Vous êtes sur la page 1sur 12

Syllogisme

CARACTÉRISTIQUES DE LA GUERRE NAVALE, XVIIIE ET XIXE SIÈCLES

Smaïl Aït-El-Hadj

De Boeck Supérieur | « Innovations »

2013/3 n° 42 | pages 237 à 247


ISSN 1267-4982
ISBN 9782804183073
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-innovations-2013-3-page-237.htm
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.


© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


SYLLOGISME
CARACTÉRISTIQUES DE LA GUERRE
NAVALE, XVIIIE ET XIXE SIÈCLES
Smaïl AÏT-EL-HADJ
ITECH, Lyon
smail.aitelhadj@itech.fr

La guerre navale, dans cette période, prend un poids déterminant dans les
confrontations géostratégiques de l’époque. C’est l’âge suprême des marines de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


guerre à voile, ouvert avec le tournant de la défaite de l’invincible armada, et
qui connaîtra son apogée dans les guerres napoléoniennes, et la bataille emblé-
matique de Trafalgar. Cet article reprend des développements de notre livre La
voile et le canon publié en mai 2012, sous notre nom d’auteur d’Ismaël Bélisle1.

LA GUERRE NAVALE DANS UNE PÉRIODE


DE CONFRONTATION STRATÉGIQUE INTENSE
QUI S’ÉTEND À L’ÉCHELLE MONDIALE

Un contexte de rivalité économique et coloniale


La grande confrontation navale qui va mobiliser l’Europe, du milieu du
18 siècle à 1815, est animée par une rivalité militaire, économique et territo-

riale qui se concentre dans le domaine maritime. Cette époque est, en effet,
une ère d’expansion géographique marquée par le développement colonial
dans les nouvelles terres découvertes sur tout le continent américain ou ren-
dues familières, comme l’Inde, à partir des grandes explorations du 16e siècle.
L’expansion maritime touche, alors, toute l’Europe occidentale. Le
commerce et l’activité maritimes se sont redéployés sur les espaces océa-
niques, océan Atlantique et océan Indien au détriment de l’ancien monde

1. Ismaël Bélisle, 2012, La voile et le canon, le monde des marines de guerre à voile 1745-1815,
Éditions l’ancre de marine, Louviers.

n° 42 – innovations 2013/3 DOI: 10.3917/inno.042.0237 237


Smaïl Aït-el-Hadj

méditerranéen, depuis la découverte de l’Amérique et les explorations de


l’Inde et de l’Extrême Orient. C’est d’abord le développement intense des
flux commerciaux avec l’Amérique latine puis avec l’Amérique du Nord. Le
développement du commerce maritime prendra des formes nouvelles avec
la création des fameuses « Compagnies des Indes » le commerce des « Indes
orientales » mais aussi des « Indes occidentales », c’est-à-dire l’Amérique.
Ce grand commerce américain, entraînera notamment l’apparition du com-
merce d’esclaves, générant le « commerce triangulaire ». Un nouvel élan de
cette expansion géographique se manifestera enfin par le grand mouvement
d’exploration touchant particulièrement le Pacifique à partir de 1750.

Une confrontation navale intense


Sur ce fond d’expansion maritime et coloniale, le 18e et la première moi-
tié du 19e siècle ont été marqués par une confrontation navale permanente
et intense. Cette période est en fait celle de la mise en place de la suprématie
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


navale incontestée de la Royal Navy (Herman, 2004) qui s’est établie par
une lutte intense avec sa principale rivale, la Marine Royale, puis Impériale,
française, mais aussi par la quasi-destruction de toutes les autres marines
secondaires, espagnole et du nord de l’Europe.
La contestation de cette suprématie par la marine française va connaître
des succès, surtout pendant le règne de Louis XVI, avec une puissance navale
qui ne sera pas loin de la parité avec sa concurrente britannique. La déci-
mation et la dispersion du corps de ses officiers par la Révolution fera perdre
à la marine française toute capacité à menacer réellement la marine britan-
nique, même après la constitution de la Marine Impériale aux alentours de
1800 (Darreus, 1999). Et si la marine britannique marquera sa suprématie
définitive, avec ses victoires d’Aboukir et surtout de Trafalgar, elle n’assurera
son contrôle des mers, dans cette période, qu’au prix d’un gigantesque effort
opérationnel et humain, matériel et financier. Mais cette période va aussi
voir l’apparition d’un nouvel acteur à partir de 1780, la jeune marine améri-
caine qui sera capable d’infliger de sévères revers tactiques à la Royal Navy
pendant la guerre Anglo-américaine de 1812.
La grande bataille de Trafalgar, au large des côtes espagnoles, le 21 oc-
tobre 1805, marque le point d’orgue de cette lutte. Elle a mis aux prises la
flotte britannique face aux flottes française et espagnole dans un gigantesque
affrontement de plus de 60 navires ayant fait plus de 5 500 morts et 5 000
blessés. Trafalgar marque la fin des grandes batailles navales – jusqu’à celle
du Jutland, en mai 1915 – et celle des grands amiraux, les Anson, Howe,
Rodney et évidemment Nelson pour l’Angleterre, les De Grasse, D’Estaing,
Suffren, Latouche-Tréville et Villaret-Joyeuse pour la marine française.

238 innovations 2013/3 – n° 42


Caractéristiques de la guerre navale, xviiie et xixe siècles

Jusqu’à la fin de l’Empire en 1815, la guerre navale ne connaîtra plus que


l’interminable face-à-face, marqué de quelques escarmouches, du blocus, et
les combats ponctuels, spectaculaires, mais finalement sans résultat straté-
gique, de la guerre de course.

DES MARINES QUI S’ORGANISENT


ET SE STANDARDISENT

La formation des marines nationales


Cette ère ininterrompue de guerre navale amène les principaux prota-
gonistes à organiser leur marine dans la durée. C’est à ce moment qu’appa-
raissent les marines, au sens moderne du terme, c’est-à-dire des forces perma-
nentes constituées d’une flotte de navires techniquement avancés, conçus et
déjà standardisés par un corps d’ingénieurs savants, produits et entretenus
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


par une puissante infrastructure de ports et de chantiers. Cette flotte est
servie par des équipages réguliers, encadrés par des officiers formant un corps
à statut réglementé. Ces marines sont organisées et dirigées par une admi-
nistration permanente et déjà complexe, chargée aussi bien des dimensions
opérationnelles que logistiques ou proprement administratives et financières
(Lavery, 1989). Ces marines, plongées dans une histoire active et intense,
vont développer leur style et leur tradition. Elles vont tendre en même
temps vers une unité étonnante de techniques, de fonctionnement, voire de
valeurs, du fait de leur confrontation même, du fait des captures d’équipages
et d’officiers, des prises mutuelles de navires et de documents.
Ainsi la Royal Navy représentera en 1812, un tonnage de 870 000 tonnes
avec 862 navires armés par un effectif de près de 152 000 hommes représen-
tant une puissance de feu de 28 000 canons. Il est à noter que sur ces 800
navires environ 175 sont des prises (Rodger, 2004).

Une escadre française à la mer aux alentours de 1800

n° 42 – innovations 2013/3 239


Smaïl Aït-el-Hadj

À son niveau le plus élevé, la marine française va armer 88 vaisseaux et


73 frégates, pour un effectif total de 105 000 hommes (Bellec, 2004).

Une marine qui se standardise : le navire de guerre


du 17e siècle, couronnement d’une évolution
Au tournant du siècle le navire de guerre, s’est à la fois différencié, affiné
et standardisé, il ne changera pratiquement plus jusqu’à l’introduction de la
coque en fer et de la propulsion vapeur après 1850.
a) Des navires conçus pour l’utilisation du canon
La transformation majeure intervenue à la fin du 16e  siècle a été un
abaissement des francs-bords et un arasement des grands châteaux avant et
surtout arrière, structures adaptées à la forme de combat quasiment exclu-
sive de l’époque, l’abordage. Les progrès du canon entraînent la possibilité
de faire du navire l’instrument majeur du combat naval comme plate-forme
d’artillerie, Par contre, cette importance croissante de l’artillerie va créer
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


un souci croissant de « stabilité de plate-forme » par rapport aux capaci-
tés manœuvrières ou aux capacités d’emport, y compris en artillerie, de ces
bateaux. C’est ce qui explique leur architecture particulière avec une coque
ronde et des ponts supérieurs plus étroits que les ponts inférieurs, ce que l’on
appellera le « frégatage », destinés tous deux à limiter le roulis.
b) Les classes de navires de guerre
Cet affinement des formes et structures s’accompagne d’une différencia-
tion et d’une standardisation des modèles. En fait, l’ensemble des grandes
marines de guerre aux alentours de 1770, ont classé leurs navires de guerre
en 6 rangs, classification qui reposait sur le nombre de canons.
Les navires de premier rang, disposaient de plus de 100 canons, les na-
vires de second rang portaient entre 80 et 98 canons. Ces deux premiers
types étaient des vaisseaux à trois ponts.
Les navires de troisième rang portaient de 74 à 80 canons, sur deux ponts.
Déjà standardisé dans la marine française, le « 74 », (Boudriot, 1977) tel que
le Généreux en France et la Bellona en Angleterre, va représenter le modèle
de vaisseau le plus abondant des grandes marines. Les trois premiers rangs
forment ce que l’on appelle les vaisseaux de ligne (Acerra, 1997).
Les trois autres classes vont former le groupe des navires de reconnais-
sance principalement centré sur les deux dernières classes : navires à un pont,
les frégates. Mais les marines vont aussi largement utiliser des navires plus
légers, dits hors rang, tels que la corvette, véritable réduction de la frégate avec
ses trois mâts et le brick, gréé de deux mâts à voiles carrés. Enfin les missions

240 innovations 2013/3 – n° 42


Caractéristiques de la guerre navale, xviiie et xixe siècles

de liaison et de patrouille, sont assurées par des cotres, navire avec une seule
voile carrée, mais abondamment gréés en brigantine et focs.

Tableau des 6 rangs de navires de guerre

Vaisseaux : armature de la ligne de bataille, fonctions de puissance de


feu et de suprématie.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


Frégates : fonctions d’éclairage des flottes, d’escorte, patrouille et croisière

Importance de l’artillerie
Les navires de guerre de l’époque étaient caractérisés par le fait qu’ils por-
taient des canons et même qu’ils étaient classés et hiérarchisés par le nombre
de canons portés, tel le « 74 » par exemple, qui désignait le type de vaisseau
portant 74 canons.
a) Les canons
Dans sa structure de tube, le canon de marine ne différait pas du canon
d’artillerie terrestre. ce qui changeait c’était les affûts. Le canon de marine

n° 42 – innovations 2013/3 241


Smaïl Aït-el-Hadj

nécessitait une grande stabilité, il était lourd (jusqu’à 3 tonnes) et ne né-


cessitait qu’un mouvement limité à une trajectoire rectiligne de quelques
mètres, pour être mis en batterie dans son sabord et reculer au moment du tir.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


Canon de marine et son affût

Les canons de marine étaient montés sur des affûts ayant la forme de
lourds chariots destinés à assurer le maximum de stabilité à l’ensemble face à
la houle. Ces canons étaient ainsi tenus et manœuvrés par tout un gréement
de cordages, équipés de poulies, chargé de tracter l’affût vers l’arrière en posi-
tion de chargement ou vers l’avant pour le remettre en batterie. De puissants
cordages fixés aux parois de la batterie appelée bragues étaient destinés à
bloquer le recul de la pièce au bout d’une certaine trajectoire. Ce gréement
permettait d’arrimer totalement la pièce pendant la route du navire, dans
une position que l’on appelait à la serre. Ces canons étaient de dimensions
différentes et d’une gamme de puissances qui était mesurée par le poids du
boulet que le canon pouvait lancer : canons de 4 livres, 8 livres, 12 livres,
18 livres, 24 et 32 livres (36 livres pour les français). Comme on mesurait
la puissance des canons au poids du boulet projeté, on mesurait la puissance
d’un navire au poids de sa bordée c’est-à-dire de la masse de métal projetée
par une salve de l’ensemble de ses canons d’un bord. Ainsi, un 74 avait une

242 innovations 2013/3 – n° 42


Caractéristiques de la guerre navale, xviiie et xixe siècles

bordée de 760 livres et un 120 canons possédait une puissance de feu de plus


du double avec 1 600 livres de bordée.
b) La caronade
Une innovation va intervenir à partir de 1780 : la caronade. Ce type de
pièces de gros calibre, 24 à 42 livres, n’avait qu’une courte portée. C’était
en fait une arme de combat rapproché, de destruction massive, aussi redou-
table pour les navires, avec l’énorme boulet qu’elle pouvait tirer, que pour
les hommes ou les gréements, par la volée aussi énorme de mitraille qu’elle
pouvait projeter. La tendance s’amplifiera au cours des premières années du
19e  siècle de remplacer le canon long par la caronade, sur les frégates prin-
cipalement, mais aussi sur les corvettes et les bricks plus exposés au combat
rapproché que les vaisseaux de ligne.
Une des causes de la généralisation de la tactique anglaise de rupture de
ligne telle qu’elle a prévalu à Trafalgar est attribuée à la plus grande adoption
des caronades dans cette marine.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


LES FORMES DE L’AFFRONTEMENT

L’accroissement de l’intensité de la guerre navale :


les batailles d’anéantissement des guerres napoléoniennes
La plupart des batailles du 18e siècle se menèrent en ligne, mais les ami-
raux anglais conscients de l’accroissement de l’intensité de la confrontation
adoptèrent des tactiques de combat beaucoup plus agressives, avec un type
d’engagement consistant à attaquer perpendiculairement la ligne adverse,
la couper en plusieurs endroits et engager alors toute une série de combats
rapprochés extrêmement intenses, tactique « nelsonienne » par excellence,
qui se généralisera avec les batailles d’anéantissement de la période napo-
léonienne.
La phase finale des guerres de la Révolution et de l’Empire verra se gé-
néraliser de très grands combats d’escadre, qui amenèrent à la destruction
massive ou à la perte de suprématie de l’une des marines en présence. Deux
grandes batailles sont ainsi restées dans l’histoire pour avoir entraîné une
saignée et une perte du rapport de force de la marine française face à la
Royal Navy : la bataille d’Aboukir et la bataille de Trafalgar qui entraîna,
de plus, la destruction quasi totale de la marine espagnole. Mais deux autres
batailles ont eu ce caractère de batailles d’anéantissement : la bataille de
Camperdown pour la marine néerlandaise, et la bataille de Copenhague
pour la marine danoise.

n° 42 – innovations 2013/3 243


Smaïl Aït-el-Hadj
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


Bataille d’anéantissement avec attaques de rupture par la flotte anglaise :
l’ouverture de la bataille de Trafalgar

Les manœuvres tactiques de combat


Une partie du succès de la bataille réside dans les qualités de la ma-
nœuvre. Il faut rester maître de sa manœuvre pour pouvoir se rapprocher
à souhait, pour canonner bord à bord, jusqu’à l’abordage si nécessaire mais
aussi pouvoir décrocher et s’éloigner si la tournure du combat le demande.
La bonne approche tactique de la bataille commence avec la maîtrise du
vent. Il faut pour cela de préférence « être au vent » de l’adversaire, éviter
de se faire déventer par celui-ci si l’on est « sous le vent », et malgré les
désordres du combat, réussir ses manœuvres de changement de direction et
de virement de bord éventuel sans « tomber dans le vent » et empanner. Une
évolution redoutable est recherchée en combat, elle consiste à parvenir dans
une position permettant de défiler perpendiculairement à l’axe du navire
adversaire et par son arrière. Ce défilement par la poupe offre à l’attaquant

244 innovations 2013/3 – n° 42


Caractéristiques de la guerre navale, xviiie et xixe siècles

la possibilité d’ouvrir le feu sur la partie la plus faible du navire, le tableau


arrière vitré et sans bordé. La trajectoire des boulets balaie alors, pratique-
ment sans obstacle, l’ensemble de la longueur du navire adverse faisant des
dégâts considérables.

Le combat d’artillerie
C’est la rapidité et la précision de l’action d’artillerie qui détermine la
supériorité combattante du navire et de l’escadre. Le meilleur est celui qui
tire le mieux et le plus vite. Ceci s’obtient par un long entraînement, le plus
possible à la mer. Dans le cas de la flotte française, coincée dans ses ports par
le blocus britannique, ces exercices de tir se faisaient en rade avec les limites
que l’on imagine. Au contraire, dans la Royal Navy certains capitaines obsé-
dés à juste titre de l’efficacité de leurs équipes de canonniers faisaient pra-
tiquer très régulièrement les exercices de tir en conditions réelles, sur des
cibles constituées de radeaux de barriques.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


Tirer vite veut dire réaliser un tir toutes les deux minutes et, pour un
équipage très bien entraîné, jusqu’à 90 secondes. Au final, la puissance de
feu au combat ne dépend pas seulement du nombre de pièces installées mais
du rythme de leur utilisation
Tirer, mais tirer sur quoi ? D’abord, le tir à la coque qui perce les bordés et
envoie les boulets à l’intérieur des batteries où ils renversent les canons, pul-
vérisent les affûts et projettent une multitude d’éclats de bois meurtriers. Ce
tir à la coque peut se diriger sur les œuvres vives sous la flottaison et amener
à couler le navire.
Tirer, c’est aussi tirer au gréement pour « dégréer » voire « démâter »
l’adversaire. Ce genre de tir a pour but de réduire ou de supprimer les capa-
cités d’évolution de l’adversaire pour mieux le maîtriser dans le combat ulté-
rieur, ou pour pouvoir fuir si l’on n’était pas en situation de force. L’affronte-
ment d’artillerie se termine souvent avec au moins l’un des navires, parfois
tous ceux engagés, complètement « arasés » c’est-à-dire totalement démâtés
jusqu’au niveau du pont. Ils sont alors réduits à l’état d’épaves dérivantes et
leur capacité de combat en est considérablement réduite.
On tire aussi parfois pour tuer des hommes, c’est alors le tir à mitraille,
où les canons sont chargés d’une multitude de balles de fusils que l’on charge
dans les canons. Dans ce combat contre les navires, mais aussi contre les
hommes, l’action de la mitraille, va être complétée par la mousqueterie, tir
au fusil de tireurs, installés dans les haubans et sur les plates-formes de hune
et qui arrosent le pont adverse d’un tir moins abondant mais plus précis. Si
le combat naval de l’époque a ses armes de destruction massive, il a aussi ses
« snipers » (Time-Life, Fighting ships, 1978).

n° 42 – innovations 2013/3 245


Smaïl Aït-el-Hadj

L’abordage
Le combat d’artillerie se poursuit parfois, et se conclut souvent par un
abordage. Abordage veut dire tenter la conquête de vive force du navire
adverse, ce qui constitue, jusqu’au milieu du 19e  siècle, l’objectif principal
du combat naval : la prise du navire adverse. L’abordage était, depuis l’anti-
quité, la forme principale du combat naval. Elle va progressivement dépérir
avec les progrès de l’artillerie jusqu’à disparaître complètement à la fin du
19e siècle avec l’apparition de l’artillerie à projectiles explosifs.
L’abordage est une manœuvre volontaire de venir au contact et doit être
accompagné d’un arrimage des navires à l’aide de grappins lancés à la volée
dans le but que ceux-ci se prennent dans une quelconque pièce de structure
qui assure l’accroche, pendant que l’adversaire en défense cherche à trancher
les liens des grappins et à repousser les assaillants à l’arme blanche et par un
feu nourri. Assurer l’arrimage est indispensable pour éviter qu’un premier
détachement qui aura sauté sur le navire adverse ne se trouve isolé par l’éloi-
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


gnement des navires (Time-Life, Les frégates 1978).
Le combat d’abordage est mené à partir de tout un arsenal spécifique
d’armes à feu : pistolets, fusils à baïonnette, mais aussi d’armes blanches :
sabres d’abordage, haches et piques d’abordage. Lorsque le combat d’abor-
dage a commencé, il n’a plus grand-chose de spécifiquement naval, c’est une
bataille rangée, ou une multitude de corps à corps, qui, mis à part les coups
de fusil et de pistolet, fait plus penser à la bataille antique ou médiévale,
qu’au combat ordonné du 18e  siècle. L’abordage sera une forme de combat
particulièrement prisée des corsaires. Montant de petits navires, rapides et
manœuvrant, dotés d’une artillerie relativement faible mais comprenant un
équipage très nombreux, composé en grande partie de combattants. Le com-
bat n’est achevé que lorsque, la soute à la poudre est sous contrôle, rendant
impossible un suicide collectif par explosion, qui s’est rencontré dans l’his-
toire. Enfin, lorsque le pavillon est amené, il est remplacé par le pavillon du
vainqueur, en général dominant celui du vaisseau conquis.

Marine et guerre navale connaissent une forme stable en lente évolution


sur plus de deux siècles, avec une apogée stabilisée au début du 19e  siècle.
Cette « organisation » stable ne sera remise en cause qu’à partir de 1850,
avec ce faisceau d’innovations que seront la propulsion vapeur, la struc-
ture de fer et le projectile explosif. Ceci produira l’émergence de la marine
moderne.

246 innovations 2013/3 – n° 42


Caractéristiques de la guerre navale, xviiie et xixe siècles

BIBLIOGRAPHIE
ACERRA, M. (1997), L’invention du vaisseau de ligne, 1450-1700, Paris, Kronos Marine –
SPM.
BELISLE, I. (2012), La voile et le canon, le monde des marines de guerre à voile 1745-1815,
Louviers, Éditions l’ancre de marine.
BELLEC, F. (2004), De la royale à la marine de France, Paris, Éditions de Monza.
BOUDRIOT, J. (1977), Le vaisseau de 74 canons, Paris, Éditions Ancre.
DARRIEUS, H., QUEGUINER, J. (1999), Historique de la marine Française de ses débuts à
1815, Saint-Malo, Éditions l’Ancre de Marine.
GARDINER, R. (1992), The Line of Battle, The Sailing Warship 1650-1840, London,
Conway Maritime Press.
HERMAN, A. (2004), To Rule the Waves, how the British Navy Shaped the Modern World,
New York, Harper Perennial.
LAVERY, B. (1989), Nelson’s Navy, The Ships, Men and Organisation 1793-1815, London,
Conway Maritime Press.
RODGER, N. A. M. (2004), The Command of the Ocean, A Naval History of Britain, 1649-1815,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 193.253.232.15 - 11/06/2020 08:59 - © De Boeck Supérieur


London, Norton.
TIME LIFE, série « La grande aventure de la mer », 1978 : Les frégates ; Fighting sails.

n° 42 – innovations 2013/3 247

Vous aimerez peut-être aussi