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Prologue

Heureusement que c’était vendredi ! songea Sarah. Plus que quelques


heures à se tourner les pouces. Elle n’était pas devenue avocate pour passer
ses journées à remplir des formulaires ou à demander à des gens d’apposer
leur signature à l’endroit indiqué. N’importe qui aurait pu le faire à sa place.
Sans avoir fait quatre années d’études de droit.
Dès qu’elle s’était vu proposer un poste au sein du prestigieux cabinet
Goldstein & Evans, Sarah s’était imaginée défendant les causes perdues
devant le juge. Au lieu de cela, depuis sept semaines qu’elle avait intégré
l’entreprise, elle n’avait encore jamais mis les pieds au tribunal. Après une
semaine au Transfert de propriétés, deux au Fiduciaire et Patrimoine, puis les
deux suivantes aux Affaires familiales — ce qui était loin d’être son domaine
de prédilection —, elle avait atterri dans ce bureau où elle s’ennuyait à mourir
depuis quinze jours.
Quand rejoindrait-elle enfin les Affaires pénales et civiles ? C’était bien
plus dans ses cordes. Sarah se sentait notamment très attirée par le
département d’assistance juridique gratuite destinée à ceux qui n’avaient pas
les moyens de faire appel à un avocat.
En attendant, elle devait se contenter de s’occuper, histoire de passer le
temps… Aussi effectuait-elle des recherches sur un client qui allait venir
signer un contrat à 15 heures. Il s’agissait de la vente d’une mine de diamants,
rien que cela !
Le dénommé Scott McAllister, apparemment très connu, comptait parmi
les plus jeunes magnats australiens de l’extraction minière, et ses intérêts
étaient concentrés dans les gisements de fer, d’or et de charbon, ainsi que de
nickel et d’aluminium. D’après les informations qu’elle avait glanées sur
Internet, il avait fait ses débuts dix ans plus tôt quand, après la mort de son
père, il avait découvert que deux des achats a priori sans valeur effectués par
ce dernier recélaient des trésors insoupçonnés. L’un possédait des gisements
de fer pris au départ pour de vulgaires roches ; l’autre regorgeait de lignite.
La chance avait manifestement joué un grand rôle dans l’ascension de
Scott McAllister. Mais, d’après Bob — l’avocat dont Sarah était censée être
l’assistante —, le magnat avait réussi surtout grâce à son flair, doublé d’un
sens aigu des affaires. Il avait le chic pour acheter des cailloux qu’il
transformait en diamants, en quelque sorte, avait conclu Bob d’un ton
admiratif.
Sur un autre site, Sarah tomba sur une photo récente de McAllister. Le
cliché ayant été pris sur le terrain, tout le monde portait gilet et casque de
sécurité jaune. Et, comme McAllister avait en outre chaussé des lunettes
noires, impossible de savoir à quoi il ressemblait vraiment. Tout juste
remarquait-on qu’il était grand et athlétique, avec un nez fort et droit, et un pli
creusant son haut front qui lui donnait un air pensif. La façon dont il serrait
les lèvres dénotait une détermination à toute épreuve. McAllister était par
ailleurs célibataire, apprit-elle en terminant l’article.
Au même instant, le téléphone se mit à sonner sur le bureau de Bob, qui
souleva le combiné en marmonnant un juron. Quand il le reposa trente
secondes plus tard, il semblait contrarié.
— Excusez-moi, dit-il en se tournant vers Sarah, mais McAllister est en
avance et les autres ne sont pas encore arrivés. Et moi, je n’ai pas fini de lire
ce fichu contrat ! Alors, vous voulez bien me rendre un service et aller
l’accueillir ? Emmenez-le dans la salle de conférences et apportez-lui un café,
ou un verre de ce qu’il voudra ! Vous êtes très douée pour ce genre de choses.
Certes. Depuis qu’elle « travaillait » pour Bob, sa tâche se résumait à aller
lui chercher du café… Mais sa mère lui ayant appris à se conduire en hôtesse
raffinée, Sarah se contenta de sourire en répondant qu’elle s’occuperait avec
plaisir de M. McAllister.
— Vous êtes une chic fille, fit Bob en lui rendant son sourire.
Comme il avait dépassé la soixantaine, elle ne s’en offusqua pas. Même
si, à bientôt vingt-six ans, elle n’était plus vraiment une fille.
Se levant de sa chaise, Sarah sortit du bureau et se dirigea vers le hall
d’accueil. Au fond, elle était ravie d’avoir quelque chose à faire. Et,
franchement, elle était curieuse de voir à quoi ressemblait McAllister en chair
et en os.
Quand elle l’aperçut, installé sur l’un des deux sofas en cuir noir, seul,
elle s’immobilisa et en profita pour le détailler. Vêtu d’un costume gris
anthracite, d’une chemise blanche agrémentée d’une banale cravate bleu
marine, il était calé contre le dossier, les bras posés de chaque côté sur le
dossier du sofa, la cheville droite en appui sur le genou gauche. Ses
chaussures étaient cirées, remarqua Sarah, mais usées. Manifestement,
M. McAllister n’était pas porté sur la mode… Peut-être se considérait-il
comme au-dessus de ce genre de préoccupations…
Cette fois, il ne portait pas de lunettes noires, mais il avait les yeux
fermés. Ce qui permit à Sarah de poursuivre son examen. Cheveux brun foncé
coupés court, grande bouche à la lèvre supérieure mince, un tantinet cruelle.
Lèvre inférieure plus pleine, sans adoucir pour autant les traits durs et virils.
Avant même qu’il n’ouvre les yeux, Sarah reconnut que, même si Scott
McAllister n’était pas beau au sens traditionnel du terme, elle lui trouvait un
charme puissant. Étrange, vu qu’elle n’avait jamais été attirée par le type
macho. Ce genre d’individu était trop intimidant physiquement. Elle préférait
de loin les hommes à la beauté élégante et raffinée, et possédant plus de
cervelle que de muscles.
S’avançant dans le hall, elle s’arrêta à un mètre de lui et s’éclaircit la
gorge.
— Monsieur McAllister ?
Mon Dieu, elle détestait que sa voix monte ainsi dans les aigus…
Les paupières se soulevèrent et Sarah vit enfin ses yeux.
D’un gris glacier, aux cils d’une longueur surprenante. Pas durs, mais
froids — et étonnamment chaleureux en même temps. Et avides. Ils la
parcoururent tout entière, tandis qu’elle retenait son souffle et, à son grand
dépit, se sentait rosir.
— Oui, c’est moi, dit-il enfin en dépliant son corps d’athlète.
Une fois debout, il la dominait de toute sa hauteur, alors qu’elle mesurait
pourtant un mètre soixante-treize. Et qu’elle portait en outre des talons ! Pas
très hauts, mais quand même…
La bouche soudain sèche, Sarah inclina légèrement la tête en arrière et le
contempla d’un air détaché et professionnel. Du moins, l’espérait-elle…
Elle lui sourit.
— Les propriétaires actuels de la mine n’étant pas encore là… M. Katon
m’a chargée de m’occuper de vous en attendant leur arrivée.
Scott McAllister ne lui rendit pas son sourire. Il se contenta de la
dévisager en silence, le regard brûlant.
En réaction, Sarah sentit une chaleur incontrôlable naître au plus profond
de son intimité, se répandre dans tout son corps…
— Si vous voulez bien me suivre, suggéra-t-elle poliment.
Cette fois, un lent sourire se dessina sur la grande bouche virile, d’une
sensualité inouïe.
— Je vous suivrais jusqu’en enfer, ma belle.
Sarah entrouvrit les lèvres, les referma.
La seule chose qu’elle aurait pu dire, c’était qu’elle ressentait exactement
la même chose.
1.
Sydney, un an et trois mois plus tard
Debout devant la fenêtre de son bureau, Scott regardait dehors sans rien
voir. De toute façon, la vue n’était pas fantastique, car l’immeuble hébergeant
le siège de McAllister Mines était situé dans le sud du quartier d’affaires de
Sydney, à l’opposé de celui du port, bien plus pittoresque. De ce côté-ci, il n’y
avait rien à voir, en fait. Pas d’opéra scintillant. Ni de parcs ou jardins.
Seulement des rues embouteillées et bordées de gratte-ciel à l’architecture
quelconque.
Mais ce lundi matin là, même le panorama le plus grandiose n’aurait pu
apaiser le chaos qui régnait en lui. Rien n’aurait pu le sortir des ténèbres qui
s’étaient abattues sur lui. Jamais sa vie n’avait été aussi ébranlée. À la mort de
son père, Scott avait été chamboulé. Mais la mort était plus facile à gérer que
la trahison, comme il en faisait maintenant l’expérience. Il n’arrivait toujours
pas à croire que Sarah ait pu lui faire cela, bon sang ! Un an à peine après
l’avoir épousé ! La veille, ça avait été leur premier anniversaire de mariage. Il
avait beau nourrir une bonne dose de méfiance vis-à-vis du sexe opposé, il
avait été séduit par Sarah parce qu’elle était différente de toutes les autres
femmes qu’il avait connues avant elle. Totalement différente. Unique. Par
conséquent, qu’elle ait pu s’abaisser à le tromper lui paraissait…
inconcevable.
Le MMS était arrivé sur son mobile professionnel le vendredi après-midi,
un peu après son rendez-vous avec un milliardaire venu de Singapour et
séjournant sur la Gold Coast. Milliardaire qui, espérait Scott, l’aiderait à
régler ses problèmes de trésorerie actuels. Par chance, il était seul quand il
avait découvert le MMS ! Parce que, sur le coup, il avait reçu un sacré choc.
Suivi d’une incrédulité totale. Puis, peu à peu, il avait bien été forcé de
reconnaître l’évidence. Il n’y avait aucune ambiguïté, sur ces photos d’une
précision sidérante et comportant l’heure et la date auxquelles elles avaient
été prises. Au moment du déjeuner, ce même vendredi.
Et puis, il y avait le message.
Ai pensé que vous aimeriez savoir ce que fait votre femme quand vous n’êtes
pas là.
Signé : « Un ami ». Pas vraiment, songea Scott en serrant la mâchoire.
Plutôt un rival en affaires, ou un collègue jaloux de Sarah, par exemple. Ce
qui ne signifiait pas pour autant qu’elle était innocente. « Il n’y a pas de
fumée sans feu », disait son défunt père. Aussi Scott avait-il admis
rapidement que sa femme entretenait bel et bien une liaison avec le salaud très
élégant, et très beau, qui figurait avec elle sur ces fichues photos.
Jamais Scott ne se serait cru capable d’être submergé par une jalousie
aussi féroce — et une fureur presque incontrôlable. À tel point qu’il avait tout
laissé en plan, confiant à Cleo, son assistante, le soin de terminer les
négociations à sa place, au prétexte que Sarah était tombée malade et le
réclamait. Puis il avait pris le premier avion pour Sydney, résolu à demander
des comptes à son épouse adultère.
Ce qu’il n’avait pas fait tout de suite, néanmoins.
Une vague de culpabilité, ou peut-être plutôt de honte, monta en lui au
souvenir de la façon dont il s’était comporté.
Il avait eu l’intention de s’expliquer avec elle dès son arrivée, nourrissant
encore le vain espoir qu’il puisse s’agir d’un malentendu. Mais, lorsqu’il était
rentré ce soir-là, Sarah s’était littéralement jetée à son cou, folle de joie qu’il
soit revenu plus tôt que prévu. Ses baisers avaient eu un goût de passion
presque sauvage alors que, jusque-là, elle n’avait jamais manifesté une telle
fougue ni fait preuve d’autant d’audace. D’habitude, elle le laissait toujours
faire le premier pas et prendre la direction des opérations. Mais ce soir-là, elle
l’avait excité délibérément, le caressant et l’embrassant sans aucune pudeur.
Quant à lui, il en avait profité sans scrupules.
Et pourtant, après qu’elle se fut endormie, épuisée par leurs ébats, c’était
lui qui s’était senti coupable. Absurde ! C’était elle la coupable, l’infidèle. Pas
lui. Il le savait, maintenant.
Elle lui avait menti, racontant que ce jour-là, elle était allée faire du
shopping à l’heure du déjeuner et qu’elle avait trouvé un cadeau fabuleux
pour lui. Alors que Scott savait parfaitement à quoi elle avait passé sa pause
déjeuner.
La laissant dormir, il était allé se réfugier dans la pièce aménagée en
bureau qu’il partageait à l’occasion avec elle. Ensuite, il avait bu jusqu’au
moment où il s’était écroulé sur le sofa, passablement ivre.
C’était là qu’elle l’avait trouvé le lendemain matin, dans un état pitoyable.
Et que la confrontation avait eu lieu.
Cela n’avait pas été joli. À vrai dire, Scott n’en revenait toujours pas de
s’être vu lancer des accusations à la tête. Et des injures. Pour couronner le
tout, Sarah l’avait quitté. Et n’était pas rentrée.
Le dimanche soir, il avait été forcé d’admettre qu’elle pourrait bien ne
jamais revenir. Et, au lieu de le ravir, cette éventualité avait eu l’effet
contraire. Il n’était pas le genre d’homme à pouvoir envisager de vivre avec
une femme indigne de sa confiance, mais il ne pouvait s’empêcher de penser
qu’il avait éventuellement tiré des conclusions hâtives. Qu’il avait peut-être
même commis une énorme erreur.
Quelqu’un frappant soudain à la porte, il sursauta et se détourna de la
fenêtre.
— Oui ?
Cleo entra d’un pas hésitant, l’air inquiet. Sachant qu’il serait impossible
de lui mentir, Scott lui avait donné une version édulcorée du cataclysme qui
s’était abattu sur son existence. Cleo n’était pas seulement son assistante :
après trois ans de collaboration étroite avec lui, elle était devenue aussi son
amie. Quand elle avait appris la trahison de Sarah, elle avait paru presque plus
choquée que lui et avait exprimé son incrédulité avec force.
— Sarah ne vous serait jamais infidèle, Scott. Elle vous adore !
Oui. C’est ce qu’il avait toujours cru lui aussi. Mais, de toute évidence, il
s’était trompé.
S’il avait encore eu les photos, Scott les aurait montrées à Cleo, mais il
avait confié le portable à son chef de la sécurité dès le samedi après-midi.
Présenter à Harvey ces fichues photos de sa femme avec un autre homme
avait représenté une véritable épreuve, des plus humiliantes, mais Scott tenait
à s’assurer de leur authenticité et à savoir qui les lui avait envoyées. Il voulait
tout savoir sur ce salaud. Ensuite, quand il connaîtrait son identité, il aviserait.
En attendant, une chose était sûre : il le haïssait de toutes ses forces.
— Harvey vient d’appeler : il sera ici dans cinq minutes, déclara Cleo.
Vous voulez que je vous apporte du café, quand il sera arrivé ?
Tout à coup, Scott regretta d’avoir demandé à Harvey d’enquêter. Il aurait
plutôt dû retenir Sarah et insister pour qu’elle lui explique comment ses
photos avaient pu être prises. Mais quelle explication aurait-il pu y avoir ? Et
puis, elle n’avait pas nié. Elle s’était bornée à lui lancer des accusations et des
injures, lui répétant qu’il s’était comporté de façon indigne la veille au soir.
C’était sa faute. Il aurait dû lui montrer les photos dès son arrivée. Mais il
ne l’avait pas fait et, le lendemain matin, il était encore trop furieux contre sa
femme pour tenter de justifier son attitude, qu’elle avait qualifiée de
comportement d’homme des cavernes.
Elle était douée. Sarah n’était pas avocate pour rien… Ses tentatives de
rejeter la faute sur lui avaient presque réussi. Après l’avoir regardée sortir de
l’appartement comme une furie, il avait commencé à se dire qu’elle était peut-
être innocente.
Ensuite, il avait de nouveau observé les photos.
Serrant la mâchoire, Scott tourna les yeux vers Cleo qui attendait
patiemment sa réponse.
— Non, merci, pas de café pour l’instant, Cleo. Oh ! et… merci aussi
d’avoir pris le relais vendredi. Je ne sais vraiment pas ce que je ferais sans
vous !
— Je crains de ne pas vous avoir été très utile, répliqua la jeune femme
avec un haussement d’épaules. Mon interlocuteur m’a bien fait comprendre
qu’il n’était pas ravi de traiter avec une femme, de moins de trente ans, en
plus. Et si vous voulez mon avis, vous devriez laisser tomber cette piste. Il ne
me plaît pas, ce type. Il a le regard fuyant.
Scott sourit.
— Très bien, je ne reprendrai pas contact avec lui. Vous m’avez démontré
à plusieurs reprises que je pouvais me fier à votre jugement.
— Merci, Scott. Mais il va falloir trouver quelqu’un d’autre rapidement,
si vous ne voulez pas être obligé de fermer la raffinerie de nickel. Et peut-être
même la mine aussi. Vous ne pouvez pas continuer à les faire fonctionner à
perte.
— Non, je sais. Alors, faites quelques recherches et voyez qui serait
susceptible d’investir. Un Australien, peut-être. Ah, voici Harvey ! Entrez, je
vous en prie…
Cleo s’éclipsa après avoir salué le chef de la sécurité, qui s’avança dans le
bureau en affichant une expression neutre.
Âgé d’une bonne cinquantaine d’années, costaud et le crâne chauve,
Harvey avait un beau visage aux traits anguleux, une bouche au pli déterminé
et des yeux bleu vif. Après avoir passé vingt ans dans la police, il avait été
détective privé durant les dix années suivantes, puis avait été embauché par
Scott pour diriger la sécurité de l’entreprise — et lui servir de garde du corps
à l’occasion.
En outre, Harvey était un as de l’informatique, ce qui représentait
désormais un atout précieux.
Scott lui fit signe de s’asseoir avant de demander d’un ton brusque :
— Alors, qu’avez-vous découvert ?
Une lueur frisant la compassion traversa le regard bleu perçant, lueur que
Scott ne lui avait encore jamais vue.
Son cœur sombra dans sa poitrine, un goût de fiel lui monta aux lèvres, si
intense qu’il se laissa tomber dans son fauteuil et inspira à fond avant de
reprendre lentement :
— À en juger par votre expression, je suppose que vous n’avez pas de
bonnes nouvelles à m’apprendre.
— Non.
Scott se prépara au pire.
— OK. Allez-y.
Harvey se pencha en avant pour poser le téléphone portable sur le bureau,
puis se renfonça dans son fauteuil.
— Commençons par le début, dit-il d’un ton neutre. Ce portable est un
appareil jetable. Donc impossible d’identifier la personne qui l’a acheté.
— Je m’en doutais. Et les photos ?
— Authentiques. Elles n’ont pas été trafiquées.
Scott serra les poings pour encaisser le choc.
— Et concernant la date et l’heure auxquelles elles ont été prises ?
— Tout aussi authentiques. J’ai pu m’en assurer en consultant la vidéo de
sécurité de l’hôtel. Ils ont installé des caméras partout.
— De quel hôtel s’agit-il ?
— Le Regency.
Le ventre de Scott se noua. Le Regency était un établissement cinq étoiles
situé à proximité de l’immeuble où travaillait Sarah.
Qu’avez-vous trouvé d’autre ?
— J’ai parlé à un membre du personnel qui était de service au bar
vendredi dernier à l’heure du déjeuner. Il s’est souvenu de Sarah.
Évidemment. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas remarquer une
femme superbe aux longs cheveux blond satiné, aux grands yeux bleus, et
dont la bouche pulpeuse aurait tenté un saint. Quant à son corps mince aux
courbes ravissantes, toujours mis en valeur par des tenues élégantes et
délicieusement féminines…
Scott n’avait jamais oublié le moment où, quinze mois plus tôt, il avait
soulevé les paupières et l’avait aperçue, à un mètre de lui. Il était tombé fou
amoureux d’elle au premier regard. Une semaine après, au cours de leur
troisième rendez-vous, elle lui avait avoué qu’elle avait ressenti la même
chose vis-à-vis de lui.
Et il l’avait crue. Trois mois plus tard, elle devenait sa femme. Un an
après, il semblait bien qu’elle soit sur le point de devenir son ex-femme.
Scott s’éclaircit la gorge.
— Qu’a-t-il dit d’autre, ce barman ?
— Qu’elle et l’homme qui l’accompagnait semblaient plutôt intimes. Ils
se sont installés à l’écart, dans un box. N’ont pas bu grand-chose. Se sont
contentés de parler. Ensuite, au bout d’un quart d’heure environ, ils sont
partis.
— Je vois, répliqua-t-il brièvement.
Il savait aussi bien qu’Harvey où ils étaient partis. Il suffisait de regarder
les photos. L’homme s’était d’abord rendu à la réception et avait réservé une
chambre. Puis ils avaient pris l’ascenseur et étaient entrés dans ladite
chambre, dont ils étaient ressortis seulement quarante-cinq minutes plus tard.
— Il a par ailleurs précisé qu’il ne l’avait encore jamais vue, ajouta son
chef de la sécurité.
Fantastique. Mais il y avait d’autres hôtels, dans ce quartier de Sydney.
Des tas.
— En revanche, il avait l’impression d’avoir déjà croisé l’homme qui
l’accompagnait, poursuivit Harvey. Mais avec une autre femme. Une brune.
— Vous avez pu l’identifier ?
— Oui. Il s’agit de Philip Leighton, trente-cinq ans. Avocat.
— Et il travaille pour Goldstein & Evans, ajouta Scott.
— Exactement. Aux Affaires familiales. Il s’occupe de divorces. Mais pas
de n’importe qui : ses clients ont de l’argent. Il vient lui-même d’une famille
fortunée. Père sénateur. Et, d’après la rumeur, le fils ambitionne de se lancer à
son tour dans la politique. Il est célibataire et n’a pas de relation suivie avec
une femme. Plutôt un séducteur, d’après l’un de ses collègues à qui j’ai parlé
ce matin. « Un baratineur de première », a-t-il déclaré en parlant de Leighton.
Scott se força à ne pas penser au genre de baratin qu’il avait pu faire à
Sarah, avant de passer à des actes plus… physiques. Une jalousie mordante
s’empara de lui. Il détestait être pris pour un imbécile. Or c’était ce que Sarah
avait fait. Le samedi matin, ses airs outragés avaient visé uniquement à rejeter
la culpabilité sur lui. Alors qu’en réalité, elle s’était laissé séduire par ce
salopard aux airs de don Juan.
Si tu ne t’étais pas absenté aussi souvent pour tes affaires, ces derniers
temps, cela ne serait pas arrivé…
Ça alors ! Parce qu’il lui trouvait des excuses, maintenant !
Scott se redressa dans son fauteuil et soutint le regard de Harvey sans
ciller.
— Avez-vous autre chose à m’apprendre concernant la relation de ma
femme avec ce Leighton ?
— Seulement qu’elle n’est pas allée le retrouver après vous avoir quitté,
samedi matin. Il possède une maison sur le North Shore et elle n’est pas
apparue de ce côté-là. On n’a pas repéré non plus sa voiture à proximité.
Était-il soulagé de connaître ce détail ? Non. Au contraire. Son ventre se
noua encore davantage.
— Elle est probablement chez Cory, répliqua-t-il, la mâchoire crispée.
C’est son meilleur ami. Ils se sont connus à l’université. Il est architecte.
Soudain, Scott se rendit compte qu’il ne savait pas grand-chose du passé
de sa femme. Au cours de leurs premiers rendez-vous, elle lui avait dit que sa
mère était décédée et qu’elle ne voyait ni son père ni son frère unique, plus
âgé qu’elle. Ses parents avaient divorcé alors qu’elle était adolescente et cela
s’était mal passé, le frère prenant le parti du père, en dépit du fait que celui-ci
avait passé son temps à tromper sa femme. Par la suite, Scott ne l’avait jamais
questionnée. Il n’avait pas non plus cherché à en savoir davantage sur sa
relation avec Cory. Tout simplement parce que cela ne l’inquiétait pas. Et
qu’il aimait bien ce type — qui l’aimait bien lui aussi.
Sauf qu’à présent, Cory le trouvait sans doute beaucoup moins
sympathique, songea Scott. Car Sarah, qui lui racontait tout, avait dû lui dire
ce qui s’était passé le vendredi soir. Sarah et Cory se comportaient comme des
adolescents, parfois, riant et bavardant ensemble au téléphone durant des
heures.
Brusquement, il eut envie d’être seul et de faire quelques recherches de
son côté. Après s’être levé, il contourna son bureau et tendit la main à Harvey.
— Merci, dit-il chaleureusement. Vous avez été rapide et efficace, comme
toujours. Je vous en suis très reconnaissant.
Au moins, il savait à quoi s’en tenir, à présent. Mais il ne savait pas tout.
Et c’était cela qui le tarabustait. Sarah aimait-elle cet homme ? L’avait-elle
jamais aimé, lui ? Il aurait juré qu’elle était aussi folle de lui qu’il l’était
d’elle. Mais bon, il aurait juré également qu’elle ne pourrait jamais le tromper.
Pourtant…
— À votre service, patron, répliqua Harvey en se levant pour lui serrer la
main. Désolé de ne pas vous avoir donné de nouvelles plus agréables.
— La vie n’est jamais simple, soupira Scott.
Ni l’amour. Parce qu’il aimait toujours son épouse infidèle. Dieu seul
savait pourquoi !
Après le départ de Harley, Scott prit son téléphone portable et appela
Sarah au bureau. Quand il apprit qu’elle n’était pas là, qu’elle avait prévenu
qu’elle ne viendrait pas de la journée parce qu’elle ne se sentait pas bien, il ne
sut qu’en penser.
Sarah ne prenait jamais de jours de congé. Elle allait toujours travailler,
vaille que vaille. Elle aimait son travail, surtout maintenant qu’elle avait
obtenu un poste permanent au service d’assistance juridique gratuite. Elle
défendait brillamment ses protégés et avait gagné plusieurs procès.
Par conséquent, elle ne devait vraiment pas aller bien. Et elle lui en
voulait. À moins qu’elle ne s’en veuille à elle-même. Peut-être ne lui avait-
elle été infidèle qu’une fois, et l’avait-elle regretté aussitôt après l’avoir fait ?
Et, désireuse de réparer ses torts, elle s’était jetée dans ses bras quand il était
rentré.
Une pensée horrible le traversa soudain. Et si elle était partie avec ce
Leighton ? Loin de Sydney, ou même de l’Australie…
Son cœur martela sa poitrine, puis s’arrêta de battre.
— Et M. Leighton ? demanda-t-il à la réceptionniste avec effort. Est-il là,
ce matin ?
— Oui, monsieur. Vous souhaitez lui parler ?
Un soulagement immense envahit Scott.
— Non, pas maintenant, répondit-il d’une voix plus ferme.
Mais il irait bientôt lui dire deux mots. Après avoir discuté avec Sarah.
Sélectionnant son numéro personnel, il s’attendit à ce qu’elle ait éteint son
portable, comme elle l’avait fait durant tout le week-end. Cette fois, il était
allumé, mais la ligne était occupée. Avec qui parlait-elle ? Avec Cory ? Ou
avec ce salaud de Leighton ?
Et où était-elle ? Toujours chez Cory, sans doute.
Scott n’hésita pas. De toute façon, il n’arriverait à rien faire s’il restait au
bureau. Il était temps d’affronter de nouveau Sarah et de tirer les choses au
clair. Saisissant sa veste suspendue au portemanteau, il l’enfila en se dirigeant
rapidement vers le bureau de Cleo. Il trouva la jeune femme concentrée sur
son écran d’ordinateur.
— Je dois m’absenter, Cleo. Annulez mes rendez-vous et prenez votre
journée. Vous l’avez bien mérité.
Elle leva les yeux, le front plissé.
— Vous n’allez pas faire de bêtises, au moins ?
— Non. J’en ai fait assez il y a un an et trois mois.
Le jour où il avait épousé une femme sans vraiment la connaître. Une
femme qui demeurait un mystère pour lui. Parce que, lorsqu’il l’avait
rencontrée, Sarah était vierge. À vingt-cinq ans.
Sur le moment, son manque d’expérience ne l’avait pas inquiété. Elle lui
avait dit qu’elle s’était méfiée des hommes durant longtemps à cause des
infidélités de son père. Cela avait suffi à Scott. Et quand elle avait ajouté
qu’avant lui, elle n’avait jamais rencontré d’homme qui lui ait plu au point
d’avoir envie de faire l’amour, il avait secrètement exulté.
Quel idiot ! On avait bien raison de dire que l’amour rendait aveugle !
songea-t-il en s’avançant dans le parking souterrain.
Quelques instants plus tard, il s’engouffra dans sa Mercedes et alluma le
contact. Il avait été aveugle, en effet, mais cette histoire lui avait ouvert les
yeux. Et maintenant, il voulait obtenir des réponses. Toutes les réponses.
2.
— Tu ne veux vraiment pas que je t’accompagne ? insista Cory. Tu
pourrais avoir besoin d’aide pour porter tes affaires. Je peux sans problème
prendre mon après-midi, tu le sais.
— Merci beaucoup, Cory, mais je préfère m’en occuper toute seule.
— Et tu es sûre que Brutus ne sera pas là ?
Sarah tressaillit en entendant Cory utiliser de nouveau le surnom qu’il
avait donné à Scott. Ce n’était pas inapproprié, pourtant. Son mari s’était
conduit comme une brute, vendredi dernier au soir, faisant passer son
comportement débridé pour de la passion. À la pensée qu’elle l’avait laissé
faire, qu’elle avait apprécié ce qu’il lui avait fait, Sarah tressaillit de nouveau.
D’inconfort, cette fois. Car c’était ça, le pire : elle avait aimé les transports
d’un érotisme torride auxquels ils s’étaient livrés. Elle n’avait même pas tenté
de résister aux avances plus qu’osées de Scott.
Son esprit s’embrasa au souvenir des gémissements impudiques qu’elle
avait poussés, de la façon dont elle l’avait supplié de ne pas s’arrêter…
Mais en apprenant le lendemain matin que l’attitude de son mari avait été
motivée uniquement par la jalousie et la rage, elle avait ressenti un choc
horrible, vite remplacé par une colère sans nom.
— Impossible qu’il ne soit pas allé travailler, répliqua-t-elle à Cory avec
amertume. Crois-moi, je ne mens pas quand je dis qu’il faudrait qu’une
bombe lui tombe sur la tête pour que Scott ne se rende pas à son cher bureau
un lundi matin.
— D’après ce que tu m’as raconté, c’est un peu comme s’il en avait reçu
une, samedi…
— Tu ne peux pas imaginer dans quel état j’étais ! Je lui ai balancé toutes
sortes d’accusations et d’injures à la figure ! J’étais folle de rage, Cory !
— Si, j’imagine… Quand tu es arrivée à la maison, des éclairs te sortaient
littéralement des yeux ! Enfin, jusqu’à ce que tu te mettes à pleurer. À un
moment donné, j’ai cru que j’allais devoir m’acheter un gilet de sauvetage.
— N’essaie pas de me faire rire, s’il te plaît. Ce salaud m’a brisé le cœur.
Je ne pourrai jamais lui pardonner ce qu’il a fait.
— Pourquoi ? Parce qu’il s’est comporté comme la plupart des hommes
l’auraient fait à sa place ? Quand j’ai découvert que Felix me trompait, je l’ai
désiré plus que jamais.
— Mais tu ne l’aimais pas… et moi, je n’ai pas trompé Scott !
— Peut-être, mais tout portait à le croire…
— Je sais, je sais, l’interrompit Sarah.
— À mon avis, tu devrais l’appeler et lui expliquer pourquoi tu es allée au
Regency avec ton ami avocat. Après tout, je ne les ai pas vues, ces photos,
mais elles étaient plutôt compromettantes, non ?
— Et alors ? Tu voudrais que Scott s’excuse et que nous reprenions notre
vie commune comme avant, comme si de rien n’était ? Eh bien, non. Je ne
suis pas d’accord, Cory.
— Ah, c’est vrai que tu es Scorpion. Les natifs de ce signe ne pardonnent
ni n’oublient jamais. Au fait, tu ne t’es pas demandé qui aurait bien pu
envoyer ces photos à Scott ?
— Tu parles… Je ne pense quasiment qu’à ça depuis ce matin, soupira
Sarah.
— Un collègue, peut-être ?
— Je ne vois vraiment pas qui.
— Cette personne doit te haïr. Ou plutôt haïr Scott.
— C’est peut-être celle qui a parlé à Phil des rumeurs concernant Scott et
Cleo.
— Mais oui, tu as raison ! s’exclama Cory, tout excité. Je t’ai dit dès le
départ qu’il devait s’agir d’un coup monté. Sinon, comment cette personne
aurait-elle pu se trouver au bon endroit et au bon moment pour prendre ces
photos, au Regency ? Cela ne peut pas être un hasard. C’est sans doute
quelqu’un avec qui tu travailles, Sarah. Il a dû vous voir partir ensemble et
vous a suivis.
— Mais qui ?
— Je l’ignore. La seule chose que je sais, c’est que si tu laisses cette
histoire stupide gâcher ton mariage, il aura gagné.
— C’est Scott qui a détruit notre mariage, riposta Sarah. Parce qu’au
fond, il ne m’aime pas. Sinon, il m’aurait donné la possibilité de m’expliquer.
En réalité, il se fiche de ce que je ressens parce que je ne compte pas vraiment
pour lui. Je me rends compte maintenant que je n’ai jamais été qu’une femme
trophée pour lui. Une jolie poupée avec qui s’afficher en public… et à sa
disposition dans son lit. Quand il était là car, ces derniers mois, Scott n’a pas
cessé de s’absenter pour ses affaires. Et vendredi, j’ai cru qu’il était revenu
plus tôt que prévu pour fêter notre premier anniversaire de mariage. Quelle
idiote !
— Tu es encore très en colère contre lui, hein ?
— Tu peux le dire. Bon, je vais te laisser, Cory. La femme de ménage doit
être partie, maintenant, et je veux avoir quitté l’appartement avant le retour de
Brutus.
— Tiens, toi aussi, tu l’appelles Brutus…
— Oui. Ça lui va bien, finalement !
— Tu es consciente que la haine n’est que le revers de l’amour, n’est-ce
pas ?
— Je dois vraiment te laisser, Cory. À ce soir !
— Je rapporterai de quoi dîner. Chinois, ça te va ?
— Ce sera parfait, merci. Tu es vraiment adorable.
Sarah raccrocha, les larmes aux yeux. Cory était si gentil et généreux !
Sans lui, où serait-elle allée, ce week-end ? Elle n’avait pas tant d’amis. Ses
anciens camarades s’étaient dispersés après le lycée au moment où elle-même
entrait à l’université.
Le même phénomène s’était reproduit à la mort de sa pauvre mère, à la fin
de la première année. Incapable de se concentrer sur ses études ou sur son
deuil, Sarah était partie sac au dos à la découverte du monde. Quand elle était
revenue à l’université de Sydney, deux ans plus tard, ses anciens condisciples
avaient poursuivi leur chemin de leur côté et elle avait perdu tout contact avec
eux.
Durant sa première année de voyage, elle avait souffert de dépression et
avait découvert l’Europe à travers une sorte de brouillard. Elle avait visité des
endroits fabuleux, mais sans jamais être touchée par leur beauté ou leur
singularité, allant de ville en ville comme un zombie.
Ce n’était qu’à son arrivée en Asie que le brouillard s’était dissipé. Sans
doute grâce aux gens formidables rencontrés là-bas. Des êtres chaleureux, à la
générosité exceptionnelle ; des enfants adorables. Au cours de ces douze mois
passés à voyager à travers l’Inde, la Thaïlande et le Viêtnam, toute mélancolie
avait disparu. Sarah avait retrouvé goût à la vie, allant même jusqu’à
envisager de pouvoir faire confiance à un homme et se marier. D’avoir des
enfants. Néanmoins, elle n’avait pas l’intention de coucher avec le premier
venu.
Elle sourit en repensant au jour où, après son retour en Australie, elle
avait rencontré Cory, au milieu du premier semestre de l’année universitaire.
Irrésistiblement attirée par lui, Sarah avait cru avoir trouvé l’homme de sa vie.
Elle adorait être avec lui. Il était drôle et très beau. Et super sexy, avec ses
cheveux blonds, ses yeux bleu céleste et son corps superbe. Avec le recul, elle
se rendait bien compte qu’elle n’avait pas été folle de Cory, mais elle le
trouvait très séduisant, à l’époque. Et elle avait eu l’illusion que l’attirance
qu’elle éprouvait pour lui était réciproque.
Ils avaient commencé à sortir ensemble, jusqu’au jour où elle avait décidé
de franchir le pas… et où Cory s’était retrouvé forcé de lui révéler son
homosexualité. Avant ce moment critique, il avait essayé de refouler son
penchant pour les hommes, lui avait-il expliqué, de crainte d’être rejeté par
ses parents.
Mais cela n’avait pas été le cas, heureusement.
Après cette épreuve de vérité, elle et Cory étaient restés très proches, lui
sortant avec des hommes partageant ses goûts et Sarah finissant par se
résoudre à demeurer vierge jusqu’à son dernier jour. Parce qu’il était hors de
question qu’elle couche avec un partenaire qu’elle n’aurait pas aimé, et en qui
elle n’aurait pas eu entièrement confiance. Il lui aurait fallu une sorte de Cory
en version hétéro…
La perle rare, l’homme idéal, qu’elle n’avait pas rencontré. Ni à
l’université ni après, quand elle avait commencé à travailler chez Goldstein &
Evans. Oh ! elle croisait bien des hommes qui lui montraient clairement qu’ils
la trouvaient très attirante. Mais aucun d’eux ne lui plaisait. Pas même Phil,
pourtant très séduisant. Trop vieux, en outre. Il avait trente-cinq ans.
Cependant, Sarah avait continué de rêver qu’elle rencontrerait un jour celui
dont elle tomberait amoureuse, qu’elle épouserait et avec qui elle aurait au
moins deux enfants.
L’apparition de Scott McAllister dans son existence avait bouleversé sa
conception de l’homme idéal. Il avait le même âge que Phil, pour commencer.
Et il n’était pas beau au sens traditionnel du terme. Il n’avait pas non plus fait
d’études supérieures. En fait, il n’était même jamais allé au lycée, passant son
adolescence au fin fond de l’Outback avec son père, prospecteur.
En outre, s’il possédait une intelligence indéniable, un sens aigu des
affaires — et un corps d’athlète —, Scott n’était pas du genre à perdre son
temps en discours inutiles et il n’accordait pas grande importance à son
apparence.
C’était un vrai macho, suivant son chemin dans la vie sans se soucier de
l’effet qu’il produisait sur les autres et sans se préoccuper de leur avis.
Jamais Sarah n’oublierait leur première rencontre. Les yeux gris acier
avaient flamboyé d’un désir brut qui l’avait traversée de la tête aux pieds. Elle
avait senti son propre corps s’embraser. Et, à partir de cet instant, elle avait
été à lui. Cinq minutes plus tard, quand il l’avait invitée à dîner, elle n’avait su
balbutier qu’un oui, d’une voix si rauque qu’elle en était méconnaissable.
Comment avait-elle pu résister trois soirs avant d’accepter de
l’accompagner chez lui ? Sarah aurait été bien incapable de le dire.
Scott avait été stupéfait d’apprendre qu’elle était vierge, évidemment.
Mais pas mécontent. En fait, son aveu l’avait pris au dépourvu, avait-il avoué.
Car c’était la première fois qu’il approchait une vierge.
Cependant, il s’y était pris avec un mélange de passion et de douceur
inouï, lui faisant découvrir les plaisirs de la chair avec un enthousiasme et une
patience qui avaient ravi Sarah. Très vite, elle était devenue incapable de se
passer de leurs merveilleuses étreintes. Elle adorait ce délicieux sentiment de
sécurité qu’elle éprouvait dans les bras de Scott. Elle se sentait aimée.
Vraiment aimée. Et pour elle, c’était aussi important que le plaisir charnel
qu’elle découvrait grâce à lui.
Ou du moins l’avait-elle cru, jusqu’à ce terrible vendredi soir…
N’y pense plus, sinon, tu vas devenir folle, s’ordonna-t-elle à voix haute.
Se ressaisissant, Sarah prit son sac et ses clés de voiture. Dix minutes plus
tard, elle traversait le Harbour Bridge en dressant mentalement la liste des
affaires à emporter. Des vêtements, bien sûr. Non seulement elle devait
retourner travailler, mais encore elle ne pouvait porter indéfiniment le même
jean. Et pour aller au bureau, elle avait besoin de ses tailleurs. Il lui faudrait
aussi prendre ses affaires de toilette et le reste de ses accessoires de
maquillage. Après cet horrible affrontement avec Scott, elle n’avait presque
rien emporté en partant.
En revanche, elle reviendrait chercher ses tenues habillées un autre jour.
De toute façon, elle n’avait pas l’intention de sortir avant longtemps.
Et si, entre-temps, Scott faisait changer la serrure ? se demanda-t-elle
soudain avec un frisson glacé. Il était tellement furieux, lors de leur dernière
entrevue… Sarah avait du mal à l’admettre, mais ces photos donnaient
vraiment l’impression qu’elle entretenait une liaison avec Phil.
Par conséquent, mieux valait emporter toutes ses affaires d’un coup,
c’était plus sûr.
Lorsqu’elle emprunta la rue conduisant au haut immeuble donnant sur le
port, son cœur se serra. Durant plus d’un an, ç’avait été leur « chez-nous ». Ils
y avaient été heureux, en dépit des absences répétées de Scott.
Tout en comprenant qu’il traversait une période difficile, elle lui en avait
parfois voulu de la laisser seule, mais ses retours n’en avaient été que plus
joyeux. Vendredi dernier, par exemple. Surtout après ce qu’elle avait vécu ce
jour-là.
Le samedi matin, Sarah s’était réveillée le sourire aux lèvres. Ignorant
encore les véritables motivations de Scott, elle s’était réjouie de son insatiable
appétit sexuel. Et d’avoir pour la première fois joué elle-même un rôle plus
actif dans leurs ébats. En outre, elle avait reconnu en son for intérieur que
l’érotisme dont son mari avait fait preuve l’avait terriblement excitée, que les
multiples orgasmes qui l’avaient submergée avaient été fantastiques et d’une
intensité extraordinaire. Aussi avait-elle enfilé un jean et un T-shirt à la hâte
avant de partir à la recherche de Scott, ravie à la perspective de passer un
week-end entier avec lui.
Un enthousiasme de courte durée…
Agacée de ressasser de nouveau ces instants affreux, Sarah se gara dans le
parking souterrain et sortit de voiture avant de s’avancer d’un pas rapide vers
les ascenseurs.
Scott était forcément au bureau, mais elle fut néanmoins soulagée de
constater au passage que la Mercedes n’était pas là.
Deux minutes plus tard, la cabine l’emmenait vers l’appartement acheté
par Scott une semaine avant leur mariage.
Il ne s’agissait pas de celui du dernier étage avec terrasse, mais, situé juste
au-dessous, il était aussi spacieux et bénéficiait de balcons offrant un
panorama à couper le souffle. La baie vitrée du salon formait un encadrement
parfait pour la vue sur le Harbour Bridge, avec l’Opéra un peu plus loin. De
nuit, le spectacle était féerique depuis leur chambre, orientée du même côté.
Il y avait encore deux chambres, chacune équipée d’une salle de bains ;
deux grands salons, une pièce consacrée au home cinéma, une autre aménagée
en bureau, un cabinet de toilette supplémentaire, une salle de musculation et
une cuisine assez spacieuse pour accueillir le personnel que Sarah faisait venir
quand ils organisaient un dîner. C’est-à-dire une fois par mois en moyenne.
Immobile au milieu du grand hall pavé de marbre, Sarah se rappela son
émerveillement en découvrant l’appartement. Elle n’avait pas grandi dans la
pauvreté, loin de là, mais elle avait été impressionnée par la taille des pièces,
le mobilier luxueux, la décoration raffinée, les équipements de pointe. Tout
était parfait, et à son goût.
Chassant les souvenirs qui se bousculaient dans son esprit, elle s’avança
sur l’épais tapis. Et, quand elle pénétra dans ce qui avait été sa pièce préférée,
elle se força à ne pas regarder le lit immense — et à refouler les images
torrides qui défilaient dans sa tête.
N’y pense plus ! Prends tes affaires et va-t’en !
Sarah se précipita dans son dressing, tira les deux grandes valises achetées
avant de partir à Hawaï, pour leur voyage de noces. Elle avait été si heureuse,
à ce moment-là. Quant à Scott, il avait semblé partager son bonheur.
Peut-être s’était-elle leurrée. Il s’était peut-être toujours ennuyé au lit avec
elle et les rumeurs courant sur lui et Cleo étaient peut-être fondées, après tout.
Non. Elle continuait à refuser d’y croire. De toutes ses forces.
Et pourtant, elle avait douté de Scott. Comment aurait-elle réagi si elle
avait appris que Scott entretenait bien une liaison avec Cleo ? Qu’aurait-elle
fait ? L’aurait-elle affronté ? L’aurait-elle quitté ?
Était-elle en train de le quitter ? Là, maintenant ?
Sans doute n’aurait-elle jamais à réfléchir si elle était capable de lui
pardonner. Parce que, de toute évidence, Scott, lui, la croyait infidèle. Et il
allait demander le divorce. Pour lui, tout était noir ou blanc. Ce qui constituait
à la fois sa force et sa faiblesse. Sarah avait toujours admiré son caractère
entier, son honnêteté et son intégrité. Mais il n’y avait pas de place pour les
nuances dans sa façon de penser. Il ne pardonnait pas facilement — surtout
quand il se croyait trahi. Or il était convaincu que sa femme l’avait trompé.
Repoussant la tristesse mêlée de désespoir qui l’envahissait, Sarah
commença à décrocher ses tailleurs des cintres lorsqu’elle aperçut son reflet
dans le miroir recouvrant le mur du fond du dressing. Mon Dieu, elle avait
une mine à faire peur ! Ses cheveux étaient dans un état épouvantable, elle
avait le teint blafard, des cernes mauves sous les yeux…
Raison de plus pour emporter tous ses précieux produits de beauté,
songea-t-elle en déposant à la hâte jupes et vestes dans l’une des énormes
valises.
En réalité, elle avait tout le temps de faire ses bagages et de s’en aller
avant le retour de Scott, mais elle continua néanmoins de se dépêcher, pressée
de quitter l’appartement.
3.
Lorsque, se dirigeant vers sa place de parking, Scott vit la petite voiture
rouge garée à l’emplacement habituel, il sentit sa colère monter d’un cran.
Non seulement il n’avait pas trouvé Sarah chez Cory, mais encore elle se
portait à merveille et, le croyant au bureau, elle était revenue en douce à
l’appartement.
Pour prendre ses affaires, bien sûr.
Sa fureur ne fit que croître tandis que l’ascenseur le conduisait à l’avant-
dernier étage. Et quand il constata qu’en apparence, rien n’avait changé, une
pensée atroce le traversa. Elle lui avait peut-être rapporté la voiture — qu’il
lui avait offerte à Noël —, avant de repartir en taxi, pour Dieu sait quelle
destination.
Cette éventualité paralysa Scott. Qu’elle puisse le quitter pour de bon,
sans qu’il puisse jamais découvrir la vérité, lui parut insupportable.
Au même instant, il entendit de l’eau couler quelque part dans
l’appartement. Après avoir traversé le hall à grands pas, il entra en trombe
dans leur chambre.
La porte de la salle de bains était fermée. Sarah prenait
vraisemblablement une douche.
Un soulagement immense l’envahit. Accompagné d’autres émotions plus
confuses. Il n’espérait tout de même pas qu’elle était revenue dans l’espoir de
se réconcilier avec lui ? Elle ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il lui
pardonne ?
Apercevant la porte du dressing ouverte, il s’avança et vit les deux valises
à moitié remplies posées sur le sol. De toute évidence, elle n’était pas en
quête de réconciliation ou de pardon, comprit Scott en serrant les poings.
Très bien. Parfait. Il ne désirait qu’une chose : obtenir des explications.
Durant tout le week-end, il avait été taraudé par la pensée que, depuis un
certain temps, il avait négligé Sarah, qu’il l’avait laissée trop souvent seule.
Ce qui s’était passé vendredi dernier lui avait au moins servi à comprendre
cela. Ce soir-là, elle avait été une autre femme, dans ses bras. Sauvage.
Passionnée. Audacieuse.
Scott réprima une plainte en réalisant soudain qu’elle ne pensait peut-être
pas à lui quand elle criait de plaisir. Qu’elle songeait peut-être à celui avec qui
elle s’était rendue au Regency. À l’amant qu’elle allait sans doute retrouver
chaque fois que lui-même s’absentait pour ses affaires.
Lorsque le silence se fit tout à coup dans la salle de bains, il ne prit pas le
temps de réfléchir. Il se débarrassa de sa veste et de sa cravate, déboutonna sa
chemise à l’encolure en envoyant valser ses chaussures avant de s’allonger
sur le lit.
Puis, le ventre noué mais les idées claires et la tête froide, il attendit.
Après s’être séchée rapidement, Sarah s’enveloppa les cheveux dans une
serviette, puis saisit le long peignoir de soie rose suspendu à la porte de la
salle de bains. Pas question de partir sans celui-ci. L’enfilant à la hâte, elle
noua la ceinture avant d’ôter la serviette et de brancher le séchoir à cheveux.
Quelques instants plus tard, elle passa les doigts dans ses boucles
soyeuses avec satisfaction, se détourna du haut miroir et ouvrit la porte.
La vue de Scott étendu sur le lit lui causa un tel choc qu’elle retint un cri.
Il avait beau avoir pris une pose nonchalante — les mains nouées sous la
nuque et les jambes croisées aux chevilles —, il n’y avait rien de détendu
dans son regard glacial.
— Tu n’as pas l’intention de rester, si je comprends bien, dit-il d’une voix
aussi froide que ses yeux.
La bouche sèche, le cœur lui martelant les côtes, Sarah le fixa en silence,
clouée sur place. Jusque-là, elle n’avait jamais eu peur de Scott. Mais,
soudain, elle fut envahie par une crainte incontrôlable.
— Non, parvint-elle enfin à murmurer. Je… je suis venue chercher mes
affaires.
Décroisant les chevilles, Scott se redressa sur son séant avant de se lever
d’un mouvement vif.
— Inutile de prendre cet air paniqué, Sarah. Tu as adoré tout ce que je t’ai
fait, vendredi soir. Alors, en plus d’être infidèle, ne sois pas hypocrite, s’il te
plaît.
Sarah leva la main pour le gifler, mais il lui saisit brutalement le poignet.
— Allons, Sarah. Conduisons-nous en adultes, tu veux bien ?
Durant un long moment, elle crut qu’il allait l’attirer contre lui. Elle le
pressentit à la façon dont le regard gris étincela tandis qu’elle sentait les
battements de son cœur s’accélérer encore. Quand Scott lui lâcha le poignet,
elle n’aurait su dire si elle en était soulagée ou déçue.
Un sourire moqueur se dessina sur la bouche de son mari.
— Habille-toi ! Ensuite, nous ferions mieux d’aller dans un endroit
moins… dangereux. J’ai du mal à me concentrer quand tu es quasiment nue
devant moi. Et je ne pense qu’à une seule chose : que j’ai envie de toi, en
dépit de tout ce qui s’est passé.
Sarah le dévisagea, interdite. Il la désirait ? Alors qu’il la haïssait ?
De son côté, elle brûlait de se rapprocher de lui, de se hausser sur la
pointe des pieds pour embrasser cette belle bouche au pli moqueur et cruel.
Comme s’il lisait dans ses pensées, il plissa les yeux et lui posa les mains
sur les épaules, l’attira vers lui et pencha la tête.
Elle aurait pu le repousser. Opter pour l’hypocrisie, en effet. Mais elle
n’en fit rien. Lorsque les lèvres fermes se refermèrent sur les siennes, Sarah
ferma les yeux et s’abandonna contre le corps musclé et chaud de son mari.
C’était fou. Absurde. Il pensait toujours qu’elle l’avait trompé. Mais, à
présent, elle s’en fichait complètement. Une seule chose lui importait : le
désir qui la consumait. Là, maintenant. Encore plus puissant que celui qui
l’avait dévorée trois jours plus tôt.
Se pressant contre lui, Sarah répondit à son baiser avec passion, presque
sauvagement. En même temps qu’elle lui répétait qu’elle lui appartenait
encore, envers et contre tout.
Quand il écarta ses lèvres des siennes, elle gémit, frustrée.
— Bon sang, Sarah… dit-il d’une voix rauque.
Puis il reprit sa bouche, annihilant toute pensée rationnelle de son esprit,
toute réserve. La passion qu’il mettait dans ce baiser exacerbait celle de Sarah
tandis que, sans quitter sa bouche, il dénouait la ceinture du peignoir et
laissait bientôt celui-ci glisser sur le tapis.
Éperdue, elle brûlait de revivre les sensations que Scott lui avait fait
découvrir et dont elle n’aurait jamais soupçonné l’existence. Elle redevenait la
créature audacieuse née ce soir-là. Avide de volupté, d’érotisme…
Lentement, il lui repoussa une boucle du front, puis rassembla ses longs
cheveux sur sa nuque en lui renversant la tête en arrière. Le fait de se sentir
prisonnière fit encore monter le désir. Sarah le sentait palpiter, réclamer, dans
les moindres cellules de son corps.
— Ne va pas t’imaginer que je te pardonne, dit alors Scott d’une voix
dure.
— Je n’ai rien fait qui nécessite ton pardon.
Il se contenta de rire, avant de l’embrasser de nouveau en même temps
que sa main libre errait fiévreusement sur le corps de Sarah. Quand il la
souleva dans ses bras et la laissa tomber sur le lit, elle ne songea même pas à
protester. Fascinée, frissonnante de désir, elle le regarda se déshabiller à la
hâte.
Puis il fut sur elle, en elle, lui arrachant des plaintes rauques. Le serrant
farouchement contre elle, Sarah enroula les jambes autour de ses reins et, en
proie à une ivresse insensée, elle se mit à onduler avec lui, murmurant son
prénom en s’abandonnant peu à peu à la jouissance. L’orgasme la prit par
surprise, elle cria tandis que les vagues de volupté se succédaient, intenses,
fabuleuses.
Mais lorsque le plaisir commença à s’estomper, que la lucidité reprit
possession de son esprit, Sarah se sentit affreusement humiliée.
Comment avait-elle pu le laisser faire ? Se laisser faire ? Encourager
Scott, alors qu’il la croyait coupable d’infidélité ? Comment, le sachant, avait-
elle pu savourer ces instants ? S’abandonner complètement ?
De son côté, il devait maintenant la prendre pour la créature la plus vile,
la plus méprisable…
Une lueur confuse traversa les yeux gris de Scott. Il se retira brutalement,
quitta le lit sans la regarder et renfila son pantalon.
Puis il se pencha pour ramasser le peignoir rose avant de le jeter sur Sarah
d’un air dégoûté.
— Je vais préparer du café, dit-il en se détournant. Viens me rejoindre
dans la cuisine quand tu seras en tenue décente. Nous devons parler.
Sarah ferma les yeux et serra son peignoir sur son buste. Elle regrettait
déjà. Tout. Qu’est-ce qu’il lui avait pris ? Elle n’arrivait pas à se comprendre.
Ce n’était pas par amour qu’elle s’était jetée dans les bras de Scott. Il s’était
agi d’une pulsion instinctive, primaire.
Leur brève étreinte n’avait sans doute consisté qu’à assouvir un simple
besoin animal aussi vieux que le monde. Cela expliquait cet abandon total,
cette faim insatiable, songea Sarah en renfilant son peignoir. Mais, quelle que
soit la cause de son propre comportement, elle se sentait affreusement
vulnérable et mal à l’aise.
L’esprit en proie à un véritable chaos, elle se dirigea vers la cuisine avec
réticence et s’arrêta sur le seuil en retenant son souffle. Il était si beau… Ses
muscles jouaient sous la peau hâlée de son dos nu, de ses bras, tandis qu’il
s’affairait devant le plan de travail. Au début, elle avait été intimidée par la
force virile de Scott, par sa haute taille et son imposante carrure. Mais, quand
elle avait découvert la tendresse et la douceur dont il était capable, elle avait
adoré l’impression de sécurité qu’elle ressentait avec lui, dans ses bras.
Désormais, c’en était terminé de la sécurité. Il suffisait à Sarah de le
regarder pour être possédée par une sorte de courant incontrôlable. Une
excitation dangereuse.
Oui, Scott était dangereusement excitant.
Sa pauvre mère avait-elle éprouvé la même chose envers son mari
infidèle ? Le désir pouvait transformer, affaiblir une femme. Plus que l’amour,
d’une certaine façon. Cette prise de conscience horrifia tant Sarah qu’elle se
jura de lutter de toutes ses forces contre la folie qui s’était emparée d’elle.
— Pourquoi n’es-tu pas au bureau ? demanda-t-elle en ignorant le frisson
stupide qui la parcourait.
Les épaules raides, elle s’assit sur l’un des hauts tabourets posés de part et
d’autre de la table de bar design où ils prenaient le petit déjeuner.
Scott se retourna avec deux tasses de café fumantes, en mit une devant
Sarah et s’installa en face d’elle en gardant l’autre à la main.
— Je n’arrivais pas à travailler, alors je suis parti, bien décidé à te
retrouver. J’ai commencé par aller tout droit chez Cory, évidemment, mais,
comme tu n’y étais pas, je suis venu ici pour réfléchir au calme.
— Tu aurais pu m’appeler.
— Parce que tu crois que je n’ai pas essayé ? s’exclama-t-il en levant les
yeux au ciel. Ton portable est resté éteint tout le week-end et, ce matin, la
ligne était occupée.
— Je parlais probablement avec Cory.
— Ou avec Philip Leighton.
Sidérée, elle le regarda en écarquillant les yeux.
— Ne fais pas l’innocente. Je sais que c’est lui, l’homme des photos.
Toute confusion disparut d’un coup de l’esprit de Sarah.
— Tu as fait faire une enquête, c’est cela ? demanda-t-elle, choquée.
— À quoi t’attendais-tu, bon sang ? Étant donné que tu ne m’as donné
aucune explication, je…
— Je t’aurais tout expliqué si tu m’avais montré ces photos en arrivant à
la maison, coupa-t-elle. Mais tu n’as pas pu résister au désir de te venger,
n’est-ce pas ?
— J’avais l’intention de te les montrer, en effet, mais j’ai peut-être été…
distrait par la chaleur de ton accueil, répliqua-t-il, les yeux brillants de rage
contenue. Et par tes mensonges.
— Mes mensonges ? Quels mensonges ? demanda-t-elle, déroutée.
— Tu m’as dit que ce jour-là, tu étais allée faire du shopping à l’heure du
déjeuner et que tu m’avais acheté un cadeau d’anniversaire de mariage,
répondit-il d’un ton brutal. Or je sais maintenant de façon certaine que tu te
trouvais en fait dans un box du bar du Regency, avant de monter dans une
chambre de ce même hôtel, avec Philip Leighton.
Sarah serra les poings, folle de rage.
— Je t’ai en effet acheté un cadeau. Dans une boutique aperçue sur le
chemin de l’hôtel… où je n’ai rien fait dont je doive avoir honte ! Si tu ne me
crois pas, je peux te le montrer, ce cadeau.
— C’est un peu tard, non ? Parce qu’au lieu de fêter notre anniversaire de
mariage, il me semble que nous nous dirigeons plutôt vers le divorce. Dieu
merci, nous avions décidé d’attendre un ou deux ans avant d’avoir des
enfants ! Et tu prends la pilule, heureusement !
La pilule. Sarah eut l’impression que la terre s’arrêtait de tourner. Quand
l’avait-elle prise pour la dernière fois ? La semaine dernière ? Le mois
dernier ? Elle se sentit blêmir en entrevoyant les possibles conséquences de
son manque de vigilance.
— Qu’y a-t-il ? demanda sèchement Scott. Tu ne te sens pas bien ?
4.
Sarah s’était déjà évanouie, et elle se rappelait très bien les sensations
éprouvées juste avant. La moiteur glacée, l’impression que tout vacillait
autour d’elle. Cette fois-ci, reconnaissant les symptômes à temps, elle se
laissa glisser du tabouret et s’assit sur le sol carrelé, la tête penchée entre les
genoux.
— Que se passe-t-il ?
La voix inquiète de son mari lui parvint à travers une sorte de brouillard.
— Tu es malade ? poursuivit-il en s’agenouillant à côté d’elle. Tu veux
que j’appelle un médecin ? Le SAMU ?
— Non, réussit-elle à murmurer.
Quand avait-elle mangé pour la dernière fois ? Elle n’avait pas pris de
petit déjeuner, en tout cas. Ni avalé quoi que ce soit à midi, Cory étant parti
travailler avant qu’elle ne soit levée. La veille au soir, il l’avait forcée à
manger et à boire un peu. Mais quand il n’était pas là, Sarah ne songeait
même pas à s’alimenter.
— Ça ira mieux dans une minute, ajouta-t-elle avec effort. Je me sens un
peu faible, c’est tout. Si tu veux faire quelque chose pour moi, tu peux me
préparer quelques tranches de pain grillé. Avec beaucoup de miel, s’il te plaît.
— Du pain grillé, répéta-t-il d’une voix blanche.
Il se redressa néanmoins et disparut bientôt de son champ de vision.
Quelques instants plus tard, se sentant mieux, elle se releva, mais ses jambes
tremblaient encore. Après s’être hissée prudemment sur le haut tabouret, elle
saisit sa tasse de café d’une main tremblante.
Par ailleurs, elle continuait de frémir intérieurement, parce que, si
l’éventualité qu’elle avait envisagée tout à l’heure se transformait en réalité…
Un bébé pouvait-il vraiment avoir été conçu au cours de leurs ébats
torrides du vendredi soir ? Son ventre se noua à cette pensée. Un enfant devait
être le fruit de l’amour, pas le produit d’un acte provoqué par un violent accès
de fureur et de jalousie. Mais elle aurait pu aussi tomber enceinte lors de cette
nouvelle étreinte sauvage, ce qui n’aurait pas été beaucoup mieux.
— Comment te sens-tu ? demanda Scott en déposant devant elle une
tranche de pain grillé beurrée et recouverte d’une épaisse couche de miel.
— Mieux, merci.
Évitant son regard scrutateur, elle mordit dans la tartine, puis prit une
gorgée de café.
— Il est temps de me raconter ce qui s’est passé réellement dans cet hôtel
vendredi dernier, Sarah, reprit-il après un moment. Et je te préviens : je veux
la vérité.
Sarah reposa sa tasse sur le bar d’un blanc immaculé, prit une profonde
inspiration et leva les yeux.
— La vérité, répéta-t-elle avec un calme qu’elle était loin d’éprouver.
Car elle doutait fort qu’il la croie. Il penserait sans doute qu’elle inventait
tout. Dans ce cas, elle lui dirait d’aller interroger Phil. Celui-ci confirmerait sa
version des faits.
— Je suis allée là-bas avec Phil… Philip Leighton, pour rencontrer un
enquêteur privé qui avait des informations à me communiquer. Des
informations te concernant.
— Pardon ?
— Oui, tu as bien entendu. Ce matin-là, Phil est venu me voir et m’a
annoncé qu’il savait de source sûre que tu entretenais une liaison avec Cleo.
— Quoi ? C’est absolument ridicule, et tu le sais !
— Cleo est une femme très séduisante, insista Sarah. Et elle est seule,
depuis qu’elle a perdu son mari.
Les pommettes de Scott se colorèrent.
— Je n’entretiens pas de liaison avec Cleo. Et je t’informe qu’elle est
toujours très amoureuse de son défunt mari. Elle n’est pas du tout prête à
s’intéresser à un autre homme. Et encore moins à prendre un amant.
— Comment le sais-tu ?
Il la dévisagea, l’air estomaqué.
— Parce que… Je le sais, c’est tout !
— Tu le sais parce que tu discutes avec elle, fit remarquer Sarah avec une
pointe d’amertume. Bien plus qu’avec moi.
— Pour l’amour du ciel, nous parlons uniquement de travail, elle et moi,
jamais de sujets personnels ! N’oublie pas que nous passons beaucoup de
temps ensemble.
— Inutile de me le rappeler, répliqua-t-elle d’un ton ironique. J’en suis
parfaitement consciente.
— Bon, tu veux bien revenir en arrière, s’il te plaît ? Et m’expliquer ces
photos ?
— J’y arrive. J’étais censée rencontrer cet enquêteur au bar de l’hôtel,
mais il ne s’est pas montré. Alors que nous l’attendions, Phil a reçu un appel
de lui. Il a annoncé qu’il ne pouvait pas venir nous rejoindre parce qu’il
surveillait quelqu’un depuis le balcon de sa chambre. Et que, comme il ne
savait pas dans combien de temps il pourrait descendre au bar, il valait mieux
que nous montions le retrouver.
Scott lui adressa un regard sceptique.
— Cela n’a pas de sens, Sarah. Pourquoi ne pouvait-il pas te parler au
téléphone, tout simplement ?
— Parce qu’il se méfiait des téléphones portables et préférait me parler
directement, m’a expliqué Phil. Surtout quand la personne à surveiller était
une célébrité et qu’il s’agissait d’adultère.
— Ah, parce que je suis une célébrité, maintenant, et coupable d’adultère,
en plus ! s’exclama Scott avec incrédulité.
— Je sais que tu n’as pas commis d’adultère, répliqua Sarah en
rougissant. L’enquêteur m’a dit qu’il n’avait trouvé aucune preuve de
l’existence d’une liaison entre toi et Cleo ; qu’il t’avait surveillé pendant des
semaines et que…
— Il m’a surveillé pendant des semaines ? Qu’est-ce que c’est que cette
histoire ? Qui a embauché ce type ? Oh ! je vois. C’est Leighton, n’est-ce
pas ?
— Oui. Scott, je sais que cela doit te paraître bizarre, mais c’est lui qui en
a eu l’idée, en effet. Phil s’occupe principalement de divorces et, quand il a
appris ces rumeurs courant sur ton compte, il s’est inquiété pour moi. Et il a
demandé à son enquêteur habituel de prendre l’affaire en main sans m’en
parler.
— Histoire de te proposer ses services plus tard, c’est cela ? À moins
qu’il n’ait agi par intérêt personnel ?
— Je ne comprends pas de quoi tu parles.
— Tu ne t’es pas demandé qui pouvait bien avoir envoyé ces photos,
Sarah ? Même si ce que tu racontes est vrai, c’était forcément un coup monté.
Quelqu’un t’a attirée dans cet hôtel, puis s’est arrangé pour te faire monter
dans une chambre. Dis-moi, il était bien là, cet enquêteur ? Tu l’as vu ?
Sarah fronça les sourcils.
— Oui… Enfin, pas tout de suite. Il avait laissé un mot expliquant qu’il
devait sortir pour prendre en filature la personne qu’il surveillait. Il n’est
revenu qu’une demi-heure plus tard.
— De façon à laisser croire que tu avais le temps de coucher avec
Leighton avant de quitter l’hôtel.
— Dans ce cas, cela voudrait dire que…
— Que c’est Leighton qui a tout organisé, conclut Scott à sa place.
— Mais pourquoi ?
— À ton avis ? Il est probablement amoureux de toi.
— C’est ridicule ! protesta Sarah avec force.
Phil l’avait bien invitée à dîner quand elle travaillait aux Affaires
familiales, mais seulement une fois. Sarah appréciait sa compagnie, mais il
n’y avait rien entre eux. Pas la moindre attirance. De sa part à elle, en tout
cas. Ensuite, elle avait rencontré Scott, l’avait épousé, et Phil était devenu son
ami. Un très bon ami, même. Auquel elle se confiait volontiers. Mais sans
qu’il tente jamais quoi que ce soit de déplacé vis-à-vis d’elle.
— Tu te trompes, dit-elle fermement. Il doit s’agir de quelqu’un d’autre.
Une femme amoureuse de Phil, sans doute, qui nous aura suivis parce qu’elle
était jalouse.
— Et qui se serait fait passer pour un homme afin de détourner les
soupçons ? Et qui, comme par hasard, connaissait mon numéro de téléphone ?
— Ce ne doit pas être très difficile de trouver ton numéro professionnel.
— Il y a une autre explication.
— Laquelle ?
— Que tu entretiennes effectivement une liaison avec ce Leighton.
Le fait que Scott puisse l’accuser d’infidélité lui coupa le souffle. Sarah
eut l’impression d’avoir reçu un coup de poing en pleine poitrine. Choquée,
blessée, elle ferma les yeux en secouant la tête.
— Rien de tel qu’une aventure pour épicer la vie d’une épouse qui
s’ennuie, poursuivit-il sans pitié. Et tu ne peux pas nier que tu étais différente,
vendredi dernier. Tout à l’heure aussi. La femme que j’ai rencontrée puis
épousée ne se serait jamais comportée ainsi.
— Si tu penses sincèrement ce que tu viens de dire, riposta-t-elle d’un ton
brusque en rouvrant les yeux, eh bien, je suis désolée pour toi !
— Comment expliques-tu la chose, alors ?
— Tu veux la vérité ?
— Je ne demande que cela.
— Quand Phil m’a dit que tu entretenais une liaison avec ton assistante,
j’ai refusé de le croire, mais j’ai complètement paniqué. Et ce jour-là, quand
je ne savais pas encore si l’enquêteur avait trouvé des preuves de l’existence
de cette supposée liaison, j’ai commencé à penser que je ne te satisfaisais plus
au lit. Que tu m’avais peut-être épousée parce que j’étais vierge. Et que
maintenant que la nouveauté avait perdu de son charme, tu étais allé voir
ailleurs.
Il ouvrit la bouche pour l’interrompre, mais Sarah ne lui en laissa pas le
temps.
— J’ai été tellement soulagée quand j’ai appris qu’il n’y avait rien entre
toi et Cleo que je me suis mise à pleurer.
— Sarah…
— Alors que toi, quand tu as cru que j’avais un amant, tu es rentré à la
maison et tu as profité de moi sans scrupules !
— Je regrette de m’être comporté ainsi, répliqua-t-il, l’air sincère.
— Vraiment ? On ne le dirait pas ! Tu penses toujours que je t’ai trompé
et regarde ce que nous avons fait tout à l’heure ! C’est de la folie pure.
Sarah s’interrompit, le souffle court. Elle avait besoin d’espace, de
solitude. Loin de Scott. Pour se ressaisir et réfléchir à l’avenir.
— Je vais m’en aller, Scott, et j’aimerais que tu ne me retiennes pas.
Il se raidit et la fixa en plissant les yeux.
— Tu envisages de partir pour de bon ? De me quitter ?
— Je ne sais pas encore. Il va falloir attendre, prendre le temps de
réfléchir.
— Qu’est-ce que tu entends par là, exactement ?
— Que j’ai besoin de temps et d’espace sans toi, Scott. Et de calme, pour
savoir où j’en suis.
— Je ne veux pas que tu t’en ailles, dit-il d’une voix rauque. Écoute,
Sarah, je suis désolé, pour vendredi. Et je m’excuse d’avoir perdu confiance
en toi. Je me suis conduit comme un imbécile, je le reconnais. Mais
maintenant que nous avons éclairci cette histoire, tu n’as plus besoin de partir.
Nous nous aimons encore, non ?
Sarah eut du mal à résister à la tentation d’accepter ses excuses et de
rester.
— Nous ne nous connaissons pas vraiment, Scott. Je m’en rends compte
maintenant. Nous nous sommes mariés trop vite. Entre nous, il n’y a que du
désir physique. Et cela ne me suffit pas. Je veux que mon mari m’aime
totalement, qu’il ait une confiance absolue en moi.
— Tu en demandes trop.
— Peut-être. Mais je ne me contenterai pas de moins.
Sa mère l’avait fait, et où cela l’avait-il menée ? À la mort, à quarante-
cinq ans.
— Tu n’as pas eu non plus une confiance absolue en moi, fit-il remarquer
d’une voix dure. Au fond de toi, tu as cru que j’entretenais une liaison avec
Cleo, ne le nie pas.
— C’est vrai. Ce qui signifie que je ne vaux pas mieux que toi. Dans ces
conditions, comment veux-tu que notre mariage fonctionne ?
Ou que nous soyons de bons parents, ajouta Sarah en son for intérieur. Il
n’y avait peut-être pas de bébé en route, mais à présent elle n’était plus sûre
de rien.
Le cœur lourd, elle se leva.
— Je vais terminer de faire mes bagages, Scott. Et ensuite, je partirai.
N’essaie pas de m’en empêcher, s’il te plaît.
— N’aie pas peur, je n’en ferai rien ! riposta-t-il avec une ironie
mordante. Puisque tu as décidé de t’en aller, je ne vois pas comment je
pourrais t’en empêcher. Les vœux que tu as prononcés n’ont aucune valeur à
tes yeux, apparemment.
Ses paroles l’atteignirent en plein cœur.
— Je crois que nous ferions mieux d’en rester là pour l’instant, dit-elle
d’un ton sec.
— Si tu continues à travailler dans le même cabinet juridique que cet
homme, je ne vois pas d’issue, Sarah.
— Tu ne voudrais quand même pas que je donne ma démission ?
s’exclama-t-elle, sidérée.
— Si tu souhaitais que je te reprenne, tu le ferais. Dès demain.
Cette fois, elle éclata de rire, médusée par son arrogance mâle.
— Me reprendre ? Non mais, tu t’entends parler, Scott ? C’est à moi de
décider si je veux te reprendre. Et pour l’instant je n’en ai pas la moindre
envie !
Sarah avait beau avoir le cœur en miettes, elle redressa le menton et le
défia du regard.
— Je serai chez Cory, dit-elle, la voix tremblant à peine. Et je t’appellerai
quand j’aurai pris une décision.
* * *
Lorsqu’elle quitta l’appartement un peu plus tard, Scott la regarda partir
sans tenter de l’arrêter.
Une fois de plus, il s’était conduit comme un imbécile, se reprocha-t-il en
se laissant tomber dans un fauteuil. Comme un rustre. Et il lui avait parlé avec
une arrogance sans nom. Il connaissait Sarah, pourtant ! Elle n’était pas du
genre à répondre à ce genre de provocation stupide !
Gagné par un horrible sentiment d’abandon, il se pencha en avant et se
prit la tête entre les mains.
Il avait désiré qu’elle s’en aille et elle était partie. Alors pourquoi avait-il
soudain l’impression d’avoir commis l’erreur la plus colossale de sa vie ?
5.
Après avoir ressassé pendant une heure et demie et arpenté le salon
comme un lion en cage, Scott ne put plus supporter la pensée que Philip
Leighton allait profiter de la situation.
Comment Sarah pouvait-elle ne pas se rendre compte que c’était ce salaud
qui avait tout orchestré ? Qu’il lui avait tendu un piège ?
Elle avait refusé de donner sa démission, évidemment. Ce n’était pas son
genre de fuir ou de baisser les bras au premier obstacle.
En outre, Leighton n’était pas le seul problème. Il y avait aussi ce manque
de confiance réciproque auquel il fallait absolument remédier.
Scott jeta un coup d’œil à l’horloge murale : 16 h 20. Sortant son
téléphone de sa poche, il sélectionna le numéro du cabinet d’avocats.
— Goldstein & Evans, répondit l’hôtesse d’accueil. Que puis-je faire pour
vous ?
— Bonjour. J’aimerais voir M. Leighton. Aujourd’hui.
— Vous êtes l’un de ses clients ?
— Non. Nous ne nous sommes jamais rencontrés.
— M. Leighton est occupé toute la journée, mais je peux vous donner un
rendez-vous demain, si vous voulez ?
Scott sourit.
— Non, merci. Dites-lui que Scott McAllister désire le voir et que c’est
très urgent. Je suis sûr qu’il trouvera le temps de me recevoir.
— Je peux savoir pourquoi vous désirez le voir, monsieur McAllister ?
— Non. C’est personnel.
— Personnel…
— Oui. Prévenez-le que je passerai à 17 h 30, s’il vous plaît.
Sur ces mots, il raccrocha.
Après une douche rapide, Scott décida de mettre son tout nouveau
costume noir, une chemise blanche et une superbe cravate rouge vif. Depuis
son mariage, sa garde-robe avait été renouvelée, Sarah lui ayant fait
remarquer que pour être pris au sérieux par les politiques et les riches
investisseurs auxquels il avait affaire, il devait les impressionner au premier
coup d’œil et, pour cela, opter résolument pour l’élégance.
Il l’avait écoutée et ne le regrettait pas. En outre, il ne voulait pas se sentir
en position d’infériorité face à Leighton qui, d’après les photos, était grand,
bien bâti, et très élégant.
Pour terminer, il glissa la Rolex en or qu’il ne portait quasiment jamais,
offerte par son père vingt ans plus tôt, alors qu’il venait de découvrir sa
première mine d’or. Malheureusement, le gisement en question s’était vite
épuisé, comme c’était le cas la plupart du temps avec les découvertes de son
père.
Jetant un dernier coup d’œil à son reflet, Scott prit son portefeuille et ses
clés, puis quitta l’appartement. En allant voir Leighton, il courait un risque,
mais ç’aurait été encore plus risqué de rester les bras croisés. Sarah était
déstabilisée et son collègue ne manquerait pas de tenter de profiter de sa
vulnérabilité.
* * *
Quand il s’avança vers la secrétaire de Leighton, celle-ci leva les yeux et
le dévisagea de la tête aux pieds d’un air franchement curieux. Connaissait-
elle Sarah ? se demanda Scott. Savait-elle qu’il était son mari ?
— Monsieur McAllister, je suppose, dit-elle en se levant, le sourire aux
lèvres.
— Lui-même, acquiesça-t-il en lui rendant son sourire.
— M. Leighton vous attend.
Comme par hasard, il avait réussi à se libérer, songea Scott en suivant la
jeune femme.
À vrai dire, Philip Leighton était encore plus séduisant en chair et en os
que sur les photos. Beau, raffiné et très sûr de lui, il s’avança vers Scott en
souriant, la main tendue. Scott faillit couper court et aller droit au but, mais il
se ravisa. Autant affronter Leighton sur son propre terrain. Aussi prit-il la
main tendue en résistant au désir d’écraser les doigts fins entre les siens.
— Je suis enchanté de faire enfin votre connaissance, Scott, dit l’avocat
en lui serrant la main avec chaleur. Sarah m’a tellement parlé de vous !
— Ah ? Elle n’a jamais mentionné votre nom devant moi, répliqua-t-il en
dégageant prestement sa main.
Erreur, se dit-il en voyant Leighton hausser les sourcils, surpris par son
attitude.
— Je vois… Dois-je comprendre que vous venez me voir en tant
qu’avocat ?
— Non, pas du tout, répondit Scott en retenant un sourire.
Après avoir sorti son téléphone professionnel de sa poche, il lui montra la
première photo déjà affichée sur l’écran, puis fit défiler les autres.
— Je suis venu vous demander si vous aviez une explication concernant
ces photos qui m’ont été envoyées vendredi dernier dans l’après-midi.
Le front plissé, Leighton regarda les clichés avant de lever les yeux vers
Scott, l’air choqué.
— Sarah les a vues ? demanda-t-il.
— Bien sûr.
— Et qu’a-t-elle dit ?
Scott raconta la version de Sarah, en laissant croire à Leighton qu’il lui
avait montré les photos le vendredi soir, et non le samedi matin.
— Et vous l’avez crue ? répliqua l’avocat, l’air surpris.
— Évidemment. Sarah ne me ment jamais.
— Non, bien sûr. Eh bien, si c’est ce qu’elle vous a dit, vous…
— C’est vous qui m’avez envoyé ces photos, coupa Scott avec calme.
Cette fois, Leighton ne put dissimuler sa stupeur.
— Moi ? Et pourquoi aurais-je fait une chose pareille ?
— C’est évident. Parce que vous désirez ma femme et que vous êtes prêt
à tout pour la conquérir. Alors vous avez organisé cette petite mise en scène
dans le but de me faire croire qu’elle entretenait une liaison avec vous.
Il eut le culot de sourire, le salopard…
— À votre place, je ferais attention à ce que je dis en présence d’un
avocat. En droit, cela s’appelle de la diffamation.
— Pas de menaces, Leighton, répliqua Scott, toujours avec calme. Dans
quarante-huit heures, je saurai tout sur vous. Vous et vos sales petits secrets !
Brusquement, son interlocuteur perdit de son assurance. Et de sa beauté.
Ses joues rosirent, ses yeux s’assombrirent tandis qu’il battait des cils.
— Je… je n’ai commis aucun acte répréhensible, dit-il avant de se
ressaisir aussitôt.
Il s’éclaircit la voix, rajusta sa cravate.
— Vous n’êtes qu’un tyran, une brute, McAllister, reprit-il. Sarah se
porterait bien mieux sans vous. Vous croyez que je n’ai pas compris ce qui
s’était passé, après que vous avez reçu le message et les photos ? Vous n’avez
pas cru Sarah. Vous êtes rentré précipitamment et vous vous êtes rué sur elle.
C’est probablement pour cela qu’elle n’est pas venue travailler aujourd’hui.
Elle a sans doute un œil au beurre noir. Ou pire.
— Je ne frapperais jamais ma femme, dit Scott en réprimant sa fureur.
— Et comment savez-vous qu’il y avait un message avec les photos ?
reprit-il. Je l’ai supprimé avant de venir ici.
— Quel message ? répliqua Leighton d’un air innocent. Je ne sais pas de
quoi vous parlez. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser…
Son arrogance stupéfia Scott. Cette fois, c’en était trop.
— À moins que vous n’ayez autre chose à me dire, ajouta l’avocat.
— Oui : n’approchez plus ma femme.
— C’est à Sarah d’en décider, vous ne croyez pas ? répliqua l’autre avec
flegme. Vous ne comptez tout de même pas choisir ses amis à sa place ? Dans
ma profession, j’ai souvent l’occasion d’entendre parler de ce genre de
manœuvres, de la part de maris jaloux et pervers.
— Vous êtes un homme mort, Leighton.
Les mots avaient franchi les lèvres de Scott avant qu’il ne puisse les
retenir. Furieux contre lui-même, il tourna les talons et se dirigea vers la
porte, l’ouvrit d’un geste brutal et passa devant la secrétaire, qui bondit de sa
chaise en le dévisageant d’un air ébahi.
6.
— Je résume, dit Cory en débouchant la bouteille de vin blanc : Scott était
allongé sur le lit quand tu es sortie de la salle de bains et, ensuite, vous vous
êtes réconciliés sur l’oreiller. Tu lui as expliqué ce qu’il s’était réellement
passé à l’hôtel vendredi dernier et il a fini par te croire, c’est bien ça ?
— Il n’y a jamais eu de réconciliation, corrigea Sarah. C’était du sexe,
rien d’autre.
— OK, admit Cory en l’observant avec attention. Cela ne te ressemble
pas.
— Non, répliqua la jeune femme, de nouveau au bord des larmes. Je ne
sais pas ce que j’ai. Depuis vendredi soir, je ne pense qu’à cela… Au sexe.
— Ah… fit son ami en haussant les sourcils. Dans ce cas, où est le
problème ? Et pourquoi es-tu ici au lieu d’être chez vous, au lit avec ton
Brutus ?
— Tu ne comprends pas, Cory, soupira Sarah. J’ai épousé Scott parce que
j’étais amoureuse de lui et que je pensais que c’était réciproque. Mais,
maintenant, je me demande s’il m’a jamais aimée.
— N’importe quoi ! Il a toujours été fou de toi.
— Ce n’est pas ça, l’amour. S’il m’aimait vraiment et était sûr de mon
amour pour lui, il aurait eu confiance en moi. Et il m’aurait davantage
respectée. Or je n’ai senti ni amour ni respect, vendredi dernier.
— Oh ! arrête, Sarah ! Ce soir-là, il était fou de jalousie. Tu es avocate,
non ? Alors tu sais ce qu’est un accès de folie passagère ! Sois un peu
indulgente envers ce pauvre Scott.
— Parce que maintenant, c’est ce pauvre Scott, plus Brutus ? Je vois…
On se serre les coudes entre hommes…
Cory leva les yeux au ciel.
— J’essaie seulement de te montrer le côté positif de la situation. Et
mange avant que ce ne soit froid. Que penses-tu du vin ?
Sarah prit son verre avant de le reposer aussitôt sur la table en se
rappelant qu’elle était peut-être enceinte.
— Qu’y a-t-il ? demanda Cory. Il n’est pas bon ?
Soulevant son verre à son tour, il en but une gorgée.
— Ça va. Il est même excellent.
— Je… je ne peux pas boire d’alcool, dit-elle avec réticence.
Elle aurait préféré ne pas parler de ses craintes à Cory, mais il était trop
intelligent pour qu’elle puisse lui dissimuler quoi que ce soit bien longtemps.
— Pas tant que je ne saurai pas si je suis enceinte ou pas.
Cette fois, il la dévisagea d’un air franchement ahuri.
— Mais tu ne prends pas la pilule ?
— J’ai oublié dernièrement, avoua-t-elle en soupirant. Tu vois, je ne suis
plus moi-même !
Son ami la regarda en plissant un œil.
— Et tu n’as pas parlé de cet oubli à Scott, c’est cela ?
— Tu es fou ? s’exclama Sarah en écarquillant les yeux. Bien sûr que
non ! Et je n’ai pas l’intention de le faire.
— Mais pourquoi, Sarah ? Le fait d’avoir un enfant pourrait résoudre tous
vos problèmes.
— Tu vois encore une fois les choses d’un point de vue masculin, Cory.
Avoir un enfant n’a jamais résolu aucun problème. Cela ne fait au contraire
que compliquer les choses. Et puis, une femme n’est plus obligée de se marier
parce qu’elle est enceinte, de nos jours. Ni de rester mariée si elle l’est déjà.
— Tu envisages vraiment de demander le divorce ? insista Cory, l’air
perplexe.
Quant à Sarah, le simple mot de divorce lui donnait la nausée.
— Je n’ai pas dit cela. Mais j’ai besoin de prendre du recul et de réfléchir.
— Ce n’est peut-être pas une mauvaise idée, après tout, répliqua son ami
d’un air songeur. Et maintenant, mange. Tu as peut-être deux personnes à
nourrir, ne l’oublie pas !
L’esprit ailleurs, elle grignota ses nouilles sautées au poulet et au basilic
en silence.
Un bébé. Un vrai bébé… Sarah avait toujours désiré fonder une famille
avec Scott, mais pas dans un tel contexte.
Alors, pourquoi ne t’es-tu pas précipitée à la pharmacie pour acheter la
pilule du lendemain ? Et pourquoi es-tu revenue chez Cory en pleurant ?
Parce qu’il était trop tard, de toute façon. Elle était incapable de se
rappeler quand elle avait pris sa pilule pour la dernière fois. Quelle
inconséquence ! Quel gâchis !
— Tu sais que tu peux rester ici aussi longtemps que tu le voudras, dit
Cory quand ils eurent fini de dîner. Il y a du retard dans les travaux de
rénovation, alors rien ne se passera avant un bon moment.
Sarah posa les assiettes dans l’évier et revint vers lui.
— Merci, Cory, dit-elle en le prenant dans ses bras. Tu es un amour. Et le
meilleur des amis.
— Exact, dit-il avec un grand sourire.
Au même instant, la sonnette de la porte d’entrée égrena sa petite
mélodie.
— Si c’est Felix qui vient me supplier de lui pardonner, il peut aller se
faire voir ! dit-il, sans plus sourire du tout.
Sarah éclata de rire.
— Tu sais très bien que tu finis toujours par lui pardonner !
— Oui, parce que je suis Balance, soupira-t-il en se dirigeant vers
l’escalier. Si seulement j’étais Scorpion, comme toi… Je l’inviterais à boire
quelque chose, m’arrangerais pour verser dans son verre un peu de la ciguë
dissimulée dans ma bague et ensuite, adieu !
* * *
Scott entendit le rire de Sarah à travers la porte d’entrée. Elle n’avait pas
vraiment le cœur brisé par leur séparation, apparemment, songea-t-il avec
amertume. Alors que lui…
— Scott ! s’exclama Cory en ouvrant la porte.
Il tourna la tête vers l’escalier.
— Ce n’est pas Felix ! C’est Scott.
Plus de rire, cette fois. Juste le silence.
— Entre, reprit Cory. Nous venons de finir de dîner. Il nous reste un peu
de vin. Si tu…
— Je voudrais seulement parler à Sarah, l’interrompit Scott un peu
sèchement.
À vrai dire, il ne savait comment interpréter la note amusée colorant la
voix de Cory.
— Elle est en haut, dans la cuisine. Comme je suppose que vous désirez
être seuls, je vais aller faire un tour au pub, dit celui-ci en décrochant sa veste
suspendue près de la porte, avant de s’éclipser.
Puis il sortit de la maison avant de refermer la porte derrière lui.
Alors que Scott gravissait les marches, Sarah apparut en haut de l’escalier,
les bras croisés et l’air mécontent.
— Je t’avais demandé de ne pas chercher à me voir, dit-elle d’un ton vif.
Je t’avais dit que je t’appellerais quand je serais prête.
La colère lui allait bien, ne put-il s’empêcher de penser. Ses yeux bleus
étincelaient, elle avait les pommettes roses. Comme lorsqu’il l’avait prise
quelques heures plus tôt. Sa propre libido réagit aussitôt, à tel point que Scott
dut faire un effort surhumain pour ne pas bondir vers elle et l’enlacer avant de
l’entraîner vers le lit le plus proche. Ou lui faire l’amour là, à même le
plancher… Il imagina son corps mince et souple pressé contre lui, et cette
vision ne fit qu’exacerber son désir. Sarah finirait par capituler, il en était
certain. Mais après ?
Il devait lui faire entendre raison, pas la séduire.
Scott enfonça les mains dans ses poches, ignorant l’érection qui gonflait
l’étoffe de son pantalon.
— Je me suis dit que tu aimerais savoir comment s’était passée mon
entrevue avec Leighton, répliqua-t-il avec calme.
— Tu es allé le voir !
— À quoi t’attendais-tu, Sarah ? Tu pensais que je ne chercherais pas à
rencontrer l’homme qui a tenté de s’immiscer dans notre vie ? Dans le but de
briser notre mariage ?
— Qu’est-ce… qu’est-ce qu’il t’a dit ?
Scott serra la mâchoire à s’en faire mal.
— Je n’ai pas l’intention de continuer cette conversation dans un escalier.
Tu descends, ou je monte ?
— Je descends, répondit Sarah.
Avant de le regretter aussitôt. Ç’aurait été moins risqué de s’asseoir de
chaque côté de la table de la cuisine que de s’installer dans le grand salon à
l’atmosphère cosy. Mais il était trop tard pour se raviser : Scott arrivait déjà
au rez-de-chaussée.
Elle le suivit dans la grande pièce décorée avec goût — après avoir allumé
le plafonnier, plutôt que les lampes raffinées posées çà et là et diffusant un
éclairage tamisé. Pas question d’instaurer une ambiance intime. C’était déjà
bien assez troublant de voir Scott dans ce superbe costume noir qui lui allait à
merveille et qu’elle avait choisi elle-même. Ce jour-là, elle n’avait pas pensé
qu’il rendrait son mari encore plus… sexy.
Quand il s’assit au milieu du sofa de velours bordeaux, Sarah s’installa en
face, dans l’un des deux fauteuils crapaud restaurés par Cory. Puis elle serra
nerveusement les mains sur ses cuisses et déglutit.
— Alors, qu’est-ce que Phil a dit ?
— Il a confirmé ta version des faits, répondit Scott en la regardant dans
les yeux.
Elle ne put retenir un soupir de soulagement.
— Évidemment, puisque c’est la vérité. Et tu… tu lui as montré les
photos ?
— Oui.
— Il a dû être choqué.
— Pas tant que cela, répliqua Scott avec une pointe d’ironie. En plus, il a
fait allusion au message accompagnant les photos alors que je l’avais
supprimé et ne lui en avais pas parlé.
— Je ne comprends pas…
— Qu’est-ce que tu ne comprends pas, Sarah ? s’exclama-t-il, l’air
exaspéré. C’est gros comme le nez au milieu de la figure ! Leighton t’a tendu
un piège et a demandé à quelqu’un de prendre ces photos. Je te répète que
c’est lui qui me les a envoyées !
— J’ai vraiment du mal à le croire.
— C’est pourtant la vérité.
— Mais pourquoi aurait-il fait une chose pareille ?
— Leighton est un salaud, et un ambitieux. Il voudrait faire carrière dans
la politique et, pour cela, il lui faut une épouse. Une femme comme toi, Sarah.
Tu serais parfaite pour le rôle : tu en possèdes l’allure, l’élégance et
l’intelligence. Avec toi, il tirerait le gros lot.
— À t’entendre, Phil est le dernier des salauds. S’il a tout manigancé,
c’est une véritable ordure !
— Effectivement. Et il a obtenu ce qu’il désirait : tu m’as quitté.
— Si tu avais eu confiance en moi, son plan n’aurait pas fonctionné.
Scott poussa un profond soupir.
— Je sais. Mais reconnais que ces photos n’étaient franchement pas en ta
faveur. À ma place, n’importe quel homme aurait été inquiet.
— Oui, inquiet. Mais cela n’excuse pas ton comportement de vendredi
soir. Tu aurais dû me montrer ces photos dès ton arrivée.
— Tu veux vraiment reparler de ce qui s’est passé ce soir-là ? répliqua-t-il
avec un nouveau soupir. Je sais que j’ai eu tort et j’en suis désolé, Sarah. Je
me suis trompé, je le reconnais. Maintenant, tu n’as plus qu’à revenir à la
maison et nous allons nous en sortir. Nous nous aimons encore, Sarah. Tu le
sais. Repense à ce qui s’est passé tout à l’heure.
Comme si elle l’avait oublié ! Sarah n’avait qu’à regarder Scott pour se
souvenir de chaque instant de leur brûlante étreinte. Au plus profond de son
intimité, elle sentait encore les effets de l’orgasme éblouissant qui l’avait
submergée. Quant aux émotions qui se bousculaient en ce moment en elle…
Elle était tentée de céder, de renoncer à toute fierté, toute prudence, et
d’accepter de repartir avec Scott. De faire comme si rien ne s’était jamais
passé…
Mais c’était impossible. Parce qu’un mariage ne pouvait être fondé sur le
seul désir physique. Pour vivre ensemble en harmonie, il fallait de l’amour.
— Je ne peux pas, dit-elle. Je ne suis pas encore prête à rentrer à la
maison.
— Quand le seras-tu ? demanda-t-il doucement.
— Je ne sais pas. Peut-être jamais.
Une expression horrifiée passa sur les traits de Scott.
— Tu ne le penses pas ! s’exclama-t-il d’une voix rauque. Tu dois
m’accorder une seconde chance !
Sarah se durcit pour ne pas faiblir.
— Rien ne m’y oblige, Scott. Comme je te l’ai dit, j’ai besoin de temps
pour réfléchir, loin de toi.
— Très bien, soupira-t-il. Combien de temps te faut-il ?
— Deux semaines.
À ce moment-là, elle saurait si elle était enceinte ou pas.
— Deux semaines ? répéta-t-il, l’air atterré. C’est beaucoup trop long !
— Non, cela passera très vite, au contraire.
— Et tu vas retourner travailler ?
— Bien sûr. Dès demain.
Et elle irait voir Phil. Scott avait probablement raison, concernant les
photos, mais elle désirait néanmoins entendre la version de son collègue et
ami.
— Je suppose que c’est inutile d’insister pour que tu…
— Oui, c’est inutile, en effet, coupa Sarah. Je ne donnerai pas ma
démission, Scott.
— Comment peux-tu travailler avec un type qui t’a tendu un piège aussi
répugnant ?
— Je ne travaille pas avec Phil, fit-elle remarquer. Nous sommes dans le
même cabinet, c’est tout. Si je ne le souhaite pas, je ne suis pas forcée de le
voir.
— Mais tu vas te précipiter dans son bureau en arrivant demain matin,
n’est-ce pas ?
— Il me semble que j’ai autant le droit que toi de lui demander des
explications, répliqua-t-elle en se raidissant.
— OK. Je crois qu’il vaut mieux que je m’en aille, avant de faire ou de
dire quelque chose que je regretterais ensuite, dit Scott en bondissant. Tu as
dit deux semaines ? Très bien. Je t’accorde deux semaines. Mais pas plus,
Sarah. Passé ce délai, je tirerai un trait sur notre mariage.
Ses paroles glacèrent Sarah. Elle s’était imaginé qu’il serait toujours là
pour elle si elle avait besoin de lui.
— Je… je ne sais pas quoi dire, déclara-t-elle en se levant.
— Il n’y a rien à dire, Sarah. J’ai compris. Je peux concevoir que tu
désires me quitter… je me suis comporté comme un imbécile et une brute,
mais je me suis excusé. Ce que je ne comprends pas, c’est que tu continues à
fréquenter un salaud qui est la cause de ce… du différend qui nous sépare. Je
commence à croire que tu ne m’as jamais aimé du tout et que tu avais peut-
être l’intention de divorcer dès le départ, dans le but de demander une pension
qui te…
— Non, ce n’est pas vrai ! se récria-t-elle, scandalisée.
Surtout qu’elle n’avait pas besoin de son argent. Scott l’ignorait, mais sa
mère lui avait légué tous ses biens, ce qui lui avait permis entre autres de
voyager durant deux ans après le décès de celle-ci. C’était le petit secret de
Sarah, son filet de sécurité, au cas où leur mariage capoterait.
Et elle avait bien fait de ne pas en parler à Scott, manifestement.
— Je ne veux pas de ton argent ! poursuivit-elle d’un ton vif.
— Que veux-tu, alors ?
— Un mari qui m’aime et qui ait confiance en moi ! Mais nous tournons
en rond, Scott. Ce qui confirme que nous avons besoin de recul tous les deux.
Je te promets de t’appeler dans quinze jours. Et nous parlerons.
Il poussa un juron en secouant la tête.
— Je n’ai pas besoin de recul ! Je veux que tu reviennes à la maison, dans
notre lit et dans mes bras… point final !
Sarah détesta la façon dont son propre corps réagissait. Elle brûlait de se
jeter dans ses bras. Tout de suite. Mais ça aurait été une erreur. Scott y aurait
vu un signe de faiblesse et il aurait eu raison. Elle avait fait preuve de
faiblesse en lui accordant tout ce qu’il désirait. Elle l’avait laissé s’absenter
sans rien dire. Elle n’avait jamais insisté pour partir avec lui. Alors qu’elle lui
en voulait d’emmener Cleo — comme la semaine précédente, par exemple,
sur la Gold Coast. Au lieu de protester, elle avait joué les indifférentes.
Par conséquent, il était temps de réagir, de ne plus se comporter en épouse
docile et soumise.
— Je suis désolée, Scott, répliqua-t-elle en redressant le menton. Mais
c’est impossible. Maintenant, j’aimerais que tu t’en ailles, s’il te plaît.
Il la fixa d’un air incrédule, choqué. Mais la colère refit bientôt surface et,
après lui avoir décoché un regard noir, il pivota sur lui-même, sortit du salon
sans un regard en arrière et quitta la maison en faisant claquer la porte pour
bien marquer sa désapprobation.
À bout de forces, Sarah se laissa tomber sur le sofa. Que dirait Scott si
elle lui annonçait dans quinze jours qu’elle était enceinte ? Il serait encore
plus furieux d’apprendre qu’elle lui avait caché cette éventualité.
Mon Dieu, comme si la situation n’était pas déjà assez compliquée…
* * *
Lorsque Cory rentra un peu plus tard, elle se précipita à sa rencontre.
— Oh ! Cory, murmura-t-elle. Si tu savais…
Puis elle fondit encore une fois en larmes.
7.
Après plusieurs appels de phares, Scott fut forcé de réduire la vitesse.
Mais il continua de frapper le volant avec les paumes, plus furieux contre lui-
même que contre Sarah. Il avait complètement perdu son calme. Mais elle ne
se rendait vraiment pas compte, bon sang ! Comment pouvait-elle envisager
de continuer à côtoyer ce salopard ?
De son côté, il avait mal géré la situation. Les négociations n’avaient
jamais été son fort. Il détestait manipuler les gens, leur promettre des choses
qu’il savait impossibles. Dans le monde des affaires, on y était souvent
contraint, hélas ! Aussi Scott préférait-il de loin travailler sur le terrain. Là,
tout était clair : ou bien une mine valait la peine d’être exploitée, ou elle ne
valait rien.
À ses yeux, le mariage ressemblait assez à une mine. Il fonctionnait ou il
était voué à l’échec. Avant leur dispute, Sarah avait été une compagne
merveilleuse. Il n’aurait pu rêver mieux. Et il avait été stupide de l’accuser de
l’avoir épousé pour son argent. D’autant que, dès le départ, elle avait refusé
carte de crédit à débit illimité et pension mensuelle généreuse, arguant qu’elle
gagnait bien sa vie et préférait assumer ses dépenses personnelles.
Le feu passant au vert, Scott redémarra et roula moins vite. Que désirait
Sarah ? Pourquoi ses excuses ne lui suffisaient-elles pas ? Qu’attendait-elle de
lui ? S’il avait pensé que des fleurs et des diamants puissent faire l’affaire, il
se serait précipité dans les boutiques les plus chic de Sydney. Mais il était
certain qu’il ne s’agissait pas de désirs matériels. Quoi d’autre, alors ? Elle
voulait parler, sans doute. Les femmes adoraient cela. Mais comment aurait-il
pu communiquer avec Sarah alors qu’elle lui avait interdit de prendre contact
avec elle durant deux semaines ?
Deux fichues semaines interminables. Ils n’avaient jamais été séparés
aussi longtemps. Même pas une semaine. Quand il voyageait pour ses
affaires, Scott l’appelait en outre tous les soirs pour lui dire qu’il l’aimait et
qu’elle lui manquait.
Quinze jours. Il allait devenir cinglé !
* * *
Sarah pleura toute la nuit, si bien qu’au matin elle avait les yeux rouges et
gonflés, et une tête à faire peur. Impossible d’aller travailler dans cet état…
Aussi appela-t-elle de nouveau pour prévenir qu’elle était toujours malade.
Mais, cette fois, il lui faudrait un certificat médical.
Dans un sens, elle était contente de ne pas aller au bureau. Elle ne se
sentait pas encore prête à affronter Phil. Par ailleurs, elle en profiterait pour
demander au médecin si elle pouvait déjà effectuer un test de grossesse.
Cory lui ayant donné les coordonnées de sa généraliste, elle téléphona au
cabinet médical, mais ne put obtenir un rendez-vous qu’en fin d’après-midi.
Quand, à 17 h 15, elle se retrouva face à une femme d’un certain âge au
sourire bienveillant, toute appréhension quitta Sarah et elle expliqua sa
situation avec calme.
— Ne soyez pas choquée par ma question, madame McAllister, dit
ensuite la généraliste en fronçant les sourcils. Mais votre séparation est-elle
due à des violences conjugales ?
— Oh non ! Pas du tout !
— Excusez-moi, mais je devais vous poser la question. Au fil des années,
je me suis trouvée confrontée à un grand nombre de femmes subissant des
violences ou des abus de toutes sortes. Alors je dois toujours vérifier que ce
n’est pas le cas, vous comprenez.
— Oui, je comprends tout à fait. Mais de ce côté-là, tout va bien. C’est
seulement que… Nous ne… C’est difficile à expliquer.
— Ne vous en faites pas, je ne vous poserai pas de questions
embarrassantes, madame McAllister. En revanche, vous souhaiteriez peut-être
voir un conseiller conjugal ?
Scott n’accepterait jamais de parler de leur vie privée à quiconque.
— Non, je ne crois pas. Pas maintenant, en tout cas… Je dois d’abord
savoir si je suis enceinte ou pas. Quand croyez-vous que je le saurai de façon
certaine ?
— Il faudra patienter avant de faire le test. Le mieux est d’attendre le
premier jour de retard de règles et de vous procurer un test en pharmacie, ils
sont assez fiables. Inutile de revenir me voir. Vous n’habitez pas le quartier,
n’est-ce pas ?
— Non, en effet.
La généraliste écrivit quelque chose sur son ordonnancier, puis en détacha
le premier feuillet qu’elle tendit à Sarah.
— Prenez ces vitamines tous les matins, elles contiennent de l’acide
folique. Et ne buvez pas d’alcool. Vous fumez ?
— Non.
— Parfait. Avez-vous besoin d’un certificat médical pour aujourd’hui ?
— Oui, s’il vous plaît. Je n’ai quasiment pas dormi la nuit dernière et je
n’ai pas pu aller travailler ce matin.
— Vous avez l’air fatiguée, en effet. Et vous êtes stressée : votre tension
est élevée. Alors je préfère que vous restiez chez votre ami toute la semaine,
au calme. Je ne vous prescris pas de somnifères, mais je veux que vous vous
reposiez. Regardez la télévision, lisez…
Elle serait sans doute incapable de lire pour l’instant, mais la perspective
de regarder la télévision plaisait bien à Sarah.
— Merci infiniment, dit-elle à la généraliste qui remplissait déjà le
formulaire.
— Je vous en prie, répliqua celle-ci en souriant. Prenez bien soin de vous,
madame McAllister. Et tant que vous êtes dans le quartier, revenez me voir si
vous avez besoin de quoi que ce soit… N’hésitez pas.
* * *
— Elle est adorable, n’est-ce pas ? dit Cory en apprenant qu’elle avait vu
le Dr Jenkins.
— Oui, je l’ai trouvée vraiment très sympathique, acquiesça Sarah avec
chaleur. Alors, qu’allons-nous manger, ce soir ?
— Pizza ? Je n’ai pas envie de cuisiner.
— Moi non plus. Mais demain soir, je prépare à dîner. Promis !
À cet instant, son téléphone sonna dans son sac. Sarah le sortit avec
appréhension… À juste titre. C’était Scott. Elle contempla le prénom
s’affichant sur l’écran en crispant les doigts autour de l’appareil. Son cœur lui
enjoignait de répondre, mais son cerveau lui intimait de ne pas le faire. Scott
devait apprendre à respecter ses décisions.
Après avoir pris une inspiration profonde, Sarah éteignit son portable.
— Scott, je suppose ? demanda Cory.
— Oui.
— Quand vas-tu lui parler du bébé ?
— Quand je saurai s’il y en a bien un, Cory. Pas avant.
— Je ne te croyais pas aussi dure…
— Moi non plus ! avoua-t-elle.
— Pauvre Scott.
— Il n’est pas à plaindre ! protesta-t-elle en plissant les yeux. Et il n’est
pas pauvre non plus…
— Tu as raison. Mais quand même, je n’attendrais pas trop longtemps
avant de le lui dire, à ta place. Si tu es bien enceinte, évidemment. Scott n’est
pas du genre à apprécier qu’on lui cache des choses. Surtout ce genre de
choses…
Sarah tressaillit. Elle s’imagina en train d’annoncer à Scott qu’elle portait
un enfant. Son enfant. En dépit de son arrogance et de la colère qu’il
ressentait en ce moment contre elle, il ferait un père merveilleux. Mais
accepterait-il que ce bébé ait été conçu dans la période la plus sombre de leur
mariage ? En profiterait-il pour tirer un trait définitif sur leur union ?
Un frisson glacé la parcourut à cette pensée.
Inutile de t’inquiéter à l’avance, se dit-elle dans l’espoir de se rassurer.
Seul le temps donnera une réponse à tes questions, de toute façon.
8.
Le vendredi matin, Scott s’arrachait les cheveux et Cleo semblait avoir de
plus en plus de mal à supporter ses sautes d’humeur.
— Vous ne pouvez pas continuer comme cela, déclara-t-elle en déposant
la tasse fumante devant lui. Au lieu de boire café sur café, vous devriez plutôt
vous concentrer sur vos problèmes de trésorerie, Scott. Si vous ne réagissez
pas rapidement, votre entreprise risque de s’effondrer !
— Je me fiche de cette fichue boîte, répliqua-t-il. Tout ce qui m’importe,
c’est Sarah.
Il était sincère, réalisa Scott, choqué.
— Alors, appelez-la, pour l’amour du ciel !
— J’ai essayé. Elle a éteint son portable.
— Dans ce cas, allez la voir, puisque vous savez où elle se trouve.
— Si je pensais que cela pourrait servir à quelque chose, je me
précipiterais là-bas. Mais vous ne l’avez pas vue, l’autre soir. Elle m’a
carrément fichu à la porte !
— Que lui avez-vous fait, pour qu’elle soit aussi furieuse contre vous ?
— Il y a d’abord eu cette histoire de photos que j’ai mal interprétées,
soupira-t-il. Ensuite, je crois que c’est le fait que je lui aie demandé de donner
sa démission qui n’est pas passé…
— Oh ! mon Dieu, fit Cleo en secouant la tête. Ce n’était vraiment pas
une bonne idée ! Sarah est une femme indépendante et intelligente, Scott,
vous ne pouvez pas prendre de décisions à sa place… surtout en ce qui
concerne sa vie professionnelle. Vous devriez cesser de vouloir tout
contrôler : ce n’est pas de cette façon que vous parviendrez à reconquérir
votre épouse, croyez-moi.
Scott la dévisagea en haussant les sourcils, surpris par la pointe d’ironie
dans la voix de la jeune femme.
— Vous semblez savoir de quoi vous parlez…
Une lueur de tristesse traversa le regard de Cleo.
— Mon beau-père n’était vraiment pas facile à vivre, dit-elle. Il voulait
toujours tout contrôler. Et sa famille en a énormément souffert.
— Mais je croyais qu’il était mort avant que vous ne rencontriez Martin ?
— Oui, mais Doreen m’a raconté beaucoup de choses.
— Ah, je comprends…
La belle-mère de Cleo vivait en effet avec celle-ci depuis la mort de son
fils survenue trois ans plus tôt, à la suite d’un cancer. Non seulement les deux
femmes s’appréciaient mutuellement, mais encore elles étaient très proches.
On ne pouvait pas dire la même chose de lui et Sarah… songea Scott en
soulevant sa énième tasse de café. Sa femme s’était isolée et, en plus, il ne
pourrait pas lui parler avant neuf jours. Il ne tiendrait jamais le coup. Il buvait
déjà trop le soir. Et mangeait n’importe quoi. Il ne mettait même plus les
pieds dans sa salle de musculation. Quant au travail… Il n’avait pas menti en
disant à Cleo que rien ne l’intéressait plus hormis Sarah.
Or il n’était pas le seul à dépendre de McAllister Mines. Il y allait du sort
de milliers d’employés. De gens qu’il appréciait, dont il connaissait la valeur.
Il aurait été criminel de continuer à négliger ainsi ses affaires. Ses autres
investissements survivraient à cette crise passagère — il avait pas mal investi
dans l’immobilier, ces dernières années —, mais plusieurs des mines, ainsi
que la raffinerie de nickel, avaient besoin de beaucoup d’argent. Maintenant.
— Je ne peux pas ignorer indéfiniment les affaires, soupira-t-il. Eh bien,
où en êtes-vous, concernant la recherche d’un nouveau bailleur de fonds ?
Quelqu’un qui ait plus d’argent que de bon sens, de préférence…
Le visage de Cleo s’illumina.
— La meilleure piste que j’aie trouvée pour l’instant, c’est Byron
Maddox, fils unique et héritier de Maddox Media Empire. Il a commencé par
travailler pour son père mais ils se sont séparés sur le plan professionnel il y a
quelques années. À présent, il possède sa propre compagnie, BM Group. Elle
n’est pas encore cotée en Bourse, mais il se débrouille très bien. En juin
dernier, Business Review Weekly l’a placé en onzième position parmi les plus
grosses fortunes d’Australie. Byron Maddox n’est pas à proprement parler
milliardaire, mais en passe de l’être.
Scott approuva d’un hochement de tête. Il avait rencontré Maddox aux
courses l’an passé et l’avait trouvé sympathique. Cet homme dégageait un
charisme certain et était de toute évidence intelligent. Peut-être trop,
d’ailleurs. Mais bon, Scott ne pouvait pas se permettre de faire la fine bouche.
— D’accord. Organisez un rendez-vous le plus vite possible.
— J’ai déjà essayé, Scott. Malheureusement, Maddox est aux États-Unis
en ce moment… pour une histoire de famille, m’a dit son assistante. Mais il
sera de retour à Sydney en début de semaine prochaine. Elle reprendra contact
avec moi pour fixer une date.
— Parfait. Je me demande vraiment ce que je ferais sans vous, Cleo…
— Vous seriez fauché. Et moi au chômage.
— Pas pour longtemps, répliqua-t-il en reprenant sa tasse.
À ces mots, Cleo se contenta de lever les yeux au ciel d’un air exaspéré.
* * *
Sarah venait de terminer son omelette — Cory était parti à Melbourne,
pour participer à un séminaire intitulé « Écologie, architecture et urbanisme »
— lorsque la sonnette de l’entrée retentit.
Un tremblement nerveux s’empara d’elle. C’était Scott. Elle en était
certaine.
Que faire ? Ne pas réagir, comme s’il n’y avait personne à la maison ? Un
peu difficile, avec la télévision et la plupart des lampes allumées au rez-de-
chaussée…
Alors qu’elle hésitait, immobile devant le lave-vaisselle, la sonnette
retentit de nouveau. Cette fois, Sarah se dirigea vers l’escalier, le cœur battant
à tout rompre.
Elle s’arrêta en haut des marches lorsqu’une voix cria à travers la porte :
— Ce n’est que moi, Sarah. Cleo. Vous voulez bien me laisser entrer ?
Cleo… Un soulagement inouï l’envahit tandis qu’elle descendait
rapidement au rez-de-chaussée et s’avançait dans le hall. Tout en se
demandant ce que l’assistante de Scott pouvait bien lui vouloir…
Quand elle se trouva face à la jeune femme qui la regardait d’un air
sombre, Sarah tressaillit d’inquiétude.
— Qu’y a-t-il ? s’enquit-elle. Scott a eu un accident ? Il est blessé ?
— Non, il n’a pas été blessé physiquement, répliqua la jeune femme d’un
ton assez abrupt. Mais il souffre. Beaucoup. À tel point qu’il est incapable de
travailler ou de réfléchir. Et comme je ne pouvais pas envisager de passer une
deuxième semaine à le regarder souffrir, j’ai décidé de venir vous voir pour
essayer de vous faire entendre raison.
La réprobation non dissimulée de Cleo piqua Sarah au vif. Pour qui se
prenait-elle ? De quel droit osait-elle venir sans prévenir et critiquer sa
conduite ? La jalousie qui couvait en elle depuis plusieurs semaines monta
d’un cran. Mais, avant qu’elle n’ait trouvé de réplique bien sentie, les traits de
Cleo s’adoucirent soudain.
— Excusez-moi, dit-elle avec un léger sourire. Je suis injuste. Je sais que
vous aimez Scott. Et je sais aussi qu’il doit avoir fait ou dit quelque chose
d’horrible pour que vous l’ayez quitté. Mais depuis qu’il a vu ces photos, il
n’est plus lui-même. Alors, je… je devais faire quelque chose pour tenter de
vous réconcilier. Il n’a personne pour le défendre, vous comprenez. Ni parents
ni amis proches. Il n’a que vous.
— Et vous, dit Sarah, radoucie elle aussi.
— Pas vraiment. Je ne suis que son assistante.
— Vous êtes bien plus que cela, Cleo. Scott parle souvent de vous. Il vous
admire énormément.
C’était vrai. Et parfois ses compliments irritaient même Sarah au plus
haut point.
— Scott est quelqu’un de bien, répliqua Cleo. Et un patron formidable. Il
se soucie vraiment des gens qui travaillent pour lui, ce qui est rare, de nos
jours. Mais depuis la semaine dernière, en revanche, il semble avoir oublié
qu’il n’est pas tout seul. Il a perdu tout intérêt pour ses affaires.
Sarah la dévisagea avec incrédulité. Jamais elle n’aurait imaginé que Scott
puisse être incapable de se concentrer sur ses chères affaires. Le fait
d’apprendre que leurs problèmes personnels l’affectaient à ce point la
réconforta un peu. Il l’aimait peut-être, après tout. Mais pas nécessairement
comme elle le souhaitait. Car désormais Sarah avait besoin de confiance et de
respect mutuels.
— J’en suis désolée, dit-elle. Mais c’est lui qui est responsable de cette
situation. J’ignore ce qu’il vous a dit, Cleo, mais je sais qu’il se confie à vous.
Sinon, vous ne seriez pas ici, n’est-ce pas ?
— Scott ne se confie pas à moi ! protesta Cleo, choquée. Mais je me rends
forcément compte de certaines choses, vu que nous nous côtoyons quasiment
tous les jours. Mais… je peux entrer ? Non seulement il fait un peu frais, mais
encore j’aimerais vous dire deux mots en privé…
D’un côté, Sarah n’avait pas envie que l’assistante de son mari lui fasse la
leçon, mais elle ne voulait pas non plus se montrer grossière avec elle. Et
puis, elle aimait bien Cleo, tout en enviant la place qu’elle occupait dans la
vie de Scott. Il passait plus de temps avec elle qu’avec son épouse ! Il
l’emmenait quand il voyageait pour ses affaires, lui demandait son avis sur
des tas de sujets. Et il lui avait montré ces horribles photos, Sarah n’en doutait
pas un instant.
Un peu à contrecœur, elle fit entrer la jeune femme dans le salon et
éteignit la télévision avant de l’inviter à s’asseoir.
— Vous voulez une tasse de café ? Ou un verre de vin, peut-être ?
Par association d’idées — elle-même ne pouvant boire d’alcool —, Sarah
repensa au test de grossesse acheté ce jour-là, alors qu’elle savait pourtant
qu’il était trop tôt pour l’utiliser. Néanmoins, la vendeuse à laquelle elle avait
eu affaire lui avait dit qu’avec cette nouvelle génération de tests, on pouvait
obtenir des résultats fiables plus tôt qu’avec les anciens.
Combien de temps tiendrait-elle avant de céder à la tentation d’en avoir le
cœur net ?
— Ni l’un ni l’autre, merci, répondit Cleo d’un ton un peu brusque. Je ne
serai pas longue, de toute façon. Je vois bien que ma présence vous est
désagréable. Mais je devais venir, je ne pouvais pas faire autrement.
Elle eut l’air si troublée, soudain, que Sarah s’assit à côté d’elle et, sans
réfléchir, posa la main sur la sienne.
— Excusez-moi, dit-elle doucement. Je ne suis pas aussi impolie,
d’habitude. Que désirez-vous me dire, à propos de Scott ? Je vous promets de
vous écouter.
— Il ne s’agit pas seulement de lui. Mais aussi du mariage.
— Comment cela ? fit Sarah, surprise.
Une ombre voila le regard de Cleo.
— Ce n’est pas toujours facile d’être mariée. C’est même parfois très dur,
surtout lorsque votre mari vous maltraite…
Elle s’interrompit en détournant les yeux.
Parlait-elle de son propre mariage ? se demanda Sarah, perplexe. D’après
Scott, Cleo avait été entièrement dévouée à son mari et elle n’avait rien d’une
veuve joyeuse. Mais sa tristesse venait-elle du fait qu’elle avait été très
heureuse en couple, ou au contraire affreusement malheureuse ?…
Au bout de quelques instants, Cleo tourna la tête vers elle.
— Soyez reconnaissante d’avoir un mari en vie, en bonne santé, et qui
vous aime plus que tout au monde, poursuivit-elle d’une voix ferme. Scott
n’est peut-être pas parfait, mais je ne pense pas que vous le soyez non plus.
Personne ne l’est, de toute façon. Il reconnaît qu’il s’est trompé, qu’il a mal
interprété ces photos, et il le regrette sincèrement. Alors, accordez-lui une
seconde chance, Sarah. Je vous en supplie. Il le mérite. Parlez-lui, au moins.
— Je ne sais vraiment pas quoi lui dire pour l’instant, soupira Sarah.
— Méfiez-vous. Quand vous serez prête à lui parler, Scott ne sera peut-
être plus disposé à vous écouter. La communication est la base d’une relation
équilibrée et épanouie, Sarah. Vous devez lui parler maintenant, de vos
espoirs, de vos craintes. Amenez-le à se confier. Laissez tomber vos défenses
et votre fierté, et parlez-vous, de tout. Expliquez-lui ce que vous attendez de
la vie et d’un mari. Je suis sûr qu’il en vaut la peine, Sarah, parce qu’il vous
aime vraiment. Et je sais que vous l’aimez tout autant.
— Comment le savez-vous ? riposta Sarah, agacée et reconnaissante à la
fois.
Et puis, comment aurait-elle pu tout dire à Scott ? Certains sujets étaient
trop personnels, trop intimes. Embarrassants, même.
Cleo lui adressa un doux sourire.
— Il suffit de vous voir ensemble pour en avoir la certitude, Sarah. Cela
se lit dans vos yeux, à tous les deux.
Pas si sûr, songea Sarah. Dans les yeux de Scott, c’était du désir et rien
d’autre qu’elle avait découvert récemment. Pas de l’amour. Et il aurait pu dire
la même chose à son sujet.
— Promettez-moi au moins de lui téléphoner, reprit Cleo d’un ton
pressant. Ce soir. N’attendez pas. Si vous ne voulez pas rentrer maintenant, ne
le faites pas, mais parlez-lui, Sarah. Je vous en supplie.
Sarah n’avait pas envie de lui parler. Pas maintenant. Mais après ce que
Cleo venait de lui raconter, elle aurait été lâche — et même cruelle — de ne
pas appeler Scott.
— D’accord, dit-elle avec réticence.
— Promettez-le-moi, répéta Cleo.
— Je vous le promets.
La jeune femme se leva en poussant un soupir de soulagement.
— Merci, Sarah.
— Vous ne voulez vraiment pas boire quelque chose avant de partir ?
insista Sarah en se levant à son tour.
— Non, merci. Oh ! une dernière chose : vous voulez bien me promettre
aussi de…
— De…
— Ne dites pas à Scott que je suis venue vous voir, s’il vous plaît. Il serait
furieux contre moi.
— Entendu, je ne lui dirai rien.
Elle ne l’aurait pas fait, de toute façon, car elle savait que Scott n’aurait
pas apprécié que son assistante se mêle de sa vie privée.
Lorsque Cleo sourit, son visage s’illumina de nouveau.
— Merci, Sarah. Maintenant, je vous laisse.
Après avoir refermé la porte d’entrée, Sarah fronça les sourcils, troublée
de se rendre compte qu’elle nourrissait toujours de la jalousie envers Cleo,
tout en étant maintenant certaine qu’il n’y avait rien entre celle-ci et Scott.
Or elle ne voulait pas être jalouse. Elle avait trop vu les ravages que la
jalousie avait produits sur sa mère.
Elle remonta à l’étage en s’efforçant de repousser les sombres pensées qui
revenaient l’assaillir. Le divorce de ses parents, le suicide de sa mère. Le
médecin avait parlé d’un accident dû à un mélange de barbituriques et
d’alcool, mais Sarah savait que sa mère avait choisi de mourir, parce que son
mari ne l’aimait pas. Qu’il ne l’avait jamais aimée. D’après elle, il ne l’avait
épousée que parce qu’elle était enceinte de Victor, le frère aîné de Sarah.
Ensuite, lorsque son mari s’était mis à découcher de plus en plus souvent, elle
avait essayé de le retenir en tombant de nouveau enceinte. De Sarah.
Un enfant ne consolidait pas un mariage voué à l’échec, songea Sarah en
repensant à son éventuelle grossesse.
Doucement, elle posa la main sur son ventre plat.
— Es-tu bien là ? chuchota-t-elle.
À présent, elle n’aurait su dire si la perspective d’être enceinte la
terrorisait encore ou la réjouissait secrètement. Elle désirait avoir des enfants,
mais avec un homme qu’elle aimait et qui l’aimait en retour. Qui avait
confiance en elle.
Jusqu’à ce fatal vendredi soir, Sarah avait été persuadée que le père de ses
enfants serait Scott, et que ceux-ci seraient tous conçus avec amour. Pas dans
un accès de rage et de jalousie.
— Oh ! mon Dieu… murmura-t-elle en gravissant les dernières marches.
Quel gâchis !
9.
Scott venait de se servir un troisième whisky lorsque son portable se mit à
vibrer.
Agacé, il sortit l’appareil de sa poche de pantalon en maugréant. Il
détestait parler au téléphone. Mais, lorsqu’il découvrit l’identité de l’appelant,
il reposa son verre sur la table basse.
Sarah ! L’espace d’un instant, il songea à ne pas lui répondre — histoire
de la prendre à son propre jeu —, mais il ne put résister au désir de savoir ce
qui l’avait poussée à l’appeler avant ce fichu délai de deux semaines.
— À quoi dois-je cet honneur ? demanda-t-il d’un ton sarcastique.
* * *
Sarah serra la mâchoire. Elle n’aurait pas dû l’appeler. C’était une
mauvaise idée. Elle n’était pas prête à parler avec Scott, surtout qu’il avait un
peu bu, manifestement. Mais elle l’avait promis à Cleo.
— J’ai pensé, déclara-t-elle d’une voix posée, que nous pourrions discuter
un peu.
— Vraiment ? Tu as fini par comprendre que j’avais raison, concernant
Leighton ?
— Je ne lui ai pas encore parlé, reconnut-elle.
— Pourquoi ?
— Je… je ne suis pas allée travailler de la semaine.
— Pourquoi ?
Pas question de lui dire la vérité.
— J’ai eu une sinusite.
Vu qu’elle était sujette à ce genre d’infection, Scott la croirait sans
problème.
— Je devrais pouvoir retourner au bureau lundi, poursuivit-elle, mais je
pressens que j’aurai du mal à me concentrer tant que nous n’aurons pas réglé
les choses entre nous. Alors, je me suis dit que nous pourrions peut-être nous
voir ce week-end. Pour parler.
— Ce genre d’exercice n’a jamais été mon fort, fit-il remarquer.
— Oui, je sais.
Son mari n’était pas bavard, en effet, se limitant à l’essentiel. De son côté,
Sarah n’avait jamais été un moulin à paroles, encore moins une commère.
Elle ne se confiait pas facilement, sauf à Cory. Peut-être parce qu’il savait
écouter et était très ouvert d’esprit. Quant à Scott, il ignorait tout des détails
sordides concernant son passé.
De la même façon qu’elle ne savait pas grand-chose sur le sien. Cette
situation n’était pas normale. Même avant que Cleo n’aborde le sujet, Sarah
était consciente qu’entre mari et femme il n’aurait pas dû y avoir de secrets.
Ils auraient dû se connaître parfaitement, Scott et elle.
Par conséquent, il était temps de remédier à ces lacunes, s’ils désiraient
sauver leur mariage. Fuir n’avait jamais rien résolu. C’est ce que Sarah avait
fait après la mort de sa mère, et cela n’avait pas révolutionné sa vie. Surtout
pendant sa première année de voyage. En revanche, ce qu’elle avait vécu en
Asie lui avait beaucoup apporté. Loin des villes, dans de minuscules villages,
elle avait vu beaucoup d’amour au sein des familles qui l’avaient accueillie, et
cette expérience avait constitué la meilleure des thérapies.
Mais le mode de vie de ces gens ne ressemblait en rien au leur, se dit-elle
en réprimant un soupir. Elle et Scott vivaient en Australie, à Sydney, pas au
fin fond de la Thaïlande ou de l’Inde.
— Comme tu n’aimes pas parler au téléphone, reprit-elle, j’ai pensé que
nous pourrions déjeuner ensemble demain, par exemple.
De préférence dans un endroit public, afin de ne pas être tentée de faire
autre chose que de parler…
— Désolé, je serai à l’hippodrome de Randwick, à cette heure-là. Je dois
remettre le trophée de la première course… il s’agit du Prix McAllister
Mines. Tu pourrais m’accompagner ?
Sa proposition tenta Sarah. Elle adorait aller aux courses avec Scott ; elle
aimait l’atmosphère régnant à l’hippodrome, elle aurait pu passer des heures à
regarder les chevaux, la foule des parieurs excités, les curieux venus se
balader… Mais ce n’était vraiment pas l’endroit idéal pour parler. D’autant
que Scott serait sans cesse abordé par des officiels, des propriétaires de
chevaux et des entraîneurs, tous essayant de le persuader d’acheter un cheval
— ce que Scott avait juré de ne jamais faire. Pour lui, ce genre
d’investissement était encore plus risqué que l’exploitation d’une mine.
— Non, je préférerais un endroit plus tranquille, dit-elle à regret. Dînons
ensemble demain soir, alors.
— Je pourrais aussi venir te rejoindre maintenant…
Sarah maudit son corps traître qui se tendait déjà à cette éventualité.
— Ce ne serait pas une bonne idée, répondit-elle d’un ton guindé. Alors,
on se voit demain soir ?
Un profond soupir résonna à l’autre bout de la ligne.
— OK. Où ?
— Peu importe. Choisis. Mais de préférence un restaurant spacieux, où
nous ne serons pas serrés.
— Je vais réserver une table dans ce restaurant de fruits de mer que tu
aimes bien, sur le quai. Je ne me rappelle jamais son nom.
— Tu penses au Seafood Palace ?
— Oui, c’est ça.
— Tu auras de la chance si tu arrives à avoir une table un samedi soir.
— Ils m’en trouveront une, ne t’en fais pas. À quelle heure ?
— Vingt heures ?
— Non, c’est un peu tard, trancha Scott. Je réserve pour 19 heures,
d’accord ?
— D’accord.
— Je passerai te prendre à moins le quart.
Sarah tressaillit. Elle ne souhaitait pas se retrouver en voiture seule avec
lui, ni qu’il la raccompagne après le dîner. Mais son appréhension était
ridicule, reconnut-elle en son for intérieur. Il s’agissait de se voir pour tenter
d’arranger les choses. Et puis, Scott n’était pas du genre à lui sauter dessus.
— Très bien. Je serai prête.
— Bonne nuit et à demain, alors.
— Merci, toi aussi. À demain.
Dès qu’elle eut reposé le téléphone, Sarah prit le test et l’emporta dans la
salle de bains. Là, elle ouvrit la boîte et lut la notice du début à la fin. Elle
brûlait d’essayer. Tout de suite. Non, il était encore trop tôt ; et cela n’aurait
servi à rien d’obtenir un faux résultat.
Le bon sens finissant par l’emporter, elle remit le tout dans la boîte, posa
celle-ci sur l’étagère et sortit de la salle de bains.
Cependant, la perspective d’une éventuelle grossesse la hanta durant des
heures. Que dirait Scott si elle était bel et bien enceinte ? Serait-il content, ou
la nouvelle ferait-elle resurgir sa méfiance ?
L’accuserait-il de nouveau de l’avoir trompé ?
Il serait toutefois facile de prouver l’identité du géniteur. Un simple test
ADN couperait court à toute interrogation. En attendant, elle ne supporterait
pas de voir le doute dans le regard de son mari. Parce que, tant qu’il n’en
aurait pas le cœur net, il douterait d’elle, Sarah ne se faisait pas d’illusions.
Mais peut-être s’inquiétait-elle inutilement. Parce que, pour que Scott
doute de sa paternité, il faudrait d’abord qu’elle soit enceinte.
Cette pensée ne rassura pas Sarah. D’autant qu’une petite voix intérieure
lui chuchotait qu’un être minuscule avait bel et bien commencé à se
développer en elle.
En dépit de sa fatigue, elle ne s’endormit qu’à l’aube.
10.
Sarah contempla en soupirant les vêtements étalés sur le lit. Elle se
comportait comme une adolescente à son premier rendez-vous amoureux !
Elle avait essayé quasiment toute sa garde-robe sans parvenir à choisir une
tenue pour aller dîner avec Scott…
Finalement, elle se décida pour un pantalon en crêpe couleur champagne
et une veste assortie, achetés deux ans plus tôt et qu’elle portait de temps en
temps à l’automne ou au printemps. Les soirées pouvaient être très fraîches à
Sydney, au milieu du mois de mai.
Trouver un haut adéquat se révéla difficile. En d’autres circonstances,
Sarah aurait opté pour un caraco, mais pas ce soir-là. Elle se serait sentie trop
exposée. Aussi préféra-t-elle le joli top en soie écrue brodée de perles dorées
acheté en solde et encore jamais porté. Il était sans manches, mais légèrement
décolleté.
Pour parachever son look, elle mit des sandales à talons hauts en cuir
crème, un sac de soirée doré et quelques bijoux en or, très simples : une
chaîne ayant appartenu à sa mère et des boucles d’oreilles qu’elle s’était
offertes au cours de son voyage en solitaire.
À 18 h 35, Sarah était habillée et maquillée, mais, côté coiffure, elle
hésitait encore. Peut-être n’était-ce pas une bonne idée de laisser ses cheveux
tomber librement sur ses épaules, comme le jour de leur première rencontre.
Scott aimait beaucoup la voir ainsi. Alors, les rassembler en chignon
sophistiqué sur le dessus de la tête ? Non, elle n’avait plus assez de temps
pour cela. À l’aide de deux peignes incrustés de perles, elle plaqua ses
cheveux sur les tempes, comme elle le faisait souvent pour aller travailler.
Un peu avant 18 h 45, elle saisit son petit sac doré et s’avança vers
l’escalier. La sonnette retentit au moment où elle arrivait au bas des marches,
la faisant sursauter.
Le cœur battant la chamade, elle se dirigea lentement vers la porte.
Du calme, Sarah. Raccroche-toi à cette assurance naturelle que tu as
toujours possédée. Et ne commence surtout pas à t’exciter bêtement quand tu
seras en face de lui, pour l’amour du ciel ! Même si tu le trouves somptueux
et super sexy !
D’une main un peu tremblante, elle ouvrit la porte et retint un halètement
en voyant Scott, vêtu d’un jean gris anthracite et d’une chemise en lin blanc
sous une élégante veste noire. De toute évidence, son mari était allé faire du
shopping… Pour elle. Peut-être avait-il lui aussi l’impression de se rendre à
son premier rendez-vous amoureux…
— Tu es superbe, dit-elle d’un ton neutre en s’efforçant d’ignorer les
sensations dévastatrices qui la parcouraient tout entière.
Lentement, il laissa errer son regard brûlant sur son buste.
— Pas autant que toi…
Sarah baissa les yeux sur son top, prit une inspiration profonde…
— Quoi ? Oh ! tu fais allusion à ce vieux truc ? fit-elle en haussant les
sourcils.
La belle bouche virile esquissa un sourire.
— Je n’avais encore jamais vu ce ravissant haut brodé… Mais de toute
façon, tu es toujours superbe, Sarah. Quoi que tu portes. Ou sans rien du tout.
Respire… Respire…
— Eh bien !… Que de compliments… Cela ne te ressemble pas, Scott !
— Tu as devant toi un homme qui frôle le désespoir, Sarah. Mais viens,
allons dîner.
— Je te suis. Après avoir verrouillé la porte.
— Cory n’est pas à la maison ?
Sarah tressaillit.
— Un samedi soir ? répliqua-t-elle d’un ton léger. Tu plaisantes ! Au fait,
où est ta voiture ?
— Dans la rue d’à côté. Impossible de se garer plus près.
— J’aurais dû prendre un taxi et te rejoindre au restaurant, dit-elle en
s’avançant à ses côtés.
— Non, je tenais à venir te chercher, répliqua vivement Scott en se
tournant vers elle. Tu ne peux pas tout contrôler, Sarah. Si tu veux que nous
reprenions notre vie commune, tu dois tenir compte de mes souhaits.
Lorsque, suffoquée, elle s’arrêta et le dévisagea en écarquillant les yeux,
il éclata de rire.
— Si tu voyais ton expression ! dit-il, les mains enfoncées dans les
poches. Mais tu es avocate, non ? Alors tu dois bien savoir que les deux
partenaires sont impliqués, dans ce genre de situation. J’ai peut-être commis
une erreur vendredi dernier, mais tu n’as pas vraiment été un modèle non
plus, cette semaine.
Sarah avait toujours un peu de mal à encaisser les critiques — surtout
quand elles étaient fondées. La semaine passée, elle avait été tellement
concentrée sur ses propres malheurs qu’elle n’avait pas pris le temps de
penser que cette histoire de photos avait tout autant affecté Scott. Pourtant,
Cleo était venue la veille pour lui dire qu’il souffrait. Mais Sarah n’avait pas
saisi la gravité de la situation. Aussi avait-elle maintenant l’impression
d’avoir été odieuse.
— Tu as raison, reconnut-elle. Je me suis montrée très égoïste. Excuse-
moi.
— Tu n’as pas à t’excuser. Je suis tout à fait conscient de m’être conduit
comme un rustre, soupira-t-il. Et j’aimerais bien pouvoir revenir en arrière,
mais, hélas, c’est impossible. De ton côté, tu as peut-être réagi toi aussi de
manière un peu excessive, non ? Si tu étais restée, nous aurions pu régler le
problème ensemble. Au lieu d’être malheureux chacun dans son coin pendant
toute la semaine.
Pas question. Sarah refusait catégoriquement de tout résoudre d’un coup
de baguette magique. Ou de se sentir coupable. Son père procédait ainsi avec
sa mère : il lui répétait qu’elle exagérait et que c’était sa faute s’il regardait
d’autres femmes. Car il disait cela, au début. Qu’il se contentait de les
regarder. Et sa pauvre mère avait gobé ses mensonges. Durant un certain
temps, du moins…
Or Sarah n’avait pas l’intention de s’écraser.
— Je ne suis pas d’accord, Scott. Rien n’aurait été résolu, si j’étais restée.
Ce qui s’est passé le week-end dernier a montré qu’il y avait de sérieuses
lacunes dans notre relation.
— Tu peux t’expliquer ?
— Je le ferai quand nous serons arrivés au restaurant. Tu as réussi à
réserver une table au Seafood Palace ?
— Oui. L’argent fait des miracles : il aide les hommes à séduire les
femmes les plus ravissantes et à réserver les meilleures tables.
Elle haussa les sourcils, choquée.
— Tu crois toujours que je t’ai épousé pour ton argent ?
— Je vais être franc, Sarah. J’ignore pourquoi tu l’as fait.
— Je t’ai épousé parce que je t’aimais, répliqua-t-elle avec colère. Je t’ai
désiré dès le premier instant où j’ai posé les yeux sur toi.
— C’est cela qui me préoccupe, justement. Tu étais vierge, quand nous
nous sommes rencontrés. Comment se fait-il que tu te sois enflammée ainsi
alors que tu n’avais jamais rien ressenti de tel avec aucun autre homme ? Ne
me dis pas que tu n’as pas eu de propositions… Tu es très attirante, Sarah.
Elle frémit intérieurement. Si, dès le début, elle lui avait parlé de
l’environnement dans lequel elle avait grandi, Scott aurait compris sa
méfiance envers les hommes.
Le moment était venu de tout lui dire. Enfin, non. Pas tout… Tant que la
situation ne serait pas claire entre eux, elle s’abstiendrait de faire allusion à
son éventuelle grossesse. Inutile de compliquer inutilement les choses.
— Je comprends tes interrogations, dit-elle. En fait, j’avais des raisons
d’être encore vierge quand nous nous sommes rencontrés, mais je ne peux pas
t’en parler en deux mots. Je te promets d’essayer de répondre à toutes tes
questions, tout à l’heure.
Après un léger silence, Sarah ajouta d’une voix ferme :
— Et je compte sur toi pour répondre aux miennes.
11.
Le Seafood Palace comptait parmi les restaurants les plus prisés de la
ville, notamment en raison de son chef réputé et de la qualité du service hors
pair garanti par l’établissement. En outre, la vaste salle offrait un panorama
unique.
Les tables, assez éloignées les unes des autres, étaient recouvertes d’une
nappe blanche où étaient disposés des couverts et des verres au design raffiné.
Au centre, un petit chandelier en cristal complétait l’ensemble.
Après leur avoir demandé de le suivre, le maître d’hôtel alluma la bougie
rouge. Située dans une alcôve semi-circulaire, avec une large baie vitrée
offrant une vue imprenable sur l’eau miroitante et le Harbour Bridge, leur
table se trouvait dans l’emplacement le plus agréable et le plus romantique de
l’établissement.
— C’est Andre qui s’occupera de vous, dit-il en présentant une chaise à
Sarah. Je vous souhaite une très bonne soirée.
Puis, après avoir adressé un large sourire à Scott, il s’éloigna, laissant la
place à un jeune homme à la mine avenante.
Le maître d’hôtel pouvait bien sourire, songea Scott. Vu le pourboire qu’il
lui avait promis au téléphone, contre l’assurance de lui réserver l’une des
meilleures tables au dernier moment…
Car il avait décidé de jouer le grand jeu, ce soir. Il pensait sincèrement
que l’alchimie continuait d’exister entre eux. Et, bien décidé à impressionner
Sarah, il avait quitté l’hippodrome dès qu’il l’avait pu afin de pouvoir aller
faire quelques achats, déterminé à mettre toutes les chances de son côté.
Quand elle lui avait ouvert la porte un peu plus tôt et l’avait littéralement
dévoré des yeux, il avait cru que c’était gagné. Jusqu’à ce qu’elle regrette de
ne pas avoir pris de taxi. Contrarié, Scott avait dit des choses qu’il aurait
mieux fait de garder pour lui-même. Mais le mal était fait, maintenant, et il
restait décidé à obtenir des réponses aux questions qu’il avait posées.
En attendant, il comptait sur le champagne pour adoucir Sarah. Elle
l’appréciait particulièrement. Le bon champagne.
Raté. Quand il lui demanda si elle souhaitait qu’il commande une
bouteille ou seulement deux coupes, elle répondit qu’elle ne pouvait pas boire
d’alcool parce qu’elle prenait des antibiotiques…
— Pour moi, ce sera uniquement de l’eau gazeuse, dit-elle en souriant au
jeune serveur.
— Dans ce cas, apportez-moi une bière, fit-il avec dépit.
— Brune, blonde, ambrée ?
— Une blonde, coupa-t-il. N’importe laquelle.
* * *
Sarah détestait mentir à Scott, mais comment faire autrement ? Il fallait
bien qu’elle lui donne une raison de refuser de boire du champagne, qu’elle
adorait. Ce soir, elle avait décidé de lui parler de son passé. Pas d’une
hypothétique grossesse.
Soulevant la carte, elle parcourut la liste des plats et réalisa qu’elle n’avait
pas très faim, finalement. La nervosité lui nouait l’estomac à la perspective de
révéler à Scott qu’elle avait grandi dans une famille dysfonctionnelle, dans
une atmosphère proche du sordide.
— Je ne sais pas quoi prendre… tu choisis pour moi ? demanda-t-elle en
reposant le menu sur la table. J’apprécie toujours tes choix, de toute façon.
— D’accord, répliqua-t-il avec un petit sourire en coin. D’autant que tu
mets parfois très longtemps avant de te décider…
— On ne peux pas dire la même chose en ce qui te concerne ! s’exclama-
t-elle avec humour.
— En général, je sais ce que je veux, admit-il en soutenant son regard.
Aussitôt, Sarah s’embrasa tout entière. Comme la première fois qu’elle
avait plongé ses yeux dans les siens. Mais elle refusa de céder à cette attirance
primaire. Elle ne se laisserait pas séduire par Scott. Elle était venue pour
parler avec lui. Rien d’autre.
Il lui fallut néanmoins faire un effort pour détourner les yeux et feindre
d’admirer la vue.
— C’est vraiment beau, le soir, tu ne trouves pas ? demanda-t-elle d’un
ton neutre.
— En effet, acquiesça-t-il, la voix un peu rauque.
Sans doute s’attendait-il à ce qu’elle rentre à l’appartement après ce dîner.
De son côté, elle aurait du mal à résister au désir qui la consumait.
Pourquoi ne pas céder à la tentation ? Après, tu dormiras bien, pour une
fois.
Quand elle croisa de nouveau le regard gris incandescent, Sarah n’était
plus trop sûre de lui dire non. Peut-être qu’en lui parlant de son passé, elle se
débarrasserait des sensations voluptueuses qui la traversaient. Rien de tel que
de penser à sa vie d’autrefois pour se calmer…
Andre revenant avec les boissons, Scott en profita pour passer leur
commande. Il avait choisi des huîtres en entrée, du barramundi grillé à la
sauce citron et persillée comme plat principal, accompagné d’un assortiment
de crudités, et, pour le dessert, un cheese-cake au chocolat.
— Avec de la crème glacée, pas de la chantilly, précisa-t-il.
— Tu y tiens, à ta crème glacée, fit remarquer Sarah après le départ du
serveur.
En fait, elle en savait davantage sur l’enfance de Scott que lui sur la
sienne, réalisa-t-elle. Après la mort de sa mère, survenue alors qu’il était très
jeune, il avait été élevé par son père, un homme intelligent qui avait bien
réussi dans la prospection minière après avoir fait des études de géologie. Il
avait éduqué son fils à la maison — la « maison » étant le camping-car dans
lequel il sillonnait l’Australie, en quête de gisements fabuleux. M. McAllister
père avait de temps en temps fait de belles trouvailles qui lui avaient permis
d’acheter quelques terrains, ceux-ci ayant fini par révéler des trésors
insoupçonnés.
Quand l’argent venait à manquer, il allait travailler dans les mines de
charbon et le camping-car restait stationné dans un parking à proximité — ce
qui permettait à son fils de jouir d’une entière liberté.
— Le moment est venu de t’expliquer, dit soudain Scott, la ramenant au
présent. Et de me donner les réponses promises.
Sarah souleva son verre d’eau gazeuse et le porta à ses lèvres. Elle avait la
bouche sèche, la gorge serrée. Jusqu’à présent, elle n’avait jamais parlé de
certains détails à quiconque. Même pas à Cory.
— Mon père ne s’est pas contenté de tromper ma mère une ou deux fois,
déclara-t-elle tout à coup. Il était plutôt coutumier du fait.
Cet aveu ne parut pas choquer Scott, qui la regarda d’un air songeur.
— Il ne se donnait même pas la peine de cacher ses liaisons
extraconjugales, poursuivit-elle. Parfois, il disparaissait avec une femme
pendant tout le week-end. Cela rendait ma mère complètement folle et, quand
il réapparaissait, il y avait des disputes spectaculaires.
— Pourquoi ne l’a-t-elle pas quitté ? demanda Scott en fronçant les
sourcils.
Sarah éclata de rire. Un rire dénué de toute joie.
— Je lui ai posé exactement la même question. Des dizaines de fois. Mais
non, rien à faire…
Elle avala une gorgée d’eau fraîche.
— Elle finissait toujours par le reprendre. Elle disait qu’elle lui pardonnait
parce qu’elle l’aimait. Ce qui était peut-être le cas, de façon masochiste. S’il
ne l’avait pas quittée pour de bon, elle n’aurait jamais demandé le divorce. Il
s’est remarié avec une femme plus jeune, et très riche.
— Je vois. Que faisait-il, comme métier ?
— Vendeur automobile. Dans le haut de gamme : Ferrari, Porsche… Il
était doué et gagnait bien sa vie. Nous n’avons jamais manqué de rien… sur le
plan financier, en tout cas. Même après le divorce. Il a donné la maison à ma
mère et financé mes études. Je n’ai pas à me plaindre de ce côté-là.
— Si je comprends bien, tu étais plus heureuse après le divorce de tes
parents.
— Oui, pendant un certain temps. C’était un vrai soulagement qu’il ne
soit plus là, même s’il était souvent absent. Mais j’étais encore plus soulagé
de ne plus avoir affaire à mon salaud de frère !
12.
L’arrivée des huîtres interrompant le récit de Sarah, Scott attendit la suite
avec curiosité. Qu’avait bien pu lui faire ce frère pour qu’elle en parle avec un
tel mélange de mépris et de dégoût ?
— Tu faisais allusion à ton frère… dit-il tranquillement après le départ du
serveur.
— Victor. Il s’appelait Victor, répliqua-t-elle, le regard sombre. Nous
avions cinq ans d’écart, si bien que lorsque j’en avais treize, il en avait dix-
huit. Mon frère était un véritable obsédé sexuel. Il passait son temps à
regarder des films porno sur son ordinateur et traitait ses innombrables petites
amies comme si elles étaient des esclaves. Il les trompait, toutes. Tel père, tel
fils, je suppose.
— Il n’a rien tenté avec toi, au moins ? demanda Scott avec inquiétude.
— Non. Mais il s’amusait à me faire peur. À la moindre occasion, il me
menaçait de toutes sortes de châtiments, réussissant à transformer ma vie en
cauchemar. Quand il a commencé à entrer exprès dans la salle de bains
lorsque j’y étais, je suis allée acheter un verrou pour pouvoir m’y enfermer.
Scott poussa un juron. Pas étonnant qu’elle soit restée vierge aussi
longtemps…
— C’est horrible, Sarah ! s’exclama-t-il en fronçant les sourcils. Mais
tous les hommes ne sont pas comme lui.
— Je sais, répliqua-t-elle en souriant. Mais il m’a fallu beaucoup de temps
pour avoir confiance en eux. Je me méfiais, c’était plus fort que moi. Même
quand je suis entrée à l’université, j’étais en permanence sur la défensive. Dès
qu’un étudiant s’intéressait à moi, je m’arrangeais pour le décourager d’une
façon ou d’une autre. Puis ma mère est morte et je crois que j’ai fait une sorte
de dépression.
Elle le regarda en se mordillant la lèvre.
— Elle n’est pas morte accidentellement comme je te l’ai dit. C’était un
suicide.
Lorsque les yeux bleus de Sarah s’embuèrent, Scott décida qu’il en savait
assez. Pour l’instant, du moins. Elle reprendrait ses tristes confidences plus
tard si elle en avait envie, lorsqu’elle serait dans ses bras et qu’il pourrait la
réconforter à l’abri des regards curieux.
— J’en sais suffisamment sur les raisons qui t’ont poussée à rester vierge
jusqu’à vingt-cinq ans, Sarah. Et je comprends maintenant qu’après ce que tu
as vécu autrefois, tu serais bien la dernière à tromper ton mari. Je suis désolé
de t’avoir demandé des explications. Alors, oublions tout cela et profitons de
notre dîner, d’accord ? Nous en reparlerons plus tard, et seulement si tu le
souhaites. En attendant, concentrons-nous sur ces huîtres qui ont l’air
délicieuses.
— J’aimerais que nous soyons sincères l’un avec l’autre, répliqua Sarah
en soulevant sa fourchette. Si nous désirons que notre mariage survive, il ne
doit plus y avoir de secrets entre nous.
Elle entrouvrit les lèvres, prête à lui avouer qu’elle avait oublié de prendre
sa pilule et pourrait fort bien être enceinte, mais les mots ne vinrent pas.
En revanche, elle pouvait lui parler de sa réserve d’argent.
— J’ai autre chose à te dire, déclara-t-elle.
Il leva les yeux vers elle, l’air anxieux.
— Rien de terrifiant, ne t’inquiète pas, ajouta-t-elle à la hâte. Je ne t’en ai
jamais parlé, mais ma mère m’a légué tout ce qu’elle possédait. La maison,
que j’ai vendue, et une somme non négligeable. Par conséquent, je ne t’aurais
jamais épousé par intérêt !
Une lueur chaude éclaira les yeux gris de Scott.
— Et si cela peut t’aider à régler tes problèmes actuels, concernant la
raffinerie, poursuivit Sarah, je suis prête à te donner tout ce que je possède.
— Non, merci, répliqua-t-il en souriant. C’est très généreux de ta part,
mais tu pourrais en avoir besoin un jour, on ne sait jamais.
— La situation n’est pas dramatique pour toi, j’espère ? insista-t-elle.
Parce que, si tu as des problèmes en ce moment, j’ai eu tort de proposer ce
restaurant.
— Ne t’en fais pas ! Je ne suis pas stupide : non seulement j’ai fait de
nombreux placements judicieux, mais j’ai aussi des rentrées d’argent
régulières et substantielles. Alors la situation est loin d’être dramatique ! Et je
ne risque pas de ne plus avoir les moyens d’entretenir mon épouse.
Il plissa les yeux avant d’ajouter :
— À supposer qu’elle revienne enfin à la maison… J’ai failli devenir fou,
cette semaine. Tu me manques cruellement, Sarah. J’ai besoin de toi.
Toi aussi, tu me manques, aurait-elle pu répliquer. Ton corps, tes mains, ta
bouche, ton sexe me manquent…
Oh ! mon Dieu, tout était devenu si confus…
— Je… je vais y réfléchir, Scott. Pour l’instant, tu as raison : savourons
notre dîner.
* * *
Quand ils eurent terminé le délicieux cheese-cake et après avoir bavardé
de choses et d’autres — en évitant les sujets trop sensibles —, Sarah reposa
tranquillement sa petite cuiller sur son assiette.
— Je suis à jour, maintenant, dit-elle d’un ton faussement dégagé. Et tu
sais pourquoi je suis comme je suis. Pourquoi je réagis comme je le fais. Si
nous nous étions davantage parlé avant de nous marier, la situation n’aurait
pas été aussi catastrophique, vendredi dernier. Tu aurais eu davantage
confiance en moi et tu n’aurais jamais cru que j’aie pu te tromper.
— Tu as sans doute raison, acquiesça-t-il. Après t’avoir rencontrée, j’ai
précipité les choses, je le reconnais. J’ai hâté notre mariage. Mais je ne le
regrette pas une seconde, Sarah. La seule chose que je regrette, c’est de ne pas
avoir eu confiance en toi, en effet, et d’avoir profité de ta vulnérabilité. Mais
reconnais que c’était fabuleux ! Tu étais fantastique, ce soir-là ! Je suis
absolument fou de la femme que j’ai découverte et je suis très impatient de la
retrouver.
Le désir qui étincelait dans ses yeux exacerba celui qui consumait Sarah.
Il se propagea en elle, dans les moindres cellules de son corps, faisant se
dresser les mamelons sous la soie tandis qu’une chaleur délicieuse se
répandait entre ses cuisses.
Heureusement, le serveur revint avec les cafés, ce qui lui permit de se
ressaisir.
— Franchement, je ne sais pas trop quoi penser de cette femme dont tu
parles, dit-elle une fois que le jeune homme se fut éloigné. Je la trouve
beaucoup trop… docile. Et dans l’immédiat, je préférerais que nous revenions
à des sujets plus importants.
— C’est-à-dire ?
— Eh bien, pourquoi as-tu hâté notre mariage, par exemple ? Et pour
quelle raison m’as-tu épousée, au fond ?
13.
Scott fut si surpris par ces deux questions qu’il en resta sans voix.
— Alors ? fit Sarah en haussant les sourcils.
— Tu sais très bien pourquoi je t’ai épousée, répondit-il enfin, après s’être
éclairci la gorge. J’étais fou amoureux de toi, Sarah. Et j’ai suffisamment
d’expérience en matière de sexe pour être certain qu’il ne s’agissait pas juste
de cela.
C’était la pure vérité. Il était tombé instantanément amoureux de Sarah.
Totalement, éperdument. Mais il avait aussi ressenti de la crainte. Celle de
perdre cette femme superbe et merveilleuse s’il ne l’épousait pas sur-le-
champ. Il avait eu peur qu’un homme plus séduisant, plus sophistiqué ne
surgisse et ne l’emporte loin de lui. Alors, oui, il avait précipité les choses,
pour ne pas risquer de la voir disparaître de sa vie.
Cela n’avait toutefois pas empêché ses craintes de se concrétiser.
L’homme dont il redoutait l’apparition avait fait irruption dans la vie de
Sarah, en la personne de Philip Leighton. Et même si elle n’était pas tombée
dans les bras de celui-ci, il avait bien cru, lui, Scott, qu’elle avait succombé au
charme de ce séducteur impénitent.
Et en cédant à ses peurs, il avait poussé Sarah à le quitter.
Mais tu ne l’as pas encore perdue, imbécile ! lui susurra une petite voix
sévère. Alors, sers-toi de tes méninges, bon sang !
Les femmes adoraient parler, mais Scott avait grandi dans un univers
dépourvu de présence féminine. Et son père n’était pas bavard, se contentant
d’ouvrir la bouche quand il avait quelque chose à lui montrer, ou pour lui
enseigner les matières qu’il jugeait essentielles. Scott ne savait pas grand-
chose du passé de cet homme taciturne, mais cela ne l’avait jamais dérangé.
En revanche, la gent féminine désirait toujours tout savoir, avait-il constaté
maintes et maintes fois.
Avant Sarah, il avait connu d’autres femmes, bien sûr. Mais sans jamais se
confier à aucune. Aussi avait-il pris l’habitude de ne pas parler de lui-même
ou de sujets intimes. Sarah avait semblé comprendre sa réserve. Au début, en
tout cas. Mais elle avait changé et le pressait maintenant d’aborder le domaine
auquel il évitait de penser : le passé…
— La vérité, déclara-t-il, avec l’impression de se jeter à l’eau, c’est que je
t’ai épousée parce que je voulais t’avoir toute à moi, vingt-quatre heures sur
vingt-quatre et sept jours sur sept. J’ignorais la cause de ta méfiance envers
les hommes, mais je voyais bien que tu n’accepterais pas de vivre avec moi,
ni de devenir ma maîtresse. Alors, le mariage m’a semblé la seule solution et
j’ai voulu t’épouser le plus tôt possible. Je te l’ai dit : j’étais fou de toi, Sarah.
Je n’avais jamais ressenti rien de tel envers une autre femme.
Il s’interrompit un instant avant d’ajouter :
— Et pour être franc avec toi, j’ai vécu une période d’abstinence qui a
duré un certain temps, après avoir découvert la vérité concernant ma mère.
— Comment cela, la vérité sur ta mère ? fit Sarah, l’air suffoquée.
— Elle n’est pas morte quand j’étais tout petit. Et elle n’était pas non plus
mariée avec mon père. C’était une femme facile qu’il avait rencontrée à un
moment où il avait de l’argent. Leur aventure s’est terminée dès qu’il a été
fauché et mon père est reparti pour l’Outback, sans savoir qu’il laissait un peu
de lui-même derrière lui. Enfin, pour résumer, disons que deux ans plus tard,
après avoir découvert des opales noires, il a cherché à retrouver son ancienne
maîtresse. Elle vivait dans une communauté hippie, à l’époque, établie près
d’une plage, en Nouvelle-Galles du Sud. Imagine un peu sa surprise quand il
est tombé sur un petit bambin qui était son portrait tout craché ! Et qui se
baladait tout seul et à moitié nu, pendant que sa mère fumait tranquillement
un joint.
— Ça alors ! s’exclama Sarah, les yeux ronds. Et qu’a fait ton père ?
— Il a donné de l’argent à son ex et est reparti avec moi.
— Elle n’a pas tenté de te garder ?
— Non. Elle a dit au contraire qu’elle était ravie d’être débarrassée de
moi, parce que j’étais un sale morveux qui lui rendait la vie impossible et
qu’elle ne voulait plus jamais me revoir.
— Oh ! Scott, murmura Sarah, le cœur serré.
— Pas la peine d’être désolée pour moi, répliqua-t-il d’un ton détaché. Je
ne me souviens pas d’elle et elle ne m’a jamais manqué. En revanche,
j’adorais mon père ! Il était vraiment fantastique. Peu conventionnel, c’est
vrai, mais il m’aimait profondément. Il ne m’a dit la vérité concernant ma
mère que lorsque j’ai été assez mûr pour la supporter.
Elle battit des paupières pour refouler ses larmes.
— Il y a quelques années, poursuivit Scott, j’ai à mon tour cherché à la
retrouver. Plus par curiosité que par besoin. Mais elle était décédée dix ans
plus tôt, sans doute après avoir abusé de drogues diverses. Le plus drôle, dans
l’histoire — j’ai eu l’occasion de rencontrer un vieux junkie qui l’avait bien
connue et qui m’a parlé d’elle —, c’est qu’après mon départ, elle n’a plus
jamais été la même. Comme si toute vie s’était retirée d’elle, m’a-t-il dit.
Alors, elle m’aimait peut-être, au fond. À sa façon.
— J’en suis sûre, déclara Sarah avec chaleur.
— Bon, assez avec les vieux souvenirs, maintenant ! s’exclama-t-il d’un
ton un peu brusque. Revenons au présent et, puisque tu ne veux pas boire
d’alcool, inutile de te demander si tu souhaites prendre un dernier verre.
Il se leva en repoussant sa chaise en arrière.
— On y va ?
Sarah ne demanda pas où. La lueur dans les yeux de Scott était plus
qu’éloquente…
Les joues en feu, elle tenta de refouler les images torrides qui défilaient
dans son esprit, mais en vain.
— Essaierais-tu de me séduire, Scott ?
— La question est plutôt de savoir si j’ai des chances d’y parvenir,
répliqua-t-il, le regard étincelant de reflets argentés.
— Oui, dit-elle d’une voix rauque.
À quoi bon nier qu’elle se consumait de désir pour lui ? Qu’elle brûlait de
sentir ses mains, ses lèvres, sa langue partout sur elle ?
— Allons-y, alors.
— D’accord, mais je ne rentre pas à l’appartement avec toi, Scott. Pas
encore.
— Je ne te l’ai pas demandé. La maison de Cory fera l’affaire pour cette
nuit.
— Il a peut-être ramené quelqu’un chez lui, dit-elle, se raccrochant à ce
dernier prétexte.
— C’est peu probable, vu qu’il passe le week-end à Melbourne.
Un petit halètement échappa à Sarah.
— Comment le sais-tu ?
— Il me l’a dit lui-même cet après-midi, dans un SMS. Envoyé sans te
demander ton avis, j’ai l’impression…
— Je vais le tuer ! gronda-t-elle entre ses dents.
— Personnellement, je serais prêt à l’embrasser.
— Vraiment ? fit-elle en haussant un sourcil. Aurais-tu viré de bord…
— Aucun risque de ce côté-là, répliqua-t-il avec un sourire en coin. Je
suis toujours hétéro à cent pour cent, même si mon épouse a tendance à
négliger ses devoirs conjugaux, ces temps-ci.
À ces mots, Sarah ne put s’empêcher d’éclater de rire.
— Si vous êtes à deux contre moi, je n’ai aucune chance !
— En effet. Je demande l’addition et on s’en va.
— Je vais me laver les mains d’abord.
— Très bien. Je t’attends. Mais je te ne te conseille pas de filer par la
fenêtre… parce que je te retrouverai, de toute façon.
Sans se donner la peine de répondre, Sarah se leva et s’éloigna de leur
table, les jambes un peu tremblantes.
Dans les toilettes des dames, elle préféra ne pas se regarder dans le haut
miroir, de crainte de se voir sous les traits de sa mère. Elle lui ressemblait
physiquement, certes, mais elle refusait farouchement d’être aussi faible et
misérable que la pauvre créature qui avait terminé sa vie de façon si tragique.
Non, je ne serai pas comme elle, se promit Sarah en quittant les toilettes.
Jamais !
Scott l’attendait, debout à côté de leur table ; l’addition était réglée. Sans
dire un mot, il posa la main sur ses reins et l’entraîna hors du restaurant, puis
s’avança vers le petit parking réservé aux clients.
Elle se laissa guider en silence, la chaleur de ses doigts faisant naître des
frissons délicieux qui se propageaient dans tout son corps.
Durant le trajet de retour, ils n’échangèrent pas une parole et Sarah ne
tourna pas une seule fois les yeux vers lui. Cette fois, Scott put se garer sans
problème à proximité de la maison de Cory.
— Il fait un peu frais, ici, dit-il quand ils furent entrés dans le hall.
— Cory n’a pas encore fait installer le chauffage central, expliqua Sarah.
Les travaux de rénovation ont été retardés. Mais il y a un petit radiateur
électrique très efficace, dans le salon.
— Et un grand sofa, ajouta Scott en la suivant.
Soudain, il l’enlaça, puis la fit tourner dans ses bras avant de l’embrasser
sans lui laisser le temps de protester. Ce ne fut pas un baiser tendre, mais une
prise de possession farouche, affamée, qui témoignait du manque qu’ils
avaient ressenti tous deux durant la semaine passée.
Sarah accueillit la langue gourmande avec avidité, la caressant avec la
sienne. Et, lorsque Scott redressa soudain la tête, elle gémit.
— Ne t’inquiète pas, murmura-t-il. Cela ne fait que commencer.
Se dégageant de son étreinte, elle alluma le radiateur et prit des coussins
sur le sofa, qu’elle posa l’un à côté de l’autre sur l’épais tapis.
— Bonne idée, dit-il en ôtant sa veste.
Un petit rire sexy franchit les lèvres de Scott tandis qu’il faisait passer sa
chemise par-dessus sa tête, dévoilant son torse magnifique. Incapable de
résister à la tentation, Sarah pencha la tête pour lécher un mamelon plat.
— Tu es devenue une vraie femelle, murmura-t-il en la laissant faire. Et je
t’aime encore plus quand tu es comme ça…
Sarah redressa aussitôt la tête.
— Ce n’est pas de l’amour, Scott. Juste du désir…
— Chacun son opinion, ma chérie. Pour te dire la vérité, je me fiche
complètement de ce que c’est, pour l’instant. Mais je sais que si je ne te
prends pas maintenant, je risque d’exploser.
Joignant le geste à la parole, il la déshabilla en quelques secondes avant
de l’allonger sur le tapis, puis acheva de se dévêtir en la dévorant des yeux.
Son mari était la virilité incarnée, songea Sarah en retenant son souffle.
Son corps superbe l’excitait au plus haut point. Elle brûlait de le sentir sur
elle, en elle. Chaque fois, c’était le même miracle, le même émerveillement.
Quand il la pénétra… elle ferma les yeux. Tout se déroula très vite.
Comme la dernière fois. Ce fut aussi éblouissant, aussi fulgurant. Ils jouirent
ensemble en gémissant, tremblant de tout leur corps tandis qu’ils
s’abandonnaient tous deux à l’extase.
— Incroyable… murmura Scott en roulant sur le côté. Quand j’aurai
repris mon souffle, nous irons prendre une douche et je te montrerai quelques
trucs intéressants…
— Vraiment ? fit-elle d’une voix rauque.
— Oui, vraiment. À moins que tu préfères revenir à notre ancienne façon
de faire l’amour ? Sous la couette et toutes lampes éteintes ?
Un frisson désagréable parcourut Sarah. Avait-elle été aussi prude ? Non,
il exagérait, pour la taquiner, comprit-elle en voyant une lueur malicieuse
briller au fond des beaux yeux gris.
— J’aime ça, quand tu me regardes ainsi, dit-il soudain en lui repoussant
une mèche qui tombait sur sa joue. Mais, franchement, tu ne devrais plus
m’en vouloir pour ce qui s’est passé vendredi dernier. C’était fantastique. Tu
étais fantastique. Adorablement coquine, et très sensuelle…
— Et toi, tu étais plus que coquin ! riposta-t-elle d’un ton faussement
sévère.
En réalité, elle avait adoré tout ce que Scott lui avait fait ce soir-là — et
elle était impatiente de découvrir ces trucs intéressants…
— Pour ton plus grand plaisir, reconnais-le ! répliqua-t-il en plissant les
yeux.
Il se redressa d’un mouvement leste et lui tendit les mains pour l’aider à
se relever.
— Trêve de bavardages ! reprit-il en l’attirant vers lui. À la douche !
14.
Scott regarda les magnifiques yeux bleus s’agrandir, les pupilles se
dilater… Seigneur, cette nouvelle Sarah, follement sexy, le fascinait plus
encore que la vierge timide qu’il avait épousée. Tout un univers érotique
s’ouvrait à eux. Leurs ébats allaient devenir toujours plus délectables, plus
passionnés. Car il refusait de croire que sa femme ne reviendrait pas. Qu’elle
pourrait le quitter. Il l’avait blessée, il s’en rendait bien compte, mais elle
finirait par lui pardonner.
Le contraire était impossible. Impensable, se répéta-t-il en ouvrant à fond
les robinets de la douche.
* * *
Une fois que Scott eut refermé la paroi transparente derrière eux, Sarah
tressaillit en sentant l’eau chaude ruisseler sur sa peau nue.
Pas vraiment conçue pour deux, cette douche… Il y avait à peine assez de
place pour lever le bras, constata-t-elle en voulant repousser une mèche
derrière son oreille.
De toute façon, elle n’eut pas le temps d’achever son geste car Scott la fit
soudain pivoter contre lui, si bien qu’elle se retrouva le dos collé à son torse
musclé, la puissante érection pressée contre ses fesses.
— Passe-moi le savon, ordonna-t-il.
D’une main tremblante, elle prit le pain parfumé au jasmin et le lui tendit.
Et quand il se mit à le faire glisser entre ses seins, sur ses seins, elle laissa
échapper un halètement. C’était divin !
— Tu aimes ça ? lui demanda-t-il à l’oreille.
— Oui…
— Parfait, je continue…
Lentement, il fit descendre le savon sur son ventre tandis que Sarah
retenait son souffle. S’il infligeait le même traitement exquis à la partie la plus
intime de son corps, elle risquait de jouir sur-le-champ… Mais, de façon
surprenante, ce ne fut pas le cas. Évitant avec soin le cœur de sa féminité,
Scott se concentra sur les zones moins sensibles. Ce qui n’empêcha pas le
plaisir de monter en elle, ni ses muscles intimes de frémir, palpiter, s’ouvrir…
— Encore…
Les ondes de volupté la parcouraient tout entière, la marée menaça de
l’emporter lorsque Scott la fit de nouveau tourner dans ses bras.
— Maintenant, fais-moi la même chose, ordonna-t-il en lui tendant le
savon.
Puis il s’appuya le dos au mur pavé pour lui permettre d’obéir à son ordre.
Ce que Sarah s’empressa de faire, avec le plus grand zèle.
Elle répéta tous les gestes de Scott, lui passa le savon sur la poitrine, se
concentra sur les mamelons foncés. Les pointes se durcirent et, à en juger par
les sons rauques qui franchissaient les lèvres de Scott, il appréciait la façon
dont elle exécutait sa tâche.
Laissant descendre les doigts sur les abdominaux fermes comme un roc,
Sarah atteignit l’extrémité du membre viril dressé fièrement. Quand elle
l’effleura avec le savon couvert de mousse, Scott poussa un soupir et lui prit
le poignet pour l’empêcher d’aller plus loin.
— Tu en as assez ? demanda-t-elle avec malice.
— Oui, répondit-il en tournant les robinets au maximum pour les rincer
tous les deux.
— Dommage. J’en avais très envie…
Il poussa la porte vitrée d’un geste brusque.
— Moi aussi…, répliqua-t-il sans se retourner.
Il lui tendit une serviette et en prit une autre.
— … mais j’ai d’autres idées en tête pour l’instant, poursuivit-il en se
frottant vigoureusement le dos.
Sarah se mit à trembler. De pur désir.
— On revient au salon ? fit Scott avec un sourire dévastateur.
Et plein de promesses…
Dans la grande pièce jouxtant la chambre de Cory, une douce chaleur
régnait, à présent. Sans perdre de temps, Scott s’allongea sur le tapis en
entraînant Sarah.
Il était très grand, mais il se mouvait avec une légèreté qui l’avait toujours
stupéfiée. Avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir, il se laissa couler contre
elle, sa bouche experte remplaçant le savon. Mais, cette fois, il ne s’attarda
pas sur ses seins et referma bientôt les lèvres sur son clitoris gonflé. Quand il
se mit à le lécher, à le sucer, Sarah ne put résister à la volupté qui déferla en
elle.
Un cri lui échappa. Elle ne voulait pas jouir maintenant. Elle aurait
préféré savourer son plaisir plus longtemps…
Sans se préoccuper de ses états d’âme, Scott remonta contre elle et
s’occupa de ses seins, en léchant savamment les pointes avant de les aspirer
entre ses lèvres. Sarah sentit aussitôt le désir renaître, encore plus puissant.
Il reprit alors sa bouche avec passion. Le baiser dura longtemps, intense,
lent, raffiné. D’une intimité troublante que Sarah trouva incroyablement
érotique et émouvante à la fois.
Il ne s’agissait pas seulement de désir, de plaisir sexuel, réalisa-t-elle
soudain. C’était de l’amour, profond, sincère et éternel, qu’ils partageaient.
Comment ne l’avait-elle pas compris plus tôt ?
Lorsqu’il écarta son visage du sien, elle le regarda dans les yeux.
— Je t’aime vraiment, tu sais, murmura-t-elle contre ses lèvres.
— Je sais, répliqua-t-il avec un petit sourire moqueur.
— Et tu ne me dis pas que tu m’aimes aussi ?
— Je ne te l’ai pas déjà suffisamment répété ? Combien de fois dois-je te
le prouver ?
La belle lueur chaude éclaira ses yeux gris.
— Moi aussi, je t’aime.
Sarah lui sourit tandis qu’une joie immense se déployait dans son cœur.
Ensemble, ils faisaient vraiment l’amour.
Quand elle se redressa avant de se pencher vers son impressionnante
érection, elle entendit une plainte surprise et ravie, et fut saisie d’un sentiment
de puissance extraordinaire. Elle détenait le pouvoir de lui procurer du plaisir.
Elle et elle seule. De la même façon qu’elle lui appartenait.
Doucement, elle passa le bout de la langue sur l’extrémité du membre
excité puis le prit dans sa bouche. Peu à peu, elle l’aspira entre ses lèvres, de
plus en plus profondément. Mais elle sentit la résistance de Scott, qui refusait
toujours de s’abandonner…
Jusqu’à ce qu’il renonce à tout contrôle et se laisse emporter par la
jouissance en s’agrippant à ses cheveux.
Sarah eut alors l’impression de remporter une victoire. Sur son mari, mais
aussi sur elle-même.
15.
Un quart d’heure plus tard, Scott subissait une nouvelle torture exquise.
Sarah avait insisté pour s’installer sur lui et, à la voir le chevaucher ainsi, il se
sentait en proie à des sensations inouïes, vertigineuses.
À ce rythme-là, il ne tiendrait pas longtemps…
— Sarah…
— Excuse-moi. Je t’ai fait mal ?
— Tu me tues. Arrête un peu de bouger et parle-moi. D’accord ?
— Tu n’aimes pas parler, surtout en faisant l’amour.
— Eh bien, j’en ai envie, cette fois-ci.
Elle laissa échapper un soupir exaspéré.
Qu’elle était belle, installée ainsi à califourchon sur lui ! Il adorait la
regarder. Il ne s’en lasserait jamais. Lentement, il promena son regard sur les
fines épaules, les petits seins ronds haut perchés, la taille mince, les hanches
galbées, et cette zone ravissante entre ses cuisses, où elle l’emprisonnait dans
sa délicieuse moiteur de femme.
Seigneur, mieux ne valait pas penser à cela…
— Arrête de bouger et parle-moi ! ordonna-t-il d’une voix rauque.
— D’accord, fit-elle en levant les bras.
Elle entreprit alors de rassembler ses cheveux sur le dessus de la tête,
faisant ressortir ses seins aux mamelons dressés. Et quand, dans le
mouvement, elle souleva légèrement les fesses, Scott réprima à grand-peine
un gémissement.
— De quoi veux-tu que je te parle ? reprit-elle en laissant retomber ses
bras.
— Raconte-moi comment tu as rencontré Cory.
— Cory ? répéta-t-elle, l’air perplexe.
Scott n’avait jamais été jaloux du jeune architecte, qu’il trouvait très
charmant. Mais, tout à coup, il avait envie de savoir comment était née leur
amitié.
— Mais je t’ai déjà tout raconté ! Nous nous sommes connus à
l’université et nous avons… nous avons découvert que nous avions des tas de
choses en commun. Nous aimions les mêmes livres, les mêmes films…
— J’ai l’impression qu’à un certain stade, vous avez été plus qu’amis…
Je me trompe ?
Une roseur coupable envahit les joues de Sarah.
— Plus de secrets, insista Scott. C’est toi qui l’as dit…
— D’accord, d’accord, soupira-t-elle. Eh bien, au début, il me faisait
fantasmer, je l’avoue. Cory était très beau garçon — il l’est toujours,
d’ailleurs — et, à ce moment-là, je crois que mes hormones en avaient assez
d’être ignorées. Alors, quand il m’a invitée à dîner un soir, j’ai accepté.
Ensuite, il m’a proposé d’aller chez lui — il habitait dans un tout petit
appartement, à l’époque —,
et j’ai dit oui.
— Tu ne savais pas qu’il était homo ?
— Pas du tout. Il semblait aussi attiré par moi que je l’étais par lui.
— Alors, que s’est-il passé, dans ce tout petit appartement ?
— Pas grand-chose. Nous avons échangé quelques baisers.
— C’était bien ? Pour toi, je veux dire.
— Oui. Enfin, je le pensais.
Elle sourit en plissant les yeux.
— Je n’avais pas encore goûté à tes baisers, à l’époque. Avec le recul, je
dirais qu’embrasser Cory, c’était comme boire de l’eau minérale. Alors
qu’avec toi, c’est déguster le meilleur champagne…
Scott s’efforça de ne pas se rengorger, mais ne put empêcher son orgueil
mâle de s’exprimer.
— Et après ? demanda-t-il.
— Nous sommes allés dans sa chambre et nous avons commencé à nous
déshabiller.
— Oui, et ensuite ?
— Il a craqué et dit qu’il était désolé, mais qu’il ne pouvait pas aller plus
loin. Il m’a avoué qu’il était homo et qu’il avait peur que ses parents le
détestent s’ils l’apprenaient, et que, s’ils le rejetaient, il ne pourrait pas le
supporter. Que sa vie en serait anéantie. Il m’a expliqué qu’il avait pensé que
s’il y avait une fille capable de le faire virer de bord, c’était moi, mais qu’il
s’était trompé.
— Eh bien… Drôle de situation, non ? Et comment s’est terminée la
soirée ?
— J’avais envie de pleurer, mais Cory était tellement effondré que je l’ai
pris dans mes bras et ai tenté de le réconforter. Je lui ai dit que j’irais voir ses
parents avec lui, qu’il se faisait des idées, que, s’ils l’aimaient, ils
comprendraient et ne le rejetteraient pas.
— Tu l’as fait ?
— Bien sûr ! Je ne fais pas de promesses en l’air, protesta-t-elle en
fronçant les sourcils. Nous sommes allés chez eux dès le lendemain et cela
s’est bien passé. Non seulement ses parents ont très bien pris la chose, mais
encore ils ont dit qu’ils s’en doutaient depuis longtemps. Finalement, j’ai
passé toute la journée chez eux, à bavarder avec les deux jeunes sœurs de
Cory. Depuis ce jour-là, nous sommes tous restés amis et je vais de temps en
temps les voir.
— Et qu’est-il arrivé à tes hormones, après cette drôle d’expérience ?
Elles ont dû avoir du mal à se calmer, non ?
— Comme tu dis ! Mais je n’étais toujours pas prête à coucher avec
n’importe qui. Je voulais rencontrer un homme qui m’attire et en qui je puisse
avoir confiance. J’ai vraiment cherché, je t’assure, mais je n’ai trouvé
personne qui me convienne. Jusqu’au jour où tu es apparu dans ma vie…
Scott sentit la tête lui tourner — et sa libido se manifester.
— Je n’arrive toujours pas à comprendre comment tu as pu me trouver
séduisant. Une horrible grande brute comme moi…
Quand elle lui décocha son sourire de Joconde, il dut faire un effort pour
se contrôler.
— Tu es loin d’être horrible et tu le sais très bien. Mais si tu veux
l’entière vérité, je ne sais pas non plus pourquoi j’ai eu le coup de foudre pour
toi. Tu ne ressemblais en rien à l’image que je m’étais faite de mon premier
amant. Tu étais trop grand, trop âgé et bien trop intimidant. Tout ce que je
sais, c’est que je t’ai désiré dès l’instant où je t’ai vu.
— Et c’était réciproque, répliqua-t-il d’une voix rauque. Mais assez parlé,
maintenant. J’ai retrouvé suffisamment de contrôle pour reprendre les choses
là où nous les avons laissées. Fais ce que tu veux… Je suis tout à toi…
— Avec le plus grand plaisir, murmura-t-elle en reprenant aussitôt son
ensorcelant manège.
Scott serra la mâchoire à fond, bien résolu à tenir bon, cette fois-ci.
* * *
Quand il se réveilla, le jour n’était pas encore levé. Et il avait un peu mal
au dos car le tapis n’était pas très épais. Les jours où il dormait à la dure dans
l’Outback étaient loin… Il s’était habitué au confort, depuis.
Prenant soin de ne pas réveiller Sarah, il repoussa les cheveux du beau
front lisse. Cette nuit brûlante avait prouvé à quel point ils s’aimaient. Ce
qu’ils avaient partagé avait presque été au-delà de l’amour.
Vivre sans elle aurait été impossible.
De toute façon, cela n’arriverait pas ; Scott avait repris confiance en
l’avenir. Tout finirait par s’arranger, même s’il devait encore se montrer
patient. Car il pressentait que Sarah ne renoncerait pas au délai qu’elle avait
fixé. Mais maintenant qu’il avait retrouvé de l’espoir, il ne craignait plus la
nouvelle semaine de séparation qui l’attendait.
Dans l’immédiat, il fallait quitter cette couche inconfortable et terminer la
nuit dans un vrai lit. Pas celui de la chambre du rez-de-chaussée, c’était celle
de Cory. Sarah avait dû s’installer dans la chambre d’amis.
Usant de précautions infinies, Scott parvint à la transporter à l’étage sans
la réveiller. Elle se contenta de remuer légèrement dans son sommeil en
enfouissant le visage dans son cou.
Il trouva la chambre d’amis dans un désordre inouï et le lit recouvert de
vêtements. En plus, il y faisait froid. Après avoir réussi à glisser Sarah sous la
couette, il empila rapidement les vêtements dans le fauteuil et s’allongea à
côté d’elle. Aussitôt, elle se blottit contre lui tandis qu’il se repaissait de sa
délicieuse chaleur de femme. S’il n’avait pas été aussi fatigué, il l’aurait
réveillée par des caresses. Mais ils avaient fait l’amour encore et encore avant
de s’endormir dans les bras l’un de l’autre, et il était épuisé…
16.
Réveillée en sursaut par quelqu’un qui lui secouait l’épaule, Sarah ouvrit
brusquement les yeux et croisa le regard furieux de Scott.
Après s’être redressé, il resta immobile à côté du lit, une serviette de
toilette blanche lui ceignant les hanches, les cheveux humides… et le test de
grossesse à la main.
— Je…, balbutia-t-elle après avoir dégluti avec peine.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? l’interrompit-il en agitant la boîte devant
les yeux de Sarah.
La nausée lui monta aux lèvres. Une fois de plus, il avait tiré les pires
conclusions.
— Un test de grossesse, répondit-elle, d’un ton faussement détaché.
Intérieurement, elle tremblait comme une feuille.
— Sans blague ! dit-il en fronçant les sourcils d’un air menaçant. Je sais
lire, Sarah. Et comme cette chose ne peut pas appartenir à Cory, j’en déduis
que c’est toi qui l’as achetée. Tu peux m’expliquer pourquoi ? Tu as oublié de
prendre ta pilule un soir, c’est cela ?
— Oui et non, dit Sarah en se redressant dans le lit.
Elle serra la couette sur son buste.
— Je veux dire que j’ai oublié, en effet, mais pas qu’une fois. En fait, cela
fait un moment que je ne la prends plus.
Son regard s’assombrit dangereusement.
— Et pourquoi, s’il te plaît ?
Inutile de biaiser. Le moment était venu de lui dire toute la vérité.
— Par négligence ou par étourderie, reconnut-elle. Je ne sais pas
exactement. Je ne m’en suis rendu compte que lundi dernier, lorsque tu y as
fait allusion. Tu t’en souviens ? Tu as dit que tu étais soulagé que je prenne la
pilule. J’ai failli m’évanouir. Tu ne peux pas t’imaginer à quel point j’ai été
choquée par mon inconséquence. En plus, je n’étais pas vraiment ravie à la
pensée que nous avions peut-être conçu un enfant dans un accès de rage et de
jalousie. Ou au cours de la folle étreinte à laquelle nous venions de nous
livrer. Mais ça aurait sans doute été préférable. Ensuite, je me suis résolue à
attendre la fin de mon cycle pour en avoir le cœur net.
— Et tu ne sais toujours pas où tu en es, si je comprends bien ? répliqua
Scott en baissant les yeux sur le test qu’il tenait encore dans la main.
— Non. Il est encore trop tôt pour savoir si je suis enceinte ou pas. J’ai
acheté ce test sur un coup de tête. La généraliste a dit que je devais attendre
au moins une semaine pour avoir un résultat fiable.
— Je suppose que c’est cette même généraliste qui t’a prescrit des
antibiotiques, pour lutter contre ta prétendue sinusite ! lança-t-il d’un ton
ironique.
— Il fallait bien que je trouve un prétexte pour ne pas boire de champagne
alors que j’adore ça ! s’exclama Sarah, les joues en feu.
— Pas mal. J’avoue que je n’y ai vu que du feu. Mais tu aurais dû me dire
la vérité, Sarah, dit-il, le regard dur. Je peux presque comprendre que tu ne
m’en aies pas parlé lundi, parce que tu étais encore furieuse contre moi. Mais
j’ai du mal à te pardonner de me l’avoir caché hier soir. Quand je pense à ton
beau discours sur la franchise et la confiance… Je commence à croire que tu
avais raison en disant qu’il n’y avait que du désir physique entre nous. De ta
part, du moins.
La froideur de sa voix fit tressaillir Sarah.
— Essaie de te mettre à ma place, protesta-t-elle. Je ne t’en ai pas parlé
parce que je ne voulais pas que tu te serves d’une hypothétique grossesse pour
me forcer à revenir avant que je n’y sois prête.
Elle regretta aussitôt ses paroles. Le regard de Scott s’étrécit, une moue de
dégoût se forma sur ses lèvres.
— Parce que ça aurait été un crime, n’est-ce pas ? lui jeta-t-il d’un ton
cinglant. Mon Dieu, quelle horreur ! Comment un homme pourrait-il
demander à sa femme de renouer avec lui au prétexte qu’elle porte peut-être
son enfant ? Quelle abomination ! Quel scandale ! Eh bien, tu n’as plus
aucune inquiétude à te faire, Sarah. Parce que je n’ai plus envie que tu
reviennes, finalement. Si tu es enceinte, je réfléchirai peut-être à la question.
Mais, dans l’immédiat, je ne supporte même pas de te regarder. Alors, je fiche
le camp ! Tout de suite !
Après avoir jeté le test sur le lit, il tourna les talons et sortit de la chambre
en claquant la porte.
Stupéfaite par la tournure qu’avaient prise les événements, Sarah resta
immobile, le cœur battant à tout rompre, le dos et les épaules raides, tandis
qu’elle entendait Scott dévaler les marches.
Je ne peux pas le laisser partir comme ça. Je dois lui faire comprendre
que je l’aime vraiment et que je suis tout à fait consciente que j’ai eu tort de
lui mentir. Que je suis désolée. Terriblement désolée de lui avoir caché que
j’avais oublié de prendre la pilule et que j’étais peut-être enceinte.
Les larmes coulant sur ses joues, elle bondit au bas du lit et courut vers
l’escalier qu’elle descendit quatre à quatre.
— Va-t’en, Sarah ! lança-t-il sans la regarder.
Il avait déjà enfilé son pantalon et sa chemise.
— Non ! fit-elle d’une voix étranglée. Je ne m’en irai pas ! Pas tant que tu
ne m’auras pas écoutée, Scott.
Il se retourna enfin vers elle, les doigts crispés sur son col de chemise.
— Ce que tu as à dire ne m’intéresse pas.
— Scott, je t’en supplie…
Sarah s’essuya les joues à la hâte.
— Je suis désolée.
Les trois mots avaient jailli dans un sanglot ; elle tremblait de tout son
corps.
— Ne pars pas, Scott. Je t’en supplie. Je t’aime. Je t’ai toujours aimé. Je
regrette sincèrement de ne pas t’avoir parlé de cette histoire de pilule. Je ne
l’ai pas fait parce que j’ai eu peur.
— Peur de quoi ?
— D’être comme ma mère. De faire comme elle. De ne jamais savoir si tu
m’aimais vraiment, ou si tu restais avec moi uniquement parce que je portais
ton enfant.
Le visage de Scott se radoucit d’un coup.
— Seigneur, comment as-tu pu penser une chose pareille, Sarah ? Ce
serait formidable d’avoir un enfant, mais je ne t’en aimerais pas davantage, ni
moins. Cela ne changerait rien, tu m’entends ? C’est toi que j’ai épousée,
Sarah. Toi.
Les yeux brillants, il s’avança vers elle et la prit tendrement dans ses bras,
la réchauffant de son corps.
— Je crois qu’il est temps de te ramener à la maison, murmura-t-il en lui
caressant les cheveux. Qu’est-ce que tu en penses, ma chérie ?
— Oui, tu as raison, chuchota-t-elle à travers ses larmes.
Il la serra contre lui.
— Tout ira bien, maintenant. Je te le promets.
17.
Comment avait-elle pu caser toutes ses affaires dans sa minuscule
voiture ? se demanda Scott en la voyant arriver, une pile de boîtes de
chaussures dans les bras. Heureusement qu’il avait pu trouver une place pour
se garer juste devant chez Cory.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquit-il en la voyant froncer les sourcils, tu as
oublié quelque chose ?
Après lui avoir tendu les boîtes, elle fit demi-tour et repartit en courant.
— Oui, je reviens tout de suite ! lança-t-elle par-dessus son épaule.
— OK. Je t’attends.
Quand elle réapparut avec le test de grossesse, Scott ne put s’empêcher de
frémir. Il avait bien failli saboter toute chance de réconciliation, lorsqu’il avait
découvert cette fichue boîte sur l’étagère de la salle de bains…
Soudain, il fut soulagé qu’ils aient chacun sa voiture. Il pourrait réfléchir
tranquillement.
Cela ne lui ressemblait pas de perdre tout contrôle comme il l’avait fait ce
matin-là. D’ordinaire, il se targuait au contraire de garder son calme en toutes
circonstances et de ne jamais élever la voix ni se laisser aller à la violence, ne
serait-ce que verbale. Sauf si on le poussait à bout.
Mais depuis l’arrivée de cet odieux MMS, ses nerfs avaient été mis à rude
épreuve… Notamment lorsqu’il était allé voir Leighton à son bureau. Ensuite,
quand il avait compris que Sarah lui avait menti, il avait vu rouge. Surtout
après sa grande tirade sur la franchise de la veille…
Avec le recul, Scott comprenait néanmoins pourquoi Sarah ne lui avait
pas parlé de son éventuelle grossesse. Et qu’elle ait été inquiète à l’idée qu’un
bébé avait peut-être été conçu alors qu’ils étaient tous deux en proie à un
mélange trouble d’émotions. Mais ensuite, elle aurait dû tout lui dire, au lieu
d’inventer cette histoire de sinusite et d’antibiotiques !
Un petit rire lui échappa. Elle avait beaucoup d’imagination… Un jour,
elle défendrait des causes difficiles avec brio, il n’en doutait pas un instant. Et
elle ferait une mère fantastique. À supposer qu’elle soit enceinte, bien sûr.
Mais si elle ne l’était pas cette fois-ci, elle le serait plus tard. Ce n’était
qu’une question de temps.
De son côté, Scott se voyait très bien père. D’autant qu’il avait eu la
chance d’avoir grandi avec un très bon exemple sous les yeux.
Finalement, plus il repensait à tout cela, et plus il était content que Sarah
ait oublié de prendre sa pilule. Avoir un enfant leur ferait du bien à tous les
deux. Ils avaient toujours envisagé de fonder une famille un jour. Une fois que
la carrière de Sarah serait lancée et qu’elle se sentirait prête à devenir mère.
Peut-être était-ce aussi pour cette raison qu’elle avait paniqué. Parce
qu’elle ne s’y sentait pas encore prête. Ou parce qu’elle ne le croyait pas prêt
à devenir père. Ce qui était tout à fait compréhensible, vu qu’il s’absentait
souvent pour ses affaires. Il avait négligé Sarah, il s’en rendait très bien
compte. Et leur union. Alors, ce n’était pas étonnant qu’elle ait craint qu’il
n’entretienne une liaison avec Cleo. En fait, elle avait dû avoir très peur pour
leur mariage.
Scott soupira. Il devrait peut-être lui parler de tout cela. Reconnaître ses
erreurs et la rassurer en lui promettant d’être plus présent. Lui faire
comprendre qu’il se sentait prêt à changer. Qu’il le désirait. Et que, si elle
était bel et bien enceinte, il serait le plus heureux des hommes.
Mais il devrait s’y prendre habilement pour aborder le sujet, afin qu’elle
n’ait pas l’impression qu’il se forçait à quoi que ce soit.
Arrivé avant Sarah à l’appartement, il redescendit pour l’aider à décharger
sa voiture, et l’occasion de lui parler se présenta toute seule. Grâce au fameux
test de grossesse, jeté sur le siège côté passager.
Après l’avoir pris, Scott commença à lire le descriptif imprimé sur la
boîte.
— Il est précisé qu’il s’agit d’un test très sensible, capable de détecter une
grossesse à un stade très précoce, dit-il d’un ton détaché.
Sarah lui prit la boîte des mains en soupirant.
— Oui, je sais. La vendeuse à qui j’ai eu affaire à la pharmacie m’a
expliqué que c’était le meilleur. Mais la généraliste a bien dit que si je le
faisais avant la date présumée de mes prochaines règles, le résultat pourrait
s’avérer faussement négatif.
— Pas forcément, répliqua Scott avec calme. Et si j’ai bien compris, tu ne
sais pas quand elles devraient arriver. Ton système hormonal doit être
chamboulé, alors tu devrais peut-être le faire, ce test. On verra bien.
Une expression inquiète envahit ses traits fins.
— Non, Scott. Je ne peux pas m’empêcher de penser à notre horrible
dispute de la semaine dernière. Et si j’étais tombée enceinte le vendredi soir ?
Alors que tu étais fou furieux contre moi ? Je préfère attendre. J’aimerais
mieux être dans une meilleure disposition d’esprit pour le faire.
— Je comprends ton attitude, Sarah, répliqua Scott d’un ton rassurant,
mais il est peut-être temps que tu repenses différemment à ce qui s’est passé
vendredi soir. Nous avons eu peur tous les deux. Nous avons douté l’un de
l’autre et chacun a voulu montrer son désir de possession, d’une façon aussi
vieille que le monde : le sexe. Je te rappelle que je ne t’ai forcée à rien, Sarah.
Tu t’es soumise de ton plein gré, et avec passion, à toutes mes demandes.
Elle plissa le front, l’air songeur.
— Oui, c’est vrai, reconnut-elle. J’avais été profondément ébranlée par
l’éventualité que tu entretiennes une liaison avec Cleo.
— Et moi, que crois-tu que j’aie ressenti en découvrant ces photos ?
répliqua-t-il avec calme.
— Elles étaient sacrément compromettantes… reconnut-elle avec une
pointe d’humour dans la voix. Cory m’a dit que n’importe quel homme aurait
réagi de la même façon, à ta place, mais j’ai refusé de l’écouter.
— Tu aurais dû, Sarah. Cory est intelligent et très sensible. Mais revenons
à ce qui s’est passé vendredi soir. Tu ne peux pas nier que c’était fabuleux.
Nous n’avions encore jamais atteint de tels sommets d’érotisme.
Quand elle rougit, il ne put retenir un sourire. Il adorait la voir se troubler
ainsi.
— Ce n’était pas mal non plus, la nuit dernière… ajouta-t-il. Et de toute
façon, même si j’ai été furieux contre toi vendredi, je n’ai jamais cessé de
t’aimer, Sarah. Jamais ! Alors, si nous avons fait un enfant ce soir-là, il aura
été conçu dans l’amour.
Quand elle fondit en larmes, Scott fut décontenancé. Ce n’était pas tout à
fait la réaction escomptée…
Réprimant une plainte, il la prit dans ses bras et la serra contre lui. Elle
continua de pleurer un peu, mais se ressaisit assez vite, puis se haussa sur la
pointe des pieds pour l’embrasser sur la joue.
Ce simple baiser l’émut profondément, l’atteignit en plein cœur. Parce
qu’il exprimait le pardon et l’amour. Un amour pur, doux, éternel.
— Merci, murmura-t-elle en souriant. Moi aussi, je t’aime. Totalement.
Et, grâce à ce que tu viens de dire, je ne suis plus du tout inquiète à la
perspective d’être peut-être enceinte.
— J’en suis ravi, Sarah, répliqua-t-il en lui rendant son sourire. Et
maintenant, je propose que nous cessions de regarder en arrière, d’accord ?
Personnellement, je suis prêt à tirer un trait sur le passé.
— Vraiment ? dit-elle en plongeant ses yeux dans les siens.
— Oui, vraiment.
— Moi aussi, je suis prête à oublier le passé, mon chéri. Et je viens de
prendre une décision.
Scott déglutit.
— Laquelle ?
— Dès que nous aurons terminé de monter mes affaires, je fais le test.
* * *
Les doigts tremblants, Sarah ouvrit la boîte et en sortit le stylet en
plastique blanc. Puis elle le contempla un long moment, regrettant à demi sa
décision. Ce bâtonnet à l’aspect inoffensif détenait un tel pouvoir…
Comment se sentait-elle, au juste ? Heureuse ? Anxieuse ? Confuse ?
Impatiente ? Un peu tout à la fois. Souhaitait-elle que le résultat soit négatif,
ou positif ?… À vrai dire, Sarah ne savait plus trop. Elle n’était certaine que
d’une seule chose : Scott l’aimait.
Se raccrochant à cette pensée, elle suivit les instructions. Mais, tandis
qu’elle attendait le verdict, une sensation très étrange l’envahit. Une sorte de
vertige lui monta à la tête, si vif qu’elle dut s’asseoir.
Quelques instants plus tard, elle se sentit mieux, constata que le temps
requis était écoulé, inspira à fond, prit le stylet… et fut assaillie par un
nouveau vertige.
* * *
Incapable de tenir en place, en proie à une tension incroyable, Scott faisait
les cent pas dans la chambre en attendant que Sarah sorte de la salle de bains.
Lorsqu’elle apparut enfin, elle avait le visage blême. Mais elle ne pleurait
pas. Elle avait seulement l’air… choquée.
— Alors ? demanda-t-il.
— Oui, murmura-t-elle en hochant la tête. Il était rose. Très rose, même.
— Fantastique ! s’exclama Scott en souriant.
— Je vais avoir un bébé, dit-elle d’une voix blanche. Un vrai bébé !
Il s’avança vers elle et la prit dans ses bras avant de tourner sur place en la
soulevant dans les airs — et en riant, ce qui ne lui était pas arrivé depuis une
éternité.
Mais quand il se rendit compte que Sarah ne riait pas, il la reposa sur ses
pieds et fouilla son regard.
— Tu es contente d’être enceinte, n’est-ce pas ? demanda-t-il d’une voix
inquiète. Tu ne t’en fais plus à cause de ce qui s’est passé vendredi dernier ?
Elle le fixa en silence, battit des paupières, puis un lent sourire se dessina
sur sa belle bouche.
— Non, je ne m’en fais plus du tout. C’est seulement que je ne pensais
pas que je me sentirais aussi… dépassée par ce qu’il m’arrive… Entre
s’imaginer enceinte et l’être vraiment, il y a un gouffre ! Je… j’espère que je
serai une bonne mère.
— Tu seras une mère merveilleuse, j’en suis certain !
— J’aimerais partager ton optimisme. Mais avoir un enfant, c’est très
sérieux… Cela va complètement changer notre vie.
— Oui, et elle sera encore plus fabuleuse, la rassura-t-il tendrement. Nous
allons former une famille, Sarah. Notre famille à nous. Ni toi ni moi n’en
avons vraiment eu et, bientôt, nous allons être père et mère d’un beau petit
gaillard.
— Comment ça, un petit gaillard ? protesta-t-elle d’un air faussement
sévère. Ce sera peut-être une adorable petite princesse. Ou les deux à la fois.
— Ça, c’est impossible, ma chérie.
— Sauf si j’attends des jumeaux…
— Encore mieux ! s’exclama Scott. De toute façon, nous l’adorerons…
ou les adorerons.
— Qu’est-ce que tu dis ? Ah, oui. Tu as sans doute raison.
— Tu as l’air toute bizarre, demanda-t-il en plissant le front. Tu te sens
bien, ma chérie ?
Elle se passa la main sur le front avant de répondre.
— Oui… Je… j’ai eu une sorte de vertige, tout à coup. Ça m’est déjà
arrivé tout à l’heure, dans la salle de bains.
— Peut-être tout simplement parce que tu n’as rien mangé ce matin. Moi
non plus, d’ailleurs. Je vais te chercher un verre de jus de fruits. Ensuite, nous
irons chez Dino pour fêter l’événement autour d’un petit déjeuner copieux.
Sarah adorait ce petit café à la mode situé non loin de leur immeuble et
qui s’appelait « Chez Dino ». L’on y servait le petit déjeuner à toute heure de
la journée, avec notamment de délicieux pancakes.
— Excellente idée ! s’exclama-t-elle en hochant la tête.
Quand Scott lui prit le coude pour l’entraîner vers la cuisine, elle
murmura :
— Des jumeaux… Tu imagines ?…
— C’est possible, répliqua-t-il. Mon père avait un jumeau.
— Non ? ! s’écria-t-elle, sidérée. Tu ne me l’avais jamais dit !
— Ah bon ? Eh bien, je te raconterai ça tout à l’heure. Quand nous serons
installés chez Dino.
18.
Par chance, l’une de leurs tables préférées était libre, en terrasse. Dès
qu’ils eurent passé leur commande, Sarah regarda son mari en haussant les
sourcils.
— Alors ?
— Comment cela, alors ?
— Tu as dit que tu allais me parler de ton père et de son jumeau.
— Ah, oui… répliqua-t-il en souriant. Ce n’étaient pas de vrais jumeaux,
en fait. Ils se ressemblaient physiquement, mais, côté caractère, ils n’avaient
rien en commun, m’a dit mon père. Son jumeau s’appelait Roger et avait une
nature rebelle, casse-cou. Il est mort à dix-huit ans, dans un accident de moto.
— C’est triste. Mais ils n’étaient pas si différents que cela, question
caractère, fit remarquer Sarah. Ton père n’était pas non plus quelqu’un de
conventionnel, d’après ce que tu m’as raconté.
— Non, effectivement. Mais ce n’était pas une tête brûlée.
— Vraiment ? Pourquoi a-t-il acheté de vieilles mines et des terrains dont
tout le monde disait qu’ils ne valaient rien, alors ?
Il la regarda en fronçant les sourcils, puis se mit à rire.
— Je ne vous ai jamais parlé de cela, madame McAllister… Où avez-
vous pêché ces informations ?
— Tu te souviens du jour où nous nous sommes rencontrés ? répliqua-t-
elle en souriant.
— Je ne risque pas de l’oublier ! Ce n’était pas très confortable de rester
assis sur ce sofa avec une érection pareille…
— Chut… murmura-t-elle en jetant un bref coup d’œil à la table voisine.
Il y a des enfants…
— Désolé. Continue…
— Eh bien, comme je n’avais rien à faire et que je m’ennuyais à mourir,
ce jour-là, je suis allée voir sur Internet ce qu’il y avait sur toi. Mais je n’ai
pas trouvé grand-chose… Tu n’aimes pas beaucoup les médias, n’est-ce pas ?
Sur la seule photo potable que j’ai dénichée sur un site spécialisé, tu
ressemblais à un leader syndical. Et tu ne m’as vraiment pas impressionné, je
t’assure ! Ce n’est que lorsque je t’ai vu en chair et en os que j’ai eu le coup
de foudre. Je ne sais pas pourquoi. Tu n’étais pas du tout le genre d’homme
qui me faisait fantasmer, d’habitude !
— C’est gentil de le préciser, dit-il avec un petit sourire en coin.
— Je t’ai dit hier soir que désormais, je serais toujours franche, lui
rappela Sarah.
Scott éclata de rire.
— Tu as une conception tout à fait personnelle de la franchise !
— Je te promets de ne plus te dire de mensonges. Juste de tout petits…
— Tu me rassures. Alors, qu’est-ce qui t’a plu chez moi, quand tu m’as
vu en chair et en os ?
— À peu près tout, je crois. Mais surtout la façon dont tu me regardais. Je
me suis sentie terriblement… sexy.
— Pourtant, tu m’as résisté jusqu’au troisième rendez-vous.
— Je ne voulais pas que tu me prennes pour une femme facile.
— Aurais-tu oublié que tu étais vierge, trésor ?
— Non. Mais tu ne le savais pas encore, à ce moment-là.
— Tu as raison. Quand je l’ai découvert, j’ai été scotché.
— Oui, je m’en souviens très bien.
— C’était la première fois que je fréquentais une vierge.
— Cela ne t’était jamais arrivé ? Même quand tu étais plus jeune ?
— Non. À cette époque, je préférais les femmes plus âgées.
— Et maintenant ?
— Je n’aime plus que toi, répondit-il avec un sourire empreint d’une
merveilleuse tendresse.
Mais, dans ses yeux gris, le désir couvait. Et quand ils regagneraient
l’appartement, pressentit Sarah, elle ne rangerait pas ses affaires tout de suite.
Scott l’emmènerait directement au lit…
La serveuse revenant avec leurs plats, elle se concentra sur ses œufs
pochés et les toasts qu’elle avait commandés. Quant à Scott, il avait choisi
une énorme pile de pancakes accompagnés de crème glacée, bien entendu.
Prenant son temps, elle mangea tranquillement en soulevant de temps en
temps son verre de jus de fruits. Quand son assiette fut vide, Scott n’avait pas
encore terminé ses pancakes.
Après avoir reposé ses couverts, Sarah s’adossa à sa chaise et ferma un
instant les yeux. Il faisait une température très agréable et, leur table se
trouvant à l’abri du vent, elle savoura la douceur de ces instants.
Elle était si heureuse. Jamais elle n’aurait cru pouvoir vivre un tel
bonheur, une telle joie.
Et cette sensation de bien-être n’était pas seulement due à son état. Il
venait de la profondeur du lien qui l’unissait à Scott. Ils avaient franchi un pas
capital et Sarah ne doutait plus de la solidité de leur mariage, à présent. Or
c’était très important pour elle, surtout maintenant qu’elle attendait un enfant.
Ou des enfants, si elle portait des jumeaux. En outre, elle était dorénavant
convaincue de ne pas se conduire comme sa mère, et cette certitude ajoutait
encore à son bonheur.
Une seule chose la tracassait toujours un peu, mais elle ne voulait pas y
faire allusion maintenant pour ne pas risquer de gâcher cette belle journée.
Cependant, elle serait obligée de dire tôt ou tard à Scott qu’elle tenait à ce que
le père de ses enfants s’absente désormais moins souvent pour ses affaires
— avec son assistante.
Étrangement, Scott aborda le sujet alors qu’ils buvaient le café. Comme
s’il avait lu dans ses pensées.
— J’ai réfléchi, dit-il en reposant sa tasse. À l’avenir, je m’arrangerai
pour être plus présent et je voyagerai moins.
— J’en serais vraiment très heureuse, répliqua Sarah. Cela m’a réellement
ennuyée de te voir partir aussi souvent, en emmenant toujours Cleo et jamais
moi.
Il la regarda en plissant le front, l’air surpris.
— Je n’aurais jamais pensé que tu accepterais de laisser ton travail en
plan pour m’accompagner !
— Je ne peux pas, tu as raison. Pas toujours, du moins. Mais j’aurais bien
aimé que tu me le proposes de temps en temps.
— C’est noté. Et de toute façon, j’ai pris une autre décision, Sarah.
Actuellement, je suis à la recherche d’un partenaire. Au départ, je visais plutôt
un profil d’investisseur, mais, maintenant, je vais m’orienter vers quelqu’un
de plus impliqué et qui souhaite travailler sur le terrain — de façon à ne plus
devoir me déplacer moi-même. Qu’est-ce que tu en penses ?
— Ce serait formidable ! s’exclama Sarah, aux anges.
— Et puis, nous allons devoir acheter une vraie maison, pour accueillir
notre petite famille. Avec un jardin. Et il nous faudra aussi un chien. J’en ai
toujours eu, quand j’étais gamin. Un enfant a besoin d’un chien, déclara-t-il.
— J’ai toujours désiré en avoir un ! répliqua-t-elle en souriant. Mais ma
mère n’a jamais voulu. Elle disait qu’il y aurait des poils partout…
— Nous en trouverons un qui ne perd pas ses poils.
— Mon Dieu, c’est tellement excitant, tout ça ! Tu veux bien qu’on aille
visiter des maisons dès cet après-midi ?
— Non. Dès que tu auras terminé ton café, je te ramène chez nous. Pour
faire la sieste…
* * *
— Où vas-tu ? demanda Scott en regardant Sarah repousser soudain la
couette et se lever.
Comme il l’avait prévu, ils avaient passé l’après-midi au lit à faire
l’amour, à bavarder tranquillement et à somnoler dans les bras l’un de l’autre.
Lors de leurs étreintes, il avait usé d’une extrême douceur, et provoqué
l’hilarité de Sarah en expliquant qu’il ne voulait pas déranger les bébés.
— Mais ils n’ont même pas la grosseur d’un petit pois ! s’était-elle
exclamée en riant. Et arrête de dire les bébés : il n’y en a peut-être qu’un
seul !
Scott n’avait rien répliqué, mais il était désormais certain que Sarah
portait des jumeaux. Son instinct le trompait rarement et l’idée d’avoir deux
enfants d’un coup l’emplissait d’une joie indescriptible.
Ce qui était étrange, vu qu’il n’avait jamais été pressé d’avoir des enfants.
Ni de se marier, d’ailleurs. Mais, dès l’instant où il avait rencontré Sarah, tout
avait changé.
Et maintenant, la perspective d’être père l’excitait terriblement. Surtout
s’ils avaient des jumeaux. Il s’imagina avec Sarah en train de pousser deux
landaus contenant chacun un minuscule bébé… À cette pensée, son cœur se
gonfla d’amour et de fierté.
Et ils auraient un chien. C’était indispensable. Cependant, il n’avait pas
l’intention de trop gâter ses enfants, juste de leur donner beaucoup de temps
et d’amour. Heureusement que Cleo était efficace ! Scott ne doutait pas
qu’elle lui trouverait rapidement le partenaire dont il avait besoin.
La porte de la salle de bains s’ouvrit sur Sarah qui revint se blottir sous la
couette et se nicha contre lui.
— J’aime beaucoup les plages situées au nord de Cairns, dit-il. Mais les
routes sont toujours très encombrées. Il nous faudrait un temps fou pour aller
au bureau.
— Oui, tu as raison. Mais c’est vraiment beau, par là. Et si nous
cherchions un endroit bien desservi par les ferries ? Manly Beach, par
exemple. Cela nous éviterait de faire le trajet en voiture.
Elle redressa la tête et lui sourit avec malice.
— Nous pourrions prendre le ferry ensemble, main dans la main…
À la perspective qu’elle retourne travailler dans la même boîte que ce
salaud de Leighton, Scott tressaillit. Mais comme il ne pouvait pas lui
redemander de donner sa démission, il resta silencieux.
— Nous devrions nous lever, non ? dit-elle avec un soupir résigné. Il faut
que je range mes affaires, sinon mes vêtements vont être tout chiffonnés…
— Je vais t’aider, proposa-t-il. Comme ça, nous pourrons dîner plus vite.
Je meurs de faim ! Pas toi ?
— Tu as toujours faim ! répliqua-t-elle en souriant. Mais tu as raison, je
prendrais bien quelque chose, moi aussi.
— Normal, tu dois manger pour trois.
Sarah lui donna un coup de coude.
— Arrête de plaisanter avec ça ! Nous ne savons pas si je porte des
jumeaux.
— Non, en effet. Tu attends peut-être des triplés.
L’expression horrifiée qui envahit les traits de Sarah fut si comique que
Scott éclata de rire.
— Je t’interdis de seulement y penser ! lança-t-elle. Et maintenant, assez
de bêtises : debout et au travail, monsieur McAllister !
19.
Lorsqu’elle arriva chez Goldstein & Evans, le lendemain matin, et vit tout
le monde déambuler dans les couloirs d’un air affairé ou en parlant fort, Sarah
eut une impression désagréable. Cela ne lui était encore jamais arrivé. Jusqu’à
présent, elle avait au contraire toujours trouvé cette effervescence grisante.
Mais, soudain, l’atmosphère lui paraissait plutôt chaotique et stressante.
Plusieurs collègues lui demandèrent si elle allait mieux, mais aucun
n’avait l’air sincère et personne ne prit le temps de bavarder quelques minutes
avec elle.
Une fois dans son bureau, Sarah se rendit compte qu’elle appréhendait de
se retrouver face à Phil et ce constat la troubla. Elle s’en voulait de ne pas
avoir réalisé plus tôt qu’elle lui plaisait. Si elle s’en était doutée, elle ne se
serait pas confiée à lui comme elle l’avait fait, allant jusqu’à lui raconter
qu’elle en voulait à Scott de s’absenter trop souvent pour ses affaires. Elle
s’était comportée de façon stupide. Elle n’avait pas encouragé Phil, mais ne
l’avait pas découragé non plus.
Néanmoins, cela n’excusait pas ce qu’il avait fait. Avait-il vraiment cru
qu’elle allait quitter Scott et se précipiter dans ses bras ? Elle n’avait jamais
envisagé une chose pareille — et Phil ne l’avait certes jamais fait fantasmer.
À présent, elle le détestait carrément. Comme elle avait détesté son lâche
de père et son salaud de frère. Sarah regrettait de ne jamais leur avoir dit en
face ce qu’elle pensait d’eux. Cela n’aurait rien changé, mais, au moins, elle
en aurait tiré un peu de satisfaction personnelle et se serait sentie mieux.
Quant à Phil, il ne s’en sortirait pas comme ça, résolut-elle en se levant de
sa chaise.
D’un pas décidé, elle sortit de son bureau, s’avança dans le couloir
principal et se dirigea vers la section des Affaires familiales. Plus elle se
rapprochait du bureau de Phil, plus son cœur battait fort, en même temps
qu’une tension affreuse lui nouait les épaules et le dos.
Installée devant son ordinateur, sa très séduisante assistante était
concentrée sur l’écran, l’air contente d’elle-même, comme d’habitude.
— Bonjour, Janice. Phil est dans son bureau ? demanda poliment Sarah.
— Oui, mais il est occupé, répondit la jeune femme en la toisant.
— J’ai besoin de lui parler, poursuivit Sarah. Vous voulez bien lui dire
que je suis là, s’il vous plaît ?
Au même instant, la porte du bureau s’ouvrit et Phil apparut, avant de
promener lui aussi le regard sur elle, mais pas de la même façon que sa
secrétaire. Ses yeux la caressaient littéralement…
— Il me semblait bien que j’avais entendu ta voix, dit-il avec un sourire
onctueux. Tu souhaites me parler ?
Ne voulant pas l’affronter devant son assistante, Sarah lui rendit son
sourire en réprimant un frémissement de dégoût. Il continuait de laisser errer
son regard sur elle, sans dissimuler qu’il la trouvait tout à fait à son goût.
Pour venir travailler, Sarah s’habillait toujours avec élégance. Ce jour-là,
elle portait un tailleur Chanel rose dragée et un chemisier en soie ivoire aux
minuscules boutons de nacre, tenue qui mettait en valeur son corps mince et
ses cheveux blonds. Par ailleurs, elle s’était fait un chignon banane et avait
soigné son maquillage avant de vaporiser un soupçon de son parfum préféré,
discret et sensuel à la fois. Et, pour seuls bijoux, elle avait choisi des boucles
d’oreilles aux reflets irisés qu’elle trouvait très jolies.
Les coups d’œil admiratifs de ses collègues ne lui déplaisaient pas, mais
elle détestait les regards lubriques, comme celui de Phil qui continuait de la
dévorer des yeux.
— Oui, je désire te parler, Phil, répliqua-t-elle en souriant toujours. J’ai
besoin de conseils.
Un éclat ravi incendia les yeux avides.
— Mais bien sûr, Sarah. Je suis à ton entière disposition : entre, je t’en
prie.
Il lui fit signe de passer devant lui.
— Je ne prendrai aucun coup de fil jusqu’à nouvel ordre, Janice. Dites-
leur que je les rappellerai en fin de matinée.
Lorsqu’il referma la porte sur eux, Sarah fut parcourue par un frisson
désagréable.
— Installons-nous confortablement, proposa-t-il en lui prenant le coude.
Nous serons mieux pour parler.
Il l’entraîna vers le long sofa en cuir gris appuyé contre le mur du fond.
Grâce à ses bonnes relations avec la direction, Phil avait obtenu l’un des
bureaux les plus spacieux du cabinet.
Il s’assit tout près d’elle, l’air faussement inquiet.
— Je n’ai pas besoin que tu me donnes de détails, déclara-t-il sans autre
préambule. Tu as quitté ton mari, c’est cela ?
— Je… Oui…
Ce n’était pas un mensonge. Elle avait bien quitté Scott. Durant une
semaine.
— Je ne suis pas étonné. Tu ne le sais peut-être pas, mais il est venu me
voir la semaine dernière et m’a lancé toutes sortes d’accusations odieuses à la
figure, à propos d’une histoire de photos qu’on lui avait envoyées. Des photos
de toi et moi, au Regency Hotel, le vendredi où nous y sommes allés à l’heure
du déjeuner.
— Il m’a parlé de sa visite, reconnut-elle d’une voix crispée.
— T’a-t-il précisé qu’il avait menacé de me tuer si j’osais encore
t’approcher ?
— Non, répondit-elle, un peu choquée par cette révélation.
— Tu as bien raison de vouloir divorcer, Sarah. Quand j’ai constaté que tu
ne venais pas travailler la semaine dernière, j’ai été fou d’inquiétude à la
pensée que ce tyran ait pu te brutaliser… ou te violenter…
— Scott ne me frapperait jamais, l’interrompit-elle.
En outre, si Phil avait été aussi inquiet à son sujet, pourquoi ne l’avait-il
pas appelée ?
Parce qu’au fond, il se fichait éperdument de son sort — et que la visite
de Scott lui avait fichu une peur bleue !
— À ta place, je me méfierais de lui, répliqua-t-il avec une moue
dédaigneuse. McAllister vient d’un milieu dur et pas vraiment raffiné.
Il lui adressa un sourire sirupeux.
— Tu mérites mieux, Sarah, ajouta-t-il en posant la main sur son genou.
Un homme qui t’apprécie et qui te chérisse, poursuivit-il, les yeux brillants de
convoitise. Quelqu’un qui t’offrirait le style de vie qui convient à ta beauté et
à ton intelligence.
— T’imaginerais-tu que tu pourrais être cet homme, Phil ? demanda
Sarah en s’efforçant de dissimuler son dégoût.
La main se mit à bouger…
— Tu sais bien ce que je ressens pour toi, Sarah, murmura-t-il en
plongeant son regard dans le sien. Je t’ai admirée dès les premiers jours où tu
as travaillé ici et, depuis, mon estime n’a fait que croître et s’est muée en un
sentiment plus profond. Quand tu as épousé McAllister, j’ai été stupéfait,
choqué. Je n’arrivais pas à le croire. Ce type ne possède aucune classe,
aucune culture. Ce n’est qu’un rustre déguisé en homme civilisé. Mais, Dieu
merci, tu as fini par te rendre compte que tu avais commis une erreur… Et tu
viens enfin vers moi.
Lorsque sa main remonta de quelques centimètres sur la cuisse de Sarah,
c’en fut trop. La repoussant brutalement, elle bondit.
— Tu ne crois quand même pas que je quitterais Scott pour toi ?
s’exclama-t-elle sans plus dissimuler son dégoût. Même si ton plan répugnant
avait marché et que nous avions rompu définitivement, Scott et moi, je ne
serais jamais venue vers toi !
Il la regarda en silence, incrédule. De toute évidence, son ego
surdimensionné était incapable de concevoir qu’une femme puisse le rejeter…
— Mais tu as dit que tu l’avais quitté, finit-il par répliquer. Que tu voulais
me voir parce que tu souhaitais divorcer.
— J’ai quitté Scott, en effet, riposta-t-elle d’un ton brusque. Mais nous
nous sommes réconciliés et notre mariage est plus fort que jamais. Parce que,
tu vois, ton sale petit plan n’a pas eu le résultat que tu escomptais, en fin de
compte. Je t’ai dit que j’avais besoin de conseils, c’est tout. Alors, que
conseillerais-tu à une personne dans ma situation ? Tu sais comment
M. Goldstein réagit lorsqu’il y a un problème de harcèlement sexuel au sein
du cabinet, n’est-ce pas ?
Le regard de Phil s’emplit d’une frayeur sans nom. Scott avait vu juste :
ce type n’était qu’un salaud et un ambitieux. Et un lâche.
— Tu n’as aucune preuve, dit-il d’une voix mal assurée en se levant. Ce
sera ta parole contre la mienne.
— Ah, tu crois ? Eh bien, ma parole pourrait avoir plus de poids que la
tienne, dans ce contexte.
— Tu aurais tort d’aller te plaindre auprès de Goldstein, lui jeta-t-il, l’air
mauvais. Mon père est un homme important, il est sénateur et fait partie de
ses meilleurs amis.
— Oh ! comme c’est charmant… Et moi qui pensais que tu devais être
fou de moi pour avoir agi comme tu l’as fait…
— Je ne suis fou d’aucune femme, rétorqua-t-il en redressant les épaules.
Et je me demande vraiment ce qu’il m’a pris !
Resserrant son nœud de cravate, il la toisa avec mépris.
— Tu as beau être ravissante, Sarah, tu n’as manifestement aucun goût.
Sinon, tu n’aurais pas épousé ce lourdaud alors que tu pouvais m’avoir.
Il leva les yeux au ciel avant d’ajouter :
— C’est vraiment le monde à l’envers !
Comment avait-elle bien pu se lier d’amitié avec ce pauvre type ?
— Non seulement Scott n’a rien d’un lourdaud, mais c’est un homme, lui,
au moins ! riposta-t-elle d’une voix ferme. Et je me demande comment j’ai pu
croire que tu étais mon ami, que je pouvais me reposer sur toi. De ton côté, tu
n’as jamais été attiré par moi, n’est-ce pas ? Tu voulais juste me gâcher la vie.
Tout cela parce que j’ai blessé ton orgueil mâle en te préférant Scott.
— Je n’avais certes pas organisé ce petit stratagème parce que je me
sentais incapable de vivre sans toi ! s’esclaffa-t-il avec dédain. Mais j’en avais
plus qu’assez de t’entendre te plaindre de ton imbécile de mari qui s’absentait
tout le temps. Alors, j’ai décidé de te donner une vraie raison de te plaindre.
Au fait, je te signale que ton cher époux pourrait très bien avoir une liaison
avec son assistante. Je ne l’ai jamais fait surveiller, en fait. C’était juste un
prétexte pour que tu m’accompagnes au Regency, et mon enquêteur a très
bien joué son rôle. Mon but était de faire croire à McAllister que tu le
trompais… mais j’espérais goûter un peu à tes charmes délectables, en
prime…
— Scott avait raison, laissa tomber Sarah d’une voix glaciale. Tu n’es
qu’un pauvre type ! Et tu mériterais vraiment que je porte plainte !
La crainte réapparut dans le regard haineux.
— Tu ne peux rien prouver.
— Peut-être, mais cela se retournera un jour contre toi, Phil.
— C’est ce que l’on dit…
— En tout cas, je serai ravie de ne plus avoir à supporter ta vue, dit-elle
avec calme. Parce que je m’en vais, figure-toi, et au fond, tu ne vaux même
pas la peine que je porte plainte contre toi. De toute façon, je me fiche de ce
qui peut t’arriver et j’étais venue te voir uniquement pour te dire en face ce
que je pense de toi avant de donner ma démission.
La mâchoire lui en tomba.
— Tu vas donner ta démission ? répéta-t-il, les yeux exorbités.
— Oui. Et je ne remettrai plus jamais les pieds ici.
— Mais… quel motif vas-tu invoquer, pour démissionner ?
Sarah sourit, savourant la déconfiture de celui qu’elle avait pris pour son
ami.
— Oh ! je trouverai bien quelque chose, répondit-elle d’un ton léger.
Sur ces paroles, elle se détourna et s’avança vers la porte, l’ouvrit et
tomba sur Janice — qui avait manifestement écouté leur conversation.
Les joues rouges, les yeux fiévreux, la jeune femme avait l’air troublée.
— À votre place, je cesserais de coucher avec ce pervers, lui lança Sarah
par-dessus son épaule.
20.
Sarah sortit de l’immeuble en souriant. Cela faisait du bien de s’en aller,
et pas seulement parce qu’elle ne reverrait plus ce salopard de Phil. Elle était
réellement contente de quitter le cabinet. Elle y avait travaillé avec ardeur,
avait fait du chemin au sein de l’entreprise et obtenu un statut appréciable,
mais l’atmosphère lui semblait trop stressante. Et elle se sentait désormais
étrangère à l’esprit de compétition qui régnait chez Goldstein & Evans — et
dont elle n’avait jamais vraiment pris conscience jusque-là.
Non, elle ne désirait pas travailler dans ce genre d’ambiance après son
accouchement. Elle n’envisageait pas d’interrompre sa carrière complètement,
ni de confier son enfant à une nounou. Si Scott était plus présent comme il
l’avait promis, elle serait elle aussi là pour leurs enfants.
Au lieu d’appeler Scott pour lui annoncer qu’elle avait démissionné, elle
décida de lui faire une surprise. D’autant qu’ils avaient prévu de déjeuner
ensemble et d’aller faire un peu de shopping.
Un quart d’heure plus tard, elle entrait dans l’immeuble hébergeant le
siège de McAllister Mines et se dirigeait vers les ascenseurs.
Le sourire aux lèvres, elle s’avança bientôt vers le bureau de Cleo et
frappa à la porte. N’obtenant pas de réponse, elle passa la tête à l’intérieur.
Personne. Mais la porte donnant sur le bureau de Scott était ouverte — et ce
que vit Sarah lui glaça le sang.
Cleo était là, en larmes, dans les bras de Scott, qui avait une main posée
sur les reins de la jeune femme, tandis qu’il lui caressait les cheveux de
l’autre, avec une tendresse manifeste.
Les pensées les plus atroces traversèrent aussitôt Sarah.
Ils vivaient bien une liaison. Depuis des mois.
Scott venait d’annoncer à Cleo que sa femme était enceinte et elle était
anéantie.
Sa première réaction fut de tourner les talons et de s’enfuir. D’aller se
ressaisir dans les toilettes et de revenir plus tard. En feignant de n’avoir rien
vu.
Quelques jours plus tôt, c’est ce qu’elle aurait fait. Mais plus maintenant.
Ce jour-là, leur mariage prenait un nouveau départ et, désormais, elle
refuserait de céder à de stupides accès de jalousie. Elle vivrait dans la
franchise et la confiance. Envers et contre tout.
Sarah prit une profonde inspiration. Scott et Cleo n’entretenaient aucune
liaison ! Cette pensée était carrément absurde ! Son mari l’aimait et Cleo était
tout sauf une femme facile !
Après s’être avancée, elle s’arrêta sur le seuil du bureau de Scott et toussa
discrètement pour annoncer sa présence.
* * *
Scott leva les yeux et tressaillit en voyant Sarah, immobile dans
l’encadrement de la porte. Elle avait dit qu’elle passerait le prendre à l’heure
du déjeuner, mais il n’était même pas midi…
Seigneur, qu’avait-elle dû penser en découvrant son mari tenant son
assistante en pleurs dans ses bras ?
Un mélange de crainte et d’appréhension le gagna à la perspective d’un
conflit stupide. Lorsque, soudain, un miracle se produisit. Sarah lui sourit en
haussant les sourcils avec humour — et sans aucune trace de jalousie.
Elle avait confiance en lui. Elle ne nourrissait aucun doute. Une joie
immense envahit Scott. Un sentiment incroyable qu’il n’avait encore jamais
ressenti.
Il lui sourit à son tour.
— Bonjour, ma chérie, dit-il en repoussant doucement son assistante.
Cleo n’a pas trop le moral, aujourd’hui.
— Oh, mon Dieu, Sarah ! s’exclama celle-ci en se dégageant d’un
mouvement brusque. Ce n’est pas ce que vous… Oh, mon Dieu, vous devez
penser…
— Je ne pense rien du tout, répondit Sarah.
Elle s’approcha et souleva la boîte de mouchoirs en papier posée sur le
bureau de Scott avant de la tendre à Cleo.
— Je suis sincère, insista-t-elle. Vraiment.
— C’est l’anniversaire de la mort de Martin, aujourd’hui, expliqua Scott.
Mais Cleo avait oublié. Elle ne s’en est souvenue qu’il y a quelques minutes.
— Cela ne m’était jamais arrivé, murmura Cleo en s’essuyant les joues.
C’est la première fois. Je vais toujours déposer des fleurs sur sa tombe,
d’habitude. Et j’emmène sa mère au cimetière.
— Il est encore temps de le faire, répliqua Scott. Appelez Doreen et
prenez votre après-midi.
Le visage de Cleo s’illumina.
— Vous êtes sûr ?
— Certain.
— Vous êtes si bon avec moi. Votre mari est un homme merveilleux,
Sarah. Et un patron fantastique.
— Je suis d’accord avec vous, acquiesça Sarah en prenant le bras de
Scott.
— Allez, filez, dit celui-ci à son assistante.
— Oui… J’y vais. Alors, à demain, Scott. Et merci encore. Au revoir,
Sarah.
— Dites-moi, madame, lança Scott dès que la porte se fut refermée sur la
jeune femme, êtes-vous en avance, ou est-ce moi qui suis en retard ?
— Je suis en avance. Et sans emploi. J’ai donné ma démission ce matin…
en refusant d’effectuer mon préavis.
Interdit, Scott la dévisagea en silence.
— Que s’est-il passé ? demanda-t-il enfin. Non, ne me dis rien. Leighton
t’a fait du gringue et tu as perdu ton calme.
— Tu n’y es pas du tout !
En venant retrouver Scott, Sarah avait décidé de ne pas lui parler de sa
confrontation avec Phil. Pas question que son mari se précipite dans le bureau
de celui-ci et profère de nouvelles menaces à son encontre. Aussi se borna-t-
elle à expliquer les raisons qui l’avaient poussée à quitter le cabinet.
— Dès l’instant où je suis arrivée dans mon bureau ce matin, j’ai compris
que je ne voulais pas travailler dans ce genre d’atmosphère durant ma
grossesse, ni après l’accouchement, déclara-t-elle.
Elle s’interrompit un moment avant d’ajouter :
— Mais je n’ai pas l’intention de renoncer à ma carrière. Je postulerai
peut-être dans un service d’assistance juridique, à mi-temps. Je n’ai pas
besoin d’un salaire faramineux, n’est-ce pas ?
Comme Scott ne répondait pas, elle demanda d’un ton inquiet :
— Tu n’es pas au bord de la faillite, au moins ?
— Non, pas encore ! s’exclama-t-il en éclatant de rire.
Puis il reprit son sérieux et plongea son regard dans le sien.
— Tu ne peux pas t’imaginer à quel point tu me rends heureux, ma chérie.
Mais dis-moi, quel motif as-tu invoqué, pour donner ta démission ? Et
comment as-tu réussi à obtenir de t’en aller sans effectuer ton préavis ?
Sarah sourit.
— J’avoue que j’ai eu recours à quelques petits mensonges inoffensifs. En
fait, ce n’étaient même pas de vrais mensonges. J’ai expliqué à M. Goldstein
que j’étais enceinte en sous-entendant que ma grossesse était un peu plus
avancée qu’elle ne l’est en réalité. Ensuite, je lui ai avoué que je n’avais pas
eu de sinusite, mais que j’avais souffert de nausées matinales épouvantables,
en précisant que je n’avais pas voulu révéler à quiconque que j’étais enceinte.
Je lui ai dit enfin que mon médecin m’avait conseillé d’arrêter de travailler
pendant quelque temps et que j’avais refusé. Il a aussitôt accepté mes
conditions !
— Tu es très habile, dit-il en riant. Et la plus merveilleuse des femmes.
— Absolument. Et maintenant, tu veux bien m’embrasser ?
Scott s’exécuta volontiers. Et quand leurs bouches se séparèrent un long
moment plus tard, Sarah le regarda en haussant les sourcils.
— Alors, on va déjeuner ? Ce baiser m’a ouvert l’appétit…
— Oui, répondit-il en lui prenant les mains. Et nous allons aussi acheter
ton cadeau d’anniversaire de mariage. Je pensais t’offrir une superbe bague en
gage d’amour éternel… et je le ferai sans doute, mais plus tard. Parce que, vu
que tu es maintenant libre comme l’air, j’ai une autre idée.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une seconde lune de miel.
La joie qui illumina les traits fins de sa femme alla droit au cœur de Scott.
— Et comme je sais que tu aimes beaucoup l’Asie, poursuivit-il, je
pensais que nous pourrions aller dans une station luxueuse dont j’ai entendu
parler. En Thaïlande, à Phuket. Ça te dirait ? Nous pourrions partir dès
maintenant…
— Oh ! j’adorerais aller là-bas avec toi ! Mais… Et tes affaires ? Ce n’est
pas un peu risqué de t’absenter, en ce moment ?
— Non. La situation ne va pas s’arranger avant longtemps, de toute façon.
Et surtout, notre mariage passe avant tout le reste, Sarah. Après ce que nous
avons traversé, nous avons bien mérité d’être ensemble !
— Et cette recherche de partenaire dont tu m’as parlé ? Et tes problèmes
de trésorerie ?
— Ils sont moins importants, maintenant que ma mine de diamants donne
des résultats. Quant à la recherche du nouveau partenaire, Cleo est
parfaitement capable de s’en occuper durant mon absence. Elle connaît la
situation aussi bien que moi — et je suis sûr qu’elle va adorer prendre les
rênes pendant quelque temps. Et puis, nous ne resterons pas là-bas plus de
deux semaines.
Sarah le regarda en battant des paupières.
— Mon Dieu, je ne sais pas quoi dire…
— Un oui me suffira.
— Alors… oui, mon chéri !
— Il y a une agence de voyages, au rez-de-chaussée. Nous allons y faire
un saut et voir ce qu’ils proposent. Mais d’abord…
Soulevant Sarah dans ses bras, il l’embrassa avec passion.
Un long moment plus tard, elle écarta doucement ses lèvres des siennes.
— On va à l’agence de voyages ? demanda-t-elle dans un souffle.
* * *
Assise à côté de Scott en face du responsable de l’agence, Sarah
acquiesça à tout ce qu’il suggérait. Le bras passé autour de celui de son mari,
elle ne pouvait s’empêcher de sourire. La vie était tellement merveilleuse.
Non seulement Scott l’aimait à la folie, mais encore elle portait son enfant.
Ou ses enfants. Et en plus, il lui offrait une seconde lune de miel. Elle serait
allée n’importe où. La seule chose qui lui importait, c’était d’être avec lui.
— Alors, qu’est-ce que tu en dis, ma chérie ? demanda-t-il encore une
fois.
— Je suis entièrement d’accord. Ça m’a l’air fabuleux.
Quand ils quittèrent l’agence un peu plus tard, il se tourna vers elle.
— Tu es sûre de pouvoir tout préparer d’ici à demain ?
— Comment ça, demain ? répéta Sarah, suffoquée.
Scott la regarda en souriant.
— Je voyais bien que tu ne m’écoutais pas vraiment… Mais tu as dit oui,
Sarah. Nous prenons l’avion pour Bangkok demain, à 16 heures. Tu crois que
tu seras prête ?
— Je serai bien obligée de l’être… Oh ! mon Dieu, je ne sais pas du tout
quoi emporter, comme vêtements…
— Pas grand-chose. C’est notre lune de miel, ne l’oublie pas…
— Facile à dire, quand on est un homme ! Je ne peux pas porter n’importe
quoi ! Même en lune de miel, mon chéri.
— Il y a des boutiques, là-bas, tu sais ! répliqua Scott en roulant des yeux.
Si tu oublies quelque chose, tu trouveras tout ce qu’il te faut sur place.
— Peut-être, mais il faut que je rentre tout de suite à l’appartement pour
commencer à préparer mes bagages. Et il faudra que j’aille chez le coiffeur
demain matin. Oh ! mon Dieu…
— Il y a aussi des coiffeurs, lui fit-il remarquer avec un sourire malicieux.
— Oui, tu as raison.
Rassurée, Sarah leva les yeux vers l’homme qu’elle aimait plus que tout
au monde.
— Demain… Oh ! je meurs d’impatience !
— Moi aussi, ma chérie, murmura-t-il en l’attirant dans ses bras.
Épilogue
Lorsque, au cours de sa première échographie, Sarah apprit qu’elle
attendait des jumeaux — un garçon et une fille —, elle sentit les larmes lui
monter aux yeux tandis qu’une joie indicible lui gonflait le cœur et rayonnait
dans tout son être.
— Oh ! Scott, murmura-t-elle en se tournant vers lui. Nous allons avoir
deux petits bébés, tu te rends compte ?
— Je te l’avais bien dit, répliqua-t-il, le regard brillant d’amour et de
tendresse.
Puis, sans tenir compte de la présence du jeune médecin qui, tout en
fixant l’écran, continuait de promener la sonde sur le ventre de Sarah, il se
pencha vers elle et lui déposa un doux baiser sur les lèvres.
— Je suis le plus heureux des hommes, ma chérie, chuchota-t-il avant de
redresser la tête.
Sarah lui sourit, avec tout son amour.
— Et moi, la femme la plus heureuse du monde.
TITRE ORIGINAL : THE MAGNATE’S TEMPESTUOUS MARRIAGE
Traduction française : LOUISE LAMBERSON
© 2017, Miranda Lee.
© 2018, HarperCollins France pour la traduction française.
Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de :
HARLEQUIN BOOKS S.A.
Tous droits réservés.
ISBN 978-2-2803-9181-8
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