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chapitre 1

chapitre 1.

Exposition humaine aux


aflatoxines et aux fumonisines

Pour pouvoir étudier l’impact en place pour réduire la contamina- indépendamment de leur source,
des mycotoxines sur la santé et tion ou les niveaux d’exposition. de façon plus intégrée et en prin-
identifier des mesures efficaces Pour évaluer le risque, c’est-à- cipe plus fiable. La mesure de
d’atténuation, il faut disposer dire pour connaître l’impact des l’exposition, que ce soit en combi-
d’informations sur leur prévalence mycotoxines sur la sécurité sani- nant l’évaluation de la consomma-
dans les aliments de base. Il faut taire des aliments et sur la santé tion aux niveaux de contamination
également bien connaître les par- de l’individu ou de la population, il ou à l’aide des biomarqueurs, peut
ticularités de chaque pays ou de suffit, dans l’idéal, de déterminer servir à identifier les principaux
chaque région pour pouvoir iden- le niveau d’exposition, en intégrant composants alimentaires impliqués,
tifier les denrées alimentaires re- les taux de contamination des ali- à définir des zones où le niveau
sponsables de l’exposition aux ments aux profils de consomma- d’exposition n’est pas acceptable,
toxines dans les différentes popula- tion alimentaire. Ce n’est générale- à évaluer l’impact des mycotox-
tions. Les données de prévalence ment pas possible dans les pays en ines sur la santé et leur rôle dans
permettent également de suivre développement, essentiellement à le développement de la maladie, et
l’efficacité des mesures de sécurité cause de l’absence d’informations enfin à déterminer l’efficacité des
sanitaire des aliments telles que sur le pays, ainsi que du manque stratégies d’intervention. Les nou-
l’instauration de taux maximums, de ressources et de capacités velles méthodes d’analyse multi-
tout en sachant que leur respect d’analyse. toxines, appliquées aux aliments
pourrait avoir des implications pour Les biomarqueurs d’exposition, ou aux prélèvements biologiques,
la sécurité de l’approvisionnement. comme par exemple les adduits afla- ont permis de prendre conscience
En suivant l’évolution de la préva- toxine–albumine (AF–alb) sériques de l’exposition simultanée à
lence, on peut également obtenir ou la fumonisine B1 urinaire (UFB1), l’aflatoxine et à la fumonisine,
des informations sur l’efficacité permettent d’estimer l’exposition ou à d’autres mycotoxines que
des différentes stratégies mises à c h a c u n e d e c e s t ox i n e s l’on ne soupçonnait pas.

Chapitre 1. Exposition humaine aux aflatoxines et aux fumonisines 1


Exposition aux aflatoxines publié des données sur les teneurs données sur les taux d’AFM1 trou-
en aflatoxine trouvées dans divers vés dans le lait de vache commer-
Les aflatoxines sont des mycotox- échantillons collectés à travers le cialisé, frais ou transformé (Henry
ines que l’on trouve sous quatre monde. Gnonlonfin et coll. (2013) et coll., 2001). Mais les données
formes principales : aflatoxines ont également publié récemment relatives à l’Afrique sont rares, et
B1 (AFB1), B2 (AFB2), G1 (AFG1) des résultats concernant l’Afrique. celles qui ont été rapportées ne
et G2 (AFG2). Les aflatoxines se Parmi les exemples de contamina- reflètent probablement pas les
développent sur de nombreuses tion de denrées alimentaires cités niveaux d’exposition habituels dans
cultures, et notamment sur les prin- dans ces publications figurent des les villages ou les exploitations ag-
cipales céréales alimentaires de gâteaux aux cacahuètes provenant ricoles de subsistance. Des études
base (comme le maïs), les fruits du Nigéria (taux allant de 20 à 455 complémentaires sont nécessaires
à coque et les légumineuses μg/kg) ; des arachides brutes prov- pour mieux comprendre les con-
comestibles, ainsi que leurs enant du Kenya (taux non détect- séquences de l’ingestion d’AFM1 à
produits. En général, l’AFB1 at- ables et jusqu’à 7525 μg/kg) et du partir du lait maternel et/ou du lait
teint les niveaux de contamination Botswana (12–329 μg/kg) ; et du de vache en Afrique.
les plus élevés et c’est la plus tox- maïs provenant du Bénin (2–2500 Liu et Wu (2010) ont évalué
ique. Les aflatoxines sont produites μg/kg), du Ghana (20–355 μg/kg) l’ingestion d’aflatoxine dans le
essentiellement par Aspergillus et de Zambie (1–109 μg/kg). Les monde (en ng/kg de poids corporel/
flavus, qui produit les AFB1 et autres sources de contamination jour) à partir de l’estimation de la
AFB2, et Aspergillus parasiti- alimentaire rapportées pour les consommation habituelle de maïs
cus, qui produit les quatre formes divers pays africains comprennent et d’arachide, des leurs niveaux de
d’aflatoxines. La contamination le manioc, le souchet, le niébé, le contamination, et du poids corporel.
peut se produire avant ou après la sorgho, le gombo et le piment, mais Pour l’Afrique, les estimations con-
récolte ou dans les deux cas. du fait des habitudes alimentaires, cernent l’Afrique du Sud (0–17 ng/
Les niveaux de contamination ce sont le maïs et l’arachide qui kg de poids corporel/jour), l’Ethiopie
par les aflatoxines peuvent grande- sont les plus importants en termes (1–36), la Gambie (4–115), le Kenya
ment varier, allant des produits con- de niveaux d’exposition. (4–133), le Mozambique (39–180),
formes aux seuils maximums stricts L’aflatoxine M1 (AFM1) est un mé- le Nigéria (139–227), la République
fixés par la Commission europée- tabolite toxique de l’AFB1, classé démocratique du Congo (0–27),
nne (2 µg/kg pour l’AFB1 ; 4 µg/kg comme cancérogène possible pour la République unie de Tanzanie
pour le taux total d’aflatoxines l’homme (IARC, 2012). Ce composé (0–50) et le Zimbabwe (18–43). Les
[somme des AFB1, AFB2, AFG1 se retrouve dans l’urine et dans le taux d’ingestion rapportés pour la
et AFG2] dans les céréales et les lait des animaux exposés, et aussi Chine et les pays d’Asie du Sud-
fruits à coque destinés directe- chez l’homme. Les données sur le Est sont également élevés par rap-
ment à la consommation humaine) passage de l’AFM1 dans le lait sont port aux pays d’Europe occidentale
(Commission européenne, 2010) limitées, mais il se situerait, d’après et d’Amérique du Nord, où les taux
jusqu’à des taux de contamination les estimations, entre 0,1% et 0,4% situent entre 0 et 1 ng/kg de poids/
susceptibles d’entraîner une af- (Zarba et coll., 1992), et l’exposition jour (Turner et coll., 2012 ; Schleich-
latoxicose aiguë. Par exemple, le de nourrissons à l’AFM1 à partir du er et coll., 2013). D’après ces résul-
dosage des aflatoxines totales, lors lait maternel a été notée dans les tats, l’exposition est de beaucoup la
d’une enquête effectuée en 2004 pays en développement (Sheph- plus importante dans les régions à
dans les marchés ruraux de quatre ard, 2004 ; Turner, 2013 ; Magoha faible revenu. Il faut toutefois noter
districts du Kenya à l’occasion et coll., 2014). La présence d’AFM1 que ces estimations se fondent
d’une épidémie aiguë, a montré des dans le lait de vaches consom- sur des données extrêmement
taux allant de 1 à 46 400 µg/kg, avec mant du fourrage contaminé par limitées, en particulier pour les ré-
7% des échantillons dépassant l’AFB1 est une source supplémen- gions où le risque d’exposition est le
1000 µg/kg (Lewis et coll., 2005). taire d’exposition. Lors de la 56e plus élevé.
En 2003, Shephard (2003) a fait la réunion du Comité mixte FAO/OMS
synthèse des données disponibles d’experts des additifs alimentaires Exposition aux fumonisines
pour les pays africains. Plus récem- (Joint FAO/WHO Expert Commit-
ment Rodrigues et coll. (2011) et tee on Food Additives ; JECFA), Les fumonisines, produites essenti-
Schatzmayr et Streit (2013) ont les scientifiques ont compilé les ellement par Fusarium verticillioides

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(Sacc.) Nirenberg et F. proliferatum Biomarqueurs des aflatoxines effectuées en Afrique occidentale
(Matsush.) Nirenberg, sont des con- et des fumonisines désignent le maïs et l’arachide
taminants courants du maïs et des comme les deux principales
produits à base de maïs. La fumoni- Les niveaux de contamination et de sources d’ingestion d’aflatoxines.
sine B1 (FB1) est la plus abondante consommation des denrées alimen- Les niveaux de biomarqueurs re-
(généralement ~70% des contami- taires peuvent varier énormément trouvés habituellement chez les en-
nations par les fumonisines), et on entre les villages et entre les indivi- fants de moins de 5 ans au Bénin,
la trouve généralement en même dus dans le contexte d’une agricul- en Gambie et au Togo peuvent at-
temps que les fumonisines B2 (FB2) ture de subsistance en milieu rural. teindre 1000 pg d’aflatoxine–lysine/
et B3 (FB3), ces dernières étant en Ces deux paramètres (contamina- mg d’albumine (Turner, 2013). Pour
quantités moindres. Sa présence tion et consommation) sont difficiles comparaison, les niveaux d’adduits
dans le sorgho a également été rap- à mesurer et à analyser. La toxico- AF–alb rapportés lors de la récente
portée (Bulder et coll., 2012). cinétique et la toxicodynamique des enquête nationale sur la santé et la
Les fumonisines ont été évaluées toxines ingérées varient selon les nutrition des Etats-Unis (National
par le JECFA en 2001 et en 2012 individus. C’est pourquoi des efforts Health and Nutrition Examination
(Bolger et coll., 2001 ; Bulder et coll., considérables ont été consacrés au Sur vey ; NHANES) étaient pra-
2012). Comme l’exposition résulte à développement de biomarqueurs tiquement tous (99%) en-dessous
la fois du niveau de contamination des aflatoxines et des fumonisines de la limite de détection, et la
et du niveau de consommation, cer- (Turner et coll., 2012). moyenne géométrique des résul-
taines communautés rurales dans Pour l’AFB1, les adduits AF–alb tats positifs n’était que de 0,8 pg/mg
les pays en développement peuvent présents dans le sang périphéri- (Schleicher et coll., 2013).
dépasser la dose journalière maxi- que ont été validés comme bio- L’AF–alb a également été utilisée
male tolérable provisoire (DJMTP) marqueurs des expositions de du- dans diverses études pour évaluer
de 2 μg/kg de poids/jour de fumoni- rée modérée ou de longue durée l’association entre l’exposition aux
sine si leur alimentation contient (plusieurs mois), tandis que les aflatoxines et le retard de croissance
des quantités importantes de maïs biomarqueurs urinaires, aflatoxine– chez les nourrissons et les jeunes
(Burger et coll., 2010). N7-guanine et AFM1, reflètent les enfants (Turner, 2013). Habituelle-
Wild et Gong (2010) ont analysé expositions plus récentes. Grâce à ment, les marqueurs de l’exposition
les données disponibles sur les ces biomarqueurs, il a été possible chronique aux aflatoxines sont con-
niveaux d’ingestion de fumonisine d’établir un lien entre l’exposition sidérés comme plus fiables, car ils
(µg/kg de poids/jour) dans plus- aux aflatoxines et le développement fournissent une mesure intégrée sur
ieurs pays d’Afrique, notamment du cancer du foie (Kensler et coll., plusieurs mois. Plusieurs biomar-
l’Afrique du Sud (agglomérations de 2011 ; IARC, 2012) et de démontrer queurs potentiels de l’exposition aux
Bizana [1–19 µg/kg de poids/jour] et l’efficacité des études d’intervention fumonisines ont été étudiés, parmi
de Centane [2–36], Transkei [4] et (Turner et coll., 2005). lesquels les bases sphingoïdes
KwaZulu-Natal [0]), le Burkina Faso D’après les données obtenues dans le plasma et l’urine, et la FB1
(0–2) et le Kenya (ville de Bomet en Afrique sub-saharienne avec les dans les cheveux, les ongles, le
[< 0,1]). En République unie de biomarqueurs des aflatoxines vali- sérum, l’urine et les fèces (Sheph-
Tanzanie, Kimanya et coll. (2014) dés, il est probable que les niveaux ard et coll., 2007), mais aucun d’eux
ont noté des taux d’exposition de d’exposition varient énormément n’a été validé dans des études chez
0,2 à 26 µg/kg de poids/jour chez dans de nombreuses régions, en- l’homme. L’UFB1 a été mesurée
les enfants. tre zones agro-écologiques et vil- dans des échantillons provenant
En Amérique latine, l’exposition lages voisins et même au sein de de sujets habitant dans des régions
à la fumonisine a été estimée ces zones agro-écologiques et de où l’exposition aux fumonisines ali-
à 3,5 µg/kg de poids/jour (zones ces villages, ainsi qu’au cours des mentaires est élevée (Gong et coll.,
urbaines) et 15,5 µg/kg de poids/ saisons et au fil des années (Turn- 2008a ; Xu et coll., 2010 ; van der
jour (zones rurales) au Guatemala er et coll., 2012 ; Turner, 2013). Westhuizen et coll., 2011 ; Riley et
(Wild et Gong, 2010). Une étude Les données obtenues avec les coll., 2012 ; Torres et coll., 2014).
plus récente fait état de doses biomarqueurs soulignent encore En règle générale, des liens statis-
ingérées se situant entre 0,20– l’importance de l’exposition péri- tiquement significatifs ont été rap-
23 µg/kg de poids/jour (Torres et natale, notamment in utero et du- portés entre les taux d’UFB1 et les
coll., 2014). rant la petite enfance. Les études taux d’ingestion de FB1 mesurés ou

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estimés ; mais d’après les données 74% des échantillons de maïs et des d’urine nécessaire. Même si le
publiées, la mesure des marqueurs aflatoxines dans 22% des échantil- développement des techniques
urinaires ne reflète que modérément lons de maïs, 29% des échantillons très sensibles de chromatogra-
le niveau d’ingestion. d’arachide et 25% des échantillons phie en phase liquide couplée à la
de manioc) (Ediage et coll., 2014). spectrométrie de masse (LC-MS)
Présence simultanée Dans une autre étude, Probst et facilite la biosurveillance, le coût
d’aflatoxines et de fumonisines coll. (2014) ont évalué la contami- de l’instrumentation nécessaire
nation par l’aflatoxine et la fumoni- restreint son utilisation aux labo-
La présence simultanée d’afla- sine de 339 échantillons de maïs ratoires spécialisés. Avec le dével-
toxines et de fumonisines a été provenant de 18 pays d’Afrique. Des oppement des techniques d’analyse
largement démontrée par l’étude aflatoxines ont été détectées (limite multitoxines fondées sur la LC-MS/
des biomarqueurs et par l’analyse de détection, LD, 1 µg/kg) dans MS, des méthodes multibiomar-
des aliments. En République unie de 47% des échantillons ; 7% avaient queurs – extension des méthodes
Tanzanie, le dosage de l’AF–alb et des taux dépassant 20 µg/kg et 6% multimycotoxines pour l’analyse des
de l’UFB1 effectué chez des jeunes dépassaient 100 µg/kg (le niveau aliments – ont été mises au point
enfants (Shirima et coll., 2013) a maximum était de 1409 µg/kg). Des pour le dosage biologique des tox-
montré une prévalence élevée des fumonisines ont été détectées (LD, ines, dont la FB1 et l’AFM1 (Solfrizzo
deux mycotoxines, et l’exposition 500 µg/kg) dans 81% des échantil- et coll., 2011 ; Warth et coll., 2012).
simultanée aux deux toxines chez lons, avec 7% dépassant 5000 µg/ Ces méthodes ont été appliquées
82% des enfants. Une corréla- kg et 3% dépassant 100 000 µg/kg. en Afrique pour évaluer l’exposition
tion modeste, mais statistiquement La contamination simultanée par (Abia et coll., 2013 ; Shephard et
significative, a également été ob- des aflatoxines et des fumonisines a coll., 2013 ; Ezekiel et coll., 2014).
servée entre les concentrations de été observée dans 35% des échan- A ce jour, peu d’études permettent
ces deux biomarqueurs (r = 0,375, tillons. Les concentrations des deux de comparer les méthodes multi-
P < 0,001) (Shirima et coll., 2013). contaminants variaient selon la ré- toxines des différents laboratoires.
Même si la présence d’aflatoxine et gion, mais pour la Province de la C’est pourquoi on accorde actuel-
de fumonisine était moins fréquente Côte au Kenya, par exemple, 50% lement plus de confiance aux don-
dans les échantillons d’urine prove- des échantillons contenaient des nées résultant de mesures individu-
nant de deux grandes villes du Cam- niveaux élevés d’aflatoxines (moy- elles, mais il est urgent d’effectuer
eroun, Yaoundé et Bamenda (Abia enne, 97 µg/kg) et de fumonisines des études comparatives des mé-
et coll., 2013) et de zones rurales du (moyenne, 32 000 µg/kg) (Probst et thodes des différents laboratoires
Nigéria (Ezekiel et coll., 2014), des coll., 2014). pour pouvoir mieux les exploiter.
expositions simultanées ont été mis- L’exposition simultanée aux af- Un autre problème tient au fait que
es en évidence. Les différences de latoxines et aux fumonisines est certaines méthodes multitoxines, en
sensibilité des méthodes d’analyse également bien démontrée en particulier pour les aliments, pour-
utilisées pour ces différentes études Amérique latine. Le maïs provenant raient mesurer des contaminants
limitent toutefois la possibilité de de 22 districts du Guatemala a fait sans grand rapport avec la santé
comparaisons directes. Dans une l’objet d’analyses ; 36% des 572 humaine, ce qui pourrait engendrer
autre étude menée au Cameroun, la échantillons se sont révélés positifs inutilement des coûts supplémen-
recherche des marqueurs urinaires pour les aflatoxines (moyenne, 63 taires (par exemple, s’il faut mesurer
des mycotoxines chez les jeunes µg/kg ; fourchette pour les échan- > 60 métabolites) et être à l’origine
enfants a mis en évidence leur ex- tillons positifs, 5–2655 µg/kg), et d’erreurs dans les dosages.
position concomitante à l’aflatoxine 99% des 640 échantillons étaient
et à la fumonisine (Njumbe Ediage positifs pour les fumonisines (moy- Principales lacunes
et coll., 2013). Ces données ont enne, 1800 µg/kg ; fourchette pour scientifiques
été complétées par une enquête les échantillons positifs, 10–17 000
dans de nombreuses zones agro- µg/kg) (Torres et coll., 2015). Le problème de l’exposition aux
écologiques du Cameroun, où il mycotoxines est très aigu dans les
s’est avéré que le maïs, l’arachide Limites des analyses pays en développement, qui man-
et le manioc étaient contaminés par quent de ressources et de capaci-
de nombreuses mycotoxines (des L’utilisation de biomarqueurs uri- tés pour effectuer les analyses. Par
fumonisines ont été trouvées dans naires est limitée par le volume conséquent, peu de données sont

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disponibles pour ces pays et celles des plans bien établis pour le recueil certaines parties d’Afrique orientale,
qui le sont reposent généralement des échantillons. La conception de les cultivateurs pourraient apporter
sur un nombre limité d’échantillons plans d’échantillonnage dans le but le maïs à la minoterie locale, où la
de qualité incertaine. De ce fait, le de déceler la présence de mycotox- recherche d’aflatoxine et de fumoni-
fossé se creuse entre pays dével- ines dans les denrées alimentaires sine pourrait s’effectuer à l’aide de
oppés et pays en développement est complexe, mais il existe un outil kits de détection rapide spéciale-
quant à la qualité et la quantité des pour aider les pays à cet égard : ment conçus pour les applications
données de prévalence générées l’outil d’échantillonnage pour les sur le terrain. Dans ce contexte, il
par les laboratoires. Il faudrait dis- mycotoxines de l’Organisation des devrait être possible de collecter
poser, dans les pays en développe- Nations Unies pour l’Alimentation des données sur une base relative-
ment, d’outils d’échantillonnage et l’Agriculture (Food and ment large, ce qui permettrait une
et d’analyse adaptés aux besoins Agriculture Organization of the meilleure surveillance, même si
spécifiques, comme par exemple : United Nations  ; FAO) (http://www. cela ne permet de capter que cer-
• Une méthode de détection utilis- fstools.org/mycotoxins/). De plus, taines des données de prévalence
able sur le terrain/au niveau des le programme GEMS/Food (Sys- dans certaines régions, et aucune
parcelles de subsistance, qui soit tème mondial de surveillance de dans d’autres régions. Cela pourrait
bon marché et facile à utiliser, l’environnement – Programme de néanmoins permettre d’identifier les
et permette toute une gamme surveillance et d’évaluation de la sites où il convient d’intervenir.
d’analyses dynamiques. Cela contamination des denrées alimen- La mesure de l’exposition indi-
pourrait en outre constituer un sys- taires) de l’Organisation mondiale de viduelle est importante pour les in-
tème d’alerte rapide qui donnerait la Santé (OMS) collecte les données vestigations épidémiologiques sur
des indications pour la riposte et mondiales concernant la contami- la cause des maladies et pour la
les actions à mener pour assurer nation des aliments et fournit des in- démonstration de l’efficacité des
la sécurité sanitaire des denrées formations sur la consommation des interventions. Le développement
alimentaires. denrées alimentaires. Les données d’une source fiable de normes cer-
• Un programme de surveillance sur la consommation alimentaire tifiées, spécialement pour les bio-
régional ou national, impliquant moyenne per capita sont détermi- marqueurs des aflatoxines, devrait
la mise en place d’un laboratoire nées d’après les bilans alimentaires permettre d’augmenter de façon
de référence dans la région ou le de la FAO. Il est important de noter substantielle leur utilisation dans les
pays concerné. Le programme de que la base de données fournit les recherches épidémiologiques.
surveillance devra s’intégrer aux niveaux moyens de consommation, Le problème de l’insuffisance
systèmes de surveillance existants mais ne capte pas les profils de con- des données pourrait donc se ré-
et se développer avec le temps. sommation au niveau des fermes soudre par l’utilisation des biomar-
Par exemple, de nombreuses ré- de subsistance. Une autre base de queurs de l’exposition individuelle.
gions possèdent des programmes données de GEMS/Food recueille Les biomarqueurs des aflatoxines
nationaux concernant la santé les données sur les niveaux de sont bien connus, mais celui qui
et la nutrition, auprès desquels il contamination, notamment les taux est le plus utile pour les études sur
est possible de se procurer des d’aflatoxines et de fumonisines dans l’exposition chronique, l’AF–alb,
échantillons biologiques. On pour- les denrées alimentaires et les cul- n’est actuellement mesuré que
rait leur demander de recueillir de tures. Il pourrait être utile de rap- dans un nombre limité de labo-
plus grands volumes d’échantillons peler aux chercheurs qu’ils peuvent ratoires. Il serait intéressant de
(par exemple pour permettre la enrichir cette base de données en pouvoir généraliser cette analyse,
surveillance urinaire des substanc- y ajoutant leurs résultats. Néan- surtout dans les pays où l’on sait
es xénobiotiques) à l’occasion de moins, le recueil d’informations sur que l’exposition aux aflatoxines est
leurs enquêtes nationales. Les les niveaux de contamination et de élevée. Le manque de réactifs pour
nouvelles activités de surveillance consommation chez les petits ag- la détection des adduits aflatoxine–
pourraient inclure à la fois l’analyse riculteurs de subsistance reste un lysine et des mono-adduits AF–alb
des denrées alimentaires et la obstacle important. représente une contrainte majeure
recherche de biomarqueurs. Pour la surveillance, une des op- qu’il convient de résoudre. Les mé-
Pour mener à bien un programme tions envisageables consiste à pré- thodes immuno-enzymatiques ELI-
de surveillance des denrées alimen- lever des échantillons dans les mi- SA (enzyme-linked immunosorbent
taires, il est nécessaire d’avoir déjà noteries de maïs. Par exemple, dans assay) sont généralement moins

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coûteuses, mais le problème est al- LC-MS, et là encore se pose le il a été noté qu’aucune des deux
ors l’absence de kits ou d’anticorps problème du coût de l’analyse. Une ne permet de déceler l’exposition
commercialisés. La chromatogra- corrélation dose–réponse a été rap- chronique. Pour la surveillance et
phie en phase liquide couplée à la portée à plusieurs reprises, mais le l’épidémiologie des aflatoxines, on
spectrométrie de masse (LC-MS) dosage urinaire n’est pas suffisam- peut toujours utiliser comme mar-
fournit des données robustes, mais ment prédictif du niveau d’ingestion queurs les adduits AF–alb séri-
le coût des analyses est prohibitif quand on le compare aux biomar- ques, mais pour la fumonisine, on
pour la plupart des laboratoires. Il queurs des aflatoxines. Pour la ne dispose d’aucun marqueur de
est également nécessaire de sur- surveillance biologique en général, l’exposition prolongée. De plus, il
veiller l’exposition des nourrissons ce n’est pas un gros problème ; est nécessaire de disposer d’outils
à l’AFM1 dans les pays en dével- mais c’est un problème quand il d’analyse à haut débit ; en cela, la
oppement où l’exposition à l’AFM1 s’agit d’évaluer les effets potenti- collaboration entre spécialistes de
est élevée. els sur la santé ou l’efficacité des la mesure de l’exposition et experts
Dans plusieurs régions du interventions. En ce qui concerne des mycotoxines pourrait se révéler
monde, on mesure l’UFB1 par l’utilisation de la FB1 et de l’AFM1, extrêmement bénéfique.

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