux concernant la santé les données sur les niveaux de sont bien connus, mais celui qui
et la nutrition, auprès desquels il contamination, notamment les taux est le plus utile pour les études sur
est possible de se procurer des d’aflatoxines et de fumonisines dans l’exposition chronique, l’AF–alb,
échantillons biologiques. On pour- les denrées alimentaires et les cul- n’est actuellement mesuré que
rait leur demander de recueillir de tures. Il pourrait être utile de rap- dans un nombre limité de labo-
plus grands volumes d’échantillons peler aux chercheurs qu’ils peuvent ratoires. Il serait intéressant de
(par exemple pour permettre la enrichir cette base de données en pouvoir généraliser cette analyse,
surveillance urinaire des substanc- y ajoutant leurs résultats. Néan- surtout dans les pays où l’on sait
es xénobiotiques) à l’occasion de moins, le recueil d’informations sur que l’exposition aux aflatoxines est
leurs enquêtes nationales. Les les niveaux de contamination et de élevée. Le manque de réactifs pour
nouvelles activités de surveillance consommation chez les petits ag- la détection des adduits aflatoxine–
pourraient inclure à la fois l’analyse riculteurs de subsistance reste un lysine et des mono-adduits AF–alb
des denrées alimentaires et la obstacle important. représente une contrainte majeure
recherche de biomarqueurs. Pour la surveillance, une des op- qu’il convient de résoudre. Les mé-
Pour mener à bien un programme tions envisageables consiste à pré- thodes immuno-enzymatiques ELI-
de surveillance des denrées alimen- lever des échantillons dans les mi- SA (enzyme-linked immunosorbent
taires, il est nécessaire d’avoir déjà noteries de maïs. Par exemple, dans assay) sont généralement moins