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182 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Carte générale du Brésil hollandais à son apogée territoriale de 1643. Extrait


de H. R. HOETINK éd., Zo wijd de werelâ strekt, (catalogus van de tentoonstelling
naar aanleiding van de 300ste sterfdag van Johan Maurits van Nassau-Siegen op
20 december 1979), Koniriklijk Kabinet van Schilderijen, Mauritshuis, Den Haag,
1979.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 :
UNE TENTATIVE DE PROJECTION CONJONCTURELLE
DE LONGUE DURÉE A PARTIR DE DONNÉES DE COURT TERME

Comme nous avons été enfants avant que


d'être hommes, et que nous1 avons jugé tantôt
bien et tantôt mal des choses qui se sont pré-
sentées à nos sens lorsque nous n'avions pas
encore l'usage entier de notre raison, plusieurs
jugements ainsi précipités nous empêchent de
parvenir à la connaissance de la vérité, et nous
préviennent de telle sorte, qu'il n'y a point
d'apparence que nous puissions nous en déli-
vrer, si nous n'entreprenons de douter une
fois en notre vie de toutes les choses où nous
trouverons le moindre soupçon d'incertitude.
René DESCARIES, Principes, I, 1, 1644.

Par son objectif, la présente étude pourrait bien surprendre à la fois


certains historiens et certains économistes, les uns étant encore peu
familiarisés avec la modélisation économique, les autres étant peu accou-
tumés, en dépit de belles tentatives déjà réalisées, à voir se superposer
modélisation (appareil de réflexion par définition théorique et conceptuel)
et Histoire (reconstruction avérée de la réalité, fût-elle d'un passé déjà
« lointain »).
Dans un cahier de l'Institut de Science Économique Appliquée de
1959, Frédéric Mauro a ainsi résumé les difficultés issues de cette distor-
tion :
L'historien est toujours placé devant un dilemme : ou bien il explique le passé
en termes de présent et alors il trahit le passé ; ou bien il l'explique en termes
du passé et, alors, il reste incompréhensible aux hommes du présent. Encore la
gravité du dilemme varie-t-elle selon le champ exploré. Les moeurs politiques sont
éternelles et le langage de Machiavel, de Louis XIV ou de Montesquieu ne nous
est pas tellement étranger. En histoire économique, par contre, le destin des sys-
tèmes est trop hé à celui des techniques, lequel est rendu chaque jour plus éphé-
mère par le progrès. Sans doute certaines constantes demeurent, résidu à la fois
humain et matériel, quelle que soit l'évolution. Mais les systèmes succèdent aux
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systèmes et les structures aux structures. Or tout système économique est d'abord
un vocabulaire et toute structure une structure mentale i.
En conséquence, pour progresser en tant que science humaine, l'analyse
historique doit s'adapter aux outils ainsi qu'au vocabulaire des sciences
réputées être ses « auxiliaires », lorsqu'elle s'autonomise dans ses objectifs.
Ainsi en va-t-il de l'histoire économique. Et nous devons considérer cet
aspect d'autant plus impérieusement que l'histoire économique représente,
comme l'a souligné Joseph Schumpeter, « de loin le plus important des
domaines fondamentaux » constituant l'Analyse économique (histoire,
statistique et théorie), clé d'aujourd'hui et science de l'avenir. Et le grand
économiste de rajouter à l'intention de l'Histoire :
Je souhaite marquer immédiatement que si, recommençant mon oeuvre d'éco-
nomiste, je recevais l'ordre de n'étudier que l'un des trois domaines, tout en
conservant la liberté de choix, c'est l'histoire économique que je choisirais...
D'abord, la matière de l'économie réside essentiellementdans un processus unique
à travers le temps historique. Personne ne peut espérer comprendre les phéno-
mènes d'aucune époque, y compris de l'époque actuelle, à moins de posséder une
maîtrise convenabledes faits historiques et une dose convenable de sens historique
ou de ce que l'on peut définir comme expérience historique. Ensuite, l'exposé his-
torique ne peut être purement économique, mais doit inévitablementrefléter aussi
des faits « institutionnels » : aussi fournit-il la meilleure méthode pour comprendre
comment faits économiques et extra-économiques sont liés les uns aux autres et
comment les diverses sciences sociales devraient être liées les unes aux autres.
Enfin, il faut alléguer, je pense, le fait que la plupart des erreurs fondamentales
communément commises en analyse économique sont dues au manque d'expé-
rience historique plus souvent qu'à toute autre insuffisance de l'outillage de
l'économiste 2.
Or cette définition de « l'utilité » historique comme déterminant de
la compréhension économique peut être appliquée avec les plus grands
espoirs à l'histoire de l'expansion maritime hollandaise aux xvir et
xvirr siècles.
Ainsi en est-il de l'histoire économique de cette partie du Brésil qui fut
conquise et adininistrée sous l'appelation de « Nouvelle-Hollande »3 par
les marins et commerçants de la West-Indische Compagnie (W. I. C.) de
1624 à 1634. Histoire chargée d'espérances et de devoirs, car les derniers
travaux de recherche fondamentale en cette matière remontent à 1921,
année qui vit la publication d'une excellente étude réalisée par l'un des

1. Théorie économique et histoire économique » in Cahiers de l'Institut


Frédéric MAURO, «
de Science Économique Appliquée, n° 79, avril 1959 (série M, n° 4), article récemment réédité
in Des produits et des hommes ; essais latino-américains, XVI'-XXC siècles, Paris-La Haye,
Mouton, 1972, pp. 3-28.
2. Joseph A. SCHUMPETER, Histoire de l'Analyse Économique, tome 1 « l'âge des fonda-
teurs », Paris, Gallimard, 1983, préface de Raymond BARRE, p. 37.
3. A ne pas confondre avec les « Nouveaux Pays-Bas » ou Nieuw Nederland que furent les
établissements hollandais développés autour de Nieuw Amsterdam, ville qui devait devenir l'ac-
tuelle New York.
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meilleurs élèves de l'École historiographique allemande de la fin du xrx*
et du début du xx* siècle 4 : Herman Watjen.
Celui-ci a posé les premiers jalons de recherche et d'explication statis-
tiques que les professeurs J. A. Gonçalves de Mello au Brésil et Frédéric
Mauro en France devaient respectivement synthétiser et développer dans
des ouvrages plus récents 6.
L'ensemble de ces études dépasse le cadre de la seule histoire écono-
mique tout en fournissant de forts utiles éléments de compréhension des
faits liés à l'occupationhollandaise, avec pour centre d'intérêt soit le Brésil,
soit le Portugal et sa conjoncture Atlantique. Mais, pour cette raison
même, aucune d'entre elles ne s'est attachée suffisamment, à notre gré, à
une interprétation de l'événement ou bien de la période dans la perspective
d'une compréhension globale. Aucune ne s'est attachée à la problématique
d'ensemble liée à la dynamique de cette entité majeure que sont alors les
Pays-Bas, véritable « centre financier et commercial de l'économie-monde »,
suivant l'expression d'Immanuel Wallerstein 7. Or telle est la finalité de cette
étude, qui doit nous conduire à quelques réorientations de la méthode, de
la phénoménologie et de l'interprétation.
Si les interprétations feront l'objet d'une réflexion pas à pas au cours
de notre démarche, il n'en va pas de même de la méthode, sur laquelle nous
souhaitons nous arrêter un instant. De quoi s'agit-il ?
A partir de données abondantes sur la brève période, le court et moyen
terme, nous allons amorcer une tentative pour situer l'événement que fut
l'occupation hollandaise du Nordeste brésilien dans le long terme. La
finalité sera d'observer en quoi cet événement permet de marquer, avec
des shnilitudes de concepts et de comportement étonnamment modernes,
un accident économique. Cet accident fournira d'intéressants signes avant-
coureurs d'une dépression plus grave pour le Brésil et sa métropole Portu-
gaise.
Ce faisant, nous empruntons à l'analyse économique des outils méthodo-
logiques qui ne manqueront pas d'apparaître parfois anachroniques en

4. École qui devait tant inspirer M. Bloch au cours de son séjours à l'Université de
Strasbourg de 1919 à 1936, inspiration dont on sait quelles furent les suites magnifiques avec
avec L. Febvre...
5. Hermann WATJEN, DOS HollSndische Kolonialreich in Brasilien, ein Kapitel aus der
Kolonialgeschichte des 17. Jahrhunderts, Den Haag-Gotha, M. Nijhoff-F. A. Perthes, A. G., 1921,
xcx-352 p. Dans son excellente Critical Survey of studies on Dutch Colonial History (2e édition,
La Haye, 1980, p. 234). W. Ph. COOLHAAS nous indique avec justesse que cet ouvrage « écrit par
l'allemand H. Watjen, est une excellente étude et demeure encore le meilleur travail sur les
aspects économiques et financiers » de l'histoire hollandaise du Brésil.
6. Voir J. A. GONÇALVES DE MELLO-NETO, Tempo dos Flamengos. Inluencia da Ocupaçao
Holandesa na vida e na cultura do Norte do Brasil, Rio de Janeiro, 1946, avec une préface
de Gilberto FREYRE, 337 p. Mais voir surtout F. MAURO, Le Portugal et l'Atlantique au
XVII' siècle, 1570-1670, étude économique, Paris, EPHE-SEVPEN, 1960, Lvni-550 p. Tandis que
cet ouvrage majeur doit connaître très prochainement une réédition, il est possible de consulter
du même auteur Le Brésil du XV' à la fin du XVIII' siècle, Paris, SEDES, 1977, dans lequel
les pp. 95-131 fournissent une synthèse utile sur la présence hollandaise au Brésil.
7. Immanuel WALEERSTEIN, Le système du monde du XV' siècle à nos jours, tome 1, Capi-
talisme et Économie-monde, 1450-1640, Paris, 1980, p. 178. Cette dernière observation n'est, au
demeurant, pas une critique car les problématiques des auteurs en question sont tout simple-
ment différentes de la nôtre.
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matière historique ou un peu réducteurs en matière économique. Or il n'en


est rien, et nous tenons au plan théorique à le démontrer avec force dans
ces préliminaires, puis au fil de notre progression :
L'économie est la science du court terme, pendant lequel les conditions fon-
damentales de la production ne changent pas et les fluctuations sont liées à des
mouvements endogènes®. C'est la science d'aujourd'hui et d'immédiatement
demain. C'est la science de l'économie statique, fondée sur la synthèse néo-
classique marshallienne et la théorie de l'équilibre général walraso-parétien.
L'histoire économique au contraire est la science du long terme, c'est à dire d'une
économie prise avec un recul assez vaste pour que derrière la succession des mou-
vements cycliques on voit se dessiner des rythmes plus longs, plus profonds, et
capables d'ébranler ou de modifier les structures 9.
Nous ne nous attarderons pas ici sur la phénoménologie et la problé-
matique cycliques, bien connues au pays de François Simiand, Ernest
Labrousse et Fernand Braudel. En revanche, attachons-nous à l'élément
économique qui va nous permettre avec son « équipement théorique
ou conceptuel » de « reconstruire les systèmes passés » n et surtout nous
aider à percer, quelque jour peut-être, la secrète et difficile dynamique
de l'évolution économique. « Évolution économique », les termes sont
capitaux. Car il s'agit de faire accepter à l'économiste, en l'occurence,
la démarche de l'historien faite de reconstructions, d'hypothèses (heureu-
sement pas toutes contre-factuelles)n et de tentatives exploratoires de
modélisation B.

8. C'est nous qui soulignons.


9. F. MAURO, Des Produits et des hommes, p. 8.
10. Ibid., p. 28.
11. Ibid., p. 28.
12. Notamment celles chères à W. Fogel que nous pouvons retenir au nombre de nos
outils conceptuels avec le plus vif intérêt, bien qu'il ne s'agisse pas du tout de s'abandonner
sans précautions aux délices de l'École dont cet auteur représente l'une des plus brillantes
avant-gardes : nous sommes ici dans le cadre du xvn? siècle. Or ce siècle s'intègre à la période
proto-statistique au plan de l'histoire des données. D'où nos réserves obligées lorsque nous
sommes confronté à une source unique.
13. Sur ce point, voir également F. MAURO, op. cit., pp. 15-16 quant à la problématique de
la modélisation. Une très intéressante tentative pour l'histoire de l'expansion européenne a été
récemment entreprise par Henry A. GEMERY et Jan S. HOGENDORN dans un article traduit et
réédité en français : « La traite des esclaves sur l'Atlantique : essai de modèle économique »
in Esclave = facteur de production, l'économie politique de l'esclavage, sous la direction de
S. MINTZ, Paris, Dunod, 1981, pp. 18-45. Le modèle étant par définition théorique en science
économique, il peut se trouver certaines réticences parmi les spécialistes pour admettre son
utilisation croisée trop fréquemment avec des séries d'éléments historiques factuels ou quanti-
tatifs. Sur cet aspect, nous allons revenir nous-mêmes dans une discussion au plan de la
théorie économique et de la théorie historique (voir note 62). Mais il faut également ren-
voyer tout de suite à l'excellent article de J. R. T. HUGHES, C le fait et la théorie en histoire
économique » in La nouvelle histoire économique, exposés de méthodologie, sous la direction
de Ralph AKDREANO, précédée d'une introduction de Jean HEFFER, « le dossier de la question »,
Paris, Gallimard, 1977, pp. 146-180. Au demeurant, par un effet de feed-back, J. Hughes
précise en conclusion de sa réflexion que : « ces dernières années, il a été beaucoup fait
pour aider à l'intelligence des processus économiques et à l'utilisation des derniers progrès
réalisés dans la formation des économistes. Mais beaucoup pourrait être perdu si l'historien
de la « nouvelle » école négligeait la maxime selon laquelle, en dernière analyse, l'historien
doit rester fidèle aux faits. Cela n'est pas pour excuser les travaux dénués d'imagination, des
travaux d'histoire économique qu'aucune vue ne pénètre. Mais les aspirations des non-histo-
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Or l'un des économistes les plus éminents et les plus clairvoyants du


XXe siècle vient à nouveau au secours de l'historien, en la personne de
Joseph Schumpeter dans l'un de ses ouvrages majeurs. En effet, celui-ci
a affirmé nettement la vanité des résistances des uns aux autres tout en
expliquant leur complémentarité. Il l'a fait dans un texte fort peu lu des
historiens et sans doute trop méconnu des économistes pour ne pas
mériter ici une citation assez exhaustive. Cette réflexion est de nature à
constituer la superstructure conceptuelle d'une étude sur le dévelop-
pement économique des Provinces-Unies et leur expansion maritime mais
également celle de l'ensemble de la problématique coloniale d'Ancien
Régime :
L'évolution économique (...) est simplement (...) l'objet de l'histoire écono-
mique, portion de l'histoire [F. Braudel dirait « globale »...] ; qui n'en est séparée
que pour les besoins de l'exposition et qui par principe n'est pas indépendante.
Cette dépendance de principe nous empêche d'affirmer également sans plus notre
second élément au sujet de l'évolution économique. Car l'état économique indi-
viduel d'un peuple, quand on peut le discerner, résulte non pas simplement de
l'état économique précédent, mais uniquement de l'état précédent total oh se
trouve ce peuple. La difficulté qui en résulte pour l'exposé et l'analyse diminue
sinon en principe, du moins en pratique grâce aux faits qui sont à la base de la
conception économique de l'histoire™.
Préciser la causalité et insérer l'aventure brésilienne de la W. I. C.
dans la conjoncture des Provinces-Unies au xvir siècle, opérer aussi sou-
vent que possible un croisement entre les échelons de la micro- et de la
macro-économie : tels sont donc nos objectifs et nos moyens. Ils s'ajou-
teront aux ressources offertes par la statistique et le traitement des données
significatives à notre disposition à l'heure actuelle. L'étude qui va suivre
ne saurait donc être en l'état achevée ; elle représente bien plutôt le point
de départ d'une réflexion sur l'histoire du Brésil à son époque Hollandaise,
tant il est vrai que si « l'histoire économique est commandée par la science
économique et si celle-ci change avec les besoins des savants, l'histoire
économique est perpétuellement à reconstruire, à repenser, à réécrire. Mais
elle ne fait là que suivre le sort commun à toute la science historique » B :
Sisyphe nous interpellera encore longtemps dans l'univers de Clio...

riens imposent aux historiens que, comme tous les autres, ils s'efforcent de rechercher la
vérité pour elle-même. « Aucune prise n'est défendue » est une règle technique dans cer-
tains sports, mais aussi une excellente règle pour la recherche de la vérité. Clio se montre
cruelle à ceux qui confondent les fins et les moyens dans la recherche de l'intelligence de
l'histoire » (pp. 179-180).
14. J. A. SCHUMPETER, Théorie de l'évolution économique, Recherches sur le profit, le
crédit, l'intérêt et le cycle de la conjoncture, Paris, Dalloz, 2e édition 1935, réimprimée en 1983,
p. 83. Les mots entre crochets et en italiques sont de nous même. Pour en préciser le
sens, soulignons que 1' « état précédent total » considéré par Schumpeter constitue précisément
l'objet d'une histoire globale au sein de laquelle histoire et théorie économiques revêtent un
intérêt essentiel : c'est à ce point précis du raisonnement que les éléments historiques
globaux et individuels fournissent par leur agrégation, toute la densité et sa valeur à l'histoire
économique.
15. F. MAURO, op. cit., p. 28.
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I. — POUR FIXER LE CADRE, QUELQUES PROLÉGOMÈNES HISTORIQUES

Lorsque le 8 mai 1624 se produit la première attaque hollandaise mas-


sive à San Salvador de Bahia, les commerçants et les marins des Provinces-
Unies possèdent déjà depuis une bonne quarantaine d'années une connais-
sance physique et naturelle effective de l'Amérique sub-tropicale luso-
ibérique. Le grand historien du XIXe siècle J. K. J. de Jonge nous explique
d'ailleurs comment les premiers marins hollandais et zélandais firent con-
naissance de la côte brésilienne, dès le début des années 1580 : les premières
visites s'effectuèrent soit en servant à bord de navires de la flotte de com-
merce, soit, plus officiellement, par l'intermédiaire des maisons de com-
merce ayant pignon sur rue à Lisbonne, avec la connivence sinon l'accord
de facto du Roi de Portugal 16. A cet égard, la coopération luso-néerlandaise
de la fin du xvT siècle s'exprime avec le plus d'éclat à travers l'oeuvre
de Johan Huygen van Linschoten, qui ne fut rien moins que le secrétaire
particulier de l'évêque portugais de Goa, sur la côte orientale de l'Afrique :
son séjour dans cette colonie lusitanienne dura cinq années, de 1583 à 1588,
puis il revint aux Pays-Bas rédiger son célèbre Itinerario 11. Cet ouvrage,
qui fut conçu en vue de la distraction et du rêve, devait finalement servir
de « Grand Routier des Mers » (titre de la traduction française de 1598)
à bien des navigateurs hollandais vers l'Asie au début du xvrr siècle. Or
cette oeuvre demeure, suivant l'expression du grand archiviste que fut W. Ph.
Coolhaas, une « véritable encyclopédie des faits intéressant l'Orient »,
constituant, aujourd'hui encore, une « source d'importance fonda-
mentale » 18
En dépit de cette coopération globale luso-portugaise, en Amérique
méridionale navigateurs et commerçants néerlandais se contente, jusqu'à
la fin du XvT siècle, d'atterrissages et de relations commerciales assez ponc-
tuelles. Cependant, à partir de 1600, ces relations leur paraissent mériter
pour d'évidentes raisons techniques (fatigue des équipages et des navires
au terme de traversées de plusieurs mois) quelques structures d'accueil

16. J. K. J. de JONGE, De Opkomst van het Nederlandsch Gezag in Oost-Indië, S. Graven-


hage, 1S62-1909, 13 volumes. Le révérend G. EDMUNSON, indique par ailleurs, dans un article
intitulé « the Dutch on the Amazon and Negro in the seventeenth Century » in English Histo-
rical Review, vol. 18 (1903), pp. 642-659, que « le premier vos'age enregistré d'un vaisseau
hollandais vers le Brésil est celui du navire commandé par Barent Ericszoon, d'Enkhuizen,
en 1590 ». Observons que Barent Ericszoon est justement originaire de la ville natale de J. H.
van Linschoten, et que ces deux voyageurs ou navigateurs devaient être, selon toute vrai-
semblance, sinon de la même génération du moins de générations très voisines.
17. Nous citons ici la meilleure édition de l'oeuvre de J. H. van LINSCHOTEN. Il s'agit
de Itinerario. Voyage ofle Schipavert... naer Oost ofte Portugaels Indien, 1579-1592, édition
de 1910 sous la direction du Professeur H. KERN, 'S Gravenhage, Publications de la Linschoten
Vereeniging, N» 2, 2 volumes (réédition en 1955-1956 par H. TERPSTRA, L. V., n° 57 et 58)
(complétés par le volume 3 de 1934 dirigé par C. P. BURGER Jr. et F. W. HUNGER (L. V. n» 39)
ainsi que les volumes 4 et 5 en 1939, sous la direction de J. C. M. WARNSINCK (L. V. n" 43).
18. W. Ph. COOLHAAS, A Critical Survey of Studies on Dutch Colonial History, 2nd édition
revised by G. J. SCHUTTE, 'S Gravenhage, M. Nijhoff, 1980, vi-264 p. Voir en particulier sur
le Brésil à l'époque hollandaise, pp. 124-126.
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élémentaires. Ces structures se transforment donc assez rapidement en


centres d'échanges commerciaux, suivant un processus d'évolution organi-
sationnelle très classique, déjà bien expérimenté au xvT siècle par les
Portugais notamment sur la côte d'Afrique. Et c'est ainsi que Johannes
de Laët nous apprend dans un ouvrage de 1630 que, dès 1600, des marchands
orginaires de Flessingue ont « construit sur l'Amazonne deux petits forts
et comptoirs, l'un baptisé Fort Nassau [... et] l'autre, Fort Oranje, à 7 lieues
du précédent »D.
Sans nous attarder sur les développements puis la fermeture de ces
centres d'échanges en 1623, puisque le révérend Georges Edmunson s'en
est fait l'historiographe au début de ce sièclew-, il convient donc d'observer
que près d'une cinquantaine d'années de relations et de présence hollan-
daise dans cette région ont largement suffi pour donner bien des idées à
nos commerçants quant à la valeur du Brésil.
Au demeurant, cette prise de conscience s'opère dans un contexte
international fort perturbé : honnis la Trêve de Douze Ans signée en 1609,
les relations entre, d'une part, les Provinces-Unies et, d'autre part, l'Espagne
à laquelle la couronne de Portugal a été réunie provisoirement de 1581 à
1640 sont demeurées constamment conflictuelles. La nature de ces relations
n'est pas sans influer directement sur les structures coloniales naissantes
des Pays-Bas : ainsi, à la constitution le 20 mars 1602 de la Générale
Geoctroyeerde Oost-Indische Compagnie par octroi d'une charte des États-
Généraux 21, succède la création de la West-Inâische Compagnie, le 3 juin
1621. Chacune de ces deux entreprises disposant respectivement d'un mono-
pole de commerce dans l'un des deux hémisphères, les Provinces-Unies ont
de la sorte réduit à l'échelle d'une nation le système de Tordesillas mis en
place en 1470 au profit exclusif des deux Royaumes catholiques de la pénin-
sule Ibérique. Suivant la belle formule du professeur Goslinga, « cette
fois-ci; cependant, ce n'était pas l'autorité papale qui sanctifiait la parti-
tion, mais bien les doctrines de Jean Calvin. Pour la gloire de Dieu et
de Son élu, le monde devait être désormais divisé entre les Compagnies
Hollandaises des Indes Orientales et des Indes Occidentales B 22. Nous
pourrions toutefois rajouter : « et pour le plus grand profit des commer-
çants-actionnaires des Provinces-Unies... s 23.

19. J. deLAET, Nieuwe Wereldt, Amsterdam, 1630, pp. 561-562.


20. G. EDMUNSON, op. cit.
21. La Compagnie Générale Octroyée des Indes Orientales (en abrégé V.O.C.) prend alors
la succession des Voorcompagnie'én qui n'ont pas monté moins de 15 expéditions destines
à la conquête de marchés en Asie de 1595 à 1601 (le dernier retour de ces expéditions se
situant 2 ans après la constitution de la V.O.C, en 1604).
22. Cornelis Ch. GOSLINGA, The Dutch in the Caribbean and on the Wild Coast, 1580-1680,
Assen, Van Gorcum, 1971, p. 88.
23. Il n'appartient pas à cette étude d'envisager les circonstances ou les structures ayant
permis la constitution de la W.I.C. ni même son organisation. Nous nous permettons de
renvoyer sur ces points à notre thèse de doctorat. Trois Rivières et l'Histoire : la Guyane
Hollandaise Occidentale (Demerara, Essequibo, Berbice), au XVIII' siècle, 1700-1796. Par
ailleurs, la Compagnie a donné lieu à de nombreuses études en néerlandais ou en anglais,
dont les plus importantes sont recensées par W. Ph. COOLHAAS, op. cit. Voir en particulier
le chapitre VIII « The area covered by the Charter of the W.I.C. », pp, 122-141. En outre,
l'ouvrage récent d'un juriste a fort bien présenté une vision synoptique et institutionnelle des
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La W. I. C. étant instituée, son aire d'activité également définie, il


demeurait à fixer des priorités d'action de nature à satisfaire des action-
naires. Car bien qu'étant conçue comme une machine de guerre contre les
espagnols, la W. I. C. fut et demeura bien, tout au long de sa « première »
vie 24, une entreprise commerciale dont les objectifs devaient être poten-
tiellement les plus lucratifs possibles. Il fallait donc que, succédant à sa
naissance, fût dressé un programme d'activité et de développement de
l'entreprise.
Aussi, dans le sillage de la Charte de 1621, année coïncidant opportu-
nément et par un heureux hasard avec l'expiration de la Trêve de Douze
Ans, un tel programme d'activité est dressé en avril 1623 : un marchand,
Jan Andries ' Moerbeek2S, l'établit à l'intention du Prince d'Oranje,

cadres du colonialisme hollandais en Amérique : voir Mr. A. J. M. KUNST, Recht, Commercie


en Kolonialisme in West-Indië vanaf de zestiende tôt in de negentiende eeuw, Zutphen, De
Walburg Pers, 1981, 374 p., bibl. index. Retenons pour notre part à partir de cette excellente
synthèse que le conseil d'administration était constitué de dix-neuf Directeurs (de Heeren XIX
ou l'assemblée des XIX) représentant collégialement cinq Chambres de commerce au prorata
de l'importance de chacune d'elle, ce qui nous donne le tableau sommaire suivant :

Nombre Nombre de directeurs Responsabilité


Chambre de Conseillers au Conseil d'Administration des charges
par Chambre de la W.I.C financières

Holland
(Amsterdam) 20 8 4/9°
Zeeland
(Middelburg) 14 4 2/9»
Maas (Meuse)
(Rotterdam) 12 1 1/9»
Stadt en Lande
(Groningue) 12 1 1/9--
Noorder Quartier
(Enkhuizen) 12 1 1/9*

Le poids des deux premières chambres ressort d'évidence et la rivalité entre celles-ci
sera d'une grande importance au cours de la brève histoire du Brésil Hollandais comme
plus tard au cours du XVITP siècle.
24. Il y aura deux compagnies : la première W.I.C. de 1621 à 1674, la seconde de 1676 à
1791. Voir également plus bas note 32. En ce qui concerne le rôle militaire et économique
de la W.I.C, nous ne partageons plus l'opinion sur ce point commune à plusieurs historiens
néerlandais. Ceux-ci sont, à notre avis, sensiblement trop négatifs et sévères à l'égard de la
W. I. C. par comparaison à la V. O. C. Mais nous y reviendrons plus loin.
25. Jan Andries MOERBEEK, Redenen waeromme de W.I.C. dient te trachten het landt
van Brazilia den Coninck van Spangiën te ontmachtigen. Pamphlet Verzameling, Koninklijke
Bibliotheek, 1624, N° 3541. Cité par J. J. REESSE, De Suikerhandel van Amsterdam van het
begin der 17de eeuw tôt 1813, èën bijdrage tôt de Handélsgeschiedenis des Vaderlands,
hoofdzakelijk uit de archieven verzameld en samengesteld, Haarlem, Kleynenberg, 1908,
18 + 276 + CLXXxrv p., bibl-, index, ills. et cartes. Nous souhaitons exprimer ici toute
notre gratitude et nos remerciements à M. Mauro de nous avoir confié pendant une très
longue durée son exemplaire personnel de cet ouvrage rare que nous n'avions pu consulter que
trop brièvement aux Pays-Bas en 1982 dans sa seconde édition (en deux volumes publiés
vers 1911). Sans sa générosité, nous n'aurions sans doute pas été en mesure de fonder aussi
sérieusement que nous l'espérons nos intuitions initiales.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 191

Stadthouder de Hollande, ainsi que des États-Généraux des Provinces-


Unies. Au plan statistique et géopolitique, ce document peut être synthé-
tisé en cinq points tels que les a énoncés l'industriel sucrier et historien
Jan Jacob Reesse, au début de ce siècle :
1. Les habitants, Brésiliens et Portugais, ne sont pas en mesure de se défendre
contre la West-Indische Compagnie.
2. Les Portugais sont les ennemis jurés de l'Espagne et se donneront {zullen zich
begeven) plus volontiers aux États-Généraux et au Prince d'Oranje plutôt qu'à
l'Espagne, d'autant plus s'ils sont maniés avec tact (yooral waneer met tact tege-
nover hen gehandeld wordt).
3. Nonobstant le fait que le pays est gigantesque, la capture et la possession de
Bahia ainsi que Pernambuco sont suffisantes pour se considérer comme maître
de l'ensemble des terres.
4. Ces deux places ne sont pas difficiles à enlever.
5. Les deux places sont situées à proximité de l'océan, en sorte qu'il n'y a pas
besoin de mettre en ligne et d'épuiser une puissante unité de l'armée de terre
leen groot landlegerj, [fait d'importance], particulièrement si l'attaque doit
demeurer secrète 26.
Au plan stratégique et tactique donc, le Norâeste était tout désigné
à l'attaque des marins de la W. I. C. A cet aspect s'ajoutait bien évidem-
ment, en pays profondément gagné aux idées de Calvin et dominé par la
superstructure commerçante, deux autres facteurs : idéologique et écono-
mique. Facteur idéologique, le Portugal et sa colonie Brésilienne ayant
été littéralement « volés » par l'Espagne à son Roi légitime, selon l'argu-
mentation de Moerbeek, une action en direction du Brésil n'en était que
plus « divinement légitime x 27. Facteur économique, il importait que la
conquête fût une affaire rentable. Dans la mesure où les hostilités repre-
naient, affectant très logiquement la conjoncture du marché d'Amsterdam
et de « l'entrepôt Provinces-Unies », l'état de guerre devait contribuer en
assurant un approvisionnementdirect à stabiliser le circuit des échanges de
produits d'origine tropicale.
Or c'est sur le facteur économique, considéré en tant que déterminant
d'une structure politique et sociale coloniale, que nous souhaitons donc
maintenant nous arrêter dans cette enquête, suivant deux axes ou deux
niveaux d'analyse devenus classiques : un axe structurel ainsi qu'un axe
conjoncturel.

II. — POUR UNE ANALYSE STRUCTURELLE DE L'ÉCONOMIE BRÉSILIENNE


À L'ÉPOQUE HOLLANDAISE

La structure économique et sociale brésilienne durant la présence


hollandaise, comme avant ou après l'intervention, est très largement fonc-
tion de la production sucrière : « de 1570 à 1670, la culture de la canne et
la fabrication du sucre vont devenir les deux activités motrices et même

26. J. J. REESSE, op. cit., pp. 188-189.


27. Ibid., « meer als reden omme de goddelijke rechtveerdigheit tôt assistentie te
hebben ».
192 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

dominantes de l'économie brésilienne » 28. Pour cette raison, toute pertur-


bation dans le circuit de production et de distribution de ce produit ne
pouvait manquer de retentir avec force et très logiquement sur la société
brésilienne.
En termes de géographie sucrière, la conquête hollandaise a préci-
sément eu pour conséquences majeures d'entraîner la destruction d'un
nombre important de moulins (les engenhos de assucar), de ravager une
quantité de plantations et de disperser voire de tuer une bonne partie
du cheptel bovin servant de véritable « moteur animal » aux trapiches
{engenhos à boeufs, par opposition aux engenhos hydrauKques fréquemment
appelées engenhos reaies ou royaux).
C'est ainsi qu'au cours des combats les plus violents qui se situent
surtout entre 1626 et 1636, soit une dizaine d'années de très graves pertur-
bations pour l'appareil productif demeuré en état et s'efforçant d'écouler
vaille que vaille ses produits, « beaucoup de moulins ont été incendiés
et des champs de canne couverts de cendres. Les animaux de trait se sont
échappés ou sont morts. Les esclaves se sont dispersés. Chaudrons et maté-
riel restent égarés dans les forêts. La situation est cependant moins grave
au Parahyba [Paraïba dans nos tableaux et sources en hollandais], moins
touché par les combats et où la première récolte de sucre s'avère assez
bonne » 29. (Nous constaterons effectivement le bon état relatif de l'appareil
de production de cette dernière capitainerie dans notre tableau 1). Par
suite il semble donc que, vers 1638/1639, la partie du Brésil conquise par
les hommes de la W. L C. et appelée à former la « Nouvelle Hollande »
soit durement affectée par les rigueurs d'une guerre tant navale que terres-
tre, caractéristique assez rare dans l'histoire des guerres coloniales d'Ancien
Régime 30. Pour cette raison, la logique voudrait donc que ce fut vers ces
années que le minimum de production sucrière dût être atteint. Le sucre
est en effet, à l'époque, le produit de l'agriculture qui nécessite l'infrastruc-
ture de traitement proto-industriel la plus lourde et la plus intégrée. Sa
désorganisation, même temporaire, ne peut qu'entraîner une rupture assez
prolongée du rythme de production par un effet d'inertie propre à ce type
de structures. Or l'activité de ces dernières demeure commandée, de sur-
croît, par une conjoncture climatique elle-même très variable par nature.
A cet égard, arrêtons-nous pour bien noter que Yengenho constitue

28. F. MAURO, Le Brésil du XV' à la fin du XVIII' siècle, Paris, SEDES, 1977, p. 55.
29. Ibid., p. 118.
30. Dans la plupart des cas, en effet, le conquérant s'efforce de circonvenir la plate-
forte ennemie en garantissant sinon la propriété privée du moins les plantations destinées
à être intégrées à son domaine colonial. Bien entendu, ceci exclut les raids à la pirate
destinés à demeurer sans lendemain ou fruits de plans coloniaux insuffisamment mûris. On
peut trouver ces descriptions pittoresques de ces coups de mains, et de première mains
car rédigées par un de leurs auteurs, in Alexander O. EXQUEMFTTN, De Americaensche Zee-
Roovers ; Behelsende een pertinente beschrijvinghe van aile de rooveryen en wreedheden
der Engelse en Transe rovers, tegens de Spanjaerden in America, Amsterdam, J. ten Hoorn,
1678. (Cet ouvrage connut plusieurs traductions en de multiples langues dont une en français
dès 1686 à Paris sous le titre Histoire des Aventuriers qui se sont signalez dans les Indes,
qui vient de faire l'objet d'une assez bonne réédition en 1980, également à Paris, aux Éditions
Maritimes et d'Outre-Mer, 323 p.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 193

véritablement une entreprise proto-industrielle, impliquant dans ces fonc-


tionnement le recours à la maîtrise technique, au « technical know how »
écririons nous aujourd'hui, de « chaudronniers », de « mécaniciens » et de
« charpentiers ». Et de ce point de vue, l'engenho répond fort bien à
la
définition intemporelle de l'entreprise (donc parfaitement transposable à
l'analyse historique) qu'a donnée Joseph Schumpeter de l'unité de base
du système économique :
Nous appelons «entreprise» l'exécution de nouvelles combinaisons et éga-
lement ses réalisations dans des exploitations, etc.. et « entrepreneurs » les
agents économiques dont la fonction est d'exécuter de nouvelles combinaisons et
qui en sont l'élément actif. Ces concepts sont à la fois plus vastes et plus étroits
que les concepts habituels. Plus vastes, car nous appelons entrepreneurs non
seulement les agents économiques « indépendants» de l'économie d'échange, que
l'on a l'habitude d'appeler ainsi, mais encore tous ceux qui de fait remplissent
la fonction constitutive de ce concept, même si, comme cela arrive toujours plus
souvent de nos jours, ils sont les employés « dépendants » d'une société par action
ou d'une firme privée tels les directeurs, les membres de comité directeur, ou
même si leur puissance effective ou leur situation juridique repose sur des bases
étrangères du point de vue de la pensée abstraite à la fonction d'entrepreneur.
Sont aussi entrepreneurs à nos yeux ceux qui n'ont aucune relation durable avec
une exploitation individuelle et n'entrent en action que pour donner de nouvelles
formes à des exploitations, tels pas mal de « financiers », de spécialistes du
droit financier ou de techniciens/.../ Nous parlerons (également) d'entrepreneurs
non seulement pour les époques historiques où ont existé des entrepreneurs en
tant que phénomène social spécial, mais encore nous attachons ce concept et ce
nom à la fonction et à tous les individus qui la remplissent de fait dans une forme
sociale quelconque, même s'ils sont les organes d'une communauté socialiste, les
suzerains d'un bien féodal ou les chefs d'une tribu primitive 3I.
Observons au passage que, par delà l'engenho qui s'insère totalement
dans la catégorie définie, voilà de ce fait posée au plan conceptuel la
définition économique « d'entrepreneur », qui s'applique si bien aux mem-
bres des conseils d'administrations de la V. O. C. et de la W. I. C, les
Heeren X et Heeren XIX. De surcroît, voici également posée une définition,
par un économiste des plus notables et des moins contestables lorsqu'il
parle de l'entreprise en tant que système, de ce que constituent bel et bien
les deux grandes Compagnies aux xviT et xvrrT siècles. Cette définition
renforce de manière déterminante la nouvelle vision progressivement
élaborée par les universitaires du « Groupe de Leyde », visant à les pré-
senter, la V. O. C. surtout, comme les premières « multinationales » de notre
histoire 32.

31. J. A. SCHUMPETER, op. cit., pp. 106-107. En outre l'auteur précise bien dans une
note que « rien ne nous est plus étranger qu'une interprétation du concept linguistique ;
aussi ne nous arrêterons nous pas aux significations où, par exemple « entrepreneur » doit
être traduit en anglais par « contractor », ou bien où « entrepreneur » a une signification
qui amènerait la plupart des industriels à protester si on les comprenait dans ce concept ».
32. Voir en particulier le bel ouvrage de F. S. GAASTRA, De Geschiedenis van de V.O.C,
Haarlem, Fibula-Van Dishoek, 1982, 164 p., bibl., ills. et surtout de Léonard BLUSSE et
Jaap de MOOR, Nederlanders Overzee, Franeker, T. Wever, 1983, 256 p. Dans ce second ouvrage
avec une illustration d'une qualité remarquable, les auteurs posent nettement la question de
savoir si la V.O.C. n'est pas véritablement « la première multinationale » de l'Histoire
(p. 39). Toutefois, en bon spécialistes de l'Extrême-Orient néerlandais ils sont plus réservés
quant aux qualités de la W.I.C dont le domaine d'élection est circonscrit à l'hémisphère amé-
194 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Mais pour revenir au Brésil, quelle est donc exactement la situation


de cet appareil de production du Nordeste au moment de sa remise en
route ? Cette dernière intervient sérieusement après l'arrivée du comte
Jean Maurice de Nassau en 1638 ou même un peu plus tard vers 1639. Mais
l'on peut nuancer : au vu d'une série de mémoires et rapports hollandais, le
professeur Gonçalves de Mello a évalué à 99 ou 109 moulins en état en
1630, 109 en 1636, 106 en 1638 et 121 en 1639 ^
Toutefois ce résumé utile
ne nous indique pas dans quelles proportions sont intervenues les dégra-
dations ou destructions de la capacité de production.
En fait, à partir d'un document peu utiliséjusqu'ici 34, nous allons remar-
quer que les destructions sont assez relatives : un tiers seulement des
engenhos présents avant l'irruption hollandaise dans les quatre capitaineries
de Pernambouc, Itamarica, Paraïba et Rio Grande est hors d'état de pro-
duire en 1638, ainsi que cela ressort du tableau 1.
Par ailleurs, l'analyse de ce tableau complète également la géographie
sucrière du Brésil élaborée par F. Mauro dans sa thèse au début des années
196035. On peut en effet observer que la capitainerie de Pernambouc conti-
nue à perdre en pourcentage sa capacité de production : tandis qu'en 1629
Pernambouc possédait 150 engenhos sur 192 dans la région située au nord
du San Francisco, en 1638/1639 il n'y en aurait plus que 108 dont seulement
75 en état de produire ! De 78 % de la capacité régionale de production
en 1629, Pernambouc n'en conserve que 50 '% au milieu de la période hollan-
daise, signe des méfaits de la guerre. Globalement, la capacité de production
demeure en état de produire à concurrence de 70 % du potentiel initial.
Nous nous devons également d'observer qu'il existe un certain équi-
libre dans la répartition des engenhos entre chaque freguesias. Celles-ci
peuvent néanmoins être regroupées en deux catégories, car cinq d'entre
elles possèdent plus de 14 moulins chacune, soit plus de 9 % de la capacité
totale de production. Sur les 16 paroisses ou freguesias présentées, la
« Juridiction du Sud », la Serinhaém, la Pojuca, St Agostinho et Vargea
possèdent au total et à elles seules plus de 40% du total des moulins.

ricain : « bien que le nom et l'organisation de la W.I.C suggère une parenté avec la V.O.C,
les deux Compagnies de commerce sont cependant difficilement rapprochables. En vérité, la
W.I.C ne fut pas une pure compagnie de commerce, mais davantage un instrument militaire
(porlogsinstrument : litt. « instrument guerrier ») de l'état (p. 70) ». Nous sommes sur ce
point sans doute en léger désaccord avec Blussé et de Moor, du moins en ce qui concerne
certains aspects de ses résultats économiques. Sur l'ensemble de la question, voir notre
discussion dans notre thèse de doctorat déjà mentionnée.
33. Cité par F. MAURO, Le Portugal et l'Atlantique, op. cit., p. 199. Gonçalves de Mello
s'est servi principalement, nous semble-t-il, du mémoire d'Adriaen van der Dussen de 1639.
34. H s'agit du « Sommiers discours over den Staet vande vier geconquesteerde Capi-
tanias Parnambuco, Itamarica, Paraïba ende Rio Grande inde Nooderdeelen van Brasil »
in Bijdragen en Mededelingen van het Historisch Genootschap te Utrecht, Amsterdam, J.
Miiller, 1904, dl. 25, pp. 257-362. Observons que ce document n'est notamment pas cité par le
meilleur historien contemporain du Brésil, Charles BOXER, dans son ouvrage The Dutch in
Brasil, 1624-1654, Oxford, 1957, 327 p., bibl., index et cartes. La traduction hollandaise de cette
étude en 1977 ne la mentionne également pas. Enfin, Hermann Watjen ne mentionne pas non
plus cette source pourtant très fiable et extraite des archives particulières d'A. van Hilten,
l'un des premiers administrateurs de la W.I.C. de l'époque.
35. F. MAURO, op. cit., p. 193 à 197.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 195

En affinant notre observation, remarquons que la camara d'Olinda,


rassemblant une dizaine de paroisses, possède 31 % de l'ensemble des
engenhos productifs de Nouvelle-Hollande.
En outre, il est à noter que la proportion des engenhos arrêtés se situe
presque toujours dans chaque subdivision dans la proportion d'un tiers
pour deux tiers en fonctionnement, qu'il s'agisse des moulins à eau, à
boeufs ou non précisés. Mais certaines paroisses ont été particulièrement
affectées par des destructions en raison de leur situation géo-stratégique
dans le cadre des opérations militaires : ainsi en va-t-il de Serinhaém
(11/18 détruits) et de Goiana (5/9 détruits).
Une des conséquences logiques de cette situation serait de voir le
volume global de production sucrière des quatre Capitaineries corres-
pondre aux deux tiers environ des volumes de production de ces régions
durant les années de paix qui ont précédé l'occupation Hollandaise. Or nous
allons effectivement remarquer que nous ne sommes pas très éloignés
de cette proportion.
Une série de constats mineurs pourrait être dressée à partir de ces deux
tableaux. Mais la plus utile sur laquelle nous devons nous attarder sera
déduite d'une impression d'ensemble, résultant de ce que l'on savait déjà
et de ce qui est présenté ici : Frédéric Mauro, à partir des chiffres de
Watjen parle de 166 engenhos pour l'ensemble de la Nouvelle-Hollande,

36. Ce caractère de déconcentration, et même de décentralisation qu'il s'agisse de la


matière politique ou économique, est une relative constante du système colonial néerlandais
des xvir= et xvnp siècles. Le système s'efforcera toujours de développer de manière endogène
plusieurs « pôles de croissance », suivant l'expression de F. Perroux. Ces pôles croîtront sui-
vant un processus relativement indépendant d'une unité à l'autre, tant en Guyane, avec le
Surinam, Essequibo, Demerara et Berbice qu'en Extrême-Orient. Cette polarisation dans le
développement colonial sera pour une bonne part à l'origine des succès précoces des colonies
néerlandaises, là où d'autres ne réussiront rien avec les mêmes conditions naturelles et parfois
plus de moyens financiers et politiques : Voir à ce sujet le cas de la Guyane Française au xvm°
siècle (et même bien plus tard jusqu'à nos jours) cas représentant l'un des meilleurs contre-
exemple d'une politique de développement. Par ailleurs, on peut rappeler que c'est un grand
étonnement pour les Français lorsqu'ils débarquent en Guyane Occidentale Hollandaise (Esse-
quibo) en 1782, de voir qu'il n'existe même aucun centre économique et politique géographique-
ment fixé dans cette colonie d'une très grande richesse : le comte de Kersaint, qui commande
l'escadre française et gouverne par intérim quelques mois, fait aussitôt dresser le plan d'une
ville majeure, dont il écrit dans un mémoire de 1782 qu'elle ce sera le centre de l'Économie ;
où la Religion aura un temple, la Justice un Palais, la Guerre ses Arsenaux, le Commerce
ses Chambres de Comptes, l'Industrie ses Manufactures, et où les habitants pourront jouir
des avantages de la Société ». D'ailleurs, paradoxalement, c'est dans l'absence de tout centre
nerveux de concentration géographique majeure des échanges économiques et politiques qu'il
faut voir l'une des raisons du déclin final des Hollandais dans cette partie de la Guyane
d'où les Provinces-Unies seront évincées en 1796, non sans avoir mis en place l'une des plus
brillantes infrastructures de productivité agricoles de toute l'Amérique méridionale. Sur ce
dernier point, nous devons, ici encore renvoyer à notre thèse consacrée à cette région.
Aussi, pour revenir à la Nouvelle-Hollande, nous pouvons constater que cet esprit cen-
tralisateur est assez différent de l'esprit néerlandais : même si Johan Maurits fait construire
un Palais à Schoonburg (Recife, du côté de la rive qui n'a pas encore été bâtie), il vise à
aérer et équilibrer « sa » capitale. Mais il voudra ensuite développer les autres villes avec le
même entrain que Recife, un peu sur le modèle d'équilibre qui caractérise les Provinces-Unies
au xvrp siècle. D'où une rupture par rapport à la structure mentale organisationnelle et
urbaine Portugaise.
196 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Détail des bourgs et villages dans les capitaineries de Paraïba, Itama-


rica et Pernambuco. Extrait de l'ouvrage de J. de LAET, laerlyck Verhael van de
Verrichtingen der Geoctroyeerde West-Indische Compagnie in derthien Boecken,
uitgegeven door S. P. L'Honoré NABER en J. C. M. WARNSIKCK, ' s-Gravenhage, M.
Nijhoff, 1931-1937.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 197
dont 120 en fonctionnement et 46 en ruines en 1640, alors que la proportion
semblait légèrement plus défavorable encore en 1638. On peut résumer
ces rapports sous la forme suivante :

1638 1640

En production : 70,66 % En production : 72,28 %


Arrêtés : 29,33 % Arrêtés : 27,71 %

Enfin, pour compléter cette vision d'ensemble, il faut savoir que cer-
tains engenhos ont été abandonnés par leurs propriétaires portugais. Pour
cette raison, Jean Maurice de Nassau, souhaitant la remise en ordre tant
politique que sociale de la Nouvelle-Hollande, a fait procéder à une confis-
cation des exploitations arrêtées pour les mettre en vente. Ce faisant, il
« lance un appel à tous les portugais qui ont abandonné leur engenho pour
qu'ils reviennent : ils auront la liberté de conscience, leur propriété sera
restituée et ils seront à égalité de droits avec les Hollandais (les intéressés
ne répondent pas tout de suite) » 37.
Mais, si le produit des ventes de plantations arrêtées rapporte 2 millions
de florins entre 1637 et 1638, il demeure cependant que l'engagement direct
des hollandais dans le processus de production sucrier demeure limité.
A cet égard, nous pouvons dresser, à partir de la même source que dans
les deux précédents tableaux, un état de l'engagement hollandais dans le
système de production. Ce document de synthèse constitue à titre provisoire
un indicateur tendanciel du faible niveau de cet engagement. Or une telle
faiblesse est regrettable, car, dans le cas contraire, une forte participation
des capitaux amstellodamois ou middelbourgeois eût été de nature à renfor-
cer les volontés de modération fiscale souhaitée par Jean Maurice de Nassau
à l'endroit des planteurs : en effet, ceux-ci eussent été davantage entendus
dans leurs doléances fiscales par les représentants de la W. I. C. L'avantage
d'un tel engagement aurait donc été susceptible de faire mieux percevoir,
par l'administrationde la nouvelle puissance colonisatriceprésente à Recife,
le niveau élevé du risque d'entreprise que représentait le fonctionnementde
l'engenho. Nous nous trouvons en face de l'archétype de la problématique
coloniale latino-américaine qui devait détacher les colonies de leurs métro-
poles à la fin du xviir siècle, sous l'impulsion des élites créoles en rébellion
face à leurs autorités de tutelle. Dans le cas de la Nouvelle-Hollande,
comme l'a écrit Fernand Braudel, « leur faute [aux Hollandais] est d'avoir
voulu construire une superstructure marchande, sans coiffer la production,
sans coloniser au sens moderne du mot s 38. Cette erreur est évidente si
l'on examine le tableau 3, qui permet donc d'avoir une idée assez précise
de la structure foncière du Brésil à l'époque Hollandaise.

37. F. MAURO, Le Brésil du XV' à la fin du XVIII' siècle, p. 106.


38. F. BRAUDEL, Civilisation matérielle, Économie et Capitalisme, XV'-XVIII' siècle,
tome 3 « Le temps du monde », Paris, 1979, p. 197.
198 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Constatons dans un premier temps que presque 40 % des engenhos ont


été confisqués. Mais ces 55 plantations confisquées représentent bien la
moitié de la capacité de production sucrière de Nouvelle-Hollande (52,38 %).
Par ailleurs, un peu moins de la moitié de ces confiscations (24 sur 55)
avait fait l'objet d'un rachat au 19 janvier 1638. Ce décompte laisse l'enga-
gement « direct » en capital néerlandais investi au Brésil en 1638, à seule-
ment 16 % de la force de production potentielle et à peine 23 % (24 engen-
hos sur 105) de la capacité de production effective. Ce total est très faible,
puisque le capital néerlandais n'atteint ainsi pas même le quart de l'appareil
de production sucrier de la nouvelle colonie de la W. L C. Ceci représente
au minimum une grave défiance à l'égard de l'entreprise de colonisation,
sinon une faute de l'appareil financier néerlandais. Et l'on peut observer
pour confirmer ce manque de confiance, que les acquisitions ont été plus
faibles dans les régions situées le plus au sud (« Juridiction du Sud »,
Serinhaém, Pojuca, Agostinho). En revanche, dans les capitaineries
d'Itamarica, de Paraïba et de Rio Grande les acquisitions ont été massives :
respectivement <8 sur 9, 6 sur 7 et 1 sur 1, soit 89 %, 86 % et 100 % des
confiscations de la région concernée, bien que ces derniers pourcentages
soient très relatifs compte tenu des quantités très réduites en cause. Il est
à noter de surcroît que les engenhos confisqués, donc mis en vente publi-
que, sont des engenhos en état de produire, ce qui renforce là encore la
tendance. En fait, il convient de retenir sur ce point que la situation géo-
stratégique a fait fuir, ici encore, les investisseurs, tant il est vrai que le
commerce et l'agriculture n'aiment pas trop la guerre...
Mais revenons sur le fait que 16 % seulement de l'ensemble des planta-
tions ont été rachetées fin janvier 1638 par des néerlandais : il est possible
de corriger ce pourcentage très faible en considérant, comme nous l'avons
déjà évoqué, que les engenhos rachetés étaient bien tous en état de pro-
duire, ce qui nous a amené à observer une participation directe des
Provinces-Unies dans le processus de production sucrière à concurrence
d'environ 23 %. Pour être tout à fait exact, il faudrait envisager la valeur
effective de rachat de chacun des engenhos et l'on aurait ainsi une idée
encore plus précise de l'engagement en capital à proprement parler. En
tout état de cause, ces 23 % demeurent très faibles même en supposant que
vers 1640/1643 de nouveaux capitaux et de nouvelles velléités de partici-
pation directe se soient manifestés. D'ailleurs, nous verrons plus loin que
ceci est peu probable.
Nous considérerons donc que tout au long de la période du règne
Hollandais au Brésil, l'investissement direct non portugais est demeuré
inférieur à 30 % de l'ensemble de l'appareil de production.
Si la participation hollandaise directe demeure donc très réduite, il
reste à souligner que près de 40% du total des engenhos ont changé de
propriétaires en 1637-1638, soit plus de la moitié (52,38 % de la capacité

39. Ceci demeure bien entendu à préciser dans une enquête ultérieure à propos de
laquelle il existe plusieurs directions de recherches très précises, tel le recensement des
acquisitions hollandaises sur place qui a été conservé dans divers fonds d'archives aux
Pays-Bas.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 199

productive : quasiment l'effet d'une révolution sociale sinon politique.


De ce point de vue, il est raisonnable de penser que ces investissements ont
été principalement le fait des Nouveaux-Chrétiensportugais et de commer-
çants israélites venus d'autres régions européennes, compte tenu de l'impor-
tance prise par la communauté juive au cours de la présence hollandaise
en dépit, malgré tout, du maintien d'une certaine prévention calviniste
à son égard :
Pour le Conseil [ecclésiastique protestant], c'est un scandale de laisser célé-
brer le culte dans deux temples juifs. Or la W.I.C. a proclamé la tolérance, ce qui
a encouragé l'immigration juive. Après l'arrivée de Maurice de Nassau, et l'Acte
de 1638, nouvel afflux de commerçants juifs. Ces deux vagues successives s'ajou-
tent aux Nouveaux chrétiens portugais déjà installés avant l'arrivée des Hollandais
et d'ailleurs plutôt senhores de engenhos.
Mais les catholiques eux-mêmes sont hostiles à la liberté totale du culte juif.
Celui-ci ne pourra donc être célébré qu'en privé. Catholiques comme protestants
sont en effet jaloux de la réussite commerciale israélite. L'antisémitisme est accru
par la force croissante de la communauté juive qui s'entend pour ruiner les
concurrents chrétiens et dont les membres s'entraident, ne portent pas d'insignes
spéciaux comme en Europe. En 1642, un Juif est même lapidé. Et pourtant, ils
restent de fidèles soutiens de la présence hollandaise qui a éloigné l'Inquisition,
encore qu'étant d'origine ibérique, ils souffrent du préjugé de race hollandais *>.
Nous n'avons pas pu encore déterminer le rôle de cette communauté
israélite à partir de la source utilisée pour l'élaboration des tableaux
précédents. Toutefois la présence de cette communauté est avérée par la
présence patronymique d'un Jacques Pires, d'un Isaac de Rasière ou d'un
Joan Lorenço Françez... Or cette question est loin d'être secondaire au plan
économique dans l'histoire du Brésil : en particulier, il faut se souvenir
que cette très importante communauté, détentrice d'un indéniable savoir-
faire technologique en matière sucrière, contribuera de manière détermi-
nante au déclin brésilien dans ce secteur au xviiT siècle, par son émigration
massive vers les Antilles et la Guyane hollandaises41.
Une dernière remarque quant à la structure foncière du Brésil à l'épo-
que hollandaise tient au poids économique des femmes en tant que gérantes
ou plus exactement senhoras de engenhos. Celles-ci, en l'absence de leurs
maris ou parfois en tant que leurs veuves, administrent à concurrence
de près de 15 % les plantations en état de produire, sans que nous puis-
sions en tirer de conséquences décisives, à l'heure actuelle toutefois.

40. F. MAURO, op. cit., p. 130.


41. Dans la crainte du retour de l'Inquisition, une majeure partie de la communauté
israélite émigrera vers les Provinces-Unies, les Nouveaux Pays-Bas (les établissements de
Nieuw-Nederland regroupés autour de Nieuw-Amsterdam, ancêtre de New York) et surtout
vers Curaçao et Paramaribo (Suriname). Sur ce point, voir le bel ouvrage de I. S. EMMANUEL,
Precious Stones of the Jeivs of Curaçao ; Curaçaoan Jewry, 1656-1957, 564 p. ainsi que la
réédition par S. EMMERTNG en 1974 de la remarquable Geschiedenis der kolonie van Suriname,...
geheel opniemv samengesteld door een gezelschap van geleerde joodsch mannen aldaar,
Amsterdam, 1791, 203 p. De manière générale ce libraire a procédé à une série de rééditions
d'ouvrages signalés par leur qualité et leur place dans l'historiographie. Ce dernier ouvrage
fut en particulier rédigé par une société savante dont le membre le plus éminent fut David
Isaac Cohen-Nassy. Le baron Malouet rencontra cet intellectuel-commerçant au cours de son
voyage au Suriname dans les années 1780.
200 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

En 1638, la Nouvelle-Hollande possède donc 105 engenhos productifs.


Or, il semble qu'à l'issue des énergiques mesures de « relance » de l'éco-
nomie coloniale brésilienne prise par Jean Maurice de Nassau, l'on assiste
bien à une « reprise », peut-être même à un « emballement », de la produc-
tion et de l'activité économique : on a observé qu'en 1639 « le nombre
total des engenhos s'élève à 166, dont 121 dans le Pernambouc, 33 à Itama-
rica, 20 au Paraïba et 2 au Rio Grande. Mais en 1640, 120 seulement fonc-
tionnent les 46 autres étant en ruines » 42. Par ailleurs, Hermann Watjen
précise même que ces 46 engenhos « étaient tellement délabrés (vorfallen),
qu'ils n'étaient même plus susceptibles d'être mis en vente » 43. Il nous
semble que ces estimations soient donc assez fiables, car la quantité
d'engenJios n'est pas une chose qui se modifie comme le nombre de caisses
de sucre sorties illégalement du Brésil ou de Nouvelle-Hollande à cause
de la corruption et de la contrebande fiscale. Ces éléments nous permettent
d'ailleurs de fonder assez valablement les estimations suivantes présentées
dans le tableau 4 quant à l'évolution de la rentabilité des exploitations
sucrières brésiliennes au XVTT siècle.

Les conclusions qui se dégagent de la lecture de ce tableau de mesure


de la productivité chronologique sont intéressantes à plus d'un titre. Car,
d'une part, nous avons la confirmation, chiffres en mains, de notre suppo-
sition au vu du seul tableau de recensement des engenhos en 1638
(tableau 1), quant au volume global de production sucrière (cf. supra,
p. 13) : si, en 1638, le ratio de productivité moyenne par engenho correspond
à 60 % du niveau de 1610, en revanche, celui de 1639 corespond aux 2/3, à
peu de choses près, du niveau d'avant-guerre.
Mais, d'autre part, il est du plus vif intérêt de remarquer qu'en 1641,
avec un ratio moyen de 104 431 £, la Nouvelle-Hollande a rattrapé, et même
dépassé de près de 17 %, ce niveau d'avant la guerre. S'il fallait démontrer
l'efficacité de la « politique économique de relance » mise en oeuvre par
Jean Maurice de Nassau, nous possédons désormais une bonne illustration
matérielle de son succès.
En étudiant ainsi l'évolution de la productivité moyenne des engenhos
brésiliens durant la première moitié du xvrT siècle, nous arrivons au coeur
du système que nous avons entrepris d'étudier, au moteur de l'activité
économique.
Frédéric Mauro a présenté dans sa thèse la comptabilité théorique
vers 1635 de l'engenho de Sergipe do Conde, propriété du collège jésuite
de Santo AntaoA4. Il était donc intéressant de poursuivre nos investigations
structurelles comparées en recherchant le même type de documents pour
la période hollandaise, avec un triple objectif :

42. F. MAURO, op. cit., p. 118.


43. H. WATJEN, op. cit., p. 269.
44. F. MAURO, Le Portugal et l'Atlantique, pp. 213-219. Après la rédaction de cette thèse,
l'Institut du sucre et de l'alcool devait publier les comptes de cet engenho pour les années
1622-1653, confirmant les conclusions de F. Mauro élaborées à partir de la seule comptabilité
théorique de 1635 en sa possession.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 201

Observer les caractéristiques de l'engenho telles que ces caractéris-


1.
tiques ont été perçues ou analysées par l'administrateur de la W. L C. ou
le marchand indépendant venu des Provinces-Unies.
2. Observer d'éventuelles différences dans la vision hollandaise du
« système » de l'engenho par rapport à la maîtrise économique et techno-
logique portugaise.
3. Plus fondamentalement, dans la mesure où l'engenho peut être
assimilé à une entreprise et dans la mesure où l'entreprise représente
suivant l'expression de Joseph Schumpeter le « phénomène fondamental
de l'évolution économique » 45, il convient de vérifier, d'une part si les
éléments d'analyse comptable des acteurs économiques hollandais portu-
gais et, d'autre part, si ces éléments correspondent bien à nos reconstruc-
tions structurelles d'ordre macro-économique.
Pour ce faire, nous avons effectivement retrouvé par auteurs interposés
une comptabilité théorique d'engenho de l'époque hollandaise imprimée
dans une petite brochure de 1646 consacrée à la Prospérité de la Compagnie
des Indes Occidentales 46. Ce document nous permet de dresser assez
précisément un « compte d'exploitation » annuel, intéressant à plus d'un
titre, que l'on peut présenter sous la forme du tableau 5 accompagné
d'explications détaillées.
Ce compte d'exploitation d'une entreprise de 160 « travailleurs »
(esclaves) et de 17 « cadres » (contre-maîtres et représentants des corps
de métiers utilisés dans l'industrie sucrière) nous permet d'observer
en premier lieu le niveau potentiel de production d'un engenho de dimen-
sions conséquentes. Cette capacité de production se situe à environ 184 000 £
de sucres par an destinés à la vente, c'est-à-dire à un niveau de produc-
tivité supérieur de 64 % au meilleur ratio de productivité moyenne mis
en évidence au tableau 4 précédent.
Mais si l'on inclut les 300 caisses destinées à la rémunération du maître
de l'engenho, nous obtenons un niveau de production annuel de 360 000 Livres
d'Amsterdam! Il se déduit de ce constat qu'en moyenne 50 % de la
production totale peut être réservée à l'usage de senhor de engenho : or
ceci correspond exactement au relevé de Frédéric Mauro dans le cas de
l'engenho de Sergipe en 163547. Mais les caractéristiques communes aux
deux situations envisagées dans deux époques et deux contextes conjonc-
turels différents sont multiples. Et il est possible de les rapprocher pour
mieux les comparer entre elles en les résumant sous la forme du tableau 6.
Notre source pour 1640/1645 permettant une décomposition moins
élaborée que pour l'année 1635, il nous est difficile de pousser l'analyse
comparative. Cependant, il est possible de remarquer qu'à productivité
moyenne par esclave moindre, l'engenho envisagé dans le cadre hollandais

45. J. A. SCHUMPETER, Théorie de l'évolution économique, p. 106.


46. Il s'agit d'un fascicule anonyme de 1646, intitulé Welvaert van de West Indische
Compagnie, Pamfletten verzameling, Koninklijke Bibliotheek, 1646, N° 5357. Voir également
l'ouvrage déjà cité de REESSE, pp. 189-199 et en particulier les pp. 197-199.
47. F. MAURO, op. cit., pp. 213-219. Il s'agit de l'engenho « théorique » décrit par le père
Estevâo Pereira, établissement auquel l'on a déjà fait allusion précédemment.
3
202 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

permet le dégagement d'un bénéfice brut de l'ordre de 15 % tout comme


10 ans plus tôt. Et ceci représente le point d'importance, tandis
que les dépenses annuelles assimilables aux charges de personnel sont
très voisines de 35 % dans les deux cas. Or, rappelons que F. Mauro a
calculé pour 1635 un bénéfice net (déduction faite des amortissements)
équivalent seulement à 7,8 % du chiffre d'affaires mais à peine 3 '% du
capital, impôts non retranchés.
Si nous prenons le prix moyen de rachat à l'époque hollandaise des
engenhos confisqués en 1637 comme indicateur de la valeur moyenne
du capital que représente l'engenho de 1640, nous obtenons une valeur de
80 000 florins4S. Le bénéfice annuel moyen tiré de l'engenho « à la hollan-
daise » ne représente donc que 6,31 % du capital considéré, déduction
faite toutefois d'une majeure partie des impôts à la production. Ces
derniers représentent 12,33% des recettes.
Mais s'ils étaient calculés par rapport au bénéfice annuel moyen
en étant préalablement aggrégé au solde créditeur (à la manière, toutes
proportions gardées, de l'impôt sur les sociétés dans nos pays contempo-
rains et en particulier en France...) ces impôts à la production représen-
teraient bien 44,50 % du bénéfice de l'entreprise ! Or, nous n'en sommes
qu'au premier stade économique et il reste à notre sucre un bien long
chemin à parcourir jusqu'au consommateur final d'Amsterdam, de Ham-
bourg ou de Saint-Pétersbourg...
Il est donc important de s'attarder sur la contrainte fiscale en tant
que contrainte structurelle pesant sur l'économie. Et ceci est valable au
xvrc siècle aussi bien qu'au XXe :
L'histoire fiscale d'un peuple constitue une part essentielle de son histoire
tout court : le prélèvement économique opéré par l'État pour couvrir ses besoins
et la manière dont le produit est employé exercent une influence considérable sur
le destin d'une nation. Les traits caractéristiques de la plupart des périodes histo-
riques s'expliquent en grande partie par les effets directs des besoins financiers
et de la politique financière des États sur le développement de l'économie et,
par là, sur toutes les formes de la vie sociale et de la civilisation 49.
Dans la mesure où il n'appartient pas à cette étude d'observer l'en-
semble du circuit économique du Brésil hollandais, mais seulement de
procéder à une mise en évidence des difficultés structurelles dans la viabi-
lité de la colonisationhollandaise, nous n'étudierons pas en détail les droits
perçus sur le trafic au départ de la métropole vers la colonie so. Nous allons
48. Moyenne des chiffres cités par F. MAURO, op. cit., pp. 218-219. Il s'agit des prix de
vente d'un « certain nombre â'engenhos appartenant à des Portugais et abandonnés par eux
lors de l'invasion hollandaise ». L'auteur observe que « les prix indiqués sont bas. Les engenhos
avaient été abandonnés, exigeaient une remise en état. Les acquéreurs manquaient de moyens
de paiement. Mais ces prix ne sont pas très différents les uns des autres. C'est le signe d'une
certaine homogénéité, moins nette, semble-t-il, à Bahia ».
49. J. SCHUMPETER, La crise de l'état fiscal » in Impérialisme et classes sociales, Paris,
<C
Flammarion, 2e édition française, 1984, p. 233.
50. Voir sur ce problème de l'affrontement des thèses mercantilistes et anti-mercantilistes,
l'excellent chapitre que lui a consacré Joseph SCHUMPETER dans son Histoire de l'analyse éco-
nomique, tome 1, pp. 464-514. En particulier sur les politiques anti-monopolistiques, voir sa
note p. 470 dans laquelle il synthétise remarquablement le système en cause à partir de
l'exemple anglais. Quel dommage pour l'histoire hollandaise qu'il ne se soit pas intéressé de
plus près aux Provinces-Unies au XVIF siècle...
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 203
cependant examiner en détail le poids déterminant de la structure sur
la conjoncture dans le court terme. Observons à cet égard, la contrainte
fiscale susceptible de peser sur les importations à partir du tableau 7,
mais remarquons au passage que ce type de problématique fort en vue
dans le monde de la science économique de 1988 n'est pas toute récente,
puisque J. J. Reesse l'avait déjà perçue en... 1908 !
Il est facile de remarquer dès le premier abord dans ce tableau que
nous vivons dans des temps troublés, ne serait-ce que par la multiplicité des
systèmes qui se succèdent à des dates rapprochées : que se passe-t-il en
vérité ?
Nous sommes vers 1630-1650 en pleine période mercantiliste : le célè-
bre Treatise of Commerce de John Wheeler est déjà publié en Angleterre
depuis 1601, en tant qu'ouvrage de défense de la non moins renommée Society
of Merchants Aâventurers. Les débats économiques majeurs de cette
première moitié du xvir siècle voient l'affrontement des thèses mercanti-
listes sur les mérites du monopole des relations économiques extérieures
et des thèses libre-échangistes favorables à la liberté du commerce 50.
Aux Pays-Bas, le débat est passionné et ses effets n'en sont que plus
mouvementés. Au vu de notre tableau, il n'est pas difficile de se convaincre
que la structure n'a pas manqué d'être largement affectée et même pertur-
bée par ces discusions tant politiques qu'économiques : entre janvier 1634
et avril 1638, soit en moins de cinq ans, la politique commerciale et fiscale
des Provinces-Unies dans leurs relations avec la Nouvelle-Hollande connaît
quatre régimes forts différents.
En janvier 1634, le commerce interdit aux particuliers depuis la fonda-
tion de la W. I. C. (en 1621, rappelons-le) leur est de nouveau ouvert, moyen-
nant le droit de récognition dû à la Compagnie sur l'ensemble des biens
exportés ou importés. En outre, ceux-ci doivent obligatoirement être
transportés dans les deux sens sur les navires de la W. I. C. contre un prix
généralement élevé découlant de la situation de monopole; monopole
que la Compagnie sait utiliser au mieux de ses intérêts mais bien au
détriment des lois économiques déterminant l'existence et le développement
d'un commerce sain.
De surcroît,« on considérait généralement la récognition comme trop
élevée et trop difficile d'usage pour les particuliers (te bezwarend) »sl.
Dans ce conflit, la Ville et la Chambre d'Amsterdam de la W. I. C. soute-
naient d'ailleurs ouvertement les partisans de la liberté du commerce,
contre la majorité des XIX (de Heeren XIX, les dix-neuf administrateurs
de la Compagnie) représentant notamment la Zélande et le Nord des Pays-
Bas. D'où une première « libéralisation » en 1634.
Mais la revanche de la Zélande ne se fait pas attendre longtemps,
puisque sous l'influence de cette Province les Etats-Généraux interdisent
à nouveau et brutalement, sans préavis ou période transitoire, le commerce
aux particuliers :
Cette nouvelle devait causer le plus grand trouble (ontstéltenis) : l'ensemble
des valeurs des propriétés ou des marchandises présentes à Recife perdirent en

51. J. J. REESSE, op. cit., p. 193.


204 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

une journée la moitié de leur valeur. Les habitants en éprouvèrent les plus grands
dommages tandis que la Compagnie elle-même était touchée : elle dût en effet
procéder au débours d'énormes sommes pour assurer l'entretien de ses impor-
tants effectifs en militaires et en fonctionnaires, notamment en l'absence d'appro-
visionnements de toutes natures, tant alimentaires que vestimentaires qui devaient
finalement beaucoup tarder à arriver. Le tiers de son capital fut ainsi gaspillé
(verspild) en 16 mois de durée s2.
Mais ce ne sera que deux ans plus tard seulement, en avril 1638, au
terme de plusieurs péripéties, que la liberté du commerce pourra être
enfin rétablie. Encore convient-il d'observer que cette liberté demeurera
sérieusement limitée par les dispositions fiscales. Et de surcroît, le cadre se
fera de nouveau plus contraignant en Août 1648.
Avec Reesse, nous pouvons donc à bon droit déduire de cette évolution
mouvementée qu'un « sain développement des affaires ne pouvait que diffi-
cilement en être attendu » 53. Or cet aspect est également essentiel pour
mesurer la réussite ou l'échec hollandais au Brésil, comme nous y revien-
drons en fin de ce propos.
Et nous pouvons justement avoir la pleine perception du poids de la
structure fiscale, en essayant de décomposer le prix au stade de gros des
sucres blancs échangés sur le marché d'Amsterdam : tel est l'objet du
tableau 8.
Jusqu'ici l'on savait qu'au « total le prix de tous ces impôts (ceux
qui pèsent sur la production et ceux s'exerçant aux différents stades
commerciaux) (était) variable mais lourd. Vers 1624, un hollandais estime
qu'ils représentent 30% du prix du sucre x 54.
Or notre tableau démontre clairement que les seuls droits perçus par
la W. I. C, en y incluant le droit obligatoirement perçu au titre du trans-
port, se montent à 35 % du prix au stade du commerce de gros, tel que ce
prix est coté en Bourse. Et si l'on rajoute les impôts perçus au plan
provincial ou municipal aux Pays-Bas, l'ensemble de la fiscalité représente
presque 37 % de ce prix.
Par ailleurs, autre résultat significatif, la marge du producteur appa-
raît des plus réduites, avec seulement 5,87 % du prix final : à ce faible niveau,
elle ne représente même pas le cinquième de la marge nette de l'impor-
tateur, qu'il s'agisse de la Compagnie ou des « Régents » d'Amsterdam
et de Middelburg. A titre de comparaison, sur la base du cours du sucre
à Lisbonne d'avant-guerre (en 1618), la marge nette du producteur repré-
sentait 6,88 '% du même prix final, soit 1 % de plus qu'au cours de la période
hollandaise. Ainsi, sans que cet aspect ne vise à être déjà déterminant dans
notre propos, il est néanmoins susceptible de renforcer encore davantage
notre impression première, quant à l'intérêt très relatif de la présence des
Provinces-Unies au Brésil pour les résultats et le confort économique
des senhores de engenhos. Car c'est au cours de cette période hollandaise
qu'ils auront vu régresser leurs marges bénéficiaires en pourcentage sinon

52. Ibid. C'est nous qui soulignons.


T3. Ibid.
54. F. MAURO, op. cit., p. 225. Le Hollandais auquel il est fait allusion est précisé-
ment Jan Andries Moerbeek
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 205

en valeur. Un tel recul ne serait pas dramatique s'il correspondait à


une révolution industrielle entraînant un accroissement quasi-exponentiel
de la production. En effet, une telle révolution pourrait permettre le main-
tien et même la progression des marges des producteurs. Mais nous som-
mes loin d'un tel phénomène. Au contraire, en dépit d'une très forte
reprise de la production, l'appareil de distribution demeure très perturbé
par les effets de la guerre. Aussi, a fortiori, la régression des marges cons-
tatée en pourcentage ne peut que davantage se faire sentir lorsque ces
marges seront exprimées en valeur nominale, surtout si l'on observe le
faible niveau des prix cotés à la Bourse d'Amsterdam à partir de 1642
jusqu'à 1645. Mais nous allons revenir sur ce point.
Parvenus à ce stade d'une réflexion quant aux structures, il nous faut
aborder l'étape supérieure, celle de la « superstructure de l'histoire » qu'est
la conjoncture, « aboutissement, comme créé et soulevé par les forces
qui s'exercent en dessous de lui, bien que son poids, à son tour se répercute
vers la base » 55.

III. — LA SITUATION CONJONCTURELLE DE L'ÉCONOMIE BRÉSILIENNE


À L'ÉPOQUE HOLLANDAISE : INVENTAIRE ET MODÈLE

Nous allons retrouver dans ce cadre la problématique déjà abordée


quant à la structure du commerce : monopole ou liberté?
Toutefois, avant 1624, année du sac de Bahia rappellons-le, la ques-
tion ne se pose pas tout à fait dans ces termes. Ce que l'on s'efforce de
déterminer aux Pays-Bas dans ces années concerne la valeur réelle ou
supposée que pourrait rapporter la conquête du Brésil. Or ce type d'inter-
rogations n'est pas moins intéressant que les précédents, car il donne
lieu à plusieurs enquêtes d'ordre économique de la part des États-Généraux
en vue du lancement de l'entreprise de conquête. Croisée avec d'autres
sources confirmatrices, au demeurant principalement portugaises, l'une
de ces enquêtes donne d'intéressants résultats tout en permettant certaines
projections et calculs repris dans le tableau 9.
Le résultat le plus intéressant de ce tableau tient à la marge globale
moyenne nette en valeur relative, principale donnée significative lorsque
nous voulons procéder à l'analyse comparative de la prévision de l'époque
par rapport aux réalisations effectives. En 1623, Moerbeek prévoyait que
le commerce du sucre pourrait permettre à « l'entreprise Provinces-Unies »
de dégager une marge moyenne de l'ordre de 55 '%. Or, à partir de sources
différentes, nos calculs de décomposition du prix du sucre présentés au
tableau précédent aboutissent en 1642-1645, soit vingt ans plus tard, au déga-
gement d'une marge commerciale de 66 % 56. A 11 % près, la prévision

55. F. BRAUDEL, op. cit., p. 8.


56. La marge dégagée par l'entreprise « Provinces-Unies »est obtenue en additionnant
les droits d'impositions globalement perçus par la W.I.C. d'une part et la marge brute
de gros à l'importation d'autre part, soit respectivement 35 et 31,6 %.
206 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

s'est donc trouvée réalisée bien au-delà des espérances : les Provinces-
Unies ont ainsi pu dépasser les espoirs ou les prévisions durant les quelques
années d'accalmie que connaît la Nouvelle-Hollande vers 1639-1644. Ceci
donne encore une idée de la réussite dans la maîtrise et le stimulus de
l'activité commerciale considérée au plan macro-économique.
Par ailleurs, il est intrigant de constater que les marges unitaires
dégagées sur chaque type de produit sont croissantes et inversement
proportionnelles à la qualité ainsi qu'au prix des types de produits : pour
les sucres blancs de meilleure qualité, et les plus chers, la marge nette
est inférieure à 50 '%, tandis que pour les panellos de moindre valeur, cette
marge théorique est supérieure à 60 %, soit un différentiel marginal théo-
rique de 13,87 %. Une telle différence peut éventuellement se justifier par
l'existence d'une tare plus importante en valeur dans les caisses de sucres
blancs que dans celles de panellos, sans que nous soyons en mesure de la
déterminer avec plus d'exactitude pour l'instant.
Si l'on rapproche l'estimation de Moerbeek des premiers résultats
effectifs de l'entreprise, il y a de quoi décevoir les actionnaires : d'après
une liste récapitulative du total des captures réalisées en 1624-1636 fournie
par de Laët, liste à laquelle il convient pour nos observations d'ajouter les
importations du Brésil réalisées tant par la W.I.C. que par le commerce
particulier, le rythme annuel d'importations sucrières se situe entre 1624
et 1636 à 2 545 530 Livres d'Amsterdam.
Or ce chiffre est à rapprocher des 30 000 000 de Livres attendues annuel-
lement en moyenne par Moerbeek dans ses suppositions de 1623, soit une
différence de l'ordre de 78 % entre les prévisions et les réalisations des
douze premières années.
En valeur, sur la base des prix moyens courants des années considérées,
Moerbeek escomptait un produit annuel de l'ordre de 9 500 000 florins. Or la
moyenne annuelle du produit réalisé en valeur durant la période 1624-1636
s'élève à 3 346 194 florins, soit une différence sensiblement plus réduite de
l'ordre de 64,8 %. Dans cette période, on peut donc dire que les prévisions
auront été réalisées au tiers de leur valeur.
Toutefois, à l'aide du tableau 10, on peut observer aisément que les
estimations seront sensiblement dépassées en 1641-1643.
Comme nous le voyons, ces statistiques représentent désormais au
plan quantitatif le nouveau seuil d'évaluation minimale des exportations
globales de sucres du Brésil vers les Provinces-Unies durant presque
trente années. Les deux autres observations majeures qui résultent de ce
tableau tiennent d'une part à la structure et d'autre part à la conjoncture.
Quant à la structure, nous savons désormais avec une plus grande
précision ainsi qu'une meilleure connaissance en vue de l'analyse compa-
rative que plus de la moitié (53,44 % du total des exportations de Nouvelle-
Hollande sont à mettre au compte du « commerce particulier » ou com-
merce libre. En revanche, un quart seulement de ce même total des expor-
tations est à porter au crédit de la W.I.C. dans le cadre d'opérations
commerciales. Toutefois, le quart restant (22,72 % du total) est également
à porter au crédit de la Compagnie sous forme de captures réalisées par la
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 207
marine de guerre : la W. I. C. ne faisait en fait que recevoir de la sorte
les dividendes des opérations militaires qu'elle a initialement financées.
Au plan conjoncturel, les exportations directement réalisées pour le
compte de la W. I. C. ont un rythme remarquablement stable au cours des
périodes 1624-1636,1637-1640 et 1641-1643 pour ne subir qu'un léger tassement
en 1644-1648. Observons au passage que la séquence chronologique envisagée
nous est indiquée par nos sources mais la durée de chacune de ces périodes
n'est pas du tout semblable : nous avons une période de 12 ans, une de 5,
une 4 et une de trois années. Mais dans l'ensemble cette séquence corres-
pond assez bien aux modifications des structures du commerce telles
qu'elles ont été présentées précédemment dans le tableau 7.
En revanche, toujours au plan conjoncturel, le commerce libre connaît
une croissance remarquable en 1637-1640, période de libéralisation com-
merciale au plan structurel nous l'avons vu, mais aussi période qui coïncide
avec l'arrivée de Jean-Maurice de Nassau à Recife. Par la suite, les années
1641-1643 représentent la « période dorée
» du commerce particulier :
en effet, celui-ci arrive à assurer près de 80 % de l'ensemble du commerce
sucrier, ne laissant à la West-Indische Compagnie que 21 % de l'ensemble.
Enfin, si l'on veut bien confondre en une seule globalité l'ensemble
des opérations d'exportations sucrières réalisées à partir de la Nouvelle-
Hollande par les agents économiques d'origine néerlandaise, il nous faut
constater que presque la moitié du total des exportations réalisées durant
l'existence de cette aventure coloniale est intervenue au cours des 7 années
qui s'écoulent entre 1637 et 1643. Or il faut rappeler que 1' entreprise de
colonisation hollandaise au Brésil s'étend sur une trentaine d'années,
soit à peine moins que la durée d'une vie d'homme au XVTT si nous voulons
bien exclure le cas de celle du grand Descartes... Aussi, par delà les opé-
rations d'ordre purement mîlitaire, ces sept années indiquent bien la
vivacité de la « reprise » de la production voulue et stimulée par l'action
éclairée de Jean Maurice de Nassau.
Toutefois, pour compléter et détailler notre analyse et toujours en
vue de travaux ultérieurs, il est également possible d'envisager annuel-
lement avec une assez grande précision la répartition qualitative, quanti-
tative et structurelle de ce mouvement d'exportations sucrières. Le tableau
11 nous permet ainsi de mieux travailler sinon
sur le long terme du moins
sur la moyenne durée.
L'ensemble de ces données met en évidence assez nettement le maxi-
mum des exportations atteint en 1641, après une prodigieuse poussée à
partir de 1638. Ce rythme élevé des exportations se poursuit jusqu'en
1645. Pour ce qui concerne les blancos, notre séquence périodique est donc
modifiée et nous observons les phases suivantes :

— de 1629 à 1634, un rythme annuel d'exportations inférieur à 1 300 000 £


et un total de 3 395 400 £ expédiées vers les Provinces-Unies au cours de
ces six années ;
— de 1635 à 1638, un rythme annuel d'exportations compris entre
1140000£ et 3 500000 £, avec un total pour la période de 9 037400 £
expédiées, ce volume caractérisant déjà la « remontée en puissance de
»
la productivité d'ensemble ;
208 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

— de 1639 à 1645, des exportations annuelles sensiblement


voire
largement supérieures à 5 000 000 de Livres, avec une forte poussée à près de
9 000 000 de Livres en 1641 : ce fait est très important car la Nouvelle-Hol-
lande a atteint son apogée territoriale avec sans doute la moitié de la
superficie du Brésil colonisé au xvrT siècle. Or à 10% près, cette petite
partie du Brésil qui comprend en même temps quelques-unes des plus
riches capitaineries atteint en cette année 1641 le niveau d'exportation
présumé pour l'ensemble du Brésil en 1623. Le montant des expéditions
effectuées au cours de ces sept années représente 41 507 800 Livres ;
— de 1645 à 1651 enfin, le volume annuel des exportations est redes-
cendu en dessous de 2 000 000 de Livres. Il se caractérise plus précisément
par un rapide et violent mouvement décroissant correspondant aux événe-
ments liés à la reconquête portugaise du Brésil occupé par les troupes
hollandaises qui apparaissent de plus en plus délabrées par le climat et
abandonnées par la Métropole : au cours de cette dernière période de sept
années, les exportations représentent globalement à peine le quart du
volume expédié au cours de la période faste précédente qui s'était
déroulée sur sept ans.
Or cette nouvelle séquence chronologique du mouvement des expor-
tations en volume est à rapprocher de l'évolution des prix du sucre qui
offre des fluctuations tout à fait correspondantes ainsi qu'il apparaît dans
le tableau 12 ainsi que dans les graphiques 1 et 2.
Le tableau 12 permet d'observer une caractéristique économique intéres-
sante dans l'histoire des prix brésiliens et hollandais. En effet, lorsqu'au
cours des années 1624-1634 la production exportée du Brésil vers Amsterdam
a été largement déstabilisée par les faits de guerre, le mouvement des
prix exprimés en valeur subit un mouvement ascendant vertigineux :
ainsi, pour les blancos, le prix de 100 £ cotées à la Bourse d'Amsterdam
passe de 43 florins en 1624 à 70 florins en 1632. Puis, avec un retour très
progressif et lent à la normale au cours de la période 1635-1638, la spécu-
lation se donne libre cours, avec un régime de pénurie artificielle due
à l'interdiction du commerce particulier : les blancos passent de 66 florins
pour 100 £ en 1635 à 85 florins en 1637, avec un repli à 68 florins en 1638 51.
Mais au cours de la « période dorée » qui s'étend de 1639 à 1645,
avec la stabilisation des exportations et la régularisation des approvision-
nements sur le marché d'Amsterdam, la libéralisation du commerce porte
ses fruits. Le prix des blancos chute de 70 florins en 1639 à 44 florins en
1643, rejoignant les cours-planchers d'avant-guerre, période de prospérité
et d'approvisionnements réguliers. Ce retour à la normale traduit bien le
succès de la politique économique coloniale des Provinces-Unies et surtout
du « libéralisme » de Jean-Maurice de Nassau : « l'arrivée (régulière) du
sucre directement de Pernambouc fait baisser les prix sur le marché
d'Amsterdam »5S. Mais dès la reprise des hostilités en 1645, les cours

57. Calculés auxprix courants des années correspondantes pour les différentes qua-
lités de sucres considérées.
58. F. MAURO, op. cit., p. 234.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 209

GRAPHIQUE 1
Exportations brésiliennes et prix des sucres blancos brésiliens
à Amsterdam, 1624-1654
210 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

GRAPHIQUE 2
Exportations brésiliennes et prix des sucres moscavados brésiliens
à Amsterdam, 1624-1654
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 211
s'envolent à nouveau concurremment avec l'effondrement des exportations,
suivant une dynamique très classique. Cependant il convient de relativiser
davantage ces observations du premier degré.
En effet, les graphiques 1 et 2 sont autrement instructifs, car il nous
permettent, à partir de courbes indiciaires, des investigations plus profon-
des en même temps qu'ils offrent le moyen de relier les deux mouvements
de l'offre et des prix, mouvement qui concernent aussi bien les sucres
blancos que les sucres moscovados.
Nous remarquons que les courbes de prix évoluent assez modérément
bien que permettant de vérifier les lois de l'offre et de la demande avec
de sérieuses rigidités : l'évolution du cours de ces prix est en effet très
faiblement élastique à la baisse aussi bien qu'à la hausse pour ne pas dire
tout à fait inélastique.
Ceci se vérifie particulièrement bien à partir de 1634, avec la régulari-
sation des mouvements d'exportations, jusqu'à la disparition de celles-ci
liée à la fin du règne hollandais au Brésil : notons en particulier dans le
graphique 1 le caractère spéculatif du mouvement des prix qui baissent
chaque année d'exportations élevées et augmentent, mais modérément,
lorsque cet indicateur régresse. Ainsi, le prix d'équilibre du marché, si
difficile à déterminer conceptuellementdepuis des siècles, semble se déter-
miner, au cas considéré, pour une majorité d'années dans les limites d'une
variation de + 19 % à —10 % autour d'un prix de référence que nous avons
situé en 1635 à 66 florins pour 100 £ livres de blancos. Ce prix, que l'on a
utilisé comme axe compris entre les droites 12 et 13, représente ainsi le
prix tendanciel d'équilibre sur le marché au cours de l'occupation hollan-
daise, se situant à un niveau sensiblement plus élevé que le prix tendanciel
d'avant et d'après le conflit Luso-néerlandais (qui nous semble se situer
plutôt autour de 40 florins les 100 f, niveau que l'on retrouve d'ailleurs
les quatres seules années véritablement stables durant l'existence de la
Nouvelle-Hollande). Les amplitudes maximales de ce mouvement des
prix sont comprises dans la limite de 45 % en plus ou en moins par
rapport à l'indice de référence (droite 11 et 14).
Bien évidemment en ce qui concerne les moscovados, le même type
de phénomène avec des amplitudes sensiblement plus accentuées se
retrouve au cours des mêmes années, comme on peut l'observer dans le
graphique 2 illustrant les mouvements de cette catégorie. Mais remarquons
que, dans ce second cas davantage que précédemment, les prix tendent à se
stabiliser à partir de 1650 en dépit de la chute des exportations corres-
pondant à la fin du magistère hollandais au Brésil : cet aspect peut signifier
soit une plus forte inélasticité des prix des moscovados à l'offre, soit
correspondre à l'existence de marchés d'approvisionnement inconnus à
ce jour. Dans ce dernier cas, de tels marchés auraient été susceptibles
d'exercer une pression à la baisse sur ces prix qui auraient dû s'envoler
avec la raréfaction des importations en provenance d'une Nouvelle-
Hollande moribonde tant au plan économique que politique.
La conclusion d'ensemble qui se dégage de ces deux graphiques est
donc assez nette quant aux rigidités affectant le prix d'équilibre ou « prix
naturel » suivant la formulation Smitho-Marshallieniie des phénomènes
212 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

économiques de court et long terme : en effet, les variations de prix ne


s'effectuent pas en proportion des variations de l'offre et sans doute de
la demande sur le marché, compte tenu notamment du fait que la demande
globale de l'époque est nécessairement demeurée constante ou quasiment
constante sur ce type de produit. Car cette demande ne pouvait qu'être
plafonnée au cours de la moyenne durée envisagée, ne serait-ce qu'en
raison de la contrainte structurelle intermédiaire imposée par les capacités
de raffinage limitées de l'industrie sucrière. En effet, les capacités de
raffinage des Provinces-Unies dans la première moitié du xviP siècle étaient
difficilement extensibles.
Nous allons donc revenir sur ces éléments dans la dernière étape de
cette étude, compte tenu des enseignements induits par de telles obser-
vations. Il nous faut cependant éclairer ces analyses en termes de différen-
tiels avant de toucher au but de l'entreprise. Tel est l'objet du tableau 13
qui permet de dégager de manière synthétique les phases de ruptures
conjoncturelles intervenues dans la dynamique économique de la Nouvelle-
Hollande. De manière très limitée et même rustique, il s'agit de commencer
à appliquer en histoire les techniques de comptabilisation en termes
d'input-output initiée dans les années 1940-1950 par l'économiste américain
W. Leontief pour mesurer les liaisons intersectorielles du processus de
production d'une région ou d'un pays donné. Le modèle initial de Leontief
Les phases de ruptures dans le mouvement des exportations du sucre et des importations
d'esclaves de Nouvelle-Hollandede 1636 à 1696* (ensemble des données exprimées en %)

Blancos Moscovados Esclaves

Années difïé- difïé- diffé-


export* prix ren- export* prix ren- export* prix ren-
tiel tiel tiel

1636/35
1637/36
+ 80 % - 10 % 90
-+ 9860 %% +- 20 %% 118
41 101
+ 31 %
-+133 -
19 %
+ 2
+ 29
%
%
29
48
-
+ 53 +
%
-
50 %
-3
1638/37 % 19 % 142 + 8 % + 80 % 72
1639/38 + 45 % + 3 % 48 + 23 - % 17 % 40+5 % + 10 % 5
1640/39
1641/40
+ 8 % - % 29
+ 62 % - %
21
7 69
-+594 % -+
% 8 %
22 %
12
81
-+ -+ 28
34 %
21 %
30 %
%
4
7
1642/41
1643/42
-+0,326 %% - 104 %% 4,3
— 16 -+ % --
38
116 %
10 %
9 %
28
25
+
+
+
-
60 %
45
70 %
5 %
%
55
115
1644/43
1645/44
-- 20 %% ++ 22 %% 22
15 17
-- 0,4 -+
%
29 %
3 %
30 %
2,6
59
+ -41 %
-- +- -
53 %
37 %
59 %
78
6
1646/45 - 62 % + % 41 103 - %+
62 46 % 108

à partir des données exprimées dans les deux précédents


* Calculs effectués
tableaux. Les pourcentages courants ont été calculés d'une année sur l'autre.
Nous avons volontairement limité à 10 ans le champ de notre traitement, car en
amont comme en aval la relation exportations/prix n'est pas assez significative à
notre avis : la comptabilisation des exportations au Brésil n'était plus fiable à
partir de la reprise des hostilités vers 1645 tandis que, par ailleurs, l'indication
des prix pratiqués à la Bourse d'Amsterdam fait défaut en 1647 puis à partir de
1655 jusqu'à 1663. La même remarque vaut avant 1635-1636.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 213

comprenait 500 secteurs, était à double entrée, et reposait sur un puissant


traitement statistique de l'économie américaine entre 1919 et 193959. Il est
donc inutile d'insister ici sur la modestie et le caractère rudimentaire de
notre proposition : il ne s'agit là que d'un point de départ fournissant
dans l'immédiat un indice supplémentaire à l'appui de notre modèle. De
même les bases statistiques qui ont servi à l'élaboration de ce tableau
sont également assez limitées, rappelons-le.
D'un point de vue assez théorique 60, ce résumé d'une situation d'en-
semble nous permet d'observer les années « d'équilibre » de l'offre (quan-
tités exportées) par rapport à la demande s'exprimant sur le marché à
travers les variations de prix d'une année sur l'autre : un relatif point
d'équilibre en ternies de dynamique serait ainsi atteint les années durant
lesquelles la sommation du différentiel de variation d'une année sur l'autre
des exportations et des prix serait assez proche de 0.
Cela semble être le cas en 1642-1643 pour les blancos, en 164344 pour
les moscovados et en 1638-1640 pour les esclaves. Mais si l'on rapproche
ces trois éléments, il se dégage d'importants mouvements divergents entre
les périodes d'équilibre quant aux denrées produites et exportées et les
périodes de rupture conjoncturelle quant au facteur travail représenté
par les esclaves.

59. Voir W. LEONTIEF, Thestructure of the American Economy, 1919-1939, New York,
1941. Son oeuvre et sa théorie devaient valoir à ce chercheur le prix Nobel d'économie en
1973.
au terme de « théorie » par Joseph Schumpeter, sens qui est en fait
60. Au sens donné
double, qu'il nous faut ici préciser en reprenant les termes mêmes du grand économiste :
« Selon le premier et le moins important, théories est synonyme d'Hypothèses Explica-
tives. De semblables hypothèses sont bien sûr des éléments également essentiels de l'his-
toriographie et de la statistique. Par exemple, même l'historien le plus farouchement
événementiel, en économie ou en un autre domaine, peut difficilement se garder de for-
mer une ou plusieurs hypothèses explicatives, ou théories, sur les origines des villes. Le
statisticien doit former une hypothèse ou une théorie sur la répartition des variables
stochastiques qui entrent dans son problème. Tout ce qu'il faut dire à ce sujet, c'est
qu'il y a erreur — même s'il s'agit d'une erreur répandue — à croire que l'unique ou
principal travail du théoricien de l'économie consiste à formuler de semblables hypo-
thèses (certains voudraient ajouter : des hypothèses tombées du ciel). La théorie écono-
mique a une tâche entièrement différente. Elle ne peut en effet, pas plus que la physique
théorique, se passer de schémas ou de modèles simplificateurs, qui sont destinés à rendre
certains aspects de la réalité et à prendre certaines choses pour établies, de manière à en
établir d'autres conformément à certaines règles de méthode. En l'occurence, les choses
(propositions) que nous prenons pour établies peuvent être nommées indistinctement hypo-
thèses, axiomes, postulats, suppositions ou même principes, et les choses (propositions) que
nous pensons avoir établies selon une méthode acceptable se nomment théorème. Bien
sûr une proposition peut figurer dans une discussion comme postulat et dans une autre
comme théorème. Des hypothèses de ce genre sont aussi suggérées par des faits — elles
sont façonnées en fonction des observations que l'on a faites —, mais en stricte logique
elles sont la création arbitraire de l'analyse. Elles diffèrent des hypothèses de la première
sorte en ce qu'elles ne contiennent pas les résultats définitifs de la recherche qui sont
supposés intéressants en eux-mêmes ; mais elles sont de simples instruments ou des
outils forgés dans le dessin d'établir des résultats intéressants. » {Hist. de l'Analyse Econ.,
t. 1, pp. 39-40).
Nous allons revenir un plus bas sur les techniques liées à l'application de cette défi-
nition dans le cadre historique.
214 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

L'évolution des rapports de l'année 1643 par référence à 1642 est parti-
culièrement parlante à cet égard. Il n'est que de rapprocher les pourcen-
tages d'évolution des exportations et prix des blancos (+ 0,3 % et —4%,
soit un différentiel de 4,3 points) des pourcentages correspondants pour
les esclaves (+ 70 % et — 45 °/o, soit un différentiel de 115 points) pour
s'en convaincre. De telles observations peuvent se vérifier également pour
les moscovados en 1644/45 aussi bien qu'en sens inverse (rupture de 1637
par rapport à 1636 pour les blancos, avec 101 points de différentiel contre
un équilibrage les années correspondantes en ce qui concerne les esclaves,
avec un différentiel de 3 points).
Une conclusion peut en être tirée simplement : d'une manière assez
semblable au récent constat d'Enrique Tandeter et Nathan Wachtel pour
le Pérou du xvnr siècle, il semble se développer « deux conjonctures non
seulement différentes mais opposées » 61 : une conjoncture affectant les
produits ainsi qu'une conjoncture concernant plus particulièrement le
coût des facteurs de production. Il va sans dire qu'un tel constat n'est pas
définitif et qu'il fera l'objet de précisions dans une prochaine réflexion
centrée sur la West-Indische Compagnie au Brésil.
Mais pour en revenir à un niveau plus général, cette construction
encore assez sommaire nous permet toutefois de prendre nettement
conscience de l'amplitude des mouvements que nous avons appelé « rup-
ture », désignant ainsi le phénomène de désorganisation du marché : des
ruptures sont particulièrement perceptibles pour le sucre en 1638 par
rapport à 1637 lorsque le différentiel de variation exportations-prix atteint
118 pour les blancos et 142 pour les moscovados. Le phénomène se repro-
duit en 1646 par rapport à 1645, avec quelques poussées de fièvre entre
temps, mais également avec la quasi-stabilisation de 1643.
Enfin munis de cet ensemble de données et de précisions, il est temps
de tirer le bilan de notre enquête précisément au plan théorique, à l'aide
d'un modèle économique simplifié 62.

61. Enrique TENDETER et Nathan WATCHEL,« Conjonctures inverses : le mouvement des


prix à Potosi pendant le xvnr siècle » in Annales E.S.C., Paris, A. Colin, 38e année, n° 3,
Mai-Juin 19S3, pp. 546-613.
62. Observons que ce modèle ne constitue qu'un instrument de réflexion ainsi qu'un
outil destiné à faciliter la perception conceptuelle de nos analyses : il s'agit bien par cette
construction théorique de stimuler notre réflexion factuelle hors modèle, à partir d'un
ensemble de données prises in vivo dans le temps historique. De surcroît, ces données
sont matériellement fondées et étayées, comme nous l'avons remarqué au fil de nos
tableaux par de multiples croisements, vérifications et confrontations, tant statistiques
qu'arithmétiques. Rappelions bien que jamais pour l'économiste un modèle de type concep-
tuel voisin ne devrait dispenser celui-ci du raisonnement et de la réflexion hors-modèle.
En effet, pour la science économique, le modèle n'est jamais qu'un instrument de
simulation et de mesure des conséquences de certains types de politiques micro- ou macro-
économiques. A ce titre et fort conventionnellenient, les modèles sont surtout dans ce
cadre d'analyse, le lieu de confrontation des points de vue des économètres, décideurs
politiques ou administratifs ou, plus généralement, acteurs économiques.
Dans le cadre de l'analyse historique, et pour compléter une précédente remarque
(cf. note 60), à cet ensemble économique s'ajoute la tâche de l'historien qui est de recons-
tituer autant que possible les termes de cette confrontation, en transposant celle-ci dans
le passé avec autant de prudence qu'autant d'acteurs sont disparus, parfois sans même
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 215

Presque parvenus au terme de ce propos, nous pouvons donc désor-


mais en synthétiser les éléments essentiels et déduire le mode de fonc-
tionnement historique d'un système de production, à partir de la réunion
d'un faisceau d'observations et de calculs d'ordre tant micro- que macro-
économiques. En particulier, cette déduction s'impose si nous réussissons
à bien délimiter notre objectif ainsi que notre démarche en vue de la
compréhension d'un phénomène, quand bien même ce phénomène nous
demeurerait encore inexplicable. Comme le soulignait Joseph Schumpeter :
Chaque état historique peut être compris d'une manière adéquate en partant
de l'état précédent, et lorsque pour un cas individuel nous ne réussissons pas à
l'expliquer d'une manière satisfaisante, nous reconnaissons là la présence d'un
problème irrésolu, mais non pas insoluble «.
De ce point de vue, notre problème n'est pas vraiment, du moins pas
encore, de tirer un bilan de l'apport hollandais au Brésil ou de celui du
Brésil à l'économie-centre, suivant l'expression d'Immanuel Wallerstein,
que furent les Provinces-Unies du xvrr siècle, bien que notre réflexion
ainsi que le développement qui précèdent soient de nature à répondre
d'ores et déjà à plusieurs questions relatives à ces deux objets.
Aussi, la question que nous posons au terme de cette étude pourrait
bien se résumer à un adjectif interrogatif : pourquoi?
Pourquoi finalement y-a-t-il eu cet échec colonial de la part de cette
puissance commerciale et financière de premier plan en 1650 en avance de
plus d'un siècle sur les structures financières et commerciales du
xvir siècle ?
Nous laisserons de côté les explications ou les réquisitoires tradi-
tionnels contre les déficiences administratives et psychologiques des hol-
landais, hommes du nord totalement étrangers et inadaptés dans un univers
luso-ibérique d'essence méditerranéenne : nous avons dit au début de
cette réflexion ou bien au fil de nos développements qu'effectivement
bien des erreurs étaient intervenues.
Mais nous avons également observé combien l'inadaptation ou la
méconnaissance du milieu luso-ibérique par les néerlandais tenait de la
chimère plus que d'une saine réalité : avant leur indépendance de la
couronne d'Espagne, les Pays-Bas n'ont-ils pas précisément fait partie du
domaine luso-ibérique et ne s'y sont-ils pas intégrés volens nolens durant
près d'un siècle, de l'alliance de la maison de Bourgogne à la maison
d'Espagne en 1496, jusqu'à l'Union d'Utrecht en 1579 !
D'ailleurs la manière avec laquelle ceux-ci se sont installés dans les
possessions portugaises d'Asie serait là pour démontrer une parfaite apti-

laisser leur témoignage ou leur avis. Et l'absence physique de ces disparus représente
justement l'effort de reconstitution à mettre en oeuvre pour élucider une problématique.
Mais cette tâche de l'historien est également de souffrir éventuellement la remise en cause
de son modèle en raison de l'apparition de nouveaux éléments.
Cette remise en cause est susceptible d'intervenir aussi bien dans le présent que dans
l'avenir, tant en raison des progrès de la théorie économique que de la découverte de
nouvelles sources historiographiques ou l'apparition de nouvelles données quantitatives
de traitement. Et nous ne parlons pas des nouvelles méthodes historiques potentielles !
63. Joseph A SCHUMPETER, Théorie de l'évolution économique, p. 82.
216 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

tude à comprendre ce milieu luso-ibérique au point d'être fort capable


de s'y substituer...
En revanche, intéressons-nous davantage à l'aspect dynamique de
l'aventure hollandaise au Brésil, à savoir sa dimension économique, tant
il est vrai que « les événements sociaux constituent un tout, [et] forment
un grand courant d'où la main ordonnatrice du chercheur extrait de vive
force les faits économiques »M.
Or justement, l'histoire de la Nouvelle-Hollande considérée du point
de vue économique nous aide à mieux comprendre à la fois la dynamique
et les contradictions du système colonial mis en place temporairement,
tout en permettant de mieux expliquer pourquoi l'échec intervint si
rapidement.
Pour procéder à cette approche économique de l'histoire et de l'évé-
nement concerné, il nous faut simplement illustrer l'aspect dynamique de
cette évolution sur une courte période à partir d'éléments intemporels
mieux adaptés à la dimension de la longue période, seule susceptible de
laisser dégager une vision explicative d'ensemble.
Ainsi, nous obtenons deux propositions, très contradictoires, illustrant
deux périodes caractéristiques, intervenues au cours de l'intermède hol-
landais au Brésil qui sont représentées dans les figures A et B suivantes :

figure A Figure B

La figure A représente la tendance naturelle du système économique


souhaité par le senhor de engenho (et le planteur en général dans les
colonies de plantation aux xviF et xvnr siècles). Cette vision idéale selon
le planteur vise simplement à l'accroissement de son profit dans une phase
de démarrage et suivant une structure monopolistique de distribution.
La courbe d'offre 0 illustre par son élasticité à la fois la progression
du volume et des prix sucriers tel que cela s'est trouvé, par exemple, dans
la période 1624-1637, mais également la progression des revenus du mono-

64. Ibid. p. 1.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 217
poleur, en l'occurence la West-Indische Compagnie, dont le système d'im-
position est directement assis sur le niveau de la production mais aussi
et surtout sur le niveau des prix.
La demi-droite pointillée E indique le niveau d'équilibre économique
de Yengenho ou plus exactement son seuil de rentabilité, au coût des
facteurs de production supposé constant et aux taux d'intérêt également
supposés constants.
Enfin, la demande sur le produit de luxe que représente le sucre au
xvrT siècle est faiblement élastique, ne répondant guère aux hausses de
prix : lorsque le prix s'élève cette demande continue malgré tout de
croître, comme l'indique le passage de la courbe de demande de D en
Dl.
Or, pour relier ce schéma théorique à la situation déjà analysée en
profondeur au plan statistique, rappelons à nouveau que de 1624 à 1634,
puis encore de 1636 à avril 1638, la W.I.C. dispose d'un monopole de
commerce avec le Brésil, lui permettant de peser de manière détermi-
nante sur la formation du prix final coté à la Bourse des Échanges
d'Amsterdam.
Aussi, durant ces deux périodes, les intérêts de la W. L C. et ceux de
ses actionnaires concordent avec les intérêts des senhores de engenhos,
du moins de la majorité d'entre eux. Ces derniers découvrent en parti-
culier le bénéfice à retirer d'un marché stable ainsi qu'une structure
commerciale remarquable pour l'écoulement de leur production à un prix
presque garanti par l'existence du monopole. Au demeurant, la meilleure
preuve du besoin d'organisation du marché sucrier brésilien n'est-elle pas
la création en 1648, alors que la W. I. C. nous paraît aujourd'hui (avec le
recul historique nécessaire) dans un état très difficile, d'une Compagnie
Portugaise des Indes Occidentales, à l'exemple hollandais ?
Mais surtout les senhores de engenhos découvrent le régime fiscal
préférentiel réservé aux importations de pays neutres (la formule utilisée
pour désigner ces pays concernait les biens Inkomende uyt neutrale landen,
Rhyn Wael ende Ijssel). Ce régime fiscal préférentiel est établi de manière
quasiment intangible, rappelons-le, depuis le 5 avril 1603. En revanche, le
commerce avec les pays ennemis des Provinces-Unies (vijandt landt, au
singulier, il n'y en a qu'un bien sûr...) s'il n'est pas interdit est cepen-
dant frappé d'impositions très lourdes.
Tout ceci explique pour partie, au demeurant, les affaires étant les
affaires, la rapide remise en production des engenhos que nous avons
mise en évidence et surtout le très bon accueil fait, à son arrivée, quoi
qu'en dise Mario Neme 65, à Jean-Maurice de Nassau.
En avril 1638 d'ailleurs, avec l'aveuglement qui caractérise générale-
ment les structures étatiques vis-à-vis des évolutions économiques conjonc-
turelles ou structurelles, les Heeren XIX (le conseil d'administration de
de la W. I. C. est présidé par le Stadhouder de Hollande, ne l'oublions pas)
s'arrogent les moyens d'obtenir en revenus fiscaux le tiers de la valeur
des sucres importés dans les Provinces-Unies à partir de l'hémisphère occi-

65. Mario NEME, Formulas Politicas no Brasil Holandès, Sâo Paulo, 1971.
218 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

dental. L'objectif évident de cette décision, alors que le commerce est


ouvert aux particuliers sous certaines conditions, est bien entendu de conti-
nuer à bénéficier de la situation qui semblait se dessiner depuis une
douzaine d'année.
Cependant, les lois économiques sont impitoyables, et singulièrement
celle de l'offre et de la demande, à laquelle l'ouverture du commerce
brésilien aux particuliers vient prêter main forte. La remise en route de
l'appareil de production et l'envolée de la production elle-même (attestée
par des ratios de productivité globale non atteints avant la guerre) en-
traînent un fort accroissement de l'offre, mais également une assez impor-
tante chute des prix en valeur d'échange nominale. Il s'agit du début de
« la période heureuse K 66, de celle du principat de Jean-Maurice de
Nassau. Cette période dorée, au plan macroéconomique,va donc durer pour
les Provinces-Unies de 1639 à 1645.
La figure B a été élaborée à partir des caractéristiques générales de
cette période. Or l'évolution économique du système colonial hollandais
au Brésil examiné sous cet éclairage théorique et méthodologique nous
laisse entrevoir, par delà cette époque dorée jusqu'ici si fréquemment
évoquée en tant que telle, des fissures voire des failles des plus sombres
pour la stabilité socio-économique de la Nouvelle-Hollande.
La courbe d'offre 0, toujours élastique, représente très bien la ten-
dance désormais prévalante avec la remise en route de l'appareil de
production. Cette évolution est beaucoup plus conforme aux lois écono-
miques modernes dans une économie de marché : l'accroissement de l'offre
rencontrant une demande stable mais toujours faiblement élastique se
traduit par une chute des prix.
Et c'est ainsi qu'à la Bourse d'Amsterdam nous voyons passer le prix
du sucre de 70 florins pour 100 £ de blancos en 1639 à seulement 44 flo-
rins en 1643, soit une chute des cours de 62,85 % en moins de quatre ans !
Et durant six années consécutives, de 1640 à 1645, la moyenne annuelle
des cours se situe à un niveau inférieur de plus de 40 % aux six années
précédentes.
Est-il vraiment étonnant, dès lors, que des soulèvements interviennent
dès 1642 à Maranham et à San Thomé tandis qu'échoue, la même année,
la conspiration de Joao Fernandes Vieira ? N'est-il pas raisonnable de voir
dans la désespérance des agents économiques, minés par une véritable
dépression économique au Brésil à partir de 1640, les raisons d'un déclin
hollandais dès 1644 comme l'observe Netscher 67.
Est-il finalement si étonnant de voir les chefs brésiliens de la rébellion
anti-hollandaise refuser d'obéir aux ordres de leur nouveau Roi de Portu-
gal, Joao IV, lorsque celui-ci recommande de cesser les hostilités en 1647 ?

66. F. MAURO, Le Brésil du XV' à la fin du XVIII' siècle, p. 121.


67. P. M. NESTCHER, Notice Historiquesur les Hollandais au Brésil, p. 142. Comment
ne pas être convaincu même de l'appui déterminant des senhores de engenhos et de
l'ensemble des propriétaires aux nouvelles révoltes de Viera de 1644 et 1645, révoltes qui
aboutissent d'ailleurs dès août 1645 à la perte de la majeure partie des capitaineries, au
terme de la bataille du mont Tabocas.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 219
Ainsi, le modèle figuré en B montre le caractère particulièrement
fragile d'une économie coloniale dominée de surcroît par une monoculture
de luxe et d'exportation. Mais il nous paraît aller plus dans deux direc-
tions : l'une explicative de l'échec puis du départ rapide des Provinces-
Unies du Brésil au milieu du xvrr siècle ; l'autre, plus générale et suscep-
tible d'être, avec quelques aménagements, étendue à l'ensemble des éco-
nomies coloniales à base agrarienne et esclavagiste d'Ancien Régime 68.
Quant à la première direction, il faut en revenir à la théorie de l'échec
hollandais. Par delà les erreurs et fautes de la W. I. C. généralement citées
(corruption, manque de liaisons métropole/Brésil, défaut de coordination,
manque de troupes et de crédits etc.), envisageons la dimension socio-
économique de la Nouvelle-Hollande.
Avec Jean-Maurice de Nassau, « une attitude libérale se manifeste à
l'égard des Portugais de la colonie : ils peuvent envoyer des électeurs
auprès des directeurs des différentes capitaineries. Ces électeurs forment
de vraies chambres consultatives. En 1640, à Recife, se tient une véritable
assemblée de la colonie. C'est 'le premier Parlement réuni en Amérique
du Sud' »w. Ce libéralisme favorise au plan social le développement de
ce que l'on appellera au xrx* siècle dans les Antilles et la Guyane Britan-
niques la « plantocratie » : une forme modeste, mais très en avance sur
son époque, de self-government dominée par l'élite économique des colonies
assistant de plus ou moins près le gouverneur dans son administration.
De ce fait, notre première conclusion quant à l'expérience hollandaise
au Brésil sera plus nuancée que celles communément admises notamment
dans les publications contemporaines, comme nous l'avons déjà laissé
entendre.
S'il est vrai que « les hollandais étaient mal préparés à une expérience
coloniale dans un milieu déjà modelé par le luso-tropicalisme cher à
Gilberto Freyre et qui a réagi violemment au choc de l'intrus et l'a finale-
ment acculé à la décomposition et à la retraite »la, nous observons cepen-
dant que « l'échec », avant d'être politique ou social, est économique.
Plus exactement il nous semble bien résulter de l'inadaptation des
structures macro-économiques Hollandaises aux structures micro-écono-
miques Brésiliennes. Car, ainsi que nous l'avons également observé, les
structures macro-économiques hollandaises produiront de fructueux contre-
exemples du cas Brésilien avec une assise micro-économique aux struc-
tures similaires dans les Antilles et la Guyane Hollandaises du xvnr siècle.
Or ces succès seront précisément à l'origine du déclin relatif et absolu
du Brésil sucrier à l'appareil technique, physique et foncier obsolescent.
Ceci constitue d'ailleurs la deuxième conclusion de notre propos. En effet,
l'explication d'un échec hollandais par des motivations essentiellement
« luso-tropicales » nous paraît trop réductrice, quelle que soit par ailleurs

68. Dansune certaine mesure, et poussé jusqu'à son maximum, ce modèle pourrait
même être explicatif de la première vague de décolonisation consécutive aux guerres napo-
léoniennes.
69. F. MAURO, op. cit., p. 109.
70. op. cit., p. 131.
220 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

notre affection pour le Brésil ainsi que sa riche et attachante histoire.


De ce point de vue, notre modèle démontre à tout le moins la nécessité
de remettre en cause une telle vision simplificatrice. Gageons que nous
serons très prochainement amenés à préciser cette remise en cause à
travers une étude particulière de la superstructure de cette problématique
« néerlando-luso-tropicale », dans cet hémisphère ou bien dans l'autre.

François J. L. SOUTY.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 221

TABLEAUX

TABLEAU 1. — Recensement des engenhosprésents dans les quatre Capitaineries soumises


par les Hollandais (données au 19 janvier 1638)

Engenhos Total
Capitaineries
Freguesias
et Engenhos Engenhos
au mode
de
==^^===
paroisses a eau à boeufs fonctioil En v.A. En %
imprécis

Prod. Arr. Prod. Arr. Prod. Arr.


(1) (2) (1) (2) (1) (2) 12 1+2 12 1+2
Pernambouc 33 10 13 7 29 16 75 33 108 50 22 72
dont :
« Juridiction du sud ». — — — — 15 — 15 — 15 10 — 10
Serinhaém — — — — 7 11 7 11 18 5 7 12
Olinda 46 21 67 31 14 45

--
33 10 13 7 — 4
dont :
Pojuca 7 2 11 83 11
St Agostinho
StAmaro
Moribequa
9
6
3—
2
3 ____
3

32—
— —


2 12 4
639
628
86
16

Vargea
StLourenço
4
3
2
1
4
21—- 3

1
527 14

Paratibe 1 — — — — — 1— 1
Iguaracu — — — — 7 1 7 1 8 A 1 5
Itamarica — — 7 2 4 7 11 9 20 1 & 13
dont :
Goiana 4 45
Nostra Senh. de Penha




1
5 —
1


3
15 16 9

St. Lourenço de Juju-


cupago
Araripe/Itamarica.... __—
— — 1 —
1
— 1112
11123
Paraiba
Rio Grande



— —
4 -

14
1
2
1
18 2
11
20 12 1
2 11
13
2
TOTAL :
en valeur absolue
en pourcentage
33
22
10
7
24
16
9
6
48
32 17 70 30 100 //
26 105 45 150 70 30 100
/

*Source : Sommier discours over den Staet vande vier Geconquesteerde Capi-
tanias inde noorderdeelen van Brasil, 19 januarij 1638 publié in B.M.H.G., 1904.
Comme nous le verrons ci-dessous, la « Juridiction du sud » comprend les
paroisses de Porto Calvo, Alagoa del Norto, Alagoa del Zul, et Openodo.
222 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Pour la commodité d'une possible étude comparative approfondie dans l'avenir,


nous présentons également ci-dessous un tableau des différentes subdivisions
administratives et agglomérations, telles qu'elles apparaissent dans ce document.
En effet, il convient de remarquer que les Hollandais appliquent au Brésil des
subdivisions administratives ou économiques différentes des subdivisions portu-
gaises : l'auteur du Sommier discours fait apparaître des unités plus petites que
la Capitainerie dans certains cas ; unités qui tendent à donner une image plus
équilibrée de la région, elles permettent aussi une répartition des foyers de pro-
duction et une division des comptabilisations à effectuer sur une base assez
déconcentrée, et même déjà décentralisée 36. De fait, c'est par «district» que
l'auteur du Sommier discours fait son inventaire des capacités économiques des
quatres Capitaineries. Une telle façon de procéder, sans être déterminante, est
toutefois significative d'une structure mentale qui aime répartir de manière assez
équilibrée au plan géographique des foyers démographiques ou urbains qui sont
en même temps, pour nous, des foyers de production. Nous retrouvons cette
impression assez fréquemment dans les cartes que l'on a pu dresser depuis lors
de la Nouvelle-Hollande (voir en particulier la carte de Netscher de 1853 et celle
S. P. L'Honoré-Naber de 1933).

TABLEAU 2. — Les subdivisions administratives telles qu'elles apparaissent en 1638 en Nouvelle-


Hollande*

Capitanias Camaras Frequesias Paroisses mentionnées

Pernambouc Juridiction du Sud Porto de Calvo


(pas de camara ni de freguesid) Alagoa del Norto
Openodo
Alagoa del Zul
Villa Formosa Pas de freguesia Villa Formosa de Serinhain
de Serinhain Povoaçao de San Gonçalvo de
Una
Olinda Pojuca Villa Bella de Pojuca
Cabo St Agostinho A Povoaçao de St Agostinho
St Amaro de Geboathan A Povoaçao de St Amaro
Moribequa
St Lourenço A Povoaçao de St Lourenço
Olinda A Villa de Marin d'Olinda
Iguaraçu Pas de freguesia Villa antigua de Iguaraçu
Itamarica pas de camara Goiana Nostra Sra de Rosario
Penha da França Nostra Sra de Penha da França
St Lourenço de Jujucu-
papo
Araripe/Itamarica
Paraïba pas de camara mais une freguesia Frederica (ex-Philipea)
Rio Grande Potigi Conhau
Guajant Cidade de Natal
Potigi

* La structure présentée dans leSommier discours a été reprise sans retouche


pour élaborer cette présentation : les intentions, observations ou même les erreurs
du rédacteur du rapport peuvent donc subsister. Elles n'ont toutefois pas d'impor-
tance majeure au plan géographique et dans le cours de l'étude.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 223

TABLEAU 3. —
Éléments sur la structure foncière de la Nouvelle-Hollande en 1638
(répartition par freguesias ou à défaut par camaras)

Engenhos déte-
Totaldes Engenhos Confis-
Freguesias nus par des
engenhos rachetés par des qués propriétaires
(rappel) des néerlandais totalx féminins£

Juridiction du sud 15 «dont certains ont été confisqués et quelques-


uns ont été vendus, et d'autres sont encore
à vendre

12
t>
Sérinhaém 18 1 5 7
Pojuca 11 1 9 —
St. Agostinho 16 3 11 2
St. Amaro 9 —
Moribequa 8 — 4 1
Vargea 14 2 2 2
St. Lourenço 7 1 2 —
Paratibe 1 1

113
— —
Iguaraçu 8 — 1 —
Capitainerie de Pernam-
bouc 108 9 36 13
Goiana 9 7 8 —
N. S. da Penha França. 6
St. Laurenço de Jujucu-
papo 2 — — —
Araripe 3 — — —
Capitainerie de Itamarica 20 8 9 3
Capitainerie de Paraïba.. 21 6 7 2
Capitainerie de Rio
Grande 2 1 1 —
Total en valeur absolue. 150 24 55 18
Total en % 100 16 37 12

1. Les engenhos confisqués demeurent administrés le plus souvent par des Portu-
gais.
2. L'importance du nombre de femmes administrant directement des plantations
pour une raison ou une autre nous a frappé par sa fréquence, c'est pourquoi
cette colonne figure ici. Comme nous l'avons déjà vu précédemment, le fait déter-
minant de ce tableau réside dans la faiblesse de l'engagement direct néerlandais
au plan micro-économique : les Provinces-Unies demeurent encore beaucoup plus
mercantilistes que productivistes. L'engagement direct n'interviendra qu'environ
un demi-siècle plus tard en Guyane, et encore...
224 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

TABLEAU 4. — Valeurs de productivité moyenne des engenhos brésiliens au XVIIe s.

Ration de
Région de Nombre Prod. exp. Métropole productivité
Année production d'engenhos en £ destinataire moyenne par
engenho

1570 Brésil 60 5.040.000 Portugal 84.000


1610 Brésil 230 20.580.000 Portugal 89.478
1638 Nouvelle- 105 5.490.744 Pays-Bas 52.293
Hollande
1639 id. 121 7.646.520 Pays-Bas 63.194
1640 id. 121 7.442.092 Pays-Bas 62.017
1641 id. 120 12.531.736 Pays-Bas 104.431
1645 Brésil 300 33.600.000 Portugal 112.000

Pour 1570, 1610, 1639, 1645, les données sont extraites de Frédéric MAURO, op.
cit., p. 236-238 et 256-257, à partir de sources hétérogènes dont cet auteur indique
bien qu'il convient de les « manier avec précautions », conseil que nous reprenons
volontiers pour notre compte, sous réserves des précisions apportées par nos
soins dans l'ensemble de cette étude pour ce qui a trait à la Nouvelle-Hollande.
Pour 1638, nos calculs en ce qui concerne le nombre à'engenhos résultent du
Sommier discours over den staat..., op. cit. En ce qui concerne la production, les
conversions ont été effectuées sur la base d'une arrobe = 28 £ d'Amsterdam. Notre
estimation globale est le résultat d'une aggrégation de l'ensemble des différentes
qualités de sucres exportés au cours des années considérées par la W.I.C. et le
commerce particulier, telles que ces quantités ont été indiquées par Wâtjen.
Notons en outre, à propos du nombre à'engenhos productifs en 1638, que Wëtjen
en signalait (p. 269) seulement 85 sur 150 en état de produire.
Ce dernier chiffre eût impliqué un ratio de productivité moyenne par engenho
de l'ordre de 64597 £ par an. Toutefois, il n'est pas vraisemblable de retenir ce
dernier chiffre, compte tenu du fait que l'auteur du Sommier discours donne bien
le détail des noms de propriétaires ainsi que la location des plantations en même
temps que leur état sans qu'une confusion soit possible.
Pour 1638, 1639, 1640 et 1641, la « Nouvelle-Hollande» représente, suivant
l'appellation de l'époque, les quatre Capitaineries conquises par les Provinces-
Unies (Pernambouc, Itamarica, Paraïba, Rio Grande). Pour 1640 et 1641, cf. H.
WATJEN, op. cit., p. 269, qui nous indique le nombre de 120 engenhos en 1640 seule-
ment. Mais il est raisonnable de penser que ce décompte n'a pas été modifié d'une
année sur l'autre. A cet égard, soulignons ici encore que l'année 1641 représente la
meilleure année de production exportée durant la période de présence hollandaise
au Brésil.
Pour 1645, il faut naturellement exclure du Brésil la petite partie encore déte-
nue par les forces des Provinces-Unies. Enfin, deux observations quant aux ratios
de productivité comparée :
1) le ratio de productivité globale de Vengeriho étudié dans le compte d'exploita-
tion-type de 1640-1645 s'établit à environ 180 000 £ par an, donc à un niveau sensi-
blement plus élevé que le résultat des moyennes ci-dessus ;
2) dans sa thèse (p. 213-214), Frédéric MAURO nous précise que l'engenho de la
Compagnie de Jésus, situé dans la région de Sergipe, était susceptible de produire
dans les bonnes années de récolte, vers 1630-1635, 7 000 arrobes de blancos et 3 500
arrobes de moscovados, soit globalement environ 196 000 £.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 225

TABLEAU 5. Compte d'exploitation annuel-type d'un engenho de Nouvelle-Hollande


vers 1640-1645*

Débit Crédit

Achat de marchandises Vente de marchandises


300 caisses pour l'expédition de 200 caisses de sucres blancs,
. .
sucre à 8 fl. par caisse 2.400 soit 4.400 arrobes à 18 Schelling 6 23.760
.
Matériel d'entretien du moulin
et des appareillages 2.000 . 100 caisses de sucres moscou-
.
Achat de 16 esclaves décédant adessoit2.200arrobesàl3Schel-
dant chaque année à 100 fl. ling' 8.580
l'unité 1 1.600
Autres achats et charges externes
.
Charges de transport vers Total 8 32 340
Récite, hormis les chariots, le
bétail, les barques et les esclaves
à raison de 5 fl. par caisse 1.500
Impôts, taxes et versements assi-
milés
.
Impôt sur le sucre à 10 % pour
le compte de la W.I.C. 2 3.240
.
Impôt 1,5 % pour les pensions
delà W.I.C 485
.
Impôt sur les moulins 3 260
Salaires
.
Salaire du maître de Vengenho,
soit 300 caisses à 8 fl. par caisse 4. 2.400
.
Salaire d'un pasteur-prédica-
teur pour la plantation 1.000
.
Salaires de 15 surveillants et
hommes de métiers (charpen-
tier, chaudronnier, etc.), en
moyenne à 600 fl. par an 9.000
Charges financières
.
Intérêts pour 160 esclaves à
100 fl. soit 16.000 fl. à 10 % par
an 1.600
.
Intérêt pour 60 têtes de bétail
à 300 fl. soit 1.800 fl. à 10 % par
an E 1.800
Total 27.285
Solde créditeur 5.055
TOTAL GÉNÉRAL 32.340 TOTAL GÉNÉRAL 32.340

* Valeurs exprimées en florins de Hollande sauf notes de renvoi éventuel-


lement. Source : Welvaert van de West-Indische Compagnie. Pamfletten verzame-
ling, Koninldijke Bibliotheelc 1646, n° 5357. Voir également J.J. REESSE, op. cit.,
226 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

pp. 197-199. L'ensemble des postes et des chiffres sont ceux cités par Reesse, sauf
notes de renvoi.
Ce compte d'exploitation serait aujourd'hui, suivant les canons du « nouveau
plan comptable » français, un « compte de résultat » faisant figurer à la place du
« débit » les postes de « charges », et du « crédit » les postes de « produits »,
l'ensemble de ces postes devant être exprimés « hors taxes ». Cependant, compte
tenu d'une nécessaire conformité méthodologique par rapport à la science histo-
rique d'une part et, plus fondamentalement encore, en raison de l'état de notre
documentation historique, il va de soi qu'il demeure difficile de retenir des critères
aussi rigoureux. Toutefois l'on s'est efforcé de maintenir autant que possible cette
rigueur comptable, d'où l'abondance des notes de renvoi du présent tableau.
1. La valeur de 100 florins pour un esclave nous semble très nettement sous-
estimée. En effet, à partir des chiffres de Watjen présentés par ailleurs dans
notre étude et relatifs au nombre d'esclaves introduits en Nouvelle-Hollande entre
1636 et 1645, la valeur moyenne annuelle des esclaves vendus sur le marché de
Recife s'établit entre 155 et 482 florins, tandis que la moyenne annuelle sur dix ans
ressort à 290 florins. Par ailleurs, Watjen précise à partir de chiffres issus de docu-
ments à notre avis des plus faibles que « par tête », les acquéreurs devaient prévoir
environ 200 à 309 florins. Mais si les Noirs étaient des individus sains, bien bâtis
et robustes, alors leur prix s'établissait à un niveau bien plus élevé, parfois entre
600 et 800 florins » (Dos Hollandische Kolonialreich..., p. 311).
2. Reesse groupe le 10 % et le 1,5 % hors comptabilité, sans opérer de distinction
particulière, mais les valeurs indiquées sont bien les mêmes.
3. Reesse n'indique pas cet impôt. Nous avons obtenu ce montant à partir de
Watjen, qui indique {op. cit. p. 198) pour la seule Capitainerie de Pernambuco en
1637 un produit total des Zuckermuhlensteuernde 12 000 florins. Ceci, rapporté aux
75 moulins recensés dans la Capitainerie début 1638, représente environ 160 florins
par engenho. Nous avons arrondi à 200 florins compte tenu de la taille particu-
lièrement importante de l'engenho envisagé ici, mais il est à supposer que ce
poste d'imposition soit légèrement plus important encore, sans que nous ayons pu
déterminer avec précision son assiette.
4. Observons ici que les caisses de sucres sont évaluées en florins alors qu'en
produit elles le sont en Schelling flamands pour une valeur d'environ fl. fl. 5 : 10,
soit 67 % de la valeur exprimée au titre de la rémunération du maître de l'engenho.
Nous pouvons donc en déduire une relative sur-évaluation de la rémunération du
maître soit une sous-évaluation manifeste du produit.
5. II n'y a aucune indication quant à l'origine de ces intérêts au plan de l'em-
prunt initial. Mais Reesse fait opportunément remarquer que l'on peut déduire de
ce décompte un taux de mortalité des esclaves de l'ordre de 10 % par an. En outre,
il y a lieu d'observer qu'une tête de bétail est ici comptabilisée pour trois fois la
valeur d'un esclave. Ceci est intéressant à rapprocher de notre étude sur « l'Agri-
culture et le système agricole au Suriname au xviir siècle » in Revue Française
d'Histoire d'Outre-Mer, t. LXIX (1982), n° 256, p. 208 : il semblerait que la mortalité
des esclaves soit moins élevée en Nouvelle-Hollande au XVIIe siècle qu'au Suri-
name au XVIIIe !
6. 1 Schelling flamand = 6 Stuivers = 0,30 florins environ (Watjen, p. 277;
Reesse, p. 197). Une arrobe coûte donc fl. 5 : 8, ce qui fait la livre-pesant d'Amster-
dam de sucre à fl. 0 : 3 : 14 ou environ 7 Groot/£. Ceci est à rapprocher des prix
indiqués par Moerbeek en 1623.
7. Ce qui nous donne fl. 0 : 2 : 12 par £ ou environ 5 Groot/£.
8. Cf. note 4 ci-dessus. Y aurait-il sous-estimation de la valeur du produit, comme
nous l'avons déjà suggéré ? On peut le penser. D'autant que ce compte d'exploita-
tion théorique résulte d'une libelle destinée à faire de la publicité pour la W.I.C.
sans toutefois paraître trop avantageuse et risquer, de ce fait, de susciter l'éton-
nement de l'opinion publique vis-à-vis des pertes de la Compagnie. Cette sous-
estimation volontaire du produit serait donc une des conséquences, en fin de
chaîne, de la corruption des administrateurs de la W.I.C. présents au Brésil :
ceux-ci avaient en effet tout intérêt à ne pas donner de chiffres trop optimistes
sur la production afin de se réserver une partie de son appropriation, par des
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 227

moyens fort divers et sans doute peu conformes aux intérêts des actionnaires de
la Compagnie...
Par ailleurs, si l'on avait retenu les prix indiqués en 1623 par Moerbeek, nous
aurions obtenu un produit sensiblement inférieur, ce qui est normal :
— sucres blancs : 123 200 £ à 8 Groot/£ = 2640 florins
— moscouades : 61600 £ à 4 Groot/£ = 6160 florins
total : = 30 800 florins, au lieu de 32340 flo-
rins
Toutefois, l'ensemble du Compte d'exploitation serait à refaire, puisque les
coûts unitaires des postes de charges peuvent raisonnablement avoir varié en une
vingtaine d'années.

TABLEAU 6. — Productivité comparée au Brésil et an Nouvelle-Hollande au XVIIe siècle*

Engenhos de
Engenhos du Brésil Nouvelle-Hollande
vers 1635 vers 1640.i645

Nombre d'esclaves 80 160


Nombre de cadres 15 15
Production globale annuelle en
livres-pesant d'Amsterdam (£).... 294.000 369.600
Productivité moyenne par esclave
(en£) 3.459 2.310
Dépenses de personnel en % des
recettes totales 34,7 35,85
Bénéfice brut en % du total des
recettes 14,67 15,63

* Tableau établi à partir des éléments détaillés notamment dans le tableau 5


précédent. Nos conversions de poids ont été opérées sur la base d'une arrobe pour
28 £.
Pour 1635, les dépenses de personnel sont ceEes définies par F. MAURO in Le
Portugal et l'Atlantique, pp. 214-217.
Pour 1640-1645, le poste des dépenses de personnel comprend les charges
financières pour le renouvellement des esclaves, le salaire du pasteur ainsi que
les salaires des quinze surveiEants. De la sorte, nous avons conservé dans cette
comparaison les conventions de calcul proposées par F. MAURO dans sa thèse
précitée, car ce mode de calcul demeure le plus rigoureux à ce jour.
228 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

TABLEAU 7. — Droits perçus par la West-Indische Compagniesur le commerce hollandais


particulier avec la Nouvelle-Hollande (1624-1654)

Droit de récognition Droit de transport


Années pu Bresii vers rje la métropole Du Brésil vers De la métropole
la métropole vers le Brésil la métropole vers le Brésil

1621 Commerce totalement interdit aux particuliers

il. 2:12:8 par la taxe normale


caisse de sucre, sur les convois, contrat négocié
Janvier parallèlementà la plus 6 % de la fl. 60 pour 54 ar-avec la Compa-
1634 taxe normale sur valeur à payer robes de sucre gnie (conditions
les convois (con- en marchandises variables)
vooigeld) x

idem, plus 8 %
des marchandises idem idem idem
transportées
1636 Commerce à nouveau interdit aux particuliers

20 % des mar- la taxe normale


chandises ou leur sur les convois,
valeur en mon-plus 10 % des fl. 110 pour 54 ar-contrat négocié
naie, plus une marchandises ou robes avec la Compa-
groot par £ de leur contre-valeur gnie
sucre de chaque en monnaie
sorte
25 % du sucre,
plus fl. 16 pour
sucre de 24 ar.,
Août ainsi que 2:12:8
1648 Par caisse comme idem idem idem
taxe sur les con-
vois et une grool
par £ de blancos
ou de moscovados

* Source : J. J. REESSE, De Suikerhandel van Amsterdam, p. CXIX.


1. La W. I. C. aussi bien que la V. O. C. étaient dispensées du paiement de la
taxe de convois. Lorsque le commerce avec la Nouvelle-Hollande fut ouvert aux
particuliers, il fut décidé que ceux-ci ne devraient pas acquitter cet impôt à
l'État mais à la W. I.C. (cf. infra, notes du tableau 8). Cette taxe se montait pour
le sucre en vrac à 15 stuivers pour 100 £, en vertu d'un texte des États-Généraux du
5 avril 1603 sur les convois et licences, alors que la caisse de sucre fut taxée au
même taux du titre des convois, mais sur la base de 350 £ par caisse tandis qu'elles
pesaient en fait bien plus lourd. L'assiette de la taxe aurait donc pu être réévaluée
pour concorder avec l'Édit de 1603 par ailleurs toujours en vigueur. Cette expli-
cation permet donc bien de retomber sur le montant fourni de fl. 2 : 12 : 8. Aussi,
le système mis en place à partir de 1638 est beaucoup plus cohérent et surtout
directement fonction des réalités pondérales.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 229

TABLEAU 8. — Décomposition au stade de gros du pris de 100 £ de sucres blancs cotés


à la Bourse des Échanges d'Amsterdam vers 1642-1645: une première estimation*

-Nature
T , des .,
, coûts Valeur en Valeurrelative
„ .
florins (en
, %)

.
Fabrication 15: 6:13 33,4
dont : coût de production 1 12:12
marge du senhor de engenho 2 2:14:13 (5,9)

.
Impositions de toutes natures au profit de la W.I.C. 16: 2: 3 35
dont : impôts à la production 3 2: 3
droit de récognition 4
.
taxe 20 % 3:10
.
taxe sur les sucres de 1 groot/£ 2:10
droit de transport sur les vaisseaux de la
W.I.C. c 7: 5
Convois et licences 0:15
.
Marge brute de gros à l'importation * 14:11 31,6
dont : Veilgelt 0: 6: 3
Waergelt 0: 6
Makelaarsloon 8 0: 1:10

.
Marge nette de gros 13:17:3 (30)

.
Total 46 100

* Calculd'après notre compte d'exploitation annuel type.


1. Au prorata des quantités écoulées et vendues de blancos, soit 73,46% de la
valeur globale du produit inscrit en « crédit ».
2. La marge bénéficiaire du maître de l'engenho comprend évidemment l'amor-
tissement des immobilisations que nous sommes pas encore en mesure de déter-
miner précisément, ainsi que nous l'avons vu précédemment.
3. Les impôts à la production sont constitués par les trois taxes acquittées par
le maître de l'engenho au stade de la production : 10 % sucre, 1,5 % pensions,
impôts sur les moulins.
4. Droits acquittés par le commerce particulier ( « libre ») au taux en vigueur
d'avril 1638 à 1648 sur les trajets Brésil/métropole. Calculs à partir de J. J. REESSE,
De Suikerhandel van Amsterdam, p. CXIX.
5. id., calcul au taux de 110 florins pour 54 arrobes de sucres.
6. Au taux du 5 avril 1603, prorogé par la Résolution des États-Généraux du
12 juillet 1625 et abrogé le 6 avril 1651 (cf. J. J. REESSE, op. cit., p. XCVII-XCIC).
Le système de fonctionnement de l'impôt de Convoi et Licence a été remarqua-
blement étudié par J. L. F. ENGELHARD dans sa thèse de doctorat en droit Het
Generaal-Plakaat van 31 juli 1725 op de Convooien en Licenten en het lastgeld op
de van de Republiek der Vereénigde Nederlanden, hoofdzakelijk tijdens de
achttiende eeuw, Assen, Van Gorcum, 1970, 35349 p., bibl., index.
Dans un excellent résumé en français (suivant l'académique habitude de pro-
céder des juristes néerlandais), cet auteur précise notamment (p. 329-331) que
« les convois et droits de convoi trouvent leur origine au xrv« siècle, à l'époque où
les commerçants et les armateurs cherchèrent à coopérer en vue de se défendre
230 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

contre rinsécurité sur l'eau /.../ Les commerçants les plus aisés pouvant se per-
mettre sur ce plan d'avantage que d'autres, appareillèrent même des navires d'es-
corte ou convoyeurs, sous la protection desquels pouvaient se mettre les plus
pauvres, moyennant le payement d'un « droit de convoi » à titre de dédommage-
ment. La convention en vue de la protection contre payement s'appelait « ami-
rauté ».
Le commandement nautique de la flotte était aux mains d'un amiral. Les inté-
ressés formaient des associations qui élisaient des conseils d'administration pour
leurs affaires journalières, les « directions » qui jouèrent un rôle jusqu'au milieu
du xvir siècle /.../ »
Au terme d'une série de modifications du statut juridique, « un règlement
définitif intervint en 1597; le recouvrement et l'emploi des impôts de C. et L.
furent confiés définitivement aux cinq collèges d'Amirauté. Les revenus en étaient
versés dans leur caisse, et non dans celle de l'autorité centrale, la Généralité /.../
La Trêve de Douze ans qui suspendit la guerre contre l'Espagne de 1609 à
1621 ôta sa base à l'impôt de licence. Les impôts de C. et L. n'étaient d'ailleurs
plus depuis longtemps ce qu'ils avaient été à l'origine : impôt particulier se
rapportant à la protection par convoi et fin de la prohibition du commerce avec
l'ennemi. Ils avaient été transformés en droits d'exportation et d'importation
courants. Ils furent d'ailleurs joints, quant aux tarifs, par la Paix de Munster
(1648) ». (C'est nous qui soulignons).
Rappelons bien avec RESSE (op. cit., p. CXIX) que les deux Compagnies,
W. I. C. et V. O.C. étaient exemptées du paiement de ces droits de C. et L. Aussi
lorsque le commerce avec le Brésil fut ouvert au commerce particulier en 1634,
il fut décidé que les droits en question seraient acquittés par les personnes pri-
vées au profit de la W. I. C. en tant que Compagnie Souveraine et non à celui de
l'État.
7. Il convient de déduire de cette marge le Veilgelt, la taxe de prise, au taux de
1 % pour les valeurs importées, les sommes perçues à ce titre étant destinées aux
armateurs en course (Kruisers) ainsi qu'à la Flotte de Guerre (Oorlogsvloot).
En outre, une taxe de pesée, le Weachgélt ou Waaggeld, était prélevée au plan
provincial « sur les biens qui devaient faire l'objet d'une pesée sur les balances
municipales » (définition suivant J. J. REESSE, op. cit., ainsi qu'à partir de J.
VERDAM, Middelnederlandsch Woordenboek, 'S Gravenhage, M. Nijhoff, 1932).
Ces deux impôts doivent être considérés comme des impôts à la consom-
mation et il importe de souligner que le bénéficiaire n'en est plus la W. I. C. mais
l'une des traditionnelles collectivités constitutives de l'État (Villes ou Provinces).
8. Le makelaarsloon était la rémunération réglementaire due aux courtiers en
vertu d'une ordonnance municipale. Ainsi, à Amsterdam, l'Ordonnance du 27 jan-
vier 1612 stipulait même l'obligation d'un enregistrement et d'une commission
délivrée par le Bourgmestre aux makelaars. En contre-partie de cette protection
professionnelle, ceux-ci devaient tenir les livres de compte des parties contrac-
tantes « sur lesquels devaient figurer les noms des acheteurs et des vendeurs, la
date et les conditions de la vente, la qualité et la quantité des biens ». (J. J. REESSE,
op. cit., p. 17).
Par suite, aux termes de l'Ordonnance municipale d'Amsterdam du 1er janvier
1613, la rémunération du courtier était fixée à 10 Stuivers par caisse de sucre bré-
silien et madeirain.
Soulignons que, pour l'histoire des prix, cette institution des makelaars est
du plus haut intérêt. En effet, c'est par une délibération municipale du 31 janvier
1613 qu'il fut décidé que chaque semaine les prix de toutes les denrées seraient
collectés auprès des courtiers, dressés et imprimés sous le sceau de la ville
d'Amsterdam : telle est l'origine institutionnelle des Prijscouranten si parfaitement
rassemblés et étudiés par N. W. Posthumus dans les années 1930-1940.
TABLEAU 9. — Estimation par J. A. Moerbeek du potentiel d'exportations annuelles de sucres du Brésil en 1623 (masse et volume)

Prix de revient Prix de vente Marge brute Marge brute Marge nette unitaire
au Brésil 8 à Amsterdam globale unitaire (frais de transports déduits)
Quantités ^^^^^^^^^^^^^=^^^^^^^^^^^^= ==^^^^^^=^^^^^^=^= bu
(en £) Part Marge nette 8 &
Global Unitaire Global en florins en % des frais en florins en %
Unitaire (en fl, (en fl-) (en florins) pour pour de transport pour pour
1£100£ pourl00£' 1£ 100£
10.000.000 blancs... 8 groot/£ 2.000.000 18 groot/£* 4.500.000 2.500.000 0:5 25 55,55 9,8% 0:4:10 22:1148,88% I
ta

1.000.000 12 groot/£ 5 3.000.000 2.000.000 12,25% 0:3:10 17:1158,50%


10.000.000 mose...
10.000.000 panelles.
4 groot/£
2 groot/£ 500.000 8 groot/£ « 2.000.000 1.500.000
0:4
0:3
20
15
66,66
75 16,33% 0:2:10 12:1162,75% 1
Coût de transport
du Brésil vers Ams-
terdam 2 fl. 2:9/100 £ 720.000
TOTAL 4.220.000 9.500.000

Marge globale bénéficiaire totale 5.280.000


Marge globale moyenne nette unitaire pour 100 £ 17:12
Marge globale moyenne nette en valeurrelative 55,57 %
232 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

* Source : J. J. REESSE, op. cit., p. 190.


1. J.A. Moerbeek estimait à 60000 caisses de 500 £ d'Amsterdam chacune la
capacité d'exportation de l'ensemble du Brésil en 1623, soit approximativement
30000 000 de Livres. Ceci nous paraît être, avec le recul donné par le champ de
l'expérience historique, une estimation très raisonnable, confirmée par plusieurs
sources portugaises de l'époque. Ainsi, Frédéric Mauro, qui résume ces inven-
taires et estimations de sources différentes donne les chiffres suivants :
— en 1600 : 1200 000 arrobes, soit environ 33 600 000 £,
— en 1617 : 1000 000 arrobes, soit environ 28 000 000 £ (mais 26 413 caisses
seulement vont à Lisbonne),
— en 1627 ou 1628 : 900 000 arrobes, soit environ 25 200 000 £, qui
auraient été
expédiées en 70 à 80000 caisses.
Il est donc clair qu'entre 1600 et 1627, le Brésil était en mesure, les bonnes
années, de produire pour l'exportation environ 60000 caisses par an, soit environ
un million d'arrobes ou approximativement 30 millions de Livres d'Amsterdam.
Ce chiffre correspond exactement à l'estimation de Moerbeek. Quoi qu'il en soit,
dans les meilleures années de la présence hollandaise au Brésil, le rythme annuel
moyen d'exportation de la Nouvelle-Hollande sera limité à environ 9500000£.
Ceci représente le tiers environ du volume estimé par Moerbeek pour l'ensemble
du Brésil (que les Provinces-Unies n'ont occupé que partiellement, rappelons-le).
2. Le chiffre effectivement donné est de 12 florins par caisses de 500 £. Ceci
produit donc un coût de fl. 2 : 9 pour 100 £, à raison de 20 stuivêrs dans 1 florin.
Il est très important de ne pas confondre ces charges de transport avec les droits
perçus en sus à ce titre sur le commerce privé par la W. I.C. après Janvier 1634
(voir plus haut le tableau 7 sur les droits perçus sur le commerce hollandais avec
le Brésil).
3. 1 groot Vlaamsch (monnaie flamande) = 1/2 stuiver hollandais = 1/40 flo-
rin (N.B. : 1 stuiver = 1/20 de florin).
4. Le taux de 18 groot/£ correspond à un cours de vente théorique de 45 flo-
rins les 100 £ de blancos. Or N. W. Posthumus dans sa Nederlandsche Prijsgès-
chiedenis (p. 122) a relevé que les cotations de vente à la Bourse d'Amsterdam
publiées dans les Prijscouranten de 1619,1624 et 1625 variaient entre 42 et 49 florins
pour 100 £, soit un prix moyen annuel de 43 florins en 1624 et de 47 florins en 1625.
A titre indicatif, le taux de 45 florins pour 100 £ de blancos est enregistré effecti-
vement en octobre 1624, novembre 1625, janvier 1626 puis à nouveau presque 20 ans
plus tard, en juin 1643 (pour cette dernière année, le cours se stabilisera à nouveau
à 44 florins pour 100 £). Il est donc inutile d'insister ici sur la fiabilité des
' données fournies par Moerbeek, d'autant
que ses chiffres correspondent pour la
seconde fois à des valeurs tirées d'autres sources conformatrices.
Une petite réserve doit cependant subsister pour l'instant quant à nos cal-
culs sur les marges nettes, en raison de l'absence de recoupements possibles en
matière de coûts de transports : ceux-ci ont en effet pu évoluer dans des propor-
tions qui demeurent pour nous une inconnue. Néanmoins il est à supposer que
les résultats de ces calculs doivent être extrapolables jusqu'au début des années
1640, la flotte hollandaise conservant jusqu'à cette année une suprématie navale
incontestable et des pertes en bâtiments très limitées.
5. Même type de remarque que précédemment, avec le même type de consta-
tations : le taux de 12 groot/£ correspond à un cours de vente théorique de 30 flo-
rins pour 100 £ de moscouades. Or les taux relevés par Posthumus concernant
cette qualité en 1624 et 1625 oscillent entre 29 et 39 florins tandis que la moyenne
des cours se situe en 1642 à 34 florins et celle de 1643 à 31 florins. En tirer les
mêmes conséquences que précédemment...
6. Ce taux de 8 groot/£ correspond à un cours moyen théorique de 20 florins
pour 100 £. Nous n'avons pas retrouvé de série de prix pour cette qualité dans
les années qui nous intéressent.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 233

7. Voir ci-dessus note 2. La part des frais de transport pour 100 £ est calcu-
lée par rapport à la marge brute. Par rapport au prix de vente théorique final à
Amsterdam, cette part aurait été respectivement de :
— 5,44 % pour les blancs,
— 8,16 % pour les moscouades,
— 12,55 % pour les panelles.
8. La marge nette est bien évidemment obtenue par le calcul classique Prix de

..,,,.
vente — (Prix d'achat + frais de transports), le rapport exprimé en pourcentage
Marge nette
, ,, a. partir de 1 opération -=—.—;
étant calculé
Prix de vente.

TABLEAU 10. — Exportations globales de sucres brésiliens vers les Provinces-Unies


de 1624 à 1654: une nouvelle évaluation*

Exportations Exportations
pour pour le Total Rythme
Périodes Captures le compte compte de général annuel
de la W.I.C. particuliers

1624/1636 23.613.000 6.776.952 2.701.944 33.091.896 2.545.530


1637/1640 / 6.736.856 15.689.716 22.426.572 5.606.643
1641/1643 / 6.094.928 22.690.808 28.785.736 9.595.245
1644/1648 / 5.155.836 13.135.116 18.290.952 3.658.190
1649/1651 / / 1.328.292 1.328.292 442.764
Total géné-
ral 23.613.000 24.764.572 55.545.876 103.923.448 3.711.551
% 22,72 23,82 53,44 100 /

* Données exprimées en livres-pesant d'Amsterdam : 1 £ = 0,494 kg. Base de


conversion générale : 1 caisse = 600 £ et 1 arrobe = 28 £. Pour davantage d'expli-
cations sur ce point des équivalences, voir plus bas l'ensemble des notes de notre
tableau 11.
Le présent tableau comprend l'ensemble des sucres exportés : blancos, mos-
covados et panellos.
Sources : d'après J. de LAËT, Iaerlijck Verhael pour la période 162+1636.
d'après H. WATJEN, Dos Holldndische Kolonialreich pour le reste.
Observons toutefois qu'il s'agit dans ce total général d'un minimum, bien que
l'ensemble de ces chiffres soient d'ores et déjà plus élevées que les estimations
ou compilations réalisées jusqu'ici. En effet, Johannes de Laët donne pour la
période qui va de l'« année 1637 jusqu'au début de 1644» les «importations de
sucre brésiliens aux Pays-Bas » (yyt Brasil hier te Lande zijn aen-ghebracht
suyckeren) suivantes :
234 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

(Données exprimées en £ d'Amsterdam, avec 1 arrobe =


28 £)
Qualité Exportations Exportations Rythme
pour pour le annuel
le compte compte des total moyen
de la W. I. C. particuliers sur sept ans

Blancos 9.307.900 30.325.344 39.633.244 5.661.892


Moscovados 3.300.838 11.292.036 14.592.874 2.084.696
Panellos 1.454.908 2.002.756 3.457.664 493.952
Total 14.063.646 43.620.136 57.683.782 8.240.540
Rappel du total calculé
pour les années corres-
pondantes à partir de
Wâtjen 12.831.784 38.380.524 51.212.308 7.316.044
Différentiel de Laët/
Wàtjen-Souty 1.231.862 5.239.612 6.471.474 924.496
% 9,60 13,65 12,63 12,63

Ainsi, l'évaluation de De Laët est supérieure d'environ 10% à nos propres


conversions réévaluatives à partir des comptabilisations récupérées par Hermann
Watjen. Dans quelle mesure ces corrections proposées à partir de De Laët sont-
elles à prendre en compte ? Pour notre part, il nous semble qu'elles doivent l'être
intégralement. Car Johannes de Laët, qui fut l'un des directeurs de la Compagnie,
représente l'une de nos sources les plus fiables à la suite des dispersions du fond
d'archives de la première W. I. C. consécutives d'une part à l'incendie accidentel
de bâtiments d'entrepôt au xvirF siècle et d'autre part aux ventes d'une partie du
fonds d'Archives de la Compagnie lui-même en 1821. C'est également l'avis d'un des
meilleurs historiographes hollandais du XIXe siècle, P. M. NETSCHER qui observe
dans Les Hollandais au Brésil (p. XIV) à propos de l'oeuvre de De Laët :
Ce livre si extrêmement intéressant, écrit avec la plus grande impartialité et
une entière bonne foi, est le fondement de la seconde partie de notre écrit. Plus
d'une fois nous aurons l'occasion de citer cet ouvrage qu'on peut considérer
comme authentique, à cause de la position de l'auteur comme Directeur de la
Compagnie. Bien souvent ce n'est qu'une copie des journaux et des rapports adres-
sés à l'Assemblée des XIX par les amiraux et les capitaines au service de la
Compagnie ; par cela même le livre est si important. Tous les historiens hollan-
dais, et même Southey (également un bon historiographe du Brésil au début du
xrx* siècle), quand ils parlent de cette partie de l'histoire de 1621 à 1636, ont suivi
presque textuellement le récit de De Laët, à cause de son exactitude et de sa
sincérité.
Dans ces conditions, nous pouvons donc retenir en fait le nouveau total
général suivant au titre des exportations de sucres brésiliens vers les Provinces-
Unies de 1624 à 1651, exportations exprimées en £ d'Amsterdam, toujours avec les
bases de conversion déjà utilisées dans ce tableau (600 £/caisses par arrobe) :
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 235

Exporta-
Exporta- tiong Rythme
pour
ttons pour le compte
Captures Total annuel
le compte deg u. moyen
delaW./.C. oulierg sur 27 ans

Rappel des précé-


dentes évaluations. 23.613.000 24.764.572 55.545.876 103.923.448 3.711.551
Variation suivant
nos calculs à partir
de Wâtjen et de
De Laët / +1.231.862 +5.239.612 +6.471.474 /
Nouvelle
évaluation 23.613.000 25.996.434 60.785.488 110.394.922 4.088.701

TABLEAU 11. — Exportations régulières de sucres blancs et moscouades brésiliens vers


les Provinces-Unies de 1629 à 1651

Exportations de sucres blancs* Exportations de sucres moscouades**


Années Par les Par les
Parla parti- Total Par la parti- Total
w.l.C. culiers W.I.C. culiers

1629 720.000
- -- 720.000
-
— — --
1630
1631 496.800 -- -
496.800 52.300
-
— 52.300
1632 908.400 908.400 119.672 119.672
1633 - -- - -- —

1634
1635
1.270.200
1.427.000 172.200
1.270.200
1.601.200 627.592
'


24.052
-

651.644
1636 1.090.000 1.782.000 2.872.200 308.738 551.264 859.992
1637 60.000 1.081.800 1.141.800 31.192 665.840 697.032
1638 1.225.800 2.186.400 3.412.200 377.552 1.177.652 1.555.204
1639 2.324.400 2.648.400 4.972.800 815.892 1.097.054 1.912.946
1640 1.108.800 4.275.600 5.384.400 135.898 1.703.632 1.839.530
1641 2.070.000 6.655.600 8.725.100 482.334 6.457.336 6.938.670
1642 2.089.000 4.353.600 6.442.600 463.764 1.337.196 1.800.960
1643 727.800 5.735.400 6.463.200 258.930 1.830.535 2.089.465
1644 478.200 4.674.000 5.152.200 182.686 1.898.470 2.081.156
1645 651.600 3.715.800 4.367.400 274.351 1.198.694 1.473.045
1646 1.227.000 395.400 1.622.400 387.436 176.904 564.340
1647 525.358 487.200 1.012.858 304.829 185.192 490.021
1648 525.358 428.400 953.758 304.829 203.000 507.829
1649
1650
-

577.800
322.800
577.800
322.800
- 267.000
120.800
267.000
120.800
1651 - 80.400 80.400

— 24.584 24.584
236 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

* Source : H. WATJEN, op. cit., pp. 316-323. Quantités exprimées en livres


d'Amsterdam. Les données initialement exprimées par cet auteur en caisses ou en
arrobes ont été homogénéisées sur la base de 600 £ par caisse et de 28 £ par
arrobe. Ces deux équivalences sont celles fournies par J. J. REESSE in De Suiker-
handel van Amsterdam, 1908, annexe G, p. CXX, qui fournit quelques chiffres légè-
rement différents pour la période 1637-1644 avec l'indication suivante : « ces don-
nées ont été tirées d'un ensemble de documents de la Bibliothèque Royale des
Pays-Bas assemblés sous la désignation Brasilische Géltsack, après conversion des
caisses et des arrobes en livres-pesant, dans laquelle les caisses sont comptabili-
sées pour 600 livres d'Amsterdam et les arrobes pour 30 £ (comme à l'origine, au
lieu de 28 £). » Une observation attentive des éléments fournis d'une part par
Watjen et de l'autre par Reesse nous conduit aux trois remarques suivantes :
1) Il y a une légère contradiction entre ces équivalences et celles fournies par
Reesse lui-même, qui nous indique p. LXXXII qu'une caisse de sucre du Brésil
peut être évaluée, après 1609, à 450 £ d'Amsterdam. Or, par ailleurs, les chiffres de
Watjen nous laissent à penser qu'il conviendrait de compter environ 23 arrobes
par caisse de sucre, soit environ 640 à 650 £ d'Amsterdam par caisse.
Cette observation de Watjen nous semble tout à fait pertinente car, pour ne
citer qu'une référence parmi une bonne demi-douzaine, l'auteur très averti et très
informé d'une brochure publiée en 1639 (Ontdeckinghe van Rijckê Mijnen in
Brasiï) nous indique ainsi : « les caisses de sucre blanc (blancos) sont de 20 arro-
bes, l'arrobe s'estime à trente livres, la livre rapporte seize gros et pour le sucre
brun (moscovados) ce que cette qualité perd aujourd'hui sur les prix, elle le rend
par le volume des caisses : de sorte que si les caisses de sucres blancs ont un
poids de 20 arrobes, les moscavados reviennent facilement à 24 arrobes. Ainsi ces
9 000 caisses, grandeur moyenne, à 600 livres, et la livre rapportant seize gros, cha-
que caisse transportée dans la métropole sera évaluée à 240 florins, et le total à
2160 000 florins. » (cité par NETSCHER, les Hollandais au Brésil, p. 194).
La conséquence majeure de cet ensemble de convergences aboutit au fait que
l'ensemble des chiffres que nous donnons dans cette étude en matière de volumes
sucriers se situent environ de 7 à 10% en dessous de ce que la réalité a pu être.
Cette sous-estimation est volontaire, car elle nous permet de disposer d'une marge
de sécurité dans nos développements sans qu'elle fausse notre réflexion, bien au
contraire.
2) En termes métriques, une arrobe équivaut environ à 14,65 kg tandis qu'une
£ correspond à 0,494 kg, soit une arrobe équivalent à environ 29 £ d'Amsterdam.
3) Pour les années 1637-1644, Reesse fournit les chiffres suivants, légèrement
différents de ceux relevés par Watjen pour les années correspondantes. Cette diffé-
rence tient vraisemblablement aux dates d'exercices comptables retenus par l'un
et l'autre : le premier a examiné des documents à l'arrivée aux Pays-Bas alors que
le second a relevé des quantités exportées au départ du Brésil. Pour expliquer ces
nuances, il nous a semblé opportun de présenter ici les données de Reesse et nos
calculs (il s'agit des blancos, exprimés en £) :

Sucres importés Sucres importés


Années wIC Total
par la par ïes particuliers

De 1637 à 1639 4.630.731 10.411.770 15.042.501


1640 1.161.400 2.683.800 3.845.200
1641 1.258.200 5.761.800 7.020.000
1642 1.839.585 4.014.000 5.853.585
1643 669.402 5.682.000 6.351.402
1644 278.677 3.180.000 3.459.277
Total (8 ans) 9.837.995 31.733.970 41.571.965
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 237

Sucres importés Sucres importés


Années
pa la w.l.C. par les particuliers Total

Moyenne annuelle à par-


tir des calculs de Reesse. 1.299.749 3.966.746 5.196.495
Moyenne annuelle des
années correspondantes
à partir de nos calculs et
de ceux de Watjen 2.260.500 3.951.300 5.211.800
Différentiel Watjen/
Souty par rapport à
Reesse sur 8 ans +2,40 % — 0,39 % +0,28 %

La faiblesse du différentiel des compilations de Reesse avec nos propres


conversions à partir des relevés de Watjen (0,28 %) démontre, s'il était nécessaire,
leur fiabilité ainsi que la concordance entre deux types de sources différentes, il
faut le rappeler. Ceci ne nous empêche pas cependant de conserver par prudence
historique certaines réserves d'usage, compte tenu de l'inévitable contrebande ou
fraude fiscale des particuliers, tant planteurs que commerçants, en vue d'échapper
qui aux impôts à la production, qui aux taxes des Convois et Licences...
** Pour les moscovados les sources sont du même auteur, WATJEN, op. cit., p.
316. Les données sont également exprimées en £. Mais cet auteur citant les docu-
ments hollandais de l'époque, précise que, dans certains cas, le montant des
exportations est indiqué en mesures portugaises et hollandaises, et dans d'autres
cas, dans les unes ou les autres sans équivalences de mesures. En ce qui concerne
les mesures hollandaises en particulier, il indique qu'il n'a pu trouver les corres-
pondances entre Hiite, Passer et Pipen. Nous avons trouvé ces correspondances
unitaires dans l'ouvrage déjà cité de J. J. REESSE, p. LXXXII :
1 Hiite = 1 Hoed = 1 barrique = 10 hectolitres environ ;
1 FaB = 1 Quarteel = 1/2 Pijp = 450 £ environ ;
1 Pipe = 1 Pijp = 900 £ environ.

En outre, comme nous l'avons déjà observé pour les sucres blancos ci-dessus,
J. J. Reesse fournit {op. cit., p. CXX) des chiffres légèrement plus élevés pour la
période 1637-1639 par rapport aux chiffres résultant de nos conversions à partir de
Watjen au titre des années correspondantes. Ces différences tiennent aux mêmes
raisons que celles développées ci-dessus. A toutes fins utiles, nous présentons les
chiffres de Reesse :

Sucres importés
Années Sucres importés Total
par les
par la W.I.C. particuliers

De 1637 à 1639 1.707.360 4.658.100 6.365.460


1640 226.800 1.060.200 1.287.000
1641 342.600 2.301.600 3.931.200
1642 428.820 1.207.800 1.636.620
1643 277.425 1.942.200 2.219.625
1644 118.755 1.203.600 1.322.355
Total sur 8 ans 3.101.760 12.373.500 16.762.260
238 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

sucres importés
Années Sucres imP°rtés Total
par les
par *a W.I. C. particuliers

Moyenne annuelle 387.720 1.546.937 2.095.282


Moyenne annuelle
Watjen/Souty 343.406 1.520.964 1.864.370
Différentiel entre les
deux estimations —11,4% —1,67% —11,02%

Comme dans le cas du sucre blanc, le différentiel est assez réduit bien que nos
calculs à partir des séries de Watjen soient tout de même inférieurs globalement
de 11 % aux estimations de Reesse. Aussi confirmons-nous que nos séries d'en-
semble, bien que relativement plus élevées que celles présentées jusqu'ici, repré-
sentent effectivement un seuil minimal.

TABLEAU 12. — Évolution du prix du sucre blanc brésilien et des moscouades à Amsterdam
de 16Z4 à 1675

Années Sucres blancs Moscouades Années Sucres blancs Moscouades

1624 43 32 1646 65 57
1625
1626
47
51
38
42
1647
1648 60
- 43

1627
1628 57
- -
44
1649
1650
66
67
52
49
1629
1630 67
- -
57
1651
1652
73
69
53
50
1631 67 59 1653 66 51
1632 70 54 1654 69 51
1633 67 54 de 1655 à 1663, aucune donnée
1634 66 50 1664 39 31
1635 66 51 1665 40 31
1636
1637
60
85
52
67
1666
1667
-- --
1638
1639
68
(70)
54
(45)
1668
1669 35
- 25
-
1640
1641
55
51
49
38
1670
1671 29
- 22
-
1642 46 34 1672 32 22
1643
1644
44
(45)
31
(30)
1673
1674 29
- 22
-
1645 46 39 1675 28 20

* Sources : N. W. POSTHUMUS,op. cit., pp. 119 et 122. De 1624 à 1654, il est évi-
dent que la seule origine des blancos et des moscovados cotés comme tels est
brésilienne, origine dont on peut cependant douter après 1654 avec les démarrages
fort rapides des exploitations sucrières dans la Guyane et les Antilles Hollandaises.
LE BRÉSIL NÉERLANDAIS, 1624-1654 239

Il faut également se souvenir que ces possessions ne sont après tout qu'à quelques
journées de navigation pour un vaisseau qui chargerait en contrebande au Brésil...
Pour 1639 et 1644, il s'agit de la moyenne annuelle des cours recensés par J. J.
REESSE in De Suikerhandel van Amsterdam que l'on a déjà cité, p. LXXXVI et
CXX. Quant à la fiabilité de ces deux données, exogènes par rapport à l'ensemble
homogène de Posthumus, on peut observer dans des années où les deux auteurs
fournissent quelques chiffres, qu'à propos des chiffres de Reesse pour 1640, une
différence de prix de 10 % pour 100 £ de blancos peut être enregistrée par rapport
aux chiffres de Posthumus, mais que cette différence est de 1 % seulement en
1642. Ceci est évidemment très faible. En outre, notons que les chiffres de Reesse
s'intègrent parfaitement en niveau à la série de Posthumus qui n'avait consulté
que les Prijscouranten, tandis que le premier tire ses informations du fonds d'ar-
chives de l'ancienne W. I. C. : sources divergentes mais données convergentes donc,
ce qui est bien pour nous rassurer une fois de plus s'il était nécessaire.
Par ailleurs, Posthumus comme Reesse ont exprimé les valeurs de ces prix en
florins pour 1 £ tandis que nous préférons l'exprimer en florins pour 100 £. La
raison d'un tel choix est liée au fait que nous souhaitons conserver dans nos
compilations et travaux la même base monétaire et le même système de numéra-
tion qu'au XVIP siècle tandis que Posthumus avait converti l'ensemble de ses
données d'un système monétaire mixte duodécimal et hexagésimal en unités de
notre moderne système décimal. L'intention de Posthumus était tout à fait esti-
mable dans la mesure où sa compilation était notamment destinée à s'insérer
dans un programme comparatif international d'histoire des prix. Notre choix
résulte de la dimension plus limitée de notre cadre : celui de la conjoncture atlan-
tique luso-néerlandaise. En outre, ce choix permet de réduire sensiblement les iné-
vitables effets d'une dispersion trop accentuée,lors des conversions entre systèmes
de numération d'époques et de régions culturelles différentes.

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