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Revue de l'art français ancien

et moderne

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Société de l'histoire de l'art français (France). Auteur du texte.
Revue de l'art français ancien et moderne. 1893.

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NOUVELLES ARCHIVES
DE

L'ART FRANÇAIS
TROISIEME SERIE
TOME IX
ANNÉE 1895

REVUE DE L'ART FRANÇAIS ANCIEN ET MODERNE


DIXIÈME ANNÉE

F. DE NOBELE
Libraire de la Société
35, rue Bonaparte, PARIS
Réimpression l*)7:i
NOUVELLES ARCHIVES
DE

L'ART FRANÇAIS
i

REVUE DE L'ART FRANÇAIS ANCIEN ET MODERNE

(lOc ANNÉE, 1893)


CORRESPONDANCE

DE

JOSEPH VERNET
AVEC LE DIRECTEUR DES BATIMENTS SUR LA COLLECTION DES
PORTS DE FRANCE, ET AVEC D*AUTRES PERSONNES SUR DIVERS
OBJETS
1756-1787.

Documents réunis et publiés par M. Jules Guiffrey.

Après les patientes et fructueuses recherches de Léon Lagrange,


après la publication des pièces imprimées d'abord dans les Archives
de l'art français ' et reproduites ensuite dans l'excellent ouvrage de
cet écrivain, sur Joseph Vernet et la peinture au XVIII' siècle 1, on
pourrait croire la matière complètement épuisée. On verra, par la
suite de cette publication, qu'il restait encore beaucoup à dire et que
les pièces restées inédites ne sont pas les moins intéressantes. C'est,
en effet, l'artiste lui-même qui raconte, presque jour par jour, ses
pérégrinations, ses aventures, ses déboires. Ne semblerait-il pas
que le marquis de Marigny, quand il fit au peintre en vogue la
commande qui restera un des actes les plus - intelligents de son
administration, se soit proposé de glorifier la fameuse réponse de
Louis XV à l'indiscrète observation de La Tour, sur la marine de
la France : « Vous oubliez Vernet ? » N'est-ce pas pour donner le
change au public, pour faire illusion sur le nombre et l'importance
de nos ports maritimes, que cette grande entreprise confiée à
Joseph Vernet fut imaginée ? Quoi qu'il en soit, l'idée était bonne
puisqu'elle a doté notre musée d'une collection fort curieuse, bien
qu'un peu encombrante.

1. Tome III, p. 533-364, tome IV, p. 159-167.


a. Paris, Didier, 1864, in-8". L'auteur a publié dans ce livre, avec un grand
nombre de documents inédits, le texte des livres
bibliothèque de la ville d'Avignon.
itraison de l'artiste déposés a la

A*T FX. X. |
2 CORRESPONDANCE
Voici donc une longue correspondance sur cette collection
unique tirée de l'oubli. Les cartons de la direction des Bâtiments
du Roi, que M. Lagrange n'eut pas l'idée d'aller consulter en 1855,
nous ont livré, vingt ans après, car il y a déjà de longues années
que ces documents sont copiés et prêts pour l'impression, cinquante-
une lettres de Joseph Vernet, autant de lettres au moins de ses corres-
pondants naturels, les directeurs généraux des Bâtiments du Roi,
d'abord le marquis de Marigny, puis le comte d'Angiviller, et, en
plus, quatre lettres fort curieuses de Cochin, d'autres enfin de divers
individus, soit un total de plus de cent pièces, presque toutes rela-
tives à la grande collection des ports de France. Longtemps, nous
avions supposé qu'une série de cette importance avait sa place
marquée dans quelque grande revue d'art. Nous nous trompions :
le public de ces journaux spéciaux n'aime pas les longues publica-
tions et les documents trop étendus. Il lui faut une littérature
légère et superficielle, effleurant les sujets sans les appro-
fondir.
En somme, les lettres de Joseph Vernet seront à leur vraie place
dans les Nouvelles Archives de Vart français, puisque les premières
publications de Lagrange avaient paru dans les primitives Archives.
Pour bien comprendre les pièces qui suivent, le lecteur devra
constamment se reporter d'abord à l'itinéraire tracé par M. de Mari-
gny pour l'artiste avant son départ de Paris, et avoir sous les yeux
ces livres de raison remplis de si précis détails sur les déplacements
et les dépenses de Vernet.
On sait que le plan du directeur des Bâtiments comportait d'abord
vingt tableaux, huit vues de la Méditerranée et douze de l'Océan.
Mais les nécessités budgétaires ou d'autres circonstances réduisirent
à quinze le nombre des toiles aujourd'hui conservées dans les
galeries du Louvre. La suite comprend actuellement deux vues
de Marseille, ce fut le début de l'entreprise, trois de Toulon,
une d'Antibes, une du golfe de Bandol et du port de Cette, deux
tableaux pour Bordeaux, deux pour Bayonne, un de Rochefort,
un de La Rochelle et enfin le port de Dieppe. Après dix ans de
voyages continuels et de déplacements coûteux, l'artiste était à
bout de patience et de ressources. Les commandes affluaient de
toutes parts et offraient de bien autres avantages que ce travail inter-
minable et fastidieux.
L'itinéraire tracé par M. de Marigny porte la date du mois
d'octobre 1753; le peintre arrivait à Marseille le 15. Ses carnets
permettent de suivre son itinéraire mois par mois, pendant sa
longue absence. Les vues de Marseille occupent la fin de l'année
1753 et la première moitié de 1754. L'installation à Toulon est du
DE JOSEPH VERNET 3

mois de septembre. En 175S, voyage à Paris, où la famille passe le


temps des plus fortes chaleurs, de juillet à décembre. Puis, le peintre
se remet avec ardeur à la besogne; les derniers mois de cette
année 1755 et les premiers de la suivante sont absorbés par les vues
du port de Toulon et quelques oeuvres de moindre importance.
Au milieu de l'année 1756, Vernet se rend à Avignon, dans sa
famille, pour passer la période la plus fatigante de l'été. Le port de
Cette était en projet ; c'est d'Avignon qu'il écrit à M. de Marigny la
lettre, en date du 6 septembre 1756, communiquée jadis à Léon
Lagrange par notre ami M. de Montaiglon. C'est le début de la
correspondance de Vernet avec le directeur des Bâtiments au sujet
de sa grande entreprise. Il est au moins singulier que nous ne
connaissions aucune lettre de l'artiste antérieure à cette date du
6 septembre 1756. Evidemment, il n'a pu rester deux années sans
correspondre avec son supérieur, sans demander ses instructions,
sans l'informer des progrès de son ouvrage. Ce silence est d'autant
plus inadmissible, qu'à partir de la fin de 1756, les lettres de
Vernet à M. de Marigny abondent ; donc la période antérieure ne
devait pas être moins riche en documents analogues. Que sont
devenues ces lettres? Nous l'ignorons; peut-être leur disparition
n'est-elle que provisoire et les découvrira-t-on un jour, soit dans
une série inexplorée jusqu'ici des archives de la Maison du Roi,
soit dans le cabinet de quelque amateur d'autographes.
Dans tous les cas, c'est au mois de septembre 1756 seulement
que commence la correspondancedu peintre des ports de France avec
le frère de la marquise de Pompadour. Elle prend une nouvelle acti-
vité les années suivantes pour ne plus s'arrêter qu'à la fin de l'en-
treprise. A la suite de ces lettres relatives à la collection des ports de
France nous avons reproduit toutes celles du même fonds d'archives
se rapportant aux sujets les plus variés. Cette correspondance nous
conduit jusqu'aux dernières années de la vie de Joseph Vernet. Il y
avait intérêt, croyons-nous, à ne pas disséminer cet ensemble. Il fau-
drait donc, à la rigueur, placer en tête de notre publication la lettre
de Vernet, en date du 6 septembre 1756, jadis publiée par L. Lagrange
et reproduite partiellement par Amédée Durande, dans son livre sur
les trois Vernet 1 ; car la première en date des lettres de Vernet parais-
sant ici pour la première fois, celle du 11 novembre fait allusion au
contenu de la missive du 6 septembre, ainsi qu'à la réponse du mar-
quis de Marigny, datée du 9 octobre. Mais il nous paraît superflu de
réimprimer à nouveau des documents auxquels chacun peut
recou-

1. Joseph, Carie et Horace Vernet, Correspondance et biographie, par Amédée


Durande, Paris, Hetzel, in-12, s. d. (1863).
4 CORRESPONDANCE

rir et qui allongeraient sans utilité notre travail. Nous ne donnerons


donc que les lettres inédites, en indiquant, s'il y a lieu, celles qui
ont paru ailleurs et qui peuvent servir à éclairer nos documents.
D'ailleurs, dans son livre sur Joseph Vernet ', Léon Lagrange a
dressé la liste chronologique de tous les billets de l'artiste dont le
texte était connu et dont il avait relevé la mention dans divers
ouvrages ou dans des catalogues de ventes d'autographes. Le
nombre des pièces portées sur cette liste monte à quarante-un.Celles
qui se rapportent aux ports de France sont rares. Il n'y en a que deux
en tout d'une date antérieure au 6 septembre 1756. Dans la pre-
mière, du 2 octobre 1755, Vernet écrit de Toulon à son protecteur
pour recommander son beau-frère, le sculpteur sur bois Guibert 2.
Une autre, du 16 mai 1756, a trait aux tableaux du port vieux de
Toulon, d'Antibes et de Cette '. Vernet y demande l'autorisation
d'aller passer quelque temps à Avignon. Puis vient la lettre du
6 septembre dont il a été question plus haut, la réponse en date du
9 octobre, et enfin la pièce par laquelle débute la présente publica-
tion et qui fut envoyée de Cette à M. de Marigny, le n novembre
1756. Nous pourrons maintenant laisser la parole aux interlocuteurs,
en nous contentant d'ajouter quelques commentaires indispensables
sur certains points obscurs. Il a paru préférable de conserver l'or-
thographe de l'artiste. Celle des réponses de M. de Marigny, n'offrait
aucun intérêt. J.-J. G.

1. — LE MARQUIS DE MARIGNY AU COMTE D'ARGENSON

A Versailles, le 31 mars 1756.


Monsieur — Je vous prie de vouloir bien recommander à
M. de Sade, commandant de la place d'Amibe, le sieur Vernet,
peintre de marine, chargé par le Roy de faire une suitte de
tableaux de tous les ports du royaume et qui va se rendre à
Antibe pour y prendre ses dimentions et lever ses plans. Il ne
peut y trouver la liberté et les facilités dont il a besoin pour
ses observations et ses études qu'en conséquence des ordres
que vous aurez eu la bonté de donner à ce sujet.
J'ai l'honneur d'être très parfaitement, etc.
LE MARQUIS DE MARIGNY.

1. Page 454 et suivantes.


2. Publiée d'abord dans les Archives de l'art français, I, p. 304-6 et reproduite dans
le Joseph Vernet de L. Lagrange, p. 242.
3. Cette pièce a passé dans des ventes d'autographes en 1844 et en 1885 (voir
L. Lagrange.)
DE JOSEPH VERNET

2. LE COMTE D'ARGENSON AU MARQUIS DE MARIGNY

A Versailles, le 26 avril 1736.


J'ay receu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'hon-
neur de m'escrire le 31 du mois dernier au sujet du sieur Ver-
net, peintre de la marine, qui est chargé par le Roy de faire
une suite de tableaux de tous les ports du royaume et qui doit
rendre \ incessament à Antibes pour cet effet. J'escris,
se
comme vous le désirés, à M. le comte de 5'ades qui commande
à Antibes, de luy procurer touttes lès facilités dont il aura
besoin pour l'exécution de son travail. Je suis très parfaitement,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
D'ARGENSON.

3. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

J'ay reçu une lettre du vingt trois du mois dernier, Mon-


sieur, -par laquelle vous me marqués que vous travaillés au
tableau d'Antibes et que vous avés les deux faits à Toulon
pour le Roy, roulés et encaissés ; adressés-les moi incessament
et mandés moi ce à quoi vous vous occuperés suivant l'itiné-
raire que je vous ai envoyé lorsque le tableau d'Antibes sera
fini.
Vous avés reçu vingt neuf mille livres depuis 1754. Je fais
mettre en règle le mémoire des quatre premiers tableaux,
pour le parfait payement desquels j'ordonnerai sous peu de
jours mil livres et un acompte de six milles livres ; au moyen
de ces deux sommes vous aurez reçu trente six mille livres,
valeur des six premiers tableaux, à la fin de l'année. Si celui
d'Antibes est achevé, j'ordonnerai un autre à compte de six
mil livres, montant des fonds que je vous ai destinés jusqu'au
i" janvier 1757.
Je suis, Monsieur, votre, etc.
Du 10 août 1756.
CORRESPONDANCE

4. — LE MARQUIS DE MARIGNY AU GARDE DES SCEAUX

A Versailles, le 21 novembre 1756.


Monseigneur — J'ay eu l'honneur de vous prier, par ma
lettre du 25 octobre dernier, de vouloir bien recommander à
messieurs les officiers de la marine du port de Cette le sieur
Vernet, peintre de marine pour le Roy, et de luy procurer les
facilités dont il aura besoin pour faire le tableau de ce port.
Le sieur Vernet est arrivé à Cette d'où il m'écrit qu'on luy a
dit n'avoir reçu aucun ordre de votre part qui le concernât.
Je vous serai très obligé si vous voulez bien luy accorder la
grâce que je vous demande pour luy.
J'ay l'honneur d'être, etc.
LE MARQUIS DE MARIGNY.

5. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY '

Monsieur — Comme je sens avoir bien des choses à vous


dire, et que je n'ay rien moins que le talent de le faire en peut
de mots, je commence à vous demander pardon sur la lon-
gueur de ma lettre et vous prier d'avoir la bonté de la lire.
J'ai reçeu en son temps la lettre que vous m'avés fait l'hon-
neur de m'écrire le 9 octobre, où sur ce que j'eux celuy de
vous dire dans ma lettre du 6 septembre au sujet du point de
vue que je me proposoit prendre à Cette 3, et qu'après en
avoir fait les ettudes, j'auroit put aller exécuter ce tableau à
Bordeaux, vous avez la bonté de me faire observer que si je
prend la vue du côté de la mer, ce port ne sera pas reconnu
par la plupart de ceux qui ne l'onts vu que du côté de la
terre; que si je représente une tempête, je seray obligé de me
mettre au large n'ettant pas naturel de voir la mer agitée dans
un port, et que la distance où je seray obligé de me mètre
m'empêchera de bien distinguer les objets; qu'il vous semble

1. Cette lettre a fait partie de la riche collection d'autographes de M. Alfred Bovet.


N° 1475 du Catalogue.
2. Sur cet épisode, voir les lettres du 6 septembre et du 9 octobre dans les
Archives de l'art français, IV, 149-152, et le livre de Léon Lagrange. D'ailleurs, l'ar-
tiste résume très explicitement ici la correspondanceantérieure,
DE JOSEPH VERNET 7

que le projet de ce tableau, tel qu'il est dans l'itinéraire que


vous euttes la bonté de m'envoyer, rempliroit mieux l'objet
que je dois me proposer ; qu'à l'égard de l'intention où j'et-
tois d'aller exécuter ce tableau à Bordeaux, vous ne pouviés
consentir à cela, attendu que le Roy paye mes tableaux de
façon à exiger que je leurs donne toutte la perfection possible;
que je ne sçaurrois les mieux finir que sur les lieux ; et que
vous comptez que je fairai le tableau du port de Cette à Cette
même
J'auray l'honneur de vous dire, Monsieur, que, quoique
j'eusse assés bien jugé sur les plans et élévations que j'avois
vu de ce port, j'ay, à mon ordinaire, parcourût tous les divers
points de vues, et qu'après avoir tout vu et bien examiné, je
n'en trouve pas de plus beaux et qu'il remplisse mieux l'in-
tention du Roy et la mienne que celuy du côté de la mer ; car,
si je le prend du côté de la terre, à quel endroit que je me
place, je ne puis voir que des parties du port, ce qui rendroit
ce tableau pauvre d'objets et qui ne rendroit qu'en partie ce
qu'on demande, à moins de faire trois tableaux de ce port,
mais on n'en demande qu'un seul, et il en faudroit bien six
pour représenter tout ce qui est indiqué dans l'itinéraire, ou
bien il faudroit faire une carte géographique; le voicy tel qu'il
est dans l'itinéraire :
« Le Languedoc n'a aucun bon port, mais dans une suitte
« de tableaux l'on ne doit pas obmetre d'y comprendre celuy
« de Cette qui est le seul de cette province. Si dans le tableau
« de ce port on y comprend d'un côté la plus grande partie
« de l'étang de Thau jusques à Balaruc et Frontignan, et de
« l'autre côté le commencement du canal de la jonction des
« mers, il aura un caractaire distinctif qui n'est pas à négliger.
« D'ailleurs il ne laisse pas que d'arriver à Cette beaucoup de
« bâtiments étrangers, anglois, hollandois et de la mer Bal-
te tique '. »
M. Pèlerin, premier commis de la Marine, qui m'a dit avoir
fait ce projet d'itinéraire, peut bien être entendu à bien des
choses, mais il ne l'est guère à ce qu'il faut pour faire un bon
tableau. La plupart des autres ports sonts décrits dans ce

t. C'est le passage textuel de l'Itinéraire publié par Léon Lagrange, (Archives, IV,
p. 14a).
8 CORRESPONDANCE
même goust; je ne l'ay point suivis, et il m'auroit été impos-
sible de le faire au port d'Amibe, Toulon et Marseille, encore
moins le suivray-je dans celuy-cy. C'est comme si on me
demandoit de peindre en un seul tableau l'intérieur du jardin
des Tuilleries, où l'on vît la façade du bâtiment, le pont tour-
nant, d'un côté Bellevue et Saint Clou, et de l'autre le Pont
neuf, les tours Notre-Dame, Pantin et Saint-Denis. Vous
jugés bien, Monsieur, qu'on ne pourrait le faire à moins de
faire une carte géographique.
L'intention où je suis de représenter une tempête dans ce
tableau ne m'oblige pas de me mètre plus éloigné du port que
si je le faisoit avec un temps calme, je me place vis-à-vis l'en-
trée, et c'est là où la mer se brise avec le plus de violence et
où se perdent assés souvent des bâtiments ; la mer est même
fort agitée dans le port selon le vent qu'il fait ; ainssy il n'y
aura rien contre la vraisemblance, bien au contraire ; outre que
ce tableau faira une variété parmis les autres, une tempête
faira le caractaire distinctif de ce port, et il sera plus reconnus
pris du côté de la mer que si je le prennois de celuy de la
terre, d'où je ne pourrais peindre les objets qui le caracté-
rise 1.
Je sçay, Monsieur, que le Roy me paye mes tableaux pour
que j'y donne toute la perfection dont je puis être capable,
aussy l'ai-je toujours fait, et mon intention sera toujours de
Élire tous mes efforts pour que mes tableaux aillent de mieux
en mieux. Permettes, je vous prie, Monsieur, que je vous
découvre un secret en cette occasion; c'est que si le Roy
payoit cent fois plus qu'il ne fait mes tableaux, je ne sçache pas
qu'il me fût possible de les mieux faire que je les faits, et ne
les fairois pas plus mal s'il m'en donnoit cent fois moins. Mon
amour-propre étant plus avide de la gloire que de l'argent,
quant je fais un tableau, je ne suis occupé que du soin de bien
faire, et je pense plus à ce qui peut me faire honneur qu'à la
somme qu'on m'en donne *. Quant j'ay eu l'honneur de vous

i. La vue du port de Cette (rt* 599 du Catalogue de l'Ecole française) prouve que
Vernet obtint gain de cause et fit prévaloir ses idées. La ville est vue de la mer par
un temps agité. Le tableau fut exposé au Salon de 17x7.
2. Voyez la réponse de M. de Marigny en date du 21 novembre, dans les Archives
U l'art français, Vf, p. 154.
DE JOSEPH VBRNET 9
dire que, selon le point de vue que je prendrais, après mes
éttudes faittes, j'aurois put exécuter le tableau à Bordeaux, et
que, n'étant plus nécessaire d'être sur le lieu, j'aurois eu plus
de secours et de facilité pour cette exécution dans une grande
ville que j'en aurais icy; mais je resteray icy, d'abord parce
que vous le voulez et en même temps pour que, si mon inca-
pacité m'empêche de faire tout ce que je désirerais, on ne
puisse l'attribuer à quelque négligeance de ma part. J'ay pour
cela arrêté une maison icy, et m'y suis établis ; je fairay le
tableau de Cette icy sur le lieu, et finiray celui d'Antibe où il
me reste quelque chose à faire.
Il y a déjà quelque temps que je suis en cette ville ; dès
mon arrivée j'allay chez M. le commandant de la Ville et le
commissaire de la Marine qui me dirent n'avoir eu aucun
ordre de la Cour à mon sujet, ce qui m'a mis dans des embar-
ras.
J'ay depuis reçu la lettre dont vous m'avez honoré, du
25 octobre, où vous me dittes avoir eu la bonté d'écrire à
M. le Garde des Sceaux pour qu'il me procure icy la facilité
de faire les opérations relatives à mes tableaux, mais ils n'onts
encore rien reçu.
Je suis extrêmement flatté, Monsieur, de ce que vous
paroisses être sattisfait des deux derniers tableaux que j'ay
fait à Toulon '. Voilà une de ses récompences auxquelles
j'aspire, pour lesquelles je travaille et qui me fonts le plus de
plaisir.
Je suis avec le plus profond respect et en implorant votre
indnlgeance sur la longueur et les autres deffauts de cette
lettre,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
VERNET.
Cette, 11 novembre 17 S 6.

i. Vernet a peint trois vues-différentes du port de Toulon (n"' 595, 596 et 597 du
Catalogue du Louvre). Toutes les trois furent exposées en 17S7. Il est donc malaisé
de déterminer l'ordre de leur exécution. Il est cependant à noter la vue de la rade
que
et la vue du vieux port ont leur signature accompagnée de la date 1756.
CORRESPONDANCE

6. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — C'est avec la plus grande sattisfaction que je


vient d'aprendre la nouvelle marque que le Roy vient de vous
donner du cas qu'il fait de vôtre personne et du mérite qu'il
reconnoît en elle ; l'attachement très respectueux que je vous
ay voué me fait prendre un vif interest à ce qui vous concerne,
et me fait vous dire, à l'approche du renouvellement d'année,
que je fais tous les jours des voeux, et pour vous, Monsieur,
et pour tout ce qui vous est cher.
J'ay reçu en son temps la réponce dont vous m'avez honoré
du 21 novembre 1. Vôtre aprobation sur le choix que j'ay
fait de la vue de ce port m'a déterminé, me faira faire le
tableau avec plaisir, et ne contribuera pas peut à la réussite,
si elle sera selon mes désirs.
M" le commandant de cette ville et le comissaire ordon-
nateur de ce port, n'onts point encore reçu aucun ordre de la
cour à mon sujet. La nécessité où j'ay été de proffitter de
quelques beaux jours qu'il a fait, m'a fait les prier de me lais-
ser faire les opérations nécessaires au tableau de ce port ; j'ay
deû montrer les lettres que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire à ce sujet qui constatents ma commission, et sur cela
on m'a laissé faire. J'ébauche actuellement le tableau de ce
port, et celuy d'Antibe pourra être finy vers le quinze du mois
prochain.
Je vous dois, Monsieur, des très humbles remerciments
sur les bontés que vous daignez avoir pour mon beau-frère.
J'ose me flatter que, dans touttes les occations où vous luy fai-
rez l'honneur de l'employer, il ne démentira pas l'idée que j'ay
donné de luy.
Je suis, avec le plus vray et le plus respectueux attache-
ment, etc.
VERNET.
A Cette, ce 23 décembre 17s6.

1. Voir la note de la page 8.


DE JOSEPH VERNET

7. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

A Cette, ce 5 janvier 1757.


Monsieur — La recconnaissance que je vous dois pour les
bontés que vous daignés me continuer, l'emporte sur la crainte
que j'ay de vous importunner en ayant l'honneur de vous
écrire si souvent que je fais. J'ay donc besoin de l'exaller avec
vous, Monsieur, et vous faire des très humbles remerciments
sur les ordres que vous avés bien voulut donner pour qu'il me
fût compté la somme de mille livres pour reste de compte, et
celle de six mille à compte des ouvrages que je fais pour le
Roy.
Le landemain de la dernière fois que j'ay eu l'honneur de
vous écrire, le commissaire ordonnateur de ce port a reçu
des ordres de Mr le Ministre de la marine au sujet des opéra-
tions que je fais icy pour le Roy. J'écrivis tout de suite à
Mr Cochin pour le prier de vous en informer, n'osent pas vous
écrire coup sur coup.
Le tableau de ce port est ébauché, et celuy d'Antibe pourra
être finy dans quinze jours.
Je suis, avec le plus respectueux attachement...
VERNET.

8. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Versailles, le 18 janvier 1757.


Je suis fort aise d'apprendre, Monsieur, par votre lettre du
5 de ce mois, que les ordres que M. le Garde des sceaux
m'avoit promis de donner pour vous procurer dans le port de
Cette les facilités nécessaires dans vos opérations, soient arri-
vés. Ne craignez pas de m'importuner par de fréquentes lettres;
tout ce qui peut être relatif aux travaux dont vous êtes chargé
m'intéresse. Je suis, Monsieur, etc.
12 CORRESPONDANCE

9. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Versailles, 25 février 1757.


J'ay reçu, Monsieur, votre lettre du 12 de ce mois par
laquelle vous me marqués que le tableau du port d'Antibes est
fini depuis trais semaines et que vous travaillés à celuy du port
de Cette qui pourra être achevé vers la fin d'avril ou au com-
mencement de may. Je suis dans la confiance que vous y don-
nés le tems suffisant pour soutenir la réputation que vous
vous êtes faite.
Il fut effectivement remis, il y a quelque tems, à M. Cochin
une ordonnance de 6.000 livres expédiée en votre nom; mais,
dès le 23 septembre 1766, vous en avez reçu la valeur sur un
ordre particulier qui a été converti en pièce comptable ; une
chose constante est que vous avés reçu complètement jusqu'icy
36.000I1V. pour valeur de six tableaux et qu'il vous est dû celuy
du port d'Antibes à peine fini. Si vous saviés tous les retarde-
ments qu'éprouvent vos confrères dans le payement de leurs
ouvrages pour le service du Roy, vous verriez combien le
traitement que je vous fais est favorable et certainement vous
modéreriez vos sollicitations, puisque, vous ayant accordé cinq
tableaux en deux ans, à raison de 6.000 liv. chacun, en trois
années en ayant fait sept, vous être payé de six ; vous ne sau-
riez recevoir le prix du septième que dans tout le courant du
mois d'avril. Formés vos arrangements en conséquence.
Je suis, Monsieur, votre, etc..

10. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — J'ay crût devoir vous prévenir du temp où


j'expère pouvoir me rendre à Bordeaux, afin que si vous trou-
vez bon que j'y aille, vous ayez la bonté de faire donner les
ordres nécessaires aux opérations que je dois y faire pour le
service du Roy. Je m'y prend à l'avance pour tâcher d'éviter
les embarras que j'ay éprouvés à Toulon et icy, où les ordres
ne sonts venu que deux ou trois mois après mon arrivée.
J'ay reçu en son temp la réponce dont vous m'avez honoré
DE JOSEPH VERNET 1 }

du 24 février dernier. Vous ne vous trompez pas, Monsieur,


quand vous suposez que je met tout le temp nécessaire à per-
fectionner de mon mieux les tableaux que je fais pour le Roy ;
il est certain que je n'épargne rien pour remplir l'idée que
vous avez eu la bonté de donner de mes talent à Sa Majesté,
pour mériter votre extime et la réputation que j'ay le bon-
heur d'avoir.
Quand j'ay repris le tableau de ce port il y a deux mois, j'y
avoit déjà travaillé six semaines ; et celuy d'Antibe que j'ay
finy icy ettoit fort avancé quand je partis d'Avignon. Je roul-
leray ces deux tableaux dès que le dernier finy sera assez sec.
J'attend vos ordres pour sçavoir ce que j'en dois faire. Je vous
prie d'observer, Monsieur, que moins ils resteront rouliez,
moins ils voyageronts, et moins ils courrons risque de ce gat-
ter. J'expère avoir fini ce que j'ay à faire icy vers la fin d'avril
prochain ou au commencement de may.
Je suis etc.
VERNET.
De Cette, ce 26 mars 1757.

11. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

J'ay reçu, Monsieur, votre lettre du 26 du mois passé, dans


laquelle vous me marqués que vous comptés avoir fini ce que
vous avez à faire à Cette à la fin de ce mois ou au commence-
ment de may. Cela étant, vous aurés agréable de vous rendre
de Cette à Bordeaux où vous trouverez en arrivant, chez M.
Rostaing, commissaire ordonnateur de la marine, les ordres de
M. Demoras ' pour vous faciliter tous les moyens dont vous
aurez besoin dans ce port pour vos opérations. Je prie le
Ministre de la marine par ce même ordinaire de vouloir bien
prévenir ce commissaire ordonnateur que vous vous rendrez à
Bordeaux à la fin de ce mois ou au commencement de may, et
de luy donner tous les ordres nécessaires à cet égard
pour que
vous n'ayez pas à essuyer les embarras que vous avez éprouvés
à Toulon et à Cette.

t. Peirenne de Moiras, ministre de la marine du i" février 1757 au 1" juin 1759.
14 CORRESPONDANCE

Vous aurés agréable de m'envoyer à Paris, par la voye la plus


sûre et la plus prompte, le tableau du port d'Antibes et celuy
de Cette aussitost que vous jugerés qu'ils peuvent être roulés et
envoyés sans se gâter. Je les ferai tendre sur leurs châssis dès
que je les aurai reçus. Je suis, etc.
A Marigny, le n avril 1757.

12. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur —• J'eu l'honneur de vous écrire le 26 Mars der-


nier, pour vous prévenir que j'expéroit avoir finy icy vers la fin
de ce mois et être en état de partir pour Bordeaux les premiers
jours de may, où je vous priois de vouloir bien faire donner
les ordres nécessaires à mes opérations pour le Roy, et d'avoir
la bonté de me faire sçavoir ce que je dois faire du tableau
d'Antibe et de celuy de ce port-cy.
Comme je dois prendre quelques arrangements d'avance et
que je ne le puis faire sans vos ordres, permettez, Monsieur, que
je prenne la précaution de vous raffraichir la mémoire au sujet
des prières que je vous ay faittes, et que je les réitère pour
que je ne perde pas un tems icy qui est convenable pour voya-
ger et nécessaire à mes opérations à Bordeaux.
C'est bien à regrest, Monsieur, que je vous importune aussy
souvent que je le fais par mes lettres; je vous prie de vouloir
bien m'excuser là-dessus.
Je suis, etc.
VERNET.
De Cette, ce 20 avril 1757.

13. — LETTRE DE M. DE MOIRAS, MINISTRE DE LA MARINE


AU MARQUIS DE MARIGNY

A Versailles, le 28 avril 1757.


J'ay écrit, Monsieur, à M. de Rostan comme vous le dési-
rez, pour luy recommander fortement le S. Vernet, peintre de
marine, que le Roy a chargé de faire des tableaux des diffé-
rens ports du Royaume, afin qu'il luy procure pendant son
séjour à Bordeaux toutes les facilités dont il aura besoin pour
DE JOSEPH VERNET 1$

remplir l'objet de son voyage, et j'ay lieu, de présumer qu'il


n'aura rien à désirer à cet égard.
J'ay l'honneur d'être, etc.

14. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Versailles, le 9 may 1757.


J'ay reçu, Monsieur, votre lettre du 20 du mois dernier.
Vous pouvez me faire parvenir les tableaux du port d'Antibe
et de celui de Cette par les mêmes moyens dont vous vous êtes
servi pour les tableaux précédents.
Dès leur arrivée, je les ferai mettre sur châssis.
Vous pouvez partir pour Bordeaux aussitôt quev vos arran-
gements vous le permettront. Les ordres sont déjà donnés par
le Ministre de la marine à M. de Rostan, commissaire dans
ce port, de vous procurer toutes les facilités nécessaires pour
vos opérations.
Je suis, etc.

15. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur, — Il y a environ trois semaines que je suis


arrivé en cette ville x, où j'ay trouvé M. de Rostan avoir reçu
les ordres du Ministre de la Marine au sujet de ma commission
pour le Roy; sur quoy j'ay l'honneur de vous faire des très
humbles remerciments.
J'ay parcourût tous les divers points de vue de cette ville ;
après les avoir tous bien examinés, je ne vois pas d'autre party
à prendre que celuy de diviser ce port en deux tableaux, dont
l'un comprendra le château Trompette, toutte la ville et le port,
avec un echapé de la rivière dans le lointain, du côté de Tou-
louse. L'autre tableau comprendra encore le château Trom-
pette du côté opposé, avec la vue du faubourg nommé Le Char-
tron, où sonts tous les vaisseaux étrangers, et un échappé de la
rivière du côté de Blaye. On aura en ces deux tableaux la vue

1 D'après les notes de Vernet publiées par Léon Lagrange, l'artiste quitta Cette
le 12 mai, arriva à Toulouse le 16, y resta cinq jours et parvint à Bordeaox le 24.
Il logea chez un M. Pitard.
A.RT PX. X 2
l6 CORRESPONDANCE
du tout, et le château Trompette qui se trouve entre deux et
attennent à la ville et au faubourg faira concevoir le tout
ensemble.
Il ne me parait pas possible de reppresenter le tout dans un
seul tableau. Par l'ettandue d'une lieu qu'il y a d'un bout de la
ville à celuy du faubourg, je devrais me placer à une lieu de
distance au moins pour pouvoir embrasser le tout d'un seul
coup d'oeil; et pour lors la ville et la rivière se trouveroit à
l'orizon du tableau, et les objets extrêmement petits et confus,
puisque je devrais réduire l'espace d'une lieu à celuy de huit
pieds qu'ont mes tableaux.
Je ne puis non plus prendre la vue du tout ensemble par
un des bouts, soit de la ville ou du Chartron, puisque le tout
forment un demy cercle dans lequel entre de beaucoup l'autre
côté de la rivière qui cache plus de la moitié de la ville en la
regardant du bout du faubourg, et presque tout le faubourg en
la regardant du bout de la ville. J'ay comuniqué et consulté
Mr l'intendantde cette ville et autres personnes de goust, qui ont
fort approuvez les points de vue que j'ay choisy,,n'en trouvent
pas des meilleurs. Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien me
faire sçavoir votre sentiment là-dessus. J'ay mis la main à
l'oeuvre et travaille aux ettudes d'après nature pour le tableau
qui doit reppresenter la ville; mais je ne commenceray à
peindre ledit tableau que lorsque j'auray reçu votre approba-
tion sur ce que je vient d'avoir l'honneur de vous dire.
Les dehors et l'extérieur de cette ville-cy est vrayment
magnifique. M. de Tourny y a fait des choses prodigieuses,
tant pour le bon goust que pour le jugement ; il a eu la com-
plaisance de me conduire partout, et a mille bontés pour moy
que je crois devoir à ce que vous euttes la bonté de luy dire
sur mon compte le jour que j'eu l'honneur de présenter mes
quatre premiers tableaux au Roy.
Je suis bien impatient de sçavoir si les deux derniers tableaux
que j'ay fait pour le Roy, et que j'ay eu l'honneur de vous
addresser sonts parvenus entre vos mains, et si vous en ettes
sattisfait.
Je suis, etc
VERNET.
A Bordeaux, ce 7 juin 1757.
DE JOSEPH VERNET 17

16. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Versailles, ce ... juin 1757.


J'ay reçu, Monsieur, les deux tableaux que vous m'aviés
annoncé par votre lettre du 26 du mois dernier ; ils sont arrivés
très bien conditionnés ; j'en suis on ne peut plus satisfait, et
les personnes auxquelles je les ay fait voir le sont également ;
ils tiendront très bien leur place dans le sallon prochain 1.
Avant huit jours considérez vous comme compris dans une
distribution pour 6000 livres; au moyen de cette somme,
vous aurés été payé de sept tableaux. Vous recevrés le prix du
huitième avant la Toussaint.
Je vous le répète avec plaisir, je suis très content de ces
deux morceaux.
Je suis, Monsieur, etc.

17. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Versailles, le 23 juin 1757.


Je suis fort aise. Monsieur, que vous ayez été reçu à Bor-
deaux par M. de Rostin, comme le Ministre me l'avoit fait
espérer. J'ay le même plaisir d'apprendre que M. l'Intendant
s'intéresse au succès de vos opérations. J'approuve fort que
vous fassiez deux tableaux de ce port immense et magnifique ;
son étendue et sa forme ne permettant pas de le comprendre
en un seul, à moins d'un éloignement qui rendroit ses détails
imperceptibles. A l'égard de vos deux derniers tableaux que
vous m'avez envoyés, je vous dirai sans exagération que j'en
suis dans l'enchantement, et surtout de celui de Cette. Con-
tinuez avec le même zèle. J'attends de vous les mêmes succès.
Je suis, etc.

1. Le Sa'^n de 1757 reçut, en effet, les tableaux des ports d'Antibes et de Cette
avec les deux vues de Toulon dont il est question plus haut. Vernet exposait en même
temps huit ou dix autres cadres, dont un appartenant à M. de Marigny.
18 CORRESPONDANCE

18. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Versailles, le 23 juin 1757.


Vous avez vu par ma précédente, Monsieur, que j'ay
approuvé les deux points de vue que vous avez pris pour
faire les deux tableaux du port de Bordeaux. Vous me mar-
qués, par votre lettre du 10, qu'on continue de bâtir du côté
de la rivière, selon le projet de M. de Tourny et que cette
partie pourra être achevée dans deux ou trois ans, ce qui vous
jette dans le doute de sçavoir si vous ferez vos tableaux d'après
l'état présent où est ce port, ou d'après celuy où il se trouvera
lorsque M. de Tourny aura fait finir les bâtiments dont vous
me parlez. Ayez agréable, Monsieur, de faire vos tableaux
d'après l'état actuel où se trouve ce port.
Je suis, Monsieur, etc.

19. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Je vient de recevoir une lettre de M. Cochin,


par laquelle j'aprend que vous avés présenté au Roy les quatres
derniers tableaux que je vous ay envoyé, et que vous avés eu
la bonté de les faire valoir en leurs donnent des éloges. J'ay
l'honneur, Monsieur, de vous en faire mes très urhbles remer-
ciments; et je vous seray aussy très obligé si vous voulez bien
permêtre qu'ils soient exposés cette année au Salon du Louvre,
afin que je puisse recevoir et faire mon proffit de l'avis du
public connoisseur et impartial.
J'ay reçu en leur tems, Monsieur, les deux lettres que vous
m'avés fait l'honneur de m'écrire le 23e juin dernier, où vous
avés la bonté de me dire des choses au sujet des deux derniers
tableaux que je vous ay envoyé, dont je suis extrêmement
flaté; ce qui m'anime et me donne une confiance qui pourra à
l'avenir me mieux faire mériter la bonne opinion que vous
avés de mes talents.
Je suis aussi très flaté, Monsieur, d'avoir pensé comme vous
à l'égard du tableau de Cette, et de croire que les connoisseurs
le trouverait supérieur aux autres.
DE JOSEPH VERNET 19
J'observeray de faire les édifices de ce port-cy tels qu'ils sont
attuellement, mais j'y metray plus de vaisseaux qu'il y en a à
présent, et le repprésenteray en temps de paix.
Je suis avec le plus respectueux attachement, Monsieur, etc.
VERNET.
A Bordeaux, le 12e juillet 1757.

20. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — J'ay reçu la lettre que vous m'avez fait l'hon-


neur de m'écrire du 7e de ce mois", où vous avez la bonté
de me répéter que vous ettes content des deux derniers
tableaux que je vous ay envoyé, que le Roy à qui vous les
avez présenté, toutte la Cour, et ceux à qui vous les avez faits
voir, ont parût l'être aussy.
Personne ne sçait mieux que vous, Monsieur, animer les
artistes, et personne ne sens mieux cet effet que moy. Touttes
les choses que vous avez la bonté de me dire m'onts rempli le
coeur de joye, et quoique je sçache qu'il y a beaucoup de
complaisance de votre part, mon amour-propre y trouve tou-
jours son compte, quant ce ne serait que cette même com-
plaisance dont je suis extrêmement flaté et glorieux. J'eusse
bien désiré aussi être présent lorsque Sa Majesté a daigné
jetter quelques regards sur mes ouvrages et leurs donner quelque
éloges. Je sçay, Monsieur, que c'est à vous seul que je doit le
bon succès qu'onts eu mes tableaux à la cour ; par une lettre
que j'eus l'honneur de vous écrire il y a quatre jours, j'eû celuy
de vous faire mes très humbles remerciments, là-dessus. J'ay
l'honneur de vous en faire sur la bonté que vous avez de
m'avoir compris pour la somme de 6000 livres dans une ordon-
nance et distribution que vous deviez faire dans quelques jours,
ainssi que vous m'avez fait l'honneur de me l'écrire. Je ne puis
assez vous exprimer combien je suis sensible et reconnoissant
sur tout ce que vous voulez bien faire pour moy, et je ne
sçaurroit exagérer le respectueux attachement avec lequel je
suis, etc.
VERNET.
A Bordeaux, le 16 juillet 1757.

t. Nous n'avons pas cette lettre du 7 juillet.


30 CORRESPONDANCE

21. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Compiègne, le 29 juillet 1757.


J'ay reçu, Monsieur, vos deux lettres des 12 et 16 de ce
mois.
Je vois que M. Cochin vous a informé combien le Roy fut
content de vos quatre derniers tableaux que je présentai avec
bien du plaisir à Sa Majesté. Les éloges qu'elle leur accorda
sont les fruits de vos talens où la recommandation n'a nulle
part; vous vous devez à vous-mêmes les suffrages dont vos
tableaux sont suivis, et je vous fais d'avance mon compliment
sur ceux dont le public les honorera dans l'exposition pro-
chaine des tableaux au Louvre, où je donnerai ordre qu'ils
soient placés dans le jour qui leur conviendra.
J'approuve beaucoup que vous représentiez dans vos tableaux
de Bordeaux les édifices tels qu'ils sont, et que vous y placiés
autant de vaisseaux qu'il y en a en tems de paix.
Je suis, Monsieur, etc.

22. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Il y a huits ou dix jours que j'ay reçu les


6000 livres que vous avez eu la bonté d'ordonnerqui me fussent
payé à compte des ouvrages que je fais pour le Roy. Je viens
de recevoir la réponce dont vous m'avès honoré, du 29e du
mois dernier, où je vois la continuation des bontés que vous
daignez avoir pour moy, auxquelles je suis toujours plus
sensible et plus recconnaoissant.
La grâce que vous me fines, Monsieur, il y a deux ans,
d'acepter le tableau de marine que j'eû l'honneur de vous pré-
senter, m'a semblé un titre à pouvoir hazarder de vous pré-
senter un païsage pour faire pendant à laditte marine. Vou-
driez vous bien, Monsieur, accorder à celuy-cy le même hon-
neur que vous avez fait à l'autre, afin que, s'il n'a pas tout le
mérite que j'aurois voulut luy donner, il aye du moins celuy
d'être placé dans votre cabinet. J'attand avec impatience
d'apprendre si vous voudrez bien m'accorder la faveur que je
DE JOSEPH VERNET 2 1

prend la respectueuse liberté de vous demander, et si j'ay eu le


bonheur de remplir une partie de mes intentions, qui sont tou-
jours de bien faire, surtout lorsqu'il est question [de vous].
Ce tableau est party d'icy il y a trois jours; il pourra arriver
à Paris le 15 ou le 16 de ce mois ; je l'ay addressé à M. Cochin
en le priant de le faire tendre sur un châssis et le placer dans
la bordure de la marine, afin de dorer la pillule et que l'indus-
trie suplée à la force.
Je voudrais bien remplir tous mes devoirs aussi bien que je
remplis celuy d'être avec l'attachement, etc.
VERNET.
A Bordeaux, ce 9e aoust 1757.

23. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Paris, le 17 aoust 1757.


J'ay reçu votre lettre, Monsieur, du 9 de ce mois, par laquelle
vous m'informes avoir reçu les 6000 livres dont je vous avois
fait expédier l'ordonnance il y a quelques jours. Je saisiray
avec plaisir l'occasioii de vous prouver le cas que je fais de vos
talens et combien je suis sensible à vos marques d'attention.
Je suis, etc.

24. — COCHIN AU MARQUIS DE MARIGNY '

Monsieur — Je prends la liberté devons présenter l'ébauche


du projet de souscription que nous comptons proposer au
public pour profitter de la grâce que vous avez bien voulu nous
accorder, à M. Le Bas et à moy, de graver les tableaux des ports
de France.
Nous vous suplions, Monsieur, de vouloir bien donner
ordre à M. Bailly, garde des tableaux du Roy, de confier les
tableaux de M. Vernet à M. Ix Bas. Comme cet ouvrage est
considérable, si nous les avions promptement, nous profitte-

i- Nous avons réuni une volumineuse correspondance de Cochin relative à l'ad-


ministration des Beaux-Arts au dix-huitième siècle. Nous en détachons les pièces
relatives à la gravure des Ports de France; elles se trouvent ici a leur place naturelle.
CORRESPONDANCE
rions des beaux jours de cet été. Quoique nous ne nous enga-
gions avec le public que pour quatre tableaux, cependant nous
vous suplions de nous en faire prêter six, afin d'employer tou-
jours le temps de M. Le Bas, dans les intervalles où il occu-
pera sur ces quatre d'autres graveurs dans les parties qui sont
à leur portée, et d'avoir toujours, par ce moyen, de l'ouvrage
en avance pour ne point manquer de parole au public.
Ce serait une seconde grâce qui ne nous serait pas moins
importante, si, par votre protection, Sa Majesté vouloit bien
en retenir quelques exemplaires, en quelque petit nombre que
ce fût ; cela ferait regarder cette entreprise comme protégée du
Roy et lui donnerait du relief et de la confiance dans le public.
Comme cette grâce a déjà été quelquefois accordée, j'ose
espérer de votre bonté qu'elle voudra bien nous la faire obte-
nir. J'en ay touché quelque chose dans le projet de souscrip-
tion par un article qui n'y peut être mis que dans le cas où
cette grâce serait accordée.
Je suis, etc..
Ce 13 mai 1758.
COCHIN
.

25. — PROJET DE SOUSCRIPTION

Programme concernant la gravure des vues perspectives des


ports de France, d'après les tableaux appartenants au Roy,
peints par M. Vernet, de l'Académie royale de peinture et de
sculpture ; exécutés sous les ordres de Monsieur le Marquis de
Marigny, Conseiller du Roy en ses Conseils, Commandeur de
ses Ordres, Directeur et ordonnateur général de ses Bâtiments,
jardins, arts, académies et manufactures royales :
La satisfaction que le public a fait paraître lorsque les
tableaux des Ports de France, peints par le célèbre M. Vernet,
ont été présentés à ses yeux pendant les expositions faittes au
salon du Louvre dans les années 1755 et 1757, a eu trop
d'éclat pour qu'il soit nécessaire de la rappeler icy ; les éloges
ont retenti de toutes parts. C'est à Monsieur le Marquis de
Marigny qu'on doit l'exécution de cette belle entreprise que
son amour pour les arts lui a fait concevoir, et qui sera une
suitte de tableaux aussi intéressante que belle. Les droits qu'il
DE JOSEPH VERNET 2}
s'acquiert sur le coeur des artistes qui sont sous ses ordres ont
engagé M. Vernet à quitter la ville de Rome pour s'attacher à
remplir un projet si glorieux et qui met le sceau à la célébrité
qu'il s'étoit acquise par les plus rares talents. C'est avec le
même zèle qu'il donne à cet ouvrage la plus grande assiduité
et qu'il ne néglige rien de ce qui peut rendre ces tableaux inté-
ressants : circonstances particulières du lieu, vêtemens du pays
et des nations qui ont commerce dans ces différents ports,
aussi bien que leurs navires; espèces de marchandises qui y
sont particulières, ou qu'on y apporte le plus ordinairement ;
détails des manoeuvres de la marine, soit militaire, soit mar-
chande ; calmes, tempêtes, enfin jusqu'aux effets divers des
heures du jour. L'applaudissement universel accordé aux huit
premiers morceaux qui ont été vus du public est le sceau de
leur rare méritte.
Il ne manquoit plus pour l'accomplissement de ce beau pro-
jet que de mettre le public à portée d'en jouir par le moyen de
la gravure. Monsieur le Marquis de Marigny a bien voulu
accorder sa confiance, pour l'exécution de cette entreprise, à
deux artistes dont ce même public connoît les talents par plu-
sieurs ouvrages.
M. Cochin, chevalier de l'Ordre de Saint-Michel, graveur du
Roy et garde des desseins de son cabinet; et M. Le Bas, gra-
veur du Cabinet du Roy, tous deux de l'Académie royale, s'as-
socient pour la gravure de ces planches, et ils espèrent que le
public sera satisfait des soins qu'ils apporteront pour parvenir
à la plus belle exécution.
Cette entreprise dispendieuse en elle-même, le désir de s'as-
surer des acquéreurs, et la difficulté qui se rencontre dans son
exécution par la nécessité de regarder les tableaux dans un
miroir malgré leur grandeur, afin que les estampes viennent
du même côté, ce qui rend l'opération plus lente, obligent les
graveurs associés de recourir à la voye des souscriptions, en
entreprenant un ouvrage qu'ils ne seroient pas en état de con-
tinuer sans ce secours. On ne peut le dissimuler, le peu d'exac-
titude qu'on a apporté à remplir les engagements contractés
avec le public dans la pluspart des ouvrages proposés par sous-
cription doit avoir dégoûté beaucoup de personnes de se prê-
ter à cette voye d'encouragement, si nécessaire cependant dans
24 CORRESPONDANCE
les grands ouvrages. Ceux qui ont proposé des ouvrages par
souscription, dans la crainte de refroidir le public en lui pro-
posant une trop longue attente, n'ont pris que le temps qu'ils
ont crû, trop légèrement, nécessaire à la rigueur, sans consi-
dérer que les grands ouvrages souffrent nécessairement des
retardemens qu'on n'a pu prévoir.
Les sieurs Cochin et Le Bas, loin de suivre une conduitte
pareille en proposant cette souscription, espèrent que la fran-
chise avec laquelle ils oseront demander au public plus de
temps qu'ils ne jugent leur être nécessaire, ne diminuera rien
de l'ardeur qu'ils croyent que doit exciter un ouvrage exécuté
sur de si beaux modèles, et préfèrent, le plaisir de surprendre
agréablement en délivrant leur ouvrage avant le temps promis,
au chagrin de ne pas tenir leur promesse avec exactitude et
d'essuyer les reproches légitimes qu'attire ce manquement.
Quoique l'ouvrage puisse monter par la suite au nombre
d'environ quarante planches, on ne propose pour le présent
de souscrire que pour les quatre premières, et on renouvel-
lera la souscription pour les suivantes à chaque livraison.
Les graveurs associés se flattent que quinze mois suffiront
pour leur exécution; cependant, ils ne craignent point de
prendre deux années, assurant qu'ils les livreront le plus tôt
qu'il leur sera possible. Si même il s'en trouve deux achevées
entièrement avant les deux autres, ils en avertiront par la voye
des journaux et les délivreront aussitôt afin d'accélérer la
jouissance. En ne s'engageant que pour quatre estampes, c'est
une preuve qu'ils ne se négligeront point dans la suitte de
l'ouvrage, puisqu'on sera toujours libre de ne point souscrire
pour les suivantes, et que d'ailleurs ce sont tous morceaux
indépendans les uns des autres et qui peuvent être séparés
sans aucun inconvénient.
On suivra l'ordre selon lequel ces tableaux ont été peints,
en commençant par les ports de la Méditerranée. Les quatre
premiers seront ceux qui ont été exposés au salon du Louvre
en 1755. Savoir :
i° L'intérieur du port de Marseille, vu du pavillon de l'hor-
loge du parc. Comme c'est dans ce port que se fait le plus
grand commerce du Levant, l'auteur a enrichi ce tableau de
figures de différentes nations des Echelles du Levant, de Bar-
DE JOSEPH VERNET 25

barie, d'Afrique et autres. Il y a réuni ce qui peut caractériser


un port marchand et qui a un commerce très étendu.
20 L'entrée du port de Marseille. Cette vue est prise à mi-
côte de la montagne appellée Tête de More. On y voit le fort
de Saint-Jean et la citadelle de Saint-Nicolas, qui défendent
cette entrée. Ce tableau offre les divers amusements des habi-
tans de celte ville et est très intéressant par le pittoresque des
objets.
30 Le Port neuf ou l'Arsenal de Toulon, pris dans l'angle du
parc d'artillerie. L'auteur a préféré ce point de vue, tant à
cause qu'on y découvre les principaux objets qui forment ce
port, que par ce qu'étant un port militaire, il est caractérisé
tel par le parc d'artillerie qui orne le devant du tableau. On
verra, dans un autre tableau de la vue du port vieux, toutte la
partie du port qui n'a pu être représentée dans celui-cy.
40 La madrague ou la pêche du thon. L'aspect est pris dans
le golphe de Bandol. On voit, dans l'éloignement, le château
et le village, et plusieurs bâtiments maritimes faisant diffé-
rentes routes par le même vent. Le devant du tableau est orné
de plusieurs canots remplis de personnes qui viennent voir
cette^ pêche.
Ces estampes seront imprimées sur le papier grand Aigle, et
les planches auront environ 28 pouces de large sur à peu près
18 de hauteur.
Les estampes seront du prix de six francs chaqu'une pour
les souscripteurs, et de neuf francs pour ceux, qui n'auront pas
souscript. Les premiers frais étant considérables, on est forcé
de demander dix-huit livres pour la souscription des quatre
premières ; ainsi il ne restera que six livres à payer lors de la
première livraison.
Le prix des souscriptions pour les estampes suivantes qui
seront toujours délivrées quatre à quatre ne sera que de douze
livres. Ainsi, en recevant les quatres premières estampes, on
donnera dix-huit livres, c'est-ù-dire six livres pour achever leur
acquisition, et douze livres à compte sur les quatres suivantes,
et ainsy de suitte jusqu'à la fin de tout l'ouvrage. Si les asso-
ciés se trouvent à portée d'en délivrer deux avant l'achèvement
des autres, il n'y aura rien à payer pour cette demi-livraison.
Ils s'engagent à livrer les quatre premières au plus tard au
26 CORRESPONDANCE
mois de juin de l'année 1760. On recevra les souscriptions
pour la France jusqu'au premier septembre 1758, et pour les
pays étrangers jusqu'au premier janvier 1759.
On souscrira chez M. Chardin, trésorier de l'Académie
royale de peinture et de sculpture, demeurant aux galeries du
Louvre, qui a bien voulu être dépositaire des deniers prove-
nans des souscriptions.
On pourra aussi souscrire chez M. Cochin, aux galeries du
Louvre, et chez M. Le Bas, rue de la Harpe, à la Rose Blanche.

26. — LE MARQUIS DE MARIGNY A COCHIN

A Marigny, le 19 may 1758.


J'ay reçu, Monsieur, avec votre lettre du 13 de ce mois, le
projet de souscription que M. Le Bas et vous comptés propo-
ser au public pour proffiter de la grâce que le Roy a bien voulu
vous faire en vous accordant la liberté de graver les tableaux
de marine que M. Vernet a faits pour Sa Majesté. Tous les
articles de ce projet me paraissent pouvoir être donnés à l'im-
pression, à la réserve de celuy que vous y aviez inséré, dans
lequel vous faisiez dire à Sa Majesté qu'elle avoit bien voulu
honorer cet ouvrage de sa protection et en retenir un nombre
d'exemplaires. Il sera tems d'en faire la proposition au Roy
lorsque votre ouvrage sera achevé, et dont je ne doute pas que
la perfection et le succès n'engagent S. M. à en prendre un
nombre d'exemplaires quand elle les auras vus. J'écris, comme
vous me le demandés, à M. Bailly de confier à M. LeBasles six
premiers tableaux de M. Vernet, quoique vous ne vous enga-
giés envers le public que pour quatre. Mais sur la représenta-
tion que vous me faittes que M. Le Bas profiterait des beaux
jours de cet été, et qu'il employeroit son temps sur le cin-
quième et le sixième dans les intervalles où il occupera sur les
quatre premiers d'autres graveurs, j'ay bien voulu vous don-
ner cette facilité afin que l'ouvrage avançant toujours, vous ne
soyez point exposés à manquer de parole au public. Je vous
recommande surtout d'engager M. Le Bas à conserver les ori-
ginaux de M. Vernet et qu'il recommande à ses graveurs de n'y
pas porter la plus légère altération dans leur travail.
Je suis M. etc
DE JOSEPH VERNET VJ

27. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY 1

Monsieur — M. Cochin m'écrit que vous voulez sçavoir les


tableaux du Roy que je pourray envoyer pour l'exposition du
Salon de cette année ; j'auray l'honneur de vous dire qu'il y
aura les deux de ce port qui vonts être entièrement finis
dans
quinze jours. Vous pouvez, Monsieur, aisément vous imagi-
ner les raisons qui m'onts empêché d'en faire davantage pour
le Roy ; j'ai dû travailler pour les particulliers pour fournir à
mon entretien. J'eusse bien souhaité pouvoir m'en dispenser
et continuer mes ouvrages pour Sa Majesté; j'ay bien des
bonnes raisons pour les accellerer ; celle de montrer le zèle et
l'empressement que je dois aux ordres du Roy et aux vôtres
sont les premières, ainssy que le désir ardant que j'ay d'être à
portée de vous faire ma cour, et vous marquer combien je vous
suis voué.
S'il me vient quelque argent que j'attend, je me propose
de partir pour Bayonne 2 dès que j'auray fini icy pour le Roy.
Je suis avec etc
VERNET.
A Bordeaux, ce 12 May 1759.

28. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Je me suis fais rendre compte, Monsieur, de ce qui reste dû


sur les tableaux que vous avez livrés pour le Roy jusqu'au
21 décembre dernier. Je vois que la soulte pour votre parfait
payement peut être de 6.000 liv.; les tems sont trop difficiles
pour pouvoir vous les faire compter en argent, mais je le
pourrais encore d'une manière à vous faire un fonds susceptible
d'un revenu à 5 % par les arrangements que le notaire des

1. Note en marge : « La lettre de M. Vernet ne paroit pas exiger de réponse. »


2. Les notes de Vernet constatent qu'il arrivait à Bayonne le 9 juillet 1759. La
ville de Bordeaux l'avait donc retenu deux ans et davantage. H y avait reçu de
nombreuses commandes pour des particuliers, ce qui explique ce long séjour. Son
livre de compte mentionne l'exécution de dix-neuf tableaux. Enfin, c'est à Bordeaux
que naquit Carie Vernet, le 14 août 1758.
28 CORRESPONDANCE
Bâtimens pourrait vous ménager. Si celui que je vous propose
peut vous convenir, mandés le moy incessament, et dans le
cas où vos deux tableaux du port de Bordeaux seraient arrivés
icy bien conditionnés, aux 6.000 d'ancien je ferois en sorte d'y
ajouter autres 6.000 pour le prix d'un de ces derniers, ce qui
composerait une somme de 12.000, pour laquelle je vous en
ferois délivrer une pareille en contrats à 4 %, dont on pour-
rait vous former un capital remboursable de 15.000 par le
sort d'une lotterie plustôt ou plus tard, ce qui seroit un effet
du hasard, mais toujours dans l'espace de trente ans le rem-
boursement en seroit fait, et en l'attendant vous en retireriés
600 francs de rente exempts de toute retenue. J'estime que
vous fériés une bonne affaire pour vous et pour votre famille.
Je suis empressé de voir arriver ces deux tableaux; vos pré-
cédents excitent cette impatience et ma curiosité. Si vos
moyens en suplément de ceux que j'aurois désiré de vous
procurer permettent de vous rendre à Bayonne, lorsque vous
y serés arrivé, vous me donnerés aussitôt de vos nouvelles.
Je suis, Monsieur, votre très humble, etc.
Du 20 juin 1759.

29. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Le courrier nommé La Montagne c'est chargé


de vous rendre les deux tableaux que j'ay fait icy pour le Roy ;
je luy remet bien conditionnés pour l'embalage, et je le con-
nois homme à en avoir soin. Ils ne partironts que samedy pro-
chain, 30e de ce mois, mais j'ai dû vous en donner avis aujour-
d'hui parce que je compte partir après-demain pour Bayonne.
J'ay exposé en public les deux tableaux en question dans un
grand sallon de la Bourse; toutte la ville y est accourue, et je
serois enflé comme un ballon si je ne sçavoit à quoy m'en
tennir et sur le compte de mes ouvrages et sur celui du public
de ce pays-cy.
Je suis, Monsieur, de la dernière impatience d'apprendre
que vous les ayez vu, et votre sentiment si vous voulez avoir
la bonté de me le dire. Rien n'est si joly que le port de Bor-
deaux pour la vue et la promenade; mais je n'en ay pas vu de
DE JOSEPH VERNET 29

plus contraire à l'effet d'un tableau, et de moins pittoresque ;


aussi y ay-je mis bien d'ennuit, de peine et de tems. Selon ce
j'entend dire de Bayonne, j'auray là plus beau jeu ; Dieu le
que
veuille ! J'y vay seul et laisse ma famille icy, ettant trop embar-
rassante pour traîner après moy,
Je deviens toujours plus impatient d'être à portée de vous
faire ma cour et de vous montrer le très respectueux attache-
ment avec lequel, etc
VERNET.
A Bordeaux, ce 26 juin 1759.

30. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — J'ay reçu la lettre dont vous m'avez honoré


du 20e de ce mois. Je vois, avec toutte la recconnoissance pos-
sible, les bontés que vous continuez à avoir pour moy ; et les
contracts dont vous voulez m'en faire avoir pour la somme de
12.000 livres me sonts une nouvelle preuve que vous cherchez
ce qui peut m'être avantageux. Je joindray, Monsieur, cette
nouvelle grâce à tant d'autres que j'ay déjà reçu de vous, et ne
cesseray jamais d'avoir toutte la gratitude que je vous doit.
Daignez, je vous prie, agréer mes très humbles remerciments.
Je tâcheray, Monsieur, de me tirer d'affaire d'ailleurs pour
me procurer les moyens de montrer avec quel zèle j'exécute
les ordres du Roy et les vôtres. Plusieurs raisons m'engagent à
accellerer les tableaux des Ports de France; surtout celle de
m'approcher de vous ; vous devez vous imaginer pourquoi, si
j'ay pût vous faire connaître le respectueux attachement que
je vous ay voué.
Je comptois partir pour Bayonne jeudy dernier, comme j'ay
eu l'honneur de vous le marquer il y a quatre jours; mais la
fièvre que j'ay eu pendant quelque tems me reprit le même
soir. Je me porte mieux, et ne me reste qu'un rûme qui
ne m'empêchera pas de partir dans deux ou trois jours, si la
fièvre ne me revient pas. Tous mes effets sont en chemin pour
Bayonne; j'auray l'honneur de vous écrire dès que j'y seray
arrivé, puisque vous me l'ordonnez.
30 CORRESPONDANCE
Les deux tableaux pour le Roy partent aujourd'huit avec le
courrier nommé La Montagne qui est un homme à en avoir
grand soin.
M. le Maréchal de Richelieu et MM. les Jurats de Bordeaux
me proposent un ouvrage pour l'Hôtel de Ville ; on doit m'en
parler ce soir; mais je n'en fairay rien sans vous en informer,
et sans avoir votre agréement. D'ailleurs, comme j'ay déjà eu
l'honneur de vous dire, j'évite ce qui peut retarder les ouvrages
pour le Roy et l'honneur d'être auprès de vous.
Je suis, etc
VERNET.
A Bordeaux, ce 30 juin 1759.

31. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Me voicy arrivé à Bayonne depuis deux jours,


et je proffite du départ du premier courrier pour avoir l'hon-
neur de vous écrire, puisque vous me l'avez permis.
Selon ce que j'ay pût entrevoir en gros, cette ville-cy me four-
nit beaucoups d'objets pictoresques : une ville cittuée à la jonc-
tion de deux rivières, des fauxbourgs des deux côttés; des ponts,
des fortifications, du haut, du bas, etc.; et enfin tout ce qui
peut contribuer au bon effet d'un tableau. Ce qui, je crois,
m'embarrassera peut-être, c'est que tous les objets sont épar-
pilliés çà et là, et difficile à réunir dans un seul point de vue
pour en faire un seul tableau, car il me semble que pour une
petite ville comme Bayonne, je n'en devrois pas faire davan-
tage. Enfin je vay demain commencer à rôder partout et choi-
sir le point de vue que je croirai le meilleur et plus conve-
nable à mon objet. Je vient de dîner chez le commandant de la
forteresse ou citadelle ; la vue est admirable de là pour ce qui
concerne le port, les rivières et la ville; mais je ne puis y
comprendre la citadelle, puisque j'y suis dedans. Cependant
c'est un objet principal que je ne peut pas ometre ; enfin,
Monsieur, je tâcheray de me tirer d'affaire du mieux que je le
pourray, et j'auray l'honneur de vous rendre compte du party
que j'auray pris après avoir tout bien examiné.
Vous devez, Monsieur, avoir reçu les deux tableaux de Bor-
DE JOSEPH VERNET 31

deaux depuis jeudy dernier. Je suis de la dernière impatience


de sçavoir comment vous les avez trouvés
Plus je m'éloigne de vous, et plus l'envie de m'en approcher
augmente.
Je suis, etc
VERNET I.
A Bayonne, ce 10e juillet 1759.

32. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A mon retour de Marigny, Monsieur, où j'avois été passer


une quinzaine et où j'ay reçu votre lettre du 26 du mois der-
nier, j'ay trouvé à Paris vos deux tableaux dont je suis enchanté,
ainsy que toutes les personnes qui les ont vus ; n'y ayant resté
qu'un jour, je n'en ai pas joui comme je me le propose; ce
sera pour mon retour. Je vous félicite sur tant de succès. Ces
deux tableaux rempliront une place, cette année, dans notre
sallon, bien intéressante pour les connoisseurs, pour les ama-
teurs et pour le public dont vous avés déjà mérité tant d'ap-
plaudissemens; je ne puis vous dire combien ils m'ont fait de
plaisir. Il m'a paru que les soins du courier à qui vous les avés
confiés ont parfaitement réussi par l'état dans lequel ils ont été
remis ches moy où en ma présence ils furent débalés. Si vous
avés rencontré de grandes difficultés et des obstacles, il n'en
paroit rien par l'exécution de ces deux tableaux, et ils vous
comblent de gloire par la manière dont vous avez sçu les sur-
monter.
Bayonne vous offrant, dites-vous, plus de facilité, que ne
devons-nous point attendre des ouvrages que vous êtes sur le
point d'y aller entreprendre. Votre arrengement de laisser à
Bordeaux votre famille, en vous y transportant seul, est ceco-
nomique. J'aime à vous en voir former et exécuter de cette
espèce pour votre avantage et pour le sien, je l'aprouve beau-
coup. Je finis en vous félicitant de nouveau et je suis Mon-
sieur, etc.
Du 23 juillet 1759.

t. En tète de la lettre, M. de Marigny a écrit la note suivante : « Qu'il tache de


tout renfermer eu un seul tableau. »
ART F», x ,
32 CORRESPONDANCE

33. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Puisque, Monsieur, par votre lettre du 30 du mois dernier


vous consentes à recevoir 12.000 francs en contrats à 4 % à
compte de ce qui vous est dû par le Roy, je vais en ordonner
l'arrengement, je le crois avantageux pour vous et pour votre
famille; c'est travailler utilement pour elle que d'en former
de cette espèce. Lorsque je pourrai vous faire toucher
quelque argent, je vous en procurerai. Je me flatte que les
intentions que vous connaisses chez moi de vous obliger, vous
entretiendront dans les sentiments d'un zèle vif et ardent
pour exécuter les ordres du Roy dont je vous ai chargé ; vous
ne sauriés vous y livrer avec assés d'activité. Ce que j'ay déter-
miné en votre faveur doit vous être un sûr garant de mes vues
pour vous donner les moyens d'employer votre tems à proffit
et vous auriés grand tort de vous laisser séduire par de foibles
avantages que le hasard pourrait vous offrir. Tant que votre
santé et vos opérations vous permettront de ne vous occu-
per que pour les ouvrages du Roy, suives les rapidement et
ne donnés au public que les moments que vous ne pourrés
appliquer à votre collection. Vous devés l'envisager comme
un objet unique et, plus que vous ne l'imaginés peut-être,
important pour vous à remplir dans toute son étendue. Je ne
vous conseille pas de le perdre de vue et pour cela je vous
enjoints de n'écouter à aucune proposition que M. le maréchal
de Richelieu et les jurats de Bordeaux voudraient vous faire
qui pût retarder en quoy que ce soit ce dont vous êtes chargé
par ordre du Roy. Prenés à la lettre ce que je vous marque à
cet égard. Donnés moi au plutôt de vos nouvelles et de votre
santé. Je souhaite qu'il ne soit plus question de fièvre..
Je suis, Monsieur, votre, etc.
Du 23 juillet 1759.

34. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNKT

A Versailles, le 31 juillet 1759.


J'ai reçu, Monsieur, votre lettre de Bayonne du 10 de ce
mois, dans laquelle vous m'informes de ce que vous avez
DE JOSEPH VERNET 33

gros du port depuis deux jours que vous y étiés


entrevu en
arrivé. Examinez avec votre soin ordinaire le point de vue le
plus avantageux pour le tableau que vous avez à faire à
Bayonne, et tachés de tout renfermer en un seul.
J'attendrai vos observations dans quelques jours ; je voudrais
qu'elles soient conformes à ce que je vous mande.
Je suis, Monsieur, etc.

35. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — J'ay parcourût tous les environs de Bayonne


pour chercher un point de vue d'où je pût réunir tous les
objets principeaux qui forment ce port; mais, après touttes les
recherches que j'ay pût faire, j'ay vu que c'étoit impossible.
Quant je vois une rivière, l'autre est cachée, et ce n'est que
de la citadelle que je puis les voir touttes deux à leurs jonctions,
ce qui forme le port et le caractérise; mais, allors, je ne puis
peindre la citadelle puisque j'y suis dedans ; cependant, c'est un
objet bien digne d'être peint, et de l'endroit où je pourrais la
peindre, on ne voit qu'une rivière, et par conséquant qu'une
partie du port. J'ay bien trouvé un point de vue d'où je vois
assez bien le port et la ville; mais, allors, je ne puis introduire
dans ce tableau qu'un peu d'un bastion de la citadelle seulle-
ment pour désigner l'endroit où elle est. Je suis d'ailleurs un
peu trop près du tout ensemble, ce qui forsè la perspective;
mais, dans un cas comme celuy-cy, on est forsé de prendre
quelques licences; et d'ailleurs je chercherai à y remédier, ce
qui peut ce faire quant [on] sçait son mettier et qu'on veut
prendre la peine nécessaire. Je suis assuré de ce dernier point
et fairay de mon mieux pour l'autre. Voilà le seul endroit que
j'ay pût trouver, si je ne dois faire qu'un seul tableau.
J'ay crût, Monsieur, que je devois vous informer de tout
cela, et vous prier de déterminer si je dois faire un ou deux
tableaux de ce port. Je vous prie aussy de vouloir bien me
faire sçavoir votre volonté là-dessus le plus tôt que faire ce
pourra, afin que je sçache ce que je dois faire et opérer en con-
séquence.
Dans la liste des ports que vous euttes la bontés de m'en-
34 CORRESPONDANCE

voyer, Monsieur, il est fait mention de la jettée qui est à


l'embouchure de la rivière. Non seullement cette jettée n'est
qu'à moitié faitte ; mais cela fairoit le tableau le plus plat du
monde.
Je suis, etc.
VERNET.
A Bayonne, ce 28e juillet 1759.

36. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Versailles, le 12 aoust 1759.


Vous avez vu par ma précédente, Monsieur, qui étoit la
réponse à la première que vous m'avés écritte après votre
arrivée à Bayonne, que j'aurois souhaité que vous eussiés pu ne
faire qu'un seul tableau de ce port ; mais les observations que
vous m'avés envoyées dans votre lettre du 28 du mois passé
me font comprendre qu'il ne vous est pas possible de rassem-
bler dans un seul ce qui caractérise ce port sans forcer la per-
spective. Les choses en cet état, je vous laisse la liberté d'en
faire deux, pourvu que nous ayons exactement tout ce qui
peut mieux représenter ce même port.
A l'égard de la jettée qui est à l'embouchure de la rivière
et dont il est fait mention dans la liste des ports que je vous ai
envoyés, comme vous me marqués qu'elle n'est qu'à moitié
faitte, et qu'on n'en pourroit faire qu'un tableau bien plat,
vous aurez agréable de la laisser.
Je suis, etc.

37. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY'

Monsieur — Il y a bien long tems que je me propose


d'avoir l'honneur de vous écrire; mais la crainte de vous
importunner par la fréquance de mes lettres m'a retenu jusqu'à
présent; et je dois implorer votre patience et vos bontés; car
je prévois avoir bien des choses à vous dire.

1. Note en marge : « Il n'y a point de fonds. Il luy sera payé un tableau par an.
M. le D. G. lui promet un logement d'artiste dès qu'il pourra. 19 décembre 1759. »
DE JOSEPH VERNET 35

J'ai reçu en leurs tems les quatre lettres dont vous m'avez
honoré depuis que je suis à Bayonne, deux du 23e juillet,
une du 31 ; et la dernière
du 12e aoust. Vous m'avez, Mon-
sieur, remplis le coeur de la joye la plus vive par ce que vous
avez la bonté de me dire au sujet des deux tableaux.de
Bordeaux, que je pense pourtant ne pas mériter. Je suis très
receonnoissant à celle que vous avez de faire bien placer une
partie de l'argent qui m'est dû sur les ouvrages que j'ay fait
pour le Roy, et de m'en faire toucher dès que vous le pourrez,
et par les avis et les bonnes espérances que vous daignez me
donner, que vous me dittes de prendre à la lettre. C'est bien
ce que j'ay toujours fait, et que je fairay toujours, que
de
prendre à la lettre tout ce que vous avez la bonté de me dire ;
et je marcheray les yeux fermez, et [avec] une entière confiance,
sur touttes les routtes où il vous plairra me mettre, persuadé
que je suis que c'est toujours pour mon bien.
Vous m'ordonnez, Monsieur, de ne point éccoutter les
propositions que me fonts les particulliers pour des ouvrages
qu'on me demande ; et qu'autant que mes moyens me le per-
mettront, ne travailler que pour le Roy. C'est certainnement
bien là mon intention ; puisque j'en sens toutes les bonnes
raisons ; mais permettez-moy, Monsieur, de vous donner une
idée de ma sittuation présente.
J'avois placé quelque argent qui me rendoit un interest
honeste, et que je pouvois repprendre dans le besoin; le
besoin est venu, et l'ay tout pris peu à peu; ce qui, joint à
ce que j'ai reçu des tableaux que j'ay fait pour les particulliers,
m'a fait subsister avec ma famille jusqu'à présent.
Depuis six ans que je voyage pour le Roy, j'ay vu par
expérience ce que je dépense par année. Je ne joue pas; je ne
donne pas à manger; je ne vais aux spectacles que rarement;
je n'ay point de maîtresse, et ne donne pas dans le faste. Je
ne fait que le simple nécessaire, et convennable à mon état, et
avec tout cela, je dépense environ dix mille livres par année,
l'une pour l'autre. Il m'est aisé de prouver à ceux qui voudrait
le sçavoir à quoi je dépense ce que je vient de dire.
Ainsy, Monsieur, si je ne reçois pas d'argent du Roy et que
je ne travaille pas pour les particulliers, comment faire pour
vivre ? Et si je travaille pour les particulliers, je n'avancefay
36 CORRESPONDANCE

pas les ouvrages pour le Roy et seray longtems à finir cette


suite des ports dont vous m'avez fait l'honneur de me charger
pour Sa Majesté. Outre que je n'ay pas trop mes aises dans
les villes ou je dois séjourner quelque tems, comme si j'avois
une résidence fixe, j'y dépense, beaucoup plus. Ma famille
augmente, et par conséquant la difficulté de la mener avec
moy et de la loger. Je l'avoit laissée à Bordeaux; mais j'ay été
contraint de la faire venir icy, parce que tout y est à meilleur
compte. Le paint vaut actuellement à Bordeaux cinqs sols la
livre, et ainsy du reste. A mon premier voyage à Paris, vous
eûttes la bonté, Monsieur, de me faire espérer un logement
chez le Roy; si vous me continuez vos bontés et qu'avec le
tems je puisse l'avoir, cela me donnerait plus d'aisence pour
exécuter les ouvrages dont vous m'avez chargé ; je conduirais
allors ma famille à Paris, où je la laisseroit ; et moy, j'irais faire
mes opérations, que je fairois plus vite et avec moins de fraix.
Tout ce long détail où j'ay pris la respectueuse liberté d'en-
trer avec vous, Monsieur, est pour vous faire voir la nécessité
où je suis de vous prier de faire en sorte que je ne travaille
qu'à cette suite des ports ; et il me suffirait pour cela qu'il me
fût payé un tableau tous les ans, et je suppléerais pour le reste
de ma dépense en faisant quelques tableaux pour les particulliers.
Les deux tableaux du port de Bayonne sonts ébauchés. Je
compte cela comme le tiers de l'ouvrage. Je suis charmé que
vous m'ayez permis d'en faire deux; cela m'a mis à mon aise;
et celuy que je n'aurais pas dû faire si je n'en eusse fait qu'un
sera certainnement celuy qui produira le meilleur effet.
Je finis enfin en vous demandant des pardons, des indul-
geances et la continuation de vos bontés.
Je suis, etc.
VERNET.
A Bayonne, ce 1" décembre 1759.

38. — LE MARQUIS DE MARIQNY A JOSEPH VERNET

J'ay reçu, Monsieur, votre lettre du 1" de ce mois; l'exposé


de votre situation et de l'augmentation de votre famille
seraient des motifs bien puissants pour vous faire toucher de
l'argent; mais les circonstances ne le permettent point. Je vou-
DE JOSEPH VERNET 37
drois qu'il fût possible de vous procurer tous les secours
nécessaires et suffisants pour vous mettre à portée de ne tra-
vailler absolument que pour le Roy, désirant plus que je ne le
puis dire la suite des tableaux de tous les ports qui méritent de
la composer. La difficulté d'avoir des fonds nous force à des
retardements, abrégés les autant que vous pourrés, et de mon
côté je vous promets le payement d'un tableau chaque année,
si je ne puis faire mieux.
Ce que vous me dites des deux tableaux du port de Bayonne
ébauchés excite ma curiosité de les savoir achevés et encore
davantage de les voir, c'est toujours avec une nouvelle satisfac-
tion que je reçois de vos ouvrages.
Les logements destinés à messieurs les artistes étant en petit
nombre vacquent rarement. Ils servent de récompense à ceux
qui se sont rendus célèbres par leur talent. Tous les jours les
vôtres vous acquièrent le droit d'y prétendre. Des que je pour-
ray vous en procurer une de cette espèce, je vous épargneray
les sollicitations.
Je suis, Monsieur, etc.
Du 29 décembre 1759.

39. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Je suis si semsible aux choses que vous avez


la bonté de me dire dans la lettre dont vous m'avez honoré du
19 de ce mois, que je n'ay pût m'empècher de vous en témoi-
gner sur-le-champ ma vive recconnoissance.
Personne ne sçait mieux que moy, Monsieur, que vous
n'avez pas besoin d'être sollicité pour faire du bien à ceux
que vous honorez de votre extime et de vos bontés. Au con-
traire, je sçay que vous les prévennez, et que c'est votre plus
grand plaisir que de leurs procurer des choses honorables et
avantageuses, lors même qu'ils y pensent le moins. Quant
j'ay osé prendre la respectueuse liberté de vous prier pour un
logement chez le Roy, s'a été uniquement pour vous faire
sçavoir que je serais dans le cas d'avoir besoin de cette
grâce, chose que vous n'auriez put imaginer sans les raisons
que j'ay eu l'honneur de vous dire, ayant encore bien du che-
min à faire et pour le mériter et pour avoir finy la collection
des ports.
3$ CORRESPONDAN'Ci:
Vous avez la bonté de me faire espérer, Monsieur, le paye-
ment d'un tableau chaque année de ceux que je fais pour le
Roy, et plus si cela ce peut. Voilà qui me met à cnon aise et
m'encourage. Je me mettrais à finir tout de suite les deux
tableaux du port de Bayonne, si j'en avois les moyens; mais
ils me manquent, et ne puis montrer le zèle ardent avec lequel
je voudrais exécuter les ordres du Roy et les vôtres. Entre
quelque peu d'argent que j'ay et celuy que j'espère recevoir
de deux tableaux que je fais actuellement pour un particullier,
je compte bien avoir de quoy vivre pour deux eu trois mois ;
mais non me dispenser de travailler encore pour fournir à mon
entrettien pendant que je fairay ceux de ce port. Je pourrais
dès à présent m'y mettre et ne les plus quitter qu'ils ne fussent
finis, si je sçavois que dans l'espace des deux ou trois mois
dont je vient de parler, je put recevoir de quelque part trois
à quatre mille livres. Enfin je fairay de mon mieux et tout ce
qui sera en mon pouvoir pour mériter les bontés que vous
daignez avoir pour moy.
Je suis, etc. VERNET.
A Bayonne, le 29 décembre 1759.

40. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Il y a bien du tems que je n'ay eu l'honneur


de me rapeller à votre souvenir; mais la crainte de vous
importuner met unfrain à l'envie que j'en ay toujours.
Les deux tableaux que je fais icy pour le Roy sont forts avan-
cés et seraient finis il y a long-tems si mes moyens m'eussent
permis de ne travailler qu'à ceux-là ; mais j'ay dû en faire pour
les particulliers pour fournir à mon entretien et à celuy de ma
famille. Je souhaiterais cependant ne travailler que pour le
Roy pour finir cette suite des ports et arranger ma famille de
façon à éviter les embarras et les dépences qu'elle m'occa-
tionne en la faisant voyager avec moy. Je vient d'éprouver
beaucoup de l'un et de l'autre pendant six mois qu'il y a eu
des maladies dans ma famille ; ce qui me fait avoir recours à

1. Note en haut de la lettre : «Ordonné 6.000 livres en argent sur ses ouvrages
courants et 2.000 livres en contracts sur ses mémoires de 1757 et 1759. — 10 décembre
1760. »
DE JOSEPH VERNET 39

vos bontés,
Monsieur, et vous rapeller que dans la dernière
lettre dont vous m'avez honoré, du 19 décembre dernier, vous
me fines espérer que je recevrais chaque année
le payement
d'un des tableaux que je'fais pour Sa Majesté; j'ay sur cela
arrangé mes affaires en conséquence, et c'est ce qui m'oblige à
recourir à vos bontés, et vous suplier de vouloir bien me don-
ner quelque secours, si vous le pouvez, dans le besoin urgent
où je me trouve.
Je vous prie aussy de vouloir bien me continuer les bonnes
dispositions où j'ay toujours eu le bonheur de vous voir à mon
égard. J'ay toujours plus d'envie de m'en rendre digne par
tous les endroits que je pourray, et de vous faire connoître
le très respectueux attachement, etc...
VERNET.
A Bayonne, ce 22 novembre 1760.

41. LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

J'ay reçu, Monsieur, votre lettre du 22 du mois dernier. Je


suis mortiffié des maladies que votre famille a essuyées et des
dépenses qu'elles vous ont nécessairement occasionnées, pour
vous marquer mon envie de vous secourir, je viens, non sans
les plus grands efforts, ordonner un acompte de 6.000 livres.
Je souhaite que les circonstances changent et qu'elles
deviennent assés favorables pour vous en procurer bientôt
autant, c'est ce que j'exécuterai volontiers, lorsque j'en aurai
les moyens. Je suis, etc.
P. S. J'ordonne 2.000 francs en contrats à 5 % sur la Bre-
tagne pour le parfait payement de vos mémoires de 1757 et
1759. C'est un petit fonds qui contribuera par la suite à l'aug-
mentation du bien être de votre famille.
Du 11 décembre 1760.

42. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY 2


Monsieur
— Je reçu hier la lettre que vous m'avez fait
1 honneur de m'écrire, du
11 de ce mois, où vous me faittes

2. Note : « Sans réponse. Accusé la réception de la lettre du


remercié de ce qu'elle contient 1760. »
n de ce mois et
— 29 décembre
40 CORRESPONDANCE
celuy de me dire que vous avez ordonné en ma faveur un
acompte de six mille livres en argent et deux mille en contracts
à 5 pour cent sur la Bretagne, pour le parfait payement de mes
mémoires de 1757 et 1759. En conséquance de vos ordres,
M. Prilhon, trésorier des Bâtiments du Roy, m'a envoyé une
quittance de la ditte somme de 6.000 livres pour que je la signe.
Je ne sçay comment m'y prendre, ny que vous dire, Mon-
sieur, pour vous témoigner toutte ma gratitude. Le besoin
d'argent où je me trouvois, la difficulté pour les artistes d'en
recevoir de la Cour dans les tems où nous somment, et la
preuve que vous me donnez de la continuation de vos bontés,
sonts des circonstances qui m'onts fait sentir tout le prix de la
grâce que vous venez de me faire, et qui m'onts pénétré d'une
reconnoissance difficile à exprimer, mais que qui a le coeur
fait comme le vôtre peut imaginer; c'est ce que je vous prie
de faire, puisque je ne sçay pas le dire. Vous ne douttez pas,
Monsieur, du plaisir que vous m'avez fait, et moy, je suis
assuré de-celui que vous avez eu à m'en faire. Vous m'avez
mis à mon aise de toutte façon; je puis avec cet argent arran-
ger mes affaires et continuer mes ouvrages pour le Roy. Les
deux tableaux que je fais icy pour Sa Majesté pourronts être
finis vers le commencement de mais prochain, et après suivre
ma routte à Rochefort.
C'est continuellement, Monsieur, que je vous souhaite
toutte sorte de biens; je pense que tous les tems sonts bons
pour vous le dire. Permettez donc que, pour ne pas vous impor-
tuner trop souvent par mes lettres, je devance la nouvelle
année de quelques jours, pour vous prier de me continuer vos
bontés, et vous témoigner le très respectueux, etc...
VERNET.
A Bayonne, ce 20 décembre 1760.

43. — PAYEMENTS DE 1757 A 1760

Au sieur Vernet :
Exercice 1759.
Deux mémoires pour six tableaux qu'il a livrés en 1757 et
I7S9-
DE JOSEPH VERNET 41

Sçavoir :

| Vue du port d'Antibes. \


\ Vue du port vieux de Toulon j
i° < Vue
de la ville et rade deTou- > 24.000
J Ion. \
\ Vue du port de Cette. )

(Vue d'une partie du port et de \


\ la ville de Bordeaux du côté 1
20 de Salinières. > 12.000
(Vue du même port, du côté de \

Château-Trompette. )

Payements :

1755 décembre
13 6.000
1756 août
11 6.000
1757 14 juillet 6.000
1758 21 juillet 6.000
1759 11 septembre 12.000
1760 16 décembre 2.000
Total 3 6.000

44. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY «

Monsieur — Les deux tableaux que je fais icy pour le Roy


pourront être finis vers la fin du mois de may où nous allons
entrer. Je me propose, dès qu'ils seronts achevés, de partir tout
de suitte pour me rendre à Rochefort et à La Rochelle, si
vous le trouvez bon. En ce cas, il seroit nécessaire, Monsieur,
que vous eussiez la bonté de faire donner les ordres conve-
nables aux commandants de terre et à ceux de la marine de ces
deux villes, afin que j'y puisse faire librement les opérations
relatives aux tableaux que je dois y faire pour Sa Majesté.
Je dis Rochefort et La Rochelle, Monsieur, parceque l'air

} Note de M. de Marigny : o 11 ne me mande pas s'il me les envoira tout de


*'utte pour être exposés au Sallon. »
"^

42 CORRESPONDANCE
étant movais à Rochefort, surtout en été, donnant des fièvres
qui durent lougtemps et dont la mort s'ensuit quelquefois,
je pourrais d'abord m'aller éttablir avec ma famille à La
Rochelle où l'air est moins movais, et mener les deux ports en
même tems; c'est-à-dire j'irais travailler à Rochefort tant
qu'il n'y aurait rien à craindre pour l'air, et lorsqu'il ne con-
viendrais pas que j'y habbitas, je pourrais pour lors travailler
à La Rochelle aux tableaux que je devray faire du port, qui
n'est qu'à cinq lieus de Rochefort. Je vous prie, Monsieur,
de vouloir bien me faire sçavoir si vous approuvez mes projets,
et je seray toujours soumis à vos ordres.
Je me propose aussy de ne travailler à l'avenir qu'à la suitte
des tableaux dont le Roy m'a chargé, puisque vous avez la
bonté de m'en fournir les moyens. Je suis impatient de la voir
achevée, me voir à Paris à portée d'avoir l'honneur de vous
faire ma cour et vous montrer du mieux que je pourray le
bien vray et très respectueux, etc...
VERNET.
A Bayonne, ce 28 avril 1761.

45. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Versailles, le 12 may 1761.


J'ay reçu, Monsieur, votre lettre du 28 du mois passé, par
(laquelle vous m'informez que les deux tableaux que vous avez
faits pour le Roy du port de Bayonne seront finis à la fin de ce
mois; vous ne me mandés point si vous pourrez me les
envoyer pour être exposés au Sallon ; faittes-moi sçavoir s'ils
seront en état d'y être placés.
Vous pourrez exécuter le projet que vous me proposez de
vous rendre de Bayonne à Rochefort et à La Rochelle pour y
continuer vos ouvrages dans le goût et de la manière que vous
le proposez. Je serais très mortifié que votre santé courût le
plus petit danger; vous pourrez donc concilier votre travail
avec tout ce qui pourra le mieux la maintenir. Ne douttés pas
du plaisir que j'auray de vous revoir à Paris à la fin de votre
entreprise.
Je suis, Monsieur, etc...
DE JOSEPH VERNET 4}

46. — LE MINISTRE DE LA MARINE AU MARQUIS DE MARIGNY

A Marly, le 18 may 1761.


J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire pour me prévenir que le sieur Vernet est à la veille
de finir le tableau du port de Bayonne, d'où il se dispose à
passer à Rochefort et à La Rochelle pour faire les
tableaux de
deux ports qui sont compris dans le nombre de ceux qui
ces
luy ont été commandés pour Sa Majesté. J'écris en consé-
quence, comme vous le désirez, au commandant et à l'inten-
dant de la marine à Rochefort, et au commissaire résidant à
La Rochelle pour leur recommander de procurer à cet artiste
toute la liberté et les facilités dont il pourra avoir besoin pour
remplir l'entreprise dont il est chargé pour le Roy.
J'ai l'honneur d'être, etc.

47. — LE DUC DE CHOISEUL AU MARQUIS DE MARIGNY

A Marly, le 17 may 1761.


J'escris, Monsieur, comme vous le désirez, à M. le Maré-
chal de Senecterre pour le prier de donner ses ordres aux com-
mandans des villes de Rochefort et de La Rochelle, afin que
lorsque le sieur Vernet, peintre de marine, s'y rendra pour le
travail dont il est chargé, de lever les veùes de différens ports
du Royaume, on luy procure touttes les facilitez dont il poura
avoir besoin à cet effet.
J'ai l'honneur d'être, etc.
Le duc DE CHOISEUL.

48. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur J'ay reçu la lettre dont vous m'avez honoré du



12e de ce mois, où j'ay vu que vous aprouvez mes projets à
1 égard des
ouvrages que je dois faire pour le Roy à Rochefort
et à La Rochelle, et l'interest que vous voulez bien prendre à
ma santé, ainssy qu'à celle de ma famille, à quoy je suis sen-
sible et très recconnaissant.
44- CORRESPONDANCE
Vous m'ordonnez, Monsieur, de vous faire sçavoir si les
deux tableaux que j'ay fait icy pour Sa Majesté pourronts être
exposés cette année au Sallon du Louvre. Si je ne vous ay rien
dit là-dessus dans la dernière lettre que j'ay eu l'honneur de
vous écrire, c'est que j'ay pensé que cela alloit sans dire. Ces
deux tableaux vonts être achevés dans peu de jours, et dès que
les dernières touches que j'y donne seronts assez sèches, je vous
les enverray, ce oui pourra être vers le dix ou ie douze du mois
prochain, où je compte partir aussy pour Rochefort et La
Rochelle. Je supose que vous aurez eu la bonté d'y faire don-
ner les ordres nécessaires à mes opérations, et qu'ils y seronts
avant que j'y arrive, pour que je ne me trouve pas dans l'em-
barras où je fus à Toulon, ce qui retarderait mon ouvrage et
me fairoit perdre le temps convenable à mes ettudes d'après
nature.
Un élève que j'ay depuis sept à huits ans, qui a du talent
pour la peinture et fort honnête homme, va partir incessem-
ment pour Rome. Oserai-je vous prier, Monsieur, de l'honorer
d'une lettre de recommandation pour M. Natoire, directeur de
l'Académie de France à Rome; je vous en aurais une obliga-
tion que je joindrais à tant d'autres que je vous ay déjà.
Je suis, avec le plus profond, etc., Monsieur,
VERNET.
A Bayonne, ce 23e may 1761.

49. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSFPH VERNET

A Versailles, le 27 may 1761.


Je vous envoyé, Monsieur, copie des deux lettres que j'ay
reçues, l'une de M. le duc de Choiseul, ministre de la guerre,
et l'autre de M. Berryer, ministre au département de la marine,
des 17 et 18 de ce mois, que je prévins de votre arrivée pro-
chaine à Rochefort et à La Rochelle et à qui je demandai de
vouloir bien donner des ordres à MM. les différens comman-
dants des trouppes de terre et de la marine, affin de vous facili-
ter tous les moyens dont vous pourrez avoir besoin pour lever
les vues de ces deux différents ports. Les copies de ces lettres
vous indiqueront les personnes que vous aurez à voir en arri-
vant dans ces deux ports. J'ay usé de cette précaution pour
DE JOSEPH VERNET 45

que vous ne trouviez aucun obstacle à l'exécution de votre


entreprise.
J'attens votre réponse sur la demande que je vous ai faite
dans ma précédente au sujet des deux tableaux que vous avez
faits au port de Bayonne, et si vous comptez qu'ils seront en
état d'être exposés cette année au Sallon.
Je suis Monsieur, etc.
P. S. — De la main de M. le Directeur général.
« Comme ma soeur
s'amuse à recueillir des petits tableaux des
maîtres modernes, faittes-en deux de i pied ou 18 pouces de
large sur 10 ou 12 pouces de haut, faittes les signés de vous.
Je vous laisse maître du sujet; vous me manderez votre prix
affin que je vous fasse rembourser tout de suite; tenez la chose
secrette, et qu'on ne sache pas pour qui vous faittes ces deux
petits tableaux. — M. »

50. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — J'ay reçu la lettre dont vous m'avez honoré du


27e may dernier, et les copies des deux lettres que vous avez
reçues, l'une de M. le duc de Choiseul, et l'autre de M. Ber-
ryer, concernant les ouvrages que je dois faire pour le Roy à
Rochefort et à La Rochelle, moyennant quoy me voilà à mon
aise à cet égard, et vous en fais des très humbles remerci-
ments.
Vous aurez vu, Monsieur, par une lettre que j'eu l'honneur
de vous écrire il y a quinze jours, que les deux tableaux de
Bayonne sonts faits, et que vous les recevrez vers la fin de ce
mois. J'attend qu'ils soient assez secs pour les exposer quelques
jours en public icy, après quoy je les roulleray et vous les
expédieray, et tout de suitte je partiray pour me rendre à La
Rochelle, ce qui pourra être du quinze au dix-et-huit de ce
mois. Je resteray trois ou quatre jours à Bordeaux pour
quelques petites affaires que j'y ay et pourray être rendu à La
Rochelle vers les derniers jours de ce mois, d'où j'auray l'hon-
neur de vous écrire dès mon arrivée.
Je n'ay pas besoin de vous dire, Monsieur, combien je suis
flatté et le plaisir
que m'a fait l'ordre que vous me donnez de
faire deux petits tableaux
pour Mme la marquise de Pompadour ;
46 CORRESPONDANCE

vous pouvez vous l'imaginer. Je suis encore très aise, Mon-


sieur, que vous me laissiez libre pour les sujets; et avec touttes
ces bonnes choses là, il y aurait bien du malheur si je ne fai-
sois pas tout ce que je puis de mieux, j'en ay du moins grande
envie. Il en coûtera à mon amour-propre de ne pas dire pour
qui je fais ces deux tableaux ; mais il y gagnera d'autre part,
puisque c'est avec plaisir que je suivray l'ordre que vous me
donnez de tennir la chose secrette, et je puis vous assurer
qu'elle le sera.
Je suis, etc.
VERNET.
A Bayonne, ce 6e juin 1761.

ji. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Paris, le 26 juin 1761.


J'écris, Monsieur, par ce courrier à M. Nattoire en le préve-
nant, comme vous le désirez par votre lettre du 23 du mois
passé, qu'un de vos élèves depuis sept à huit ans, en qui vous
reconnaissez des talents pour la peinture, doit partir incessa-
ment pour Rome. Je le luy recommande fortement et je luy
demande tous ses bons offices pour luy. Je suis persuadé qu'il
l'obligera touttes les fois qu'il en aura l'occasion.
Je verrai arriver avec bien du plaisir les deux tableaux que
vous m'annoncez pour être exposés au sallon prochain.
Vous aurez vu par ma précédente que les commandants des
trouppes de terre et de mer à La Rochelle et à Rochefort sont
prévenus que vous arriverez bientôt dans ces deux ports.
Je suis, Monsieur, etc.

52. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Versailles, le 10 aoust 1761.


J'ai reçu, Monsieur, votre lettre du 1" de ce mois, par
laquelle je vois combien le sujet que vous avez à traiter dans
votre tableau du port de La Rochelle est aride et dénué d'or-
nemens; dans cette détresse je m'en rapporte entièrement à
DE JOSEPH VERNET 47

que vous ferez; évités la basse mer et surtout n'oubliez pas


ce
que je vous ai marqué dans ma dernière à ce sujet.
ce
Je suis, etc.
Vernet était arrivé à La Rochelle le 7 juillet, d'après ses notes
conservées à Avignon. Le Ier août suivant, il écrivait à M. de Mari-
gny pour lui faire part de la fâcheuse
impression que lui avait faite
à première vue le port de La Rochelle. Malheureusement, cette lettre
manque au dossier. Mais la réponse du Directeur des Bâtiments a
conservé le reflet du découragement de l'artiste. En effet, après les
pittoresques points de vue de Bordeaux et de Bayonne, Vernet allait
aborder à La Rochelle et surtout à Rochefort la partie la plus
ingrate de sa tâche 1.

53. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Versailles, le 26 novembre 1761.


J'apprends, Monsieur, par votre lettre du 12 de ce mois,
qu'il y avoit déjà douze jours que vous étiez arrivé à Rochefort,
afin de profiter de l'armement qu'on y fait pour vous fournir
des idées à orner les tableaux que vous y devez faire pour le
Roy.
Si vous voulez bien jetter un coup d'oeil sur l'itinéraire que
je vous ay donné lorsque vous avez commencé à faire la collec-
tion des tableaux des ports et havres du royaume, vous verrez
que je ne vous en ay demandé qu'un seul du port de Roche-
fort, par la raison qu'étant situé sur la rivière de Charente, à
cinq lieues de la mer, il n'est susceptible d'un tableau de
marine qu'en ce qui concerne les détails du local et que ce qui
doit le caractériser principalement, ce sont les formes où l'on
radoube les vaisseaux du Roy; je ne sais pourquoy après cela,
convenant, comme vous en convenez dans votre dernière lettre,
que ce port est peu favorable à la peinture, attendu qu'il est
tout plat, vous avez fait deux croquis de deux différents points
de vue, pris des deux extrémités du port, qui, suivant vous-
même, ne présentent que des objets répétés. Ainsy, il ne faut

1. Voyez dans la Revue des documents historiques publiée par M. Etienne Charavay
(tome III, 1875, 143), lettre de M. de Marigny à Joseph Vernet sur deux tableaux
p. une
de lui qu'il venait de recevoir l'un de
; ces tableaux représentait un orage. Il s'agit
probablement des tableaux dont parle la lettre suivante.

«T F», x 4
48 CORRESPONDANCE

penser à faire qu'un seul tableau du port de Rochefort.


Prenez tout ce qui peut le mieux le caractériser, et cela suffir?
après que vous aurez fini celuy de la Rochelle, où je suppose
que vous êtes actuellement, d'après ce que vous me marquez
dans votre lettre du 12; aussy vous y adressé-je la présente.
J'ay été on ne peut pas plus content des deux petits tableaux
que vous m'avez envoyés. Ils ont eu les suffrages de tous les
connoisseurs qui les ont vus, et je verray avec le même plaisir
celuy que vous m'annoncez et que vous vous proposez de faire
un peu plus grand que ceux-cy. Je le présenterai bien volon-
tiers à sa destination.
Je suis, Monsieur, etc.

54. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY


Monsieur, — Rien n'est si naturel et si juste que de vous
souhaiter du bien quant on a l'honneur de vous connaître et
surtout moy qui ay tant de raison de le faire; je vous laisseray
donc imaginer les voeux que je fais pour vous à l'occasion de
la nouvelle année où nous allons entrer; mais je vous prierai
de vouloir bien me continuer vos bontés dont je tâcherai de
me rendre digne, et pour lesquelles j'auray toujours la plus
vive reconnoissance.
J'ay reçu, Monsieur, les deux réponces dont vous m'avez
honoré, une du 26e novembre et l'autre du 9e de ce mois.
Je n'ay dessiné le port de Rochefort de deux différents points
de vue où les mêmes objets sonts répétés et je n'ay eu l'hon-
neur de vous en écrire que par un excès de délicatesse et
pour n'avoir rien à me reprocher; je n'ay eu, non plus là que
partout ailleurs, eu égard à l'itinéraire du port que je dois
peindre pour le Roy, que parce qu'il est plustôt fait pour des
plans géométriques que pour des tableaux. Il est certain que
Rochefort n'en demande qu'un, auquel je travaille selon vos
ordres.
Dans la lettre du 9e de ce mois", Monsieur, que vous me
faittes l'honneur de m'écrire, vous m'ordonnez de ne plus
penser aux deux tableaux que je désirais faire pour Madame
la marquise. Si mon amour-propre souffre à cette occation,

1. La lettre du 9 décembre à laquelle il est fait allusion ici ne s'est pas retrouvée.
DE JOSEPH VERNET 49
il se reffait bien d'ailleurs par la sattisfaction avec laquelle il se
soumet à vos ordres.
Je suis, etc.
VERNET.
A La Rochelle, le 24e décembre 1761.
Je reçois à l'instant votre portrait, Monsieur, qui m'a été
envoyé par l'Académie royalle de peinture; je l'ay trouvé bien
beau à tous égards; mais l'émotion que j'ay éprouvé en le
voyant m'a bien fait sentir ce que je n'ay jamais put vous
exprimer.
Je vous demande pardon du post-scriptum.

55. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Sitôt le présent ordre reçu, Monsieur, abandonnés tout


ouvrage quelconque, même ceux du Roy, et mettes vous à
faire 4 dessus de porte pour le cabinet de Msr le Dauphin sui-
vant la forme et les dimensions que vous trouvères dans le
papier cy joint. Dès que vous aurés fait deux tableaux, vous
me les envoirés tout de suite. M^r le Dauphin vous laisse le
maître des sujets. Je vous répète de n'y point perdre de tems.
Envoyés moy notte de votre prix pour ces 4 tableaux dessus
de porte affin que je prenne des mesures pour vous en faire
toucher le montant lors des livraisons. Vous connoissés mon
estime et mon amitié pour vous.
Du 10 mars 1762.

56. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Les quatre sujets que vous me proposés, Monsieur, par


votre lettre du 18 du mois dernier de traiter dans les quatre
dessus de porte pour le cabinet de M«' le Dauphin, suivant
l'idée que vous m'en présentés seront intéressants; je recevray
avec grand plaisir les deux premiers et je suis persuadé qu'ils
me feront attendre avec impatience les deux autres. Je vous
invite à vous en occuper autant que vous le pourrés, quant au
Prix, il sera fixé de manière à ne pas affaiblir les avantages que
vous trouvés avec les particuliers. Lorsque les 4 tableaux seront
50 CORRESPONDANCE
achevés, si ce qui reste à finir à ceux des ports de La Rochelle
et de Rochefort ne sont que des accessoires et que par le
secours de vos études, il vous soit facile de les. terminer à
Paris comme étant sur les lieux, vous pourrés venir vous y
tranquiliser sur vos craintes des maladies qui régnent à la fin
de l'été et pendant l'automne dans le pays où vous êtes; je
seray très aise d'avoir le plaisir de vous voir en cette ville où
l'éducation de votre famille vous fait désirer de fixer votre
résidence.
Je suis, etc.
Du 7 avril 1762.

57. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Deux des tableaux pour Monseigneur le Dau-


phin sont finis, le Clair de lune et le Lever du soleil; je travaille
au troisième. Le Clair de lune étant fait avec des couleurs
difficiles à sécher, il ne pourra être envoyé avec le Lever du
soleil que dans une quarantaine de jours au plus tost. J'espère
avoir finis les deux autres que dans un mois d'icy, car j'y tra-
vaille assidùement d'une aube à l'autre, et ces deux derniers
sçécheront vitte. En ce cas, Monsieur, ne vaudroit-il pas mieux
les envoyer tous quattre ensemble, puisqu'il ne seroit question
que de quinze jours ou trois semaines de différence. Je
l'aimerais bien mieux; ces tableaux ettants faits pour jouer
leurs rolles ensemble et se faire valloir l'un et l'autre. De plus,
comme j'espère être allors en état de me rendre à Paris, je
pourrois les porter avec moy, les faire mettre en place moy-
même selon le jour et l'ordre convenable, ou, s'il y avoit
quelque chose à retoucher, le faire avant de les placer.
J'attendray vos ordres là-dessus; en attendant, je mettray
tous mes soins et pour faire sécher les deux premiers tableaux
et pour finir les deux autres le plus to.st qu'il me sera possible.
Je suis, etc.
VERNET.
A La Rochelle, le 13e may 1762.
M. de Marigny a écrit en haut de la lettre : « Que je m'en
raporte à luy, qu'il peut revenir quand il voudra et terminer
DE JOSEPH VERNET, 51

les tableaux à Paris. — Rendu compte au Roy de la demande


de Monseigneur le Dauphin de quatre dessus de portes peints
par Vernet. »

58. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

J'ay reçu, Monsieur, votre lettre du 13 de ce mois, par


laquelle vous m'informes que deux des tableaux pour monsei-
gneur le Dauphin sont finis, le Clair de la lune et le Lever du
soleil, que vous vous occupiez alors du troisième et que vous
comptiez qu'ainsy que le quatrième ils seraient achevés dans
un mois de la datte de votre lettre. Puisque vous pensés qu'ils
sécheront promptement, je m'en raporte à ce que vous jugerés
le plus à propos, soit pour m'envoyer les deux premiers, soit
tous les quatre ensemble, ou pour les aporter avec vous, entrant
dans les raisons que vous me donnés que, placés chacun selon
le jour et l'ordre et par vous même, ils se feront valoir les
uns et les autres, quoique persuadé que chacun en particulier
aura son mérite. Je souhaite présentement que vos arrenge-
ments vous permettent de revenir bientôt, jauray grand plaisir
à vous revo;r. Je suis, etc.
Du 30 may 1762.

59. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY 1

Monsieur — L'extrême besoin d'argent où je me trouve


me fait avoir recours à vos bontés, en vous suplient très humr
blement de vouloir bien m'en faire donner. J'en ay besoin
pour vivre ; j'en aurais besoin pour achetter des meubles néces-
saires et rendre bien vite ceux de louage qui me causent une
dépence que je voudrais éviter, etc.
Vous sçavez, Monsieur, qu'il m'est dû un des tableaux que
j'ay fait pour le Roy ; que ceux de Rocheffbrt et La Rochelle
sont les deux tiers faits; et les quatres pour Monseigneur le
Dauphin.
Parmi les obligations que je vous ai déjà, celle de me faire

1. En note Luy faire payer les quatre de chez le Dauphin en


: « 2 fois, et aprte on
songera aux grands
— 7 aoust. »
52 CORRESPONDANCE
avoir de l'argent dans les circonstances présentes sera des plus
grandes.
Je suis, etc. VERNET.
A Paris, le 6e aoust 1762.

60. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

D'après vos représentations, Monsieur, contenues en votre


lettre du 14 de ce mois, j'ay voulu être informé de votre situa-
tion, eu égard aux tableaux que vous avez faits pour le compte
du Roy ; le résumé de l'examen qui en a été fait m'a démon-
tré que vous étiés payé jusqu'en 1759 et que dans les sommes
qui vous ont été comptées jusques à cette époque les tableaux
des ville et port de Bordeaux en font partie, en sorte que sur
les années 1760, 1761 et 1762 vous avés reçu 6000 liv. en
contrats sur les Etats de Bretagne et 2400 liv. en argent comptant.
Disposé, comme je le suis à vous obliger il convient que vous
fournissiés au plus tôt les mémoires des objets qui depuis ce
tems vous sont dûs, afin que je puisse vous aider de quelques
fonds relativement à leur valeur, qui m'est inconnue, ce que
vos différents mémoires mettront en évidence pour le règle-
ment. Je vous observe qu'il doit être fait un mémoire particu-
lier pour les quatre tableaux placés dans la bibliothèque de
Monseigneur le Dauphin.
Je suis, etc.
Du 24 novembre 1762.

61. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — M. le duc et Mme la duchesse de Bedfort dési-


reraient voir les tableaux des ports de France qui sont au
Luxembourg. Je vous prie de vouloir bien en donner la per-
mission et vos ordres à M. Bailly, garde des tableaux, pour
que lorsqu'on le faira avertir, il envoyé ouvrir l'endroit où
sonts lesdits tableaux. Je vous en seray très obligé.
Je suis, etc.
VERNET.
A Saint-Cloud, le 14e may 1763.
DE JOSEPH VERNET 5 3

62. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

A Saint-Cloud, ce 8 juin 1763.


Monsieur — Le tableau du port de La Rochelle est finy
depuis quelques jours. J'espère que celuy de Rochefort le
sera vers les premiers jours du mois prochain, après quoy je
pourray partir pour quelqu'autre port. Je vous prie, Monsieur,
de me permettre de vous représenter la sittuation de mes
affaires.
J'ay contracté quelques deptes; je dois faire quelques
dépences indispensables au logement que vous avez eu la
bonté de me donnerl pour pouvoir l'habbiter. J'auray besoin
d'argent pour mon voyage, et il faudra que j'en laisse à ma
famille pour sa subsistance. Il me seroit donc nécessaire d'avoir
une somme un peu considérable pour subvenir à tout cela : il
me suffirait de 1 avoir lors de mon départ pour les ports, j'ay
crût bien faire, Monsieur, de vous prévenir sur la situattion
de mes affaires, et vous suplier très humblement de vouloir
bien me secourir. Il m'est dû trois mil livres sur les deux
tableaux de Bayonne; ceux de Monseigneur le Dauphin, sur
lesquels j'ay reçu cent louis, et les deux de Rochefort et La
Rochelle lorsqu'ils seronts terminés. Je suis bien mortifié,
Monsieur, d'être contraint de vous parler d'argent aussy sou-
vent que je le fais, je vous en demande pardon.
Je suis. etc.
VERNET.
A la lettre se trouve joint le décompte suivant :
Un mémoire de 1761 12.000
Reçu 9.000
Reste 3 .000
Mémoire de 1762 4.800
Reçu 2.400
Reste 2.400
1 iigtment ^ue Verntl avait obtenu dans les galeries du Louvre lui avait été
octroyéi dès 1761 (Archives de l'art français, tome I,
qu après son séjour dans les ports de l'Océan et p. 203); mais il ne l'occupa
son retour de La Rochelle.
54 CORRESPONDANCE

63. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Vous recevrés, Monsieur, sous peu de jours le mémoire des


deux tableaux de Bayonne avec l'ampliation d'ordonnance de
3000 liv. pour son parfait payement. Ce n'est pas sans effort que
j'ay pu vous ménager ce secours.
Je suis, etc.
Du 30 juin 1763.

64. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — J'ay été quelques jours à recevoir la lettre


dont vous m'avez honoré le 30e juin, parce qu'elle m'a suivi
de Paris à Saint-Cloud et de Saint-Cloud à Paris, ayant fait
deux ou trois fois le voyage. Je viens de recevoir aussy les
trois mil livres que vous avez eu la bonté de me faire donner.
Je me flatte si fort de vos bontés, Monsieur, que je suis très
persuadé que vous n'avez pût mieux faire; et je sens toutte la
reconnoissance que je vous doit à cet égard.
Cette somme ne me suffit pas pour tout ce que j'ay à faire
dans les circonstances où je me trouve; mais, comme je vou-
drais montrer mon zèle pour vos ordres, et ne pas suspendre
les ouvrages pour le Roy, je vay chercher des moyens pour les
continuer, persuadé qu'avec le tems vous aurez la bonté de
me procurer de quoy satisfaire aux engagements que je pour-
rois prendre à cet égard.
Le tableau du port de Rochefort seroit finy si je n'usse dû
rester dix jours à Paris pour déménager ; mais il le sera inces-
semment.
Je suis, etc. VERNET.
A Saint-Cloud, le 16e juillet 1763.

65. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY 1

Monsieur — Vous m'avez ordonné de vous rapeller la


prière que je vous ay faitte de vouloir bien demander à Mon-

1. Note de M. de Marigny : « Il faudra luy donner de l'argent pour partir. »


DE JOSEPH VERNET 55

seigneur le Dauphin les quatre tableaux que j'ay fait pour sa


bibliothèque pour être exposés au salon du Louvre, ainssy qu'il
vous l'a promis lorsque lesdits tableaux lui furents présentés 1.
Les deux derniers que j'ay fait pour le Roy seronts transportés
un de ces jours à Paris pour y être tendu sur leurs châssis et
placés dans leurs bordures ; après quoy, je seray très impatient,
Monsieur, que Vous les honoriez de vos regards et que vous
ayez la bonté de m'en dire votre sentiment, heureux s'ils onts
le bonheur de vous plaire; ce que je regarderais comme la
récompence la plus flatteuse ; cela me fairoit oublier les peines
qu'ils m'onts donné et me fairoit faire des nouveaux efforts
pour mieux mériter vos bontez.
Je vay me préparer, Monsieur, pour aller peindre quel-
qu'autre port de mer ; la saison ettant avancée, eu égard aux
opérations que je dois faire, j'ay pensé que le port de Dieppe,
ettant peu important et le plus proche de Paris, seroit conve-
nable à la circonstance. D'ailleurs, pour la première fois que
je me seppare de ma famille, la proximité contribuerait à
nous accoutumer à l'absence.
Si vous approuvez mon projet, Monsieur1, je vous prierois
d'avoir la bonté de faire donner les ordres nécessaires poui ne
trouver auqu'un obstacle et que rien ne retarde les opérations
que je dois faire à cet égard avant la mauvaise saison.
Je suis, etc.
VERNET.
A Saint-Cloud, le Ier aoust 1763.

66. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Je viens d'ordonner, Monsieur, le transport chés vous à


Paris des quatre tableaux avec leur bordure qui sont dans la
bibliothèque de Monseigneur le Dauphin, pour que vous puis-

1. Ces tableaux furent en effet envoyés au salon de 176} avec les ports de Rochefort
et de La Rochelle, la Bergère des Alpes et plusieurs autres toiles.
2. Note en marge de cette lettre : « Je le veux bien, mais à condition qu'après
avoir fait Dieppe, il n'interrompra « plus la suitte des ports. »
56 CORRESPONDANCE
siés les faire exposer au Salon. J'ay chargé M. L'Ecuyer, con-
trolleur du département, de vous prévenir de cet envoy.
Je suis, etc.
Du 7 août 1763.

67. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Je vous ay marqué, Monsieur, par une lettre que vous


recevrés par ce même Courier que les quatre tableaux de mon-
seigneur le Dauphin seront transportés incessament chés vous.
Dès que les derniers faits pour le Roy seront placés dans
leur bordure, je seray aussy empressé que je suis impatient de
les voir.
Je feray des efforts pour vous mettre en état de partir pour
aller peindre le port de Dieppe, attendu la saison avancée;
mais, celuy-cy achevé, mon intention est qu'en repartant de
Paris, Tannée prochaine, vous n'interrompiés plus la suite des
autres. Je suis, etc.
Du 7 août 1763.

68. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Me voilà tout prest à partir pour Dieppe: je


vous prie de vouloir faire donner les ordres convenables au
commandant de la marine et à celuy de terre de cette ville-là
pour que je ne soit pas retardé dans les opérations que je dois
y faire.
Par la dernière lettre que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire, Monsieur, vous m'avez donné l'espérance que vous
aurez la bonté de me faire donner encore quelque argent pour
me mettre en ettat d'ailer à Dieppe; en ce cas, je ne cher-
cheray pas à en emprunter; ce que je fairoiscependant, sûposé
que vous ne pussiez pas me donner des nouveaux secours.
Je suis, etc.
VERNET.
A Saint-Cloud, le 24e aoust 1763.
DE JOSEPH VERNET 57

69. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY'

Je compte partir demain pour Dieppe; j'espère que je ne


pas retardé dans mes opérations et que les ordres aux
seray
comendants de terre et de mer ne tarderont pas à y arriver.
En tout cas, si vous aviez la bonté, Monsieur, de m'écrire
une lettre qui désigna l'ordre que vous m'avez donné d'aller
à Dieppe et ce que je dois y faire, cela pourrait suffire, pour
qu'en ne s'opposa à ce que je désirerois faire dès mon arrivée.
Je part avec quelque peu d'argent; j'en ai laissé un peu à
ma famille, en attendant le secours de la Providence.
Je suis, etc. VERNET.
A Saint-Cloud, ce 10e septembre 1763.
Je vous demande pardon, je n'avez pas icy du papier conve-
nable.

70. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Paris, le 22 septembre 1763.


J'écris, Monsieur, par ce courrier à M. le duc de Choiseul
de vouloir bien écrire en votre faveur à Dieppe à MM. les
commandants de la marine et des troupes, et de les prévenir
que vous y allez pour faire un tableau de ce port pour le Roy,
et de les engager à vous procurer touttes les facilités dont vous
pourrez avoir besoin pour l'exécution de votre projet.
Je suis, Monsieur, etc.

71. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — J'ay reçu la lettre que vous m'avez fait l'hon-


neur de m'écrire le 22 septembre, où vous parlez de l'ordre
que vous m'avez donné de peindre le port de Dieppe pour le
Roy, ce qui m'a servis à montrer à ceux qui commandent icy
et à me mettre à mon aise pour opérer librement.

1 Note de M. de Marigny : Expédier les lettres à ce nécessaires. »


«
58 CORRESPONDANCE
Hier, M. le lieutennant du Roy ine dit avoir reçu une lettre
de M. le duc de Choiseuil, relative à ce que je dois faire icy
pour Sa Majesté; ainsy, Monsieur, tout va bien, et vous en
fais des très humbles remerciments.
J'arrivay icy le 12e du mois dernier. Depuis lors, je n'ay pas
cessé de travailler aux études pour le tableau de ce port, et ma
besogne avance. Ce port-cy, quoique peu considérable, a du
pittoresque : La pèche (surtout celle du hareng) faira son
caractaire distinctif et une varietté parmis les autres tableaux
des ports que j'ay déjà fait; les habillements du peuple sonts
singulliers, il y en a de fort agréables.
Je suis, etc. VERNET.
A Dieppe, le 3e octobre 1763.

72. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

A Fontainebleau, le 10 octobre 1763.


J'ay reçu, Monsieur, votre lettre du de ce mois, par
3
laquelle vous m'informes de votre arrivée à Dieppe depuis le
12 du mois passé, et des facilités que MM. les commandants
dans ce port vous avoient déjà procurées avant les ordres qu'ils
en ont reçus depuis de M. le duc de Choiseul. J'en ai été
d'autant plus aise que nous aurons plus tôt le tableau de ce
port puisque vous vous en êtes occupé d'abord après y être
arrivé.
Je suis, Monsieur, etc.
P.-S. de la main de M. le Directeur général : « J'ay pré-
senté au Roy vos deux tableaux de Rochefort et La Rochelle,
le deux de ce mois à Versailles. S. M. et Mgr le Dauphin
et toutte la Cour en ont fait les plus grands éloges. »

73. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY *

Monsieur, — Des voyages, mon eménagement aux galleries


du Louvre et d'autres dépenses que j'ay été obligé de faire

1. Note en tête Ordonné le 7 décembre 1765, 2.400 liv. pour parfait payement
: «
des tableaux de Mgr le Dauphin. >
DE JOSEPH VERNET 59

onts épuisé ma bourse et celle de mes amis. Je suis dans la


plus grande nécessité d'argent, et ne sçay comment faire pour
en avoir. Permettez
donc, Monsieur, que j'implore vos bontés,
et que je vous prie très humblement de vouloir bien me pro-
curer quelques secours dans le besoin urgent où je me trouve.
Je suis, etc.
VERNET.
A Paris, ce i" décembre 1763.

74. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

L'envie de vous secourir, Monsieur, dans les embaras dont


vous me faites part m'a porté à faire les plus grands efforts
pour vous en donner des preuves. Sous peu de jours,
M. Cochin sera en état de vous remettre une ampliation d'or-
donnance de 2400 liv. pour le parfait payement des quatre
tableaux de monseigneur le Dauphin.
Du 7 décembre 1763.

75. — PAYEMENTS DE 1760 A 1763

Au sieur Vernet.
Exercice 1761
Mémoire de deux tableaux (les ne et
12e) de la suitte des ports de France.
Le 1" Vue de Bayonne à mi-côte du
glacis de la citaeelle.
Le 2e Autre vue de Bayonne prise de
l'allée de BoufHers.
Estimés chacun 6000 liv. 12.000 liv.
A comptes.

1760 — "io décembre. 6.000 liv.


. .
1762 — 29 décembre.... .
3.000
1763 — 29 juin 3.000
12.OOO
6o CORRESPONDANCE

76. — PAYEMENT DES TABLEAUX DU DAUPHIN

Au sieur Vernet.
Exercice 1762
Mémoire de 4 tableaux représentant les
Heures du jour pour le cabiner de la biblio-
thèque de Monseigneur le Dauphin.
De 4 pieds 2 pouces sur 2 pieds 6 pouces
de haut.
i° Le matin, Lever du soleil.
2° Le midi, une Tempête.
30 Le soir, le Coucher de soleil.
40 La nuit, un Clair de lune.
Estimés chacun 1.200£ 4.8ooliv.
Payements.
1762, 12 aoust 2.400 liv.
1763, 7 décembre 2.400
4.800

77. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Nous voicy dans la saison convenable aux opé-


rations que je dois faire dans les ports de mer; je pourrais (si
vous le trouvez bon) partir pour celuy de l'Orient dans le
courant de ce mois, et m'occuper tout l'été à faire des ettudes
concernent les ouvrages que je dois faire pour le Roy, soit
dans ce port-là, soit dans quelqu'autre; mais, Monsieur, je
su's sans argent, et j'en aurais besoin pour mon voyage, et
en laisser icy pour l'entrettient de ma famille. Je vous suplierois
donc d'avoir la bonté de me faire donner quelque acomptes
sur les deux tableaux de Rochefort et La Rochelle qui me
sonts dû. J'ay travaillé à celuy de Dieppe.
Je suis, etc.
VERNET.
A Paris, ce 2e may 1764.
DE JOSEPH VERNET 6l

78. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Il y a longtems que je cherche le moment


d'avoir l'honneur de vous parler ou celuy de vous écrire sur
quelque chose qui m'inquiette; mais, vous voyant toujours
fort occupé lorsque vous ettes à Paris ou à la cour, j'ay tou-
jours différé. Je pense que vous ettes plus tranquille à Ménard
et que vous voudrez bien me faire la grâce de lire ce qui suit.
Depuis que j'ay l'honneur d'être connu de vous, Monsieur,
mon embition a toujours été de me rendre digne de vos
bontez, de votre protection et, j'ose dire, de votre estime;
c'est pour cela que, depuis quatorze ou quinze ans, je travaille
à les mériter et par ma conduitte, et par une attention conti-
nuelle à faire des efforts pour me distinguer dans ma pro-
fession. Un. scrupule cependant me fait craindre que vous ne
me soupçonniez peut-être d'avoir moins pensé à ma fortune
qu'à mes plaisirs, et voicy sur quoy je fonde ce soupçon.
La pluspart des personnes que je connois me croyent
riche; ceux qui sçavent que je ne le suis pas pensent qu'il
peut y avoir de ma fautte, et attribuent la sittuation étroitte
où je me trouve à un manque d'économie. Dans la crainte
que ce qu'ils m'inputent à cet égard n'ait passé jusqu'à vous,
Monsieur, je suis trop intéressé à effacer cette impression pour
ne pas vous prier en grâce de vouloir bien jetter les yeux sur
le détail qui suit :
Je suis fils d'un peintre qui a eu vingt-trois enfants, sans
autre bien que la ressource qu'il pouvoit tirer de son travail.
Dès l'âge de neuf ans, en suivant sa profession, j'ay commencé
à gagner de l'argent que je donnois tout à mon père pour
l'aider à faire subsister sa famille. A l'âge de vingt ans, je
partis pour Rome pour y ettudier la peinture ; je n'avoit
d'autre secours que ceux que mes ouvrages pouvoient me
produire, secours bien faibles puisque je les partageois avec
mon père. Je fit venir un de mes frères à Rome pour y faire
ses ettudes conjointement avec moy, et je l'y ay entretenu
pendant l'espace de huit années. Ma mère est morte en 1742,
et mon père en 1754, après six ans de maladie, c'est-à-dire
que, depuis 1748, je me suis trouvé chargé de l'entretien des
62 CORRESPONDANCE
enfants de mon père et des miens, m'ettant marié en 1743.
Conséquement, j'ay établi une de mes sçoeurs, et depuis près
de dix ans, je fait une pention à une seconde qui est restée
fille. J'ay été chargé d'ailleurs de trois neveux, fils d'un de
mes frères mort en 1746. Un autre frère, mort à Naples il y a
deux ans et demy, a laissé un fils, que j'ay fait venir à Avi-
gnon, où je pourvois à son entrettient.
J'ay passé en France en 1752; j'ay commencé à travailler
par vos ordres aux tableaux pour le Roy représentant différants
ports du royaume, au mois d'ottobre 1753 ; il me reste, Mon-
sieur, à vous prouver que, depuis cette époque, il ne m'a
guère été possible d'amasser du bien, ainssi que depuis que je
suis au monde, et me flatte de vous le démontrer par le détail
qui suit.
Les quatorze tableaux que j'ay fait pour le Roy, à raison de
six mille livres chacun, se montent à 84.000 1.
Des tableaux pour les particulliers pour environ 105.000
Total 189.000
De cette somme de 189.000 liv., il faut déduire
celle de 36.000 liv. que j'ay placé, sçavoir :
Sur l'hôpital de Marseille, celle de dix mille
livres, dont le payement des arrérages est suspendu
depuis près de trois ans 10.000
J'ay des contracts sur la ville de Paris et sur la
Bretaigne pour 14.000
Il m'est dû par le Roy 12.000
3 6.000
Sur cette somme de 36.000 liv., il faut rabattre environ dix
mille livres de deptes que j'ay dû contracter. Il ne me reste
donc pour tout bien que 26.000 liv. net.
J'ay dépensé environ 20.000 liv. pour monter ma maison et
m'ettablir à Paris; voilà la seulle dépence extraordinaire que
j'ay fait depuis 1753. Tout le reste a été employé à l'entre-
tient de ma famille, mes voyages et enfin à toutte chose néces-
saire, que je pourrais prouver à qui voudrait le sçavoir.
Je vous suplie donc, Monsieur, de croire qu'il m'eût été
impossible de me livrer à des folles dépences, quand même
mon inclination m'y auroit porté.
DE JOSEPH VERNET 63

Je rougis, Monsieur, des détails dont je vient de vous


importuner, mais ils m'onts été inspirés par la vérité et par le
désir que j'ay de vous justifier ma conduitte, suposé que vous
eussiez put penser que je n'y eusse pas mis toutte l'économie
que ma sittuation présente exige.
Il me reste à vous demander avec instances la continuation
de vos bontez et de votre protection. Je m'efforceray toujours
de la mériter par le véritable attachement et le profond respect
avec lequel je suis, Monsieur, etc.
VERNET.
A Paris, ce 22e septembre 1764.

79. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Je suis bien fâché, Monsieur, que ma façon de penser à


votre égard vous soit assez peu connue pour que vous ayés pu
croire avoir besoin de justification auprès de moy; il s'en faut
bien que vous soyés dans ce cas. J'ay aussi bonne opinion de
votre coeur que de vos talens. C'est assés vous dire quil y a
peu dé personne sur qui je compte aussy essentiellement que
sur vous, et il n'y en a point à qui je fusse plus charmé de faire
plaisir. Vous n'auriés rien à désirer, si votre fortune égaloit
votre réputation ; l'une est assurée, il faut travailler à l'autre,
et je saisiray toujours avec empressement les occasions d'y
contribuer, soyés en aussy sûr que de mon estime. Je suis, etc.
Du 30 septembre 1764.

80. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

— Je vous prie de vouloir bien me faire savoir


Monsieur
quelles sonts vos intentions au sujet des ouvrages que vous
m avez fait l'honneur de m'ordonner pour le Roy, afin que je
puisse m'y conformer, et arrenger mes affaires en consé-
quance.
Je désirerois savoir, Monsieur, en quel tems les quatre
tableaux pour Choisy doivent être faits; si celuy du port de
Dieppe doit l'être
pour la première exposition au salon du
64 CORRESPONDANCE
Louvre; et si je devray (dans la belle saison) aller continuer
la suitte des ports de France. J'attendray vos ordres et pren-
dray des mesures pour les exécuter du mieux qu'il me sera
possible.
J'ose espérer, Monsieur, que vous aurez la bonté de me
procurer quelques secours, sans lesquels je me trouverais dans
le plus grand embarras.
Je suis, etc.
VERNET.
A Paris, le 27 novembre 1764.

81. — LE MARQUIS DE MARIGNY A JOSEPH VERNET

Vous me demandés, Monsieur, par votre lettre du 27


novembre, quelles sont mes intentions par raport au tableau
représentant le port de Dieppe et à ceux que vous êtes chargé
de faire pour Choisy. Vos ouvrages font trop d'honneur à
l'école françoise pour que je ne désire pas vivement d'en voir
beaucoup au prochain Salon. Arrangés vous donc de manière
que les cinq tableaux dont il s'agit y soient absolument et vous
méritent de nouveaux aplaudissements. Comme ils prendront
beaucoup de votre tems, je conçois bien que vous aurés besoin
de secours, aussy pouvés vous compter que j'auray soin de
vous en fournir par des acompte aussitôt qu'il sera possible.
Je suis, etc.
Du 5 décembre 1764.

82. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur, — Les quatre tableaux pour Choisy vonts être


faits dans six ou huit jours ; et, tout de suitte, je continueray
1

celuy du port de Dieppe. Il faudra des efforts, et j'en fairay,


pour qu'il soit fait pour le Salon prochain. Mais, Monsieur, je
suis sans argent, et ne sçaurois où en prendre si vous n'avez

1. Ces tableaux pour Choisy, représentant les Quatre parties du jour, dont deux
sont au Louvre (n01 61 { et 614), furent payés par acomptes, de 1766 à 1776, la somme
de 4.800 livres, soit 1.200 liv. l'un. (Voir l'article des Comptes des Bâtiments cité
par Lacordaire dans les Archives de l'art français, t. IV, p. 167.)
DE JOSEPH VERNET 65

la bonté d'ordonner quelque à comptes sur ce qu'il m'est dû


le Roy. Lors que le tableau du port de Dieppe sera fait,
par
Sa Majesté me devra une vingtaine de mille livres.
Je suis, etc.
VERNET.
A Paris, ce 24e may 1765.
Note de M. de Marigny : * Nous avons par une lettre de
M. Cochin le prix de ces 4 tableaux fixés, je pense, à 1.000 liv. Com-
ment le Roy peut-il luy devoir 20.000 liv.? A la bonne heure, qu'on le
paye de ce qui est livré et en place ; mais le payer de ce qu'il doit
livrer seroit absurde. — Ordonné 6.000 liv., 26 may 1765. »

83. — JOSEPH VERNET AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Depuis la dernière fois que vous avez eu la


bonté de me faire donner de l'argent, ayant employé presque
tout mon tems à travailler pour le Roy, je n'ay guère put
gagner d'ailleurs; ce qui me mest dans la nécessité de vou;
su plier de vouloir bien (si cela se peut) me faire donner
quelque acomptes sur les 13.800 liv. qui me sont dû par Sa
Majesté; je vous en seray très obligé.
J'espère être de retour à Paris le trois ou le quatre du mois
prochain. Toujours très empressé d'avoir l'honneur de vous
taire ma cour,
Je suis, etc. VERNET.
A La Chapelle près Nogent-sur-Seine, le 29e
octobre .1765.
Note de M. de Marigny : « Il faut constater cette dette. — Le
mémoire des vues de Rochefort et de La Rochelle est arrêté à
12.000 livres. Il a reçu en deux à comptes 9.000. Reste 3.000 livres
et ses ouvrages de 1764. »
Le payement de ces 3.000 livres pour solde des tableaux
île Rochefort et de La Rochelle eut lieu peu de jours après,
comme le montre la lettre de remerciment adressée par Vernet à
M- de Marigny, le
13 novembre suivant {Archives, t. IV, p. 160).
On trouvera peut-être Vernet bien quémandeur. Il n'avait pas
J autre moyen d'obtenir le règlement de ses travaux que de solli-
citer et de revenir sans cesse à la charge. Tous les artistes sont
réduits à la même extrémité, et bien peu d'entre eux obtiennent.
66 CORRESPONDANCE

comme le peintre des ports de France, le payement de leurs


créances au bout de deux ou trois ans seulement.

84. — LE MARQUIS D'AUBIGNÈ AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur le marquis de Marigny avoit eu la bonté de pro-


mettre à M. le marquis d'Aubignè qu'il donnerait un ordre pour
que le sr de Savignac pût voir les marines de Verney quand il
en aurait besoin; sans doutte que M. le marquis de Marigny
l'a oublié avant son départ ; M. le marquis d'Aubignè luy seroit
très obligé, s'il vouloit bien envoyer un ordre à M. Bailly, de
les laisser voir audit sr de Savignac. Il espère qu'il voudra
bien luy faire ce plaisir, il luy en sera très obligé, et aura
l'honneur de luy en faire ses remerciments à son retour.
Note de M. de Marigny : « Ecrire à M. Bailly pour sçavoir s'il
n'y a pas inconvénient. » Bien que M. de Savignac soit un peintre
absolument oublié, nous avons reproduit les pièces concernant sa
demande parce qu'elles montrent la vogue de la peinture de Vernet
à ce moment.

85. — M. DE SAVIGNAC AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Le nommé Edme-Charles de Lioux de Savignac,


ayant un désir ardent de se perfectionner dans l'art de la pein-
ture, prend la liberté de vous suplier, Monsieur, de vouloir
bien donner votre ordre pour qu'il puisse jouir, autant qu'il
lui sera nécessaire pour son instruction, de la vue des tableaux
appartenant à Sa Majesté, représentans des ports de mer de
France, peints sous vos ordres par M. Vernet, pour puiser les
lumières nécessaires relatives au genre de peinture que ledit
de Savignac désire de suivre, pénétré de ce que la fortune ne
lui permette pas d'être sous la direction de cet excelent
maître.
Mais que ne doit-il pas espérer, Monsieur, de l'accueil favo-
rable que vous avez daigné lui faire en lui ordonnant de vous
faire sa demande par écrit, c'est ce qu'il a l'honneur de vous
remettre sous les yeux et la faveur qu'il attend de vous, étant
avec un profond respect etc. JJE LIOUX DE SAVIGNAC.
Ce 3 juillet 1766.
DE JOSEPH VERNET 67

86. — COCHIN AU MARQUIS DE MARIGNY

Monsieur — Si M. de Savignac ne veut que voir quelquefois


les tableaux de M. Vernet, on peut recommander à M. Bailly
(qui les a sous sa garde dans un magasin fermé) de lui en pro-
curer la vue les mercredis et samedis, jours auxquels il va au
Luxembourg pour ouvrir au public le cabinet ordinaire de
tableaux qu'on y fait voir.
Si votre intention, Monsieur, étoit d'accorder à M. de Savi-
gnac une protection plus utile encore, il vaudrait mieux pour
son étude qu'il en pût emprunter quelques-uns, soit au Roy,
soit à des particuliers, pour les copier; mais il ne le demande
pas distinctement dans son placet. D'ailleurs, si vous vouliez
lui accorder cette grâce, il seroit difficile qu'il les copiast au
Luxembourg, parce que M. Bailly, ou quelqu'un à lui, n'étant
au Luxembourg que deux demies journées par semaine, cela
ne suffirait pas pour son travail. Il vaudrait mieux qu'il cher-
chast à obtenir de quelqu'un de nos artistes de l'Académie la
permission de les copier dans son athelier; alors vous pourriez
authoriser M. Bailly à les confier à cet académicien de chés qui
ils ne sortiraient que pour retourner au Luxembourg. Peut-
être M. Le Prince ne répugneroit-il pas à rendre ce service à ce
jeune artiste.
Je suppose dans cecy que vous veuilliés bien consentir à ce
que ces tableaux soyent copiés.
Je suis avec un profond respect, etc.
COCHIN.
Ce 21 juillet 1766.

87. — LE MARQUIS DE MARIGNY A M. BAILLY

Le sr Lioux de Savignac, Monsieur, dont le goût le porte


au
même genre que celui de M. Vernet, désirerait avoir la facilité
de jouir de la vue des tableaux de cet artiste qui sont
sous
votre garde au Luxembourg. Comme il m'est recommandé
par des personnes que je serois ravi d'obliger, vous voudrez
bien me
marquer s'il n'y a aucun inconvénient à lui accorder
68 CORRESPONDANCE

cette permission. Dans le cas où il n'y en auroit aucun, je


vous autoriserai à lui en permettre la vue, pour les jours où
vous vous rendez au Luxembourg pour ouvrir au public
l'appartement où sont exposés les tableaux du Roi,
Je suis, etc.
En l'année 1765 a cessé la correspondance de Vernet relative à
l'exécution de la suite des Ports de France. Les pièces qui suivent
sont relatives à d'autres objets et proviennent de différentes sources.
On devra recourir, pour compléter cette série, aux extraits et ana-
lyses donnés par M. Lagrange (p. 454 et suivantes du Joseph Vernet).
On y trouvera, sous la date du 14 août 1773, une lettre de recom-
mandation adressée à M. de Marigny, lettre qui vient se placer entre
les pièces qui précèdent et celles qui vont suivre.

88. —JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER l

Monsieur — J'ay eu l'honneur de vous faire le détail de ma


vie pour tout ce qui a eu rapport à ma profession depuis
l'époque où M. le marquis de Marigny m'engagea à quitter
Rome, où j'ettois établi, pour venir avec ma famille me fixer
en France. La bonté avec laquelle vous avez bien voulut
écouter l'histoire du passé me donne lieu d'espérer que vous
me permettrez de mettre sous vos yeux celle du présent.
Ma femme, malade depuis plusieurs années, est obligée par
cette raison d'habiter la campagne, ce qui m'occationne la
dépence de deux maisons à soutenir.
J'ay une soeur et plusieurs neveux à l'entretien desquels je
fournis, mon frère, qui a femme et trois enfants, étant malade
depuis plus de huit mois, ne peut suffire aux besoins de sa
famille, et c'est encore moy qui suis chargé de ce soin. Vous
sentez, Monsieur, que tous ces fardeaux sont faits pour épuiser
mes moyens; aussy, ai-je dû faire usage de quelques-uns de
mes fonds et je me vois actuellement réduit à emprunter, ce
qui est aussy contraire à ma façon de penser qu'à celle dont
j'ay vécu jusqu'à présent.

1. Cette lettre a été vendue en décembre, 1875, a la salle Silvestre. N° 354du Cata-
logue rédigé par M. Etienne Cliaravay.
DE JOSEPH VERNET 69
Il m'est dû depuis quatorze à quinze ans chez le Roy la
somme de 9.400 liv. sur des ouvrages qui m'ont causé des
dépenses au delà de ce que je gagnois. Je perds, outre cela, en
interest, presque la valeur des fonds. Il est aussy du à mon
frère 16.814 liv. sur des peintures dont il a eu l'entreprise soit
pour la salle d'opéra de Versailles ou pour les appartemens du
château, dont les mémoires sont arrettez depuis longtemps;
il a du payer les ouvriers qu'il a employés, et les fournitures;
ce n'a été qu'en empruntant à gros interest qu'il a put le
faire ; ses créanciers le pressent et le menacent. Sa situation ne
luy laisse d'autres ressources que moy qui ay épuisé toutes les
miennes.
Vous voyez, Monsieur, quelle triste situation est la nôtre;
je vous supplie donc de vouloir bien nous tirer d'embarras.
Il y a longtemps que nous sollicitons M. Cuvillier qui nous
donne toujours des bonnes espérances, mais sans effets. J'ay
crut pouvoir recourir avec confiance à vos bontez dont je
tâcheray de me rendre digne.
Je suis, etc.
VERNET.
A Paris, le 10e avril 1775.
En tête de la lettre se trouve cette note : « Observation. — Sui-
vant les livres du bureau, il paroit n'être dû à M. Vernet ou du
moins n'y avoir à compter avec luy que deux mémoires.
Un de 1765, de 6.000 liv.
Un d'idem, de 4.800 liv.
10.800 liv. Surquoy il a reçu en 1764 2.000
1.200
3.200
J l 6.200
,
„En 1774 3.000 \
Resterait 4.600
Si M. Vernet n'a pas d'autres mémoires à réclamer. »
A la lettre est jointe la minute de la réponse de la main de
Cuvillier, datée du 7 may 1775. On lui objecte les comptes portés
en tête de la lettre et, quant à la créance de son frère, les fonds ne
sont point faits.
70 CORRESPONDANCE

89. — JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER '

Monsieur — J'ay reçu la lettre dont vous m'avez honoré le


7e de ce mois. Les bonnes dispositions qu'elle contient à mon
égard sonts pour moy un motif de reconnoissance, auquel
j'espère que vous voudrez bien ajouter celui de m'en faire
éprouver les effets le plus tost qu'il vous sera possible.
Il paroit, Monsieur, qu'au lieu de 9.400 livres, que je pense
m'être dû sur les ouvrages que j'ay fait pour le Roy, il n'en
est reconnu que 4.600 livres, d'où il résulte qu'il y a une erreur
de part ou d'autre. Il me seroit difficile de dire au juste quelle
est ma créance réelle, attendu que je n'ay jamais été dans
l'usage de tenir registre de mes recettes, qui, vis-à-vis des par-
ticuliers, n'éprouvent aucun retard. Lorsque j'ay voyagé par
ordre du Roy pour peindre les Ports de France, M. Peilhon le
père a bien voulu se charger de recevoir l'argent qui m'étoit
du et de me le faire passer en province. Je ne me souvient
pas d'en avoir reçu moy-même icy que les trois articles, dont
deux en 1766 et le troisième l'année dernière 1774. On m'a
quelquefois donné des acomptes motivez sur des ouvrages que
je venois de faire tout récemment, pendant qu'on [ne] m'en
avoit pas donné sur des ouvrages plus anciens. Tout cela a fait
un embarras dont j'ay voulut m'éclaircir il y a plus d'un an,
d'abord chez M. Cochin, puis chez M. Pierre, qui me donna
une notte de 15.600 liv. sur laquelle j'ay reçu 6.200 liv. C'est
d'après cela que j'ai eu l'honneur de vous écrire qu'il m'ettoit
du chez le Roy 9.400 liv. Mais, comme vous [me] faittes celuy
de me dire, par la vérification faitte aux bureaux des Bâtimens,
que ma créance n'est que de 4.600 liv. j'ay retourné chez
MM. Cochin et Pierre, et ce dernier ayant encore revu ce qu'il
m'est dû chez le Roy, m'a donné pour la seconde fois un
relevé dont le résultat est de 9.400 liv. J'ay l'honneur de vous
l'envoyer cy-joint. Il sera aisé de s'assurer dans les bureaux si
cette notte est exacte, et, dans le cas contraire, les quittances
de M. Peilhon et les miennes prouveront la vérité de mon
titre.
t. Cette pièce a fait partie de la collection de Benjamin Fillon.
DE JOSEPH VERNET 71
Je ne puis trop vous répéter, Monsieur, dans quelle détresse
trouve mon frère, qui, malade depuis neuf mois et chargé
se
d'une nombreuse famille, n'a d'autres secours que ceux que
je luy donne, ce qui me fait éprouver à peu près le même sort
que luy et me force à vous renouveller mes prières.
Je suis, etc.
VERNET.
A Paris, le i6emay 1775.

90. — JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER

Monsieur — Je suis bien mortifié de vous importunner


aussy souvent que je le fais; mais la nécessité où je me trouve
m'y contraint.
Mon frère commence à se mieux porter; il est à la campagne
pour achever d'y rétablir sa santé; voilà près d'un an qu'il est
malade et que je fournis à l'entretien de sa famille. J'ay ma
maison à Paris et une à la campagne, où est ma femme malade
depuis quelques années; de sorte que je suis accablé de soucis
et de dépences de toutte part, de sorte que j'ay le plus grand
besoin de secours. Je vous prie instemment, Monsieur, de
vouloir bien m'en donner et qu'on achève de me payer ce qui
me reste dû chez le Roy depuis si longtems, ainssy que quelque
à compte à mon frère sur ce qu'il y est du aussy à la Cour ;
luy et moy vous en aurons la plus grande obligation.
Je vient de finir un tableau que je désirerais exposer au
Salon; comme il est exactement de la mesure de ceux des
ports que j'ay fait pour le Roy, je vous prierois de permettre
que je pris une des bordures desdits tableaux, ce qui fairoit
valloir celuy-cy et ornerait le Salon. En ce cas, je vous prierois,
Monsieur, de vouloir bien faire donner vos ordres à M. Bailly,
garde des tableaux, pour que je pût prendre une bordure que
je rendrais en bon état. La chose presse, car dans peu de
jours on travaillera à l'arrangement du Salon.
Je suis, etc.
VERNET.
A Paris, le 5e aoust 1775.
7» CORRESPONDANCE

91. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

A Versailles, le 7 aoust 1775.


Je contribuerai fort volontiers, Monsieur, et je crois que
tout le monde m'en sçaura gré, à vous faciliter les moyens
d'exposer au Sallon le tableau que vous désirez y placer, et
pour lequel il vous manque une bordure. Vous pouvez vous
addresser à M. Bailly à qui je fais passer les ordres nécessaires
pour qu'il vous prête une de celles de vos Ports de mer pour
le temps du Sallon.
La demande que vous me faites d'un secours sur les ouvrages
qui vous restent dus par le Roy, ainsi qu'à M. votre frère, est
quelque chose de plus embarrassant pour moi, attendu que
je n'ai aucune espèce de fonds applicable au payement des
anciennes dettes. Je sens toute la justice de vos représentations
et j'entre bien véritablement dans la considération des embarras
que vous éprouvez; je vais en conséquence me faire mettre
sous les yeux l'état de ce qui vous reste dû ; et, s'il y a quelque
moyen de vous procurer quelque payement, je le saisirai avec
empressement. Vous ne devez point douter du plaisir que
j'aurai à obliger en vous un des hommes qui font le plus
d'honneur aux arts et à l'école française.
Je suis, etc.

92. — ORDRE A BAILLY DE PRÊTER UN CADRE


DES PORTS DE FRANCE A J. VERNET

M. Bailli, garde des tableaux de la Couronne, prêtera à


M. Vernet, peintre du Roi, pour le tems du Sallon seulement
et sur son récépissé, une des bordures de ses tableaux des Ports
de France.
A Versailles, ce 7 aoust 1775.
DE JOSEPH VERNET 73

93. — COCHIN AU COMTE D'ANGIVILLER'

Monsieur — J'ay eu l'honneur de vous exposer le désir que


j'avois d'aller au Havre de Grâce dessiner une vue de ce port
pour faire suitte, autant qu'il sera en mon pouvoir, aux vues
des Ports de France que nous avons gravés d'après les beaux
tableaux de M. Vernet. Vous avez eu la bonté d'approuver ce
projet et je me dispose à l'exécuter.
J'ai obtenu de M. de Sartines une lettre de recommandation
pour M. Mistral, commissaire ordonnateur de la marine' en
ce port ; mais, comme il y a une citadelle et qu'elle ne dépend
point du ministre de la marine, j'aurois lieu de craindre
quelque obstacle de la part du commandant de ce fort, s'il
n'est pas prévenu à cet égard.
J'ay recours à votre protection, Monsieur, et je vous suplie
de vouloir bien obtenir pour moy une lettre du ministre de la
guerre à cet officier. C'est la grâce que j'ay l'honneur de "ous
demander.
Je suis, etc.
COCHIN.
Ce 3 may 1776.

94. — LE COMTE D'ANGIVILLER AU COMTE DE SAINT-GERMAIN

6 mai 1776.
M. Cochin, Monsieur, dont vous connoissés sûrement les
talens dans l'art du dessein et de la gravure, et qui a donné
d'après M. Vernet les vues gravées d'un grand nombre de
ports de France, désirant y en ajouter quelques-unes pour
compléter cette collection précieuse, se propose d'aller au
Havre pour y dessiner celle de ce port. Mais comme, quoique
nuni de la recommandation de M. de Sartine pour ce qui
concerne la marine, il pourrait trouver quelque obstacle du
côté du commandant de la citadelle et de la ville, il s'addresse

'• i:n note : « Ecrit à M. le comte de Saint-Germain pour lui demander la lettre
JoiH il est question, le 6 mai 1776.
»
74 CORRESPONDANCE

à moi pour vous prier de lui accorder une lettre à cet officier
pour le prévenir de l'objet de ce voyage et l'engager à procurer
les facilités qui pourraient dépendre de lui pour son succez.
Je le fais, Monsieur, d'autant plus volontiers que je pense que
vous serez charmé de faciliter à un artiste aussi distingué l'exé-
cution d'un ouvrage intéressant.
Dans ce cas, je vous serais obligé de me faire envoyer cette
lettre pour que je la fasse passer à M. Cochin,
J'ai l'honneur, etc,

95. — LE COMTE D'ANGIVILLER A COCHIN

A Versailles, le 24 juin 1777.


J'apprends, Monsieur, avec plaisir que vous allez continuer
de mettre avec M. Le Bas à exécution votre projet d'une suite
de desseins et gravures des Ports de France, et que, pour cet
effet, vous êtes sur le point d'aller passer quelques mois àRouen.
Comme j'y prens, avec tout le public, la part que mérite une
suite si intéressante, je ne puis que vous souhaiter bon et
heureux voyage. Quant au succez, je n'ai rien à vous souhaiter
parce que vous avez dans vous de quoi vous l'assurer.
Je n'ai pour le moment aucune commission à vous donner;
mais je ne vous en suis pas moins obligé de l'attention que
vous avez de me prévenir de votre départ et de me les
demander.
Je suis, Monsieur, etc.
La vue du port du Havre, dessinée par Cochin, gravée par î^e Bas
et Martini pour faire suite aux Ports de France de Vernet, parut
en 1780. Elle est dédiée à M. d'Angiviller. Plus tard, Basan fit
paraître un port de Rouen portant le n° 17. La série qui devait se
composer de vingt planches s'arrêta là.

96. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

Du 11 septembre 1777.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre que, d'après la conversation
que javois eue avec vous quelque temps auparavant, vous avés
DE JOSEPH VERNET 75

cru devoir prendre la peine de m'écrire pour m'exposer plus au


long les plaintes que vous me fîtes alors. Je croyois avoir
dissipé vos inquiétudes par ce que je vous dis dans cette cir-
constance. Comme personne ne fait plus de cas que moy de
vos talens, je ne me fais point une peine de vous marquer que
ce dont vous vous plaignes n'est nullement de ma part un effet
de peu de disposition à vous rendre justice, mais seulement
une suite d'arrangemens arrêtés depuis longtemps et qui ne
m'ont pas permis de faire pour vous ce qui entrait déjà dans
mes vues. Ma lettre à M. Pierre, et qu'il a du lire à l'Académie,
vous a fait connaître les motifs qui m'ont guidé dans l'augmen-
tation des pensions destinées à ses premiers officiers, et je ne
sçaurois me persuader que vous n'y applaudissiés. Je comptois
être en même tems à portée de vous procurer, au moyen
d'une vacance de pension qui m'étoit annoncée, une grâce de
S. M. ; mais, vérification faite, il s'est trouvé qu'il y avoit une
méprise. Je fais trop de cas de vos talens, et ils font trop
d'honneur à la peinture françoise pour ne pas saisir les occa-
sions qui peuvent se présenter dans la suite, et même qui
semblent ne devoir pas être éloignées, pour vous donner une
marque de ma manière de penser.
Je suis, etc.

97. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

Du 6 avril 1778.
Informé, Monsieur, de la mort de M. Adam, je n'avois pas
attendu la lettre que vous avés pris la peine de m'écrire au
sujet de la pension. J'avois aussitôt formé le projet de mettre
sous les yeux du Roy les titres que vos talens vous donnoient
à une pareille marque de ses bontés, et je viens de le faire.
C est avec plaisir que je vous informe de la disposition
que
S. M. a faite en votre faveur de cette pension. J'aurois même
souhaité qu'elle eût été plus considérable ', mais lorsque l'oc-
casion s'en présentera, je la saisirai bien volontiers pour la
rendre plus proportionnée à ce que le rang que
vous tenés
parmi les artistes françois vous donne le droit d'espérer.
Je suis, etc.

i- Elle fut augmentée deux mois plus tard. Voir la lettre du 10 juin.
76 CORRESPONDANCE

98. — JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER

A Paris, ce 7 avril 1778.


Monsieur — Je vient de recevoir, à l'instant la lettre dont
vous m'honorez et qui m'annonce la grâce que le Roy veut
bien me faire en m'accordant lapention de 500 liv. dont jouis-
soit feu M. Adam.
Je m'empresse de vous témoigner toutte la reconnoissance
que je dois à vos bontés de qui je tient cette faveur ; et si, dans
cette circonstance, j'ay pris la liberté de remettre ma demande
sous vos yeux, ce n'a été que dans la persuation que mon
devoir l'exigeoit, et non pour vous rappeler des promesses qui,
du moment que vous avez bien voulut me les faires, ont été
pour moy des certitudes.
J'espère aller moi-même vous marquer toutte ma sensibi-
lité, et le respect profond avec lequel je suis, etc.
VERNET.

99. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

Du 10 juin 1778.
La perte, Monsieur, que l'Académie vient de faire de
M. Le Moyne, faisant vacquer la pension dont il jouissoit, c'est
pour moy une occasion que je saisis d'effectuer les disposi-
tions que je vous avois témoignées dans ma dernière lettre.
J'ai mis en conséquence sous les yeux du Roy les titres que
vos ouvrages et votre âge vous donnoient à un traitement plus
avantageux que celuy que la mort de M. Adam m'avoit per-
mis de vous procurer, et S. M., accédant à cette considération,
a jugé de porter à 900 liv. la pension déjà accordée dans cette
circonstance. Je vous l'annonce avec satisfaction, ainsi que la
disposition où je suis de la porter encore, lorsque les circon-
stances me le permettront, à un taux plus proportionné à vos
talens et à l'honneur que vos ouvrages font à la peinture
françoise.
Je suis, Monsieur, etc.
DE JOSEPH VERNET 77

ioo. JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER


Monsieur le Comte — Je viens de recevoir à l'instant la


lettre dont vous m'avez honoré pour m'annoncer l'augmenta-
tion de pension que le Roy m'accorde. Cette nouvelle preuve
de vos bontés met le comble à ma reconnoissance, désigne
bien votre caractère bienfaisant, et est un véhicule de plus
pour în'encourager à mériter l'idée que vous voulez
bien
avoir de mes talents. Je part incessamment pour la Suisse 1 où
je me propose de puiser des connoissances que la nature du
pavs présente à un artiste. Cette circonstance m'empêche
d'aller moy-même vous assurer de ma gratitude, et de etc.
VERNET.
A Paris, ce 10 juin 1778.

toi. — LE COMTE D'ANGIVILLER A COCHIN

A Versailles, le 12 février 1779.


J'ay trouvé chez moi, Monsieur, au dernier voyage que j'ai
fait à Paris, la vue du port de Dieppe 2, suite des Ports de
France peints par M. Vernet, que vous avez bien voulu y faire
remettre sous verre et bordure. Je crains, vu le temps que je
n'étois allé à Paris, que ce présent n'y soit déjà depuis plusieurs
semaines, c'est pourquoi je ne perds point de temps à vous en
remercier. Tout ce qui est l'ouvrage de votre crayon ou de
votre burin ne peut manquer de me faire en tout temps le plus
grand plaisir.
Je suis, etc.

t. Sur ce voyage en Suisse, voir Léon Lagrange (p. 269) Vernet partit de Paris
avec M. Girardot de Marigny et son fils Carie Vernet, le 16 juin 1778.
2. La vue de Dieppe n'avait été terminée par Le Bas qu'en 1778 (Voy. Lagrange,
p. 127). Le port du Havre qui parut en 1780 porte une dédicace i M. d'Angiviller,
^omme il est dit plus haut. Cette dédicace fait l'objet des lettres suivantes.
78 CORRESPONDANCE

102. — COCHIN AU COMTE D'ANGIVILLER

Monsieur — Je n'ay que rempli mon devoir en vous pré-


sentant le foible tribut de ma reconnoissance et de celle de
M. Le Bas, mon associé. Je suis même honteux d'avoir été si
longtemps à m'en acquitter; j'ay été retardé par les manques
de paroles de mon doreur.
J'ay maintenant une prière à vous faire à l'égard des planches
faisant suitte, que nous gravons; elles ne sont plus d'après les
tableaux de M. Vernet, ordonnés dans leur temps par M. de
Marigny; elles sont d'après mes dessins; je vous demande la
permission de graver en bas... d'après les dessins de M. Cochin
exécutés sous les ordres de M. le comte d'Angiviller, etc., etc...
vos titres tels qu'ils sont sur notre liste. Ce sera une preuve
publique que vous avez bien voulu honorer cette entreprise
de votre approbation.
Je suis, etc. COCHIN.
Ce 13 février 1779.

103. — LE COMTE D'ANGIVILLER A COCHIN

Versailles, le 19 février 1779.


S'il ne tient, Monsieur, pour encourager la continuation
que vous avez entreprise des gravures des Ports de France,
qu'à donner mon consentement à ce que vous y mettiez
l'inscription que vous me proposez, je vous le donne avec bien
du plaisir. Je serai toujours charmé de paraître avoir quelque
part à des ouvrages faits, comme les vôtres, pour faire honneur
aux arts et pour avoir l'approbation des connoisseurs. Ce sont
les sentimensbien sincères avec lesquels je suis, Monsieur, etc.
Post-Scriptum de la main de M. le Directeur général :
Vous devés bien être très assuré, Monsieur, de l'intérêt vif
et vrai que je prendrai toujours non seulement aux arts, mais
encore aux ouvrages qui sortiront de la main d'un artiste qui
leur fait autant d'honneur que vous et par ses talens et par son
honnêteté. Je désirerais fort de trouver des occasions de vous
donner des preuves de la vérité de ces sentiments et de tous
ceux que vous avez droit d'attendre de moi.
DE JOSEPH VERNET 79

104. — JOSEPH VERNET A M. GIRARDOT DE MARIGNY

A Monsieur — Monsieur Girardot de Marigny


Rue Viv'enne — à l'hôtel de Colbert.
Je reçois à l'instant, Monsieur et cher patron, l'agréable
invittation pour un souper ce soir chez vous, précédé d'un peut
de musique et compagnie de jolies femmes; en ce cas, les
yeux, les oreilles, le palais, et surtout le coeur et l'âme, tout
aura de quoy se délecter et lieu d'être content.
Mon fils l'ainé est aujourd'huy d'une noce et ne pourra
avoir l'honneur de se rendre chez vous; mais le jeune, plus
heureux, aura cet honneur là.
Un des tableaux de la chutte du Rhin va son chemin, et
dans quelques jours je vous prieray de vennir voir ce qu'il y
aura de fait, car à présent ce n'est qu'un cahos auquel personne
n'y peut rien comprendre.
Vous sçavez avec quel sentimens je vous suis attaché.
VERNET.
Ce mardy, i" juin 1779.

105. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

Du 13 décembre 1779.
Je reçus, Monsieur, peu avant ma maladie, la lettre par
laquelle, en me faisant part de la mort de la dame Mouton qui
jouissait d'un corps de bâtiment distribué en boutiques sur la
place du Louvre, vous me rappelliés la promesse que je vous
avois faite de profiter des premières occasions qui pourraient
se présenter pour engager S. M. à augmenter les grâces dont
vous jouisses. Des circonstances particulières ne me permet-
toient pas de profiter de cette occasion; mais la mort de
M. Chardin m'en a fourni une d'effectuer cette promesse. C'est
donc avec plaisir que je vous annonce que, sur ma demande,
S. M. vient de porter à 1200 liv. la pension de 900 liv. dont vous
jouissiés déjà. Je suis charmé d'avoir été à portée de vous
donner cette nouvelle marque de mon envie de vous obliger
C't de mon estime particulière pour vos talens.
Je suis, etc.
**
àRT FR. X
80 CORRESPONDANCE

106. — JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER '

Monsieur — Lorsque j'eus le malheur de perdre mon frère,


vous voulûtes bien vous intéresser à la famille qu'il a laissé
sans d'autre ressource que mes secours; la lettre que vous me
fittes l'honneur de m'écrire le 7e mars 1779 assurait à son fils
aîné qui l'a toujours secondé dans ses travaux votre protection
pour la première place qui vacqueroit dans les Bâtimens du
Roy.
La mort de M. Tibeau, peintre et doreur, offre une occasion
où j'ose réclamer les effets de vos bonnes dispositions à l'égard
de mon neveu. Le sort de toute cette famille dépend du succès
de mes espérances; je ne doutte pas que cette considération
ne soit aussy puissante auprès de vous que le titre que peuvent
donner à mon neveu les talents qu'il apporte.
Je suis, etc.
VERNET.
A Paris, le 14e avril 1780.

107. — JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER2

Monsieur le Comte — Je vois par la réponce dont vous


m'avez honoré hier 18e de ce mois, et que je reçois à l'instant,
que la veuve du sr Thibault propose de continuer les entre-
prises de son mary et de luy donner pour successeur son fils
âgé de seize ans. Je suis bien éloigné de vouloir affoiblir les
justes titres que peut avoir la famille que laisse cet entre-
prenneur ; permettez-moy seullement de vous représenter qu'en
attendant que le sr Thibault fils soit en état de remplacer son
père, les ouvrages de sa profession ne seront pas, sans doute,
confiez aux soins de sa mère, et qu'il faut nécessèrement ceux
d'un artiste.
Quant aux talents de mon neveu, ils sonts reconnus par les
ouvrages dans lesquels il a toujours secondé mon frère; je n'ai

1. Note Répondu le 18 — le refus motivé sous plus d'un rapport.


: « »
2. Répondu le 26 avril 1780.
DE JOSEPH VERNET 8l

pas besoin
de vous rappeller d'ailleurs l'interest que mérite sa
famille et que vous avez bien voulut y prendre.
Par ces motifs, ne seroit-il pas possible de faire des disposi-
tions qui, en satisfaisant la veuve Thibault et mon neveu,
concourraient au bien du service? La partie de la serrurerie,
la menuiserie, la charpenterie sont quelquefois données à deux
entreprenenrs qui les suivents conjointements. Ne pourroit-il
pas en être de même pour les peintres doreurs ? C'est ce que
je prend la liberté de soumettre à vos lumières et à votre
justice.
Pour ce qui est des fonds d'avance que des pareilles entre-
prises nécessiteraient, mon neveu trouverait des ressources
que luy fourniraient un mariage avantageux dont la conclusion
ne tient qu'au succès de sa demande.
Quelle que soit votre décision, croyez, Monsieur le Comte,
que je n'y hazarderay aucune nouvelle représentation, et j'ose
espérer que vous voudrez bien me pardonner celles que j'ay
l'honneur de vous adresser aujourd'huy.
Je suis, etc. VERNET.
A Paris, ce 19e avril 1780.

108. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

Du 27 mars 1781.
J'ai disposé bien volontiers, Monsieur, en faveur de
M. Boisot, votre neveu, de l'attelier dont jouissoit au Louvre
le sieur Poulain qui -vient de mourir. Je suis charmé d'avoir
cette occasion de procurer à un artiste que j'estime une facilité
pour l'exercice de son talent et de faire quelque chose qui vous
prouve le désir que j'ay de vous obliger, quand il s'en présen-
tera des occasions.
Je suis, etc.

109. — JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER 1

A Paris, 5 octobre 1781.


Monsieur le Comte
— Comme je suis chargé de faire des
grands tableaux pour le prince des Asturies, ainssy
que j'ay eu
l'honneur de vous en faire part, j'ai cherché à
me procurer
1 « Répondu le 15 octobre 1781
82 CORRESPONDANCE
dans mon quartier un local où je pusse les exécuter, mais je
n'en ay pas trouvé.
La mort de M. Le Prince et le départ de M. de la Grenée
laissent deux ateliers vacants. Pourrois-je espérer que vous
voulussiez bien m'accorder la grâce de travailler pendant un
an dans l'un des deux qui servirait en même temps aux études
que fait mon fils ?
Permettez-moi, Monsieur le Comte, de vous remettre aussy
sous les yeux les recouvrements que les héritiers de mon frère
ont à faire sur le Roy. Il m'est d'autant plus intéressant de les
leur voir obtenir, qu'indépendamment de la détresse où ils se
trouvents, ils me mettents moi-même dans la gêne par les
secours que je leur procure.
Je suis, etc. VERNET.
Note de Cuvilliê : Réclamation de solde pour la succession
Vernet, peintre d'impression.

no. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET


Du 10 octobre 1781.
Je voudrais, Monsieur, pouvoir contribuer par les facilités
que vous me demandés à l'exécution des grands tableaux que
vous avés à faire pour le prince des Asturies. Mais, d'un côté,
j'ai déjà promis l'attelier de M. Le Prince, et, de l'autre,
M. Lagrenée m'a prié de lui conserver le sien, et j'ai agréé
qu'il le prêtât au sieur Peyron qui revient de Rome et qui
donne de grandes espérances. Je suis vrayment fâché d'avoir
contracté ces espèces d'engagemens qui ne me permettent pas
de vous procurer ce moyen de travailler à vos tableaux.
Je vais me faire rendre compte de ce qui reste dû à la succes-
sion de votre frère et je ferai ensuite tout ce qui sera en mon
pouvoir pour venir à son secours.
Je suis, etc.

m. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

Du novembre 1781.
5
Par les nouveaux éclaircissemens, Monsieur, que je me suis
procurés sur la composition de l'attelier de M. Lagrenée, j'ai vu
DE JOSEPH VERNET 83

qu'il étoit possible d'en faire un partage qui vous mette à portée
d'y exécuter plus commodément qu'aux galleries du Louvre les
tableaux que le prince des Asturies vous a demandés. Je viens
d'écrire à ce sujet à M. Pierre; vous pouvcs le voir et il arran-
gera cela avec vous.
Je suis, etc.

112. —JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER

Monsieur le Comte — Vous aurez sans doute été instruit


par M. le directeur de
l'Académie qu'elle a bien voulu juger
mon fils digne du premier prix de peinture 1. Ma sattisfaction
ne sera complette qu'autant que vous daignerez ratifier par
votre suffrage ceux qu'il a obtenu de l'Académie.
J'ose actuellement implorer avec plus de confiance vos
bontez pour lui, en vous supliant de regarder les progrès sen-
sibles qu'il a fait depuis un an comme un sûr garant des
efforts qu'il faira pour les mériter, et s'il m'est permis de
parler de ses qualitez personnelles, j'ajouteray qu'il sentira
aussy vivement que moy le prix de la protection dont vous
l'honorerez 2.
Je suis, etc. VERNET.
A Paris, 2e septembre 1782.

113. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET


10 septembre 1782.
Vous ne devez point douter, Monsieur, que, pénétré comme
je le suis d'estime pour vos talens, je ne voye avec plaisir
M. votre fils s'apprêter à marcher sur vos traces et à faire
honneur à l'école françoise. Je suis convaincu que le voyage
qu'il va faire à Rome l'enflammera d'une nouvelle ardeur, et
j'ai l'espérance qu'il en retirera tout le fruit que promet un pareil
voyage à ceux qui sont nés avec les dispositions les plus heu-
reuses. Je me fais un plaisir de vous addresser son brevet de

i. Carie Vernet obtint le premier prix au concours de 1782 sur le sujet suivant :
i UTaboie de l'Enfant prodigue. II avait vingt-quatre ans.
2. Le brevet de pensionnaire de l'Académie de France à Rome (non daté) en faveur
«e Charles-Horace Vernet se trouve dans le registre de la maison du Roi coté O
1096, fol. 540.
84 CORRESPONDANCE
pensionnaire du Roy à Rome, que suivra incessammentl'amplia-
tion de l'ordonnance de sa gratification pour le voyage.
Je suis, etc.

114. —JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER

Monsieur le Comte — M. Durival me marque que le


passeport dont mon fils aura besoin pour sortir du royaume
doit passer par vos mains. Je vous suplie, Monsieur le Comte,
de vouloir bien avoir la bonté de vous en occuper, attendu
que mon fils part avec le jeune Taraval dans les premiers jours
de la semaine prochaine et que leurs places ettant retenues
à la diligeance, ils ne pourraient retarder leur départ sans
inconvénients.
J'ay l'honneur de vous prévenir aussy que les tableaux rela-
tivement auxquels j'eu celuy de me présenter chez vous et
de vous écrire l'autre jour, doivent partir très incessemment
pour satisfaire aux ordres que je vient de recevoir de la part de
M. le comte de Vergennes.
J'ay reçu hier l'ampliation pour la gratification que le Roy
accorde à mon fils ; luy et moy vous en faisons nos très humbles
remerciments.
Je suis, etc. VERNET.
A Paris, 12e octobre 1782.

115. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

12 octobre 1782.
Je suis très fâché, Monsieur, de n'avoir pas sçu plutôt que
vous étiez sur le point de faire partir pour l'Espagne les tableaux
que le prince des Asturies vous a demandés. Votre première
lettre ne m'est parvenue qu'à Versailles. J'irai probablement
sous très peu de jours à Paris, et je saisirai avec bien du plaisir
cette occasion de voir des morceaux qui sûrement feront en
Espagne honneur à leur auteur et à la peinture françoise.
Je compte pouvoir joindre à cette lettre les passeports pour
les deux voyageurs; en tous cas, vous les receviez dans les
24 heures.
Je suis, etc.
DE JOSEPH VERNET 8$

116. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

A Versailles, le 15 février 83.


On m'a rapporté, Monsieur, que lorsque l'on vous a
demandé la clef d'une partie de l'attelier de M. Lagrenée pour
M. Peyron à qui je l'ai destiné pendant le séjour de M. Lagrenée
à Rome, vous avez refusé de la remettre. J'en suis étonné, vu
que vous devez vous souvenir que je ne vous en ai permis la
jouissance que pour l'exécution des grands tableaux que vous
aviez à iaire pour le prince des Asturies. Je compte donc que
M. Peyron étant dans le cas de s'y installer tout de suite, vous
ne ferez aucune difficulté d'en faire enlever sur le champ ce
que vous pouvez y avoir et d'en remettre la clé à M. Peyron,
ou à M. Lagrenée le jeune qui la lui remettra.
Je suis, etc.

117. — LE COMTE D'ANGIVILLER A PIERRE

J'ai été informé, Monsieur, de la difficulté que M. Vernet a


faite de remettre à M. Peyron la clé de la partie de l'attelier
de M. Lagrenée l'ainé que je lui ai destiné, il y a déjà du temps,
pour le temps de son retour à Rome. Je viens d'en écrire à
M. Vernet, sans lui marquer cependant d'où j'ai appris ce
refus, et je ne doute point qu'a la réception de ma lettre il ne
se mette en règle à cet égard.
J'ai l'honneur, etc.

118. — LE COMTE D'ANGIVILLER A PIERRE

19 février 1783.
Vous trouverez ci-jointe, Monsieur, une lettre de M. Vernet
qui proteste n'avoir jamais refusé la clé de l'attelier de
M. Lagrenée, ni à M. Lagrenée le jeune, ni à M. Peyron, et que
personne même ne la lui a encore demandée; il l'a au surplus
évacué; mais il m'observe qu'il est dans le cas de faire de grands
tableaux, et il me propose un partage du grand attelier de
M. Lagrenée qui
me paraît possible.
86 CORRESPONDANCE
J'en joins ici le plan. La réputation de Vernet, son ancienneté
dans l'Académie sont des titres pour lesquels je ne puis me
dispenser d'avoir des égards. J'attends votre réponse sur cela.
J'ai l'honneur, etc.
De la main de M. le directeur général : « Vous pourries voir
avec Lagrenée ce partage; je crois me souvenir qu'en effet cela
avoit été proposé aussi, et il vaut mieux tout concilier et qu'il
vous le doive. »

119. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

Du 21 février 1783.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avés écrite au sujet
de la clef de l'attelier de M. Lagrenée que j'ai destiné depuis
longtemps à M. Peyron pour le temps où il reviendrait de Rome
et jusqu'au retour de M. Lagrenée lui-même. Vous me marqués
n'avoir jamais fait refus de la remettre, et même que personne
ne vous l'a demandée. Je crois sur cela votre assertion; au
surplus, rien de plus éloigné de mes sentimens que de vouloir
vous humilier. Le cas que j'ai toujours fait de vos talens et
que je vous ai témoigné en mille occasions devroit vous être
garant du contraire. Il n'y aurait d'ailleurs rien d'humiliant à
ce qu'un jeune artiste arrivant de Rome et donnant de grandes
espérances eut un attelier provisionnel au Louvre, tandis que
vous n'en auriés pas, vu que vous avez un logement aux Gal-
leries et qu'en général vos ouvrages ne sont pas d'une grandeur
qui exige un grand attelier. Je verrai au surplus d'après le plan
que vous m'envoyés ce qui sera possible de faire.
Je suis, etc.

120. — JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER

Monsieur le Comte — Par la lettre du 21 dont vous m'avez


honoré, vous avez la bonté de me dire que sur, le plan de
l'attelier de M. Lagrenée que j'ay eu l'honneur de vous envoyer,
vous verriez ce qu'il sera possible de faire.
Je serois bien fâché, Monsieur le Comte, d'être cause que
M. Peyron n'eût pas toutte l'aisance qu'il peut trouver dans
DE JOSEPH VERNET 87

cet attelier et que je pût le gêner en la moindre chose; c'est


artiste d'un mérite dont je fais le plus grand cas; les deux
un
atteliers peuvent luy être utiles en bien des occations. Ainssy,
Monsieur le Comte, je vous remercie de vos bonnes intentions
à cet égard, mais si à l'avenir il venoit à vacquer quelque petit
attelier, je vous prierois allors de vouloir bien me faire la
grâce de me l'accorder tant pour les grands tableaux que je
pourrais avoir à faire que pour mon fils, lorsqu'il sera de
retour de Rome.
Je suis né très sensible, Monsieur le Comte, aussy l'ai-je été
sur tout ce que vous avez eu la bonté de faire pour moy et
pour mon fils; j'en conserveray toutte ma vie la plus vive
reconnoissance.
Je suis, etc. VERNET.
A Paris, 23 février 1783.

121. — NOTES AU SUJET DE L'ATELIER PRÊTE A JOSEPH VERNET


ET AUTRES OBJETS

ACADÉMIE ROYALE
DE PEINTURE ET SCULPTURE,
février 1783.

M. Vernet est aussi comblé de la dernière lettre qu'il avoit


été touché de la première. Il a rendu les clefs, n'en ayant plus
besoin, se souvenant de ses engagements et peut-être prévoyant
la gène réciproque; par la suitte, lorsque M. Peyron aura un
atelier vrayement monté, il doit écrire à Monsieur le Directeur
général pour le remercier, et parler en faveur de son fils lors
de son retour.
M. Peyron a vu M. Vernet et s'est disculpé d'une démarche
qu'il a certainement ignoré; il a fait apporter chez M. P. deux
beaux tableaux qui luy ont été demandés par Monsieur le Comte.
M. Peyron est un très habile homme. Le premier ouvrage
dont il va s'occuper sera composé de figures plus fortes que
celles de ces deux tableaux. Grands talens : du sens, de l'édu-
cation et de l'honesteté, que de titres pour la suitte!
M. David s'est expliqué et a chargé le premier peintre
d'informer M. le Directeur Général de la résolution qu'il a prise
88 CORRESPONDANCE
de travailler à son morceau de réception, et de remettre l'exé-
cution du tableau qui luy a été ordonné par le Roy pendant
le séjour qu'il compte faire en Italie après qu'il sera reçu;
mais est-ce bien le dernier mot ?
M. David est un bien habile homme; il l'est au point d'être
désespéré des louanges dont il est étouffé. Voicy ce que mande
M. Lagrenée, directeur à Rome.
Je n'ose écrire à M. Touard que son fils est assez dangereu-
sement malade pour craindre et pour espérer tout ensemble.
Depuis onze jours il a été attaqué d'une fluxion de poitrine
pour laquelle il a été saigné sept fois, son sang est très mauvais;
cependant les médecins nous rassurent.
Le sr Combes architecte s'est donné une espèce d'entorse
sans avoir fait de chute ; son genou est très enflé et malgré
tous les remèdes, il y a plus d'un mois qu'il ne peut marcher;
je n'ay point fait part de ces deux accidens à Monsieur le
Directeur Général, je vous prie de l'en informer.
Le sr Vernet, quoiqu'un peu triste, s'occupe beaucoup, ne
manque point l'académie et s'essaye à peindre deux académies,
qui seront envoyées à Paris.
Le jeune Tarraval travaille gayement et promet d'être un
excellent sujet. Le nouveau sculpteur nommé Ramey s'occupe
du matin au soir.
M. Lagrenée ignore que ce jeune élève est fort délicat; son
ardeur est contrarié par sa santé, et voilà ce qui le chagrine;
mais la jeunesse a bien des ressources.
A l'assemblée dernière, MM. Vien, Roslin et Lagrenée le jeune
firent leur rapport sur le secret d'un sr Gravia ' qui a trouvé le
secret de fixer la miniature. Les commissaires rapportèrent qu'il
étoit certain que les miniatures étoient fixées; mais l'opération
a cela de particulier, que le sr Gravia enlève l'ouvrage de dessus
l'yvoire sur lequel il a été peint et le transporte sur un autre
ivoire et n'en présente que l'ébauche. Cette opération peut
réussir pour tous les ouvrages en miniature dont les chairs
sont préparées avec autant de soin que dé fini, sauf l'incon-
vénient de présenter tous les objets à gauche, mais voicy une

I. Voyez, sur cet incident et sur les procédés du sieur Gravia, les Procès-verbaux
de l'Académie de peinture publiés par M. A. de Montaiglon (tome IX, p. i ;<}).
DE JOSEPH VERNET 89

autre singularité : M. Lagrenée, l'un des commissaires, a


peint à gouasse différentes bandes, quant aux couleurs, et sur
quelques-unes de ces bandes il a peint aussi à gouasse des
ornemens. Dans la règle, l'on ne devoit voir que la bande
bleue ou rouge qui étoit peinte à plein pinceau, puisque
M. Gravia convient que le beau côté est adapté sur le nouvel
yvoire. Point du tout, les ornemens peints sur la couche de
couleur première reparaissent, mais à sens contraire.
L'Académie a suspendu son jugement et par conséquent le
certificat que demandoit M. Gravia jusqu'à ce que ce dernier
ait trouvé une manière de fixer la chose même, et telle qu'elle
a été travaillée.
En général, les morceaux fixés perdent un peu de leur fraî-
cheur ; mais aussi faut-il attendre et ne pas éconduire un
homme qui a cherché, qui a trouvé, et parviendra à ce qu'il
promet.
Cy-jointe une lettre de M. Pigale. La chambre laissée
vacante par le sr Segla est peut-être déjà accordée. MM. les
directeurs ont au reste donné leur avis sur cet article.

122. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

Du 17 novembre 1783.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre par laquelle vous me faites
part du besoin que vous avés d'un attelier, non seulement pour
l'exécution des grands tableaux dont vous êtes chargé pour le
grand duc de Russie, mais encore pour mettre votre fils en
état, comme il le désire beaucoup, de peindre grand comme
nature d'après le modèle. Je suis toujours dans les mêmes
dispositions de faire à cet égard ce que me permettront les
circonstances, mais il n'y a dans ce moment aucun attelier au
Louvre qui soit à ma disposition, et même je ne puis vous
dissimuler que je ne prévois pas beaucoup de facilité à vous en
donner un de sitôt. Je serai au surplus charmé d'en voir
naître l'occasion favorable.
Je suis, etc.
90 CORRESPONDANCE

123. — JOSEPH VERNET AU COMTE D'ANGIVILLER '

Monsieur le Comte — J'ay reçu en son tems la lettre dont


vous m'avez honoré, du 17 du mois dernier.
Je revient à la prière que je vous ay faitte par la pressédente
lettre que j'ay eu l'honneur de vous écrire pour que vous me
fissiez la grâce de m'accorder un attelier au Louvre lorsqu'il
viendrait à en vacquer.
Je vient d'apprendre que M. Taraval a été nommé à une
place aux Gobellins, et que, par là, son attellier devient vacant ;
l'on dit même qu'il en avoit deux.
Mon âge, mon ancieneté à l'Académie, mes services pour
le Roy, ayant travaillé plus qu'aucun membre de l'Académie
pour Sa Majesté, les sacrifices de ma fortune que j'ay fait à cet
égard pour marquer mon zèle, et l'opinion que toutte l'Europe
a de mes talents me semblent des titres suffisants pour oser
espérer, autant qu'un autre, la grâce d'avoir un attellier chez
le Roy qui puisse me servir à faire des grands ouvrages, ainssy
qu'à mon fils qui désire s'exercer à faire des grands tableaux.
J'attand de votre bonté et de votre justice que vous voudrez
bien avoir égard à ma prière.
Je suis, etc. VERNET.
A Paris, 2e décembre 1783.
P.-S. Si M. Taraval avoit deux attelliers, un suffirait à
Vernet.

124. — JOSEPH VERNET A M. GOMEL,


PROCUREUR
AU CHATELET, RUE DES DÉCHARGEURS

Monsieur — Je vous ay ouïs dire que vous n'aviez que


14-estampes des Ports de France. Je présume que c'est le port
de Dieppe qui vous manque. Je vous l'ay cherché et ay
l'honneur de vous l'envoyer avec celle de la vue d'Avignon,
patrie de l'auteur des Ports de France, à la tête desquels elle

1. Note M. le Comte n'a pas jugé devoir avoir éga*i à la demande de M. Vernet,
: «
y ayant plusieurs peintres d'histoire qui ont besoin de facilités pour déployer leurs
talens, »
DE JOSEPH VERNET 91

est pour faire la seizième. Je vous prie d'accepter l'une et


l'autre comme un hommage que je vous doit.
Je me flatte que la partie de huit sols, samedy 26, pour
votre belle maison de campagne, tient toujours, où j'auray
l'honneur de me rendre avec quelqu'un de MM. vos convives.
J'ay celuy d'être, avec un attachement plus vray qu'il n'y
paraît, etc. VERNET.
Jeudy, 23 août 1786.

125. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET


Versailles, le 6 aoust 1788.
Il est vrai, Monsieur, que, dans ma dernière lettre, je ne vous
ai point parlé des dispositions où je suis toujours de vous pro-
curer le plutôt que le moyen s'en présentra un atelier. Vous
ne devez point en douter, malgré ce silence qui n'est qu'une
omission. Je serai charmé de voir promptement naître l'oc-
casion de la mettre à exécution.
Je suis, etc.

126. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET

24 août 1787.
Je suis fort sensible, Monsieur, au désir que vous me
témoignez de voir ma signature au contrat de mariage de
M. votre fils 1. Je ne sçaurois vous indiquer encore précisé-
ment le jour que j'irai à Paris. Cependant, vu l'exposition pro-
chaine des ouvrages de l'Académie, je ne sçaurois tarder d'y
faire un voyage, et ce sera avec un vrai plaisir que je vous
instruirai du jour et de l'heure auxquels je pourrai m'y
rendre. C'est avec des sentiments bien sincères que je suis, etc.

127. — LE COMTE D'ANGIVILLER A JOSEPH VERNET


Du 24 février 1789.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre par laquelle vous m'exposez la
gêne extrême que vous éprouvez dans votre logement aux gal-

1. Réponse envoyée le 24 que M. le Comte a été à Paris à l'improviste, et où


M. Vernet a
pu le voir au Sallon.
92 CORRESPONDANCE DE JOSEPH VERNET
leries, attendu le mariage de votre fils, d'où résulte pour vous
le besoin de quelque emplacement dont vous puissiés vous
faire un attelier. La mort de M. Godefroid me mettant à portée
d'avoir égard à votre demande, je me fais un plaisir d'y accé-
der et de vous donner la commodité que vous désirés pour
l'exercice d'un talent qui fait tant d'honneur à la nation et à
l'Académie. M. Collet, à qui je viens d'accorder le logement et
atteliers de M. Godefroid avoit lui-même déjà un atelier assés
beau qu'il abandonnera. J'en dispose ainsi que de ses petites
dépendances en votre faveur. J'en fais part à M. Pierre ainsi qu'à
M. Brebion, afin qu'ils vous mettent en possession de cet
attelier, lorsque M. Callet, prenant possession de ceux de feu
s. Godefroid, l'abandonnera. Je suis, etc.

128. — M. DE SAINT-PRIEST FAISANT LES FONCTIONS DE


DIRECTEUR GÉNÉRAL A M. VERNET (fils)

Du 7 janvier 1790.
Le Roy vous a accordé, Monsieur, la jouissance du logement
que M. votre père avoit dans la gallerie basse du Louvre. Sa
Majesté a, par cette faveur spéciale, voulu honorer la mémoire
de M. votre père, et ce sera sans doute pour vous un motif de
plus de continuer vos efforts pour maintenir l'éclat du nom
qu'il vous a transmis.
Je suis, etc.

129. — LE COMTE D'ANGIVILLER A M. VERNET (fils).

Du 28 février 1790.
Je vous suis, Monsieur, sensiblement obligé du regret que
vous me témoignés de n'avoir pu me voir depuis mon retour.
Je sens parfaitement les raisons qui ne vous permettoient pas
de vous absenter de Paris. Comme mon indisposition tire à sa
fin, j'espère pouvoir sous peu passer au moins quelques
jours à Paris, et je serai charmé de vous y voir et de vous
témoigner l'intérêt que j'ai pris à la perte que les arts ont fait
en la personne de feu M. Vernet.
Je suis, etc.
INTERDICTION DE LA DAME VERNET 93

130. — LE COMTE D'ANGIVILLER A M. VERNET (fils).


Du 20 mars 1790.
De retour, Monsieur, du voyage que ma santé m'avoit
obligé de faire, j'ai cru devoir demander à Sa Majesté la con-
firmation du don qu'elle vous a fait du logement de feu
M. votre père, grâce que M. le comte de Saint-Priest vous
avoit déjà annoncée. Je suis charmé de pouvoir vous annoncer
moi-même la confirmation de cette grâce qui ne peut être
pour vous qu'un nouveau et puissant motif de soutenir le nom
d'un artiste qui fait autant d'honneur à la nation. M. de Saint-
Priest me marque au surplus que le brevet vous en a déjà été
envoyé et il exige, suivant l'usage, que j'y mette mon visa.
C'est pourquoi il est nécessaire que vous me le fassiés passer
afin qu'il soit muni de cette forme, après quoi il vous sera
renvoyé.
Je suis, etc.
APPENDICE
INTERDICTION DE LA DAME VERNET

Joseph Vernet était mort aux Galeries du Louvre, le 3 décembre 1789.


Le même jour les scellés furent apposés sur son logement des Gale-
ries du Louvre et sur l'atelier dont il jouissait sous la grande colon-
nade (voir Nouvelles Archives, 1885, pp. 221-225). Les dernières
années de la vie de l'artiste avaient été assombries par la maladie de
la femme qu'il avait épousée à Rome par amour et qui devait lui
survivre au moins vingt ans, car Léon Lagrange a constaté qu'elle
vivait encore en 1808. La santé de Mme Vernet avait commencé à
s'altérer pendant qu'elle habitait Bayonne ; depuis lors elle ne cessa
de décliner. En 1772, la pauvre malade était déjà incapable de
vaquer aux soins du ménage, et, deux ans plus tard, il devenait
nécessaire de prendre une mesure qui dut causer un profond déses-
poir au malheureux artiste. Il fallut enfermer la pauvre folle dans
une maison de santé. Elle fut confiée aux soins des demoiselles
Douay, demeurant rue de Bellefond, à la Nouvelle France, en haut
du faubourg Poissonnière. C'est laque le lieutenant civil au Chitelet
de Paris, Antoine Orner Talon, sur la requête de Charles Vernet,
se
rendit, après les dépositions des membres de la famille, pour consta-
ter l'état de santé de la malade. Les réponses faites aux ques-
tions posées par le lieutenant civil ne laissent aucune incertitude sur
94 INTERDICTION
l'état de son esprit et prouvent la nécessité de la mesure qui avait
été prise, quelque rigoureuse qu'elle puisse paraître. On a supprimé,
comme n'ajoutant aucun détail nouveau, la requête de Charles Vernet
et la sentence d'interdiction. Nous donnons seulement l'avis de
parents et le procès-verbal de l'interrogatoire. Ces pièces nous
paraissent inédites, bien qu'elles aient été signalées plusieurs fois.
Elles sont conservées aux Archives nationales, dans le fonds du
Châtelet, sous la cote Y 5187.
Joseph Vernet laissait trois héritiers : i° Antoine-Charles-Horace,
qui continua l'illustration de la famille sous le nom de Carie Vernet;
20 Louis Vernet, receveur général du tabac, à Avignon; 30 Margue-
rite-Emilie-Félicité, mariée à l'architecte Chalgrin, séparée de biens
de son mari, comme nous l'apprend le scellé de son père, dès 1781.
J.-J. G.
I
PROCÈS-VERBAL D'AVIS POUR INTERDICTION DE LA DEMOISELLE
VEUVE VERNET

L'an 1789, le lundi 21 décembre, trois heures de relevée,


en notre hôtel et par devant nous Antoine Omer Talon, lieu-
tenant civil au Châtelet de Paris, est comparu M. Antoine-
Charles-Horace Vernet, peintre du Roy et de son Accadémie
royalle de peinture et sculpture, demeurant aux galleries du
Louvre, paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois, lequel, étant
assisté de Me Demilly, procureur au Châtelet, nous a dit qu'il
nous a présenté sa requête par laquelle il nous a exposé que
depuis plusieurs années dame Virginie-Cécile Parker, sa mère,
épouse de Claude-Joseph Vernet, son père, peintre du Roy et de
son Accadémie royale de peinture et sculpture, est tombée en
démence, de sorte que l'on a été obligé de la mettre en pen-
sion chez les demoiselles Douay, où elle n'a cessé depuis de
donner des marques, comme elle en donne encore journelle-
ment, de l'alliénation de son esprit. Tant que ledit sieur
Vernet, son mari, a vécu, comme elle étoit en puissance de
mari et qu'elle n'étoit point dans le cas d'administrer aucuns
biens ni de contracter aucuns engagements, il n'a pas été
nécessaire de procéder à son interdiction, mais aujourd'hui
que son mari est décédé et qu'il est question d'administrer ses
biens et de veiller à leur conservation, ainsy qu'à celle de sa
personne, d'éviter même que l'on abuse de sa situation pour
DE LA DAME VERNET 95
luy faire contracter des engagements ruineux, il était du devoir
de ses enfants d'avoir recours à notre autorité; pourquoi le
comparant aurait conclud par laditte requête à ce qu'il nous
plût luy permettre de convoquer par devant nous les parens et
amis de laditte dame Vernet pour donner leur avis sur l'inter-
diction de laditte dame veuve Vernet et lui être pourvu d'un
curateur, laditte requête signée Vernet et Demilly, procureur,
en suitte de laquelle est notre ordonnance de ce jourdhuy
portant : Soient les parens et amis assemblés au premier jour,
trois heures de relevée en notre hôtel; qu'en exécution de
laditte ordonnance ledit comparant a convoqué et assemblé ce
jourdhuy, lieu et heure, par devant nous, les parens et amis
de ladite dame veuve Vernet, sa mère, pour donner leur avis
sur son interdiction et sur la nomination d'un curateur à
ladite interdiction. Et, attendu la présence desdits parens et
amis, le comparant nous a requis de recevoir leurs sermens et
avis, et de statuer sur le tout ainsy qu'il appartiendra et a
signé avec ledit Me Demilly.
VERNET.
— DE MILLY.
I° Sont aussy comparus : sieur Honoré Guibert, sculpteur des
Bàtimens du Roy, demeurant rue du Théâtre françois, paroisse
Saint -Sulpice, beau-frère dudit feu sieur Vernet père, à cause
de deffunte demoiselle Agathe-Fostine Vernet, son épouse.
20 Sieur Joseph Vernet, sculpteur à Paris, y demeurant, rue
d'Anjou, paroisse Saint-André-des-Arcs, neveu dudit deffunt
sieur Vernet.
3* Sieur Louis-Simon Boiçot, sculpteur du Roy et de son
Accadémie royalle de peinture, sculpture, demeurant à Paris,
rue du Petit Bourbon, paroisse Saint-Sulpice, neveu dudit def-
funt sieur Vernet, à cause de dame Virginie Guibert, son
épouze.
4° Sieur Jean-Michel Moreau, dessinateur et graveur du
Cabinet du Roy et de son Accadémie de peinture et sculpture,
demeurant à Paris, rue du Cocq, paroisse Saint-Germain-
l'Auxerrois, allié à cause du mariage de demoiselle Catherine-
Françoise Moreau, sa fille, avec ledit sieur Vernet, provocant.
5° Sieur Jacques-Louis-François Touçé, peintre, demeurant à
Paris,
rue de l'Arbre-Sec, paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois,
ami.
ART FR. X 7
96 INTERDICTION
6° SieurAntonin-Pierre Piscatory, bourgeois de Paris, y
demeurant, rue Saint-Thomas-du-Louvre, paroisse Saint-
Germain-l'Auxerrois, ami.
70 Et Mc Jean Descemet, docteur régent de la Faculté de
médecine de Paris, y demeurant, rue Saint-Jacques, paroisse
Saint-Benoist, ami de ladite dame Vernet et son médecin
depuis environ quatorze ans.
Lesquels, après avoir pris communication desdites requête
et ordonnance, des provocation, dire et réquisition dudit
sieur Vernet, et serment par eux fait au cas requis, nous ont
dit et déclaré qu'ils ne connoissent aucuns parens de laditte
dame Vernet de son côté, qu'ils ont tous connoissance de l'état
de démence et aliennation d'esprit de ladite dame Vernet,
sçavent qu'elle est dans cet état depuis environ quatorze ans,
sans avoir jamais depuis ce temps donné aucune sorte d'espé-
rance de rétablissement de son bon sens ; pour quoy ils sont
tous unanimement d'avis de son interdiction et que ledit sieur
Antoine-Charles-Horace Vernet soit nommé et élu curateur à
ladite interdiction et que le sieur Claude-Anne Liébault, sous-
caissier du Trésor royal, demeurant à Paris, rue du Doyenné,
ami de la famille, soit nommé et élu curateur ad hoc à ladite
interdiction pour tous les cas où ladite dame Vernet aura des
intérêts opposés à ceux dudit sieur Vernet, son fils, et que ledit
sieur Vernet fils soit authorisé à laisser ladite dame, sa mère,
dans la pension desdites demoiselles Douay ou dans telles
autres qui pourroient être jugées plus convenables d'après
notre authorisation particulière; coume aussy qu'ils sont d'avis
que ledit sieur Liébault, en sa dite qualité, soit authorisé à
procéder aux reconnaissance et levée de scellés, inventaire et
vente après le décès dudit sieur Vernet père, prendre communi-
cation des forces et charges de la communauté qui a pu subsis-
ter entre lesdits sieur et dame Vernet, l'accepter ou y renoncer,
procéder à toute liquidation de reprises et créances, prêter
tous consentements, nommer tous séquestres et dépositaires et
généralement faire pour les intérêts de ladite dame Vernet tout
ce qui sera nécessaire et ont signé.
(Signé) : J. VERNET. — BOIZOT. —
J. GUIBERT. — MOREAU le jeune.
— PISCATORY. — DESCEMET. —
Touzè.
DE JOSEPH VERNET 97
Desquels comparutions, sermens, déclarations, dires et avis,
nous avons aux comparants donné lecture; en conséquence,
disons qu'avant faire droit nous nous transporterons au pre-
mier jour en la maison des demoiselles Douay, rue de Belle-
fond, à la Nouvelle France, en laquelle est ladite dame veuve
Vernet, à l'effet de la voir, interroger et entendre pour con-
noitre par nous-même l'état de sa personne et la situation de
son esprit, dont sera
dressé procès-verbal pour ensuitte être par
nous ordonné ce qu'il appartiendra ; ce qui sera exécuté
nonobstant et sans préjudice de l'appel.
TALON.

II
PROCÈS-VERBAL D'AUDITION ET INTERROGATOIRE
DE LA DAME VERNET

L'an 1790, le lundi 8 février, une heure de relevée, nous


Antoine Orner Talon, chevalier, etc., lieutenant civil au Châ-
telet de Paris, en exécution de notre ordonnance étant au bas
du procès-verbal fait en notre hôtel et par devant nous, le
21 décembre dernier, sur la provocation du sieur Antoine-
Charles-Horace Vernet, peintre du Roi et de son Accadémie
royalle de peinture, contenant les comparutions des parens et
amis de demoiselle Virginie-Cécile Parker, sa mère, veuve du
sieur Claude-Joseph Vernet, son père, peintre du Roy et de son
Accadémie royalle de peinture et sculpture, leurs sermens,
déclarations, dires et avis sur la demande formée par ledit sieur
Vernet fils à fin d'interdiction de ladite dûme Vernet, sa mère,
pour cause d'aliénnation d'esprit, et sur la nomination dudit
sieur Vernet fils pour curateur à ladite interdiction, nous
sommes, assisté de Mc Lair, greffier de chambre civille, faisant
pour Me Morissel, son confrère, transportés en la maison des
demoiselles Douay, rue de Bellefond, à la Nouvelle France, où
est en pension ladite dame veuve Vernay, où étant, s'est pré-
senté par devant nous lesdittes demoiselles Douay, auxquelle-
avons fait part du sujet de notre transport, et, après nous avoir
introduits dans une chambre au premier étage de leur maison,
donnant sur le jardin, elles ont envoyé chercher et fait paraître
devant nous une dame qu'elles nous ont déclaré être ladite
98 CORRESPONDANCE
dame Vernay, laquelle étoit vêtue en déshabillé blanc et un
bonnet sur lequel étoit un ruban noir.
A elle demandé ses noms, âge et qualité ?
A répondu : Parker, je suis mariée à M. Vernet, peintre du
Roy; il y a quinze ans que je suis ici.
A elle demandé qui l'a mis ici?
A répondu : le Roy, la chambre ardente.
A elle demandé : De quoi est composée la chambre ardente ?
A répondu : Vous ne pouvez pas ignorer tout cela, on me
tourmente"; je suis née à Rome ; je croyois le pape souverain;
voilà comme j'étois. Il n'y a que cinq ans que je sais les affaires
d'Etat, la chambre ardente m'a mis au fait de tout cela.
A elle demandé : Si elle a vu la chambre ardente ?
A répondu : Non. Je serais curieuse de savoir comment ils
font pour tourmenter les têtes.
A elle demandé : Si elle a vu le pape ?
A répondu : J'en ay vu plusieurs, Corsini etLambertini. J'ay
gagné le procès à Rome de calomnies abominables, voilà pour-
quoi je suis ici; on me calomnioit, on a assassiné le fils aîné
de mon mari M. Vefnet ; c'est parfaitement luy.
Lecture à elle faite de tout ce que dessus luy avons demandé
si elle veut signer.
A répondu : De tout mon coeur, si la chambre ardente ne
me tourmentoit pas, je serais bien ici; je suis bien mal ici.
M. Vernet m'a donné la v... d'une fille qu'il m'a avoué luy
avoir servi de model. Je luy donnai un soufflet, dont il avoit
les yeux noirs. Je dis la vérité ; il s'est guéri en cacheté, cela
est bien mal. Je luy ay donné des soufflets, il m'a donné lav...
Et a signé cy contre : PARKER VERNET. — Dont et de tout ce
que dessus nous avons fait et dressé le présent procès-verbal,
lequel ordonnons être joint à celui de convocation et assemblée
des parens et amis de laditte dame veuve Vernet. Fait en notre
hôtel, le 21 décembre dernier, et que touttes les pièces seront
communiquées au procureur du Roy pour, d'après ses conclu-
sions, lesdites pièces remises en nos mains, en être par nous
fait rapport en la chambre du Conseil et ordonné ce qu'il
appartiendra; ce qui sera exécuté nonobstant et sans préjudice
de l'appel.
TALON.
DE JOSEPH VERNET 99
Vu la requête à fin d'interdiction de demoiselle Virginie-
Cécile Parker, veuve du sieur Claude-Joseph Vernet, présentée
par le sieur Charles-Antoine-Horace Vernet, son fils, et répondue
d'ordonnance de M. le lieutenant civil, du 21 décembre der-
nier, portant que les parens et amis seront assemblés au pre-
mier jour, trois heures de relevée, en son hôtel, le procès-
verbal d'assemblée et avis desdits parens et amis fait en consé-
quence audit hôtel ledit jour 21 décembre, suivi d'ordon-
nance portant que mondit sieur le lieutenant civil se transportera
en la maison des demoiselles Douay, en laquelle est ladite
veuve Vernet, à l'effet de la voir, interroger et entendre pour
connoître par lui-même l'état de sa personne et la situation
de son esprit, et le procès-verbal de transport de mondit sieur
le lieutenant civil en ladite maison et pension, en date du
8 février, présent mois, contenant l'audition et interrogatoire
de ladite veuve Vernet, suivi d'ordonnance portant que le tout
me sera communiqué.
Je n'empêche pour le Roi l'avis desdits parents et amis être
homologué, en conséquence être ordonné que ladite demoiselle
Virginie-Cécile Parker, veuve du sieur Claude-Joseph Vernet,
sera et demeurera interdite de la gestion et administration de
ses personne et biens, et curateurs être nommé auxdites ges-
tion et administration, ainsi qu'il sera avisé par la Chambre être
à faire par raison, auxquels curateurs seront déférées telles
autorisations qu'il appartiendra et notamment à l'effet de lais-
ser ladite veuve Vernet dans la maison et pension desdites
demoiselles Douay.
Fait le 16 février 1790.
(Signé) DEFLANDRE DE BRUNVILLE.
L'interdiction fut prononcée par sentence du lieutenant civil,
en date du 23 février 1790.
JEAN D'ORLÉANS ET ETIENNE LANNELIER
PEINTRES DU DUC DE BERRY
(1369)
Communication de M. A. Thomas.

Le ms. 23902 du fonds français contient des assiettes d'impôts


sur le Haut-Limousin que j'ai eu souvent occasion de citer, voire
de publier par extraits dans ma thèse sur Ixs Etats provinciaux du
centre de la France sous Charles VII (1879). Le premier de ces docu-
ments remonte au temps de Charles V et ne mentionne pas les
Etats provinciaux; par suite, je n'ai pas eu à en parler. C'est un
fragment de compte d'un fouage levé sur le diocèse de Bourges, en
1369. Comme à cette époque le Limousin appartenait aux Anglais,
quelques communes du diocèse de Limoges, groupées autour de
Boussac, qui faisaient partie du Berry au point de vue féodal, ont
été taxées avec le diocèse de Bourges; c'est la raison qui explique,
bien ou mal, la présence de ce document dans un recueil formé
par Gaignières et consacré au Haut-Limousin.
Nous n'avons que lafin du compte clos à Riom, le 20 décembre 13 71,
par les gens des comptes du duc de Berry. J'en extrais deux articles
relatifs à deux peintres employés par le duc de Berry : Jeannin
d'Orléans et Etienne Lannelier. Ce dernier était peintre en titre du
duc et ne paraît pas jouir aujourd'hui de la moindre notoriété. Le
premier, au contraire, est bien connu. Je me borne à rappeler qu'il
a été l'objet d'une étude spéciale de M. L. Jarry : Jean Gaucher de
Trainou, dit Jean d'Orléans, peintre des rois de France et du duc de
Berry (Orléans, 1886, in-8° de 16 pages). Ne connaissant que le
titre de ce travail, je ne puis préciser la place qu'il convient de don-
ner, dans la biographie de Jean d'Orléans, à l'extrait du ms. 23902.
A. THOMAS.

A mondit seigneur [le duc de Berry], lesquelz il a faiz bailler


a Jeh[ann]in d'Or\iens\, paintre, demorant à Paris en dedu-
cion de plus grant somme en quoy ledit seigneur lui estoit
tenuz pour certains tableaux à ymages qu'il avoit achetez pour
mettre en sa chapelle, par lettres de mondit seigneur données
xvie jour d'aoust CCCLXIX, rendues à Court, C frans.

1. (Mention ajoutée en interligne.') Pour cause de ses gaiges et salère du temps qu'il
avoit servi en son dit office.
CONTRAT DE MARIAGE DE CHARLES LE BRUN 101
A Estienne Lannelier, paintre dudit seigneur, sur la somme
de CL frans que ledit seigneur avoit mandé à lui estre poiez
pour certaine cause contenue es lettres sur ce faictes, yci par
lesdictes lettres et quittance dudit Estienne données xixe jour
d'aoust CCCLXIX, rendues à Court, XII frans.

LE CONTRAT DE MARIAGE
DE
CHARLES LE BRUN
25 février 1647.

Communiqué par M. k~vicomte de Grouchy.

La vie et l'oeuvre de Charles Le Brun sont aujourd'hui connues


dans leurs moindres détails, grâce surtout aux patientes investiga-
tions du plus récent biographe de l'artiste. M. Henry Jouin a décou-
vert des documents de premier ordre que ses devanciers avaient
vainement cherchés dans tous les dépôts scientifiques, comme ce
manuscrit de Nivelon qu'on croyait perdu depuis longtemps. S'il a
épuisé les ressources de nos dépôts scientifiques, s'il a recueilli de
divers côtés maint renseignement nouveau, le savant historien n'a
cependant pas épuisé la matière, car c'était au dessus des forces
humaines d'aller déterrer chez les divers notaires les contrats aux-
quels le premier peintre du Roi a pris part durant sa longue et bril-
lante carrière.
Aujourd'hui, c'est le texte de son contrat de mariage qui sort
de la poussière des archives, grâce
aux persévérantes et heu-
reuses investigations de M. le vicomte de Grouchy. Si nous
n'avions pas le témoignage de M. Jouin pour nous assurer que cet
acte est resté inconnu jusqu'à ce jour, nous n'oserions pas le
croire inédit. Mais, du moment où le savant biographe n'en parle
pas, toute hésitation disparaît et nous sommes certain que cette
pièce importante est nouvelle pour nos lecteurs.

2. (Mention ajoutée à la suite de l'article dit Compte.) Donnfees] le xn* jour de juillet
fcci.xix et mandement du trésorier.
102 CONTRAT DE MARIAGE
Sans doute elle n'apporte pas à l'histoire des arts des faits bien
considérables ; encore présente-t-elle cet intérêt de nous édifier sur
les modestes débuts d'un ménage auquel étaient réservées de si
glorieuses destinées. Nous y voyons figurer de part et d'autre tous
les parents des jeunes époux vivant en 1647. Le régime adopté est
le régime de la communauté, suivant la coutume de Paris. La dot
de Suzanne Butay consistait en trois mille livres d'argent comptant
avec une maison sise à Saint Marcel lez Paris, rue Gracieuse, évaluée
quatre mille livres tournois. On remarquera que c'est dans ce quar-
tier Saint-Marcel que Le Brun devait passer une grande partie de sa
carrière à organiser et à diriger la manufacture des meubles de la
Couronne, autrement dit l'atelier des Gobelins. Le futur époux
constituait un douaire de trois mille livres à sa femme. Certaines
clauses secondaires concernant les dettes, les reprises du survivant
terminent ce contrat accompagné de la signature des intéressés, de
leurs parents et amis présents.
A la suite du contrat de mariage de Charles Le Brun, on trouvera
l'analyse de deux autres pièces conservées dans la même étude que
ce contrat et relatives à la famille de Le Brun. Ces notes ont
été relevées également par M. le vicomte de Grouchy. Elles four-
nissent sur la famille du Premier Peintre de Louis XIV des détails
assez curieux.
J. G.
CONTRAT DE MARIAGE
DE CHARLES LEBRUN ET DE SUZANNE BUTAY

25 février 1647.

Furent présents honorables personnes Robert Butaye, peintre


et valet de chambre du Roi, et Marguerite Legrain, sa femme,
de luy autorisée à l'effet des présentes, demeurant rue Saint-
Jacques, paroisse Saint-Severin, comme stipulant en cette par-
tye pour Suzanne Butaye, leur fille, acceptante et de son
consentement, d'une part, et Charles Lebrun, peintre et vallet
de chambre ordinaire du Roy, demeurant à Paris, dans l'isle
Nostre Dame, paroisse Sainct Louys, pour luy et en son nom,
assisté d'honnorable homme Nicolas Lebrun, mc sculpteur,
bourgeois de Paris, et Julienne Lebé, sa femme, de luy auto-
risée, ses père et mère, à ce présent, d'autre part ;
Lesquelz, pour raison du futur mariage d'entre lesditz
Charles Lebrun et Suzanne Butaye, et en la présence et de
DE CHARLES LE BRUN I03
l'advis de leurs parents et amys cy-aprez nommez, sçavoir : de
la part de la dite Suzanne Butaye, de Jean et Claude Butaye,
m" peintres à Paris, frères, Louis Legrain, me passementier à
Paris, oncle, vénérable et discrète personne Me Claude Theve-
nin, prestre, chanoine de l'église de Paris, cousin, honorable
homme Pierre Mareschal, marchant bourgeois de Paris, parrain,
Mr Jean Baron, bourgeois de Paris, Me [blanc] Mahault, com-
mis à l'audience de la Chancellerie et [blanc] des Forges,
bourgeois de Paris, amys ; et de la part dudit Lebrun, de
Nicolas Lebrun, me peintre à Paris, Gabriel Lebrun, graveur en
taille douce à Paris, frères, Jean Lebé, maistre écrivain à Paris,
André Lebé, aussy maistre écrivain à Paris, Me Charles Lebé,
présepteur, Me Mathurin Renault, advocat au Conseil, Gilles
Jjair, 111e orphèvre à Paris, Louis Michault, marchand bonnetier
à Paris, cousins, Me Louis Varlet, greffier de monsieur le lieu-
tenant criminel de robbe courte, allié, Gabriel de Bessière,
architecte, parrain. Me Gabriel Quentin, procureur au Chaste-
let de Paris, Me [blanc] Mallet, secrétaire de Monsieur le lieu-
tenant criminel, [blanc] Mouguet, bourgeois de Paris, [blanc]
Roussin, chirurgien de monseignr le prince de Conty, et Gilles
Roussclet, graveur en taille doulce, amys, tous à ce présents et
comparants.
Volontairement recongneurent et confessèrent estre demeu-
rez d'accord du traitté de mariage et conditions qui ensuivent,
c'est assavoir : que ledit Robert Butaye et sa femme ont promis
donner ladite Suzanne Butaye, leur fille, au nom et loy de
mariage audit Charles Lebrun, qui promet la prendre pour sa
femme et espouze, et en faire les solennitez en face de nostre
mère saincte Esglize et sous la licence d'icelle dans le plus bref
temps que faire se pourra et qu'il sera advisé entre eulx et
leurs dits parenf? et amys. Seront les futurs espoux communs
en tous biens meubles et conquestz, immeubles, suyvant la
coustume de Paris ; ne seront lesdicts futurs espoux tenus des
debtes l'un de l'autre faictes et créées auparavant la célébration
du futur mariage; ains
sy aucunes y a, seront payées et
acquittées sur le bien-de celuy quy les aura créées. En faveur
duquel mariage lesdicts Robert Butane et
sa femme, père et
mère de la future espouze, promettent solidairement luy don-
ner la veille des espousailles la somme de trois mil livres tour-
104 CONTRAT DE MARIAGE
nois, en deniers comptants, quy entrera en ladite communaulté,
plus une maison sçize à Sainct-Marcel-lez-Paris,rue Gracieuse,
de valleur de quatre mil livres tournois, des loyers de laquelle
maison lesdits Butaye et sa femme, père et mère d'icelle future
espouze seront responsables envers lesdits futurs espoux jus-
qu'à la somme de deux cens livres tournois par chacun an en
laissant la faculté de la pouvoir louer en cas qu'iceulx
futurs espoux ne la voulussent louer eulx mêmes ou l'habitter.
Laquelle maison sera et demeurera nature de propre à la ditte
future espouze et aux siens de son costé et ligne. Et a ledit
futur espoux doué et doue ladite future espouze de la somme
de trois mil livres tournois, à une fois payer, de douaire préfix,
suyvant la coustume, et iceluy douaire avoir, prendre, quand il
aura lieu, sur tous et chacuns les biens présents et advenir du-
dit futur espoux, qui en sont et demeurent dez à présent char-
gez, obligez et hypothecquez. Le survivant des futurs espoux
aura, prendra pour propres de leur communauté tels biens
qu'il voudra choisir, jusqu'à la somme de cinq cens livres, suy-
vant la prisée de l'inventaire quy en sera faicte et sans creue, ou
ladite somme en deniers, au choix du survivant. Sera loisible à
ladite future espouze et à ses enfants d'accepter ladite com-
munaulté ou y renoncer. En cas de renonciation reprendront
franchement et quittement tout ce qu'icelle future espouze
aura apporté avec son dict futur espoux, et tout ce qui luy sera
advenu et escheu pendant et constant ledict mariage, tant par
succession, donation, qu'autrement, mesme ladicte future
espouze son douaire préciput susd., le tout sans estre tenus
d'aucunes debtes de ladicte communaulté, encore qu'icelle
future espouze s'y sera obligée, et y eust parlé ou y eust esté
comdamnée ; desquelles les biens du futur espoux seront tenus
les acquitter; sy pendant et constant ledict mariage il est
vendu ou allienné quelques héritages ou rentes propres à l'un
ou à l'autre desdits futurs espoux, et que remploy n'en ayt
esté faict, ils seront repris sur les biens de ladite communauté,
mesme pour le regard de ladite future espouze, ou de ceulx de
son costé et ligne, sur les propres et autres biens dudict futur
espoux, sy lesdits biens de ladite communauté ne suffisent.
Promettant lesdicts Nicolas Lebrun et sa femme de luy aucto-
risée, père et mère dudict futur espoux, de rendre leur dict fils
DE CHARLES LE BRUN 105
franc c quitte de toutes debtes et hypothèques jusqu'au jour
dudit mariage. Le survivant desdits Butaye et sa femme, père
et mère de la future espouze, jouira durant sa viduité des
biens du prédécédé sans qu'il puisse estre tenu à aucun par-
tage ny reddition de compte pendant son vivant, pourveu qu'il
fasse inventaire desdits biens s'il en est requis, car ainsy le
tout a esté accordé entre les partyes en faisant, passant ces pré-
sentes, nonobstant toustes coustumes et autres choses à ce
contraires. Promettant, obligeant chacun en droit soy, etc.
Renonçant de part et d'autre.
Faict et passé à Paris, en la maison desdits Butaye et sa
femme, après midy l'an mil six cent quarante sept, le vingt-
cinquième février et ont tous signé :
N. LEBRUN. — JULIENNE LEBÉ. — R. BUTAYE.
M. LEGRAIN. — C. LEBRUN. — SUZANNE
BUTAYE.
— NICOLAS LE BRUN. — GABRIEL
LE BRUN. — LEBÉ. — RENAULT. —
BOUCHER.
— LEVESQJJE (notaires).
Lesdits Charles Lebrun et Suzanne Butaye, sa femme, de
luy autorisée, confessent avoir reçu desdits Robert Butaye,
Marguerite Legrain, sa femme, à ce présents, la somme de
3.000 liv. en deniers comptants qu'iceluy Butaye avoit pro-
mis leur bailler et fournir pour partie de la dot de ladite
Suzanne Butaye, leur fille, par le contract de leur mariage, de
laquelle somme de 3.000 liv. qui, baillée et payée a esté, pré-
sents les notaires soussignez, en louis d'or et d'argent, lesdits
Lebrun et sa femme s'en sont tenus contents et quittent ledit
Butaye et sa femme et tous autres. Ce fut fait et passé en l'estude,
le sixiesme mars après midy.
R. BUTAYE. — CH. LE BRUN. — SUZANNE
BUTAYE.
— M. LEGRAIN.

JEAN BUTAY
BEAU-FRÈRE DE LE BRUN

30 juin 1679.
Jean Butay, peintre et valet de chambre du Roi, demeurant
rue Saint-Jacques, paroisse Saint-Séverin, héritier en partie de
IOÔ CORNEILLE VAN CLÈVE
feu Robert Butay, peintre ordinaire du Roy et Marguerite
Legrain, ses père et mère, reconnaît avoir reçu de Gédéon
Dumetz, garde du Trésor royal, 820 liv. provenant de
l'héritage de son père.
12 avril 1681.
Jean Butay, peintre, valet de chambre du Roi, demeurant
rue Saint-Jacques, comme curateur des enfants mineurs de
Claude Butay, son frère, aussi valet de chambre, peintre du
Roi, donne à bail à Jean Pauleran, maçon, une partie de
maison, rue Gracieuse ', moyennant un loyer de 40 liv. par an.

L AUTEL DE SAINT-GERMAIN-LAUXERROIS
PAR LE SCULPTEUR
CORNEILLE VAN CLÈVE
(1728)
Communication de M. J. Guiffrey.
La paroisse royale de Saint-Germain-l'Auxerrois était décorée,
vers le milieu du xvme siècle, d'un autel et d'un grand crucifix de
bronze doré du sculpteur Corneille Van Clève. Les pièces sui-
vantes précisent les circonstances dans lesquelles fut placée
cette riche décoration détruite bien avant la Révolution. En effet,
lors de la prétendue restauration du choeur par l'architecte Baccarit,
l'autel et le Christ de Van Clève disparurent en même temps que le
jubé édifié par Pierre Lescot et décoré de figures par Jean Goujon. On
suppose que les bronzes pfferts par notre sculpteur furent fondus ;
ils étaient restés en place a peine une vingtaine d'années. Le vanda-
lisme nous à coûté cher à'toutes les époques.
j. G.
Legs d'un autel et d'un crucifix de bronze doré à l'église Saint-
Germain-l'Auxerrois, par Corneille Van Clève.
Je soussigné, sculpteur ordinaire du Roy, ancien directeur,
chancelier et recteur de l'Académie royale de peinture et sculp-
Cette maison est précisément celle qui figure dans le contrit de mariage de
i.
Le Brun et que les parents de Suzanne Butay lui donnaient pour dot. On a vu qu'elle
était située; au faubourg Saint-Marcel lez Paris.
ET L'AUTEL DE SAINT-GERMAIN-L'AUXERROIS IO7

ture, déclare que, voulant employer un de mes derniers


ouvrages à la décoration de ma paroisse et mériter par là que
Dieu répande sur moy sa miséricorde, je donne, lègue à
l'église de Saint-Germain l'Auxerrois l'autel de marbre en
forme de tombeau et les ornements de bronze disposez pour
être attachez sur cet autel, ensemble le grand crucifix de
bronze doré et les ornements qui sont au bas avez les deux
anges, le tout de bronze doré, posez sur une crédence de
marbre blanc. Touttes lesquelles choses faites actuellement
dans mon atelier de la cour du vieux Louvre.
Mon intention est de donner incessament cet autel et. les
ornements que je viens d'indiquer à messieurs les Marguilliers
de Saint-Germain de l'Auxerois pour le faire poser par messieurs
du Chapitre à l'autel du choeur.
Mais si la mort me prenoit avant que je Tusse délivré, je
veux et entend que mes héritiers en fassent la délivrance à
messieurs les Marguilliers sans aucune réserve ny contestation,
me raportant à la piété de messieurs les Marguilliers de faire
prier Dieu et d'exécuter des oeuvres de charité pour le repos
de mon âme.
Et pour témoigner que la présente disposition est l'ouvrage
de ma volonté, je l'ay écrit de ma main et veut qu'elle soit
exécuté comme mon testament ou comme codicille.
Fait à Paris, ce six novembre 1728. — Signé : CORNEILLEVAN
CLÈVE.

(Addition autographe :)
Je certifie que l'écrit ci-dessus est la coppie de mon testa-
ment que j'ay deppausé à messieurs les Marguilliers de Saint-
Germain de l'Aucceroix.
CORNEILLE VAN CLÈVE.

Extrait du registre des délibérations de l'ceuvre et fabrique de


l'église royalle, collégialle et paroissialle de Saint-Germain-
l'Auxerois, à Paris (fol. 48 r° et v°).

Du 28 novembre 1728.
Monsieur Chevallier a dit qu'ayant esté informé par
M. Besnier
que M. Van Clève, son oncle, ancien directeur,
io8 CORNEILLE VAN CLÈVE
chancelier et recteur de l'Académie de sculture, avoit intention
de faire présent à nostre église d'un autel de sa composition
dont le corps est de marbre, aveq des ornements de bronze
qu'il avoit disposez pour les y appliquer, ensemble d'un grand
crucifix de bronze doré et des figures et ornements qui sont
au bas, accompagnez de deux anges aussy de bronze doré,
posez sur une crédence de marbre blanc ; mondit sr Chevallier
et MM. Besnier et Mignonneau, après avoir esté visiter cet
autel dont ils admirèrent la beauté et l'ellegance, crurent qu'il
estoit de leur devoir d'aller rendre une visite à M. Van Clève
pour luy marquer combien la compagnie seroit sensible à sa
pieuse libéralité et pour le prier en mesme temps de déclarer sa
volonté sur le lieu où il destinoit cet autel.
M. Van Clève s'estant depuis expliqué par un écrit en forme
de testament qu'il a confié à M. Besnier, datte du six de ce
mois, il a déclaré que son intention est de donner incessam-
ment cet autel et les ornements qui viennent d'estre indiquez
à messieurs les Marguilliers de Saint-Germain-l'Auxerois pour
le faire poser par messieurs du Chapitre à l'autel du choeur;
il adjouste que si la mort le prévenoit avant qu'il l'eust délivré,
il veut et entend que ses héritiers en fassent la délivrance sans
aucune contestation, se raportant à la piété de messieurs les
Marguilliers de faire prier Dieu et d'exécuter des oeuvres de
charité pour le salut de son âme.
Sur quoy, la Compagnie, dans l'assemblée du 14 de ce mois,
après avoir aprouvé verballement les démarches de messieurs
les Marguilliers et remercié M. Besnier des pieux sentiments
de monsieur son oncle, a cejourd'huy résolu d'une voix una-
nime d'accepter le don de M. de Van Clève, et, pour entrer
dans les vues de charité et de religion qui l'animent, il a esté
arresté que, dans l'espace de quatre années, on donnera deux
mil livres à monsieur le Curé pour estre distribuées aux
pauvres honteux de la paroisse, et qu'on priera messieurs du
Chapitre d'accepter mil livres qui leur seront payées incessam-
ment, moyennant quoy on espère que, en considération des
dépenses très considérables que la fabrique a laites et qu'elle
continue pour la décoration de l'église, et des sommes qu'elle
contribue pour leur procurer cet autel, ils voudront bien se
charger de faire placer cet autel dans leur choeur.
PROCURATION DE MAURICE QUENTIN DE LA TOUR 109
Messieurs Besnier et Mignonneau, chargez de faire part de
cette délibération à messieurs du chapitre, ayant ce jourd'huy,
28 novembre, fait leur raport à la Compagnie, qu'on leur avoit
lait l'honneur de les introduire dans l'assemblée capitulaire et
que messieurs les capitulans avoient aplaudy à la proposition
et l'avoient très gracieusement et généreusementacceptée;
Il a esté arresté, d'une voix unanime, que MM. Besnier et
Mignonneau se présenteront encore à la première assemblée
capitulaire, qu'ils assureront messieurs du Chapitre que la
Compagnie est très reconnoissante du zèle que ces messieurs
tcsmoignent dans cette occasion pour concourir à la décoration
du choeur de leur église; on leur remettra en mesme temps
une expédition de la présente délibération et on les priera de
vouloir bien nous faire aussy délivrer une expédition de leur
acte capitulaire pour le faire transcrire dans nostre registre.
(Suit l'énumération des signatures.) Et la présente expédition
faite par l'ordre de nous, marguilliers en charge soussignez,
pour estre présentée et délivrée à messieurs du Chapitre, le
12 décembre 1728.
CHEVALLIER.
— BESNIER. — MIGNONNEAU.
(Une autre expédition jointe à celle-ci est délivrée au sieur
Besnier pour être remise au sieur Van Clève, son oncle.)

PROCURATION DONNEE PAR LE PEINTRE


MAURICE QUENTIN DE LA TOUR
A UN LIBRAIRE DE LAON

1736

Pièce communiquée par M. G. Grandin.

Il y a prés de dix-huit mois qu'en faisant les recherches qui


m'étaient nécessaires pour la confection du catalogue du Musée de
Laon, j'ai trouvé,
aux Archives départementales de l'Aisne, un
IIO PROCURATION DE MAURICE QUENTIN DE LA TOUR

document sur La Tour que je crois inédit et qui m'a paru très inté-
ressant. Je vous l'adresse pour la Revue de l'art français.
G. GRANDIN,
conservateur du Musée de Laor..

PROCURATION DONNÉE PAR CHARLES ET MAURICE QUENTIN DE


LATOUR A PIERRE BOSCHER LIBRAIRE A SAINT-QUENTIN
,
(31 octobre 1736)
Par devant les nottaires royaux et tabellions au bailliage
de Vermandois à Saint-Quentin soussignés furent présens
Charles De Latour, directeur des vivres d'Italie et Maurice
Quentin De Latour, peintre, demeurants à Paris, au coin
des rue Saint-Honoré et Jean Saint-Denis, paroisse Saint-
Germain, étant tous deux présents audit Saint-Quentin. Les
dits Charles, Maurice Quentin De Latour, enfants et héri-
tiers parti civiles de deffunct le sieur François Delatour,
musicien en cette ville, leur père, et de feue demoiselle
Reine Havart, leur père et mère, lesquels héritiers nous ont
fait et constitué leur procureur général et spécial, la per-
sonne du sieur Pierre Boscher, marchand libraire et impri-
meur, demeurant audit Saint-Quentin, de pour eux et es-dits
noms de faire procedder à l'inventaire et vente au priser des
biens délaissés par ledit deffunct sieur François Delatour,
leur père, recevoir par ledit sieur procureur et prélever sur la
masse des biens de ladite succession la somme de 400 liv.
qui reste deues au dit Charles De Latour, l'un desdits cons-
tituants, de laditte succession de laditte Reine Havart, sa
mère, en donner par le sieur procureur toutte quittances et
descharges vallables, comme aussy consentir par ledit sieur pro-
cureur pour lesdits constituants, et dits noms, que les deux
enfants mineurs du second mariage leur serviront pour eux
leur mère et tutrice pour elle aussy, sur la masse des biens
de la ditte succession, la somme de 400' livres de laquelle
ledit Maurice Quentin De Latour leur a bien voulu faire
don sur ce qui luy revenoit de la succession de la ditte Reine
Havart, sa mère, recevoir par ledit sieur procureur tout ce
qui pourra revenir auxdits constituants esdits noms de la
succession dudit feu sieur François De Latour, leur père,
PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY AVEC LA VILLE DE TOULON 111
vendre par ledit sieur procureur à telles personnes et moyen-
nant telle prix qu'il jugera à propos les parts et portions des
immeubles quiappartiendront auxdits constituants comme héri-
tier dudit feu sieur François De Latour, leur père, passer,
signer à cette effet par ledit sieur procureur, tous contracts et
quittances nécessaires et générallement faire par ledit sieur
procureur tout ce que lesdits constituants pourraient faire
esdits noms s'ils étoient présents en personnes et généralle-
ment, etc., obligeant...
Fait et passé audit Saint-Quentin, par devant lesdits notaires,
audit lieu soussignés, le 31 octobre 1736, avant midi, et ont
signé ainsi :
« Signé : DELATOUR et DE LATOUR, ETIENNE
et MALÊZIEU, notaires.
BELLOT
Insinué à Saint-Quentin le 12 novembre 1736, premier
volume de ladite année, folio 48 verso et reçu pour le droit
principal de ladite donation entre vifs la somme de 4 livres
et 16'sols pour les quatre sols pour livres.
Signé : RIGUET.
(Extrait du registre des insinuations du bailliage de Vernan-
dois existant aux archives du département de l'Aisne, à Laon.)

LE SCULPTEUR CHARDIGNY
SON PROCÈS AVEC LA VILLE DE TOULON EN I789

Communication de M. Charles Ginoux.

Dans les Nouvelles Archives de l'Art français 1, nous avons, à deux


reprises, parlé des travaux dont Barthélémy Cbardigny avait été
chargé pour la décoration de l'église de Saint-Louis, en construc-
tion, et des contestations auxquelles donnèrent lieu l'exécution de
ces travaux. Les deux mémoires ou plaidoyers qui suivent vont
nous renseigner plus complètement sur les différends qui s'élevèrent

' T. IV, pp. 145-147, année 1887. et t. VIII. ™. ns-123. année 1891.
ART FR. X. 8,
112 PROCES r J SCULPTEUR CHARDIGNY

entre l'artiste et la municipalité au sujet desdits ouvrages de décora-


tion et nous faire connaître les torts de chacune des parties '.
CH. GINOUX.
I
MÉMOIRE

Pour le sieur Barthélémy Chardigni, sculpteur, ancien pen-


sionnaire du Roi, demandeur en requêtes principale et inci-
dente des 15 novembre 1788 et 3 février 1789.

CONTRE

Les sieurs Maire, Consuls et Communauté de la ville de


Toulon, défendeurs.
En se livrant à l'exercice d'une profession aussi noble que
libre, le sieur Chardigni n'a pas dû se flatter de trouver sans
cesse des fleurs sur son passage; mais il n'a pas dû prévoir que
d'une administration sage et éclairée partirait un jour le trait le
plus propre à compromettre sa propriété, à jetter sur sa répu-
tation, le déplaisant vernis du louche, à laisser sur sa capacité
les traces fâcheuses du doute, enfin à verser sur les premiers
fruits de son génie toute l'amertume du dégoût.
Tels sont néanmoins les effets funestes, peut-être imprévus,
de la délibération que la Communauté de Toulon a prise le
30 octobre dernier, et dont le sieur Chardigni demande la
cassation.
Ce n'est point l'appât d'un vil intérêt qui le guide. Sa
démarche a un motif plus pur. Source de la noblesse de l'art,
base de la considération due à l'artiste, l'honneur avoue, l'hon-
neur commande sa plainte. C'est un tribunal, ce sont des
magistrats vraiment français qui en seront les juges. Quel
heureux présage pour lui !
Osons le dire : la Communauté de Toulon est elle-même
intéressée à sa défaite. Sa délibération du 30 octobre n'est pas
un ouvrage digne d'elle. La réflexion a dû faire naître les
regrets. Elle doit désirer qu'un arrêt l'oblige à soustraire aux
yeux de la postérité un monument dont l'existence pourrait
accuser sa modération, son goût et sa justice.
1. Archives communales, série FF. — 212 à 216 : 1688 à 1790.
AVEC LA VILLE DE TOULON II3

FAIT

Le sieur Chardigni ayant remporté le premier prix de sculp-


ture à l'Académie royale de Paris fut, en conformité d'un
règlement de 1749, envoyé à Rome, aux dépens de S. M.,
pour y étudier les chefs d'oeuvre des anciens maîtres.
En passant dans cette ville, il fut adressé au sieur Sigaud,
architecte-ingénieur des Etats de Provence, chargé de la con-
struction d'une nouvelle paroisse, à Toulon.
Le sieur Sigaud lui demanda un grand bas-relief et vingt
bas-reliefs, dont deux en pierre d'Arles et dix-huit en terre
cuite. Il lui en fit connoître la dimension, l'étendue et la
destination. Le prix en fut fixé à dix mille livres payables à
diverses époques. Le sieur Chardigni fut expressément
déchargé des risques du transport des dix-huit bas-reliefs qu'il
devoit exécuter à Rome, sans qu'il y eût aucun terme fixé à
leur exécution.
Tels sont les pactes principaux de la convention qui fut faite
et souscrite dans cette ville entre les sieurs Chardigni et Sigaud.
le 8 décembre 1783.
Le sieur Chardigni commença à Rome l'exécution de l'un
des dix-huit bas-reliefs. Il fut arrêté ensuite par le sieur Sigaud
qui lui écrivit que les sieurs Consuls de Toulon n'étaient
point encore décidés sur ce genre de décorations.
De retour en Provence, il trouva les mêmes obstacles à
l'exécution des dix-huit bas-reliefs.
Alors on lui demanda deux statues de six pieds de proportion
et un groupe représentant la Descente de croix. Les circon-
stances forcèrent le sieur Chardigni d'adhérer à la proposition.
Ces changements donnèrent lieu à un nouveau traité. Il ne
fut point souscrit par le sieur Sigaud, mais il fut fait en sa pré-
sence par les sieurs Féraud et Millon, entrepreneurs de l'église
paroissiale de Toulon, qui le souscrivirent le 13 mars 1786 et
déclarèrent la convention passée par le sieur Sigaud, le
8 décembre 1783, résiliée et comme non advenue.
Ce nouveau traité porte : i° Que le sieur Chardigni exécu-
tera en pierre d'Arles, dite de Fontvieille, le grand bas-relief
du ceintre de la grande nef, conformément au modèle qu'il
en a fait à Rome.
114 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

2° Qu'il exécutera, en pierre de la même qualité, deux sta-


tues de ronde bosse de six pieds de proportion, dont l'une
représentera la Religion portant un calice, et l'autre la Vierge
qui foule le serpent.
3° Qu'il exécutera, encore en pierre de la même qualité,
un groupe de deux figures en ronde bosse, ayant six pieds de
proportion, et représentant une Descente de croix.
4° Qu'il fournira avant la fin de l'année un modèle solide
de draperie pour la chaire à prêcher.
Tous les susdits ouvrages, dont le prix fut porté à
10.500 livres, à compte desquelles le sieur Chardigni déclara
avoir reçu 3.000 livres pendant son séjour à Rome, dévoient
être achevés dans le courant du mois de septembre 1787.
A cette époque, l'église n'était pas construite à beaucoup
près. Le sieur Chardigni n'avoit pas cependant resté oisif. Il
avait fait les modèles des deux statues et celui du grouppe.
L'ouvrage dont l'exécution était la plus urgente était le grand
bas-relief destiné à orner l'entrée du sanctuaire. La Commu-
nauté de Toulon qui, depuis longtemps, en avait le modèle,
ne s'en était pas dessaisie. Elle avait senti que la pierre d'Arles
n'était du tout point propre à rendre l'expression, les grâces et
le fini de la nature. Elle était irrésolue sur le choix de la pierre
qu'elle devait mettre sous la main de l'artiste.
C'est cette irrésolution-là même qui seule avait lié les
mains au sieur Chardigni. La Communauté de Toulon en était
si bien convaincue que, le 3 novembre 1787, conséquemment
deux mois environ après l'époque à laquelle les ouvrages
auraient dû être achevés, suivant la convention du 13 mars 1786,
elle reconnut et déclara par écrit que cet artiste n'était point
du tout en demeure; puisque c'est alors seulement qu'elle
l'autorisa à exécuter en pierre de Calissanne le bas-relief dont
il s'agit.
Le pouvoir qu'elle lui en donna est conçu en ces termes :
« Instruits que, par le marché que le sieur Sigaud a fait
passer au nom de la Communauté par les sieurs Millon et
Féraud, entrepreneurs, avec le sieur Chardigni, sculpteur, pour
un bas-relief représentant saint Louis à l'article de la mort,
donnant à son fils les instructions pour gouverner l'Etat,
lequel doit être placé sur la grande plate-bande, formant l'en-
AVEC LA VILLE DE TOULON 11$
trée du sanctuaire, doit être fait en pierre d'Arles, et considé-
rant que cette qualité de pierre ne pourrait pas donner à un
ouvrage de cette nature la solidité et la durée qu'il exige, ni
permettre à l'artiste de le perfectionner, nous, Maire, Consuls,
pour le plus grand intérêt de la Communauté, autorisons le
sieur Chardigni à faire cet ouvrage en pierre de Calissanne,
sauf de déterminer, lorsqu'il sera fini, l'augmentation de prix
que ce changement de matière est dans le cas de mériter;
chargeons en conséquence les sieurs Millon et Féraud de pro-
curer au sieur Chardigni le plus promptement qu'il sera pos-
sible les blocs de pierre de Calissanne nécessaires, en observant
qu'elle soit d'une belle qualité et sans défaut, et de les appor-
ter à Toulon, où l'ouvrage sera fait sans interruption. A
Toulon, le 3 novembre 1787. Signés : Gineste, maire; Aguil-
lon et L. Mallard, consuls. »
Dans cet écrit il est essentiel de remarquer trois dispositions
également décisives pour cette cause.
La première est qu'il n'avoit pas tenu au sieur Chardigni
d'exécuter par tout le mois de septembre 1787, les ouvrages
désignés dans la convention du 13 mars 1786, et que la
demeure n'avait pas eu d'autre cause que l'incertitude de la
communauté sur le choix de la pierre.
La seconde, que la substitution de la pierre de Calissanne à
la pierre d'Arles fut ordonnée par les sieurs administrateurs de
la ville de Toulon, au nom et pour le plus grand intérêt de la
Communauté.
La troisième, enfin, que l'exécution du grand bas-relief est
subordonnée à l'apport des blocs que les entrepreneurs sont
chargés de procurer au sieur Chardigni.
Ces trois objets reviendront dans le cours de la défense.
Par ce traité, il n'avait rien été innové quant au grouppe, ni
quant aux deux statues, dont l'exécution, d'après le traité du
13 mars 1786, devoit être faite de pierre d'Arles.
Mais il avoit déjà été verbalement convenu entre les entre-
preneurs et le sieur Chardigni d'exécuter ces deux statues et
le grouppe en pierre de Calissanne, sauf l'augmentation du
prix. En conséquence, dans le courant de 1786, ils avoient
fait porter en cette ville, dans l'atelier du sieur Chardigni, deux
blocs de pierre de Calissanne, dont ce dernier a formé les
Il6 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

deux statues de la Religion et de la Vierge. Elles ont été pla-


cées, à la satisfaction publique, dans la nouvelle paroisse de
Toulon.
Le sieur Chardigni avait eu le désir d'exécuter en marbre le
grouppe de la Descente de croix. Le modèle qu'il en avait fait
et particulièrement soigné, dans la vue de l'exécuter au moins
en pierre de Calissanne, s'il ne l'exécutoit en marbre, lui
paroissoit le mériter. La Communauté de Toulon en avoit jugé
comme lui. Mais le surcroît de la dépense avoit suspendu sa
résolution. Le sieur Chardigni l'ignoroit encore lorsque les
entrepreneurs firent couper, dans la carrière de Calissanne, la
pierre nécessaire à l'exécution de ce grouppe.
D'autre part, les entrepreneurs avoient fait porter à Toulon
la pierre de Calissanne destinée au grand bas-relief. Mais elle
n'avait point été placée là ou le sieur Chardigni doit travailler.
Elle n'y est pas même encore.
Tout cela détermina le sieur Chardigni à écrire, le 4 mars 1788,
aux sieurs Maire-Consuls de Toulon une lettre pour leur
demander le renvoi du modèle de la Descente de croix
déposé dans l'hôtel de ville, pour l'exécuter en marbre ou en
pierre, à leur choix.
Il leur observa que, dans le cas où l'on aurait délibéré de
l'exécuter en pierre, il convenait de charger l'entrepreneur de
lui faire parvenir le bloc, pour mettre la main à l'oeuvre le plus
tôt possible.
Il les pria, enfin, de presser le même entrepreneur de mettre
au plutôt en place la pierre de Calissanne destinée à l'exécu-
tion du grand bas-relief.
Les sieurs Maire-Consuls lui répondirent, le 30 du même
mois de mars, que depuis le 20 décembre 1787, il avoit été
délibéré de ne pas exécuter le grouppe en marbre; qu'avant de
placer la pierre de Calissanne pour le grand bas-relief, l'on
vouloit connaître l'augmentation de prix que le changement
de matière occasionnerait.
Ils ajoutèrent que la Communauté n'était pas liée envers lui
par les marchés passés à l'insçu de l'administration, soit avec le
sieur Sigaud, soit avec les entrepreneurs; marchés, disent-ils,
que l'on auroit pu approuver si les engagemens avoient été
exactement remplis.
AVEC LA VILLE DE TOULON 117
Cette réponse dans laquelle l'on sembloit avoir affecté de ne
ménager ni l'exactitude, ni la délicatesse du sieur Chardigni,
était affligeante, surtout par l'ensemble et la nature des induc-
tions qu'elle autorisait contre cet artiste.
Il le témoigna aux sieurs Maire-Consuls de Toulon, dans sa
lettre du 11 avril, qu'il est important de connoître, parce
qu'elle renferme tout-à-la-fois et la justification complette du
sieur Chardigni, et l'expression tempérée de sa juste sensi-
bilité.
« La lettre, dit-il, que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire le 30 mars dernier, ne me paroît convenir ni aux
sentiments d'honneur dont je fais profession, et auxquels je
n'ai jamais manqué, ni à la noble liberté dont mon art a
besoin, ni à la justice que j'ai lieu d'attendre d'une administra-
tion éclairée comme la vôtre.
« Vous deviez être convaincus, messieurs, pour peu que
vous connaissiez ce qui s'est passé entre les entrepreneurs,
messieurs vos prédécesseurs et moi, que ce n'est pas ma faute
si mes ouvrages n'ont pas été finis à l'époque indiquée par mes
conventions; ça été l'indécision perpétuelle de ces messieurs,
ainsi que le peu d'exactitude à me fournir les matériaux dont
j'avois besoin qui ont retardé jusqu'à présent l'entière exé-
cution des ouvrages. Et vous paraissez me faire un crime dont
j'ai souffert le premier et dont je souffre encore plus que per-
sonne. Les accords passés avec ces messieurs, tant par écrit
que verbalement, formeront, quand on voudra, une preuve de
ce que j'avance. Quoiqu'on en dise, je n'ai été le premier, ni
le seul à ambitionner le changement dont il a été question
dans la matière à employer pour le grouppe du Christ. On
pourra se rappeler que dans le voyage que je fis à Toulon,
dans les premiers jours de novembre dernier, messieurs les
Administrateurs me témoignèrent que l'ouvrage pourroit être
fait en marbre, si le prix que j'en demanderais n'était
pas trop
au-dessus de celui que j'avois pour le faire en pierre. Si le
Conseil municipal du 20 décembre dernier n'a pas voulu entrer
dans ces vues, c'est un fait dont je n'ai
eu connaissance que
par la lettre dont vous avez bien voulu m'honorer le 30 mars
dernier. Je n'ai pu faire autrement jusqu'à cette époque, que
de regarder
ce point de vue comme indécis, et la suspension
Il8 PROCES DU SCUI-PTEUR CKARDIGNY
de mon travail sur cet objet serait, sous ce rapport, tout au
moins excusable.
« Je ne vois pas quelle juste raison vous pourriez avoir, mes-
sieurs, de chercher à anéantir aujourd'hui les accords que je
passai, le 3 novembre 1787, avec messieurs vos prédécesseurs,
relativement au changement de pierre du grand bas-relief et
l'excédant du prix que cet ouvrage pourra mériter. La con-
vention porte que cet excédant sera apprécié après l'ouvrage
fini, et vous voulez le faire décider aujourd'hui comme un
éclaircissement nécessaire à l'exécution ou à la non exécution
de ce changement. Il paroît évidemment que l'administration
de Toulon prétend n'être pas liée avec moi, tandis qu'elle me
regarde sans cesse comme lié avec elle. Or de pareils liens ne
doivent et ne peuvent être que réciproques. Je n'ai jamais
entendu, messieurs, moi-même fixer le prix que le changement
en question pourra mériter. L'ouvrage fini, j'accepterai tou-
jours le prix qui sera fixé par des Académiciens auxquels on
pourroit mander, au besoin, les desseins avec les détails de
proportion, et la nature des pierres employées en cas que
nous ne soyons pas d'accord.
« Je n'ai jamais été capable de chercher à duper la Commu-
nauté de Toulon qui a bien voulu m'honorer de sa confiance,
ni que ce soit au monde. Je n'ai pu ni dû traiter avec le corps
entier de la ville, mais seulement avec ses représentants et avec
les personnes employées par elle : qui que ce soit ne peut me
trouver en défaut sur la netteté de mes engagements ni sur la
pureté de mes intentions. Je ne crois pas avoir mis aucune
morosité ni dans mes propos, ni dans ma conduite. Je sens
trop combien ce ton me conviendrait peu auprès d'une Com-
munauté respectable. Je crains bien, au contraire, d'être vic-
time d'une mauvaise humeur à laquelle je n'ai pas donné lieu.
« Il est bien dur cependant pour un artiste de mon âge, qui
commence à peine une carrière aussi pénible qu'honorable, de
rencontrer des obstacles, où je ne devrais trouver que des
encouragemens.
« Je suis, etc. »
Il aurait été difficile de mettre avec plus de décence et de
dignité, sous les yeux de l'administration de Toulon, l'état et
la suite de ses engagemens, la vraie cause du retard de ses
AVEC LA VILLE DE TOULON II9
ouvrages, l'inutilité de ses apparens regrets, et l'insolidité des
bases sur lesquelles elle avoit fondé son jugement.
Le sieur Chardigni dut croire qu'après une explication aussi
précise, il serait à l'abri de tout procédé ultérieur.
Il étoit dans cette confiance lorsqu'il apprit que dans une
lettre écrite à M. l'Intendant, le 15 septembre 1788, les sieurs
Maire-Consuls de Toulon avaient renouvelle leurs plaintes
contre lui, qu'ils persistoient à lui reprocher « négligence » et
«
mauvaise volonté », qu'ils le présentoient comme un « per-
sonnage » dont il leur importait de se « débarasser » ; qu'en
un mot après avoir parlé de lui, de ses sentimens et de sa for-
tune avec un dédain insultant, ils annonçoient le projet de
faire exécuter en stuc, par un ouvrier de réputation en ce
genre, le grouppe et le bas-relief, dont les modèles étoient en
dépôt à l'hôtel de ville.
Ce projet, dont le moindre vice consistoit à être précipité,
vu que le sieur Chardigni n'était point en demeure, puisque la
pierre destinée au grand bas-relief n'étoit pas en place, et celle
pour le grouppe ne lui avoit pas été fournie, mais étoit encore
à la carrière d'où on l'avoit extraite, ce projet, disons-nous,
était d'ailleurs d'une injustice intolérable, parce qu'il attentoit
à la propriété et à la réputation du sieur Chardigni.
A sa propriété : i° En livrant à tout autre qu'à lui l'exécu-
tion d'un modèle qui étoit son ouvrage. 2° En le privant du
bénéfice sur la foi duquel il avait inventé et fait ce modèle dont
l'exécution seule aurait pu l'indemniser. 30 En annullant, par
voie de fait, des engagemens qu'il n'avoit pas dépendu du
sieur Chardigni de remplir. 40 En mettant à sa charge la perte
du temps pendant lequel il avoit attendu en vain les blocs de
pierre, sans pouvoir entamer d'autres ouvrages.
A sa réputation, en compromettant à l'imperfectionéventuelle
d'une copie, et à la capacité possible mais non éprouvée d'un
ouvrier inconnu au sieur Chardigni et de lui non avoué, l'idée
que les connoisseurs pourraient concevoir de son modèle et
par contre-coup de ses talens.
Telles sont les considérations que le sieur Chardigni eut
1 honneur de présenter à M. l'Intendant, lorsque ce magistrat
eut daigné lui donner communication de la lettre des sieurs
Maire-Consuls de Toulon.
120 PROCES DU SCULPTEUR CHARDIGNY
Ceux-ci n'insistèrent pas moins. Dès le 30 octobre 1788, ils
firent prendre par le Conseil municipal une délibération por-
tant qu'un marché par eux fait, le 26 septembre précédent,
avec le sieur Roux, pour l'exécution en stuc du grand bas-
relief et de la Descente de croix au prix de 5.000 livres sera
exécuté; qu'il ne sera point tenu compte aux entrepreneurs
des sommes qu'ils ont payées au sieur Chardigni, qu'ils seront
avertis de se pourvoir contre lui, ainsi qu'ils aviseront, sauf de
leur bonifier le coût des deux statues, représentant : l'une la
Religion, l'autre la Vierge.
En lisant cette délibération dont l'injustice se fait sentir
d'elle-même, l'on ne peut manquer d'être affecté du ton aigre
et insultant que l'on y a pris au sujet du sieur Chardigni. Ce
ton toujours mal placé dans la bouche d'un particulier ne sied
pas mieux à une Communauté. Il anéantit la présomption de
la loi qui ne répute son voeu impartial que parce qu'il la sup-
pose exempte de passion.
D'ailleurs, l'humeur même bien fondée ne dispense pas des
égards : il en est dû à l'homme, au citoyen, à l'artiste ; le sieur
Chardigni n'est assurément pas au cas de l'exception. Il n'a
jamais démérité. Ses premiers travaux peuvent donner quelque
idée de ses talens. La Communauté de Toulon l'avait honoré
de sa confiance. Il y avoit répondu par une attention suivie à
soigner les modèles de ses ouvrages. Il l'en avoit rendue dépo-
sitaire. Il en avoit demandé et pressé l'exécution. Les ouvrages
du nouveau Palais de justice (à Aix) venoient de lui être con-
fiés. Il s'agissait pour lui d'un nom à se faire, d'une réputation
à acquérir. Et c'est ce moment que l'on a pris pour consigner
dans un registre public un voeu également indigne et de ceux
qui en sont les auteurs et de lui qui en est l'objet; un voeu
qui dépare la sagesse des délibérations émanées de la Commu-
nauté de Toulon ; un voeu, enfin, qui ne laisse au sieur
Chardigni point de milieu entre l'humiliation et la plainte.
Quels sont donc les motifs de ce rigoureux et injuste trai-
tement ?
Le sieur Chardigni, dit-on dans la délibération, a touché la
presque totalité des sommes qui lui furent promises, et il n'a
rien ou presque rien fait pour la Communauté.
Mais on aurait dû observer que le prix stipulé dans les con-
AVEC LA VILLE DE TOULON 121
vendons est fort au-dessous de celui que le sieur Chardigni
aura à prétendre, vu l'augmentation ' convenue à raison du
changement de la matière à mettre en oeuvre. Dès lors, il est
clair que les paiemens faits sont encore beaucoup inférieurs
aux paiemens à faire.
De plus les deux statues exécutées en pierre de Calissanne
et placées dans la paroisse, le modèle du grand bas-relief, celui
du grouppe dont l'aspect a tenté la Communauté d'en voir
l'exécution en marbre, tout cela n'est donc rien ? Ignore-t-on
que la composition du modèle est toujours l'article le plus
long et le plus délicat ? Enfin lorsque, de quatre objets promis
par l'artiste, la Communauté en tient deux et les modèles des
deux autres, comment peut-elle prétexter qu'elle n'a rien ou
presque rien de lui ?
Le sieur Chardigni, dit-elle encore, est en demeure.
Un mot suffit pour détruire ce reproche. Deux ouvrages
restent à faire. Les entrepreneurs doivent mettre en place la
pierre destinée au grand bas-relief. Ils ne l'ont pas fait. Les
entrepreneurs sont également chargés de faire porter à l'atelier
du sieur Chardigni le bloc nécessaire à l'exécution du grouppe,
et ce bloc est encore à la carrière. Est-ce donc sa faute ? A quel
titre veut-on lui imputer une demeure qui procède évidem-
ment du fait de tout autre !
Telles sont néanmoins les deux bases de la délibération du
30 octobre 1788.
Elle n'a pas été plutôt connue du sieur Chardigni, que dans
la requête qu'il a eu l'honneur de présenter à la Cour le
15 novembre suivant, il a demandé acte de son opposition à
ladite délibération, et ajournement contre les sieurs Maire-
Consuls de Toulon, aux fins de voir ordonner que faisant droit
à ladite opposition, la délibération du 30 octobre sera déclarée
injuste, contraire à ses droits et comme telle cassée, ce fai-
sant, que les conventions des 13 mars 1786 et 3 novembre 1787
seront exécutées suivant leur forme et teneur, sous l'offre qu'il
fait de travailler
au grand bas-relief et successivement au

1. Il est aise de
prévoir quel sera le taux de cette augmentation, si l'on considère
que la copie seule des modèles en stuc a été évaluée par la Communauté à la somme
ue cinq mille livres. Abstraction faite du prix des modèles, il n'y a pas entre le stuc et
) nierre d'Arles la différence qui se rencontre entre celle-ci et la pierre de Calissanne.
122 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

grouppe à mesure que les pierres auront été mises en place,


ou lui auront été remises; et dans le cas où la Communauté
prétendrait n'être point liée par lesdites conventions, audit cas,
sauf tous ses droits contre qui il appartiendra, la délibération
du 30 octobre sera déclarée nulle, en ce qu'elle ratifie un mar-
ché fait pour la copie des modèles qui n'appartiennent pas à la
Communauté, laquelle sera audit cas condamnée à la restitu-
tion desdits modèles avec dépens. Et cependant inhibitions
et défenses au sieur Roux et à tous autres de copier lesdits
modèles et injonction aux sieurs Maire-Consuls de les garder
sous la clef comme séquestres et dépositaires de justice, sans
que personne puisse les copier jusqu'à ce qu'autrement soit dit
et ordonné.
Cette requête fut signifiée tant aux sieurs Maire-Consuls de
Toulon, qu'au sieur Roux.
Il résulte de leur réponse à peu près semblable, que depuis
quelques jours la copie en stuc du bas-relief est entièrement
achevée, qu'il sera supercédé à l'exécution du grouppe sauf
tous les droits de la Communauté et les dommages-intérêts
contre le sieur Chardigni.
L'on ne parle ici des Mémoires que la Communauté de
Toulon avoit adressés dans l'intervalle à M. l'Intendant, et
dans lesquels l'on semblait avoir pris à tâche d'aggraver les
injures faites au sieur Chardigni.
Il suffit d'observer que la réponse du sieur Roux et des sieurs
Maire-Consuls de Toulon ne permit plus à ce dernier de dou-
ter, i° que la Communauté se réputoit entièrement déliée
envers lui ; 2° que son modèle du bas-relief avoit été exécuté
en stuc; 30 enfin, que cette exécution finie depuis quelques
jours, le 17 novembre, avait été assurément commencée avant
même la délibération du 30 octobre.
En conséquence, il crut devoir présenter une requête inci-
dente le 3 février 1789, dont l'objet était de faire condamner
les sieurs Maire-Consuls à faire abattre et détruire le bas-relief
travaillé par le sieur Roux, et aux dommages-intérêts, suivant
la liquidation qui en sera faite par des gens de l'Art nommés
par les parties, autrement pris d'office.
La Communauté de Toulon ne s'est point dissimulée le
double tort qu'elle a d'avoir arbitrairement anéanti le marché
AVEC LA VILLE DE TOULON 12}

du sieur Chardigni avec les entrepreneurs de la paroisse et


d'avoir fait exécuter ses modèles par tout autre, mais considé-
rant la convention du 3 novembre comme incapable de lier ni
les administrateurs qui l'ont signée, ni elle-même au nom et
pour l'intérêt de laquelle elle a été faite, insistant en outre à
prétendre que le sieur Chardigni étoit en demeure, elle a enfin
supposé qu'il pouvoit y avoir des torts respectifs dont elle a
tout de suite proposé la compensation.
Alors elle a imaginé que le sieur Chardigni serait mis hors
d'intérêt, si, en le dispensant de l'exécution du grand bas-
relief, et en n'exigeant de lui le grouppe de la Descente de
croix qu'en pierre d'Arles, on lui offrait le paiement entier de
10.500 liv. portées par la convention du 13 mars 1786.
Tel a été l'objet de la délibération du 22 février dernier. La
Communauté a jugé satisfactoires les offres qu'elle renferme,
puisqu'elle n'a conclu dans sa production qu'à l'admission des-
dites offres avec dépens depuis le refus.
Telles sont les circonstances et les qualités de ce procès. La
décision ne peut en être douteuse.
Liée par ses administrateurs dans la convention du
3 novembre 1787, la Communauté n'a pu se
délier, quand
même le sieur Chardigni aurait été réellement en demeure;
la convention doit donc avoir son effet. A plus forte raison
elle doit l'avoir, lorsqu'il est certain et physiquement prouvé
que la demeure ne procède que du fait des entrepreneurs,
auxquels la Communauté s'est subrogée par sa délibération du
22 février dernier.
La Communauté de Toulon a attenté à la propriété du sieur
Chardigni en disposant des modèles dont cet artiste ne l'avoit
rendue que dépositaire. Elle a compromis son nom en confiant
à un ouvrier inconnu et non agréé la copie d'un ouvrage sur
l'exécution duquel les connoisseurs pourront juger dèsavanta-
geusement du mérite de l'inventeur. Elle l'a privé d'un bénéfice
promis, attaché à l'exécution, et sans lequel il est impossible
au sieur Chardigni de recouvrer le prix du temps qu'on lui a
fait perdre.
Voilà les titres qui fondent la demande du sieur Chardigni.
Il sera facile d'en établir la légitimité
et de prouver, en les par-
courant, la réalité et l'importance des torts que la Communauté
124 PROCES DU SCULPTEUR CHARDIGNY
doit se reprocher, l'insuffisance du dédommagement qu'elle en
offre et l'exacte justice des conclusions prises par le demandeur.
D'abord, l'on doit être surpris de voir mettre en doute la
question de savoir si la Communauté est liée avec le sieur
Chardigni.
Le doute pourroit avoir lieu s'il n'existait d'autre convention
que celle du 13 mars 1786, dans laquelle ce sont les entrepre-
neurs qui seuls stipulent sur la qualité et le prix des ouvrages.
Mais il existe une autre convention en date du 3 novembre
1787, par laquelle les sieurs Maire-Consuls d'abord déclarent
être instruits des accords faits entre les entrepreneurs de leur
paroisse et le sieur Chardigni, autorisent ce dernier au nom et
pour le plus grand intérêt de la Communauté, de faire en
pierre de Calissanne le bas-relief qui, suivant la convention du
13 mars 1786, devoit être exécuté en pierre d'Arles, et chargent
les entrepreneurs de procurer la pierre nécessaire.
Or, cette convention du 3 novembre 1787, au bas de
laquelle le sieur Chardigni donna le même jour sa soumission,
est, ou il n'y en aura jamais, un contrat réciproque entre cet
artiste et la Communauté de Toulon.
Cet acte qui, à la vérité, n'a trait qu'au bas-relief dont il
ordonne l'exécution en pierre de Calissanne, auroit pu n'obli-
ger la Communauté que quant au bas-relief, mais l'on verra
bientôt qu'en fait la Communauté a donné l'approbation la
plus formelle et la moins équivoque non pas seulement à la
convention souscrite par les entrepreneurs le 13 mars 1786,
mais encore au traité verbal convenu entre les mêmes entrepre-
neurs et le sieur Chardigni (traité portant qu'il exécuterait en
pierre de Calissanne les ouvrages qu'il auroit dû exécuter en
pierre d'Arles, suivant la convention écrite), puisqu'elle-même
a reçu, gardé et transmis les modèles que ce dernier lui a direc-
tement envoyés, puisqu'elle s'est occupée, après la réception
des modèles, du projet de les faire exécuter en marbre, ainsi
que doit le porter la délibération du 20 décembre 1787 (si la
lettre des sieurs Maire-Consuls du 30 mars 1788 est exacte),
puisqu'enfin elle a reçu et placé dans la paroisse les statues de
la Religion et de la Vierge, exécutées en pierre de Calissanne,
en conformité du traité verbal.
Mais il suffit quant à présent de dire que, du moins pour le
AVEC LA VILLE DE TOULON 12$
bas-relief, c'est-à-dire pour l'un des objets qui donnent lieu à
la plainte du sieur Chardigni, la Communauté de Toulon était
liée et irrévocablement liée par la convention que ses adminis-
trateurs avaient souscrite le 3 novembre 1787, en son nom et
pour son plus grand intérêt.
Or, c'est précisément cet ouvrage que les sieurs Maire-Con-
suls de 1787 ont autorisé le sieur Chardigni à exécuter en
marbre, que les sieurs Maire-Consuls de 1788 ont fait exécuter
en stuc. Pourquoi cela?
Le sieur Chardigni, disent-ils, était en demeure.
L'objection, que l'on nous pardonne ce terme, n'est ni vraie
ni possible. Dans ce moment même la pierre de Calissanne,
destinée à l'exécution du bas-relief, n'est point encore en place.
Elle n'y a jamais été. Il est donc impossible, de toute impos-
sibilité, que la demeure procède du fait de l'artiste.
On ne peut pas dire (ce sont les sieurs Maire-Consuls de
1789 qui parlent) que la Communauté soit liée par la conven-
tion passée entre le sculpteur et les Consuls de l'année d'aupa-
ravant. Il ne dépend pas des Consuls d'engager la Commu-
nauté par des augmentations d'ouvrages, et de l'engager d'une
manière imprudente, sans avoir mis auparavant un prix aux
augmentations, et surtout sans que ces augmentations aient été
préalablement délibérées.
Après ce raisonnement, à la sincérité duquel il serait diffi-
cile de croire s'il n'étoit littéralement consigné dans la consul-
tation du 15 février dernier, l'on ajoute :
Les Consuls qui ont passé la convention n'ont point con-
tracté, quant à ce, d'obligation personnelle. Ils n'ont pas con-
tracté en leur propre et privé nom.
En vérité, l'administration de Toulon est une de celles à
laquelle il convient le moins d'enseigner une pareille morale.
Quoi ! il existe à la date du 3 novembre 1787 une soumis-
sion du sieur Chardigni, qui s'est obligé d'exécuter en pierre
de Calissanne le bas-relief qu'il ne devoit faire d'abord qu'en
pierre d'Arles ! Cette soumission est au bas d'une convention
souscrite le même jour par les sieurs Maire-Consuls de Toulon
qui, au nom et pour le plus grand intérêt de la Communauté,
autorisent le sieur Chardigni à faire cet ouvrage, et [chargent
les entrepreneurs de lui procurer les pierres nécessaires! Et
126 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNV

l'on viendra dire que le sieur Chardigni, que l'on a, arbitraire-


ment et sans motif, privé de cet ouvrage, n'a d'action ni contre
la Communauté au nom de laquelle l'engagement a été fait, ni
contre les Consuls qui l'ont souscrit ! C'est là une opinion trop
évidemment hasardée pour pouvoir faire impression.
Le sieur Chardigni était hé. On n'a pas osé dire qu'il ne
l'étoit pas. Son obligation étoit l'échange d'une autre contrac-
tée envers lui. Sans cela, elle auroit été illégale ; la Commu-
nauté a traité avec lui par la bouche de ses représentans. Ceux-
ci l'ont obligée. A défaut, ils sont obligés eux-mêmes en leur
propre. Voilà ce que la raison seule dicte.
C'est une imprudence, dit-on, d'avoir engagé la Commu-
nauté par des augmentations d'ouvrage, sans avoir mis aupa-
ravant un prix à ces augmentations.
La convention du 3 novembre 1787 porte que le prix de ces
augmentations sera réglé après l'ouvrage fait, et cela est bien
plus prudent qu'il ne l'eut été de régler auparavant, puisque
c'est par le fini de l'ouvrage qu'on en fixera le prix; au lieu
que la fixation préalable auroit pu laisser du doute sur le fini.
Les Consuls, dit-on encore, n'ont point contracté, quant à
ce, d'obligation personnelle.
Cela est vrai, mais pourquoi ? Parce qu'ils ont contracté au
nom et pour l'intérêt de la Communauté dont ils étoient les
représentans, les mandataires, en un mot les seuls administra-
teurs.
Ce qu'ils ont fait au nom de la Communauté, n'avoit pas
été délibéré par elle.
Peu importe au sieur Chardigni. Que la Communauté les
désavoue, si elle le peut. Qu'elle fasse retomber sur eux les
adjudications qu'il rapportera contre elle, rien n'est plus étran-
ger à cet artiste. Il a traité avec ceux qui étoient les seuls repré-
sentans de la Communauté. Il n'a pas dû exiger d'eux l'exhi-
bition d'un pouvoir spécial. Il a dû croire que la Communauté
s'obligeoit envers lui, puisqu'il s'obligeoit envers elle dans la
personne de ses administrateurs. Son action contre la Com-
munauté ne peut lui être contestée, sauf à elle sa garantie
contre les Consuls, si elle peut être fondée à désavouer leur
fait*
Mais les administrateurs actuels, l'on doit les en prévenir,
AVEC LA VILLE DE TOULON I27
auraient d'autant plus mauvaise grâce de prendre ce parti, qu'il
pourroit leur en arriver autant de la part de leurs successeurs.
En effet, ils ont traité avec le sieur Roux, le 26 septembre ;
ils ont engagé la Communauté au paiement de 5.000 liv.,
pour l'exécution en stuc du bas-relief et du grouppe dont le
sieur Chardigni leur avoit confié les modèles. Tout cela a été
fait sans aveu, sans délibération préalable.
On l'a postérieurement fait approuver au Conseil du
30 octobre, mais il ne s'est pas moins écoulé 34 jours, pendant
lesquels les Consuls actuels n'étoient pas mieux en règle
envers le sieur Roux, que leurs prédécesseurs l'avoient été
envers le sieur Chardigni.
Les sieurs Maire-Consuls trouveroient-ils bon qu'au premier
traité qu'ils seront au cas de faire au nom de la Communauté,
on leur fit faire l'exhibition de leurs pouvoirs ? Leur dignité
seroit-elle perceptible, si tout ce qui émane d'eux étoit toisé à
l'aune du pouvoir qu'ils ont reçu de la Communauté? Le sieur
Roux auroit-il eu fini son ouvrage le 15 novembre, si, pour y
travailler, il avoit attendu la mission de la Communauté ? Que
seraient enfin les sieurs Consuls, si le chaperon dont ils se
décorent n'annonçoit en eux que les organes passifs des volon-
tés publiques ?
Les sieurs Maire-Consuls sont trop dignes de la confiance
de leur Communauté, pour être désavoués par elle; et la
preuve de sa propension à approuver les démarches de ses
administrateurs est dans la délibération du 30 octobre, qui
adopte le marché fait par eux avec le sieur Roux le 26 sep-
tembre d'auparavant, sans sa participation. Elle n'aurait pas
consenti à un sacrifice de 5.000 liv. pour l'exécution en stuc
de deux modèles qu'elle auroit su ne pas lui appartenir; elle
n'auroit pas sacrifié le goût de 1787 à celui de 1789, si elle
avoit su qu'elle était liée par la convention de ses Consuls
d'alors ; elle n'auroit pas enfin préféré un ouvrier à un artiste,
si elle n'avoit imaginé être libre d'opter, et si surtout elle
n'avoit réputé en demeure l'artiste qui n'y étoit pas, et qui ne
pouvoit pas y être.
Sur le tout, si elle est assez injuste pour ne pas se croire liée
par la convention que ses administrateurs ont souscrite le
3 novembre 1787 en son nom et pour son plus grand intérêt,
I2& PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

les voies du droit lui sont ouvertes. C'est à elle seule qu'il
appartient d'en user.
Mais le sieur Chardigni ne peut connoître qu'elle, parce que
c'est pour elle, en son nom, et pour son intérêt, que l'on a
traité avec lui; parce que ce sont les Consuls, ses administra-
teurs, qui ont souscrit le traité; parce qu'ils ont déclaré ne le
souscrire que pour elle; parce que de fait c'est à elle seule que
l'ouvrage devoit profiter, puisqu'il étoit destiné à l'embellis-
sement de sa nouvelle paroisse; parce que, enfin, c'est envers
elle seule que le sieur Chardigni a entendu s'obliger, en même
temps qu'il a voulu et cru l'avoir pour obligée.
Et ne voit-on pas combien est saignante la contradiction
dans laquelle l'on fait tomber la Communauté de Toulon dans
cette cause.
On lui fait un devoir d'adopter la convention souscrite par
les entrepreneurs le 13 mars 1786, et on lui en fait un autre
de méconnaître la convention souscrite par les Consuls de 1787.
On lui fait prendre le fait et cause en mains de ses entrepre-
neurs, et en même temps on lui livre ses administrateurs de
1787, aux suites d'un traité qu'ils ont déclaré et qu'ils n'ont
pu souscrire que pour elle.
Cette conduite n'est pas assurément édifiante : l'intérêt seul
peut la justifier; mais l'intérêt est-il donc le mobile de la Com-
munauté de Toulon ? L'intérêt n'est-il pas au contraire le plus
dangereux, le moins fidèle de tous les guides ?
Que la Communauté laisse donc à la classe des plaideurs
habituels cette exception que la chicane seule avoue ; qu'elle
consulte le rang qu'elle occupe dans la Province; qu'elle
jalouse pour ses administrateurs la considération qui leur est
due, et qu'enfin elle ne vienne point donner au public
l'exemple d'un désaveu qui compromet nécessairement ou son
équité ou la sagesse de ceux qui l'ont administrée.
Le sieur Chardigni a traité, le 3 novembre 1787, avec les
sieurs Maire-Consuls d'alors. Il n'a ni pu ni dû traiter qu'avec
eux, parce que dans leurs mains résidoient tous les pouvoirs,
tous les mandats de la Communauté dont ils étoient les seuls
représentans et l'organe.
La Communauté est donc incontestablement liée avec le
sieur Chardigni par le fait de ses Consuls, sauf à elle son
recours contre eux, si elle peut être admise à les désavouer.
AVEC LA VILLE DE TOULON I2Ç
Ce sont là des vérités élémentaires, qui ont pour garant les
principes de la raison, ceux de la justice, et ceux encore qui ont
présidé à la formation de toutes les sociétés.
L'obligation de la Communauté, d'après la convention du
3
novembre 1787, n'est relative qu'au bas-relief dont elle a
fait faire l'exécution en stuc, sur le modèle du sieur Chardigni,
auquel, en son nom, cette exécution avoit été promise en
pierre de Calissanne.
Mais il est facile de reconnoître que la Communauté n'était
pas moins liée envers lui pour les
deux statues représentant la
Religion et la Vierge, et encore pour le grouppe représentant
la Descente de croix.
D'abord, il est bien vrai que ce n'est que dans la convention
du 13 mars 1786, souscrite parles entrepreneurs, qu'il est fait
mention des deux statues et du grouppe pour les exécuter en
pierre d'Arles.
Mais il ne l'est pas moins que, par un accord antérieur ver-
balement conclu entre les entrepreneurs et le sieur Chardigni,
ceux-là ont dérogé à leur convention du 13 mars 1786, et lui
ont commandé, en pierre de Calissanne, ces trois ouvrages qui
d'abord ne dévoient avoir lieu qu'en pierre d'Arles.
La preuve de ce fait est dans la conduite des entrepreneurs
eux-mêmes, et dans l'approbation donnée à cette conduite par
la Communauté de Toulon.
En effet, les entrepreneurs ont fait mettre dans l'atelier du
sieur Chardigni les deux blocs destinés pour les deux statues :
ces deux blocs fournis en 1786 étaient en pierre de Calissanne.
Les deux statues ont été faites. Les entrepreneurs les ont fait
retirer de l'attelier, et transporter à Toulon. La Communauté
les a vues, et, satisfaite, elle les a placées dans la paroisse.
Si les parties n'avoient été régies que par la convention du
13 mars 1786, les entrepreneurs n'auraient donné les blocs
qu'en pierre d'Arles. Le sieur Chardigni n'auroit sculpté que
la pierre d'Arles. Enfin, les deux statues qui décorent à présent
la nouvelle paroisse de Toulon seraient en pierre d'Arles.
Il faut donc convenir qu'après la convention du 13 mars 1786
il y a eu, entre le sieur Chardigni et les entrepreneurs,
un
nouveau traité qui a dérogé au précédent, et que, par ce nou-
veau traité, il a été convenu d'exécuter en pierre de Calissanne
130 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

ce qui devoit, suivant le premier, n'être exécuté qu'en pierre


d'Arles. Voilà pour les entrepreneurs, qui, en convenant du
traité pour les deux statues, ne peuvent le désavouer relative-
ment au grouppe, puisqu'indépendamment de ce qu'ils ont
fait extraire depuis longtemps les blocs destinés au grouppe,
dans la carrière de Calissanne, il existe de leur part des lettres
écrites au sieur Chardigni, lesquelles justifient que l'exécution
de ce grouppe avoit été convenue en pierre de Calissanne.
Ainsi, point de difficulté, soit sur la substitution faite de la
part des entrepreneurs d'un traité verbal à la convention écrite
du 13 mars 1786, soit sur le pacte convenu d'exécuter en
pierre de Calissanne, tant les deux statues que le grouppe.
Il n'y a pas plus de doute quant à la Communauté. En effet,
elle a reçu dans son enceinte les blocs en pierre de Calissanne
destinés à l'exécution du bas-relief. (Circonstance qui rend
plus mal sonnante dans sa bouche la prétention qu'elle a de
n'être pas liée par la convention que les Consuls de 1787 ont
signée concernant ce même bas-relief.) Elle n'a pas ignoré que
le bloc destiné au grouppe étoit extrait de la carrière. Elle a
reçu, agréé et placé les deux statues de h Religion et de la
Vierge exécutées en pierre de Calissanne. Elle avait délibéré le
20 décembre 1787 sur le point de savoir si le grouppe serait
exécuté en marbre. Enfin, elle a déterminé le 22 février 1789
de se subroger aux droits des entrepreneurs de la paroisse,
pour le fait du marché par eux passé avec le sieur Chardigni.
De là il suit que la Communauté de Toulon a été réelle-
ment et essentiellement liée par le fait de ses entrepreneurs
envers le sieur Chardigni, qu'elle a porté elle-même ce juge-
ment par sa subrogation à leurs droits; qu'enfin l'exécution
que le sieur Chardigni a faite en pierre de Calissanne de tous
les ouvrages dont on lui a fourni les matériaux, n'étant que
le résultat du marché conclu entre, soit les administrateurs,
soit les entrepreneurs et lui, la Communauté n'a pu se dissi-
muler, ni les obligations du sieur Chardigni envers elle, ni les
siennes envers lui.
Celles du sieur Chardigni envers elle consistoient à exécuter
en pierre de Calissanne les ouvrages convenus, à mesure que
les blocs lui en seraient fournis ou placés ; et le sieur Chardigni
n'a rien à se reprocher, puisqu'il a fini les deux statues dont
AVEC LA VILLE DE TOULON I3I
les blocs lui avoient été envoyés ; et que d'ailleurs on ne lui a
encore ni livré les blocs destinés au grouppe, ni placé ceux des-
tinés au bas-relief.
Celles de la Communauté envers lui consistoient à le mettre
en état d'achever ses ouvrages, et à lui payer l'augmentation
de piix qui sera déterminée par rapport au changement de la
qualité de la pierre.
Sur le tout, la Communauté était liée envers le sieur
Chardigni, pour le bas-relief, en force du pacte souscrit le
3
novembre par ses administrateurs en l'année 1787; pour le
grouppe et les deux statues, en vertu des conventions tant
écrites que verbales de ses entrepreneurs aux droits desquels
elle s'est subrogée.
Cela posé, l'on sera probablement en peine de justifier le
parti que la Communauté a pris de s'ériger elle-même un tri-
bunal dans son sein de s'y constituer juge du sieur Chardigni
,
dont elle n'étoit que la Partie; d'y décider contre lui, sans
l'entendre, sans même daigner l'appeller, qu'elle est déliée et
quitte envers lui de ses engagemens, et qu'en un mot, par cela
seul qu'il plaît à la Communauté de réputer cet artiste en
demeure, il doit être condamné à subir la loi qu'on lui
impose, et s'estimer heureux de n'avoir pas été jugé plus sévè-
rement.
Cette décision, au soutien de laquelle tout le système de la
Communauté paroit aboutir, manque essentiellement en fait
et en droit.
En fait, le sieur Chardigni n'a jamais été, ni pu être un
instant en demeure. Il est prouvé par les conventions qui sont
au procès qu'il n'était chargé, ni du transport, ni du placement
des matériaux destinés à ces ouvrages. Il y est démontré que
cette charge concernait les entrepreneurs, il est convenu que
ceux-ci n'ont encore fourni que les blocs desquels le sieur
Chardigni a fait les deux statues. Le bloc destiné au grouppe
est encore à la carrière. Ceux du bas-relief, quoique transpor-
tés à Toulon, n'ont jamais été mis en place. Il y a donc impos-
sibilité qu'il y ait eu demeure de la part de l'artiste.
La même raison le disculpe du reproche qu'on lui a fait de
n avoir pas fini les ouvrages aux termes déterminés.
Ces ouvrages doivent être faits en pierre de Calissanne. Les
132 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

entrepreneurs dévoient la fournir. Ils ne l'ont pas fait. Le


sculpteur a fini tout ce dont on lui a procuré les matériaux.
Il ne peut donc être tenu de rien. Il n'y a point de reproche à
lui faire.
C'est, néanmoins, en cet état que la Communauté a trouvé
bon de se délier de ses engagemens envers le sieur Chardigni.
En droit, l'a-t-elle dû ? L'a-t-elle pu? Ce sont là deux ques-
tions dont la négative est insusceptible de doute.
« L'obligation est un lien de droit qui nous engage néces-
sairement à faire ou à payer quelque chose : obligatio est juris
vinculum, quo necessitate adstrigimur alicujus rei, solvendi secun-
dum ncstroe Civitatis jura. Princ. instit. de ohligationibus. C'est
la définition de l'obligation civile, de la vraie obligation, qui
donne une action en justice, soit qu'elle procède du droit natu-
rel et du droit civil tout ensemble, soit qu'elle procède seule-
ment du droit civil. » Voilà ce qu'enseigne Me Julien dans ses
éléments de Jurisprudence, (liv. 3, tit. 1 des obligations en
général, pag. 295.)
Chacun sait que les contrats sont la moins suspecte, la plus
pure des sources desquelles naissent les obligations. Et puisque
celles naissantes des quasi contrats, des délits et des quasi
délits sont un lien de droit qu'une Partie ne peut rompre invita
et répugnante altéra, il est impossible que celles qui naissent
des contrats ne jouissent pas de la même faveur.
La Communauté de Toulon est trop éclairée pour désavouer
ces principes; elle n'est pas dans une position à pouvoir échap-
per à leurs conséquences. Elle aura beau chercher dans le droit
les diverses manières dont s'éteignent les obligations, elle n'y
trouvera certainement pas qu'un obligé soit quitte parce qu'il
lui plaît de l'être.
En voilà sans doute assez pour prouver que la Communauté
a méconnu ses engagemens et s'est aveuglée sur ses droits.
Elle a méconnu ses engagemens, puisqu'elle a délibéré de
ne pas les remplir.
Elle s'est aveuglée sur ses droits, puisque dans la supposition
même où le sieur Chardigni auroit été en demeure, c'étoit
aux Tribunaux et non à elle qu'il appartenait de juger cette
demeure et d'y imposer la peine qu'elle pouvoit mériter.
Mais, jamais et dans aucun cas, il n'a été ni pu être au pou-
AVEC LA VILLE DE TOULON 133
voir de la Communauté de statuer sur le fait de sa Partie, ni
moins encore de supposer une demeure idéale, et dont l'inexis-
tence est physiquement prouvée, pour en faire le prétexte de
sadélibération.
Le sieur Chardigni a donc été fondé à se pourvoir contre la
délibération du 30 octobre; les vices dont elle est infectée en
garantissent la cassation.
i° Sa contexture seule décèle l'humeur qui l'a dictée. Et
jamais le fruit de l'humeur n'a été l'enfant adoptif de la Jus-
tice.
20 L'on y a jugé le sieur Chardigni sans l'entendre, sans dai-
gner l'appeller. L'on ne fuit pas les instructions quand on ne
veut être que juste.
30 L'on y a posé que le sieur Chardigni était en demeure.
L'inexactitude prouvée de ce fait, dont la lueur a servi à égarer
les délibérans, doit suffire pour éclairer la religion de la Cour
sur le mérite du voeu qu'ils ont donné.
40 L'on y a sciemment sacrifié l'intérêt d'un artiste en lui
faisant supporter la perte d'un temps précieux, pendant lequel
on l'avoit forcé de rester oisif, dans l'attente des matériaux
qu'on lui avoit promis, et que journellement il se flattoit de
recevoir, et sous la foi desquels il n'avoit osé entreprendre
aucun autre ouvrage.
5° L'on y a fourni au public une raison de douter de la
capacité du sieur Chardigni, en le privant d'un ouvrage dont
l'exécution seule auroit pu l'indemniser du préjudice que lui
avoit causé l'oisiveté à laquelle on l'avoit réduit.
6° L'on y a donné l'exemple peu édifiant d'un mépris for-
mel de la foi due aux traités.
7° L'on y a déterminé de faire un ouvrage qui étoit com-
mencé longtemps avant qu'on l'eut délibéré.
8° L'on y a substitué un ouvrier inconnu à un artiste auquel
on ne pouvoit refuser quelques talens, en le jugeant sur ses
modèles qui avoient mérité que l'on s'occupât du projet de les
faire exécuter en marbre.
9° A cette préférence qui n'est assurément pas un acte de
justice de la part de la Communauté, elle a joint un autre
procédé qui ne fait pas mieux l'éloge de son goût. Elle a sub-
stitué le stuc à la pierre de Calissanne. Elle a probablement
134 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

désiré que l'ouvrage eut moins de durée que les traces de son
voeu.
io° L'on y a contredit les vues sages et économiques qui
avoient déterminé les administrateurs de 1787 à subordonner
à la décision des gens de l'art, l'augmentation de prix due au
sieur Chardigni à raison du changement de pierre, puisque la
Communauté, sans consulter autre chose que son zèle pour
un ouvrier qu'il lui plait de favoriser, lui a adjugé de plein
vol la somme de 5.000 liv. pour deux ouvrages en stuc, dont
l'un déjà fini ne l'a pas occupé pendant un mois, et l'autre
est de nature à l'occuper moins encore.
II° Enfin, l'on a attenté à la propriété du sieur Chardigni
en violant le dépôt qu'il avoit fait de ses modèles entre les
mains de la Communauté qui a trouvé bon de les livrer à son
ouvrier pour en faire la copie et les exécuter en stuc.
Il est donc vrai de dire que la délibération du 30 octobre
compromet tout-à-la-fois le nom, les qualités, les intentions,
les talens, la fortune et la propriété du sieur Chardigni.
Que faut-il de plus pour en opérer la cassation ? Que faut-il
de plus pour déterminer la Cour à accorder à un artiste aussi
inconsidérément joué, aussi publiquement outragé, aussi
rigoureusement maltraité, la satisfaction qu'il mérite, et qu'il
réclame dans sa requête principale ?
Cette satisfaction, il ne peut la trouver dans les offres que
la Communauté vient de lui faire le 22 février.
Si le sieur Chardigni étoit tel que la Communauté l'a sup-
posé ; s'il avoit une âme de boue ; si l'intérêt étoit son unique
boussole, il pourroit être tenté d'accepter l'offre qu'on lui fait.
Il pourroit dire : 10.500 liv. me furent promises d'abord
pour l'exécution en pierre d'Arles des deux statues, di<
grouppe et du bas-relief. L'on m'a promis ensuite une aug-
mentation proportionnelle au travail que je me suis obligé de
faire en pierre de Calissanne. Il n'est encore sorti de ma main
que les deux statues : l'on me dispense d'exécuter le bas-
relief, et l'on me paye 10.500 liv. Je dois en être satisfait.
Mais ce n'est point ainsi qu'un homme délicat peut raison-
ner. Ce n'est point ainsi qu'il calcule.
Il dit, au contraire, j'ai fait l'un des dix-huit bas-reliefs dont
le sieur Sigaud m'avoit confié l'exécution lorsque j'allois à
AVEC LA VILLE DE TOULON I35
Rome. J'ai fait en pierre de Calissanne deux statues dont la
valeur absorbe plus de la moitié de l'offre que l'on me fait.
J'ai formé deux modèles. Ils sont ma propriété. On en a
disposé à mon insçu. L'on en a confié l'exécution à un ouvrier
avec lequel je ne veux point de parallèle ; ces modèles étaient
un dépôt entre les mains de la Communauté. Elle l'a violé ;
elle s'est appropriée un bien dont je dois être jaloux. Un bien
dent l'usurpation est inappréciable, parce qu'il n'appartient
qu'à moi de rendre mon idée, d'exprimer fidellement ce que,
seul, j'ai conçu, parce que ma main est le seul instrument
digne de mon génie. En un mot, l'on m'a supposé des torts que
je n'avois pas. L'on m'a prêté des sentimens dont je suis inca-
pable, l'on m'a privé d'un travail dû, d'un bénéfice promis,
l'on m'a frappé d'une exclusion humiliante pour un artiste.
Mon nom, mon honneur, mes talens et mes modèles, tout est
compromis. L'offre pécuniaire émanée de la Communauté
n'est conséquemment ni une indemnité proportionnée au pré-
judice grave qu'elle m'a fait souffrir, ni une satisfaction telle
que j'ai droit de l'attendre à raison des soupçons et des outrages
qu'elle a cumulés sur ma tête, et dont la délibération du
30 octobre est la funeste source.
Il est indispensable d'anéantir cette délibération, ouvrage de
la prévention et de l'humeur; son existence ne peut être légi-
timée aux yeux des loix.
Le sieur Chardigni ne peut consentir ni à laisser subsister
dans les registres de la Communauté un voeu qui le blesse, ni
à laisser subsister dans un lieu public un monument qui
dégrade tout-à-la-fois ses talens et ses principes.
La célébrité ne s'acquiert pas toujours avec de l'or. L'or ne
répare jamais l'atteinte portée à la célébrité.
La Communauté de Toulon ajoute donc une injustice à une
autre, lorsqu'après avoir rendu le sieur Chardigni victime des
passions qu'elle a laissé germer dans son sein, elle croit pou-
voir apprécier au taux de l'ouvrage fait, l'indemnité relative à
l'espèce de flétrissure qui reflue sur l'artiste à raison d'un
ouvrage qu'elle le prive de faire après qu'elle l'a stipulé, et
qu'elle lui en a promis l'exécution.
D'ailleurs, elle devrait sentir que lorsque le sieur Chardigni
s est chargé de ses ouvrages au prix de 10.000 liv., c'est parce
136 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

que devant les exécuter à Rome où il allait séjourner aux


dépens de S. M., il pouvoit faire des sacrifices. C'est aussi par
le désir qu'il avoit d'être à portée de se faire un nom, et sous
ce rapport vrai le prix convenu en 1783 avec le sieur Sigaud ne
peut servir de mête (sic) à l'indemnité du temps utile qu'on
lui a fait perdre depuis 1786.
De plus, en lui offrant les 10.500 liv. promises, la Commu-
nauté de Toulon exige que le sieur Chardigni exécute le
grouppe; elle ne fait donc pas un sacrifice puisque dans ce
sens elle auroit, au grand bas-relief près, tous ses ouvrages
faits en pierre de Calissanne, au prix fixé pour la pierre d'Arles.
Mais, dit-on, le bas-relief a été fait en stuc. Le sieur Roux l'a
fini. Il serait dur d'obliger la Communauté à détruire cet
ouvrage pour le faire exécuter par le sieur Chardigni en pierre
de Calissanne.
Le bas-relief a été fait en stuc. Qu'importe, il n'auroit pas
dû l'être. Il a été commencé avant que la Communauté eut
résolu de le faire. Il l'a été au mépris d'un traité écrit qui pro-
hiboit cette exécution en stuc, puisqu'il l'exigeait en pierre.
Il l'a été brusquement, induement et sur les modèles d'un
artiste qui n'a travaillé que pour lui, et dont il n'a appartenu
ni à la Communauté de s'approprier le travail, ni à un ouvrier
de s'arroger la copie.
Le sieur Roux a fini le bas-relief; il vaut mieux dire qu'il l'a
achevé. On ne lui envie pas son ouvrage; l'on revendique ce
sans quoi il n'auroit rien fait, ce sur quoi il auroit dû ne rien
faire.
Il serait dur de détruire cet ouvrage. Est-il donc moins dur,
moins sensible à un artiste de voir ses modèles livrés, par
ceux auxquels il les a confiés, à un ouvrier quelconque, deve-
nir l'objet d'un travail qu'il ne peut avouer, et se ressentir
peut-être du blâme dont les connoisseurs couvriront l'exécu-
tion?
Le bas-relief a été fait, mais il l'a été par un autre que celui
qui devoit l'exécuter. Il l'a été sans raison, sans motif, et au
mépris d'un traité écrit sur la foi duquel le sieur Chardigni a
été autorisé à se reposer jusques à la réception et au placement
des matériaux promis.
Le bas-relief a été fait. Mais lorsqu'Alexandre fit un édit
AVEC LA VILLE DE TOULON I 37
qui permettoit au seul Appelles de faire son portrait, nul autre
peintre n'avisa d'empiéter sur les droits de cet artiste".
Alexandre étoit persuadé, dit Cicéron, que la gloire d'un
peintre tel qu'Appelles transmettrait la sienne à la postérité. La
réputation du héros étoit garantie par celle du peintre. Ici,
nos neveux jugeront probablement mal des talens du sieur
Chardigni et du goût de la Communauté, s'ils se décident sur
l'exécution en stuc, faite par le sieur Roux des modèles de ce
sculpteur.
Elle veut le grouppe parce qu'il n'est pas fait; elle ne veut
pas du bas-relief parce qu'elle l'a fait faire en stuc au mépris
de ses engagemens, ainsi elle les avoue et les désavoue tout-à-
la-fois sans autre règle que son caprice.
Lorsque les deux statues ont été portées à Toulon, on ne
leur avoit pas encore préparé de place. L'église n'est pas finie
dans ce moment. L'on exige du sieur Chardigni qu'il fasse le
grouppe. Par quelle raison veut-on l'empêcher d'y exécuter le
bas-relief? Ces deux ouvrages à faire pour une église non finie
ne sont-ils pas convenus dans le même traité ?
La Communauté étoit engagée ; elle a contracté un second
engagement qui détruit le premier. Le mal qui en résulte pour
elle n'est pas le plus grave; celui que le sieur Chardigni en
reçoit est au dessus de toute combinaison. C'est là ce qui auto-
rise sa plainte et ses fins subsidiaires.
S'il étoit possible que la Cour trouvât onéreuse pour la
Communauté la destruction de l'ouvrage dont elle a fait brus-
quer l'exécution imparfaite au mépris des titres les plus solen-
nels et les moins contestables; il faudroit sans contredit
dédommager le sieur Chardigni, mais un dédommagement
pécuniaire ne peut lui suffire.
La délibération du 30 octobre doit toujours être cassée,
même dans ce cas, parce qu'elle doit le jour à un exposé évi-
demment inexact; parce qu'elle est conçue en termes inju-
rieux ; parce que, suspecte dans ses motifs, elle est injuste
dans son objet et funeste dans les conséquences qu'elle auto-

1. Cette comparaison que la modestie du sieur Chardigni lui feroit désavouer sans
doute est une leçon tant pour la Communauté de Toulon, obligée par le fait de ess
Lonsuls de 1787, que pour le sieur Roux qui, s'il est ouvrier,
ne doit pas ignorer
1" il n'est jamais permis de s'approprier les modèles d'autrui.
I38 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

rise contre un artiste qui n'a pas démérité, et qui n'a jamais
été un instant en demeure vis-à-vis elle.
Enfin, pour réparer le dommage que le sieur Chardigni a
reçu et peut recevoir encore au moral et au physique par le
fait de la Communauté, non seulement il faudrait casser la
délibération du 30 octobre, et adjuger une indemnité propor-
tionnée au sieur Chardigni, mais il faudrait encore : « i° Que ses
modèles, placés dans un endroit apparent de la paroisse de
Toulon, fussent à portée de frapper les yeux des connoisseurs,
2° Qu'ils fussent décorés du nom de leur auteur, 30 Enfin,
qu'au bas de l'exécution faite par le sieur Roux, il y eut aussi
le nom de cet ouvrier gravé en très gros caractères, afin que
chacun fut en état de voir que si le sieur Roux a exécuté les
modèles du sieur Chardigni, celui-ci, dont les modèles
indiquent les talens, n'est point responsable des défauts de la
copie.
Telles sont les réparations que le sieur Chardigni est en droit
de prétendre, dans le cas où la Cour se déciderait à laisser
subsister l'ouvrage du sieur Roux. Ces réparations, l'honneur
et l'intérêt du sieur Chardigni les exigent ; elles sont la
moindre peine due à la conduite injuste et inconsidérée de la
Communauté.
Mais il est infiniment plus digne d'elle que la Cour la
ramène aux véritables principes. Ses engagements subsistent.
L'oubli qu'elle en a fait sera réputé une erreur. L'erreur est le
partage de l'humanité. Le sieur Chardigni, dépouillé momen-
tanément de ses droits, se fera un devoir de finir un ouvrage
qui lui fut promis. C'est l'unique moyen dont il veuille user,
pour augmenter, s'il est possible, les regrets que la Commu-
nauté doit avoir de sa conduite envers lui.
Conclud à ce que, sans s'arrêter aux offres des sieurs Maire-
Consuls et la Communauté de Toulon, consignées dans leur
délibération du 22 février dernier, faisant droit à la requête
principale du sieur Chardigni du 15 novembre 1788, la déli-
bération de la Communauté de Toulon du 30 novembre pré-
cédent, sera déclarée injuste, contraire aux droits du sieur
Chardigni, et comme telle cassée; ce faisant, les conventions
des 13 mars 1786 et 3 novembre 1787, ensemble le traité ver-
bal dont cette dernière convention avoit été précédée, seront
AVEC LA VILLE DE TOULON 139
exécutés selon leur forme et teneur, sous l'offre que fait le
sieur Chardigni de travailler au bas-relief et successivement au
grouppe, à mesure que les pierres de Calissanne auront été
mises en place ou remises dans son attelier ; et de même suite,
faisant droit à la requête incidente" du sieur Chardigni, les
sieurs Maire-Consuls et Communauté de Toulon seront con-
damnés à faire abattre et détruire le bas-relief en stuc exécuté
par le sieur Roux, ensemble aux dommages-intérêts soufferts
et à souffrir par le sieur Chardigni, suivant la fixation et liqui-
dations qui en seront faites par des gens de l'Art convenus ou
pris d'office, lesquels auront égard à tout ce que de droit, sauf
à la Communauté son recours contre qui elle trouvera bon,
s'il y échoit, et sera ladite Communauté condamnée aux
dépens.
PELLICOT, avocat. — COQUILHAT, procureur.
M. le conseiller de VILLENEUVE DE MONS, rapporteur.

CONSULTATION

Vu le mémoire ci-dessus, et après avoir entendu


W Coquilhat :
Le Conseil soussigné estime qu'il n'est pas permis de se dis-
simuler que la Communauté de Toulon n'a mis dans sa con-
duite envers le sieur Chardigni ni la justice ni les égards que
cet artiste devoit en attendre. Les torts qu'elle lui suppose ne
sont point réels. Ceux qu'elle a et qu'elle avoue sont graves.
Il n'y a donc point matière à compensation. Il ne lui convient
pas d'être en arrière. L'indemnité qu'elle offre ne peut être
réputée satisfactoire. Celles que le sieur Chardigni réclame sont
légitimes. Une administration telle que celle de Toulon a mau-
vaise grâce de faire plaider un artiste à raison de salaires dus
et d'un travail promis, lors, surtout, qu'elle ne peut se flatter
d'avoir pour elle ni la justice, ni les procédés.
Délibéré à Aix, le 25 avril 1789.
PELLICOT, PAZÈRY, DUBREUIL, SIMÉON, avocats.
A Aix, chez Mouret, frères, 1789.
140 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

II
MÉMOIRE

Pour les sieurs Maire, Consuls et Communauté de Toulon,


Lieutenants de Roi, seigneurs de Valdardenne, défendeurs en
requête principale et incidente des 15 novembre 1788 et
3 février 1789, demandeurs en offre contenue dans la délibé-
ration de la Communauté de Toulon, du 2 dudit mois de
février 1789.
CONTRE

Le sieur Chardigni, sculpteur, demandeur et défendeur 1.


Ce dernier affecte de se plaindre de l'administration de
Toulon, et cette dernière est bien plus en droit de se plaindre
de ses procédés. Justement excédée de ses longueurs, elle a pris
le parti de confier à tout autre ouvrier plus expéditif les opéra-
tions pressantes dont il avait rapporté l'entreprise. Sur la
réclamation du sieur Chardigni, elle a pris le parti de le désin-
téresser en le dispensant de faire une partie des ouvrages con-
venus, dont elle a néanmoins offert de lui payer le prix en
entier. Le croirait-on ? Ces offres ont été refusées, et c'est ce
qui fait la matière du procès actuel.
Le fait est bientôt déduit. Le sieur Sigaud, chargé de la
direction de l'édifice de la paroisse Saint-Louis, de la ville de
Toulon, prit sur lui, en 1783, de passer un marché avec le
sieur Chardigni, sculpteur, pour tous les ouvrages de son art,
qu'il jugea nécessaires à l'effet de décorer la paroisse.
Ce premier marché passé en 1783, à l'insu de la Commu-
nauté, fut résilié et remplacé par un autre fait en 1786, aussi à
l'insu de l'administration. Ce second traité intervint entre le
sieur Chardigni et les sieurs Millon et Féraud, entrepreneurs
de la construction de la paroisse. Le premier se soumit par ce
titre à exécuter en pierres d'Arles, dites de Fontvieille, moyen-
nant la somme de 10.500 liv., tous les ouvrages en sculpture
mentionnés dans la convention, consistant : i° au grand bas-
relief du ceintre de la grande nef, conformément au modèle

T. Archives communales, série FF. — 212 à 216 (1688 à 1790).


AVEC LA VILLE DE TOULON 141
qu'il en avoit fait à Rome ; 2° en deux figures de six pieds de
proportion, destinées à être placées dans les deux chapelles du
fond des nefs, l'une représentant la Religion portant un calice,
l'autre représentant la Vierge qui foule un serpent; 30 au
groupe de deux figures, ayant aussi six pieds de proportion,
représentant une Descente de croix ; 40 il fut dit de plus que le
sieur Chardigni fournirait dans l'année un modèle solide de
draperie pour la chaire à prêcher (un modèle en relief pour la
chaire), ayant au moins deux pieds de proportion, sur les
mesures d'un entre-colonnement de la grande nef. Le sieur
Chardigni se soumit à finir tous ces ouvrages pour le temps
où l'église serait achevée, les parties présumant que ce serait
dans le mois de septembre 1787.
Ce terme prévu et contemplé dans la convention étoit
expiré sans que le sieur Chardigni se fût montré dans la ville
de Toulon pour commencer à travailler. Il s'étoit contenté
d'envoyer, en 1786, une caisse contenant des modèles, et
cette caisse fut déposée à l'hôtel de ville. Il parut pour la pre-
mière fois en 1787, et quand il se montra il avoit déjà retiré
des entrepreneurs l'entier paiement du prix de ses ouvrages.
On devient naturellement paresseux quand on a commencé
de toucher et dissiper le prix d'un travail à faire. Arrivé à
Toulon, le sieur Chardigni s'intrigua pour tâcher de se procu-
rer une augmentation de prix. Il proposa d'exécuter en marbre
le groupe représentant la Descente de croix. Il demandoit à
cet effet une augmentation de 10.000 livres. Sa proposition
fut rejettée. Il se replia à demander que le bas-relief du ceintre
de la grande nef fut exécuté en pierre de Calissanne,
sous
prétexte que la solidité et l'importance de l'ouvrage exigeoient
ce changement. Il parvint à le persuader aux Consuls d'alors
qui autorisèrent le sieur Chardigni, le 3 novembre 1787, à
exécuter en pierre de Calissanne le bas-relief représentant saint
Lvuis, à l'article de la mort, donnant à son fils ses instructions
pour gouverner l'Etat. Ce bas-relief était destiné à être placé
sur la grande plate-bande formant l'entrée du sanctuaire, qui
devoit être fait en pierre d'Arles, sauf y est-il dit, de détermi-
ner, lorsque l'ouvrage sera fini, l'augmentation de prix que ce
changement de matière pouvoit mériter.
Jusqu'alors la Communauté n'était entrée pour rien, soit
142 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

dans le traité de 1783, soit dans celui de 1786, soit encore


dans celui du 3 novembre 1787. Ce ne fut qu'après ce dernier
traité, et dans l'objet de rapporter son consentement, que les
Consuls en donnèrent connoissance au Conseil. On n'auroit
pas désapprouvé la substitution de la pierre de Calissanne à la
pierre d'Arles, quant au bas-relief, si l'on avoit été d'accord
sur le prix, et si l'on avoit pu fixer à quoi cette nouvelle
dépense aurait pu se monter. De là vient la délibération prise
à cette époque par la Communauté de Toulon, portant qu'a-
vant de rien statuer sur cette substitution d'une espèce de
pierre à l'autre, on conviendrait préalablement de l'augmenta-
tion du prix. Cette délibération étoit dans l'ordre des règles et
dans les principes d'une administration sage et prudente. Avant
de s'engager dans le surcroît de dépense, il falloit en con-
noitre le montant, surtout vis-à-vis qui avait reçu et mangé
d'avance le montant de son travail, et à l'encontre de qui l'on
^ouvoit craindre qu'il ne sollicitât des augmentations pour se
trop avantager sur le supplément du prix.
Le sieur Chardigni ne vit en cela rien que de raisonnable.
Il disoit aux Consuls, dans sa lettre du 4 mars 1788, que
l'administration devoit avoir décidé si le groupe devoit être
exécuté en marbre ou en pierre. Il demandoit qu'on fît mettre
au plutôt en place la pierre de Calissanne pour l'exécution du
bas-relief; il lui fut répondu qu'il ne devoit pas ignorer que
le projet de l'exécution du groupe en marbre avoit été rejette,
et que la substitution de la pierre de Calissanne à celle d'Arles,
pour le grand bas-relief, pourroit avoir lieu à condition qu'on
conviendrait préalablement du prix que ce changement pour-
roit occasionner; qu'en conséquence la pierre de Calissanne
serait, dans ce cas, mise en place incessamment, bien entendu
que dans ce cas il mettrait incessamment la main à l'oeuvre, à
défaut de quoi la soumission resterait sans effet.
Le sieur Chardigni répondit à cette lettre qu'il n'avoit
connu les intentions du Conseil municipal, sur l'exécution du
groupe en marbre, que par ce qu'on venoit de lui en mander.
Cela n'étoit pas exact. Il en étoit instruit depuis longtemps. Il
ajouta que pour ce qui concernoit l'exécution du bas-relief en
pierre de Calissanne, la chose étoit décidée au moyen de la
convention du 3 novembre 1787, qu'il n'étoit pas question là-
AVEC LA VILLE DE TOULON I43
dessus de fixer un prix préalable ; que la convention fixoit son
sort et ses droits, et que si l'on n'étoit pas d'accord sur l'aug-
mentation du prix, l'estimation en seroit faite, après l'ouvrage
fini, par des Académiciens.
Telle est exactement la marche du sieur Chardigni. On sent
qu'elle n'étoit pas propre à rassurer l'administration de la
Communauté de Toulon, qui avoit déjà payé le prix des
ouvrages convenus, et qui vouloit surtout ne pas s'exposer à
des contestations ultérieures pour la fixation du prix, relati-
vement aux changements à faire dans la matière du bas-relief.
Cet état d'embarras laissa les choses en suspens jusqu'au
mois de septembre 1788. Dans l'intervalle, le sieur Lantier,
premier Consul de Toulon, avoit fait un voyage dans cette
ville, où il avoit eu occasion de voir le sieur Chardigni et de
l'engager à convenir de l'augmentation du prix. Le sieur
Chardigni lui écrivit que, pour exécuter en pierre de Calissanne
les deux statues destinées à être placées dans les deux chapelles
et le groupe du Christ, il en coûterait 10.000 liv., et qu'il en
coûterait 9.000 liv. pour l'exécution du bas-relief en pierre
de Calissanne.
Tout cela justifia les craintes de la Communauté de Toulon.
Il ne fut plus possible dès lors de se dissimuler que le sieur
Chardigni ne désiroit convertir les matières qui dévoient ser-
vir à l'exécution des ouvrages promis que pour se procurer
une augmentation considérable ec pour engager la Commu-
nauté dans un surcroit de dépense que cette dernière ne vou-
loit et ne pouvoit pas faire. Quelle fut la réponse du sieur
Lantier? Elle porte qu'ayant voulu sonder, à cet égard,
quelques-uns de ses amis, ils avoient partagé son étonnement
sur l'excès du prix auquel il portoit la main d'oeuvre des deux
statues et du grouppe ; qu'il croyoit, sans pouvoir rien assu-
rer de positif, qu'il seroit possible d'y faire consentir le Con-
seil de la Communauté, s'il vouloit se réduire à 7.000 liv.;
mais que, dans ce cas, il devoit se charger de faire transporter
à Toulon les deux statues qu'il disoit déjà être faites, comme
encore d'exécuter le groupe de la Descente de croix, et qu'a-
près ces ouvrages finis, l'idée avantageuse qu'il donnerait de
ses talens déterminerait le Conseil à traiter, selon ses désirs,
pour le grand bas-relief. Mais cette lettre du sieur Lantier au
SIeur Chardigni resta sans réponse.
ART FR. X 10
144 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

Dans cet état des choses il étoit toujours plus essentiel pour
la Communauté que l'entière exécution des ouvrages à faire
pour la décoration de la paroisse ne fut pas plus longtemps
retardée, à l'effet que le service divin y fut célébré. La construc-
tion de l'église touchoit à sa fin. Il n'était pas possible de s'en-
tendre avec le sieur Chardigni. Ce dernier avoit reçu le prix
entier des ouvrages sur lesquelles il avoit été traité. Il vouloit
une augmentation. Il se prévaloit de la convention qu'il avoit
passée avec les Consuls, le 3 novembre 1787. Mais les Consuls
avoient-ils pu obliger la Communauté ? Le sieur Chardigni
n'auroit-il pas dû savoir que la convention qu'il passoit avec
eux ne pouvoit tenir et avoir son effet qu'autant qu'elle seroit
approuvée par la Communauté ? On avoit, dans cet état des
choses, la perspective d'un procès dont on étoit menacé de la
part du sieur Chardigni, qui regardoit cette convention comme
un titre. Il étoit pressant de mettre l'église en état de service.
C'est dans cet état que, pressé par le besoin et la force supé-
rieure des circonstances, la Communauté prit le parti d e faire
exécuter en stuc le bas-relief de l'entrée du sanctuaire et la
Descente de croix; et, à cet effet, elle passa une convention,
le 26 septembre dernier, avec le sieur Roux qui se soumit à
faire ces deux ouvrages en stuc non moulé, moyennant le prix
de 5.000 liv., savoir : le bas-relief 3.000 liv. et la Descente
de croix 2.000 liv., avec cette condition qu'il seroit tenu de
fournir les matériaux nécessaires, et d'achever et perfectionner
lesdits ouvrages par tout le mois de décembre, et qu'il seroit
loisible audit sieur Chardigni de se substituer à son lieu et
place, aux mêmes clauses, prix et conditions.
L'administration rendit compte de sa conduite et de ses
motifs à M. l'Intendant, en le suppliant de vouloir bien
interposer son autorité pour porter cet artiste à remettre à la
Communauté les deux statues qu'il disoit avoir faites, en offrant
de se départir de toute recherche sur les 10.000 liv. qu'il
avoit reçues. Le sieur Chardigni prétendit qu'il n'étoit point
en demeure; que la Communauté ne devoit s'en prendre qu'à
elle-même si l'exécution des ouvrages n'étoit pas encore finie.
Il prétendit surtout qu'on ne pouvoit traiter avec personne
autre que lui pour l'exécution du bas-relief et de la Descente
de croix. Il lui fut répondu qu'il n'avoit jamais traité avec la
AVEC LA VILLE DE TOULON 145
Communauté qui ne pouvoit, en règle, être liée par les diffé-
rents marchés faits à son insçu ; que la convention du
3
novembre 1787, passée au sujet du changement de pierres
d'Arles en pierres de Calissanne pour le bas-relief, étoit éga-
lement étrangère à la Communauté; que cette dernière ne
l'avoit jamais approuvée, qu'elle avoit déclaré nettement son
intention là-dessus ; que le sieur Chardigni n'avoit jamais voulu
convenir préalablement du prix de cette augmentation. Pour
n'avoir aucune contestation, la Communauté fit offre de don-
ner la préférence au sieur Chardigni sur les ouvrages qui
restoient encore à faire sur les prix qui avoient été convenus
avec le sieur Roux, pourvu qu'il voulût se mettre au lieu et
place de ce dernier, et sous les conditions : i° qu'il seroit
rendu à Toulon, le 25 octobre lors prochain, pour mettre la
main à l'oeuvre et travailler sans discontinuation ; 2° qu'il
feroit transporter incessamment à Toulon les deux statues
qu'il disoit avoir exécutées à Aix pour les autels des petites
nefs.
Ces offres ne furent pas acceptées. Le sieur Chardigni
s'obstina toujours à soutenir qu'il n'étoit point en demeure,
que la Communauté se trouvait liée par la convention faite
par les Consuls, le 3 novembre 1787, qu'elle avoit à se repro-
cher de n'avoir pas fait mettre en place la pierre de Calissanne
pour l'exécution du bas-relief. Il demanda le délai de huit
mois pour exécuter les ouvrages commis au sieur Roux, et une
année entière pour les exécuter en pierre de Calissanne. Ce fut
sur ce dernier mot du sieur Chardigni, constaté par une lettre
de M. l'Intendant, du 25 octobre 1788, que la Communauté
considérant que les délais demandés par cet artiste étoient
incompatibles avec les voeux du public et les besoins des
paroissiens, avec la nécessité pressante de célébrer le service
dans la nouvelle église, prit, le 3odumême moisd'octobre 1788,
la délibération qui renferme
son voeu définitif et par laquelle
elle décida : i° qu'elle ne pouvoit point être liée
par les mar-
chés passés avec les entrepreneurs sans sa participation; 2°
que,
quand même les marchés auroient pu former un titre obliga-
toire contr'elle, elle auroit été déliée par la demeure du sieur
Chardigni à remplir
ses engagemens dans les termes convenus;
V qu'en supposant encore que la convention du 3 sep-
140 PROCES EU SCULPTEUR CHARDIGNY
tembre 1787, pour exécuter en pierre de Calissanne ie bas-
relief de saint Louis, qui devoit être en pierre d'Arles, put
faire excuser sa demeure, elle n'auroit pu lui servir que pour
cet article, et non pour le surplus des ouvrages dont il étoit
chargé ; 40 que cette convention n'auroit pu lier la Commu-
nauté, qu'en tant qu'elle auroit été ratifiée par le Conseil
municipal, qui ne voulut l'approuver qu'autant que le sieur
Chardigni conviendrait auparavant de l'augmentation de prix
que le changement 'de matière pourroit mériter, et que ce
refus opérait de plein droit la nullité de ladite convention ;
5" qu'elle se trouve plus particulièrement annullée par le refus
que le sieur Chardigni a fait d'exécuter en stuc le bas-relief de
saint Louis et la Descente de croix, aux prix et aux conditions
portées par le marché que les Consuls passèrent, sauf la ratifi-
cation du Conseil, au sieur Roux, le 26 septembre dernier. Sur
ces considérations, l'assemblée délibéra de ratifier le marché
passé au sieur Roux, pour être exécuté sans délai, suivant la
forme et teneur. Les Consuls furent priés en conséquence de
faire tenir la main à son exécution, pour que le service divin
ne fût pas plus longtemps retardé.
Il fut, de plus, ajouté qu'attendu que le sieur Chardigni
avoit déjà exigé les 10.500 liv. du montant de son marché,
sans avoir remis ni fini aucun des ouvrages qui s'y trouvent
énoncés, il seroit notifié aux entrepreneurs de se pourvoir eux-
mêmes contre le sieur Chardigni, pour se procurer le rem-
boursement des sommes avancées, sauf à la Communauté de
leur tenir compte du coût des deux figures de la Religion et
de la Vierge, d'après la fixation qui en seroit faite, relativement
au prix de leur marché, sous la condition néanmoins que les
figures seraient délivrées à la Communauté avant la fin du
mois de décembre lors prochain.
Telle est exactement l'histoire des faits qui ont précédé le
procès. Le sieur Chardigni s'est pourvu à la Cour par sa
requête du 15 novembre 1788, tendante en ajournement aux
délais de l'ordonnance contre les sieurs Maire, Consuls et
Communauté de Toulon, pour venir voir dire que faisant
droit à son opposition envers la délibération du 30 octobre 1788,
la délibération sera déclarée injuste, contraire à ses droits, et
comme telle, cassée; ce faisant, les conventions des
AVEC LA VILLE DE TOULON 147

13 mars 1786 et 3 novembre 1787, seront exécutées suivant


leur forme et teneur, sous l'offre qu'il fait de travailler au bas-
relief, et successivement au groupe, à mesure que les pierres
auront été mises en place ou lui auront été remises ; et, dans
le cas où la Communauté continuerait à prétendre de n'être
pas liée par ladite convention, audit cas, ledit sieur Chardigni
demande acte, sauf tous ses droits, contre qui il appartiendrait;
que 1a délibération du 30 octobre sera déclarée nulle en ce
qu'elle ratifie un marché fait pour la copie des modèles qui
n'appartiennent point à la Communauté, laquelle sera, de plus,
condamnée à la restitution desdits modèles, le tout avec
dépens. Le sieur Chardigni demanda de plus, dans cette même
requête, qu'attendu l'effet suspensif de l'opposition relevée
à toute délibération, inhibitions et défenses seraient faites, soit
au sieur Roux, soit à tous autres de copier ses modèles, avec
injonction aux Consuls de les garder sous la clef comme
séquestres et dépositaires de justice, et sans que qui que soit
puisse les copier jusqu'à ce qu'autrement soit dit et ordonné.
La Cour, sur cette requête, accorde l'acte sur l'opposition
et l'ajournement, demeurant tout en état jusqu'à la réponse.
Le décret de tout en état étoit trop tardif. Le bas-relief dont le
sieur Roux étoit chargé étoit fini depuis quelques jours lors
de la signification du décret. Les Consuls répondirent que la
Communauté obéiroit au décret de tout en état, pour l'exé-
cution du marché passé au sieur Roux, au chef qui a pour
objet le groupe représentant la Descente de croix ; mais que ce
décret ne pouvoit avoir son effet au chef qui avoit pour objet
l'exécution du bas-relief représentant saint Louis à l'article de
la mort, attendu que, depuis quelques jours, cet ouvrage étoit
entièrement fini et perfectionné.
Et comme le sieur Chardigni avoit annoncé dans sa requête
que les deux figures représentant la Vierge et la Religion
seraient finies au commencement de décembre, il fut dit dans
la même réponse des Consuls qu'on donnerait des ordres pour
transporter le 15 décembre lors prochain ces deux statues à
Toulon.
La Communauté aurait pu défendre sur le fonds de cette
requête, mais, considérant que les fonds qui ont été avancés au
sieur Chardigni n'existoient plus et qu'il valoit mieux finir
I48 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

avec cet artiste, même en faisant des sacrifices, que de soutenir


contre lui un litige dont le succès lui seroit infructueux, prit le
parti de s'arranger et d'étouffer le procès dans sa naissance.
Ses administrateurs conçurent le projet de désintéresser plei-
nement le sieur Chardigni, même en le délivrant d'une partie
de ses obligations. Ils soumirent ce projet aux Conseils de la
Communauté, qui ne purent que l'approuver. Sur la connois-
sance qu'eut le sieur Chardigni de ce projet et avant qu'il fut
consommé, le sieur Chardigni se pourvut incidemment par
devant la Cour et par une requête incidente du 3 février 1789,
par laquelle se prétendant offensé, soit par les procédés de la
Communauté, soit par l'exécution du bas-relief, il demanda
que les sieurs Consuls et Communauté de Toulon fussent
condamnés : i° à faire abattre et détruire le bas-relief exécuté
par le sieur Roux; 2° aux dommages et intérêts qu'il prétend
avoir soufferts, et ce suivant la liquidation à faire par experts
convenus, autrement pris et nommés d'office. Cette requête
incidente fut présentée, comme on vient de l'observer, dans
un temps où le sieur Chardigni était instruit des dispositions
de l'administration qui vouloit acheter la paix par de plus
grands sacrifices. Il se pressa d'envenimer ou d'aggraver le
litige pour se ménager un prétexte de le continuer et de rendre
inutiles les dispositions dans lesquelles l'administration de
Toulon étoit de tout finir.
Mais cette administration n'en resta pas moins ferme dans
ses principes. On rapporta la consultation qui doit précéder
en pareil cas les démarches de toute communauté. Son plan
de pacification fut approuvé par ses Conseils. Nous allons
bientôt en rendre compte. La consultation fut référée dans
l'Assemblée ou Conseil du 24 février 1789. Il y fut délibéré de
conclure dans le procès en conformité de la consultation rap-
portée. C'est cette délibération qui renferme des offres que le
sieur Chardigni a trouvé bon de refuser et qui servent de base
principale à la défense que nous nous proposons.
Le Procureur de la Communauté fut autorisé à déclarer au
sieur Chardigni que cette dernière se subroge aux droits des
entrepreneurs de la paroisse pour le fait du marché passé par
eux avec ledit sieur Chardigni qui sera soumis à tenir compte
a la Communauté des à-comptes que ces entrepreneurs lui ont
AVEC LA VILLE DE TOULON 149
donné et qu'au bénéfice de cette subrogation la Commission
se soumet à faire toucher au sieur Chardigni les 10.500 livres
du prix porté par la convention par lui passée avec les entrepre-
neurs, sous la déduction des sommes par lui reçues, et qu'en
recevant les deux figures qu i doivent être placées dans le fonds
des nefs, ainsi que le groupe représentant la Descente de croix
en pierre d'Arles, ainsi qu'il est porté par ledit marché, elle
dispense le sieur Chardigni d'exécuter le grand bas-relief
représentant saint Louis mourant et de fournir le modèle de la
draperie pour la chaire à prêcher, quoique ces deux opérations
lui fussent imposées par la convention faite avec les entrepre-
neurs et que le prix en fut compris dans les 10.500 liv. dont
la Communauté offre de lui tenir compte, se condamnant la
Communauté à tous les dépens de cette qualité, et à l'égard de
la requête incidente présentée à la cour par le sieur Chardigni,
il fut délibéré d'y défendre et d'en requérir le déboutement
avec dépens là où au bénéfice de l'offre faite par la Commu-
nauté, le sieur Chardigni ne se départirait pas de sa préten-
tion. La permission de plaider a été rapportée en conséquence
et tel est l'état du procès. On entend bien que la restitution
des modèles n'a jamais fait matière à contestation.
On avait cru qu'au moyen des offres dont on vient de par-
ler, tout procès sur l'exécution des traités faits avec le sieur
Chardigni, ne pourroit que finir. Qu'avoit-il à demander quand
on consentoit à lui donner le prix entier de son travail en le
dispensant d'en remplir une partie ? Que pouvoit-il demander
de plus que l'honoraire promis ? Et ne le traite-t-on pas avec
une douceur infinie, lorsqu'en lui donnant d'un côté cet hono-
raire, on le dispensoit d'une partie de la peine à laquelle cet
honoraire était attaché ? C'est pourtant ce que le sieur Chardi-
gni ne veut pas entendre. 11 persiste dans les fins de ses deux
requêtes. La délibération prise par la Communauté, le
15 octobre 1788, est, dit-il, précipitée. Il n'étoit point en
demeure. Ce titre nuit d'ailleurs à sa propriété,
en livrant à
tout autre qu'à lui l'exécution d'un modèle qui étoit son
ouvrage ; 2° en le privant du bénéfice sur la foi duquel il avoit
inventé et fait le modèle dont l'exécution seule auroit
pu l'in-
demniser ; 30 en annulant par voie de fait des
engagemens qu'il
n avoit pas dépendu du sieur Chardigni de remplir ; 40 en
150 PROCES DU SCULPTEUR CHARDIGNY

mettant à sa charge, ou, ce qui revient au même, en ne l'in-


demnisant pas de la perte du temps pendant lequel il avoit
attendu les blocs de pierre sans pouvoir entamer d'autres
ouvrages, et, finalement, la délibération nuit, dit-il encore, à
sa réputation par l'imperfection éventuelle d'une copie qui,
mal exécutée, pourroit nuire à l'auteur du modèle dans l'es-
prit des connoisseurs.
Tel est le système du sieur Chardigni. La réfutation en sera
plus longue que pénible, et quoiqu'on ait tiré de sa cause tout
le parti qu'on pouvoit en tirer, il reste toujours à conclure,
après ce qu'on a trouvé bon d'en dire, que la Communauté l'a
mis hors d'intérêt par le moyen des offres contenues dans sa
délibération du 22 février dernier, et nous avons cette conso-
lation que si, d'un côté, les Conseils du sieur Chardigni ont
pensé qu'une administration telle que celle de Toulon a mau-
vaise grâce de faire plaider un artiste à raison des salaires dus
et d'un travail promis, lors surtout qu'elle ne peut se flatter
d'avoir pour elle ni la justice ni les procédés, de l'autre, les
sieurs Procureurs du pays, en donnant leur avis très impartial
sur le procès, n'ont pu s'empêcher de dire que les offres de la
communauté sont si satisfactoires qu'on ne peut qu'y recon-
naître les sentimens qui ont toujours dirigé l'administration de
cette ville.
Venons à présent à la discussion des moyens. Le sieur
Chardigni est opposant à la délibération du 30 octobre 1788.
Cette délibération est, dit-il, précipitée. Elle n'est pourtant
venue qu'après de longs débats, qu'après une entière et pleine
instruction des difficultés qui agitoient les parties. On n'avoit
pas pu parvenir à s'accorder. Il étoit clair qu'on n'y parvien-
drait pas. Cependant la construction de la paroisse étoit ache-
vée ou au moment de l'être. Il étoit pressant d'y célébrer le
service divin et de remplir les besoins du peuple. Le sieur
Chardigni demandoit huit mois pour exécuter le bas-relief en
stuc, et une année pour en faire l'exécution en pierre de
Calissanne. Il étoit impossible de donner un terme aussi long
et de suspendre jusqu'alors la célébration des offices paroissiaux.
A la rigueur on auroit pu méconnoître la convention de 1786,
passée par les entrepreneurs, sans aucune participation de la
part de la Communauté. Cependant l'administration avoit bien
AVEC LA VILLE DE TOULON 151
voulu se prêter à son exécution ; mais telles n'étoient pas les
vues du sieur Chardigni. Il avoit reçu le prix en entier de ce
traité. Il désirait un supplément d'ouvrage et, par conséquent,
un supplément de prix. De là vient la tentative qu'il avoit
faite pour être autorisé à exécuter en marbre le groupe de la
Descente de croix; de là vient, après le rejet de ce projet, la
convention du 3 novembre 1787, dans laquelle il induisit les
Consuls d'alors à substituer la pierre de Calissanne à celle
d'Arles pour le bas-relief représentant saint Louis à l'article de
la mort. Le sieur Chardigni vouloit que cette convention fût
exécutée. La Communauté prétendoit avoir raison qu'elle ne
devoit pas l'être. Elle ne vouloit supporter ni les longueurs ni
l'augmentation de dépense que cette substitution devoit entraî-
ner. Le sieur Chardigni devoit se dire que cette convention du
3
novembre 1787, passée par les Consuls, ne pouvoit lier la
Communauté. La Cour sentira combien il étoit prudent et
nécessaire pour l'administration de ne pas s'endosser cette nou-
velle dépense sans savoir auparavant jusqu'où elle pouvoit aller.
Le renvoi de la fixation que le sieur Chardigni vouloit faire à
des Académiciens, après l'ouvrage fait, pouvoit-il se lier avec
les principes d'une administration sage et bien ordonnée ? Le
sieur Chardigni n'erroit-il pas en droit quand il soutenoit que
cette convention du 3 novembre 1787 devoit être exécutée?
Avoit-il jamais pu ignorer que le fait et l'engagement des
Consuls dans une matière de cette importance ne peut jamais
lier la Communauté, et pouvoit-il se dissimuler qu'il n'avoit
même rien à prétendre là-dessus contre les Consuls au person-
nel, parce qu'il avoit connu ou dû connoître l'inconsistance et
l'imperfection du titre ? Il avoit dû savoir que l'engagement
des Consuls, comme Consuls, ne pouvoit lui servir de titre
qu'autant que ces derniers seraient autorisés par une délibéra-
tion? Delà il ne pouvoit pas se plaindre de l'inexécution de
cette convention, qui n'auroit jamais pu devenir un titre,
qu'autant que la Communauté l'aurait approuvée. Delà il ne
pouvoit pas même dire que les Consuls sont ses garans per-
sonnels : i° parce que ces derniers ne l'avoient point trompé.
Us l'avoient autorisé comme Consuls, mais non comme étant
autorisés, à cet effet par la Communauté ; d'où le sieur Chardi-
gni avoit dû conclure, dans tous les tems, que l'engagement
152 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

ne seroit valable qu'autant qu'il seroit légitimé et rendu


propre à la Communauté par une délibération. 2° Parce que
les choses étoient dans leur entier lorsque l'objet ayant été
porté au Conseil de la Communauté, il y avoit été délibéré de
n'approuver l'engagement à l'effet de substituer la pierre de
Calissanne à celle d'Arles quant au bas-relief, qu'autant que
l'augmentation du prix en seroit préalablement convenue et
fixée.
Où est donc, dans cet état de choses, la précipitation, et à
quel titre le sieur Chardigni pourra-t-il s'en plaindre? On
n'avoit pu s'accorder sur aucun de ces objets ; le peuple étoit
en souffrance ; les besoins de la paroisse étoient pressans. Dans
ces circonstances, la Communauté peut-elle être blâmée si,
lasse de tous les débats et des longueurs du sieur Chardigni,
elle prit enfin la délibération du 30 octobre 1788, portant que
le bas-relief et la Descente de croix seront exécutés en stuc par
le sieur Roux, au prix de 5.000 livres ?
Cette délibération, nous dit-on, est insultante; on y voit
transpirer l'aigreur et l'humeur, et cependant on doit des
égards à l'homme, au citoyen et à l'artiste. Ce premier grief
n'a rien que de vague et d'indéterminé ; on ne s'est rien permis
dans la délibération qui puisse être présenté comme injure,
rien qui puisse produire dans l'âme du sieur Chardigni
l'ombre même d'un ressentiment légitime ; et l'on sent bien que
si l'on avoit excédé les justes bornes dans la rédaction de cette
délibération, le sieur Chardigni, délicat et chatouilleux, comme
il se montre dans ce procès, ne nous auroit pas manqué; il
demanderoit le biffement et des réparations. Mais il sait trop
bien que la Communauté de Toulon n'a jamais voulu le
déprimer; elle honore ses talens et sa personne, et, dut-on
comparer son ciseau au pinceau d'Apelles, il n'en seroit pas
moins vrai qu'en qualité d'artiste français, il est citoyen, et
qu'en exacte règle, il n'auroit pas à se plaindre d'un titre qui,
après 'des longueurs sans fin, a donné à tout autre que lui
l'exécution des ouvrages dont il avoit déjà reçu le prix, et sur
lesquels il faisoit entrevoir des embarras et des procès sans fin.
Mais ce n'est plus là notre question. La délibération du
30 octobre 1788 aura, si l'on veut, tous les vices ensemble.
Dans cette hypothèse, ne sera-t-il pas vrai que la Communauté
AVEC LA VILLE DE TOULON I$3
de Toulon a totalement désintéressé le sieur Chardigni par sa
délibération du 22 février dernier ? Elle laisse à cet artiste les
10.500 liv. du prix porté par la convention passée en 1786.
Elle ne lui demande que les deux statues et le groupe en
pierre d'Arles. Elle le dispense du bas-relief et du modèle de la
draperie de la chaire à prêcher. Par surabondance et pour ne
laisser subsister aucun germe de difficulté, la Communauté de
Toulon s'est condamnée à tous les dépens de cette qualité. On
demande au sieur Chardigni ce qu'il pouvoit désirer de plus.
On le dispense d'une partie du travail porté par la convention
de 1786, et on le paye comme s'il l'avoit fait en entier, et c'est
néanmoins au préjudice de cette offre sortant du sein de l'ad-
ministration, approuvée par ses Conseils, consignée dans une
délibération solennelle, et surtout applaudie par l'administra-
tion de la province ; c'est, disons-nous, au préjudice de cette
offre que le sieur Chardigni s'obstine à conclure à ce que les
conventions du 13 mars 1786, 3 novembre 1787 et le traité
verbal dont cette dernière avoit été précédée, seront exécutées
selon leur forme et teneur, sous l'offre qu'il fait de travailler
au bas-relief et successivement au groupe, à mesure que les
pierres de Calissanne auront été mises en place ou remises
dans son atelier.
Le sieur Chardigni veut donc absolument exécuter le bas-
relief en pierre de Calissanne. La Communauté ne le veut pas.
Elle a d'autant plus de raison de ne pas le vouloir que ce bas-
relief est déjà exécuté en stuc par le sieur Roux. Elle s'en con-
tente. Pourquoi la forceroit-on à une nouvelle dépense que le
sieur Chardigni faisoit monter à 7.000 liv.? Nous regardons
ici la convention de 1786 comme devant être exécutée, d'au-
tant que, dans le système de ses offres, la Communauté
déclare se subroger aux lieu et place des
entrepreneurs. Mais
que portoit cette convention? i° l'exécution des deux statues;
20 celle du groupe représentant saint Louis; 30 celle du bas-
relief, le tout en pierre d'Arles 4" et finalement, la fourniture
;
d'un modèle de draperie (de chaire)
pour la chaire à prêcher.
Quel étoit le prix de ce travail irrévocablement fixé
par la
convention? 10.500 livres. Le sieur Chardigni ne pouvoit rien
prétendre de plus. La Communauté pouvoit,
en lui payant
cette somme, le dispenser de travailler pour elle. Elle avoit le
154 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

droit de ne pas vouloir de son ouvrage, quelque excellent qu'il


pût être. Elle pouvoit recevoir les statues, le bas-relief et le
groupe, et les laisser dans un coin. Il lui étoit libre de recevoir
le modèle de la draperie pour la chaire à prêcher et de n'en pas
faire usage, de donner à tout autre le soin de faire un autre
modèle. Le sieur Chardigni n'auroit pas pu s'en plaindre.
Tous ses droits aboutissaient à se faire payer la somme de
10.500 liv. formant le prix convenu de son travail. Cette
somme lui est donnée, en le dispensant du bas-relief et de
fournir le modèle de la draperie pour la chaire à prêcher.
Comment pourra-t-il donc s'en plaindre? La convention de
1786 lui donnoit le droit de faire ce travail moyennant l'hono-
raire promis. Quel tort lui fait-on en lui payant l'honoraire
sans le soumettre à faire tous les ouvrages promis? Il n'a donc
pas à demander l'exécution de la convention de 1786, puisque,
quant à ce qui le concerne, cette convention est pleinement
exécutée, et qu'elle l'est même d'une manière très avantageuse
pour lui. Cette convention est concentrée sur deux objets :
d'une part elle exprime le travail et la matière sur laquelle il
doit être exécuté, de l'autre elle exprime le prix qui en est le
corrélatif. Le travail est au profit de la Communauté, le prix
au profit du sieur Chardigni. L'exécution de ce titre est donc
pleinement consommée quant à ce dernier, dès qu'il aura reçu
le prix en entier.
Le sieur Chardigni demande encore l'exécution d'un accord
verbal qu'il dit avoir passé avec les entrepreneurs pour exécuter
les deux statues et le groupe en pierre de Calissanne, sauf
l'augmentation du prix. Il ne conste de rien de pareil. Ce
n'est pas avec des accords verbaux qu'on peut procéder vis-à-
vis des Communautés. D'ailleurs l'évidence est toute contraire.
Quand il fut question de substituer la pierre de Calissanne a
celle d'Arles, pour le bas-relief, il en fut passé une convention
formelle; c'est du 3 novembre 1787, qui ne porte que sur le
bas-relief, et non sur les deux statues et le groupe représentant
la Descente de croix. Il n'y a donc pas à s'occuper de cet
accord verbal que la Communauté n'a jamais connu, sur
lequel elle n'a jamais compté, et dont l'exécution peut d'autant
moins être ordonnée que la Communauté a déclaré se conten-
ter du groupe de la Descente de croix exécuté en pierre
AVEC LA VILLE DE TOULON 155
d'Arles. Ainsi le sieur Chardigni auroit été fondé à dire que la
convention de 1786 devoit être exécutée, d'autant que la
Communauté s'est soumise à l'adopter, en prenant en mains
le fait et cause des entrepreneurs quant à ce. Mais ce titre est
pleinement exécuté vis-à-vis le sieur Chardigni, au moyen de
l'offre qu'on lui. a faite de lui payer l'honoraire en entier,
comme s'il avoit délivré les ouvrages portés par le titre.
Il ne reste donc plus que la convention du 3 novembre 1788.
Cette pièce uniquement fondée sur la considération que la
pierre d'Arles ne pourroit pas donner à un ouvrage tel que le
bas-relief la solidité et la durée qu'il exige, ni permettre à
l'artiste de le perfectionner, prouve, par ces motifs qui s'y
trouvent exprimés, que le sieur Chardigni la provoqua, vis-à-
vis les Consuls qui se trouvoient alors en exercice. Après ces
motifs, on y trouve les termes suivants : Nous, Maire-Consuls,
pour le plus grand intérêt de la Communauté, autorisons le
sieur Chardigni à faire cet ouvrage en pierre de Calissanne,
sauf de déterminer, lorsqu'il sera fini, l'augmentation de prix
que ce changement de matière est dans le cas de mériter;
chargeons en conséquence les sieurs Millon et Féraud de pro-
curer au sieur Chardigni le plus promptement qu'il sera pos-
sible les blocs de pierre de Calissanne nécessaires, en observant
qu'ils soient d'une belle qualité et sans défaut, et de les appor-
ter à Toulon, où l'ouvrage sera fait sans interruption.
Deux réflexions se présentent sur cette pièce : i° Ce n'est
qu'improprement que nous lui avons donné jusqu'à présent le
nom de convention. Elle ne renferme, proprement, qu'un
ordre provoqué, une disposition sollicitée par le sieur Chardi-
gni. C'est un simple projet qui, par sa nature, pouvoit être
révoqué. Il pouvoit l'être d'autant plus que les choses sont
encore dans leur entier. Que le bloc sur lequel devoit être
exécuté le bas-relief ait été ou non apporté à Toulon, le fait
ne peut être que très indifférent pour le sieur Chardigni, qui
ne l'y a pas fait apporter et qui n'y a pas travaillé. 2° Nous
l'avons déjà dit, cet ordre, cette disposition des Consuls d'alors
ne pouvoit être valide qu'autant qu'elle seroit approuvée par
la Communauté. Les Consuls ont
cru voir le plus grand inté-
rêt de la Communauté là où il existoit un intérêt contraire,
C étoit bien
assez des dépenses énormes dans lesquelles la
156 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

Communauté se trouvoit engagée pour la construction de la


nouvelle paroisse, sans la jetter encore dans les dépenses d'un
excès superflu, en se livrant aux idées d'un artiste qui ne pou-
voit donner que la juste crainte d'une augmentation impor-
tante, crainte d'autant plus légitime qu'on n'a jamais pu le
porter à fixer un prix pour cette augmentation et que, pressé
sur cet objet, il n'a donné d'autre réponse que celle de se
référer à l'estimation à faire par deux Académiciens.
Ainsi la Communauté ne pouvoit ni ne devoit, en bonne
administration, approuver cet ordre donné par les Consuls.
Les intentions de ces derniers étoient nobles et pures, mais ils
n'avoient pas l'étendue des pouvoire requis pour obliger la
Communauté, et cette dernière a fait tout ce qu'on pouvoit
honnêtement exiger d'elle, quand elle a délibéré d'adopter la
substitution des pierres de Calissanne, quant au bas-relief,
suivant le prix qui seroit préalablement fixé.
Et quel peut-être à présent le droit du sieur Chardigni sur
cet objet? Il n'a pas même stipulé lors du titre qui ne pré-
sente rien de plus qu'un ordre donné volontairement par les
Consuls d'alors pour le plus grand intérêt de la Communauté.
Or cet ordre étoit révocable de sa nature, surtout les choses
étant encore dans leur entier. Si le sieur Chardigni avoit fait
quelque travail sur cet objet, on seroit quitte en l'indemnisant.
S'il n'a rien fait, la Communauté a donc pu révoquer l'ordre
donné par ses Consuls.
Et si cet ordre tomboit en convention, le sieur Chardigni
en seroit-il plus avancé? Ne seroit-il pas toujours vrai que sur
pareille matière, sur un objet de cette importance, une conven-
tion passée par les Consuls ne peut former un titre valable et
obligatoire pour la Communauté qu'autant qu'elle l'approuve
et le ratifie; or, encore un coup, la Communauté n'a voulu
l'approuver qu'autant qu'on seroit préalablement d'accord sur
le prix à donner à l'augmentation. Il étoit nécessaire de la
rassurer là-dessus, et c'est à quoi le sieur Chardigni n'a jamais
voulu consentir.
Rien n'est donc plus mal fondé que les fins prises par le
sieur Chardigni, et par lesquelles il demande l'exécution de la
prétendue convention du 3 novembre 1787. Ce titre ne lui
donne aucune espèce de droit dans tous les cas et dans tous
les systèmes.
AVEC LA VILLE DE TOULON 157
On lui demande à présent comment et par quel principe il
peut s'obstiner à demander d'exécuter le groupe en pierre de
Calissanne. Cela n'est que dans l'accord verbal dont il suppose
l'existence, accord jusqu'à présent ignoré, accord auquel la
Communauté pourroit ne pas s'arrêter, puisque, à cet égard,
les choses sont encore dans leur entier et que la Communauté
ne demande ce groupe qu'en pierre d'Arles, suivant la conven-
tion de 1786.
On lui demande encore comment et par quel principe il
s'obstine à vouloir exécuter le bas-relief en pierre de Calissanne,
tandis que la Communauté le dispense d'exécuter, même en
pierre d'Arles, cet ouvrage le plus important de ceux qui sont
compris dans son entreprise. Cet ouvrage est placé et fini en
stuc. La Communauté s'en contente. Ce changement est
même assez coûteux pour elle, maisll falloit finir et mettre la
paroisse en état de célébration du service divin. Or, comment
peut-il entrer dans la tête du sieur Chardigny que la Cour force
la Communauté de Toulon à renoncer à l'ouvrage du sieur
Roux, qui est perfectionné et mis en place, dont elle a de plus
payé le prix, pour la soumettre à payer une seconde fois avec
l'augmentation effrayante qu'entraînerait le changement en
pierre de Calissanne, et sous la perspective, peut-être plus
effrayante encore, de subordonner le prix de l'ouvrage à l'esti-
mation de deux Académiciens ?
Tout ce qu'on a dit dans la défense du sieur Chardigni sur
la prétendue convention du 3 novembre 1787 aboutit à sou-
tenir que le fait des Consuls lioit la Communauté, sauf le
recours de cette dernière, et cela n'est pas exact en principe :
i° parce que la prétendue convention du 3 novembre 1787
renfermoit bien plutôt un projet qu'un contrat ; 20 parce que
la Communauté ne peut être liée sur pareil fait que par une
délibération. Le sieur Chardigni raisonne ici comme s'il
n'existoit pas de règle pour fixer et limiter le mandat des Con-
suls. Peut-il se dissimuler qu'il n'auroit pas même le droit de
s'en prendre à ces derniers qui seraient en droit de lui dire
:
Nous avons agi comme consuls, nous ne nous sommes obli-
gés que sur cette qualité, et conséquemment autant qu'elle
pouvoit nous en donner le droit? La Communauté n'a
pas
approuvé le titre, ou, pour mieux dire, elle n'a voulu l'approu-
I58 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

ver que sous des conditions raisonnables et même nécessaires,


auxquelles vous avez refusé de consentir. Elle ne peut donc
être liée dans aucun cas. Peut-il dépendre d'un administrateur
de se livrer à des projets de luxe et de pure superfluité sans
prendre l'aveu de la Cité, représentée par son Conseil qui peut
seul délibérer et donner son voeu pour des dépenses de cette
espèce ? Ce seroit bien plutôt au sieur Chardigni à mettre en
cause les administrateurs. Mais on prévoit d'avance qu'il ne
donnera point dans cet écart. La défense de ces derniers est
toute prête et nous venons de la donner.
A la bonne heure que le sieur Chardigni ne soit pas édifié
de la marche de la Communauté. On ne peut, au contraire,
que la louer, quand on examine ses principes. Elle savoit bien
que les Consuls de 1787 ne pouvoient pas être recherchés;
ell ; a pourtant voulu tout finir par l'offre généreuse qu'elle a
faite de tout payer, en dispensant le sieur Chardigni des deux
ouvrages compris dans son entreprise, l'un desquels, le bas-
relief, est le plus considérable de tous.
En vain le sieur Chardigni se replie-t-il sur l'accord verbal
fait avec les entrepreneurs, en disant que les deux statues ont
été exécutées en pierre de Calissanne, et que le groupe devoit
être exécuté en même matière; que la Communauté, se subro-
geant au fait des entrepreneurs, doit reconnoître cet accord
avec d'autant plus de raison qu'en exécution de cet accord
verbal le bloc de pierre de Calissanne a été porté à Toulon, où
le groupe devoit être exécuté.
Il faut bien connoître le fait pour en tirer les inductions qui
peuvent en naître. D'abord il est vrai que les deux statues ont
été exécutées en pierre de Calissanne. La Communauté de
Toulon avoit toujours cru qu'elles le seraient en pierre
d'Arles. Le sieur Chardigni, qui avoit ses vues, l'a fait de
même à l'insçu du sieur Millon, entrepreneur, qui désavoue
formellement tout accord là-dessus. Il n'est pas vrai qu'on ait
jamais transporté à Toulon le bloc qui devoit servir à la Des-
cente de croix. Il ne falloit pas dire qu'un bloc de pierre de
Calissanne a été transporté à Toulon. Il y en a plus de dix qui
y ont été transportés dans le temps où l'on croyoit que le bas-
relief s'exécuteroit en pierre de Calissanne, et c'est uniquement
pour remplir eu objet que tous les blocs avoient été transportés
AVEC LA VILLE DF. TOULON I $9

à Toulon. Ainsi, en prenant le fait et cause de ses entrepre-


neurs, la Communauté ne se trouve liée que par la convention
de 1786. Ainsi, jamais il n'avoit été dit que le groupe seroit
exécuté en pierre de Calissanne, et il n'a été rien fait qui
puisse prouver ou faire induire cet accord. On observe seu-
lement, pour donner à la Cour le vrai tact de ce procès, qu'à
mesure que le sieur Chardigni eut engagé les Consuls à signer
l'ordre du 3 novembre 1787 et qu'on eut, en conséquence,
fait transporter à Toulon les blocs de pierre de Calissanne
destinée pour le bas-relief, le sieur Chardigni qui se trouvoit
déjà dans une demeure inexcusable, quoiqu'il eût reçu d'avance
le prix entier de son travail, ne put contenir sa satisfaction, et
il parvint à l'administration qu'il avoit imprudemment annoncé
que pour le coup il tenoit la Communauté, qui seroit obligée
d'en passer par ce qu'il voudrait. Alors on avoit rejette le pro-
jet d'exécuter le groupe en marbre, moyennant la somme de
10.000 liv. que le sieur Chardigni vouloit en tirer. Ce pro-
pos, vrai ou faux, rendit l'administration circonspecte. Les
Consuls ne voulurent pas que les ordres par eux donnés, le
3
novembre, fussent exécutés autrement que de l'aveu de la
Communauté. Cette dernière ne voulut consentir la conver-
sion de la matière du bas-relief qu'autant que l'augmentation
du prix seroit préalablement convenue. Ainsi l'on doit tenir
pour certain que les blocs de pierre de Calissanne qui se
trouvent à Toulon n'y ont pas été apportés pour l'exécution
du groupe, mais uniquement pour celle du bas-relief, à raison
duquel il n'y a ni raison ni prétexte de regarder la Commu-
nauté comme liée, à l'effet d'en faire l'exécution en pierre de
Calissanne.
Dira-t-on que, suivant la convention de 178e, la Commu-
nauté n'avoit droit aux statues qu'autant qu'elles seroient
exécutées en pierre d'Arles, et qu'elle profite d'une plus value
occasionnée par l'exécution en pierre de Calissanne? Le sieur
Chardigni est plus qu'indemnisé par la dispense de faire
le bas-relief, et de fournir la draperie de la chaire à prê-
cher. Ces deux ouvrages sont d'une valeur excédant deux ou
trois fois ce que le sieur Chardigni pourroit demander pour
raison de la plus value procédant de l'exécution des deux sta-
tues en pierre de Calissanne, et si le sieur Chardigni ose le COn-
^RT IR. X II
IÔO PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

tester, ce qu'on n'ose cependant pas prévoir, la Communauté


consent et demande même que des experts en décident.
Qu'on dise à présent que l'obligation est un lien de droit
dont on ne peut pas se délier arbitrairement. Nous répondrons
que rien n'est plus naturel, plus juste et plus équitable, que
de la remplir dans tout ce qu'elle a d'avantageux, en dispen-
sant la partie de ce que le titre peut avoir d'onéreux pour elle.
Qu'on dise encore que la contexture de la délibération décèle
l'humeur qui l'a dictée, et qu'on a jugé le sieur Chardigni sans
l'entendre et l'appeler. Nous dirons que la Communauté n'a
délibéré le 30 octobre que parce que le sieur Chardigni vou-
loit des augmentations d'ouvrage auxquelles la Communauté
ne vouloit pas consentir ; que cependant le temps couloit, que
le service pressoit, que ce service passe avant tout; que dans
ces circonstances, la Communauté a pu et dû prendre le parti
de sortir d'affaire avec le sieur Chardigni en conservant l'inten-
tion, qu'elle a depuis manifestée, de lui laisser l'honoraire
entier qu'il avoit déjà reçu, en le dispensant du travail auquel
l'honoraire étoit attaché; que tout cela a pu se faire et s'est
fait effectivement sans humeur, au point qu'on l'auroit peut-
être dispensé d'exécuter le grouppe représentant la Descente
de croix, si par le décret de tout en état qui fut rendu sur sa
requête, il n'eut suspendu les opérations du sieur Roux qui
s'étoit chargé de faire l'ouvrage en stuc pour la somme de
2.000 liv.
On a dit avec raison, dans la délibération, que le sieur Char-
digni étoit en demeure, parce qu'en effet il est prouvé qu'après
avoir reçu le paiement de son entier honoraire, il s'intrigua
pour des augmentations d'ouvrages, soit pour l'exécution du
grouppe en marbre dont le projet fut rejette, soit pour l'exé-
cution du bas-relief en pierre de Calissanne, sur lequel il fit
donner par les Consuls des ordres non adoptés par la Commu-
nauté, parce que ne voulant pas se rendre et tergiversant sur
cet objet, la Communauté, qui souffrait le préjudice du retard
par le défaut de service, a été forcée de prendre un parti défi-
nitif en donnant cet ouvrage à tout autre qui lui promettoit
plus d'expédition, et vis-à-vis de qui elle n'avoit point de pro-
cès à redouter. Qu'importe d'ailleurs que le sieur Chardigni
fût ou non en demeure, dès qu'on l'a parfaitement désintéressé
AVEC LA VILLE DE TOULON l6l
par la délibération du 22 avril dernier? Pourquoi parler de la
perte du temps, tandis que le sieur Chardigni n'en a point
perdu, tandis qu'il ne s'est abstenu de travailler pour la Com-
munauté que pour exécuter d'autres ouvrages, tandis que les
deux statues n'étoient pas même finies quand le procès a com-
mencé?
Que le sieur Chardigni se rassure, personne ne doute de sa
capacité. La Communauté le regarde comme un ouvrier supé-
rieur ; mais lui sera-t-il permis de le dire ? Une paroisse, une
Communauté comme celles de Toulon ne peuvent pas com-
porter et supporter l'excès de dépense que les vues trop éten-
dues du sieur Chardigni auraient pu occasionner.
La Communauté n'a point manqué à la foi des traités ; on
l'a déjà démontré. On ne voit pas comment le sieur Chardigni
peut se plaindre de ce qu'on a adopté un ouvrage commencé
avant qu'il eût été délibéré. Qu'importe au sieur Chardigni ?
Le sieur Roux auroit perdu son temps et sa peine si le sieur
Chardigni avoit voulu consentir à une fixation de prix, et que
les Parties se fussent accordées là-dessus ? Qu'importe encore
qu'on lui ait substitué un ouvrier inconnu et qu'il soit lui-même
un artiste de la première classe ? Tout cela peut-il rien opérer
sur le procès actuel? La Communauté ne lui paye-t-elle pas le
prix de son travail ? Lui propose-t-on de perdre un sol sur ses
honoraires, et s'il est payé de tout, quoiqu'il ne fasse pas tout
à beaucoup près, d'où peuvent donc venir ses regrets ? On est
bien éloigné de douter de sa capacité et de l'excellence de son
travail. Mais la Communauté désirait tout-à-la-fois expédition
et tranquillité, et dans l'état des choses on ne pouvoit se flatter
ni de l'un ni de l'autre.
Et qu'importe au sieur Chardigni que la Communauté ait
manqué de goût en préférant les ouvrages en stuc à leur exé-
cution en pierre de Calissanne ? Elle a consulté ses forces et sa
position, ainsi que le besoin pressant de faire célébrer le ser-
vice dans sa nouvelle paroisse, et ces motifs avoient et dévoient
avoir beaucoup plus de force sur elle que les vues que vouloit
lui inspirer le sieur Chardigni en se livrant à la passion de son
art.
Le sieur Chardigni aspireroit-il encore à vouloir réformer
l'administration économique delà Communauté? Où en seroit-
162 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

elle si elle avoit accepté la conversion des pierres d'Arles en


pierres de Calissanne, quant au bas-relief? N'auroit-elle pas
dû subir encore les longueurs et les dépenses d'un procès sur
l'augmentation du prix que le sieur Chardigni portoit au
moins à 7.000 1., et qu'il vouloit ensuite faire évaluer par
deux Académiciens?
On finit par nous dire que la Communauté de Toulon a
attenté à la propriété du sieur Chardigni, parce que cette der-
nière a fait, faire l'exécution en stuc. Cela, nous dit le sieur
Chardigni, compromet tout-à-la-fois le nom, les qualités, les
intentions, les talens, la fortune et la propriété de l'artiste. De-
là vient la cassation que je demande de la délibération du
30 octobre. De là vient, ajoute-t-on encore, la demande du
sieur Chardigni en dommages et intérêts.
Pourquoi parler d'abus de dépôt ? Le modèle étoit dans les
mains de la Communauté pour être exécuté sur les lieux. Quel
mal a-t-on fait de s'en servir dès qu'on ne pouvoit pas le faire
exécuter par le sieur Chardigni, avec qui l'on avoit cessé de se
trouver d'accord, et qui ne pouvoit ou ne vouloit pas se prêter
à faire à la Communauté la prompte expédition dont elle avoit
le plus grand besoin ?
Comment peut-on imaginer que les talens et la fortune du
sieur Chardigni en soient compromis ? Nous dira-t-on que ses
modèles sont annoncés et rendus publics, et que l'exécution
en stuc faite par le sieur Roux peut en déprécier le mérite?
C'est la seule ressource qui reste au sieur Chardigni. Mais ce pré-
judice n'est-il pas bien recherché? Ne falloit-il pas pour l'ima-
giner un raffinement d'injustice et de subtilité? Chacun ne
saura-t-il pas que l'exécution n'a pas été faite par le sieur Char-
digni ? Pourra-t-on imputer à ce dernier les ouvrages du sieur
Roux ? Qu'importe que ses modèles soient connus des ama-
teurs, dès qu'il sera certain et connu qu'ils ont été exécutés
par tout autre ?
Sans doute ses modèles lui appartiennent, mais en lui don-
nant 10.500 liv. pour les deux statues et le grouppe, la Com-
munauté paye assez chèrement l'usage qu'elle a fait du modèle
du bas-relief exécuté en stuc par le sieur Roux, parce que
l'expédition était pressante et que le sieur Chardigni faisoit
naitre de mauvaises difficultés au sujet des ordres donnés par
AVEC LA VILLE DE TOULON 163

les Consuls, le 3 novembre 1787. Il a connu le marché fait


avec le sieur Roux. On lui a même offert la préférence sur ce
marché. Il ne s'est pas plaint sur l'exécution de son modèle
par tout autre. Il étoit encore
le maître de le revendiquer. Il
auroit du moins déclaré qu'il n'entendoit pas qu'on en fit
usage ; il n'a rien fait de pareil ; il n'-a revendiqué ses modèles
que lors de sa requête, et on les lui a rendus tout de suite.
Il sent bien, lui-même, qu'à tout événement il sera toujours
plus que payé par les 10.500 liv. que la Communauté de Tou-
lon a déclaré vouloir lui laisser en main.
Aussi nous apprend-il que ce n'est point ainsi qu'un homme
délicat peut raisonner. Mais ne s'apperçoit-il pas lui-même que
tout délicat qu'il est, c'est pourtant ainsi qu'il raisonne; ne
demande-t-il pas des dommages-intérêts ? S'il lui en étoit dû,
pourroient-ils être payés autrement qu'en argent ? et si les
10.500 liv. le surpayent de tout, si on l'a privé d'un travail
dû, on lui a pourtant laissé le bénéfice promis. Comment
donc pourra-t-il se plaindre ? Il n'est plus temps de dire qu'on
lui a fait injure en lui faisant essuyer l'affront d'une exclusion
humiliante. Nous ne saurions trop répéter qu'il ne s'agit ici
ni d'injure, ni de préférence. Le sieur Chardigni peut s'agiter
tant qu'il voudra sur cet intérêt fantastique. Il peut dire tant
qu'il voudra que les registres de la Communanté l'outragent,
qu'ils renferment un voeu qui le blesse et qui dégrade ses
talens et ses 'principes. Rien n'est exact dans ces observations..
Le voeu de la Communauté n'a rien qui puisse lui faire tort.
Il respecte ses talens et ses principes. Mais, encore un coup, la
Communauté désiroit l'expédition et la paix, et le sieur Char-
digni en prenant encore une année pour l'exécution du reste
de son travail et en s'obstinant à vouloir exécuter le bas-relief
en pierre de Calissanne, sous une augmentation de prix indé-
terminée, ne lui faisait entrevoir que discorde et lenteur.
Et qu'importe que le sieur Chardigni, en faisant son marché
sur le pied de 10.500 liv., ait consulté les conditions de con-
venance ou de commodité pour lui ? On prouverait le contraire
si l'on vouloit se plonger dans des calculs qui ne feraient qu'al-
longer la discussion. Mais un mot répond à tout. Quels
qu'aient été ses motifs quand les prix ont été réglés, la Com-
munauté, dans le cas où les ouvrages auraient été finis, n'au-
164 PROCÈS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

roit jamais pu être soumise à lui payer au delà des 10.500 liv.
promises ; or, elle a pris le parti d'offrir cette somme en dis-
pensant le sieur Chardigni du principal ouvrage compris dans
son traité, et de donner le modèle de la draperie pour la
Chaire à prêcher. Ce dernier n'a exécuté que les deux statues
en pierre de Calissanne. Nous lui demandons s'il n'est pas
payé au delà du double de son travail au moyen des
10.500 liv. qu'il a déjà reçues et qu'on a consenti à lui laisser.
La Communauté de Toulon, ajoute-t-il encore, exige que
j'exécute le grouppe. Elle ne fait donc pas un sacrifice, puisque
dans ce sens elle auroit, au grand bas-relief près, tous ses
ouvrages faits en pierre de Calissanne au prix fixé pour la
pierre d'Arles.
Mais d'abord la délibération du mois d'avril ne porte pas
que le grouppe sera fait en pierre de Calissanne. En le laissant
à la charge du sieur Chardigni, on n'a pas exigé qu'il fut exé-
cuté en pierre de Calissanne. On a dit, au contraire, qu'il le
seroit en pierre d'Arles, en conformité de la convention de
1786; de manière que, tout bien examiné, il restera à con-
clure que le sieur Chardigni aura exécuté les deux statues en
pierre de Calissanne et le grouppe en pierre d'Arles, moyen-
nant la somme de 10.500 liv. Il aura donc, d'après les prix
fixés entre les parties, plus du double de son travail.
On entend bien que dans l'ardeur de ses idées et l'exaltation
de ses principes, le sieur Chardigni ne regarde pas comme un
inconvénient que l'ouvrage fait en stuc par le sieur Roux soit
déplacé pour mettre à sa place le grand bas-relief exécuté,
comme il l'entend, en pierre de Calissanne, ce qui prendrait,
suivant son compte, plus d'un an de travail, et mettroit pen-
dant ce temps la paroisse hors de service. Mais la justice peut-
elle se prêter à des prétentions pareilles ? L'ouvrage, nous dit-il,
a été fait en stuc au préjudice d'un titre. Il a été fait brusque-
ment, induement et sur mes modèles. Mais, encore un coup,
ce que le sieur Chardigni appelle un titre, n'en est pas un.
L'écrite du 3 novembre 1787 avait mal-à-propos substitué la
pierre de Calissanne à celle d'Arles, quant au grand bas-relief.
Le sieur Chardigni vouloit que cette écrite eut son effet. La
Communauté ne le vouloit qu'autant qu'on auroit été préala-
blement d'accord sur l'augmentation du prix, et c'est ce que le
AVEC LA VILLE DE TOULON l6 5
sieur Chardigni ne vouloit pas. Il y avait donc refus formel,
refus absolu de la part du sieur Chardigni d'exécuter le grand
bas-relief en pierre d'Arles, suivant la convention de 1786, qui
forme la seule pièce ayant force de titre entre les parties. On
n'a exécuté en stuc que parce que l'exécution étoit pressante et
que le sieur Chardigni refusoit absolument
de s'y prêter. On
savoit bien qu'en cas de contestation de la part de ce dernier,
on en seroit quitte en lui laissant
la somme au sacrifice de
laquelle la Communauté de Toulon ne pourroit qu'être très
disposée.
Il reste donc qu'on lui paye 10.500 livres pour les deux
statues, le groupe en pierre d'Arles, et la fourniture du modèle
du grand bas-relief. Le travail de ce dernier ouvrage étoit
immense. Il ne pouvoit être fait que sur les lieux. Il auroit
obligé le sieur Chardigni à un séjour coûteux. Il prenoit au de-
là de la moitié du prix convenu. Il faut y joindre le modèle de
la draperie dont le sieur Chardigni se trouve dispensé. Tout
cela paye très abondamment les petites branches de préjudice
dont le sieur Chardigni trouve bon d'exciper en leur donnant
même la consistance qu'elles n'ont pas.
Que l'ouvrage du sieur Roux soit fini ou achevé, peu nous
importe. La Communauté de Toulon s'en contente, et sous ce
rapport toute branche de litige doit être coupée et anéantie.
Ce n'est pas pour le sieur Roux que nous disons qu'il seroit dur
de déplacer le bas-relief qui se trouve exécuté en stuc, pour en
substituer un nouveau, soit en pierre d'Arles, soit en pierre
de Calissanne. C'est pour la Communauté, qui a pu et dû se
dire qu'en payant par elle le prix convenu, elle extirperait jus-
qu'à la racine des prétentions étonnantes, des longueurs et des
tergiversations du sieur Chardigni. Elle n'a fait les sacrifices
contenus dans son offre que pour se débarrasser de tout procès,
pour hâter la perfection des ouvrages nécessaires pour mettre
la paroisse en état de célébration et de service. Elle souffrirait
donc le triple préjudice du défaut de service, de la gémination
du travail et de l'augmentation du prix
sur laquelle le sieur
Chardigni n'a jamais voulu prendre des arrangemens.
Vous exigez de moi, avoit dit le sieur Chardigni, que je
lasse le grouppe. Vous êtes inconséquens. Pourquoi avez-vous
fait faire le grand bas-relief
en stuc? Il auroit donc fallu pour
l66 t-ROCÊS DU SCULPTEUR CHARDIGNY

être conséquent, suivant ses idées, que la Communauté le


déchargeât de tout en lui laissant les 10.500 liv. qu'il a déjà
reçues. Il ne faut pas nous demander par quelles raisons nous
voulons le groupe, tandis que nous le dispensons d'exé-
cuter le bas-reiief. S'il n'avoit arrêté par le décret de tout en
état les opérations du sieur Roux qui venoit à peine d'exécuter
l'opération du bas-relief, et qui ne pouvoit sans attentat exé-
cuter le groupe, probablement la Communauté l'auroit dis-
pensé, dans ce cas, de l'exécution du groupe, comme elle l'a
dispensé de celle du bas-relief. Mais qu'importe que l'obliga-
tion d'exécuter le bas-relief en pierre d'Arles subsiste encore
suivant la délibération prise là-dessus par la Communauté de
Toulon? On voit déjà que cette dernière n'est point inconsé-
quente dans sa marche et dans ses motifs. Elle a dipensé le
sieur Chardigni du bas-relief, parce que cet ouvrage est déjà
fini ou achevé en stuc. Elle a laissé subsister l'obligation d'exé-
cuter le groupe, parce que cet ouvrage étoit encore à faire, et
que de plus il étoit encore à faire par la mauvaise contestation
du sieur Chardigni. Dans ces circonstances, il ne pouvoit res-
ter que la question d'injustice, et dès lors la Cour aura la
bonté de considérer que les 10.500 liv. dont la Communauté
a délibéré l'abandon, valent presque au delà de l'exécution des
deux statues qui se trouvent déjà faites en pierre de Calis-
sanne, et de celle qui reste à faire du groupe en pierre d'Arles ;
d'où il suit qu'en supposant ce que nous sommes bien éloignés
d'admettre, qu'il y eut quelque faute ou quelque erreur à
reprocher à la Communauté de Toulon, le sieur Chardigni en
seroit très abondamment payé par l'excédant des sommes dont
il se trouve nanti, et que l'on consent de lui laisser.
Nous n'avons donc pas besoin qu'on nous ramène aux véri-
tables principes. Nous supplions le sieur Chardigni de vouloir
bien ne pas s'en donner la peine. Nous connoissons ses talens.
Nous leur rendons hommage ; mais il nous permettra de dire
que les plus grands caprices sont presque toujours placés à
deux doigts des plus grands talens. Il n'est pas un artiste du
premier genre qui n'en fournisse des exemples, et cela paroit
même être une suite nécessaire des idées souvent trop libres et
trop vastes qui caractérisent les âmes ardentes et produisent
les efforts du génie. Le sieur Chardigni s'en offensera-t-il ?Nous
AVEC LA VILLE DE TOULON 167

croyons au contraire faire ici son éloge. Il a voulu ses modèles,


on les lui a rendus. Veut-il qu'ils soient placés dans un endroit
apparent de la paroisse pour être mis à portée de frapper les
yeux des connoisseurs ? Ce n'est pas une peine pour la Com-
munauté de Toulon. Elle se glorifiera des ouvrages de cet
artiste, et sa paroisse n'en sera que plus décorée. Veut-il que
le nom de leur auteur soit mis au bas? Nous aurons là-dessus
de nouvelles grâces à lui rendre. La célébrité de l'auteur ne
fera que donner un nouveau prix à l'excellence de l'ouvrage.
On ne répugnerait pas non plus à ce que le nom du sieur
Roux soit inscrit au bas de son ouvrage en stuc, en y ajoutant
qu'il a exécuté les modèles du sieur Chardigni. Tout cela peut
se faire du consentement des Parties. La Communauté de Tou-
lon ne peut que se prêter à tout ce qui pourra contribuer à
conserver ou propager la célébrité d'un artiste qu'elle a voulu
et voudrait encore favoriser. Mais il ne falloit pas pour cela
faire un procès. Il ne faut pas casser une délibération qui ne lui
fait aucun tort. Il ne faut pas non plus prononcer des dom-
mages et intérêts. Il ne faut pas encore nous faire subir la
liquidation des Académiciens de Paris, pour une indemnité
pécuniaire, puisque cette indemnité se trouve plus que payée,
dans tous les cas, par les 10.500 1. dont la Communauté de
Toulon a délibéré le sacrifice.
Conclud à ce qu'en concédant acte aux sieurs Maire,
Consuls et Communauté de Toulon de l'offre contenue dans
la délibération du 26 février dernier, et sans s'arrêter aux
requêtes, tant principale qu'incidente du sieur Chardigni des
15 novembre 1788 et 3 février 1789, les sieurs Maire, Consuls
et Communauté de Toulon seront mis sur icelles, au bénéfice
desdites offres, hors de Cour et de procès, sera la Commu-
nauté de Toulon condamnée à tous les dépens faits jusqu'au
jour de la signification de ladite délibération, et le siur Chardi-
gni à tous ceux faits après ladite signification.
GASSIER, avocat; — LEVANS, procureur.
M. le conseiller DE MONS, commissaire.
A Aix, chez les frères Mouret, 1789.
l68 NOUVELLES LETTRES
Nous trouvons dans l'état de la dernière dépense faite pour
l'église de Saint-Louis, que la ville paya, à la suite du procès : le
il mai 1790, 9 liv. 6 s. pour frais de signification et de contrôle
faits par Chardigni, et, le 26 juin, 565 liv. 11 s. 2 d. pour les
dépens de ce dernier. Il ne fut pas accordé de dommages-intérêts
à l'artiste; mais le grand bas-relief en stuc, exécuté par Roux, d'après
le modèle de Chardigni, fut détruit.

DAVID D'ANGERS
NOUVELLES LETTRES DU MAÎTRE ET DE SES CONTEMPORAINS

Ne nous lassons pas de mettre au jour les lettres d'artistes. En


1878 nous avons publié plus de cent lettres de David d'Angers, en
1890 un tome entier renfermant la correspondance du maître avec
Victor Hugo, Chateaubriand, Lamartine, Victor Pavie, Charlet,
Balzac, a été édité par nos soins. Nous donnons ici cent cinquante
lettres nouvelles, signées de David ou reçues par lui, et provenant
d'hommes illustres ses contemporains.
Ces sortes de documents ont leur intérêt et leur valeur. La forme
épistolaire admet l'intimité des confidences, l'abandon, l'originalité
de la pensée. Telle lettre permet de découvrir le mobile secret d'un
acte dont on ne soupçonnait pas le vrai but ; elle éclaire le lecteur
sur l'origine d'une oeuvre peinte ou sculptée ; elle révèle la con-
science de l'artiste dans l'exécution de son travail; elle grandit le
maître et le fait aimer. Notre génération s'accommode des docu-
ments. Elle les recherche et s'en saisit avec une curiosité que rien
ne décourage ou ne fatigue. Soyons de notre temps.
Aussi bien, dans un demi-siècle, ceux qui nous suivront n'auront
pas le loisir de publier notre correspondance. La lettre a cessé
d'être, le télégramme l'a tuée; le journal la rend inutile. Le fait,
l'idée que nos devanciers aimaient à développer à loisir, la plume
à la main, pour l'agrément ou l'instruction d'un ami, ce fait, cette
idée se trouvent déflorés et jetés aux quatre vents du ciel par le
élégraphe ou le journal, avant même que vous n'ayez eu le temps
d'y réfléchir. Or, cette vulgarisation violente d'une pensée qui vous
avait séduit vous détourne d'y appliquer longuement votre esprit,
tout au moins de la commenter à l'usage d'un confident qui, sans
doute, a lu le journal ou les dépêches du matin et s'est laissé
DE DAVID D'ANGERS 169
prendre déjà au paradoxe en cours depuis vingt-quatre heures.
Encore une fois la lettre agonise, la lettre est morte.
Ajoutez aux causes ennemies qui tendent à détruire l'art épistolaire
la facilité des déplacements. La vapeur et l'électricité sont les agents
destructeurs de toute correspondance étendue. Ecrirai-je pendant
une demi-journée à un confrère habitant Versailles, si moi-même je
réside à Paris? Vous ne le pensez pas. J'estime plus simple de
prendre le chemin de fer et d'aller converser dans le parc avec mon
correspondant d'autrefois. Tout progrès porte en puissance une des-
truction. Si Mme de Sévigné eût vécu de nos jours, soyez sûrs qu'on
ne trouverait chez Mme de Coulanges que des « petits bleus » ainsi
conçus : « Chérie, arrive ce soir, causerons toute la nuit ! » Que
fera l'historien lorsqu'il n'aura plus à sa oortée que des documents
de cette nature ? Tous les « petits bleus » du monde ne rempla-
ceront jamais trois pages d'un peintre ou d'un sculpteur. Hâtons-
nous donc de réunir et de mettre au jour les écrits de nos maîtres
et de leurs contemporains.
Henry JOUIN.
l8ll
I
Le maire d'Angers à David (Prix de Rome).

Sur la première offre du sculpteur au musée d'Angers : Othryades,


La Douleur, Epaminondas.
Angers, le 16 octobre 1811.
Le maire de la ville d!Angers, baron de l'Empire, chevalier de
la Légion d'honneur,
A Monsieur David, élève de l'Ecole de sculpture de Paris.

Monsieur,
J'accepte avec reconnaissance, au nom de la ville d'Angers,
le don que vous voulez bien lui faire des trois objets qui
vous
ont mérité les prix que vous avez remportés, l'année dernière
et la présente année. Ils seront, comme vous le désirez, expo-
sés dans la salle du Muséum de peinture où ils
resteront,
comme un monument précieux dont vous aurez honoré votre
ville natale; ils seront
un titre parlant à vos concitoyens-qui
se plairont constamment à y reconnaître les progrès que
vous
170 NOUVELLES LETTRE.

avez faits dans l'art auquel vous vous livrez; ils seront aussi
un gage assuré de la perfection à laquelle vous porterez vos
connaissances dans l'Ecole célèbre où vous allez entrer, con-
naissances qui feront vivre votre nom dans la postérité.
J'ai l'honneur d'être, avec une considération distinguée,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
DE LA BESNARDIÈRE, maire.
Collection H. Jottin.
— Les trois oeuvres offertes par David au
musée de sa ville natale sont : Othryades, ronde bosse, deuxième
grand prix remporté en 1810; La Douleur, prix de la tête d'expres-
sion obtenu en 1811, et une épreuve du bas-relief représentant la
Mort a"Epaminondas, premier grand-prix de Rome (1811). La
lettre que nous publions ici n'émane pas d'un personnage illustre,
mais elle a été dictée par un homme de coeur, cela suffit à la rendre
précieuse. Il n'est pas rare que des fonctionnaires se renferment
dans les formules banales de ce qu'on appelle « le langage adminis-
tratif », lorsqu'ils s'adressent à des personnes d'un rang modeste.
La Besnardière est mieux inspiré. Son correspondant est un jeune
homme sans fortune, le maire d'Angers tient à lui donner le témoi-
gnage d'une touchante et paternelle sollicitude. Cette délicatesse
l'honore. On trouvera la lettre d'envoi des ouvrages offerts par le
jeune David à sa ville natale dans notre ouvrage David d'Angers, sa
vie, son oeuvre, ses écrits et ses contemporains, 2 vol. in-8° (t. II, p. 361).
Elle porte la date du 8 octobre.

1813

n
David à Roland.

L'antique. — La nature. — Tête d'Ulysse. — Omphale.

Rome, 17 juillet 1813.

Il y a déjà longtemps que je pense aux dangers qui


...
peuvent résulter de l'étude mal raisonnée de l'antique, mais
je sais aussi qu'il est le contre-poison du mauvais goût que
l'étude de la nature aussi mal raisonnée peut produire. Aussi
DE DAVID DANGERS 171

d'après cette idée, quand je trouve une belle tête dans la


nature, j'en fais une étude et je tâche de la comparer avec les
belles choses antiques du même caractère; par cette étude,
j'acquière la certitude que les grands artistes grecs ont copié
la nature, mais qu'ils ont appris à la bien voir. Après avoir
terminé ma figure de jeune homme, j ai fait une figure d'après
un modèle à barbe qui avait une tête superbe, plusieurs per-
sonnes m'ont encouragé à la faire en marbre, ce que j'ai fait,
parce que je désire étudier cette matière. J'ai aussi fait une
étude de tête d'après une femme qui avait un profil juste
comme les belles têtes grecques. Je me sers de l'expression qui
avait parce que ces deux modèles sont morts aussitôt que j'ai
eu fini ; le modèle d'homme, le lendemain, et la jeune fille a
été assassinée le même jour dans la rue du Course.
Collection Lucas de Montiguy. — L'étude d'après le « modèle à
barbe » a reçu le nom de Tête d'Ulysse. Elle est au Musée David.
L'Omphale est perdue (David d'Angers, etc., t. II, p. 458).

m
David au maire d'Angers.

Souhaits. — Gratitude pour la continuation du secours qu'il reçoit


de sa ville.

Rome, le 28 novembre 1813.

Monsieur le Maire,
Dans le grand nombre de personnes qui s'empressent au
renouvellement de cette année de vous présenter leurs souhaits,
croyez que qui que ce soit n'en fait de plus vifs et de plus sin-
cères que moi, heureux si je puis fixer un instant votre atten-
tion, et si vous daignez recevoir favorablement des voeux qui
sont dictés par le plus profond respect.
Je ne sais quels termes employer pour vous exprimer ma
reconnaissance pour l'intérêt que vous daignez prendre à moi
et la bonté que vous avez de m'assurer ce que votre prédeces-
172 NOUVELLES LETTRES

seur m'avait accordé. Croyez que cette marque de votre bien-


veillance est pour moi un grand sujet d'émulation et que
j'attends avec impatience le tems où je pourrai prouver à la
ville d'Angers et à vous, Monsieur, que je n'ai rien négligé
pour me rendre digne de tant de bontés.
En attendant ce moment fortuné pour moi, daignez,
Monsieur, recevoir favorablement l'assurance du respect et de
l'éternelle reconnaissance de votre tout dévoué serviteur.
DAVID.
Veuillez aussi présenter à ces messieurs qui composent
votre Conseil l'expression de mon respect et de ma vive
reconnaissance.
Archives municipales d'Angers. — La pension accordée à David, en
1811, avait été votée sur la proposition du maire Boreau de la
Besnardière. Celui-ci s'étant démis de ses fonctions avait eu pour
successeur, le 25 mars 1813, Papiau de la Verrie. C'est à lui qu'est
adressée cette lettre.

1814

IV
David à Roland.
L'enchantement de Rome.
Rome, 26 janvier 1814.

Mon cher maître, ce n'est pas seulement au premier jour


de ...
l'an que je fais des voeux pour que vous jouissiez du plus
parfait bonheur; chaque pas que je fais dans Rome me rappelle
que c'est à vos soins que je dois ce bonheur et alors la recon-
naissance me dicte tous les souhaits que je fais pour le meilleur
des maîtres et l'ami le plus sensible,..
DAVID.

Collection E. Cottenet. — Cet autographe a successivement passé


chez Lucas de Montigny, dont la vente a eu lieu en 1860, et dans le
cabinet de M. B. vendu en 1878.
DE DAVID DANGERS 173

V
Vincent à David, pensionnaire à l'Académie de France.
Savoir-vivre. — Encouragements.
Paris, 8 février 1814.

Je suis fort sensible, Monsieur, au témoignage de souvenir


que je reçois de vous par votre lettre datée de Rome, le
28 novembre 1813, et qui ne m'est parvenue que le 26 jan-
vier dernier. Si je l'eusse reçue plus tôt, je n'aurais pas man-
qué, Monsieur, d'y répondre dans le tems.
Il me parait, d'après le peu de mots que contient votre
lettre sur vos études, que vous vous occupés assiduement de
perfectionner votre talent. J'espère que vos efforts seront cou-
ronnés de succès. Soyés persuadé, Monsieur, de la part que j'y
prendrai toujours.
Recevés, Monsieur, l'assurance de la parfaite estime que je
vous ai vouée.
VINCENT.
Collection H. Jouin.
I8l6
VI
David au maire d'Angers.
Offre de la Tête d'Ulysse à sa ville natale.
— Voyage à Londres.
Rome, le 20 mai 1816.
Monsieur le Maire,
Je viens de recevoir une lettre de mon père, dans laquelle il
me dit que vous accepté l'un de mes ouvrages fait à Rome. Je
regrette beaucoup que mes faibles moyens ne m'ayent pas per-
mis de faire quelque chose de plus considérable afin de mieux
prouver ma reconnaissance à la ville d'Angers et à vous,
Monsieur, des encouragemens que je reçois : c'est mon pre-
mier ouvrage en marbre, c'est pour cela que j'ai pensé qu'il
174 NOUVELLES LETTRES
était de mon devoir d'en faire don à ceux qui prennent une si
grande part à mon avancement. Je vous assure, monsieur le
Maire, que j'ai sans cesse présent à la pensée l'intérêt que
vous daignez prendre à moi, cette idée sera toujours pour moi
un grand stimulant pour surmonter avec courage les grandes
difficultés attachées à l'étude de mon art.
Ma pension vient de se terminer au mois de janvier; tout
le temps de mon séjour à Rome j'ai cherché à former mon
goût d'après les chefs-d'oeuvre qui sont ici, j'ai étudié et
réfléchi beaucoup sur ces merveilles de l'art. J'emporte avec
moi des matériaux qui pourront un jour m'être très utiles, si
des circonstances favorables me mettent à même d'utiliser les
leçons que j'ai reçues des maîtres immortels dont Rome possède
les ouvrages. Il me reste à faire un voyage qui peut mettre le
complément à mes études : le voyage d'Athènes, quand on
est en Italie, devient facile à faire. Quelque temps, passé dans
cette ville, à étudier les chefs-d'oeuvre de Phidias qui sont au
Partbénon, me serait d'une très grande utilité. Vous n'igno-
rez pas, monsieur le Maire, que ces fameux ouvrages sont le
type le plus parfait de la sculpture antique. Ce projet, sans con-
tredit, me serait très avantageux sous le rapport de mon art,
mais ma fortune présente me force d'en retarder l'exécution;
je ferai cependant tout mon possible pour étudier plusieurs de
ces chefs-d'oeuvre qui sont à Londres, c'est pour cela que je
vais passer quelque temps hors de la France afin de recueillir
encore de nouveaux matériaux utiles à mon avancement.
Mais je vous demande pardon, monsieur le Maire, d'abuser
si longtemps de vos moments, la bonté que vous avez de vous
intéresser à mon sort m'enhardit à vous parler de mes projets.
Daignez m'excuser et croire à l'éternelle reconnaissance et
au respect de votre dévoué serviteur.
DAVID.

— C'est M. Brillet de Villcmorgc


Archives municipales d'Angers.
qui, ayant été nommé maire le 19 décembre 1815, dut répondre à
cette lettre. L'ouvrage en marbre offert par l'artiste est la Tète
d'Ulysse. Les incidents du voyage de David à Londres se trouvent
racontés dans David d'Angers, etc. (t. I, pp. 109-117).
DE DAVID D ANGERS I7J

l820

VII
De Villemorge à David.

Offre par David au musée d'Angers des bustes de Visconti et


d'Ambroise Paré. — Le Jeune Berger.

Angers, le 18 janvier 1820.


Monsieur,
J'ai reçu avec beaucoup de plaisir la lettre que vous m'avez
fait l'honneur de m'écrire, contenant l'assurance de votre sen-
sibilité aux témoignages de sollicitude paternelle que vous a
donnés en tous les tems le Conseil municipal d'Angers. Soyez
sûr de la satisfaction que j'ai éprouvée en mon particulier à
vous être utile et à procurer à un jeune artiste, dont la réputa-
tion, j'ose le croire, ne fera que se fortifier et s'agrandir avec
le tems, la possibilité de se livrer plus facilement à l'étude de
son art.
Je vous suis obligé d'avoir pensé à nous pour le don d'une
copie en zinc du portrait du célèbre savant Visconti ; celui du
plâtre d'Ambroise Paré ne peut également être reçu qu'avec
grand plaisir par messieurs les Membres de l'Ecole de méde-
cine, établie près les hospices d'Angers ; malheureusement la
salle qui sert à leurs réunions n'est pas belle et il y sera peu
exposé aux regards des curieux.
J'attends avec une vive impatience, ainsi que nos conci-
toyens, l'arrivée de la statue, en marbre blanc, représentant
un Jeune berger jouant de laJliUe. Le ministre ne pouvait mieux
choisir parmi les nombreux objets exposés au concours pour
l'envoyer à Angers le morceau le plus propre, sous toutes
sortes de rapports, à appeler le vif intérêt de vos compatriotes.
D'après le rapport des différentes personnes qui ont vu cet
ouvrage dans votre atelier, il sera un des morceaux les plus
précieux de notre petit salon des statues, comme il sera
sûrement un de ceux qu'on aura le plus de plaisir à y voir.
176 NOUVELLES LETTRES
Je vous engage à ménager votre santé et à penser souvent
que, pour arriver à la gloire, il faut vivre, sans quoi on meurt
en route.
J'ai l'honneur d'être, avec une parfaite considération,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Le maire de la ville d'Angers,
DE VILLEMORGE.
Collection H. Jouin. — Sur les bustes d'Ennius-Quirinus Visconti
et d'Ambroise Paré, consulter notre ouvrage Les musées d'Angers
(pp. 120-121). Sur le Jeune Berger, ibid. (p. 97).

vin
De Villemorge à David.
Le maire offre à David de l'indemniser de ses dépenses pour les
bustes de Visconti et d'Ambroise Paré.

Angers, le i« mai 1820.


Monsieur,
Les bustes des célèbres Visconti, en zinc, et Paré, en plâtre,
que vous m'aviez annoncés, me sont parvenus intacts et ont
été de suite déposés, le premier au Musée, et le second dans la
salle de l'Ecole de médecine. Ces ouvrages ont été trouvés
très beaux et d'un ciseau exercé.
Veuillez donc ici accueillir les sentimens de reconnoissancc
de l'administration et croire qu'elle s'empressera toujours de
vous en témoigner sa gratitude, lorsque les circonstances s'en
présenteront.
; Comme ces objets vous ont exigé bien des soins et avances,
veuillez, je vous prie, me dire ce qui pourroit vous être dû et
je m'empresserai d'en réclamer les fonds près le Conseil muni-
cipal qui, je suis assuré, s'empressera de les voter.
J'ai l'honneur d'être, avec une considération distinguée,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Le maire de la ville d'Angers,
DE VILLEMORGE.
Collection H. Jouin.
DE DAVID DANGERS 177

I82I

IX
De Villemorge à David.

Le Bonchamps. — La pension de la ville.

Angers, le 8 juin 1821.


Monsieur,
Je désirais bien avant mon départ avoir la satisfaction de
juger par moi-même, autant qu'il m'est permis de le faire, du
succès avec lequel vous traitez les travaux relatifs au monument
qui va être érigé à la mémoire du général Bonchamps, mais ne
vous ayant pas rencontré à votre atelier, rue de l'Abbaye, le
jour où j'y fus, peu avant de quitter Paris, il ne m'a pas été
possible d'y retourner depuis. Je l'ai beaucoup regretté pour
toute sorte de motifs. J'avais à vous parler aussi sur la pension
que la ville d'Angers vous fait et vous prier de me dire en
toute confiance et sans aucune fausse délicatesse si la prolon-
gation de ce traitement continue de vous être nécessaire. Je
vous le répète, expliquez-vous-en sans aucun détour et soyez
sûr que je n'ai d'autre désir que de vous obliger et de vous
prouver l'intérêt bien juste que je vous porte comme compa-
triote et comme maire. Je vous fais cette demande parce que
je vais m'occuper de mon budget.
Recevez l'assurance de la parfaite considération avec laquelle
j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très
obéissant serviteur.
DE VILLEMORGE.
Collection H. Jouin.
178 NOUVELLES LETTRES

l824

X
David à Pavie père.
La statue de Bonchamps. — Le buste de Bodin. — Les Angevins
illustres.

Paris, ce 10 janvier 1824.


Monsieur et bon ami,
Vers le mois d'aoust de cette année, j'espère être en mesure
de pouvoir faire placer la statue de notre brave compatriote
Bonchamp, alors j'aurai le bonheur de passer quelques instants
dans votre aimable société, dont j'ai été privé depuis bien des
années. Votre vue, celle de notre beau pays me redonneront,
j'espère, la santé.
J'ai l'intention de faire les bustes des hommes célèbres de
notre pays, je voudrais commencer par celui de Bodin. Monsieur
Grille a la planche en cuivre sur laquelle est gravé ce portrait,
pourriez-vous me rendre le service de le prier de vouloir bien
m'en confier un exemplaire ? Il me rendrait un bien grand
service; j'ai l'intention d'exposer ce buste au Salon prochain.
Je pense qu'on pourrait par la suite ouvrir une souscription
pour l'exécution en marbre des bustes des hommes les plus
distingués de l'Anjou. Je me contenterais de retirer seulement
mes frais, il me serait bien agréable d'exercer mon ciseau sur
de pareils sujets. Les Anglais n'élèvent leurs monuments que
par le moyen des souscriptions : cela n'obère point le Gouver-
nement et devient fort peu onéreux pour chaque particulier.
Les monuments attirent les étrangers dans un pays, ils
honorent les personnages éminents et électrisent l'imagination
des jeunes hommes. Si vous trouviez bon de donner de l'ex-
tension à cette idée, jesuis persuadé qu'elle fructifierait.
Adieu, Monsieur, recevez, je vous prie, l'assurance de l'en-
tier dévouement de votre ami et dévoué serviteur.
DAVID.
DE DAVID D ANGERS I79
Collection Pavie. — Le buste en bronze de Jean-François Bodin,
historien de l'Anjou, correspondant de l'Institut, exécuté en 1824,
est au musée David {Musées d'Angers, p. 122.) Toussaint Grille,
crudit et amateur, nommé dans cette lettre, a rempli les fonctions
de conservateur de la Bibliothèque d'Angers de 1805 à 1837.

XI
De Villemorge à David.
Bustes de Louis XVI et de Lacépède.

Angers, le 17 janvier 1824.


Monsieur,
Je recevrai avec reconnoissance pour la ville les deux bustes
en plâtre que vous m'annoncez ; celui qui représente les traits
de notre vertueux et infortuné monarque trouvera sa place
dans la salle du Conseil municipal. Le buste de Lacépède sera
placé de droit dans le cabinet d'Histoire naturelle. Je vous
prierai, Monsieur, lorsque vous m'écrirez pour m'annoncer
l'envoi des deux plâtres, de me marquer en même temps ce qui
vous sera dû par la ville. Il est de toute justice que la ville,
en acceptant vos dons, vous tienne compte de leur valeur.
Je recevrai aussi avec grand plaisir votre projet pour l'érec-
tion d'une fontaine monumentale dans notre ville, mais en
suivant l'inspiration de votre géniç, songez que nos ressources
ne nous permettraient peut-être pas d'en voir l'exécution,
même dans un avenir éloigné, si vous preniez un trop grand
essor.
Recevez l'assurance de la considération distinguée avec
laquelle j'ai l'honneur d'être. Monsieur, votre très humble et
très obéissant serviteur.
Le maire de la ville,
DE VILLEMORGE.
Collection H. Jouin.
— Le buste de Louis XVI, exécuté en 1823,
est au musée David ; le marbre a été placé à l'hôtel de ville du
Havre. {Musées d'Angers, p. 121.) Le buste de Lacépède, en marbre,
date de 1824, est également au musée David. {Ihid.) Le projet de
fontaine est resté à l'état de dessin. Il porte la date de 1816. Les
figures décoratives représentent la Maine et la Loire, {lbid., p. 202.)
l8o NOUVELLES LETTRES

1825
xn
Lacépède à David.
Le buste de Lacépède.

Paris, le 14 mars 1825.


Monsieur,
J'ai été bien étonné, bien affligé, et bien reconnoissant, en
trouvant, sur la cheminée de ma chambre, le très beau buste
que vous avez eu la bonté de faire porter chez moi. Comment
est-il possible, Monsieur, qu'un statuaire tel que vous ait
employé son grand talent pour un objet si peu digne de votre
ciseau ? Quelle illusion vous a faite l'amitié que vous voulez
bien avoir pour moi ! Votre buste et votre nom immortalise-
raient tout autre que votre obligé. On admire votre ouvrage ;
on trouve le buste très ressemblant ; ces éloges si mérités aug-
mentent mes regrets. Comment pourrai-je jamais vous prou-
ver la reconnoissance que m'inspire l'erreur de votre affection ?
Agréez l'hommage de tout ce que j'éprouve, et de tout ce
qu'inspirent, d'ailleurs, votre beau talent et vos qualités per-
sonnelles.
B.-G.-E.-L. comte DE LACÉPÈDE.
Collection David d!Angers. — On peut lire dans la vie du maître
de quelles circonstances délicates fut entourée l'offre du buste de
Lacépède dont l'artiste avait été l'obligé durant ses années d'études.
(Davidd'Angers, etc., t. I, p. 133-134.)

xm
David à Pavie père.
Le tombeau de Papiau de la Verrie. — Départ pour l'Anjou. —
L'ode sur Béclard.
Paris, ce 2 juin 1825.
Mon cher ami,
Il faut que. vous m'excusiez encore de mon importunité à
l'égard du monument commandé par Mme Papiau. Je vous
DE DAVID D'ANGERS l8l
préviens donc qu'il est parti de Paris hier : ainsi dans peu de
jours il sera à Angers. J'ai donné votre adresse au roulage.
Je vous remercie beaucoup de m'avoir envoyé l'adresse de
M. le Préfet, je l'ai vu, il a l'air extrêmement aimable.
Le cher Victor m'a remis deux livres que vous auriez dû
garder, ils pouvaient vous être plus utiles qu'à moi.
Enfin j'espère être dans peu de jours à Angers. Cette pensée
me rend bien heureux, une chose manquera à ma satisfaction,
c'est la présence de notre cher et bon Victor. J'aurais bien
désiré l'emmener avec moi, je n'ose pas lui parler de cela, parce
que je rouvrirais une plaie profonde; aujourd'hui, j'avais l'in-
tention d'aller le chercher à sa pension, mais cela m'a été
impossible, je suis encombré d'affaires. Je voudrais au moins
terminer le plus pressé avant mon départ.
Victor m'a donné une très bonne pièce de vers sur la mort
de notre pauvre Béclard, je pense que vous l'aurez jugée digne
de l'impression.
Adieu, mon cher ami, conservez-moi toujours votre bonne
amitié et recevez l'assurance de l'entier dévouement de votre
sincère ami.
DAVID.
Collection Pavie.
— Il est parlé du tombeau de Raymond Papiau
de la Verrie dans notre ouvrage David d'Angers et ses relations litté-
n).
raires (p.
— L'ode sur le docteur Béclard, angevin d'origine,
avait été composée par Louis Pavie. Victor Pavie, fils, alors collé-
gien à Paris, est devenu l'ami le plus intime de David.

XIV
David à Pavie père.
Apprêts de l'inauguration du Bonchamps.

Paris, il juin 1825.


Mon cher ami,
J'ai demandé à M. de Bouille une note sur M. de Bon-
champs. Il m'a dit qu'il ne pouvait vous donner que ce que
vous pourriez trouver dans la vie de ce héros, et que d'ailleurs
1
auteur du Vendéen au tombeau de ses chefs n'avait besoin que de
l82 NOUVELLES LETTRES
consulter son inspiration. M. de Bouille part lundi le 13, il va
directement à Saint-Florent. Il a l'intention de voir votre tra-
vail en passant par Angers. Je lui ai fait remarquer que vous
n'auriez pas assez de temps, mais vous pouvez lui envoyer une
copie à Saint-Florent. Enfin, cher ami, vous ferez pour le
mieux, je regarde comme une chose très importante que vous
occupiez de ce travail. Chaque habitant de la Vendée, pré-
vous
sent à cette cérémonie, emportera dans sa chaumière une
notice qui rendra compte des beaux instants de la vie de notre
héros. J'ai fait part de votre projet au duc, il l'a beaucoup
approuvé.
J'espère partir la semaine prochaine, ce sera vers jeudi ou
vendredi, enfin le plus tôt possible. La statue est partie ce
matin : dans 10 jours au plus tard elle sera rendue à sa destina-
tion.
Adieu, votre dévoué ami vous embrasse de tout son coeur.
DAVID.
Collection Pavie. — M. de Bouille, gendre de Bonchamps, avait
été sollicité par David de fournir à Pavie les éléments d'une notice
distribuable le jour de l'inauguration de la statue du général ven-
déen à Saint-Florent. Ce travail publié à sa date a pour titre :
Voyage à Saint-Florent et à La Chapelle, le 2f juin 1825 (in-8°, 7 p.).
Voir David d'Angers, etc. (t. I, p. 153). Le duc dont il est parlé
vers la fin de la lettre est M. de Brissac.

XV
David au maire de Cambrai.
Séjour à Angers. — La statue de Fénelon.
Angers, ce 7 juillet 1825.
Monsieur le Maire,
J'avais promis à M. Cotteau que la statue de Fénelon serait
terminée et posée avant le 15 aoust, je sentais bien vivement
l'importance de cette époque pour une pareille inauguration ;
mais j'ai été obligé d'interrompre mon travail pendant quelque
temps, afin de me rendre dans la Vendée, pour placer le monu-
ment du général Bonchamps, monument dont l'inauguration
DE DAVID DANGERS 183

se fera n
le de ce mois. Aussitôt après, je me rendrai à Paris,
et je m'occuperai exclusivement de votre ouvrage ; cependant,
malgré toute l'activité que j'y mettrai, je prévois qu'il me sera
impossible d'avoir terminé pour l'époque fixée. Croyez, Mon-
sieur le Maire, que cela me cause une bien grande peine, et
qu'il a fallu une force majeure pour m'obliger à quitter un
travail auquel je m'intéresse beaucoup, et pour la perfection
duquel je veux faire tout ce qui dépendra de moi.
Mon intention est d'assister à la pose de cette statue, et je
regarderai comme un très-grand bonheur la faveur de pouvoir
avoir l'honneur d'aller vous présenter mon respect.
Veuillez, monsieur le Maire, recevoir favorablement l'assu-
rance du profond respect de votre très-humble et très-obéissant
serviteur.
DAVID.
Archives municipales de Cambrai. — Cette lettre a été publiée par
M. A. Durieux, conservateur de la Bibliothèque de Cambrai, dans le
compte rendu de la session des Sociétés des Beaux-Arts, tenue à
Paris, en 1885 (in-8°, p. 212). David a daté ces lignes d'Angers où
il était descendu chez M. René Maillard, père de M. Adrien Maillard,
dont il sera fréquemment parlé dans la correspondance du maître.
(David d'Angers, etc., t. I, p. 153.)

XVI
Casimir Delavigne à David.
Préliminaires d'une rencontre fortuite. — Adolphe Mazure.

La Madeleine, 26 septembre 1825.


Mon cher David,
Je vous en veux d'avoir manqué à votre promesse et de n'être
pas venu nous surprendre à la « Madeleine ». Je vais vous
punir en vous écrivant une lettre à laquelle vous ne compren-
drez rien et en vous demandant un service que vous, ne vous
expliquerez pas davantage. Ecoutez-moi donc lés yeux fermés.
Mon ami, vous connaissez M. Adolphe Mazure, et, pour, des
raisons que je ne puis dire, j'ai un grand intérêt à le connaître.
Veuillez l'attirer dans votre atelier samedi,
30 de ce mois,
184 NOUVELLES LETTRES

sans lui parler de moi, je vous en supplie, sans jamais parler de


cette lettre à lui ni à personne. Je viendrai à midi, si cette
heure ne vous dérange pas. J'arriverai comme par hasard, ou
plutôt avec l'intention que j'ai depuis longtemps de voir votre
Fénelon, dont on parle même à Vernon, où l'on pourrait se
croire à cent lieues de Paris. J'admirerai votre nouvel ouvrage,
je ferai connaissance avec M. Adolphe, c'est un double plaisir
dont je vous remercie d'avance.
Pardonnez-moi la liberté que je prends et croyez à mon sin-
cère attachement.
Casimir DELAVIGNE.
Veuillez me rappeler le n° de votre atelier dans la rue d'Assas.
Répondez-moi, je vous prie, courrier par courrier, ou je ne
recevrai pas votre lettre.
A la Madeleine, route d'Andelys, près et par Vernon.
Collection David d'Angers.
— Adolphe Mazure nommé dans cette
lettre fut successivement professeur de philosophie et inspecteur de
l'Académie de Clermont. Dans quel but le poète des Vêpres Sici-
liennes avait-il intérêt à connaître Mazure ?

l82é
XVII
Mgr Belmas à David.
Paroles prononcées par l'évêque de Cambrai à l'inauguration
du Fénelon.

Cambrai, 21 janvier 1826.


Monsieur,
Après l'inauguration de votre superbe statue, j'ai dit ce que
je pensais ou, pour mieux dire, ce que je sentais. Maintenant
je vous écris ce que je disais, en vous envoyant copie de ma
courte allocution.
J'ai à coeur d'établir, autrement que par des paroles fugi-
tives, la preuve de mon exactitude à vous payer ce que vous
m'avez forcé de vous devoir.
DE DAVID D'ANGERS l8$
J'ai l'honneur d'être, avec toute l'estime que commande le
talent,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Louis, évêque de Cambrai.
« Messieurs,
« Vous pouvez
aujourd'hui jouir de l'avantage qu'ont eu
vos ancêtres; celui de converser avec Fénelon. L'auteur de sa
statue a su lire dans l'âme du bon archevêque les motifs du
respect et de l'amour que lui portaient ses contemporains. Le
talent vous les expose sur cette figure : pour éprouver les
mêmes sentimens, vous n'avez plus besoin d'interroger la
mémoire.
« Ainsi les arts servent de truchement entre les anciens et
les modernes, entre les hommes que séparent les plus grandes
distances ; et leur langage, pour être compris, n'exige point la
connaissance des différents idiomes.
« Vous avez pendant longtemps, Messieurs, attendu ce
monument que vous désiriez néanmoins avec tant d'ardeur. Il
n'en fallait pas moins à son auteur, pour satisfaire complette-
ment vos désirs; malgré toutes les difficultés locales que son
talent a su vaincre.
« Comme tous les produits de la nature, ceux du temps
doivent, sans doute, obéir aux lentes lois de l'assimilation. Un
projet restaurateur, conçu à d'autres époques, devait être exé-
cuté après la Restauration : la statue d'un prélat chéri atten-
dait, pour apparaître, que la Providence nous eut donné
Charles le Bien-Aimé. »
Collection David d'Angers.
— L'inauguration du monument de
Fénelon eut lieu le 7 janvier 1826. Le statuaire y assista. (David
d'Angers,etc., t. I, p. 155 a 157.)

xvni
David à Pavie père.
Villenave. — La gravure du Bonchamps.
Paris, le 20 juin 1826.
Mon cher ami,
Monsieur Villenave, qui va passer quelques mois à sa cam-
pagne, veut bien me rendre le service de se charger de cette
l86 NOUVELLES LETTRES
lettre pour vous. C'est un littérateur très distingué et aussi
aimable qu'il a de mérite. Je suis bien content que vous fassiez
sa connaissance, je pense qu'il pour a rester quelques heures
à Angers.
Je n'ai encore rien de certain pour la gravure du monument
de Bonchamps. J'avais prié M. de Bouille, à plusieurs reprises,
de vouloir bien traiter cette affaire avec M. Baudoin, mais
j'apprends qu'il est à Clermont depuis un mois et probable-
ment qu'il n'aura pas vu le libraire. Il faut actuellement que
.
je me charge de négocier cette affaire.
A vous.
DAVID.
Collection Pavie.
— Mathieu-Guillaume-Thérése Villenave, litté-
rateur infatigable, amateur distingué, est le père de Mme Waldor
dont le médaillon fut modelé par David en 1835. (Musées d'Angers,
P- I59-)
1828

XIX
Eynard à David.
Le médaillon d'Eynard. — L'indépendance de la Grèce.

Vendredi, 30 avril 1828.


Monsieur,
Je vous remercie de l'obligeante lettre que vous avez bien
voulu m'écrire en m'envoyant la médaille que vous avez faite.
Si j'ai eu le bonheur d'être utile à une nation malheureuse,
j'en.suis mille fois récompensé ! ! Je n'oublierai jamais, Mon-
sieur, que c'est à votre patrie que la Grèce doit son indépen-
dance, car c'est la nation française qui a la première secouru la
Grèce. Je n'ai fait que suivre la route tracée par la bienfaisance
de vos compatriotes ; mon seul mérite a été de l'avoir conti-
nuée avec persévérance.
Agréez, Monsieur, l'assurance de la considération de votre
très humble serviteur.
J. EYNARD.
DE DAVID D'ANGERS 187
Collection David d'Angers. —J.-G. Eynard, philhellêne genevois,
reçut de David son médaillon en bronze, au début de 1828. On sait
que trois ans auparavant Eynard avait fait un séjour à Paris dans le
but d'assurer aux Grecs le concours de la France.

XX
Le baron Portai à David.

Le statuaire offre le buste d'Ambroise Paré à l'Académie


de médecine.

Paris, ce 14 août 1828.


Monsieur,
Avant de vous remercier de votre offre généreuse, permettez-
moi de vous dire que l'Académie n'a reçu votre lettre du
29 juin que le 5 août. Je crois devoir faire cette observation
afin que vous ne lui supposiez pas des torts qu'elle n'a pas :
c'en serait un fort g.and, en effet, de montrer si peu d'empres-
sement à qui lui témoigne tant d'intérêt. Il m'importe plus
qu'à personne de la justifier à cet égard, puisqu'elle m'a chargé
de vous dire combien elle est sensible à l'hommage que vous
voulez bien lui faire. Le buste d'Ambroise Paré sera d'autant
plus précieux pour l'Académie qu'elle ne pourra contempler
l'image de ce grand chirurgien sans se rappeler la main habile
qui l'a tracée, et quila lui a généreusement offerte pour déco-
rer la salle de ses séances.
Veuillez recevoir ici l'expression de sa gratitude et l'hom-
mage de toute la considération due à votre caractère et à vos
talens.
J'ai l'honneur d'être, avec une haute considération, Mon-
sieur, votre très humble et obéissant serviteur.
Le Président d'honneur perpétuel,
Le baron PORTAL.
Collection David d'Angers. Le statuaire modela le buste du

baron Portal en 1838. (Musées d'Angers, p. 166.)
l88 NOUVELLES LETRRES

XXI
De Villemorge à David.
Hippolyte Maindron.

Angers, ce 28 août 1828.


Monsieur,
Vous ne devez pas douter du grand poids qu'a dans mon
esprit une recommandation aussi pressante que celle que vous
me faites en faveur de M. Maindron, votre élève, dont vous
faites si bien valoir les talens qu'il promet et l'estimable carac-
tère. Mais aujourd'hui moins que jamais, il ne suffit pas à un
fonctionnaire public, et moins à un maire qu'à tout autre, de
reconnaître une chose juste pour pouvoir la faire. Il faut, au
risque d'être dénoncé de la manière la plus odieuse, marcher
d'après l'ordre légal qui est aujourd'hui le refrain général, sans
que les effets en bien ou en mal soient bien appréciés par le
grand nombre. Je m'occupe fort peu de la mairie de laquelle je
suis trop longtems éloigné pour en pouvoir bien suivre les
affaires.
Le conseil municipal pourrait seul allouer une somme à
M. Maindron pour l'aider à se soutenir, mais dans la supposi-
tion qu'il adopte cette idée, il sera peut-être arrêté dans ses
intentions généreuses par la considération que ce jeune élève
n'est pas né à Angers et qu'il peut y avoir de l'inconvénient à
ce que la ville étende ses bienfaits sur d'autres que ses propres
enfans.
Au reste, je profiterai, à la fin de l'automne, de la première
occasion favorable pour présenter votre demande au conseil
municipal, sans l'avis duquel je ne pense pas qu'il puisse être
rien fait.
L'illustre artiste, au ciseau duquel on doit le sublime monu-
ment de Bonchamps et la belle statue du Grand Condé, a trop
de droit à l'estime de ses concitoyens ainsi qu'à leur admira-
tion, pour ne pas en être écouté favorablement quand il plaide
auprès d'eux la cause du talent malheureux.
Recevez, avec l'expression sincère de ces sentimens de ma
DE DAVID D'ANGERS 189

part, celle de la considération très distinguée avec laquelle j'ai


l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant
serviteur.
Comte DE VILLEMORGE, député.
CollectionH. Jouin. — H. Maindron, né à Champtoceaux (Maine-
et-Loire), ne pouvait espérer que le budget de sa commune permît
de lui accorder la pension nécessaire à son séjour à Paris, durant
ses années d'études. David essaya d'obtenir de la ville d'Angers ce
que la bourgade natale du jeune sculpteur était impuissante à lui
procurer.

xxn
David au maire de la Ferté-Milon.
La statue de Racine. — Projet d'édicule par Provost.

Paris, 18 septembre 1828.


Monsieur le Maire,
Il y a quelque temps que j'ai eu l'honneur de vous écrire à
l'égard du placement de la statue de Racine. N'ayant pas reçu
de réponse, j'ai pensé que ma lettre n'était pas arrivée à sa
destination. C'est ce qui me fait prendre la liberté de vous
écrire encore. J'ai vu dans les journaux que le Conseil dépar-
temental avait voté une somme de quatre mille francs, j'ai
pensé que votre intention était d'exposer cette statue au regard
du public, mais comme notre climat est destructeur pour le
marbre, j'ai pensé aussi qu'il serait nécessaire de la mettre à
couvert des injures de l'air. J'ai, à cet effet, engagé un architecte
à faire le projet que nous avons l'honneur de vous adresser.
Veuillez avoir la bonté de m'honorer d'un mot de réponse,
vous m'obligerez beaucoup.
Recevez, monsieur le Maire, l'assurance du respect de votre
très humble serviteur.
DAVID,
statuaire, membre de l'Institut de France.
Collection H. Jouin.
— L'édicule protecteur de la statue de Racine,
a la Ferté-Milon, consiste en une coupole supportée par des
colonnes. Il est l'oeuvre de l'architecte Jean-Louis Provost, prix de
t90 NOUVELLES LETTRES
Rome en 1811, c'est-à-dire l'année même où David remportait aussi
le grand prix. David et Provost demeurèrent très attachés l'un à
l'autre. Le statuaire a consacré à son ami une page touchante écrite
le lendemain de la mort de l'architecte. David d'Angers, etc. (t. II,
pp. 2IO-2II.)
xxm
De Villemorge à David.
Pension accordée à Maindron. — Le buste de Fénelon.

Angers, ce 15 novembre 1828.


Monsieur,
Les devoirs du Conseil municipal d'Angers ne lui laissoient,
pas plus qu'au maire, la faculté d'accorder à M. Maindron la
pension qu'il désirait obtenir et que vous sollicitiez en sa
faveur; du moment qu'il n'étoit pas natif de la ville, cette
mesure exceptionnelle offrait de graves inconvéniens. Aussi,
malgré l'intérêt que mérite ce jeune élève, celui que vous lui
portiez et qui devenoit une puissante recommandation en sa
faveur, nous ne pouvions adhérer à votre demande.
C'est le Conseil général du département, juste appréciateur
des besoins et intérêts généraux du pays et de ceux de tous ses
concitoyens qui, sur la proposition de son honorable et
illustre président, M. le comte de La Bourdonnaye, a accordé
à M. Maindron une pension de 500 francs sur le fonds des
centimes facultatifs dont la désignation de l'emploi lui appar-
tient et pour une durée de 2 ou 3 ans. J'ai eu seulement la
satisfaction d'y concourir comme membre de ce Conseil.
La ville recevra avec une vive reconnoissance les nouveaux
dons que vous lui destinez, et considérant le mérite de l'au-
teur et se rappelant qu'il est né dans ses murs, elle se félici-
tera doublement en recevant ses témoignages authentiques et
précieux de son attachement pour son pays.
Je vois comme vous la nécessité de placer le buste de
Fénelon dans un endroit distinct, car jamais les grands
hommes ne doivent être confondus avec ceux qui n'ont eu
que de la célébrité.
Agréez, avec l'assurance de mes sentimens particuliers,
DE DAVID D'ANGERS içt
celle de la considération très distinguée avec laquelle j'ai
l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et obéissant
serviteur.
Le maire de la ville,
comte DE VILLEMORGE,
député de Maine-et-Loire.
Collection H. Jouin. — Le buste de Fénelon, en bronze, porte la
date de 1827. Musées d'Angers (p. 125.)

XXIV
Dupin aîné à David.
Le médaillon de Dupin.

Paris, ce 17 décembre 1828.


Monsieur,
Je suis passé deux fois chez vous pour vous remercier de
l'aimable cadeau que vous avez bien voulu me faire; j'ai eu le
regret de ne pas vous rencontrer; mais je ne puis différer plus
longtemps à vous dire combien je suis flatté de cette marque
bienveillante d'estime de la part d'un artiste tel que vous,
aussi distingué par son talent éminent que par la pureté de
son caractère.
Je suis, avec une haute considération, Monsieur, votre très
obligé serviteur.
DUPIN aîné.
Collection David d'Angers.
— La médaille de Dupin fut exécutée
en 1828. {Musées d'Angers, p. 127.) On sait avec quelle fréquence et
quel éclat Dupin aîné parut à la tribune de la Chambre durant la
session de 1828.
XXV
Louis Boulanger à David.
Le médaillon de Louis Boulanger.

Paris, lundi... (1828?)


Que vous êtes bon pour moi, mon cher monsieur David.
J ai reçu
avec bien de la joie votre belle étude et votre excel-
I92 NOUVELLES LETTRES
lente lettre. Je suis bien reconnaissant de l'une et de l'autre,
et je vous assure que c'est un grand encouragement pour moi
que la sympathie d'un aussi grand artiste que vous.
Fassent le ciel et mes efforts que je parvienne à la mériter!
En attendant, je suis votre sincère et chaud admirateur.
Louis BOULANGER.
Collection David d'Angers. — Cette lettre est sans date, mais elle
a trait au médaillon du peintre, daté de 1828. Musées d'Angers,
(p. 129.)
1829

XXVI
De Villemorge à David.
Le buste de François Ier.

Angers, le 5 mars 1829.


Monsieur,
J'ai reçu, il y a quelque tems, la caisse contenant le buste
en bronze de François Ier, annoncée postérieurement par votre
lettre du 22 février.
Je vous remercie, comme maire, du présent que vous faites
à votre ville natale d'un morceau qui me semble tout à fait
propre à augmenter votre réputation et je pense que les con-
noisseurs en jugeront de même.
La ville d'Angers attache un juste prix aux ouvrages qu'elle
a reçus de vous en reconnoissance de l'intérêt qu'elle vous a
constamment témoigné et de celui qu'elle vous portera tou-
jours. Je reçois aussi avec une grande satisfaction l'assurance
de l'intention où vous êtes d'enrichir notre musée d'un
ouvrage qui place à jamais votre nom au premier rang des
sculpteurs, aux yeux de la postérité et au jugement des con-
temporains.
Ménagez votre santé, monsieur, je vois avec peine qu'elle
n'est pas bonne, je l'avois ouï dire et que vous la gouverniez
mal. Songez que ce n'est, en général, qu'après de longs et
fatigants travaux que l'on parvient à la gloire et qu'en consé-
DE DAVID DANGERS 193

quence il devient important de ménager le moyen d'arriver au


but.
Le buste de François Ier sera établi sur un piédestal tel que
vous le désirez.
J'ai l'honneur d'être avec une parfaite considération,
monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
DE VILLEMORGE.
CollectionH. Jouin. — Commandé par l'Etat, le buste en marbre
de François Ier fut placé a l'hôtel de ville du Havre. Un exemplaire
en bron/x fut offert par David à sa ville natale. Cette oeuvre porte
la
date de 1822. Musées d'Angers (p. 121).

XXVII
Beyle à David.
La médaille de Stendhal.

Paris, 24 juillet 1829.


Cher et obligeant ami, vous par qui je vivrai après ma mort.
Si vous mettez un nom à la médaille, mettez en petits
caractères : Henri Beyle.
Mille et mille amitiés. H. BEYLE.
Collection David d'Angers.
—•
Beyle s'étant rendu populaire sous
son pseudonyme, David voulut savoir de son modèle quel nom lui
agréait le mieux. C'est en 1829 que fut modelé le profil d'Henri
Beyle. Musées d'Angers (p. 131).

XXVIII
David à Pavie père.
Départ pour Weimar. — Théodore Pavie.

Paris, 12 août 1829.


Adieu, cher bon ami. Dans une minute nous monterons en
voiture. Tu nous manques, ami. Si tu étais du voyage notre
joie serait complète. N'aurai-je jamais
un pareil bonheur?
194 NOUVELLES LETTRES
J'ai écrit un mot à mon jeune ami. Je l'aime bien aussi.
Dans une demi-heure, la veille de son départ de Paris, il m'a
fait pénétrer son âme. Je l'aimais comme ton fils, je l'aime
aujourd'hui pour lui-même.
Adieu. Ton ami fidèle.
DAVID.
Collection Pavie.
— Le voyage de Weimar, motivé par le désir du
statuaire de modeler le buste de Goethe, fut exécuté par David, en
compagnie de Victor Pavie. Le frère de celui-ci quitta Paris pour
l'Anjou. C'est à lui que fait allusion le statuaire dans ce billet. David
d'Angers et ses relations littéraires (p. 42 à 45).

XXIX
Le comte Reinhard à David.
La carte de Goethe.

Weimar, ce 5 octobre 1829.

Monsieur le comte Reinhard fera, j'espère, un plaisir sen-


sible à M. Daviden l'assurant du souvenir cordial de W. Goethe.
Collection David d'Angers. —• Le comte Charles-Frédéric Reinhard,
diplomate français, ministre près de la Confédération germanique,
en 1829, est connu par son intimité avec Goethe. Le billet que
nous donnons ici nous montre Reinhard remplissant l'office volon-
taire de « secrétaire des commandements » auprès de son ami.
David a modelé, en 1833, la médaille du comte Reinhard. Musées
d'Angers (p. 149).

XXX
Victor Hugo à David.
Abel Hugo. — Georges Cuvier.

Ce vendredi soir. (1829?)

Figurez-vous, cher ami, que nous dînons demain chez


mon frère Abel, du mariage duquel c'est l'anniversaire. Ma
femme vous a précisément rencontré aujourd'hui et a précisé-
ment oublié de vous dire cela. Or, voilà ce qu'il y a de mal-
DE DAVID D'ANGERS 19$

heureux dans cela, c'est que, demain soir, je serai privé de


M. Cuvier et, ce qui est bien pis, de vous.
Abel aurait bien dû ne pas se marier un 20 décembre.
N'importe ! A bientôt.
VICTOR HUGO.
Collection David d'Angers.
— Abel Hugo, le publiciste fécond
mort en 1855, était le frère aîné du poète. D'après le sens de ce
billet, on peut supposer que David s'était chargé de conduire — pour
une première fois peut-être — Georges Cuvier le naturaliste, alors à
l'apogée de sa gloire, chez l'auteur des Feuilles d'automne.

1830

XXXI
La Fayette à David.
Le buste de Washington.
9 mars 1830.
Toujours de nouveaux bienfaits et de nouveaux témoignages
d'une affection qui m'est bien précieuse. Cette ressemblance
de mon vieux ami est admirable comme tout ce qui me vient
de vous. Mille tendres remerciements et amitiés.
LA FAYETTE.
Collection David d'Angers.
— Ce billet est le remerciement d'un
exemplaire en plâtre du buste de George Washington, premier pré-
sident des Etats-Unis, offert au général La Fayette. Ce buste date de
1828. David d'Angers, etc. (t. I, pp. 210, 211, 458, et t. II, p. 368).

XXXII
David à Flajoulot.
Le peintre Flajoulot. — David élu membre de l'Académie
de Besançon.
Paris, 20 mai 1830.
Mon cher ami,
J'ai tardé beaucoup à répondre à votre aimable lettre, parce
I96 NOUVELLES LETTRES

que j'attendais toujours l'honneur de voir le député qui avait


bien voulu me la remettre.
Je serai bien heureux et bien reconnaissant si l'Académie de
Besançon veut bien m'admettre dans son sein. Croyez, cher
ami, que ce sera pour moi un bien grand stimulant. Je tâche-
rai de me rendre digne d'une telle faveur. Recevez donc l'ex-
pression de ma bien vive reconnaissance pour la bonté que
vous avez eue de penser à une chose qui m'est si agréable.
Agréez l'assurance de l'entier dévouement de celui qui est
de tout coeur votre ami.
DAVID.
Collection David d'Angers. — Charles-Antoine Flajoulot, fondateur
du musée d'antiquités de Besançon, appartenait à l'Académie de
cette ville. David, grâce à l'influence de Flajoulot, reçut le titre de
membre de la même Société.
Cette lettre, datée du 20 mars 1830, porte le timbre du
20 mai 1830.
XXXIII
Merlin de Thionville à David.
Le médaillon du conventionnel. — Jean-Paul Richter.

Paris, ce 25 mai 1830.


Monsieur,
J'étois parti pour la campagne, à moitié mort; j'en suis
revenu encore bien souffrant. On me remet votre lettre du
lé Vienne actuellement quand il voudra l'ange de la der-
nière heure, comme l'appelle l'Allemand Jean-Paul. J'ai un
« ami céleste », un « frère éternel » qui a partagé avec moi
son immortalité.
Je m'empresserai d'aller vous témoigner toute ma recon-
naissance et nous causerons de votre lettre.
MERLIN DE THIONVILLE.
Collection David d'Angers. — Le médaillon de Merlin porte la date
de 1830. (Musées d'Angers, p. 136.) DawVJ en offrant cette médaille
entretint son modèle d'une affaire dont le sujet nous échappe.
Merlin se propose d'en conférer avec le statuaire. Epris de Richter
dont les oeuvres sont à peu près intraduisibles, Merlin ne laisse pas
DE DAVID DANGERS I97
de prêter à l'emphase par les citations, si brèves qu'elles soient,
qu'il emprunte à son auleur favori.

XXXIV
David à Rouget de Lisle.
Le médaillon de l'auteur de la Marseillaise.

Paris, 18 juillet 1830.


J'ignore ce que Béranger a pu vous dire; croyez qu'il
n'entrera jamais dans mes idées de faire la moindre chose qui
puisse vous être pénible; en faisant votre portrait en marbre
j'ai voulu consacrer les traits d'un homme qui a servi la noble
cause de notre chère patrie ; ce trop faible tribut est de tout
coeur ; ce que je désire bien, c'est que vous me conserviez une
part dans votre amitié, j'en serai bien fier et bien reconnais-
sant
Collection Lajariette.
— Cette lettre a passé en vente le
23 novembre 1848, le 15 novembre 1860 et le 7 décembre 1865.
Le médaillon de Rouget de l'Isle, de proportions colossales, fut
sculpté en marbre en 1830 et mis en loterie au profit du poète.
David d'Angers, etc. (t. I, pp. 169-171).

XXXV
Ballanche à David.
Visites de curieux.
Jeudi matin, 1830.
Mon très cher et très honoré Monsieur David,
Mme d'Hautefeuille a un extrême désir de visiter votre ate-
lier. Elle part samedi
pour la campagne. Il faudrait donc que
vous eussiez l'extrême bonté de me permettre de la conduire
chez vous demain, vendredi, veille de
son départ.
L'heure qui lui conviendrait parfaitement serait sur les deux
heures après midi. Veuillez, je
vous prie, me faire dire si je
puis faire avec elle cette petite expédition.
198 NOUVELLES LETTRES
Vous comprendrez facilement que, lorsqu'on habite la
cam-
pagne, on désire faire provision de beaux souvenirs.
Mille affectueux compliments.
BALLANCHE.
P. S. J'ai enfin trouvé un atelier qui me convient.
Collection David d'Angers.

1831

XXXVI
David au maire d'Angers.
Offre d'un coq en bronze doré.

Paris, 14 janvier 1831.


Monsieur le Maire,
Je viens de charger au roulage une petite caisse contenant
le coq en bronze doré. Je suis bien heureux que mes compa-
triotes veuillent bien accepter cette production d'un ciseau
toujours dirigé par un coeur plein de reconnaissance pour l'in-
térêt dont ils m'ont constamment honoré.
Veuillez, Monsieur le Maire, recevoir favorablemeni l'assu-
rance du profond respect de votre très humble serviteur.
DAVID.
Archives municipales d'Angers
— Le coq gaulois, modelé par
David, fut une offre du statuaire à la Garde nationale d'Angers. David
d'Angers et ses relations littéraires (p. 51).

XXXVLU
Joubert-Bonnaire à David.
Le modèle du Condé.

Angers, le 20 janvier 1831.


Monsieur,
J'ai l'honneur de vous accuser réception du magnifique coq
en bronze doré que vous avez eu la bonté de m'expédier pour
DE DAVID D ANGERS I99
notre garde nationale, et qui est parvenu à Angers dans le
meilleur état possible. Le Muséum a précédemment reçu, éga-
lement en bon état, la statue du Grand Condé qu'elle doit
aussi à votre généreuse sollicitude pour votre ville natale.
Veuillez, Monsieur, agréer l'expression de ma vive recon-
naissance et de celle de tous mes concitoyens, dont je me
rends l'interprète dans cette circonstance, sachant combien ils
savent apprécier la noble conduite que tient envers eux le
modeste autant qu'habile artiste qu'ils s'honorent d'avoir pour
compatriote.
Je me trouverais heureux de pouvoir saisir une occasion de
vous prouver l'estime et la considération toute particulière que
je vous porte, |et avec lesquelles je suis, Monsieur, votre très
humble et tout dévoué serviteur.
Le maire d'Angers,
Alex. JOUBERT-BONNAIRE.
Collection H. Jouin. — Il est parlé de l'offre du Condé dans David
d'Angers et ses relations littéraires (p. 51).

xxxvm
Petitot à David.
Préliminaires d'une candidature à l'Institut.

Le 27 janvier 1831.

Je te rappelle, mon cher David, que tu m'as promis de


venir voir à mon atelier quelques ouvrages terminés récem-
ment et qui, par conséquent, n'ont pas encore été exposés.
Je compte sur ta promesse et te prie de ne pas m'oublier.
J'espère que tu me rends assez de justice pour ne pas
craindre de ma part de sollicitation importune. Malgré tout le
désir que j'aurais d'être de l'Institut, je ne veux que montrer
le peu que je puis faire; telle est toute la sollicitation que
j'oserai me permettre.
Je te prie de me croire ton tout dévoué et vieux camarade.
L. PETITOT.
P. S. Je suis tous les jours à mon atelier de midi à cinq
heures.
200 NOUVELLES LETTRES
Collection David d'Angers. Petitot exposa au Salon de 1831
—-
Une fille de Niobé mourante, c'est sans doute cette oeuvre qu'il voulut
soumettre au jugement de son ami. Quant à l'Institut où il projetait
d'entrer, Petitot dut attendre encore quatre années avant d'en fran-
chir le seuil.
XXXLX
Montalant à David.
Le monument du général Foy.
— Buste de La Revellière-Lepeaux.
Les Angevins fiers des envois de David.

Angers, le 13 septembre 1831.


Monsieur,
J'ai communiqué au Conseil municipal, dans une assemblée
générale, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adres-
ser, le 16 août dernier, pour m'annoncer le magnifique envoy
de la gravure du monument élevé à la mémoire du général
Foy, qui est arrivée à bon port au Musée, où elle occupe la
place que réclamait son importance, et celui du buste en bronze
de Larevellière-Lépeaux qui doit la suivre de près.
\ Messieurs les conseillers, à l'unanimité, m'ont chargé de
vous témoigner leur vive reconnaissance de cette nouvelle
preuve de la sollicitude que vous portez à notre ville, tous les
jours de plus en plus fière de vous compter au nombre de ses
concitoyens les plus distingués.
En m'acquittant de cette mission, qui m'est on ne peut plus
agréable, j'éprouve le besoin de joindre mes remercîmens per-
sonnels, comme maire, à ceux de ces Messieurs, et de vous
exprimer, Monsieur, combien je suis sensible à tout ce que
vous faites en faveur de mes concitoyens. L'intérêt qu'ils vous
portent ainsi que moi s'augmenterait, s'il était possible, par la
manière délicate avec laquelle vous savez colorer les dons que
vous nous envoyez, et qui sont à nos yeux d'un prix d'autant
plus grand, que nous sommes fiers de montrer aux étrangers
les oeuvres remarquables de l'un de nos bons Angevins.
Veuillez agréer la nouvelle assurance des sentiments affec-
tueux et très distingués avec lesquels j'ai l'honneur d'être,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Pour le maire d'Angers,
MONTALANT, adjoint.
DE DAVID DANGERS 201
Collection H. Jouin. — L'estampe offerte par David, d'après le
monument du général Foy, dont l'architecture est de Léon Vaudoyer,
mesure i m. 05 sur 1 m. 43. Louis Dupré, Numa et Ravérat ont des-
siné cet ensemble qui a été gravé par Trévoux et Ollivier. Le buste de
La Revellière dont il est question ici est le bronze daté de 1831 ; un
marbre, de date antérieure, a été offert au Musée David en 1867.
Musées d'Angers (pp. 123 et 137).

XL
David à Pavie père.
Le général Foy. — Buste et médaillon de Louis Proust. —
Une lettre de Goethe.

Paris, 17 octobre 1831.


Mon cher ami,
Je viens enfin de terminer la statue du général Foy, on va
la placer sous peu de jours, et ensuite je partirai pour la chère
patrie! La veille de mon départ, je t'écrirai, j'espère que je
quitterai Paris le 24.
Je viens d'expédier le buste de Proust par le roulage accé-
léré; il sera bientôt rendu à Angers. Si tu peux encore prendre la
peine de le faire placer convenablement, je te serai bien
obligé. Je viens de faire encadrer les deux dessins que j'avais
faits d'après M. Proust, ils seront placés au Musée. Je viens
aussi de terminer sa médaille ; voilà mon hommage à la
mémoire de notre célèbre compatriote, du mieux qu'il m'est
possible.
Adieu, je t'écris à la hâte ces lignes, parce que M. Roze va
me montrer le plan d'une machine qui a l'air d'une maison,
et qui servira à élever la statue de Foy sur son piédestal.
Je viens de recevoir une bien bonne et aimable lettre de
Goethe, je te porterai la traduction. Le buste est arrivé en bon
état et il paraît que le procédé et l'ouvrage ont fait impression
en Allemagne. Présente mon respect à Mrac Pavie, embrasse
nos deux bons amis.
Ton dévoué ami de coeur. DAVID.
Emilie me recommande bien de ne pas oublier de la rappe-
ler à ton souvenir. Peux-tu te faire
une idée du charmant
voyage que nous allons faire !
202 NOUVELLES LETTRES
Merci, merci, pour l'aimable lettre que j'ai reçue de toi
dernièrement.
Collection Pavie.
— Louis Proust, chimiste, né à Angers, est
mort à Paris, membre de l'Académie des sciences, le 5 juillet 1826.
Son successeur à l'Institut fut Eugène Chevreul, Angevin comme
lui. Nous avons parlé dans la Vie du maître de l'hommage rendu par
David à son compatriote Louis Proust {David d'Angers, etc., t. II,
pp. 366, 429). Les dessins, la médaille et le buste rappelés ici sont
au Musée David. (Musées d'Angers, pp. 138, 204). La lettre que
Goethe écrivit au statuaire à la réception de son buste en marbre, de
proportions colossales, a été publiée par nous dans David d'Angers,
etc. (t. I, p. 577). C'est une page de haut style qui fait le plus grand
honneur à l'artiste.

XLI
David à Pavie père.
Voyage du statuaire à Angers. — Le monument du général Foy.

Mardi, 25 octobre 1831.


Cher ami,
Nous partons jeudi, à 4 heures du matin; nous coucherons le
soir même à Orléans, vendredi à Tours et samedi à Angers.
Nous nous arrangerons pour n'y arriver que vers 8 heures.
Demain on élève la statue du général Foy sur son monu-
ment du Père-Lachaise.
Adieu. Ton ami de tout coeur. DAVID.
Collection Pavie.
— Le monument du général Foy a été l'objet
d'une description développée dans la vie du maître. David d'Angers,
etc. (t. I, pp. 161-167).
XLLI
David à Pavie père.
Séjour en Anjou. — Un service à rendre.
Le Fléchay, lundi matin 22 novembre 1831.
Mon cher ami,
Hier au soir j'ai été chez toi pour t'embrasser en passant
DE DAVID D ANGERS 203

par notre Angers. Bientôt, je l'espère, nous nous reverrons,


et nous causerons de la lettre que tu trouveras sous ce pli.
J'ai engagé M. Mesnard à t'envoyer deux copies faites par
son fils à Paris. Ne pourrais-tu pas les faire voir à quelques
curés pour décorer leur église ? L'auteur les donnerait à bien
bon compte. Pauvre jeune homme, il est bien intéressant.
Nous partons de suite pour Soudant, chez Pilastre, j'espère
que dans quatre jours je reverrai la rue Saint-Laud.
Tout à toi de coeur.
DAVID
Emilie me charge de te dire mille choses aimables, ainsi que
Victor et Ossian La Revellière.
Vendredi matin, pour sûr, nous serons à Angers.
Collection Pavie. — Le Fléchay, où David trace ces lignes, était
une maison de campagne appartenant à la famille La Revellière et
située sur la commune d'Avrillé, près d'Angers. Alfred Ménard,
peintre angevin alors à Paris, envoyait à son père resté à Angers
les copies de peintures de maîtres qu'il lui était possible d'exécuter.
David, en traversant Angers, est allé voir Ménard le père, et appre-
nant que deux copies de tableaux religieux n'ont pas encore trouvé
acquéreur, il prend sur lui d'intéresser Pavie à la vente de ces toiles,
dans le but de procurer des ressources à son jeune compatriote.

XLHI
Lady Morgan à David.
Proposition discrète relative au buste de Chapmann.
— Le dernier
livre d'Alexandre Dumas.

Dublin 1831.
Je m'empresse de saisir toutes les occasions, mon cher
monsieur David, de vous renouveler l'expression de mon
hommage et de ma reconnaissance pour le plus beau
morceau
de sculpture moderne qui ait
encore illustré les arts dans mon
pays. Monsieur Montague Chapmann, membre du Parlement
pour un de nos comtés et un des plus distingués et plus libé-
raux de nos jeunes sénateurs, a tant et si longtems admiré
votre buste, qu'il est tout naturel qu'il désirât faire la connais-
204 NOUVELLES LETTRES

sance du célèbre et digne artiste. Veuillez donc avoir la bonté


de lui faire voir votre toujours intéressant atelier. Je serai
enchantée s'il a le tems de rester à Paris et d'ajouter à vos
bustes célèbres une tête très « habile », quoique encore toute
jeune.
Sir Charles et ma nièce se recommandent à vos bons sou-
venirs et avec mille choses aimables à Mme David.
Je vous prie de me croire à vous.
S. MORGAN.
Rappelez-moi à M. Dumas et priez-le de m'envoyer son
dernier ouvrage. M. Chapmann s'en chargera.
Collection H. Jouin. — On ne peut s'y tromper, lady Morgan
abuse. Elle députe Chapmann vers David, avec le secret espoir que
l'artiste voudra bien faire le buste de son compatriote. La lettre n'est
pas datée, mais il y est question de Mme David et le statuaire s'est
marié en juillet 1831. Lady Morgan réclame le dernier livre de
Dumas, mais, avec son habituelle fécondité, Dumas déroute bien
vite les calculs des bibliographes. Son dernier livre ne porte jamais
le même titre au bout d'une semaine.

XLIV
David à Alfred de Musset.
La médaille du poète.

Paris Samedi soir. 1831.


Monsieur,
Je suis de service demain pour presque toute la journée,
c'est ce qui me privera du plaisir de vous recevoir à mon
atelier. Lundi, le jury qui doit juger le concours pour la
monnaie du Roi aura certainement terminé son opération vers
midi, je me rendrai de suite rue de Fleurus et, si vous pou-
vez disposer de quelques instants, je vous y attendrai. Vous
obligerez votre bien dévoué serviteur.
DAVID.

Collection de Musset. — Le médaillon du poète porte la date de


1831. L'excuse du statuaire est motivée son service dans la
par
garde nationale.
DE DAVID D*ANGERS 20$

1832

XLV
David à Pavie père.
Un premier enfant.
Paris, 14 mai 1832.
Cher bon ami,
J'avais prié M. La Revellière de te faire savoir la délivrance
de ma pauvre Emilie. J'ignore comment sa lettre était conçue,
mais il me semble qu'il connaît trop mon inviolable amitié
pour toi pour ne pas se servir d'expressions convenables, il
m'aurait été impossible d'écrire, j'avais l'âme brisée par le
spectacle des souffrances atroces que j'ai eu sous les yeux
presque toute une nuit. Dans le cours de ma vie, j'ai éprouvé
tous les malheurs, il ne me manquait que cette cruelle ago-
nie. Je viens d'enterrer mon pauvre petit enfant, et je ne quitte
pas d'un instant la chère malade qui a souffert autant qu'il
est possible de souffrir. Cependant, aujourd'hui, le médecin
croit qu'il y a un peu d'amélioration. C'est cette bienfaisante
nouvelle qui, en me donnant un peu d'espoir, me fait
t'écrire. Toi, tu peux sentir mieux que tout autre ce que j'ai
souffert.
Adieu, amitié bien sincère et dévouement pour la vie.
DAVID.
Collection Pavie.
XLVI
David à Pavie père.
Rétablissement de Mme David. — Le choléra à Angers.

Paris, 29 mai 1832.


Cher bon ami,
J'ai reçu avec bien de la reconnaissance ta chère lettre de
consolations. Elle m'a porté bonheur, car Emilie se porte
bien mieux, et
ma vie va reprendre son cours habituel. Mais
actuellement je suis inquiet sur l'état sanitaire d'Angers. Dans
206 NOUVELLES LETTRES

mon journal, je dévore des yeux le bulletin des départements,


et j'éprouvais un bien vif bonheur en ne voyant pas le nom
de notre chère ville, mais ce soir j'ai lu une lettre qui parle de
plusieurs cas de choléra. En grâce, cher ami, donne-nous
souvent de vos nouvelles, car ma femme et moi nous sommes
bien inquiets.
Tu ne me parles pas de Mme Pavie, ni de Victor, ni de
Théodore.
Je viens de recevoir ton journal, je suis bien reconnaissant
de l'article qui y est en ma faveur; si Dieu me prête encore
quelques années d'existence, j'espère pouvoir donner la
preuve aux Angevins que leur souvenir ne sort jamais de
mon coeur.
Emilie me charge de te dire mille choses affectueuses.
Reçois l'assurance de l'entier dévouement de ton fidèle ami.
DAVID.
Envoie-moi ton dernier journal pour que je le donne à
Mme Foy.
Collection Pavie. — L'article auquel David fait allusion avait paru
dans Les Affiches $Angers; il avait trait au monument du général Foy.

XLvn
David à Pavie père.
Recrudescence du choléra à Paris. — Le docteur Billard. —
La statue de Corneille. — Le buste de Cuvier.

Paris, 24 juin 1832.


Mon cher bon ami,
Je viens de recevoir une lettre de M. Mercier ' dans laquelle
il me dit que ta santé est bonne, ainsi que celles des personnes
qui t'intéressent. Sois donc assez bon pour ne pas nous priver
plus longtemps de vos chères nouvelles. Je suis avec la plus
grande anxiété la marche du choléra dans notre ville d'Angers,
mais, encore une fois, j'ai besoin que tu m'écrives souvent
pour me tranquilliser. Voilà cet infâme fléau qui reprend à
I, Directeur du Musée de peinture à Angers.
DE DAVID D'ANGERS 207
Paris, grâce à l'encombrement des prisons ; on craint qu'il y
ait encore beaucoup de victimes...
Je vais m'occuper de terminer le buste de Billard. J'ai l'in-
tention de le faire fondre en bronze, mais il est une chose
qui ne doit être résolue qu'entre nous deux, entends-tu bien ?
Billard est-il un homme assez remarquable dans la science pour
que son buste puisse être placé au Musée ? Je serais bien aise
d'avoir ton avis sur ce point.
Je m'occupe de la statue de Corneille. Elle est tellement
grande que la tête touche au plafond de mon atelier. Quand
elle sera fondue, j'enverrai le modèle à Angers, pense donc
à lui trouver une place convenable.
Je fais le buste colossal de Cuvier pour en faire hommage à
sa femme ; j'en enverrai un plâtre qui pourrait être placé dans
une salle au Jardin des Plantes ou au Muséum d'histoire natu-
relle.
Dans mon avant-dernière lettre, en te remerciant de l'article
sur le général Foy, je te demandais si tu pouvais m'adresser un
second exemplaire pour l'envoyer à Mme Foy qui, j'en suis
sûr, en serait flattée.
Mille tendres souvenirs de ton dévoué ami.
DAVID.

— Le docteur Charles-Michel Billard, angevin,


Collection Pavie.
mort à trente-deux ans, presque célèbre, a fondé à Angers le Dépôt
de mendicité. Son buste en marbre, et non en bronze, ainsi que
l'artiste avait projeté de le faire, fut inauguré le 14 juin 1833. Une
souscription en avait couvert les frais. {Musées d'Angers,) p. 146. La
statue de Corneille, dont parle le statuaire, était destinée à la ville
de Rouen. Le buste en marbre de Cuvier fut offert à la veuve du
naturaliste, selon que David se l'était promis. Musées d'Angers,
(pp. 145-146.)
XLVIII
David à Victor Pavie.
Werner. — Tout est poésie dans la nature.
Paris, 15 avril 1832.
Mon cher Victor,
Je te suis bien reconnaissant de ton bon souvenir. Tu sais
combien quelques lignes tracées à la hâte par une personne
A«T n. x.
,4
2o8 NOUVELLES LETTRES

qui nous intéresse font du bien dans ce monde de déception.


Nous avons besoin que nos amis nous disent souvent qu'ils
ne nous oublient pas.
Je suis bien aise que la vue de la médaille de Werner t'ait
causé quelque plaisir. Pauvre Werner ! Quand je le voyais
presque tous les jours à Rome, je ne savais pas que j'étais en
présence d'un si grand homme, et aussi intéressant. Les dames
qui lui louaient sa petite chambre ne parlaient de lui qu'avec
l'intérêt que l'on éprouve pour un homme bon, mais qui a
besoin d'être traité comme un enfant. C'est bien cela ! On ne
juge que la superficie, et c'est ce qui fait que notre époque
soigne tant sa superficie. J'ai fait la médaille d'après un portrait
admirable de naïveté, et quoique ne me rendant pas bien
compte de mes impressions à l'égard de ce grand homme
quand j'étais près de lui, cependant il y avait quelque chose en
lui qui a laissé dans mon souvenir une impression qui ne
s'effacera jamais. Toi, tu as une âme faite pour comprendre
la sienne, tu seras un jour notre gloire et l'orgueil de ton bon
père qui t'aime tant.
Pour Dieu, cher ami, ne te décourage donc pas ; tu serais
bien ingrat envers la nature qui a mis en toi tout ce qu'il
faut pour faire un grand poète. Ecris, écris, confie au papier
tout ce que tu sens. Ne crois pas que les motifs de poésies ne
se trouvent qu'à Paris. La nature en est pétrie, je ne fais pas
un pas sans rencontrer des sujets touchants qui, passant par
ton âme, arracheraient des larmes aux générations à venir.
Ce qui trompe la plupart des jeunes gens, c'est de croire
qu'il faut se tourmenter pour faire du grandiose. Quand la
nature crée, elle se sert de moyens si simples !
Les hommes qui nous paraissent quelquefois lourds, insi-
pides, peuvent être très utiles à l'observateur, rien n'est inu-
tile dans la création, la nature est éminemment « utilitaire ».
D'ailleurs, avec ton âme brûlante, tu remueras quelques
jeunes âmes angevines; qui sait si tu ne réveilleras pas quelques
grands génies qui auraient été étouffés par le benedettofar niente ?
Werner travaillait nuit et jour; il écrivait beaucoup. Tous les
hommes remarquables ont travaillé immensément. Ta profes-
sion d'avocat, si noble, si généreuse, te mettra à même de
sonder les replis les plus profonds du coeur humain. Rappelle-
DE DAVID D ANGERS 2O9

toi que Goethe disait que la science ne tuait pas le génie, et


que, bien au contraire, elle le soutenait.
Nous attendons notre cher Théodore.
Emilie est bien sensible à ton bon souvenir.
Tout à toi de coeur.
DAVID.
Collection Pavie. Cette lettre a été publiée par M. Théodore

Pavie dans l'ouvrage Victor Pavie, sa jeunesse, ses relations littéraires.
(Angers, 1887, in-12.) La médaille que modela David d'après un
portrait du poète dramatique, Frédéric Werner, n'est pas datée.
L'existence agitée de Werner est connue, les détails intimes que
fournit David ajoutent à la physionomie quelque peu mobile du
dramaturge devenu plus tard rédemptoriste et orateur éloquent.

XLIX
Le comte Real à David.
Le choléra. — Rides mal dissimulées.
Paris, 31 juillet 1832.

J'ai l'honneur de saluer M. David, qui doit être bien scan-


dalisé de mon silence.
J'étais dans mon lit lorsque la lettre du 22 et son bronze
m'ont été remis. J'avais perdu, la veille, le plus jeune de mes
frères, et les docteurs ne doutaient point que je fusse frappé du
fléau qui me l'avait enlevé.
Après dix jours d'une diète absolue qui m'a presque anéanti,
je commence à croire que le choléra pourrait bien n'être pour
rien, ou du moins pour très peu de chose, dans l'indisposition
contre laquelle on avait pris de si sévères précautions.
Il m'est enfin permis de sortir de mon lit, et je m'empresse
d'adresser à M. David mes sincères remerciements.
Au moment où le bronze m'arriva, presque convaincu que
j'étais frappé comme l'avait été mon frère, je regardais l'oeuvre
de M. David comme un à propos, comme la seule chose qui
dût rester de moi dans quelques jours. Je me suis trompé, et
l'original reste auprès de la copie. Combien de temps, je n'en
sais rien, mais assez du moins pour permettre de bien appré-
cier le mérite de l'ouvrage.
210 NOUVELLES LETTRES
Ma fille, rendant justice à la toute puissance créatrice de
l'artiste, aurait désiré que son père de cuivre eût été rajeuni de
vingt ans. Je lui ai avoué que ce rajeunissement n'aurait rien
coûté au créateur, mais je suis parvenu à la convaincre que cha-
cune des vingt années que l'artiste aurait enlevées à la copie
n'en resterait pas moins la propriété de l'original. C'est mal-
heureux, mais une fois entré dans sa soixante-seizième année,
il faut se familiariser avec la pensée qu'on peut être âgé, et ne
point ajourner ses mémoires à l'époque où l'on « sera vieux ».
Mais il n'y a ni âge, ni vieillesse, ni maladie, qui m'em-
pêchent de reconnaître aussi vivement que si j'étais en pleine
santé, avec soixante ans de moins, la perfection de l'ouvrage,
ainsi que la franche bienveillance du créateur qui, de son côté,
voudra bien croire à la sincérité de ma haute estime pour son
beau talent et de mon bien tendre attachement pour lui.
REAL.
Collection David d?Angers.
— La médaille du comte Real, ancien
dantoniste, porte la date de 1832. Musées d"Angers (p. 142).

L
Victor Hugo à David.
La huitième édition de Notre-Dame de Paris. — « Du papier
pour du bronze ».
Paris, 10 août 1832.

Les belles oeuvres tombent magnifiquement de votre main,


mon cher David, et il faut mes mauvais yeux pour ne pas
vous écrire à chaque fois de longues, longues, longues lettres
de remerciement et d'admiration. J'irai, moi, vous porter, dès
qu'elle paraîtra, la 8e édition en 3 volumes de Notre-Dame de
Paris. Pardonnez-moi de tant recevoir et de rendre si peu. Je
vous l'ai déjà dit, je crois, « du papier pour du bronze ».
Il y a chez vous une bonne main que je serre et une belle
main que je baise.
VICTOR.
Collection David d'Angers. — Notre-Dame de Paris avait paru le
13 février 1831. Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie (t. II,
P- 349)-
DE DAVID D'ANGERS 211

LI
David à Pavie père.
Orientation vers la vie politique. — David électeur à Angers

Paris, le 15 août 1832.


Cher bon ami,
J'ai beaucoup tardé à t'envoyer tous les papiers dont tu as
besoin pour me faire inscrire sur la liste des électeurs d'An-
gers. Si tu avais besoin de mon extrait de naissance, fais-moi
le plaisir de le prendre à la mairie. Toutes ces paperasses ont
été longues à avoir par suite des légalisations.
Adieu, cher ami, santé et prospérité, à toi de coeur.
DAVID.
Collection Pavie.

LU
David à Pavie père.
Comment cuire le millet ? — Chute du Roi s'amuse. — La médaille
d'Augustin Dupré. — La Ferté-Milon. — La maison natale de
Racine. — Sa statue. — Influence des milieux. — Corneille et
sa statue. — Le buste de Cuvier. — David acquiert une maison
rue d'Assas.
Paris, 3 décembre 1832.
Mon cher ami,
Nous te remercions beaucoup du millet que tu nous as
envoyé. Malheureusement, nous sommes ici dans l'enfance de
l'art au point de vue de la cuisson de ce susdit millet. Enfin,
j'ai dit à la cuisinière : « Cherche! tu trouveras. »
Notre pauvre Hugo a été cruellement blessé par le public.
Nous n'avons pas pu assister à la première représentation.
Nous étions à Armentières, où je m'étais rendu dans le but de
faire le médaillon du célèbre Dupré, graveur en médailles. Il
était temps que j'y fusse, car l'artiste est mourant. Nous étions
i huit lieues de la Ferté-Milon. Nous nous y sommes fait trans-
porter. Je n'ai rien vu de pittoresque comme cette petite ville
qui est bâtie en amphithéâtre. Et la belle et modeste petite mai-
212 NOUVELLES LETTRES

son de Racine, auprès de laquelle passe une humble rivière !


Tout est calme, grand. L'âme doit se replier sur elle-même
dans ce pays. Ce n'est pas un lieu de passage, il devait être bien
solitaire, surtout du temps de Racine. Les premières impres-
sions de l'enfance se gravent profondémentdans l'esprit et pour
toute la vie. Corneille a vécu au sein d'une ville tumultueuse,
commerçante, et par conséquent renfermant dans ses murs
une population ouvrière rongée par le malheur. Tout cela a dû
frapper le cerveau énergique du poète. Je crois que si l'on pou-
vait donner une vue du pays où un grand homme a pris
naissance, on ne serait pas surpris de la tournure de ses idées.
Ma statue de Corneille est presque terminée. D'après ce
que je prévois, elle ne pourra être inaugurée que vers le mois
de septembre. Il faudra tâcher de venir à Rouen pour voir
mon poète sur son pont.
J'oubliais de dire que la statue de Racine est dans sa caisse
en attendant que le petit temple que l'on construit pour la
recevoir soit terminé. Il le sera bientôt. J'avoue que j'ai
éprouvé du plaisir à revoir mon travail et que je m'applaudis
beaucoup d'avoir débarrassé l'auteur à'Andromaquc de toute la
friperie de son époque. Déjà quelques personnes dont j'estime
le goût m'ont approuvé d'avoir agi de la sorte.
Et mon cher Victor, travaille-t-il toujours beaucoup ? Pense-
t-il quelquefois à son vieil ami ? Dis-lui bien des choses de
ma part.
Tout à toi de coeur.
DAVID.
Présente notre respect à Mme Pavie.
Je viens de faire fondre en bronze le buste de Cuvier. Il part
après-demain pour sa destination, ihe Royal Academy of Lon-
don, à laquelle j'en fais don.
T'ai-je dit que nous avons acheté une maison rue d'Assas,
n° 14? Dans un mois nous y serons. Dans cette maison il y
a trois beaux ateliers. Ce sera pour moi d'une importance
extrême au point de vue de l'économie du temps.
— Le millet, plante graminée, se divise en
Collection Pavie. petit
millet ou mil, et en gros millet ou maïs. — L'échec de Victor
Hugo, dont parle David, fut des plus graves. Le Roi s'amuse, joué
le 22 novembre 1832, fut interdit le lendemain par ordre de Thiers,
DE DAVID DANGERS 21 3
ministre de l'Intérieur. Nous avons parlé de la visite du statuaire au
graveur Dupré qui n'avait plus que peu de jours à vivre, et de
l'excursion de David à la Ferté-Milon. David d'Angers, (t. I, p. 265.)

LU
Gaulle à David.
Le médaillon de Rouget de Lisle.

Paris, 20 décembre 1832.


Monsieur,
J'aurais désiré aller vous remercier moi-même du précieux
cadeau que vous m'avez fait ; mais j'ignorais votre nouvelle
adresse, et ce n'est qu'à l'instant même que je la connais. Vous
devez sentir combien un vieux patriote de 89 doit être heu-
reux de posséder le portrait de l'homme qui, plus tard, nous
faisait vaincre en chantant ses vers sublimes, et combien,
comme artiste, j'apprécie le talent vraiment patriotique qui se
remarque dans cette belle production ; car ce n'est pas seule-
ment un beau portrait, mais l'enthousiasme du poète patriote
se fait remarquer dans cette tête qui devrait se trouver partout
chez les amis du pays, ce qui me fait sentir bien vivement le
bonheur que j'éprouve de la posséder.
Recevez donc, Monsieur, mes remerciements que je ne puis
assez exprimer, et si je n'étais retenu par un travail pressant
pour l'administration, j'aurais été vous balbutier tous les sen-
timens que j'éprouve.
Recevez donc l'expression de ma reconnaissance, et veuillez
me croire, avec la plus profonde considération, votre très
humble serviteur.
GAULLE.

Collection David d'Angers. Edme Gaulle, sculpteur, né à



Langres, en 1770, remporta le grand prix de Rome en 1803. Il
a
travaillé aux bas-reliefs de la colonne de la Grande-Armée, et pris
part aux Salons de 1810 à 1827.
214 NOUVELLES LETTRES

LI
David à Achille Valenciennes.
Le buste de Georges Cuvier.

Dimanche matin... octobre 1832?


Monsieur,
Il y a près de quinze jours que j'ai eu l'honneur de vous
écrire pour vous prier de venir me donner vos avis sur le buste
de M. Cuvier. Avez-vous reçu cette lettre ? Il y a peu de jours
que j'avais prié la personne qui m'a remis votre lettre de vous
dire que je suis à mon atelier tous les jours, depuis midi jus-
qu'à six heures.
Veuillez donc me donner quelques-uns de vos instants,
vous obligerez votre bien dévoué de coeur.
DAVID.
P. S. Aujourd'hui je vais à la campagne, mais demain lundi
je serai à mon atelier.
Collection David d'Angers.
— La suscription porte M. Valenciennes,
professeur au Jardin des Plantes. » Achille Valenciennes, naturaliste,
avait été le collaborateur de Cuvier dans la publication des premiers
tomes de l'Histoire naturelle des poissons. David, on l'a vu, avait fait
partie de l'entourage de Cuvier, mais son modèle étant mort le
13 mai 1832, l'artiste, avant de livrer au fondeur le buste du natu-
raliste, ne négligea pas d'appeler dans son atelier les personnes sus-
ceptibles de lui donner d'utiles conseils. Le bronze fut fondu en
décembre 1832, et l'artiste s'occupa de traduire son travail en
marbre. David d'Angers, etc. (t. I, pp. 256-257).

LV
Barthélémy à David.
Une médaille. — Les journées de la Révolution.

1832?
Monsieur,
J'étais à la campagne quand vous avez eu la bonté de
m'adresser mon profil bronze et le plâtre; moi qui suis si
DE DAVID D'ANGERS 215
prodigue de tout, qui brûle si avidement les manuscrits et les
brochures, je conserverai précieusement votre ouvrage, non à
cause de sa solidité, mais parce qu'il est
de vous.
J'aurai l'honneur, très incessamment, de vous faire hom-
mage de mes Journées de la Révolution qui touchent à leur
terme; vous voudrez bien voir dans ce pauvre tribut une
preuve de ma profonde estime et |de mon impérissable grati-
tude.
J'ai l'honneur d'être, mon cher Monsieur, votre très obligé
admirateur.
BARTHÉLÉMY.

Collection David d'Angers. — Le poète satirique Auguste-Marseille


Barthélémy, dont le nom est inséparable dans notre mémoire de
celui de Méry, reçut son médaillon des mains de David en 1832.
(Musées d'Angers, p. 143.) Le poème Les douie journées de la Révolu-
tion, que son auteur se promet d'achever et d'offrir prochainement
au statuaire, ne fut terminé qu'en 1835.

183?

LVI
David à Victor Pavie.
Duel Hugo-Harel. — Projet de direction de l'Odéon par Victor
Hugo et Alexandre Dumas. — Senancour. — George Sand. —
Sainte-Beuve. — Auguste Barbier.
Paris, 6 juillet 1833.
Mon cher Victor,
Je ne veux pas manquer l'occasion du voyage de M. La
Revellière, sans le charger d'un mot pour toi, à qui je devais
écrire il y a déjà bien longtemps. Si les pensées pouvaient se
sténographier de suite, tu recevrais bien souvent de mes lettres,
car je pense bien à toi. Cher ami, je voudrais te savoir heureux
comme tu le mérites, mais il y a une grande différence de ton
âme avec celle du Petit nuage d'or. Quand je le rencontre dans
la rue, j'éprouve
un bien grand bonheur pour lui, il est si
béat, si heureux de la vie ! Werner et Schiller ne l'étaient pas
autant, mais aussi la postérité les en récompensera. C'est une
2l6 NOUVELLES LETTRES
compensation qui vaut la souffrance d'avoir pleuré son coeur
toute sa vie, comme dit Chateaubriand.
Je vois quelquefois Hugo, mais rarement, il est si difficile
de le rencontrer chez lui, il n'y reste plus que pour les heures
des repas. Pauvre Mme Hugo... Tu sais qu'il a eu un duel
avec Harel. On dit qu'il va prendre la direction du théâtre de
l'Odéon conjointement avec Dumas. N'est-ce pas une de ces
idées qui viennent à un homme comme Hugo, quand il est
poussé par son mauvais génie ?
Je n'ai pas pu encore faire la médaille de M. de Senancourt,
ni celle de Mme Sand. Sainte-Beuve est si occupé, je le tour-
mente cependant beaucoup pour me mettre en rapport avec
ces deux génies. Ce Senancourt est bien l'être le plus curieux
que j'aie jamais vu. En lisant ses ouvrages, je me le figurais
dans le genre de Rousseau, quant au physique. Mais, mon
Dieu ! c'est un homme qui a les bras si courts qu'il doit lui
être impossible de mettre ses mains dans ses poches, et puis il
marche sur des charbons ardents. Cela m'étonne moins, il
connaît si profondément le monde ! Sainte-Beuve me l'avait
si bien décrit que je l'ai reconnu dans la rue.
Envoie-moi donc la liste des médaillons que tu as afin que
je complète ta collection.
Barbier est à Londres. Je suis sûr que ce pays va lui ins-
pirer quelques vers étonnants. J'aime bien ce poète.
A toi de tout mon coeur.
DAVID.
Collection Pavie.
— Nous voudrions pouvoir nommer l'auteur
satisfait que David surnomme ici « le petit nuage d'or ». — Il faut
lire sur les démêlés de l'auteur de Lucrèce Borgia, avec le directeur
du théâtre de la Porte-Saint-Martin, Victor Hugo raconté par un témoin
de sa vie (t. II, pp. 407 et suivantes.) La médaille de Senancour,
l'auteur d'Oberman, fut modelée par David en 1833. Celle de George
Sand porte la même date. (Musées d'Angers, p. 149.) Sainte-Beuve, on
(le voit ici, servit d'intermédiaire en plus d'une circonstance entre
le statuaire et les littérateurs dont il avait l'ambition de fixer le pro-
fil. Toutefois, en ce qui touche George Sand, on s'en convaincra
par la lettre suivante, ce fut Gustave Planche qui décida de l'assen-
timent de l'auteur d'Indiana à laisser exécuter son médaillon. — Le
voyage d'Auguste Barbier à Londres ne fut pas sans portée pour la
gloire du poète. C'est en Angleterre qu'il recueillit les éléments de
DE DAVID D'ANGERS 217
poème Lazare, paru seulement en 1837, et dans lequel se
son
trouve la pièce bien connue « La Tamise ».

Lvn
George Sand à David.
Le sans-façon du romancier.
Paris..., juillet 1833.

M. Planche me dit que vous désirez faire mon médaillon.


J'accepte avec plaisir. Soyez assez bon pour me dire s'il faut
que j'aille chez vous. Je suis fort souffrante dans ce moment-
ci et ne pourrais pas sortir avant quelques jours. Si vous vou-
lez prendre la peine de passer chez moi, nous nous enten-
drons mieux, et je serai très sensible au plaisir de vous voir.
George SAND.
Collecticm David d'Angers.

1834

LVIII
E. Chevreul à David.
La médaille du chimiste.

Paris, 3 mars 1834.


Mon cher ami,
Je suis allé aujourd'hui lundi chez vous pour vous remer-
cier mille et mille fois de votre chef-d'oeuvre. Je le conserve-
rai toujours comme un témoignage bien cher de votre amitié :
sans cesse il me la rappellera ! sans cesse il me reportera vers
notre patrie commune ! Je n'oublierai pas le bon souvenir que
vous avez conservé de moi, étudiant de l'École centrale d'An-
gers, ni les termes en lesquels vous me l'avez exprimé, ni les
heures passées dans votre atelier ! Mes voeux seront comblés
si vous tenez à moi comme je tiens à vous.
Adieu, cher ami, j'espère v^ous voir bientôt.
E. CHEVREUL.
2l8 NOUVELLES LETTRES
Collection David d'Angers. — Le médaillon d'Eugène Chevreul
porte la date de 1834. Musées d'Angers (p. 152).

LIX
G. Planche à David.
Le bas-relief du Départ des Volontaires. — La médaille du critique.

Paris, ce 5 avril 1834.

N'oubliez pas, mon cher ami, la promesse que vous m'avez


faite de m'envoyer l'esquisse en terre cuite de votre bas-relief
de Marseille; j'attache une grande importance à posséder ce
morceau. Si Micheli vous a donné une épreuve de mon médail-
lon retouché, vous seriez bien aimable de me le faire tenir en
même temps. Je vous en remercierai bien sincèrement.
Tout à vous.
Gustave PLANCHE.
Collection David d'Angers. — Le Départ des volontaires sculpté par
David décore la voûte de l'arc de triomphe de Marseille dit la « Porte
d'Aix». Ce travail est daté de 1835, mais l'esquisse en terre cuite
dont le statuaire se dessaisit en faveur de Gustave Planche avait été
exécutée en 183 3. Planche ne fut pas le seul à posséder cette esquisse.
Un second exemplaire du même travail fut offert par David à
Charles Lenormand et légué par celui-ci au musée d'Orléans. Le
médaillon de Gustave Planche fut modelé et fondu en 1832, puis
légèrement retouché en 1834 et mis une seconde fois à la fonte.
Musées d'Angers {pp. 104-105, 143, 153).

LX
David à Pavie père.
Le sculpteur candidat à la députation.

Paris, 16 juin 1834.


Mon cher ami,
J'ai reçu avec bien de la reconnaissance ta lettre. Je t'en-
voye une profession de foi, j'ignore si elle est digne de
DE DAVID DANGERS 219
paraître aux yeux de mes compatriotes. En la lisant, tu verras
qu'elle est l'expression sincère des sentiments que tu m'as
toujours connus. Je crois mériter l'estime des Angevins en me
montrant tel que je suis. Hier j'ai écrit à M. Bordillon qui me
demandait de lui envoyer une profession de foi, et je lui ai
adressé celle que tu vas lire. Tu pourrais peut-être en causer
avec lui.
J'ai reçu de Bordeaux une lettre de notre cher et bon ami
Théodore, nous avons été bien touchés de son tendre souve-
nir.
Tout à toi de coeur. DAVID.
Collection Pavie. —Bordillon (Grégoire), né à Angers en 1803,
s'occupa de politique dès 1830. Il fonda en 1840 le journal Le Pré-
curseur de l'Ouest appelé à défendre les idées libérales en Anjou. —
Théodore Pavie écrivant de Bordeaux à David rentrait d'une excur-
sion en Amérique.
LXI
David à Bérard.
Le médaillon de l'homme politique.

Paris, 13 juillet 1834.


J'offre à M. Bérard son médaillon en bronze; je désire
beaucoup qu'il conserve cet ouvrage comme, un faible gage de
ma profonde estime pour son beau et noble caractère.

Vente d'autographes du 20 avril 18;j. — Député libéral sous la


Restauration, Auguste-Simon-Louis Bérard joua un rôle important
dans la Révolution de 1830. Son médaillon, modelé par David,
porte la date de 1834. Musées dAngers (p. 153).

LXH
David à Lucas de Montigny.
Le sculpteur Louis Rochet devant le conseil de révision.
Paris, 22 août 1834.
Monsieur,
Un de mes élèves, très distingué déjà par ses heureuses dis-
positions, va passer sous peu de jours au conseil de révision.
220 NOUVELLES LETTRES
Si vous pouviez dire quelques paroles bienveillantes en sa
faveur, cela lui serait bien utile. Si je ne connaissais depuis
longtems toute la bonté de votre coeur et tout l'intérêt que
vous portez aux jeunes artistes, je n'oserais pas vous recom-
mander encore ce jeune homme qui, je vous l'assure, est
digne d'intéresser en sa faveur. Je prends donc cette liberté
en vous priant de croire à tous mes sentimens de vive recon-
naissance et de respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être votre
très humble serviteur.
DAVID.
Ce jeune statuaire se nomme Rochet.
Collection Dubrunfaut.
— Louis Rochet, élève de David d'Angers,
né en 1813, est mort en 1880. Il est l'auteur du Cbarlemagne exposé
en 1867 et en 1878, et du monument de l'empereur Dom Pedro I«,
fondateur de l'indépendance du Brésil, exposé au Salon de 1861.

Lucas de Montigny, gendre du statuaire Roland, était conseiller de
préfecture de la Seine.

Lxm
Xavier Marmier à David.
Le roi René.
Aix, 1834.

Il étoit équitable et grand. Dans son royaume,


Il savoit prendre part aux misères du chaume,
Car il avoit le coeur plein d'amour et de foi
De ses sujets sur lui reposoit l'espérance
On le louoit au loin et toute la Provence
Le nommoit son bon roi.

Il ne falloit point d'or pour décorer son trône,


L'amour de ses sujets soutenoit sa couronne,
Et quand on lui parlait d'impôts à recevoir
Il disoit : Du mistral savez-vous les ravages ?
Mes sujets sont-ils bien ? Sont-ils bien mes villages ?
Ai-je fait mon devoir ?
DE DAVID D'ANGERS 221

Le destin le trahit. Les malheurs l'assaillirent.


Pendant ce temps les arts auprès de lui fleurirent.
Il portoit en régnant une lyre, un pinceau ;
Prisonnier, il chantoit sous ses tristes murailles,
Puis après, échappant au fracas des batailles,
Il peignoit un tableau.
Oh ! qui pourroit nous rendre et ses chansons naïves,
Ces cantiques d'amour, ces prières plaintives,
Ces traités provençaux, ces jeux de fête Dieu,
Ces tournois où lui-même avec sa bonne lance
Se jetoit et faisoit mainte grande vaillance
Renommée en tout lieu.
Dans le tableau que garde Aix son ancienne ville,
Il s'est peint à genoux dans un pieux asile,
Et sa femme à genoux près de lui vient prier.
Et derrière l'on voit son heaume, son armure,
Car il étoit chrétien à l'âme simple et pure,
Autant que bon guerrier.
Oh ! que vous avez bien compris ce roi poète !
Oh ! David, qu'elle est belle à revoir cette tête
Où vous avez sculpté la joie et la douleur,
Les jours de souverain décevants et rapides,
Et sur un front déjà chargé de quelques rides,
Tant de bonté de coeur.
Cette statue est noble et noble est son sourire.
Chaque étranger accourt sur la place et l'admire,
Et puis après s'y trouve encore ramené.
Aux orages du temps il faut qu'elle résiste,
Car elle porte au front le sceau d'un grand artiste
Et le nom de René.
René dans la Provence est resté populaire.
L'enfant entend parler de lui par son grand-père.
Aux pauvres paysans son souvenir est doux.
Dans la joie et les pleurs comme un saint on l'implore
Et souvent on se dit : « Oh ! René vit encore
Et prie au ciel pour nous. »
X. M.
222 NOUVELLES LETTRES
Collection David d'Angers.
— Xavier Marmier, mort l'année
dernière, était membre de l'Académie française, il s'est fait con-
naître dès l'âge de vingt et un ans par un volume de vers, Esquisses
poétiques (1830). Depuis lors, les nombreux écrits de M. Marmier
sur l'Allemagne, le Danemark, la Suède, ont éclipsé le renom du
poète. Les récits de voyages, les études de moeurs signées de l'écri-
vain sont devenus populaires. L'ode adressée par lui à David, en
1834, est inspirée par la statue en marbre de René d'Anjou érigée
sur le Cours, à Aix en Provence. Nous avons parlé dans le volume
David d'Angers et ses relations littéraires, au sujet de la lettre de
Victor Pavie datée du 23 septembre 1832, du tableau faussement
attribué au roi René, auquel fait allusion Xavier Marmier dans sa
cinquième strophe.

LXIV
Charlet à David.
Invitation à modeler le médaillon de l'amiral de Rigny.

Paris, ce mercredi 1834?

Veux-tu venir demain avec moi déjeuner chez l'amiral


Rigny avec ton ardoise, ta cire, tes allumettes, nous serons sans
façon avec son frère le colonel et un autre officier bon garçon,
ami des arts et de l'indépendance. Viens ou je te tue.
Si tu nous fais cette amitié, tu me prendras en passant, rue
de Sèvres, 41.
Le colonel s'est déjà trouvé avec toi, et sera charmé de faire
ta connaissance ; puisse le charme ne pas cesser.
Bonjour et bonne amitié.
CHARLET.

Collection David d'Angers.


— Cette lettre familière porte pour
suscription : « M. David, membre de l'Institut et de la Légion
d'honneur, professeur à l'École royale des Beaux-Arts et inspecteur
àc l'institution de Monthison, rue Vaugirard, n° 20. » Il y a tout
lieu de penser que David déclina l'honneur de déjeuner chez l'ami-
ral, car, celui-ci étant mort en 1835, le sculpteur, pour des raisons
personnelles, refusa de se charger de sa statue. David d'Angers, etc.,
t. 1, p. 388.
DE DAVID DANGERS 223

LXV
Antoine Planche à David.

Excursion matinale avec Victor Hugo à l'hôpital des Capucins.

Jeudi matin 1834?


Monsieur,
Si vous voulez vous trouver demain matin chez Victor
Hugo, à six heures et demie, heure militaire, nous irons tous
les trois aux Capucins, comme vous avez paru le désirer hier ;
je serai enchanté de vous procurer un plaisir qui rentre dans
mes attributions naturelles.
PLANCHE.
Collection David d'Angers. — Antoine Planche, père du critique,
était un pharmacien doublé d'un érudit. Il a collaboré aux Mémoires
de l'Académie de médecine. On sait que l'hôpital du Midi, installé
dans un ancien couvent, a porté le titre d'hôpital des Capucins. Nul
doute que Victor Hugo, en quête de documents, ait souhaité de
voir cette maison à une heure psychologique de la journée. David
a trouvé intéressant de se joindre au poète, et
Planche leur sert à
tous deux d'introducteur.

1835

LXVI
David à Victor Hugo.
Conditions de l'artiste dans les temps modernes. — Idées sur les
Concours. — Réforme des Expositions.

Marseille, le 9 juin 1835.

Vous rappelez-vous, mon cher Hugo, nos longues conversa-


tions sur l'avenir des nations, sur les moyens de rendre
l'homme meilleur et par conséquent plus heureux? Si, quel-
quefois, nous différions sur l'opportunité du temps pour
l'affranchissement total de l'espèce humaine, nous étions du
224 NOUVELLES LETTRES

moins d'accord sur le but, la libertél La liberté, seule source


de tout ce qui est grand et généreux, germe précieux que la
nature a mis au coeur de l'homme comme son ange gardien.
Ici, éloigné de vous, sous ce beau ciel de Provence, noble
préface de l'Italie, l'imagination s'exalte et le- souvenir du
grand poète, de l'homme de génie dont j'ai le bonheur d'être
l'ami se représente à moi. J'éprouve le besoin de vous adres-
ser les lignes suivantes, inspirées par nos entretiens sur des
sujets qui font tout le mobile, le véritable stimulant de ma vie
d'artiste, et qui ne sont qu'un bien faible avant-propos du livre
qu'il faudrait écrire sur un tel sujet. Ce sont peut-être des
utopies, ainsi qu'on est convenu d'appeler tout ce qui peut
améliorer le sort de l'homme. Cependant, lorsqu'en 1829, je
développais, dans le salon de Goethe à Weimar, mon opinion
sur un nouveau système monétaire, cela fit impression sur
l'illustre vieillard et sur quelques hommes distingués qui com-
posaient sa société. J'ai appris depuis que cette idée avait été
répandue en Allemagne et que l'on ne désespérait pas (les
Allemands sentant le besoin d'une même monnaie) de la voir
mise à exécution.
Voilà, cher ami, comment chacun apporte sa pelletée de
terre au pied de l'arbre de la liberté dont les rameaux bienfai-
sants doivent un jour s'étendre sur l'univers entier.
Il existe une classe de la société qui, sortie du peuple, con-
sacre sa vie et ses veilles à la représentation des grandes
actions de l'espèce humaine, ce sont les hommes voués aux
Beaux-Arts. Ces hommes, dont le berceau est presque tou-
jours entouré d'infortune et de privations, suivent l'inspiration
du génie qui les guide en leur montrant la gloire dans l'avenir.
Leur âme s'embrase à ce flambeau divin, mais beaucoupd'entre
eux se heurtent à la tombe avant d'avoir réalisé leurs rêves de
gloire. Cette âme ardente qui les élève si haut défaille, se
replie sur elle-même, et leur dévoile souvent un avenir
sinistre. Si ces hommes, pénétrés de la noble mission qu'ils
ont à remplir sur la terre, paraissent quelquefois indifférents
aux questions d'émancipation qui peuvent aider à régénérer
l'humanité, c'est que, préoccupés trop souvent de leur posi-
tion précaire, d'un sort futur encore plus triste, ils ne peuvent
se livrer sans réserve aux sentiments que leurs coeurs habitués
aux grandes pensées savent si bien goûter.
DE DAVID DANGERS 22 5

Les artistes ont été trop longtemps à la disposition des gou-


vernements qui ne se servaient d'eux que pour diriger, dans
leur intérêt, l'esprit des masses. Alors ces enfants du génie se
trouvaient dans la situation d'un homme fort et énergique
auquel on permettrait de marcher, mais avec les pieds enchaî-
nés, tel que ces fiers coursiers que l'on met dans de vertes
prairies avec des entraves aux jambes, ils peuvent embrasser
le vaste horizon qui se déploie au loin devant eux, mais ils
sont fixés sur un coin de terre. Ils ont le nécessaire, mais le
coeur ne se dilate pas dans la
servitude.
Il serait à propos d'exprimer ici ma pensée sur les Concours
pour les travaux de décoration dans les arts. Cette idée paraît
urande et généreuse à toutes les personnes étrangères aux arts,
mais belle en théorie, elle échoue presque toujours dans la pra-
tique. Tous les peuples ont essayé les Concours dans des
circonstances importantes, sans en recueillir de succès satisfai-
sants, d'abord parce que le génie d'un grand artiste ne peut
s'astreindre à se renfermer dans les mesquines limites d'une
esquisse qui ne peut servir que de simple note et doit recevoir
d'immenses modifications suivant la succession des nouvelles
et différentes impressions de son auteur ; enfin, parce que la
lutte d'un Concours ne peut convenir à un homme qui con-
sidère l'art d'un point élevé, car, pour obtenir les suffrages de
ses juges, il faut s'inspirer du goût du jour, de leur opinion,
et ainsi le génie est comprimé, privé de cet essor de liberté qui
peut seul faire surgir des ouvrages dignes de l'admiration de la
postérité.
Il s'établit dans les Concours une lutte violente d'amour-
propre qui nuit essentiellement à l'expansion de l'âme sur
laquelle le sujet devait régner sans partage ; le but de l'Art est
trop haut placé pour le faire ainsi descendre dans l'arène con-
temporaine. Ce sont les suffrages des générations futures qui
doivent seuls faire battre le coeur de l'artiste. Les ouvrages des
grands maîtres ne furent pas créés par le stimulant d'un Con-
cours.
La formation même d'un jury est impossible. Ceci est
prouvé. Si quelques Concours peuvent être tentés, ce sent ceux
d'Architecture et de Gravure en médailles,
parce qu'on a sous
les yeux la chose positive.
226 NOUVELLES LETTRES
Si l'on voulait cependant pousser plus loin l'épreuve du
Concours, pour la Peinture et la Sculpture, il faudrait choisir
un certain nombre de ceux qui ont déjà donné le plus de
garanties et leur faire exécuter le sujet dans les dimensions qu'il
devrait avoir réellement, puis exposer ces ouvrages à la hau-
teur pour laquelle ils sont destinés. Le meilleur ouvrage serait
conservé, les autres payés à leurs auteurs. Mais cela coûterait
des sommes énormes et, par cette raison, serait impraticable;
puis, les passions contemporaines sont bien injustes, et l'on
ne peut attendre de jugement définitif que de la génération
qui nous remplace.
Il y a, selon moi, une garantie certaine pour le Gouverne-
ment d'avoir un bel ouvrage, en en chargeant un artiste dont
la réputation est assurée par une succession de travaux remar-
quables.
Les Expositions (si elles étaient libres, c'est-à-dire ouvertes
à tous les artistes sans qu'il fût besoin pour cela de l'appro-
bation de quelques-uns d'entre eux), fourniraient l'occasion
fréquente au public d'enregistrer les titres de chacun dans sa
mémoire. Tel est, je crois, le meilleur moyen et le plus simple
pour connaître le véritable talent. Il y aurait ainsi sûreté pour
le Pouvoir, indépendance pour l'artiste.
Il faudrait d'abord que le Gouvernement consacrât un
monument aux Expositions, qui seraient permanentes et
renouvelées tous les six mois. Tous les artistes y seraient
admis de droit, seulement une commission serait chargée de
repousser les ouvrages contraires aux moeurs, et chaque expo-
sant ne pourrait présenter plus de deux oeuvres en sculpture
ou deux tableaux. On éviterait ainsi l'encombrement qu'occa-
sionnent nécessairement un si grand nombre d'artistes et une
si étonnante quantité d'oeuvres d'art.
Les travaux faits pour le Gouvernement ne devraient pas
figurer à ces Expositions. Ils seraient, à mon sens, mieux vus
et mieux appréciés dans les monuments auxquels ils sont
destinés." Le système aurait le double avantage de ne pas
occuper les meilleures et les plus grandes places des salles et
d'obliger l'artiste à exécuter son ouvrage pour l'endroit où il
doit figurer sans sacrifier les exigences monumentales au futile
honneur de plaire pendant la durée du Salon.
DE DAVID D ANGERS 227
En suivant ce mode d'Exposition, l'admission ne serait plus
un honneur, souvent bien mensonger, qui donnant un certain
relief dans le monde, procure de mesquins travaux, pour les-
quels les hommes sans vocation s'obstinent à persévérer dans
la carrière. Je le répète, exposer ne serait plus un titre, mais
un droit.
Je suis persuadé qu'après avoir interrogé pendant quelques
années l'opinion du public, si cette épreuve lui était défavo-
rable, l'artiste finirait ou par embrasser une autre profession, si
son âge le lui permettait, ou par utiliser sa connaissance du
dessin au profit des arts industriels. On serait ainsi débarrassé
de ce trop plein vraiment effrayant d'artistes qui encombrent
Paris et dévorent en détail des sommes qui serviraient à encou-
rager des hommes de talent, dont les ouvrages peuvent soute-
nir dignement notre réputation de grande nation dans les
arts.
Tous les dix ans aurait lieu une Exposition solennelle, où
les ouvrages qui auraient particulièrement fixé l'attention du
public et ceux achetés par l'Etat seraient de nouveau présen-
tés à la nation qui décernerait des récompenses dignes d'elle.
On ne donnerait pas de prix, car il est de toute impossibilité
de former un jugement équitable sur la supériorité relative
d'ouvrages différant de style et de sujet, mais on donnerait
des récompenses que l'on appellerait nationales pour mieux
faire sentir aux artistes que c'est pour la nation seule qu'ils tra-
vaillent et que leurs pensées les plus pures lui sont dues.
Les artistes craignent que dans un siècle où tout est positif
et égoïste, les monuments viennent à leur manquer. C'est une
erreur très grave. Le césarisme ne peut exister sans corrompre
les hommes dans le but de les dominer ensuite. Le Gouverne-
ment démocratique, au contraire, a besoin de rendre les
hommes meilleurs et de les conduire par la vertu : c'est là son
principe vital. Pour y parvenir, il est nécessaire que les arts
concourent à représenter souvent les beaux traits qui honorent
l'humanité. Que d'hommes poussés par une passion aveugle,
s'ils eussent trouvé sur leur passage un monument élevé à la
vertu, éclairés par ce noble exemple, eussent rougi d'eux-
mêmes.
A vous. DAVID.
228 NOUVELLES LETTRES
Collection David d'Angers.
— Il semblerait que cette lettre dût
appartenir aux héritiers du poète des Feuilles d'automne à qui elle
fut adressée ? Il se peut qu'on en retrouve l'autographe dans les
papiers de Victor Hugo, mais la minute, le premier jet avait été
conservé par David, et c'est cette minute que nous transcrivons ici.
A l'occasion du centenaire du maitre, le Forum artistique de jan-
vier 1888, dirigé1 par M. Dassy, a publié ces pages.

LXV1I

Jauffret à David.
Le statuaire élu membre de l'Académie de Marseille.

Marseille, le 7 juin 1835.

Monsieur et très honoré confrère,


L'Académie de Marseille comptera au nombre de ses plus
beaux jours celui où elle a pu vous posséder dans son sein,
et saluer en vous, dans la patrie du Puget, celui des artistes
vivans dont le génie se rapproche le plus du sien, et qui est si
digne, sous tous les rapports, d'être reconnu pour son succes-
seur.
Vous avez prouvé, Monsieur, que vous affectionnez la
Provence : Aix et Marseille sont déjà embellies de vos immor-
tels monumens.
L'Académie s'honore donc elle-même en plaçant sur sa
liste un nom dont la célébrité s'accroît tous les jours, et en
vous rendant un hommage précurseur, pour vous, de ceux
de la postérité.
Vous trouverez, sous ce pli, le diplôme de membre de
l'Académie de Marseille dont je vous prie de m'accuser récep-
tion.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur et honorable confrère, votre
tout dévoué serviteur.
JAUFFRET.
Collection H. Jouin. —Jauffret était, en 1835, secrétaire perpétuel
de l'Académie de Marseille et bibliothécaire de la ville.
PK DAVID D ANGERS 22Ç

LXVIII
Béranger à David.
Les Mezzara.

Fontainebleau, 13 septembre 1835 (?)

Mon cher David,


M""-" Mesura, qui vous remettra ce petit mot, est une parente
de M. Cauchois-Lemaire, brave et digne femme qui s'est appli-
quée avec succès à la peinture pour nourrir une nombreuse
famille, qu'un mari fort peu raisonnable lui a laissée sur les
bras. Cette recommandable artiste a un fils qui annonce d'heu-
reuses dispositions pour l'art qui vous a immortalisé. Il faut un
maître au jeune homme : à qui la mère a-t-elle dû penser
d'abord? .Vais ne sachant pas aussi bien que moi, peut-être,
que chez vous les qualités du coeur sont égales au talent, elle a
cru qu'elle avait besoin de vous faire recommander son fils
par un de ceux à qui vous avez bien voulu consacrer un chef-
d'oeuvre. L'histoire des malheurs dç la mère, la peinture de
sa position qui vous ferait juger de sa noble
conduite, les dis-
positions du jeune homme et son enthousiasme pour l'art
que vous professez, suffisaient bien pour mériter à tous deux
votre obligeance si désintéressée. Tout en reconnaissant ce
qu'il y a de superflu dans ma recommandation, j'ai dû saisir
cette occasion de donner à Mmc Mettra la preuve du vif
intérêt que je lui porte, et aussi de vous renouveler l'assurance
de mes sentimens d'amitié et d'admiration.
Ayez la bonté, mon cher David, de me appeler au souvenir
de Madame, et croyez-moi à vous de coeur.
BÉRAN'GER.

Collection David d'Angers. Mme Angélique Me\%ara a exposé des


pastels remarqués aux Salons de 1833 à 1852. Joseph Mexzflra, sculp-
teur, a pris part aux Salons de 1852 à 1875.
230 NOUVELLES LETTRES

LXIX
Quatremère de Quincy à David.
La médaille de l'archéologue. — Michel-Ange. — La vie de Raphaël.

Paris, le 4 octobre 1835.

Mon cher et trop généreux confrère,


Je n'ai ni assez d'expressions, ni assez dignes de vous, pour
répondre à celles dont vous avez accompagné le précieux
cadeau que vous m'avez fait. Mais n'y a-t-il pas de votre part
hyperbole d'obligeance ? Lorsque je suis déjà si grandement
votre obligé, pour l'honneur que votre talent m'a fait en
m'agrégeant à la série d'hommes célèbres dont votre art va
perpétuer l'existence, voilà que je dois ajouter à ce bienfait
celui du portrait même qui vous devra une renommée que
l'original n'ose pas se promettre d'obtenir.
J'en étois à chercher par représailles des moyens de vous
exprimer ma reconnoissance, autrement qu'en paroles, lorsque
M. Didot m'a envoyé le premier exemplaire de ma Vie de
Michel-Ange. Eh bien, n'est-ce pas encore un tour de ma bonne
fortune que de pouvoir prier Michel-Ange d'être mon inter-
prête auprès de son successeur ?
Permettez-moi d'y joindre un exemplaire d'une nouvelle
édition de Raphaël, avec additions et corrections.
Tutto vostro.
QUATREMÈRE DE QUINCY.
Collection David d'Angers.
— Le médaillon de Quatremère de
Quincy, modelé en une seule séance, dans l'appartement de l'écri-
vain, rue de Condé, porte la date de 1835. Musées d'Angers (p. 159).

LXX
David à Ferdinand de Lasteyrie.
La signature autographe de Barrère.
i835 (?)
J'ai l'honneur d'offrir mes salutations amicales à M. Ferdi-
DE DAVID DANGERS 231
nand de Lasteyrie et de lui faire remettre un autographe de
Barrère.
Son bien dévoué de coeur. DAVID.
Collection de Lasteyrie. — Les lecteurs de David d'Angers et ses
relations littéraires savent que le statuaire avait usé de la collection
d'autographes du comte Ferdinand de Lasteyrie pour se procurer des
signatures d'hommes célèbres qu'il reproduisait en fac similé sur
ses médaillons. Celui de Barrère
date de 1835, et la signature du
conventionnel s'y trouve calquée avec le parafe.

LXXI
David à Lucas de Montigny.
Consultation d'autographes. — La signature d'Ambroise Paré.
Samedi matin... 1835 (?)

J'ai l'honneur de renvoyer à M. Lucas de Montigny les auto-


graphes qu'il a bien voulu me prêter, en le priant de recevoir
tous mes remerciements pour son aimable obligeance. J'ai
encore besoin de la signature d'Ambroise Paré, mais je la crois
bien difficile à trouver.
Son bien dévoué et très humble sénateur.
DAVID.
Collection Dubrunfaut. — Ce billet a besoin d'explication. Sur un
très grand nombre des médaillons modelés par David, la signature
du personnage représenté est reproduite en fac similé. L'artiste
avait eu recours à Lucas de Montigny, grand amateur d'autographes,
dont la collection s'est vendue en 1860, pour se procurer des signa-
tures authentiques.
1836
LXXII
David à Victor Pavie.
Le Salon de 183e.
Paris, 13 mars 1836.
Mon cher Victor,
L'exposition du Louvre est ouverte. Toujours beaucoup
d'ouvrages de genre, en peinture et en sculpture. Point
232 NOUVELLES LETTRES
d'oeuvre capitale. Beaucoup de tours de force pour frapper les
regards du public. Il en sera toujours ainsi tant qu'il n'y aura
plus de conviction. Les artistes se mettent tout naturellement
sur la ligne des acteurs et des danseurs. Ils se contentent de
gagner de l'argent en amusant. C'est triste à observer.
r>
Présente mes hommages respectueux à Mme Pavie. Emilie
me charge de la rappeler à ton bon souvenir.
Tout à toi de coeur.
DAVID.
Collection Pavie. — Le Salon de 1836 ouvrit le Ier mars.

LXXIII
Feuillet à David.
Demande de renseignements biographiques.

Paris, le 19 juillet 1836.


Monsieur,
Je me suis chargé d'écrire dans l'Encyclopédie des librairies
Treuttel et Wurtz la biographie d'un artiste illustre, sur lequel,
mieux que personne, vous pouvez me fournir des informations
qui me guident dans mon travail. Permettez-moi d'espérer
que vous serez assez bon pour venir à mon secours. J'ai connu
cet artiste bien jeune encore et déjà renommé à ses débuts :
nous habitions, il y a quelque quinze à dix-huit ans, la même
maison; je l'ai revu, depuis, de loin en loin, mais vous savez
comme à Paris on se trouve emporté loin les uns des autres au
milieu du tourbillon des affaires qui vous saisit. J'ai vu la plu-
part des ouvrages de mon artiste, mais plusieurs ont dû
m'échapper. En un mot, j'ai besoin d'une note qui me fasse
connaître d'abord son âge, puis l'atelier où il a pris les pre-
mières leçons, puis les efforts qu'il a dû faire, les combats
qu'il a dû livrer pour se placer successivement à la hauteur
où il est arrivé ; enfin l'époque de la mise au jour de ses oeuvres
diverses. J'attache beaucoup de prix à recevoir de vous, Mon-
sieur, ces notes : de vous seul elles peuvent avoir une parfaite
exactitude, car l'artiste dont il s'agit, c'est vous-même. Un
artiste est un homme public : il ne saurait étouffer les voix
DE DAVID DANGERS 233
qui parlent de lui, et, ne fût-ce que dans l'intérêt de la vérité,
il me semble conduit à empêcher qu'on ne dise sur lui des
choses inexactes, qui finissent toujours par prendre plus ou
moins de crédit. Ce que je réclame de vous, Monsieur, je le
réclame surtout comme un acte de complaisance pour moi, et
je vous en saurai autant de gré que j'y attache de prix.
Agréez tous mes hommages et mes remerciements.
Votre dévoué serviteur.
FEUILLET.
Rue de la Ferme, n° 17.
Collection David d'Angers. — Tout indique qu'il s'agit ici de ren-
seignements destinés à la composition d'une notice biographique
pour Y Encyclopédie des gens du monde (Paris, Treuttel et Wùrtz,
1833-1844, 22 vol. in-8°). Le tome VII de cette publication ren-
ferme, en effet, une biographie de David. Ce tome porte la date de
183e. Les renseignements contenus dans la notice sont en partie de
telle nature, qu'il est évident que l'artiste a été consulté sur ses
débuts, les encouragements dont il a bénéficié, les obstacles qu'il a
dû surmonter à certaines heures difficiles de sa jeunesse. Mais la
notice de David est signée de l'écrivain d'art E.-F.-M. Miel. Il y a
plus, les collaborateurs de l'Encyclopédie sont nombreux, et Feuillet
ne figure pas dans leurs rangs. Serions-nous en présence d'un tra-
vailleur modeste, chargé de recueillir des documents que d'autres
plus sûrs de leur plume mettaient en oeuvre? Quoi qu'il en soit,
David répondit à Feuillet, et sa lettre, que nous n'avons pu ressaisir,
a passé en vente le 26 mai 1876. Cette lettre est datée du Ier sep-
tembre 1836.

1837

LXXIV
David à Sainte-Beuve.
L'Enfant à la grappe.

Paris, 30 mai 1837.


Mon cher Sainte-Beuve,
Cest une grande faveur du sort qu'un ami. Mais si cet ami
est un homme de génie, c'est le bonheur dans toute son éten-
234 NOUVELLES LETTRES
due. Aussi, soyez bien persuadé que j'apprécie de toute mon
âme tout ce que je dois à votre affection pour moi. Vous
m'aviez déjà favorisé d'une belle et noble page sur mon atelier,
et maintenant je reçois d'admirables vers sur un sujet qui se
lie intimement aux fibres les plus sensibles de mon coeur, vous
ne pouvez vous faire une idée de l'émotion que nous avons
éprouvée, ma femme et moi, en lisant les vers pleins d'âme
que vous a inspirés notre cher petit Robert. Merci, mille fois
merci.
Je tâcherai de trouver le moment qui vous dérangera le
moins pour aller vous exprimer de vive voix ma sincère recon-
naissance.
Votre bien dévoué de tout coeur.
DAVID.

Note de la main de Sainte-Beuve sur l'autographe : « A pro-


pos des vers que j'avais faits sur sa statue d'un enfant. »
Collection Lovenjoul. — Ouvrez les Poésies complètes de Sainte-Beuve
(Paris, Charpentier, 1869, in-12), vous trouverez à la page 120 une
pièce à « David statuaire », dans laquelle le poète représente le
sculpteur méditant la nuit dans son atelier.

Tu penses à la gloire, à l'oubli qu'on redoute,


A semer ici-bas le marbre sur la route
Où d'autres vont venir,
A prendre rang un jour au Panthéon sublime
Des hôtes immortels que ton ciseau ranime
Et garde à l'avenir.
Et déjà sous la lampe et ses rayons débiles,
Tu vois autour de toi tes marbres immobiles
Frémir et s'ébranler.
Ils vivent : un regard sort de chaque paupière ;
Comme le Commandeur, tous ces hommes de pierre
Te font signe d'aller...

Dans les Pensées d'août (même tome, p. 361) se trouve la seconde


pièce « A David statuaire, sur une statue d'enfant ». Cette statue est
celle de l'Enfant à la grappe, pour laquelle David avait fait poser son
fils âgé de quatre ans. Musées d'Angers, pp. 106 et 351, et David
d'Angers, etc. (t. I, p. 308).
DE DAVID D'ANGERS 235

LXXIV
Kirstein à David.
Le monument de Gutenberg. — Sollicitations. — René Fâche. —
Exposition de Strasbourg. — La Mélodie et l'Harmonie.

Strasbourg, le 11 juillet 1837.


Mon cher maître,
De retour d'une courte absence, j'ai trouvé votre chère
lettre qui m'a causé une bien agréable surprise et je m'empresse
d'y répondre. Nous avons été peines du fâcheux accident qui
vous est arrivé avec la statue de Gutenberg, et du surcroît de
travail que cela vous cause. Je me réjouis bien de voir votre
oeuvre nouvelle, ce qui pourrait se faire cet automne, où je
compte faire un tour à Paris avec M. le Recteur de l'Académie,
car différens motifs d'intérêt m'engagent à ce voyage ; je compte
aussi exécuter alors la médaille de Gutenberg, afin de pouvoir
être guidé par vos conseils dans ce travail.
Sij'ai oublié de vous dire pour qui doit être la recom-
mandation que j'ai pris la liberté de vous demander pour Avi-
gnon, c'est encore une étourderie de ma part que je m'em-
presse de rectifier. C'est au préfet de Vaucluse qu'il convien-
drait d'écrire, puisque le conseil général doit statuer. En
attendant votre lettre, j'ai répondu au directeur du musée de
cette ville, qui m'avait conseillé de faire recommander mon
groupe par le directeur des beaux-arts. Je ne sais qui il
entendait par là, c'est ce qui m'a fait vous parler de M. de
Cailleux, mais je pense que votre recommandation doit avoir
bien plus de poids que la sienne.
J'ai aussi donné le prix qu'on avait demandé à connaître,
et je me trouve juste d'accord avec vous pour la somme que
vous me conseillez de demander.
Croyez-vous que j'aurais avantage à faire exécuter mon tra-
vail ici ou dois-je m'adresser à Carrare ?
M. le capitaine d'artillerie Arago, que j'ai le plaisir de voir
assez souvent ici, me charge de le rappeler à votre estimable
souvenir, et désire savoir si vous êtes content d'un jeune
236 NOUVELLES LETTRES
homme nommé Fâche, de Douai, qu'il doit avoir placé chez
vous comme élève.
Nous avons en ce moment-ci une exposition de tableaux
dont le plus grand nombre sont de Munich; je pense que si
l'association rhénane [instituée] en vue de cette exposition
périodique était connue à Paris, les artistes français y seraient
plus nombreux que cette fois, et on pourrait avoir sous les
yeux par la suite ici un heureux parallèle entre les deux
Ecoles.
Pour mon compte, j'ai exposé, outre quelques bustes et
médaillons, un bas-relief en marbre représentant la Mélodie et
VHarmonie. Comme je compte vous le faire voir, je désire
beaucoup entendre votre avis sur mon faible travail.
Veuillez agréer, mon cher maître, l'hommage du respec-
tueux attachement de
Votre dévoué élève.
KIRSTEIN.
4, rue Mercière.
Collection David d'Angers.
— Frédéric Kirstein, orfèvre, ciseleur
et sculpteur, né à Strasbourg, était fils d'un habile artiste, Jacques-
Frédéric Kirstein, auquel David a consacré une notice intéressante.
(David £ Angers, etc., t. II, pp. 202-206.) Les négociations enta-
—-
mées dans le but de faire entrer un groupe sculpté par Kirstein au
musée d'Avignon demeurèrent sans résultat.
— René Fâche, élève de
David, a pris part aux Salons de 1874 et 1879. — Le bas-relief IM
Mélodie et l'Harmonie fut exposé par Kirstein en 1838.

LXXVI
David à M. Guérin.
Le fronton du Panthéon. — M. de Montalivet.

Paris, 27 juillet 1837.


Monsieur,
Le fronton du Panthéon est couvert d'une toile, il est impos-
sible de le voir actuellement.
Aujourd'hui, à midi, j'ai un rendez-vous avec le ministre de
l'Intérieur. Sans doute qu'il voudra me proposer quelques
changemens à certaines figures. S'il me proposait une pareille
DE DAVID D'ANGEFS 237
lâcheté, je lui répondrais comme un homme de conviction doit
répondre.
DAVID.
Cette lettre a été publiée en fac similé dans le journal l'Autographe
(année 1864, p. 78). L'entrevue de l'artiste avec Montalivet,
ministre de l'Intérieur, eut lieu. La discussion fut orageuse, et quel
trrief arguait le ministre contre David} On a peine à le croire. C'est
le profil de La Fayette qui portait ombrage au pouvoir. David
d'Angers, etc. (t. I, pp. 335-337).

1838

LXXVII
David au peintre Mercier.
Envoi à Angers des modèles du Philopoemen, des bustes de Cuvier et
de Goethe. — La table Iliaque. — Projet d'un musée de sculpture
comparée à Angers. — M. Jules-Eugène Lenepveu.

Paris, 30 avril 1838.

Mon cher Monsieur Mercier,


Vous allez bientôt recevoir une grande quantité de caisses
contenant des ouvrages de sculpture. La plus grande renferme
le modèle de la statue de Philopoemen. Pour éviter que cette
figure ne soit brisée en route, j'ai fait mettre entre les jambes
une espèce de maçonnerie qu'il sera très facile d'enlever sans
nuire à la statue. Le mouleur qui est à Angers remettra aisé-
ment tout en ordre.
Dans un prochain envoi, j'expédierai pour le musée le
modèle de la statue de Cuvier, la tête colossale de Goethe et
une empreinte de la table Iliaque, petit bas-relief où est repré-
sentée toute la guerre de Troie.
Je vous enverrai aussi quelques fragmens de figures
gothiques : un musée doit offrir à l'étude des modèles de tous
les styles et de toutes les époques de l'art. Avec
un maître
aussi habile que vous, les Angevins sauront comprendre et
profiter de ces documents.
238 NOUVELLES LETTRES
Plusieurs villes de province ont obtenu du ministre de
l'Intérieur la permission de faire mouler une grande quantité
de fragmens de l'art à toutes les époques. Vous pourriez faire
une demande de même nature à M. le Maire, qui, en sa qua-
lité de député, obtiendrait aussi facilement cette permission, et
je me chargerais avec bien du plaisir de faire un choix d'après
les beaux et nombreux fragments que notre Ecole des Beaux-
Arts possède. Le moulage coûterait peu à la ville puisque
nous avons les moules à Paris. Il y a tels fragmens d'ornemens
antiques qui sont de la plus grande beauté. Vous verrez si cette
idée peut vous sourire; je suis tout à fait à vos ordres.
Je n'ai pas besoin de me recommander à votre obligeance
pour le placement le moins défavorable possible de mes
ouvrages, n'ayant qu'à vous renouveler tous mes remercie-
ments pour le bienveillant intérêt dont vous n'avez cessé jus-
qu'à présent de me donner des preuves. Merci, mille fois merci.
M. Picot est toujours bien content de votre bon et cher
élève Lenepveu, qui m'a fait le plaisir de m'apporter une grande
quantité de ses dessins. Il aura, je crois, un talent nerveux. S'il
continue, il vous fera honneur, ainsi qu'à notre bonne ville
d'Angers. Je me suis permis de l'engager à se défier de sa
fougue, et à dessiner avec naïveté, parce que je crains qu'il
ne se laisse entraîner à la facilité qui peut conduire prompte-
ment à la manière. Comme il y a d'immenses moyens en lui,
et qu'il paraît très modeste, il m'a semblé qu'il avait l'inten-
tion de faire usage de mon conseil.
Agréez, mon cher Monsieur, l'assurance de ma haute consi-
dération et de tous mes sentimens d'estime et d'entier dévoue-
ment- DAVID.

— Cette lettre, ainsi que toutes celles


Bibliothèque d'Angers. de
David adressées à Mercier, conservateur du musée d'Angers de 1831
à 1850, a été déposée à la bibliothèque publique d'Angers. M. André
Joubert a publié cette correspondance, en 1879, dans la Revue de
VAnjou, aussi ne ferons-nous, pour notre part, que de très rares
emprunts aux lettres reçues par Mercier. — Le peintre/.-M. Mercier,
élève de Regnault, né à Versailles, en 1786, est mort à Paris, en
1874. Il fut l'organisateur du Musée David à Angers. — M. Jules-
Eugène Lenepveu, aujourd'hui membre de l'Institut, eut pour pre-
mier maître à Angers, Mercier, avant d'entrer dans l'atelier de Picot,
DE DAVID D ANGERS 239
à Paris. C'est M. Lenepveu, exécuteur testamentaire de Mercier, qui
fait don à la ville d'Angers des autographes de David dont il est
a
parlé plus haut. —- La table Iliaque, bas-relief en stuc découvert au
xvne siècle, dans un temple en ruines de la voie Appienne, est trop
connue pour que nous ayons à nous appesantir sur cette représen-
tation plastique de la guerre d'Ilion. — Le musée de sculpture com-
parée, récemment ouvert à Paris au palais du Trpcadéro, conformé-
ment aux plans de Viollet-le-Duc, est en germe, on le voit, dans
la pensée de David, dès 1838. Quelques moulages choisis avec goût
prirent place au musée d'Angers à l'époque où l'artiste eut l'idée de
stimuler l'ardeur de ses compatriotes au point de vue de la collec-
tion spéciale dont il appréciait si justement l'utilité.

Lxxvm
David à Pavie père.
Le laurier d'argent remporté par l'Ode à Riquei. — Victor Pavie. —
Un premier succès littéraire. — La statue de sainte Cécile. —
Le Gutenberg.
Paris, 18 août 1838.
Mon ami,
Je reçois à l'instant une caisse contenant la branche de lau-
rier en argent destinée à Victor. Comme notre ami Cadeau
va partir pour Angers, je le charge de cette caisse, il te sera
agréable que l'un de tes plus anciens amis ait à s'acquitter
auprès de toi d'une commission qui n'a rien que de flatteur.
Quand tu liras les vers du poète qui a obtenu le premier
prix, tu jugeras combien ceux de Victor sont supérieurs. Ce
qui a fait pencher la balance en faveur du poète de Compiègne,
c'est qu'il a fait l'éloge de la ville de Béziers, tandis que notre
ami a trop pensé à moi. Je crois cependant que ce point de
départ dans la carrière littéraire doit donner à notre ami une
juste idée de son talent poétique. Il peut en attendre un jour
une grande réputation. J'en suis fier, j'en suis heureux comme
si Victor était mon enfant, et je goûte également le bonheur
que tu éprouveras de ce succès.
Mille remerciemens pour cette preuve d'amitié qui t'a fait
m écrire sans retard, lorsque la statue de sainte Cécile a été
olacée sur
son piédestal.
A»T n. x. 16
240 NOUVELLES LETTRES
Mille et mille tendres et affectueux souvenirs à notre cher
Théodore.
Tout à toi de coeur. DAVID.

Emilie me charge de te dire bien des choses aimables. Robert


et Hélène se portent toujours admirablement bien.
Gutenberg est terminé. Il y aura sur la page que vient d'im-
primer le grand homme : « Et la lumière fut ! »
Collection Pavie. — Une lettre de même date, adressée par David
au lauréat du concours de Béziers, fait également partie de la col-
lection Pavie. Elle a été insérée dans l'ouvrage Victor Pavie, sa jeu-
nesse, ses relations littéraires.

LXXIX
David au peintre Mercier.
M. Lenepveu. — L'Innocence implorant la Justice. — La collection
des médaillons. — Le fondeur Richard. — L'esquisse du fronton.
— Bustes d'Arago et de Langlois. — Le
Gutenberg.

Paris, 31 août 1838.

Mon cher Monsieur Mercier,


Je profite du départ de votre cher élève Lenepveu pour le
charger de cette lettre et d'une épreuve de mon portrait que
vous aviez eu la bonté de me demander.
Je crois que vous serez bien content des progrès de votre
élève qui me paraissent très remarquables. C'est un bon et hon-
nête jeune homme qui est très studieux. M. Picot en est très
content.
Vous devez avoir reçu une caisse contenant le modèle du
bas-relief que j'ai exécuté dans la cour du Louvre, je désire-
bien que vous puissiez l'entourer d'un cadre très simple en bois.
Sous peu de jours, vous recevrez encore une caisse contenant
plusieurs cadres de médaillons en bronze. Je travaille depuis
longtemps à cette collection qui peut-être offrira par la suite
un ensemble assez curieux par la réunion de personnages
célèbres de notre temps. A mesure qu'il paraîtra de nouveaux
médaillons, je les enverrai à Angers, et notre musée renfermera
DE DAVID DANGERS 241
collection qui, vu le prix extrêmement élevé de la fonte
une
bronze, ne peut être possédée que par très peu de per-
en
sonnes. Vous verrez combien cette fonte est remarquable.
C'est l'ouvrage du premier fondeur qu'il y ait en Europe. Il
nomme Richard. C'est aussi pour conserver la pureté de
sc
cette fonte que je vous prie de faire mettre des verres aux
cadres renfermant les médaillons. Il y a des feuillures réservées
dans ce but à chaque cadre. Dans la caisse, vous trouverez éga-
lement une gravure encadrée du fronton du Panthéon. Je
l'offre à notre musée. Il y en a un exemplaire pour vous, que
je vous prie d'accepter, et auquel je vous serai reconnaissant
de donner asile dans vos cartons.
Je vous avais envoyé une esquisse du fronton. Elle offre un
certain intérêt au point de vue politique, puisque c'est celle qui
a été approuvée par
le Gouvernement en 1830 et en 1834, et
au sujet de laquelle j'ai eu tant de tourments en 1837.
Bientôt aussi je vous enverrai le buste colossal du célèbre
Arago et celui de Langlois, peintre, archéologue et graveur, qui
vient de mourir à Rouen.
Quand la statue de Gutenberg, l'inventeur de l'imprimerie,
sera fondue en bronze, je vous enverrai le modèle. Cette statue
est destinée à la ville de Strasbourg.
Adieu, mon cher Monsieur, croyez à tous mes sentimens
de bien sincère amitié et à mon entier dévouement.
DAVID.

— L'OEil-de-Boeuf de la cour du Louvre,


Bibliothèque d'Angers.
l'Innocence implorant la Justice, date de 1824. {Musées d'Angers, p. 99.)
L'esquisse du fronton du Panthéon, en terre cuite, porte le millé-
sime de 1830 et la signature du statuaire. Ce travail très fin mesure
o™ 34 de hauteur sur 1 m 60 de largeur. Rapprochée de l'oeuvre défi-
nitive, l'esquisse a les proportions d'une miniature. {Musées d'Angers,
pp. 106-107.) Le buste de François Arago, en marbre, de dimen-
sions colossales, porte le millésime de 1838. Il fut offert
au modèle.
Langlois étant mort en 1837, David modela
son buste en 1838 et
offrit le marbre au musée de Rouen. (Musées d'Angers,
p. 166.)
LXXX
Delacroix à David.
L'architecte de Joly, candidat au fauteuil de Percier.
— La statue
de Corneille à Rouen.

Le 9 octobre 1838.
Mon cher ami,
Je viens vous demander votre appui bienveillant à l'Institut
pour De Joly, architecte de la Chambre des députés, si toute-
fois vous n'avez pas d'engagement ou d'inclinations particu-
liers qui s'y opposent. Je vous en serai reconnaissant.
Je viens de Rouen : j'ai vu votre Corneille que je ne connais-
sais pas. C'est un beau monument dans une belle place. Mais
c'est surtout une belle sculpture, et à mon sens une de vos
meilleures choses. Recevez-en donc ici mes compliments avec
mes souvenirs bien affectueux et bien dévoués.
Eug. DELACROIX.
Collection H. Jouin. — L'architecte Percier, titulaire du deuxième
fauteuil de sa section à l'Institut, était mort le 5 septembre 1838. Au
nombre des candidats qui briguèrent sa succession, figure l'archi-
tecte de la Chambre des députés, De Joly (Jules-Jean-Baptiste), né
en 1788, mort le Ier février 1865. Delacroix, qui avait commencé
des démarches pour son propre compte, l'année précédente, après
la mort de Gérard', recommande De Joly à son ami David d'Angers.
Avec moins de générosité, Delacroix aurait pu songer à ne pas épuiser
son crédit. Il avait éprouvé déjà deux échecs 2, et la route qui devait
le conduire à l'Institut s'annonçait comme devant être longue et
difficile. On sait que le peintre des Femmes d'Alger n'obtint justice
que vingt ans plus tard (10 janvier 1857). Il devait remplacer Paul
Delaroche. Le successeur de Percier fut élu le 10 novembre 1838. Ce
ne fut pas De Joly. Huvé (Jean-Jacques-Marie), l'architecte du château
de Saint-Ouen, de la Madeleine et de la salle Ventadour, élève de
Percier, vint occuper la place de son maître. Artiste éminent, homme

1. Voyez Lettres d'Eugène Delacroix, 1815 à 1863, recueillies et publiées par


M. Philippe Burty. Paris, Qjiantin, 1878, in-8", p. 137.
2. Scuiietz et Langlois lui furent successivement préférés dans l'espace d'une
année.
DE DAVID D'ANGERS 243
d'une rare bienveillance, Huvé, on se le rappelle, reçut de Raoul
Rochette, au jour de ses funérailles, un hommage non moins juste
que distingué.
Du second paragraphe de la lettre de Delacroix nous avons peu à
dire. Il s'agit de la statue de Corneille, par David d'Angers, érigée
sur le pont de Rouen (10 octobre 1834). Nous avons décrit cette
figure dans notre livre sur le statuaire, et une gravure de Leroux
complète notre texte 1. Plus d'un critique a jugé sévèrement la sta-
tuede Corneille que Delacroix proclame une oeuvre remarquable. Ne
pouvons-nous croire que le bronze de David est en harmonie avec le
milieu qu'il décore ? Delacroix qui « vient de Rouen » doit savoir ce
qu'il dit.

1839

LXXXI
David au maire de Cholet.
Le monument du général Travot.

Paris, 7 mai 1839.


Monsieur le Maire,
J'ai l'honneur de vous envoyer ci-inclus le dessin du monu-
ment que vous avez l'intention d'élever à la mémoire du géné-
ral Travot. Je viens de prendre des informations auprès du
fondeur. Il n'a pu me donner qu'un prix approximatifn'ayant
pas le buste sous les yeux. Il pense que le prix de la fonte ne
dépassera pas la somme de six cents francs. A l'égard du
bronze, il prendrait le bronze à vingt sous par livre et il en
faudra à peu près deux cents livres.
Pour le modèle du buste, il faudra compter sur une somme
de cinq cents francs, tous les frais de moulage compris.
Je vous prie, Monsieur le Maire, d'avoir la bonté de prendre
une prompte résolution à l'égard de ce monument, car si vous
vous décidiez pour son exécution, il faudrait prendre une
décision qui pût nous mettre à même de commencer
sans
retard, car il faudra du tems pour faire le modèle et ensuite

1 Tome I, pp. 274-277 ; tome II, p. 280.



244 KOUVELLES LETTRES

pour le fondre en bronze. A l'égard du piédestal, vous pour-


riez le faire commencer dès maintenant, et je pense que
l'inauguration serait possible à l'époque des fêtes de juil-
let 1839.
Agréez, Monsieur le Maire, l'assurance de la haute considé-
ration de votre bien dévoué et très humble serviteur.
DAVID.

Archives municipales de Cbolet.


— Le buste du général Travot, de
proportions colossales, exécuté en bronze pour la ville de Cholet, a
été inauguré le 5 avril 1840. (Musées d'Angers, p. 172.) La lettre que
nous donnons ici a paru dans le Bulletin de la Société des sciences
et beaux-arts de Cholet, année 1887.

LXXVII
Halévy à David.
La direction du Conservatoire de musique de Toulouse.

Félix Delacour.

Paris, 29 juillet... (1839?)


Mon cher confrère,
J'espère que M. Félix Delacour, qui vous présentera ce bil-
let, réunit toutes les qualités désirables pour remplir, à la
satisfaction générale, la place de directeur du Conservatoire de
Toulouse. Second grand prix de l'Institut, en 1834, lauréat du
Conservatoire de Paris, excellent musicien par conséquent,
connaissant tous les chefs-d'oeuvre des maîtres, comme il faut
les connaître, c'est-à-dire, dans tous leurs détails, je suis per-
suadé qu'il donnera aux études musicales qu'il sera chargé de
diriger l'impulsion la plus salutaire ; je vous l'adresse donc,
rempli de confiance et heureux d'avoir pu remplir avec autant
de succès la mission que vous m'aviez donnée.
Recevez, mon cher confrère, l'expression de mes sentiments
les plus dévoués, et de ma cordiale et affectueuse sympathie.
F. HALÈVY.
Collection David d'Angers.
— Delacour ne fut pas nommé au Con-
servatoire de Toulouse pour la direction duquel David avait été prié
DE DAVID D'ANGERS 245

de chercher un musicien. Delacour, né en 1808, est mort le


28 mars 1840.

Lxxxin
David au maire de Cholet.
Le monument du général Travot.

Monsieur le Maire,
Dans la première lettre que j'eus l'honneur de vous écrire
lorsque vous me fîtes connaître le projet que vous aviez d'éle-
ver un monument à la mémoire du général Travot, je vous
indiquais les prix du fondeur. Je vous disais en même tems
que mes frais matériels de moulage et d'armature, etc., mon-
teraient à cinq cents francs, et qu'à l'égard de mon tems je
m'estimais très heureux de l'offrir gratuitement.
J'éprouve une vive satisfaction des choses aimables que vous
voulez bien me dire au sujet de ce travail. L'approbation de
mes compatriotes sera toujours une bien douce récompense
pour moi.
Agréez, Monsieur le Maire, l'assurance de la haute considér
ration de votre très humble et bien dévoué serviteur.
DAVID.
Paris, 5 octobre 1839.
Archives municipales de Cholet. — Cette lettre a été insérée dans
le Bulletin de la Société des sciences et beaux-arts de Cholet (1887).

1840

LXXXIV
David à Pavie père.
Le tombeau du roi René. — Le musée David.

Paris, 4 février 1840.

Je te remercie de tout mon coeur, mon cher ami, de la


bonne lettre que j'ai reçue de toi il
y a peu de jours. La mala-
246 NOUVELLES LETTRES
die est comme un douloureux et pénible voyage, on éprouve
une bien grande consolation quand, au retour, on trouve sur
le rivage des mains amies pour serrer les vôtres et vous félici-
ter d'une heureuse arrivée. Me voilà presque en pleine santé,
à la permission près d'entrer dans mon atelier. Je ne puis
l'obtenir de mon médecin. Il craint une rechute. Enfin patience
et courage, les beaux jours vont venir et je tâcherai de rat-
traper le tems perdu.
Je viens d'écrire à M. de Beauregard pour lui exprimer le
regret que j'éprouve de ne pouvoir me charger de l'exécution
de la statue du roi René, pour la modiq.ie somme dont la
Société dispose en ce moment.
Si les tems étaient moins durs pour moi, bien certainement
j'aurais fait avec plaisir le sacrifice que l'on me demande, mais
depuis le Fronton du Panthéon, je n'ai plus reçu la moindre
commande du Gouvernement.
La lettre de M. de Beauregard m'est parvenue à l'époque de
l'inauguration de la Galerie de notre musée. Tu juges s'il m'a
été pénible de ne pas répondre comme mon coeur l'eût
désire à l'appel du président de la Société d'agriculture d'An-
gers.
Emilie et moi nous vous souhaitons à tous mille choses heu-
reuses, et nous vous prions de croire à notre inaltérable amitié.
A toi de coeur.
DAVID.
Collection Pavie. — L'inauguration de la galerie dont parle le sta-
tuaire est celle du Musée David qui d'abord porta le nom de Galerie
David. Cette fête eut lieu le 17 novembre 1839.

LXXXV
Cormenin à David.
L'esquisse de la statue de Carrel. — Jugement sur le publiciste. —
Daguerre et sa découverte.
Paris, 22 mars 1840.
Monsieur,
Je profite d'un petit moment de libre pour vous dire com-
bien j'ai été honoré et touché du beau cadeau que vous m'avez
DE DAVID D'ANGERS 247
fait en m'envoyant la statuette d'Armand Carrel, de ce pauvre
jeune homme.dont je garderai toute ma vie le noble et affec-
tueux souvenir. Comme vous lui avez bien donné, Monsieur,
cette tournure élégante et martiale, chevaleresque et populaire,
qui distinguait à la fois sa personne et son talent ! Je le dis
dans toute la sincérité de mon coeur, Armand Carrel était
l'homme le plus nécessaire et il est le plus regrettable de ce
temps-ci.
M. Daguerre m'a dit hier que je pouvais vous rendre
quelque léger service, si vous vous décidez à publier la galerie
de vos médaillons. Disposez de moi, Monsieur, comme vous
l'entendrez, et croyez bien que je suis entièrement à vos ordres.
Votre dévoué et reconnaissant serviteur.
CORMENIN.

Collection David d'Angers. — La statue de Carrel porte la date de


1839. (Musées d'Angers, p. 109.) Les dernières lignes de cette lettre
laissent supposer que David avait alors le projet de populariser ses
médaillons par le daguerréotype, avec un texte dont Cormenin eût
été chargé.

LXXXVI
David à Soyer, fondeur.
Renseignements techniques.

Paris, 18 août 1840.


Mon cher Monsieur Soyer,
Je reçois une lettre de M. Daly, directeur d'une Revue d'ar-
chitecture, qui me demande des renseignements sur la fonte
de la statue de Gutenberg.
Epaisseur du bronze en ,aut
( en bas
Comment la figure est-elle attachée à la base ?
Procédé de la fonte ?
Si vous pouvez m'envoyer une note à cet égard, vous
obligerez votre bien dévoué.
DAVID.
Collection H. Jouin. — Ce billet, choisi entre vingt autres de
même nature, ne témoigne pas seulement de l'activité d'esprit du
248 NOUVELLES LETTRES
statuaire, mais encore de la précision avec laquelle il savait des-
cendre dans les moindres détails.

LXXXVII
David à l'abbé Bernier.
Le monument de l'abbé Mongazon.
Paris... 1840 (?)
Monsieur,
J'ai reçu en son tems les deux caisses contenant le buste et
le portrait peint de M. Mongazon, ainsi que son éloge funèbre.
La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire me sera
de la plus grande utilité en raison des renseignements qu'elle
contient.
Croyez, Monsieur, que tous les moyens qui sont en mon
pouvoir seront employés pour tâcher de rendre le plus digne-
ment possible les traits de notre bon et honorable compatriote,
et que je suis heureux que ce monument soit destiné à votre
maison.
Agréez, Monsieur, l'assurance de la haute considération de
votre bien dévoué serviteur.
DAVID.
Archives du Petit-Séminaire Mongazon à Angers. — Il s'agit ici du
monument de l'abbé Urbain-Loir Mongazon, fondateur du collège.
Ce monument date de 1841. (Musées d'Angers, p. m.) M. Bernier,
destinataire de la lettre que nous publions ici, était alors supérieur
du collège. Il remplit plus tard les fonctions de vicaire général
d'Angers.
184I

Lxxxvm
Mickiewicz à David.
Charles Nodier chez le poète polonais.

Paris, janvier 1841 (?)

Je vous attends à 9 heures, très heureux de faire la con-


DE DAVID D ANGERS 249
naissance de M. Nodier dont je connais plusieurs ouvrages. Je
n'ai de papier que pour vous dire ce mot et vous remercier.
Tout à vous.
MICKIEWICZ.

Collection David d'Angers. — C'est le statuaire qui, lié de longue


date avec les deux écrivains, présenta l'auteur de la Fée aux miettes
au poète du Pharis.

LXXXIX
David à Rauch.
Le sculpteur Charles Muller.

Paris, 23 mars 1841.

Mon bon et honorable ami,


Le jeune artiste qui vous remettra cette lettre a étudié plu-
sieurs années dans mon atelier. C'est un brave et digne élève
dont je suis très content parce qu'il est très studieux, très doux,
et que son caractère est des plus honorables. Il a des disposi-
tions. Vous jugerez de son talent par ses ouvrages que vous
serez bientôt à même de voir. Je vous le recommande tout
particulièrement.
Il y a bien longtems que je n'ai pas reçu directement de vos
chères nouvelles, et cependant personne plus que moi n'at-
tache un intérêt plus sincère à tout ce qui vous concerne, et
ne désire plus ardemment apprendre que vous jouissez de
toutes les félicités que vous méritez si bien.
Quelquefois la renommée parle de vos glorieux succès et
cela n'étonne nullement ceux qui, comme moi, connaissent
votre grand mérite. Continuez donc longtemps, cher ami,
une si noble carrière. Soyez heureux en tout et partout, et
croyez à tous mes sentiments de profonde estime et de
constante amitié.
DAVID.
Emilie se rappelle à votre bon souvenir ainsi qu'à celui de
Madame votre fille.
P. S. J'aurais voulu vous écrire plus longuement, mais j'ap-
prends à l'instant que M. Muller part dans quelques minutes.
250 NOUVELLES LETTRES

Collection Eggers, à Berlin.


— Charles Muller a exposé divers
ouvrages en marbre aux Salons de 1848 et de 1849.

xc
David à Guillory aîné.
La statue de Beaurepaire.

Paris, 12 août 1841.


Monsieur,
Je profite du voyage de notre ami Moll pour vous adresser
ce mot de souvenir... Je charge aussi notre architecte angevin
d'un nouveau croquis de la statue de Beaurepaire : je l'ai com-
posée de manière à ne choquer aucune susceptibilité et je con-
viens que cette nouvelle conception est plus en rapport avec
nos idées modernes. Dans la lettre que j'ai eu l'honneur
d'adresser à M. le Maire, je lui soumets une pensée qui
pourrait peut-être compléter le monument : ce serait de gra-
ver sur le piédestal les noms des soldats du premier bataillon
de Maine-et-Loire. Ce serait alors un monument complet. Si
l'on ne voulait pas les graver, il faudrait au moins les mettre
dans le piédestal. Cette liste serait honorable pour les des-
cendants de ces braves gens. Vous réfléchirez là-dessus... Je
serais bien heureux si la ville d'Angers prenait une décision
invariable pour La statue de Beaurepaire. Voyez toutes les villes
qui nous entourent élever des monuments à la gloire des
hommes remarquables : il ne faut donc pas que nous restions
froids spectateurs. Pour moi, j'ai le plus grand désir de faire
cet ouvrage pour ma ville natale et aussi parce que le sujet est
beau et inspirateur.
Tout à vous.
DAVID.
Collection Guillory.
— Cette lettre a été publiée par M. Lair, en
1889, dans la Revue de l'Anjou. — Nicolas-Joseph de Beaurepaire,
né à Coulommiers, marié en Anjou, lieutenant-colonel du premier
bataillon des volontaires de Maine-et-Loire, fut chargé de la défense
de Verdun. La mort tragique et mystérieuse du commandant de la
place assiégée a été l'objet de controverses prolongées. Beaurepaire
s'est-il suicidé ? A-t-il été victime d'un assassinat? Nul ne le peut
DE DAVID D*ANGERS 2$I
dire avec certitude. David s'était rallié à la première hypothèse, et
l'esquisse de la statue projetée par les Angevins, conçue sous l'im-
pression de la mort volontaire du commandant, provoqua quelques
objections. De là les lignes qu'on vient de lire, et dans lesquelles
l'artiste parle d'une composition nouvelle. Disons, dès maintenant,
que le projet longtemps caressé par le maître d'élever une statue à
Beaurepaire, ne s'est réalisé qu'en 1889. C'est M. Maximilien Bour-
geoisqui, plus heureux que son devancier, est l'auteur du bronze
héroïque dressé sur le pont du Centre à Angers. David n'eût pas
désavoué cette oeuvre énergique et de haut style.

XCI
Pariset à David.
Rendez-vous oublié. — Un Eloge académique.

Paris, le 21 septembre 1841.


Je suis une très grosse bête. Je ne vous ai pas tenu parole
jeudi. C'est ma faute : je l'avoue à ma honte. J'étais sur mon
Pégase.
Cette semaine ? Je n'ose dire. Mais bientôt cependant.
Mes respects à Madame; et à vous, tendresses.
E. PARISET.

— « J'étais sur mon Pégase », allusion


Collection David à"Angers.
à quelque travail en préparation, sans doute un des Eloges dans la
composition desquels excellait Pariset.

xcn
Ernest Hébert à David.
Eloge du maître par son élève.

Rome, ce 13 novembre 1841.


Mon cher et vénéré maître,
Il y a déjà deux ans que j'ai eu le grand prix, et je ne vous
ai pas encore écrit une seule fois, à vous, si noble avec vos
élèves, moi qui m'honore d'en être
un, moi qui vous dois
252 NOUVELLES LETTRES

tout le peu que je sais Je suis peiné, vraiment, d'avoir laissé


passer ce laps de ' tems sans vous faire savoir que de près
comme de loin j'étais resté dévoué admirateur et reconnaissant
disciple, malgré le tems qui a souvent détruit les souvenirs
des biens qu'on a reçus. Vous aurez peut-être pensé quelque-
fois que j'étais aussi tombé dans cette nombreuse suite d'élèves
ayant perdu la mémoire de ce qu'ils doivent au maître qui les
a pris par la main et conduits au but à travers les difficultés et
les erreurs qui cachent la vraie route de l'art à celui qui
cherche à y marcher. Vous aurez peut-être cru que, content
et fier d'être à Rome, je voulais me croire arrivé et pouvant
me passer de conseils! Eh bien non, mon cher maître, non, je
suis resté reconnaissant de vos conseils et fier de les avoir
reçus, car, plus j'avance, plus j'en reconnais la vérité et l'excel-
lence, et toujours avant de commencer une composition je me
redis les préceptes que nous avons si souvent entendu profes-
ser, et au milieu du travail, je me figure que vous êtes derrière
moi, et je corrige bien des fautes que je devine dans ce moment
d'intuition, d'effort au dessus du présent. Ainsi, mon cher
maître, vous voyez que votre bonne influence s'étend encore
sur moi dans mes oeuvres, et que le souvenir de ce que vous
doivent vos élèves est encore vivant en moi.
Que de remerciemens j'aurais à vous faire si je vous disais
combien vous m'avez rendu heureux par ce que vous avez dit
à mon bon père sur mon Envoi. Sans doute tous préfèrent le
succès à la chute, mais vous devez vous souvenir combien on
est indifférent à Rome pour l'effet d'une étude à Paris, et, en
effet, les choses et les idées sont si différentes qu'on peut ne
pas être malheureux de ne pas avoir eu de succès. Quant à
moi, je savais bien que l'effet sombre que j'avais cherché ne
pourrait pas plaire au public et j'en avais pris mon parti,
mais je craignais pour mon père que je sais très sensible
à ces émotions. Je reçus une lettre de lui pleine de joie et
de bonheur. Il venait de causer avec vous de mon Envoi. A
la lecture de cette lettre, je vous ai remercié du fond du coeur
de la crainte que vous m'enleviez et du vrai bonheur que vos
paroles avaient donné à mon père et à moi, par suite, et main-
tenant je ne pourrai jamais assez vous remercier et vous dire
combien je suis content.
DE DAVID D'ANGERS 253
Je suis à mon second Envoi. Je cherche dans celui-ci la
couleur et l'harmonie qui règne autour de nous sur cette
belle campagne pendant ces jours heureux de l'automne. Je
fais un tableau au lieu d'une figure, persuadé que le travail
que nécessitent l'arrangement et le trouvé d'une composition
fait faire un pas plus grand que la difficulté toute matérielle
d'une figure nue.
Nous avons reçu, il y a deux jours, une réponse de l'Insti-
tut, sur notre exposition, qui nous a fait le plus grand plaisir.
Tous nous sommes étonnés de ce changement qu'on a voulu
faire subir à un usage aussi ancien que l'Académie, et sommes
heureux qu'il ne puisse s'effectuer encore cette année. Le voeu
général serait le commencement de la pension au mois d'avril,
et l'exposition à la même époque.
Ne viendrez-vous donc pas à Rome pendant que j'y suis ?
J'espérais pourtant vous voir dans ce beau pays si artistique, si
grand! J'espère encore.
Adieu, mon cher maître, adieu, portez-vous bien, et soyez
aussi heureux que je vous le souhaite.
Votre élève respectueux, dévoué et reconnaissant.
HÉBERT.
CollectionH. Jouin. — La déférence du disciple envers son
maître, dont cette lettre est un éloquent témoignage, est demeurée
profonde chez Ernest Hébert. Le meilleur portrait de David, peint
immédiatement après la mort du statuaire, est l'oeuvre du signataire
des pages qu'on vient de lire.

XCIII
David à Guillory aîné.
Projet de monument en l'honneur du général angevin Delaage.

9 décembre 1841.
Dans votre lettre, vous me parlez de notre monument
de ...
Beaurepaire...
Il y a bien encore un monument à élever à la mémoire
du brave général Delaage. Son nom est inscrit
sur l'arc de
triomphe et dans tous les fastes de la gloire militaire de notre
254 NOUVELLES LETTRES
patrie. Ne pourrait-on pas lui décerner un buste colossal, en
bronze, qui serait placé en face du Château, sur la promenade?
Pensez à cela. Si les fonds manquaient, on pourrait faire couler
ce buste en fer galvanisé ; alors, le prix de cette fonte ne s'élè-
verait pas à plus de six ou huit cents francs. Pensez-y...
DAVID.
Collection Guillory.
— Cette lettre a été publiée par M. Lair, en
1889, dans la Revue de l'Anjou. — Henri-Pierre Delaage, 1766-1840,
chef d'état-major de la 1" division du 3e corps pendant la campagne
de Russie, fut blessé à la Moskowa, et eut le commandement du
département de Maine-et-Loire de 1830 à 1832.

1842

xerv
David à Pavie père.
Les joies du foyer. — Projets de voyage.

Paris, 7 février 1842.

Nous sommes très reconnaissants, Emilie et moi, mon cher


ami, de la nouvelle preuve d'amitié que tu viens de nous donner
dans une circonstance si importante pour l'avenir de Théodore.
Nous faisons les voeux les plus sincères pour que les opinions
de la famille dans laquelle il va entrer soient en harmonie
avec les siennes, car sans cela les liens de parenté sont bien
lourds à porter, surtout quand tous les membres d'une famille
habitent une même ville.
Tu vas jouir du bonheur de voir enfin tes deux chers enfants
fixés auprès de toi, et les doux liens qui vous unissent les uns
aux autres ne seront plus brisés. Puissiez-vous, chers amis,
jouir pendant de longues années de la félicité que vous méritez
si bien.
Encore quelques jours, et si Dieu me conserve la santé nous
quitterons Paris pour aller respirer l'air pur des Pyrénées.
Encore quelques mois, et nous quitterons la France.
DE DAVID D'ANGERS 255
Reçois, pour nous tous, l'assurance des sentiments dévoués
que nous ne cesserons jamais de vous porter.
Tout à toi de coeur.
DAVID.
Collection Pavie.

xcv
Sainte-Beuve à David.
Le critique compose son étude sur Aloysius Bertrand.

Ce samedi... février 1842 (?)

Serez-vous assez bon, mon cher David, pour me remettre


les papiers de Bertrand que je vous avais rendus. Pavie vient
de m'envoyer d'Angers les feuilles imprimées, et je vais penser
à la notice, mais je voudrais avoir sous les yeux tous les brouil-
lons, vieux journaux et autres pièces que vous avez déjà eu
l'obligeance de me confier.
J'offre mes humbles hommages à Mme David.
Recevez mes salutations dévouées.
SAINTE-BEUVE.
Collection David d'Angers.
— La notice préparée par Sainte-Beuve
parut en tête de l'édition du Gaspard de la Nuit publiée par Pavie.
Cette étude se trouve reproduite dans les Portraits littéraires de
Sainte-Beuve (édition de 1882, 3 vol. in-12, t. II, pp. 343-364).

xcv
Lenormant à David.
Esquisse du Départ des volontaires, de la Bataille de Fleurus et de la
Bataille d'Héliopolis.

Paris, le 26 mai 1842.


Mon cher David, je ne saurais trop vous remercier de votre
beau présent, et
pourtant j'ai bien envie de vous gronder.
Pourquoi ce cadre luxueux, et n'était-ce
pas tout pour moi que
de posséder
votre ouvrage, l'étude et le point de départ d'une
de vos plus heureuses inspirations ? Mais je sais qu'avec
vous
«T F». X ,7
256 NOUVELLES LETTRES
il ne faut pas élever ces sortes de plaintes. Je voudrais bien
aller vous voir, et je le ferai certainement avant peu.
Mme David nous a dit que vous étiez mieux portant, et je
vous ai trouvé moi-même meilleure mine l'autre jour sur le
pont des Arts. Ne négligez pas votre santé : donnez-vous tout
le temps nécessaire pour vous rétablir, vous nous devez encore
vingt bonnes années de travail, et je ne vous pardonnerais pas
si vous nous priviez d'une seule par imprudence. Songez que
vous ne vous appartenez pas.
Adieu, mon cher ami. Nous sommes séquestrés chacun de
notre côté, mais j'espère que vous comptez sur moi, comme
je compte sur vous. Mille grâces encore et tout à vous de coeur.
LENORMANT.
Collection David d'Angers. — L'écrivain remercie le maître de lui
avoir offert les esquisses des trois bas-reliefs sculptés par lui sur
l'Arc de triomphe de Marseille. Ces esquisses ont été léguées par
Lenormant au musée d'Orléans. Musées d'Angers, pp. 104-105.

XCVI
David à Victor Pavie.
Retour à Paris. — Le ciel du Midi. — Aloysius Bertrand.

Paris, 4 septembre 1842.


Cher Victor,
Nous voilà depuis deux jours de retour à Paris, et je suis
obligé, pour apporter quelque soulagement à l'ennui qui déjà
me comprime, de penser au beau ciel qui a réjoui mon âme,
à cet air si pur, si balsamique, qui exaltait mon imaginaton au
point qu'il me semblait que ma tête allait s'élever jusqu'au
ciel. Quelques jours de fiévreuses impulsions, des relais de
poste, et me voilà ramené dans ce grand hospice de fous, d'où
je t'écris.
Tu vois à la tournure de mes idées que j'ai besoin de me
persuader encore que j'ai quelques amis, et qu'une lettre de
toi me fera du bien. Il faut aussi que je sache comment se
portent ton père et Théodore.
Je vais aller visiter le tombeau du pauvre Bertrand. Com-
DE DAVID D ANGERS 257
bien je serais heureux si son ouvrage pouvait enfin être
connu !
Adieu, cher ami; Emilie et moi nous souhaitons à tous
toutes sortes de bonheur.
A toi de coeur. DAVID.
Collection Pavie.
XCVII
David à Victor Pavie.
Aloysius Bertrand. — Que les cimetières doivent être respectés.

Paris, 17 septembre 1842.

Je viens de recevoir ta lettre, cher Victor, et je m'empresse


de réparer l'oubli que j'avais fait du nom du libraire chez
lequel je pensais que nous pourrions déposer des exemplaires
de l'ouvrage de Bertrand, c'est M. Labitte. Son magasin est
situé quai Voltaire. On pourrait aussi en déposer chez les
libraires du Palais-Royal, et enfin il faudrait en envoyer à Dijon,
la ville où le poète a été élevé, où sont encore tous ses amis.
Il faudrait que le correspondant te fît remettre les fonds pro-
venant de la vente, car il faut avant tout que tu retires tes
frais au moins, et ensuite le reste pourra revenir à la vieille
mère qui, en vérité, est peu digne d'intérêt. Retiens bien ce
que je te dis à cet égard. Il n'y avait vraiment d'intéressant que
le pauvre poète.
Je t'avais écrit une longue lettre de Barcelone, l'as-tu
reçue ? Je serais bien étonné si elle ne t'était pas parvenue,
car je l'ai mise moi-même à la poste avec d'autres qui sont
arrivées à leur adresse.
Mon cher Victor, viens donc passer quelques jours à Paris
afin que nous puissions te serrer encore la main et te dire de
vive voix combien nous te sommes attachés.
Tu as bien raison de te plaindre de la prc -nation que les
hommes font subir aux cimetières. Il est dans la nature de
l'homme de profaner tout ce qui l'entoure. Pour celui qui
médite sur les actions de ses semblables, il est malaisé de ne
pas se sentir pris de pitié. Nous sommes de pauvres fous. Il y
a bien longtemps, qu'en passant dans certaines rues d'Angers,
258 NOUVELLES LETTRES

mon coeur se serrait douloureusement à la pensée que je


pouvais fouler, aux pieds la poussière de mes proches : le
champ de repos où ils avaient trouvé asile ayant été bouleversé
par la folle cupidité des destructeurs modernes.
Adieu, cher ami, mille amitiés à tous.
A toi de coeur.
Collection Pavie.

xcvm
David à X., à Béziers.

Le monument de l'abbé Martin, curé de Béziers. — La statue,


suprême hommage. — Symbolisme du buste.

Paris... septembre 1842.


Monsieur,
Il est temps que je vous donne les renseignements que
vous me demandez pour le monument que l'on a l'intention
d'élever à l'honorable ecclésiastique qui a tant fait pour votre
ville et qui a laissé tant de regrets aux personnes qui l'ont
connu.
D'abord je voudrais soumettre à votre excellent jugement
quelques réflexions à l'égard du projet de statue. Un semblable
monument est la plus grande récompense que l'on puisse
accorder à un homme. C'est pour cette raison qu'il ne faut
pas la prodiguer; ce serait lui ôter tout son prestige. Que
pourrait-on faire pour les Fénelon, les Las Cases, les abbés de
l'Epée, et tant d'autres apparitions humaines que Dieu a mon-
trées au monde comme des types précieux qui doivent faire
germer de grandes et de nobles pensées?
Le buste est une modification extrêmement honorable, sur-
tout quand il est d'une proportion colossale; et vous savez,
mon ami, que le colossal n'est pas seulement pour répondre
aux exigences de la hauteur du piédestal, mais pour rendre
plus sensible une manifestation de vénération ou d'admiration.
On pourrait encore ajouter à cette manifestation, en sculptant
sur trois faces du piédestal (celle de face étant réservée pour
l'inscription), des figures allégoriques des vertus qui distin-
DE DAVID D*ANGERS 2$9
guaient le plus l'homme auquel on veut accorder une récom-
pense.
Ces réflexions ne peuvent et ne doivent en rien faire changer
la décision qu'on aura pu prendre. C'est simplement une cau-
serie entre nous. Je vais actuellement vous donner un aperçu
des prix. Dans le cas de l'exécution d'une statue qui devrait
avoir six pieds de proportion, le costume d'abbé étant très
simple et offrant par conséquent moins de difficultés de travail,
le prix pourrait s'élever à huit mille francs, plus quatre mille
francs pour le bloc de marbre. Le buste colossal et trois petites
figures allégoriques sur le piédestal coûteraient cinq mille
francs. Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer et souvenir
que tous les ouvrages qui me sont confiés pour la bonne ville
de Béziers ont été et seront toujours faits par moi comme ma
part de souscription, et que je ne demande que mes premiers
frais.
Bien à vous.
DAVID.

Cette lettre a paru dans le journal l'Indicateur de l'Hérault du


16 septembre 1842. Nous ne connaissons pas le correspondant du
sculpteur. L'abbé Martin, ancien curé de Saint-Aphrodise, à Béziers,
avait été le bienfaiteur de la population confiée à ses soins. Le
rédacteur du journal de l'Hérault fait suivre la lettre du maître des
lignes suivantes : « Il n'y a rien à répliquer, ce semble, aux observa-
tions de M. David. Le monument à élever à M. Martin doit se com-
poser d'un buste colossal placé sur un beau piédestal, orné sur trois
faces de figures allégoriques et portant une inscription sur la face
antérieure. Ce monument devra être en plein air, soit sur la place
Saint-Aphrodise, soit ailleurs, mais toujours dans le quartier Saint-
Aphrodise. Si l'on se détermine à donner suite aux préliminaires
dont nous venons de rendre compte, une commission devra être
nommée. Cette commission recueillera les souscriptions des habi-
tans de Béziers, fixera le lieu où le monument devra être placé, se
mettra en rapport avec M. David et veillera à l'érection du monu-
ment. Nous ne pensons pas avoir besoin d'exhorter les habitans de
Béziers à rendre un hommage public à la mémoire d'un prétre-
cttoyen qui, tout en dotant richement son église, a fait pour la ville
ce que personne n'avait encore fait pour elle. » David ne fut pas
chargé d'exécuter le monument de l'abbé Martin,
2Ô0 NOUVELLES LETTRES

XCLX
David au peintre Mercier.
Une facture impayée. — Scrupules du maître.
Paris, le 23 octobre 1842.
Mon cher ami,
J'ai bien besoin que vous me disiez en confidence, et cela
sera un secret entre nous deux, si la ville d'Angers n'est pas
fatiguée de mes envois peut-être aussi trop fréquents. Il vient
de me revenir une facture de roulage que l'on a refusé d'ac-
quitter à la mairie. Soyez assez bon pour me dire toute votre
pensée à cet égard. Je suis, vous le savez, extrêmement heu-
reux et honoré que mes compatriotes veuillent bien donner
asile à mes ouvrages, qui, s'ils ne sont pas irréprochables sous
le rapport du talent, ont au moins l'avantage de rappeler les
traits d'hommes célèbres, mais je ne voudrais cependant pas
devenir importun, et encore une fois c'est à votre bonne et
franche amitié que je m'adresse pour fixer mes idées sur ce
point.
Croyez à ma bien sincère reconnaissance et à mon entier
dévouement de coeur. DAVID.
Bibliothèque d'Angers.
1843

C
Balzac à David.
La médaille du romancier. — Derrière le rideau.

1843 (?)
Monsieur, je suis naturellement très flatté de la proposition
que vous m'avez faite ; mais, s'il n'existe ni lithographie, ni
portrait, ni quoi que ce soit de moi, c'est que je suis lié par
une promesse à cet égard. Cette promesse est d'ailleurs en
harmonie avec mes goûts. Nous ne savons pas si nos gloriettes
ne sont pas des affaires de mode et il n'y a rien de plus affreux
DE DAVID D'ANGERS 261

que de se voir le revenant de sa propre gloire. Plus tard, si


je suis quelque chose, et si l'interdiction se lève, je serai tout
à vous, mais je sais qu'une médaille, quelqu'honorable que
soit cette distinction, affligerait la personne qui est derrière le
rideau.
Si je vous donne ces explications, c'est pour vous convaincre
qu'il n'y a ni mauvaise grâce ni fatuité dans ma réponse néga-
tive.
Agréez, Monsieur, mes remerciemens pour votre offre gra-
cieuse, et l'expression d'une admiration sincère à laquelle je
voudrais donner une tournure qui ne fût pas banale, mais
vous êtes trop gâté pour que j'essaye de vous offrir autre chose
que mes sentimens de sympathie pour votre talent.
DE BALZAC.
Collection "David d'Angers. — Quels engagements avaient été pris
par Balzac au sujet de ses portraits éventuels ? Envers qui est-il lié
par une parole imprudente ? Quoi qu'il en soit, le statuaire paraît
avoir triomphé des résistances du romancier, car la médaille de
Balzac porte le millésime de 1842. Musées d'Angers, pp. 182-183.
Divers portraits gravés ou lithographies, d'après l'auteur d'Eugénie
Grandet, ne portent pas de date. Ce sont ceux de Delarue d'après
un dessin de Julien, de C. Brandt, d'Auguste Farcy, d'Emile Lassalle.
Celui de Paul Chenay, gravé d'après Louis Boulanger, date de 1859 ;
une eau-forte d'Auguste Forlet est de 1843 ; un portrait anonyme
est de 1860. Somme toute, nous n'avons pas la preuve que la parole
de Balzac puisse être mise en doute. Le médaillon de David est
peut-être, quant à la date, le premier portrait du romancier. C'est
après réception de son profil que Balzac, ayant l'occasion de faire
une réimpression de son roman le Curé de Tours, y ajouta une dédi-
cace à David.

CI
David à Alexandre Tardieu.
Le profil dessiné de Schlegel. — Attitude de la jeune Allemagne
à l'égard du critique.

Paris, 7 février 1843.


Lors de mon dernier voyage en Allemagne, j'ai dessiné le
262 NOUVELLES LETTRES
portrait de Schlegel pour m'aider à exécuter son médaillon
deux motifs m'ont, inspiré le désir de faire cet ouvrage,;
d'abord la brutale ingratitude de la jeune Allemagne pour
ce
vieillard, et enfin l'intérêt que j'avais goûté à la lecture de ses
ouvrages sur l'art.
J'ai pensé que vous éprouveriez quelque plaisir à voir les
traits de ce savant. C'est cette raison qui me fait vous prier de
vouloir bien accepter le dessin que j'ai le plaisir de vous offrir.
Je serai heureux si vous lui accordez un petit coin chez vous.
Mille amitiés de tout coeur.
DAVID.
Cette lettre a été publiée dans le journal l'Autographe (année 1864,
p. 145). Tardieu était, en 1843, chargé de la critique d'art au Cour-
rier français. — Il est parlé dans David d'Angers et ses relations litté-
raires, du portrait dessiné de Schlegel, à la suite de la lettre du critique
à David en date du 27 août 1841.

CII
David à Guillory aîné.
La statue de Beaurepaire. — Impatience du maître.

14 février 1843.
Mon bon et bien cher ami,
Je vous assure qu'il m'est extrêmement pénible de ne pas
correspondre plus souvent avec les hommes qui, comme vous,
n'ont cessé de me dont or des preuves réitérées de sincère inté-
rêt. Mais j'aime à me persuader que, connaissant cette vie
agitée de Paris qui dévore le temps trop souvent dans de
tristes et fatigantes affaires, et laisse si peu de loisir pour l'étude
de l'art, vous serez indulgent pour moi, et je pense aussi que
les nouvelles les plus agréables que je puisse donner de moi à
mes amis, ce sont de nouveaux ouvrages.
Mais pour créer des ouvrages il faut des occasions, et nous
en aurions certes une très noble dans celle de la statue de Beau-
repaire. Qui donc a pu paralyser un si beau projet? Lorsque
toutes les villes élèvent des monuments à leurs grands hommes,
Angers reste sourde à la voix de la renommée, qui a pourtant
DE DAVID D'AKGBRS 2ÔJ

consacré le nom de ce généreux soldat dont l'héroïque action a


eu une si
grande influence sur nos militaires. Mes compatriotes
me laisseront-ils mourir avant d'avoir
élevé au moins un
monument sur l'une des places d'Angers ? J'avoue qu'il m'est
bien difficile de m'expliquer tant d'hésitations.
DAVID.

P. S. — A l'instant où j'allais fermer ma lettre, je reçois la


vôtre... Je vous prie de ne pas attendre l'arrivée de M. le
Maire pour vous occuper de notre Beaurepaire : il faut marcher
en avant et enlever ces dernières difficultés, qui ne peuvent
être bien graves. D'ailleurs, si nos députés le veulent bien,
dans une matinée tout sera terminé, surtout dans ce moment-
ci. Je vais voir M. Farran, pour causer de cette affaire.
Je suis vraiment honteux d'occasionner tant de dérange-
ment par mes travaux. L'idée seule qui a pu me faire les
envoyer à Angers, c'est qu'ils sont voués exclusivement aux
hommes remarquables, et que leur représentation, en consa-
crant leurs traits, est d'un bon exemple ; c'est aussi un puissant
stimulant pour le peuple.
Collection Guillory. — Cette lettre a été publiée par M. Lair, en
1889, dans la Revue de l'Anjou.

cm
Pariset à David.
L'inauguration du Bichat.

Paris, 8 août 1843.

Allez-vous à Bourg? Si vous y allez, quand et comment


partez-vous ?
Et me souffririez-vous avec vous ?
A vous de tout mon coeur.
E. PARISET.
Collection David d'Angers.
— Il est évidemment question dans ce
billet
de l'inauguration du monument de Bichat à Bourg. Cette céré-
monie eut lieu le 24 août 1843.
264 NOUVELLES LETTRES

CIV
David à l'abbé Bernier.
Le monument de l'abbé Mongazon.

Paris, le 14 août 1843.


Monsieur,
Depuis longtems j'ai confié au roulage accéléré le buste en
marbre de M. Mongazon et le bas-relief qui doit décorer son
monument. Je vous envoyé aussi le buste en plâtre fait par
M. Suc, le plâtre moulé après la mort, le portrait peint, et
mon modèle en plâtre, qui pourra être offert à l'un des nom-
breux amis que M. Mongazon a laissés.
Je serai heureux si vous ne trouvez pas mon ouvrage trop
indigne du sujet que j'avais à représenter.
Agréez, Monsieur, l'assurance de ma haute considération
et de mon très humble respect.
DAVID.
Archives du Petit-Séminaire Mongaxpn à Angers. Un buste de

l'abbé Mongazon, sculpté par Suc (Ètienne-Nicolas-Edouard), avait
été prêté à David à titre de document lorsqu'il exécuta le monument
du Petit-Séminaire d'Angers.

CV
Berton à David.
La langue musicale et la téléphonie de Sudre.

Paris, le 29 août 1843.


Très cher et très honorable confrère,
M. Sudre, mon intime ami, inventeur de la Langue musicale
et de la Téléphonie, dont notre Académie s'est occupée, par
deux fois, très-honorablement pour lui, compte partir sous peu
de jours pour Angers dans le dessein d'y faire connaître les
applications ingénieuses de sa méthode. J'ai pensé que vous
seriez assez bon pour lui donner quelques mots de recomman-
dation qui lui seraient on ne peut plus utiles, surtout de la
DE DAVID D'ANGERS 265

part d'un homme qui jette tant d'éclat sur la ville qui lui a
donné le jour.
La méthode de M. Sudre vient d'être approuvée par une
Commission de généraux, nommée par le Maréchal ministre
de la guerre, qui propose en faveur de l'auteur une récompense
nationale et en même temps la direction d'une école de Télé-
phonie.
Je me félicite d'avoir été l'un des premiers à prédire le succès
de cette découverte et j'ose espérer que si vous êtes assez bon
pour recommander M. Sudre à quelques personnes distinguées
de la ville d'Angers, il saura justifier tout ce que vous vou-
drez bien dire de flatteur à son égard.
Votre tout dévoué confrère.
H. BERTON.
P. S. Je regrette beaucoup d'être toujours malade et d'être
privé d'assister aux séances de l'Académie.
Collection David d'Angers. — La méthode inventée par Jean-
François Sudre, tendant à la possibilité de former un système de
signes par les sons des instruments de musique et à le faire servir à
établir avec rapidité des communications lointaines, date de 1828.
Sans cesse perfectionnée par son auteur, jusqu'en i86r, cette
méthode recueillit les approbations les plus autorisées, et des
encouragements de toute nature. Fétis, dans sa Biographie des musi-
ciens (t. VIII, pp. 165-166), rend hommage à l'intelligence de l'in-
génieux artiste. Sudre est mort le 3 octobre 1862. — Berton, le
compositeur, était lié avec David qui avait modelé son profil en
1840. Musées d'Angers, p. 175.

CVI
Poinsot à David.
Le médaillon du géomètre.

Paris, ce mercredi 6 septembre 1843.


Monsieur et illustre confrère,
Je vous remercie, plus que je ne puis dire, de ce noble pré-
sent que vous m'adressez. C'est un ouvrage qui me sera tou-
jours précieux, non certainement parce que j'en suis l'objet,
mais parce qu'il est sorti de votre belle et savante main.
266 NOUVELLES LETTRES
Je voudrais en être aussi digne que vous devez être sûr d'al-
ler à la postérité : j'y tends de mon mieux et à grand'peine
mais vous me venez en aide, et votre nom y pourra faire;
heureusement passer le mien.
Agréez, Monsieur, tous les sentimens d'admiration et de
profonde estime que vous porte votre reconnaissant et tout
dévoué confrère.
L. POINSOT.
Collection David d'Angers.
— Le médaillon de Poinsot porte le
millésime de 1843. (Musées d'Angers, p. 185.)

cvn
H. de Latouche à David.
Le buste d'André Chénier.

Paris, 14 septembre 1843.


Monsieur,
Je ne sais si ce petit article a passé sous vos yeux. Il est bien
indigne de cet honneur; mais je voudrais bien que vous y
voulussiez voir un faible témoignage de mon affectueuse
estime, de ma haute admiration pour votre talent, et de ma
reconnaissance. J'aurai d'autres occasions de la témoigner.
H. DE LATOUCHE.
Collection David d'Angers.
— A cette lettre est joint l'article de
20 lignes consacré par l'écrivain au nouvel ouvrage du statuaire.
« Il ne nous restait d'André Chénier, écrit de Latouche, qu'une
assez bourgeoise image, essayée à la prison de Saint-Lazare par le
peintre Suvée, son compagnon de captivité. L'habile statuaire a
poétisé les traits d'André sans en altérer la ressemblance. On recon-
naît bien dans ce front chauve et pensif le mélancolique auteur
d'Homère mendiant et de la Jeune Captive. Un médaillon en bronze a
été soigneusement exécuté d'après le modèle en marbre. Quel
homme de goût et quel ardent rhétoricien ne voudra suspendre
aux parois de sa bibliothèque le régénérateur en France de la poé-
sie naïve et pure! » On sait que Latouche avait préparé dès 1819,
à la demande de deux éditeurs, la publication des OEuvres inédites
d'André Chénier. Le statuaire a modelé, dès 1831, le médaillon
d'Henri de Latouche. (Musées d'Angers, p. 346.)
DE DAVID D'ANGERS 267

cvm
David à l'abbé Bernier.
Le monument de l'abbé Mongazon.

Paris, 2 novembre 1843.


Monsieur,
Je suis reconnaissant de la lettre qne vous m'avez fait l'hon-
neur de m'écrire et qui contenait des expressions si bienveil-
lantes sur mon travail. J'ai été heureux d'offrir mon tems
pour ma part de souscription à la mémoire de l'honorable
M- Mongazon, et je regrette d'être obligé par mes affaires de
prier la commission de vouloir bien me rembourser les avances
que j'ai faites à mes praticiens et qui se montent à la somme
de trois mille francs, pour l'exécution en marbre de mon
ouvrage.
Veuillez, je vous prie, Monsieur, agréer favorablement l'as-
surance de ma parfaite considération.
DAVID.
Archives du Petit-Séminaire Mongaxpn, à Angers.

crx
Hébert à David.
Impressions d'artiste.

Florence, 1" décembre 1843.

Mon cher et vénéré maître,


Je viens de recevoir la lettre que vous avez eu la bonté de
m'écrire par M. Jalabert et j'y réponds pendant que je suis
encore sous la profonde impression qu'ont produite en moi
ces lignes noblement et largement tracées par un de ces
hommes rares dans toutes les époques qui, au génie artis-
tique, ont su joindre les vertus des grands citoyens. J'ai hâte
de vous répondre, mon cher maître, parce que j'ai besoin de
vous remercier vivement de m'avoir écrit, à moi qui dois vous
268 NOUVELLES LETTRES
paraître bien indigne de votre bienveillant intérêt et de votre
affection, et de m'avoir écrit cette lettre qui restera comme
un monument dans ma vie. Je voudrais aussi vous dire pour
vous rassurer, mon cher maître, combien les éloges ou les
attaques des journaux me sont indifférents, et combien j'y ai
peu pensé quand j'ai composé et exécuté ce tableau que vous
regardez comme mon premier pas dans une triste ornière que
vous craignez de me voir suivre !
Croyez-le bien, cher maître, je n'ai jamais perdu de vue
cette sainte cause de la liberté expirante pour qui vous avez
tant combattu; je veux combattre aussi pour elle; elle seule
aujourd'hui fait frémir mes pinceaux sous ma main !
Déjà j'ai traité les sujets patriotiques; je suis descendu de
ces hauteurs parce que j'ai vu que je n'étais pas de force à par-
ler une langue digne des grandes pensées et que j'en ternis-
sais les fleurs par mon inhabileté ; je suis donc descendu dans
le matérialisme, mais avec la résolution profonde d'en sortir et
de remonter sur le terrain quand je me sentirai bien préparé à
entrer dans cette lutte pénible et difficile de la vérité et de la
justice contre la réalité.
Mon tableau est l'essence de mon voyage à Naples et de mon
séjour au bord de son golfe enchanté. J'ai cherché à saisir ces
visions insaisissables qui vous poursuivent à vingt ans sous
ce ciel voluptueux; je m'y suis abandonné, je me suis laissé
enlacer par cette poésie des sens... et cependant, à travers un
voile épais sans doute, vous avez deviné pourquoi ces esclaves
heureuses regardaient tristement ces oiseaux voyageurs qui
n'ont qu'un bien sans lequel ils ne peuvent vivre : la liberté.
Ma meilleure justification est celle-ci : j'ai passé tout l'été
à étudier d'après le vieux Michel-Ange. Aujourd'hui je suis à
Florence, en contemplation devant la puissance d'expression
de ces braves peintres du xive siècle. En un mot, je travaille
sérieusement les grands maîtres. J'écoute leurs mâles harmo-
nies; je médite un instant sur leur vie et leurs oeuvres, et
puis je vais commencer cette longue et importante page de
mon existence : mon dernier Envoi de Rome. Je vais travailler
avec force et conviction. Quand les forces me manqueront,
votre lettre me rendra le courage et la volonté. Le but est
haut placé... la gloire est d'y parvenir, l'honneur est d'y mar-
cher!
DE DAVID D'ANGERS 269
Adieu, mon cher maître, croyez à la vive reconnaissance
de votre élève, qui fera tout pour se rendre digne de vous et
de votre précieuse affection.
Ernest HÉBERT.
Collection H. Jouin.
— Elève de David d'Angers et de Paul
Delaroche, Ernest Hébert remporta le prix de Rome en 1839. Il tou-
chait à la fin de son séjour à la villa Médicis lorsqu'il écrivit cette
lettre. Elle nous montre le jeune pensionnaire cherchant sa voie
avec sincérité et séduit par la grâce pénétrante des vieux maîtres.
Certaines confidences de l'artiste sur les impressions qui le
dominent laissent pressentir le peintre futur de la Malaria.

1844

CX
Charles Blanc à David.
Etude du maître sur Thorvaldsen.
Paris, le 17 avril 1844.
Mon cher et illustre ami,
Votre grand confrère Thorwaldsen vient de mourir. Il
vous appartient plus qu'à personne de l'apprécier, et vos
éloges sont ceux qui, certainement, lui feront le plus de plai-
sir dans l'autre vie.
Soyez donc assez bon pour nous sculpter quelques pages.
Nous vous en serons tous bien reconnaissants, Guillemot,
notre ami, Louis, votre modèle, et moi, votre admirateur.
Tout à vous de coeur et d'âme.
Charles BLANC.
— L'étude de
Collection David d'Angers. David sur Thorwaldsen
parut dans YAlmanach du Mois, dirigé par Charles Blanc, n° de
mai 1844. On la trouvera reproduite dans David d'Angers, etc.,
(r- N, pp. 246-253.) Le manuscrit du maître porte la date du
19 avril 1844. La lettre de Charles Blanc l'invitant à composer ce
travail est du 17. Le statuaire français aurait-il écrit en deux jours
lanotice fort curieuse consacrée par lui à son confrère danois ?
« Louis, votre modèle, » allusion à Louis Blanc, frère de Charles,
dont le profil avait été modelé
par David en 1843. (Musées d'Angers,
P. 186.)
270 NOUVELLES LETTRES

CXI
David au maire d'Estagel.
Offre du buste de François Arago.
Paris, 2 juillet 1844.
Monsieur le Maire,
Dans une de ces réceptions si bienveillantes qui m'ont été
faites à Estagel et que je dois, je le sens bien, à l'amitié dont
m'honore votre illustre compatriote, amitié qui m'a si puis-
samment servi d'introduction près des habitants de sa ville
natale, j'avais dit à ces messieurs que je serais heureux d'offrir
le buste d'Arago pour être mis sur l'une des places publiques
d'Estagel. J'avais en même temps exprimé le désir de l'exécu-
ter en marbre du pays. Malheureusement on ne m'a envoyé
qu'un bloc des plus mal choisis, les fouilles n'ayant pas été
faites assez profondément. Ce bloc est tellement défectueux
qu'il serait impossible de l'exposer aux intempéries de l'air. J'ai
pourtant soigné mon travail avec toute l'attention inspirée par
le modèle et la destination de cet ouvrage. Mais la mauvaise
qualité du bloc ne doit pas faire craindre son manque de durée
s'il est placé dans un intérieur.
Je viens donc, monsieur le Maire, de confier au roulage le
buste de M. Arago que je prie ses compatriotes de vouloir
bien accepter. Veuillez, je vous prie, recommander les plus
grands soins au menuisier qui se chargera de le sortir de la
caisse. L'emballage a été fait par un homme fort habile et le
buste doit vous arriver sans aucun accident.
Veuillez je vous prie, monsieur le Maire, agréer l'assu-
rance de ma considération très distinguée.
DAVID D'ANGERS.
Archives municipales de Perpignan. — Cette lettre a été publiée dans
le Catalogue raisonné des objets d'art et d'archéologie du musée de Perpi-
gnan, fai M. Crouchandeu. (Perpignan, 1885, in-8°, pp. 181-182.)
— Le buste de François Arago, modelé en 1838, a été traduit en
marbre et offert au modèle. Une réplique, également en marbre,
date de 1844. C'est ce dernier travail que David offrit aux compa-
triotes du savant. Cet ouvrage a pris place dans l'hôtel de ville
d'Estagel. (Musées d'Angers, p. 166.)
DE DAVTD DANGERS 2?1

cxm
Balzac à David.
Maladie du romancier. — La demeure mystérieuse. — Son buste
en marbre.
1844 (?)

Mon cher David, voici bien sept à huit fois que je vais chez
vous pour vous trouver. Je voulais vous dire que j'ai été six
semaines au lit, bien malade, et que l'on m'envoie à Carlsbad.
Je tenais à vous voir avant mon départ. J'ai voulu vous avoir
à dîner le jour de ma fête et je n'ai pu vous parler. Il fallait
absolument que je vous visse, car je ne puis donner mon adresse
que de vive voix, et il n'y a pas plus de cinq à six personnes à
qui je l'ai donnée. Telles sont les causes de mon insistance et
de mes regrets. Vous auriez vu votre modèle bien amaigri. J'ai
eu le prix de tant de travail : une inflammation de foie. J'ai
su par Hippolyte Valmore que votre chef-d'oeuvre avait encore
grandi en passant de la terre au marbre, ce que nous avions
cru impossible. J'irai encore une fois vous voir d'ici mon
départ, et j'espère être plus heureux, car comptez qu'il y a
autant d'admiration que d'amitié chez
Votre ami DE BALZAC.
Collection David d'Angers.
— La terre cuite du buste de Balzac
porte le millésime de r844. Elle est au Musée David. Le marbre,
rapidement exécuté fut offert au modèle. (Musées d'Angers, pp. 187,
355.)

1845

CXIV
David à Blordier-Langlois.
A propos de trois opuscules de Gilles Ménage, dont on lui dédie
la traduction. — L'Histoire des villes de France.
Paris, 19 février 1845.
Mon cher et honorable compatriote,
Je n'ai point encore reçu l'ouvrage dont vous me parlez dans
272 NOUVELLES LETTRES
la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser, mais
je ne veux pas tarder à vous témoigner ma vive et sincère
gratitude pour votre bienveillant souvenir. Certes, rien ne me
touche davantage que les preuves d'affection que je reçois des
Angevins, et, venant de vous, Monsieur, elles acquièrent un
prix inestimable.
Veuillez recevoir, Monsieur et cher compatriote, l'assurance
de mes sentiments de haute considération et d'affectueux
dévouement.
DAVID D'ANGERS.
P. S. Je pense que le directeur de l'ouvrage intitulé Histoire
des villes de France vous aura écrit pour vous demander un
travail sur Angers, je lui avais donné votre nom.
Collection Levesque. — Cette lettre a trait aux « Vies de Pierre
Ayrault, Guillaume Ménage et Mathieu Ménage traduites du latin de
Gilles Ménage, par André Blordier-Langlois, membre de la Société
d'agriculture, sciences et arts d'Angers, second bibliothécaire de la
même ville » (Angers, imprimerie et librairie de Victor Pavie,
1844, in-8°). La dédicace de ce livre est ainsi conçue : « A David
d'Angers, l'auteur et l'éditeur. » En 1830, David avait reçu un
semblable hommage de la part de Couturier de Vienne qui lui avait
dédié sa traduction des « Leçons sur l'histoireet la théorie des Beaux-
Arts, par A.-G. Schlegel ». Les opuscules de Ménage renferment
peu de notes se rattachant à l'histoire de l'art.

CXV
Préault à David.
De statuaire à statuaire. — Le Jean Bart. — Le journal l'Artiste.

Paris, ce 11 août 1845.


Monsieur,
Je vous remercie de votre aimable invitation. J'ai été très
sensible à cela, croyez-le bien. Je trouve votre statue de Jean
Bart d'un jet, d'une tournure admirables, et d'une vitalité
incroyable. Vous êtes bien le premier sculpteur du xixe siècle.
Vous devriez envoyer un dessin à M. Arsène Houssaye, ce sera
une bonne fortune pour son journal l'Artiste.
DE DAVID DANGERS 273
J'aurais été vous remercier moi-même de vive voix, mais je
suis obligé de partir à la campagne, chez mon père.
A bientôt.
Dans cette attente, respect et dévouement.
Auguste PRÊAULT.
P. S. M. Arsène Houssaye est absent de Paris pour 8 jours
encore, mais si vous avez le dessin, M. Faniez le remplace.
Collection David d'Angers. — Cette lettre d'Auguste Préault fut-
elle spontanée ? Plusieurs pages signées du même artiste sont moins
équitables que ce billet sur le compte de David. Les deux artistes
n'étaient pas des étrangers l'un pour l'autre. On peut s'en convaincre
dans David d'Angers, etc. (t. I, pp. 350, 351, 396, 397, 547.)

CXVI
David à Théophile Gautier.
Le médaillon du critique.

Mercredi matin septembre 1845.


Monsieur,
En arrivant à Paris, je trouve votre bonne et aimable
lettre, et je m'empresse de vous dire combien je suis heureux
que vous vouliez bien me donner quelques-uns de vos ins-
tants, afin que je puisse faire votre médaillon.
Cette semaine je suis forcé de mettre ordre à quelques
affaires, mais la semaine prochaine je rentrerai dans mon ate-
lier, et j'éprouverais un vif plaisir si mon premier travail vous
était consacré ; ce serait un bon et honorable début.
Ainsi, à commencer de lundi prochain, je vous attendrai
depuis onze heures du matin.
Agréez, je vous prie, Monsieur, l'assurance de ma considé-
ration la plus distinguée.
DAVID D'ANGERS.
Collection Lovenjoul.
— On trouvera, dans David d'Angers et ses
'dations littéraires (pp. 249-250), une lettre de Théophile Gautier
a David datée du 17 septembre 1845 et relative au médaillon que
Gautier souhaite d'obtenir du statuaire. Nous donnons ici la réponse
de l'artiste. David
ne tarda point à modeler le profil du critique. Ce
profil porte le millésime de 1845. (Musées d'Angers, p. 190.)
274 NOUVELLES LETTRES

CXVII
David au peintre Mercier.
Le modèle du Jean Bart au Musée David. — Les statues de Condé
et de Talma.

Paris, 29 octobre 1845.


Cher ami,
Je viens de recevoir une lettre de M. le Maire d'Angers qui
me parle de l'embarras que l'on éprouve à placer le modèle de
la statue de Jean Bart dans l'une des galeries destinée à mes
ouvrages; je lui ai répondu que les ouvrages placés dans une
galerie n'étaient pas astreints à avoir des piédestaux aussi éle-
vés que ceux qui décorent les places publiques.
Quand la statue en bronze a été exposée chez le fondeur, la
plinthe touchait le sol, et cependant l'effet n'en était pas désa-
gréable.
Si j'ai bien compris la mesure de lahauteur de la galerie,
la plinthe pourrait encore avoir près de 3 pieds d'élévation, et
si le sabre touchait à la voûte, cela ne ferait pas un mauvais
effet.
Je crois qu'il ne faut pas changer l'emplacement du Condé,
car toutes les personnes qui l'ont vu m'ont dit qu'il produisait
un bon effet où vous l'avez placé. Ce serait donc dans la nou-
velle galerie qu'il faudrait mettre le Jean Bart.
Mes souvenirs ne sont pas assez récents pour que je puisse
décider si la statue aurait sa place marquée dans l'un de nos
monuments, et je vous avoue qu'il me serait plus agréable de
la savoir au milieu de mes autres ouvrages. Je regrette que le
Talma ne soit pas au Musée.
Adieu, cher ami, mille souhaits de bonheur pour vous et
votre famille. Croyez-moi toujours votre tout dévoué de coeur.
DAVID D'ANGERS.
Bibliothèque oVAngers — Le modèle du Talma, placé d'abord dans
le foyer du Théâtre, sur la proposition de l'artiste, est aujourd'hui
au Musée David.
DE DAVID D*ANGERS 275

I846

CXVIII
David à Victor Pavie.
La gravure du Bonchamps. — Retour sur l'inauguration du monu-
ment de Saint-Florent. — La lithographie du Jean Bart.
Paris, le 24 mars 1846.
J'avais reçu en son temps ta bonne et bien aimable lettre,
cher ami.
La gravure du monument de Bonchamps est enfin terminée,
à quelques retouches près. Je vais en mettre une épreuve à ta
disposition, mais pourras-tu donner suite au projet que tu avais
de faire imprimer la brochure dont tu m'avais envoyé le
manuscrit, et que je désirerais beaucoup relire avec une nou-
velle attention ? Si tu peux trouver une occasion, n'oublie pas
de me la faire parvenir.
Je ne me souviens plus si tu as parlé d'un détail qui nous
avait frappés, ton père et moi. La jeune génération vendéenne
était échelonnée sur les marches du monument, et au milieu de
cette foule, la blanche apparition du héros s'élevait au dessus
de ces enfants dont les pères étaient morts dans les combats ou
se tenaient rangés dans l'église, mutilés et chargés d'années,
portant encore leurs vieilles armes. Cet ensemble était d'un
puissant effet.
Nous avons appris avec une vive peine la maladie de votre
bon petit Maurice et nous faisons des voeux pour que cette
maladie soit bientôt passée. Les nôtres ont été souffrants une
partie de l'hiver. Robert avec la rougeole et Hélène avec un
rhume qui ne la quitte pas. Pour moi, je t'écris, absorbé par
un atroce mal de dents qui m'a fait une tête d'enfant bouffi.
Dans la caisse que je te destine, je mettrai deux lithographies
du Jean Bart, l'une pour toi, l'autre pour notre ami Maillard,
auquel je te prie de dire bien des choses aimables de ma part.
Embrasse pour moi ton cher père.
A toi, santé et prospérité, et tout le bonheur que tu mérites.
DAVID.
276 NOUVELLES LETTRES
P. S. Je ne suis pas étonné des généreux sentiments que tu
exprimes pour la Pologne ; toutes les nobles pensées d'huma-
nité et de justice ont toujours vibré puissamment dans ton
coeur.
Collection Pavie.
CXIX
David à Pavie père.
Bonchamps et sa statue.

Paris, 22 juillet 1846.


Nous avons appris, cher ami, avec un bien vif bonheur,
Emilie et moi, le rétablissement de ta santé, et nous te remer-
cions mille fois du sentiment amical qui t'a fait nous en ins-
truire. Tu as agi sagement en ne confiant pas à notre cher
Victor la gravité de tes souffrances physiques, car c'eût été
accroître des inquiétudes que son âme ardente et si sensible
aurait eu de la peine à supporter. Tu fais sagement aussi, cher
ami, de voyager un peu, afin de ne pas avoir continuellement
sous tes yeux la dramatique image de l'événement qui a causé
toutes tes souffrances.
Notre Théodore vogue vers Lisbonne. Dieu leur conserve,
à sa bonne petite amie et à lui, santé et toutes sortes de bon-
heur. J'aurais désiré cependant qu'ils eussent entrepris ce
beau voyage dans des tems plus tranquilles. Après cela, vien-
dront-ils de sitôt, ces tems de calme ? L'avenir est bien sinistre.
Dans sa dernière lettre, Victor me demande 125 épreuves
de la gravure de Bonchamps, je vais m'occuper du tirage.
Dis donc à Victor que je ne veux pas plus d'une douzaine
d'exemplaires de l'Eloge du général vendéen. Je n'ai que eje
rares occasions d'en offrir. C'est ainsi que je possède encore
une cargaison de ma biographie. Il faut qu'on dépose le travail
de Victor à Varades, à Nantes, à Saint-Florent et à Angers. La
vente s'en fera longuement, à la vérité, mais elle se fera. Ces
sortes de publications ne peuvent jamais avoir un succès de
vogue. Quand le chemin de fer sera, terminé, les étrangers
iront visiter notre pays et ils emporteront quelques-uns de ces
souvenirs consacrés par l'imprimerie.
DB DAVID D'ANGERS 277
Adieu, cher ami, conserve bien ta santé si précieuse à tes
chers enfants et à tous tes amis.
Tout à toi. DAVID.
Collection Pavie.
CXX
David au baron Taylor.
Le buste de Charles Nodier.

Paris, le 4 août 1846.


Monsieur,
Le modèle du buste de Nodier est, comme vous le savez,
terminé depuis longtemps, mais je me vois arrêté par le
manque de marbre nécessaire pour son exécution définitive.
J'ai fait connaître à M. de Cailleux cette situation : il m'a dit
qu'il lui serait impossible de me faire délivrer un bloc.
J'ignore quel moyen employer pour sortir de cet embarras.
Agréez, Monsieur, l'assurance de ma considération la plus
distinguée.
DAVID D'ANGERS.
Collection H. Jouin. — Le statuaire avait une première fois, en
1833, modelé le buste de Charles Nodier. Ce second buste, différent
du premier, fut exécuté en 1845. La terre cuite est au Musée David.
(Musées d'Angers, p. 188.)

CXXI
David au peintre Mercier.
Le modèle du Jean Bart et les salles du Musée David.

Paris, 5 août 1846.


Cher ami,
Je viens de voir M. Geoffroy Saint-Hilaire qui m'a paru
enchanté de l'arrangement de vos galeries, mais il m'a dit que
vous paraissiez extrêmement embarrassé au point de vue du pla-
cement de la statue de Jean Bart. Eh bien ! cher ami, aban-
donnez le projet de la mettre dans une galerie. Revenez à votre
idée de l'air libre. Posez-la dans le jardin, puisque nous ne
278 NOUVELLES LETTRES

pouvons lui trouver une place dans une caserne ou tout autre
monument susceptible d'offrir un abri contre les intempéries
des saisons, et rendant possible son élévation sur un piédestal
d'nne dimension convenable. Je vous prie donc de ne plus vous
tracasser ainsi à cet égard. Cette lettre a pour objet de vous
demander cela, et de vous assurer de mon profond et sincère
attachement de coeur.
DAVID D'ANGERS.

Bibliothèque d'Angers. — Le modèle du Jean Bart mesure 4 m. 70.


Il est naturel qu'on ait éprouvé au premier abord quelques difficul-
tés pour placer ce modèle au Musée David. Toutefois on n'exposa
pas en plein air le plâtre original du maître qui décore depuis de
longues années le fond de la grande galerie voûtée du Musée. —
Le zoologiste Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, qui s'est fait l'inter-
prète des doléances du conservateur du Musée, était très lié avec le
statuaire.
cxxn
David à Victor Pavie.
François Grille et l'histoire des Volontaires de Maine-et-Loire. —

Beaurepaire. — Le culte des grands hommes. — Henri de
Nerbonne.
Paris, i" octobre 1846.
Cher ami,
J'ai appris avec joie que M. Grille allait faire paraître une
biographie de Beaurepaire, avec des lettres de ce brave. On les
dit très belles. Cela ne m'étonne nullement, car cet homme
avait le coeur accessible aux plus nobles sentiments. C'est bien
à M. Grille de consacrer ainsi le souvenir des hommes dont la
gloire immortelle rejaillit éternellement sur notre pays. On
fait bien de se montrer reconnaissants envers les grands
hommes, car eux seuls sont la nation. Ils gravent d'une
manière ineffaçable son souvenir dans la mémoire des siècles
les plus reculés.
J'ai appris avec un bien vif chagrin l'état de dépérissement
dans lequel se trouve ton ami de Nerbonne. C'est une belle
et noble intelligence dévorée par une âme trop ardente.
Ecris-moi le plus souvent possible, mon ami, j'ai besoin de
SE DAVID D'ANGERS 279
savoir que tu me conserves une amitié qui me rend si heu-
reux.
Bonne santé. A toi de coeur pour la vie.
DAVID D'ANGERS.

Collection Pavie. — Il est parlé plus haut de l'ouvrage de François


Grille sur le premier bataillon des volontaires de Maine-et-Loire.
Cette publication, à laquelle contribua David par la communication
de documents, parut en 1850. — Henri de Nerbonne, le fils, ami
de Pavie, mourut en 1849, âgé de 42 ans.

cxx
David au maire d'Angers.
Monuments de Larrey et de René d'Anjou. — Médaillons.
Dessins de Louis David. — Buste de Nodier. — Beaurepaire.

Paris, 14 novembre 1846.
Monsieur le Maire,
Plusieurs caisses vont vous être adressées. Elles contiennent
le modèle de la statue du docteur Larrey; les quatre bas-
reliefs qui doivent décorer ce monument seront envoyés à
Angers dès que le fondeur aura terminé son travail. Il s'y
trouve aussi trois nouveaux cadres de la collection de mes
médaillons. J'y joins deux dessins du célèbre peintre David.
ce sont des études pour son tableau des Horaces. Le buste en
terre cuite est celui de Charles Nodier.
Je travaille en ce moment avec bien du plaisir à une oeuvre
toute angevine : la statue du roi René, et les douze statues
historiques qui décorent le piédestal. C'est une page des temps
passés qu'a consacrée l'histoire. Il est digne d'une époque où
tant de Bayards et de Du Guesclins sortis des rangs du peuple
ont pu dire avec le maréchal Lefebvre : « Moi je suis mon
ancêtre », d'honorer les hommes d'un autre âge qui ont illus-
tré la France. Toutes les glorieuses renommées de notre patrie
ne doivent-elles pas se confondre dans un même culte ?
J'espère pouvoir, l'année prochaine, m'occuper du monu-
ment de notre héroïque Beaurepaire.
Agréez, monsieur le Maire, l'assurance de ma considération
la plus distinguée. '
DxviD D'ANGERS.
280 NOUVELLES tETTRBS
Collection Pavie.
— Les modèles des douze statuettes qui décorent
le piédestal du monument de René d'Anjou érigé à Angers sont
au
Musée David. Ces ouvrages datent de 1846. — Les dessins du
peintre Louis David, offerts par le statuaire, représentent des études
de draperie. (Musées d'Angers, pp. n3-115, 209.) Il est parlé du
buste de Nodier au sujet de la lettre de David à Taylor en date du
4 août 1846.

CXXI
Arsène Houssaye à David.

L'étude du maître sur le sculpteur Roland. — La notice sur Canova.


— Victor Pavie et le monument de Bonchamps.
Décembre 1846 (?)
Monsieur,
Recevez d'abord mes bien vifs remerciements pour l'éloquent
travail que vous avez donné à Y Artiste sur votre maître qui
vous doit aujourd'hui l'éclat de votre nom. J'oserais presque
vous remercier aussi pour l'étude que vous nous promettez
sur Canova dont j'ai salué le tombeau à Venise il n'y a pas
longtemps. Je voudrais encore vous dire combien j'ai de pro-
fonde et respectueuse sympathie pour les oeuvres de votre
ciseau, oeuvres de style et oeuvres de pensée. Mais pour
aujourd'hui je viens vous prier de me dire s'il serait possible
de publier dans l'Artiste, pour accompagner un excellent article
de V. Pavie, la gravure de la statue de Bonchamps?
Agréez, Monsieur et cher artiste, l'assurance de mon vif
dévouement.
Arsène HOUSSAYE.
Collection David d'Angers. — La biographie de Roland par David
se trouve reproduite dans notre ouvrage David d'Angers, etc., t. II,
pp. 216-245; nous avons également publié la notice sur Canova
(même tome, pp. 146-158). L'article jde Victor Pavie sur le
monument de Bonchamps parut dans le journal l'Artiste.
DE DAVID D'ANGERS 28t

1847

CXXII
David à Victor Pavie.
Les statues projetées
pour la cathédrale d'Angers. — Le monument
de René d'Anjou. — Son emplacement.

Paris, 4 mars 1847.

Je t'adresse, cher ami, la lettre que je viens d'écrire à notre


évoque d'Angers. Je suis au moins sûr que celle-ci lui parvien-
dra. La non réception de ma première lettre est pour moi une
chose incompréhensible. Enfin j'espère que rien n'empêchera
désormais ces messieurs de prendre une décision définitive à
l'égard de la statue du Christ et de celle de la Vierge.
Selon ce que m'apprend M. Mail, il paraîtrait que l'offre du
monument du roi René est à peu près acceptée. Il n'y aurait
plus d'indécision que sur la place qu'il conviendrait de don-
ner à cette oeuvre. M. de Quatrebarbes insiste beaucoup pour
la place Saint-Laud. Je crois, en effet, que le monument serait
très bien en cet endroit. Cependant, si l'on décidait autrement,
je crois aussi qu'il serait de bon goût de ne pas trop résister.
Lorsqu'on a l'intention de faire un don, la délicatesse veut que
l'on n'impose pas sa volonté aux personnes qui reçoivent le
don. Eh! mon Dieu, toutes les places sont bonnes. L'essen-
tiel, c'est que cette page de notre histoire commence la série
des monuments que nos compatriotes élèveront par la suite.
Je viens de terminer la septième statue du piédestal. C'est
un rude travail que j'ai entrepris, mais je m'y consacre avec
ardeur et coeur.
Avec tous nos souhaits de bonheur.
Tout à toi. DAVID.

Collection Pavie
— Le comte Théodore de Quatrebarbes ayant eu
l'initiative du monument de René d'Anjou soutint contre la muni-
cipalité une lutte prolongée afin que l'on adoptât la place Saint-
282 NOUVELLES LETTRES
Laud, voisine du Château dans lequel est né le roi René, comme
étant le point le plus convenable pour l'érection de la statue. L'avis
de M. de Quatrebarbes prévalut.

CXXIII
David à Guillory aîné.
Le monument de René d'Anjou. — Le piédestal.
— La statue de
Beaurepaire. — Il faut que la France devienne un vaste
Panthéon.
Paris, 29 mars 1847.

Malgré mes nombreux travaux, je me suis occupé presque


exclusivement de notre monument du roi René. J'éprouve un
si grand bonheur à consacrer mon temps à notre cher pays ! Je
suis actuellement à terminer les dernières statues qui doivent
décorer le piédestal ; ces statues sont au nombre de douze : ce
sera un monument curieux comme page d'histoire d'une
époque, et en ce genre le plus considérable par suite de toutes
les figures qui le composent. J'aime à me persuader que la
décision, à l'égard de la place qu'il occupera, doit être prise
actuellement. Il est important que M. Moll reçoive prompte-
ment l'ordre de commencer le piédestal dont l'exécution exi-
gera beaucoup de temps. Je crois, cher compatriote, que vous
faites partie de la commission qui doit surveiller ce travail. Je
vous prie d'employer tous vos moyens pour qu'une détermi-
nation irrévocable coupe court au conflit d'opinions qui se
manifeste trop souvent au sujet du placement d'un ouvrage
d'art.
L'hiver prochain, je m'occuperai du modèle de notre statue
de Beaurepaire. Cette page de notre histoire moderne sera
bonne à montrer aux étrangers qui viendront nous visiter.
Ils verront que nous savons honorer les braves qui ont sacrifié
leur vie pour la gloire et l'indépendance de la patrie.
Je craignais que l'on eût changé d'idée à l'égard du buste de
M. Garnier. On avait parlé de le mettre dans le Musée ; je crois
que c'est une place publique qui convient à de semblables
citoyens, parce que la vue de leurs traits est un stimulant de
tous les instants. Il faut que nos compatriotes s'habituent à
DE DAVID D'ANGERS 283
voir leurs hommes remarquables sur leurs places publiques ; il
faut que la France devienne un vaste Panthéon, et elle est assez
riche en souvenirs pour n'avoir que l'embarras du choix.

DAVID.

Collection Guillory. — Cette lettre a été publiée par M. Lair, en


1889, dans la Revue de l'Anjou.

CXXIV
David à Victor Pavie.
L'architecte Isabelle. — Le monument de Drouot.

Paris, 15 mai 1847.

Je viens d'apprendre, mon cher ami, que M. Isabelle par-


tait immédiatement pour Angers. Je profite de son voyage
pour le charger de ce billet.
Nous avons appris avec une bien vive satisfaction l'arrivée
du cher petit qui vous est venu consoler.
Toutes les statues du piédestal du roi René sont terminées.
J'ai vu chez moi, il y a peu de jours, Mme de Quatrebarbes.
Je viens de recevoir une lettre du préfet de Nancy, prési-
dent de la commission du monument de Drouot. La commis-
sion a décidé, à l'unanimité, que je serais chargé de l'exécu-
tion de ce monument.
Adieu, cher ami, soyez tous heureux et crois-moi toujours
tout à toi do coeur.
DAVID D'ANGERS.

En marge, de l'écriture de Mme David, on lit : Je joins cette


petite note pour M. Victor. M. Isabelle est architecte; il est
même celui des écoles d'Angers. Il vient d'avoir le malheur de
perdre, il y a un mois, un enfant de cinq ans. Mon mari a
pour M. Isabelle beaucoup d'affection.
Collection Pavie.
— Charles-Edouard Isabelle, ami du maître,
architecte de la Douane de Rouen décorée de hauts-reliefs par le
statuaire, fut chargé, en 1856, d'élever au cimetière du Père-
2-84 NOUVELLES LETTRES
Lachaise le tombeau de David. — Le monument de Drouot, érigé
à Nancy, fut inauguré en 1855. (Musées d'Angers, p. 118.)

cxxv
Le général Pepe à David.
La médaille du général.

Paris, ce 8 juin 1847.


Votre bonté pour moi, mon cher M. David, n'a pas de
bornes. Je dois être très flatté de ce que vous m'écrivez, et des
présents que vous venez de me faire de différents médaillons ;
car je n'admire pas seulement vos talents, mais j'admire
beaucoup aussi en vous le citoyen persévérant dans ses opi-
nions et inaccessible à la corruption.
Mes amis trouvent que vous m'avez fait d'une ressemblance
parfaite. Agréez mes remerciements que j'irai vous présenter
une seconde fois chez vous, et croyez-moi, avec des sentiments
très affectueux,
Votre très obligé. G. PEPE.
Collection David d'Angers.
— Le médaillon du général italien
Guillaume Pepe fut modelé par le maître en 1847. (Musées d'Angers,
P- 195)

CXXVI
David au baron Taylor.
Un artiste dans la détresse. — Le buste de Nodier.

Paris, Ie' décembre 1847.


Monsieur,
J'ai l'honneur de vous faire remettre ci-joint la lettre d'un
de mes anciens camarades d'étude, élève aussi de M. David.
En la lisant vous verrez combien sa situation est embarrassée
et jugerez de ce qu'il vous sera possible de faire pour lui.
Depuis longtems le buste de Nodier est moulé, et j'attends
toujours le marbre. Vous aviez eu la bonté de me dire que
DE DAVID D'ANGERS 285

M. de Cailleux s'était chargé de me faire délivrer un bloc. Je


lui ai rappelé cette promesse, mais le marbre n'arrive pas et je
ne puis, par conséquent, terminer mon
travail.
Vous m'obligeriez beaucoup si vous vouliez bien dire un
mot à cet égard à M. de Cailleux.
Agréez, je vous prie, l'assurance de ma plus haute considé-
ration.
DAVID.

Collection Taylor. — Cette lettre a passé en vente le 3 juin 1881.


Nous ne croyons pas devoir nommer ici le peintre de talent, élève
de Louis David, que son dénuement obligea de recourir, par l'entre-
mise du maître, aux fonds de secours de la Société des artistes,
dirigée par le baron Taylor.

CXXVII
David au baron Taylor.

Le buste de Charles Nodier.

Paris, 4 décembre 1847.

J'ai reçu de M. le baron Taylor la somme de cent cinquante


francs en à compte sur le monument Nodier.
DAVID D'ANGERS.

27 mars 1850.
Reçu quatre cent cinquante francs formant la somme de
six cents francs pour solde de celle de six cents francs convenue
pour l'exécution en marbre du buste de Nodier.
DAVID D'ANGERS.

CollectionH. Jouin. — Il est parlé du buste de Nodier au sujet de


la lettre de David publiée plus haut sous la date du 4 août 1846.
2*6 NOUVELLES LETTRES

1848

cxxvni
David à Victor Pavie.
Le « Voyage en Italie » de Victor Pavie. —- Les statues de Casimir
Delavigne, David Purry, Mathieu de Dombasle. — La charrue sur
un piédestal. — Ambroise Paré.
Paris, 26 janvier 1848.
Cher ami,
Je lis toujours avec bien du bonheur tes lettres sur l'Italie
qui paraissent dans l'Artiste. Cela me fait du bien parce que je
retrouve, sous ta plume, mes anciennes sensations à l'égard de
cette terre aimée du ciel, et puis je pense que tu prendras cou-
rage pour donner au public le résultat de tes impressions. Il
est tems, cher ami, ta carrière littéraire doit commencer. La
nature t'a doué généreusement; il faut utiliser un génie qui
peut être si profitable aux hommes en leur faisant partager
les nobles inspirations d'un coeur rempli des sentimens les plus
élevés.
Le Casimir Delavigne est chez le fondeur ; la statue de David
Purry qui m'est demandée par la ville de Neuchâtel est mou-
lée, et sous peu de jours j'aurai terminé la statue de Mathieu
de Dombasle pour la ville de Nancy. Il est représenté dans
l'acte de la méditation, tenant la plume qui a écrit ses ouvrages
sur l'agriculture. A ses pieds est la charrue qu'il a rendue
tellement utile à l'agriculture que l'on en fait usage dans toute
l'Europe et même en Amérique. J'ai pensé qu'il était bien de
mettre enfin la charrue sur un piédestal, et j'ai saisi avec le plus
grand plaisir l'occasion d'élever un monument à l'agriculture.
C'est le premier. J'avais même, avant tout autre, élevé sur
une place publique, une statue à un chirurgien. Autrefois
on se contentait de leur décerner un buste qui ne sortait pas
de l'enceinte des écoles de médecine, comme si ces hommes
qui vouent leur existence au soulagement de l'humanité ne
valaient pas les militaires qui, s'ils ne défendent pas leur patrie,
ne sont que d'illustres bouchers.
DE DAVID D ANGBRS 287
Nous vous souhaitons, Emilie et moi, à tous, une bonne
santé et beaucoup de bonheur.
A toi de coeur. DAVID D'ANGERS.

Collection Pavie.
— Il est question de la statue de Mathieu de
Dombasle érigée à Nancy dans la lettre de David datée du
24 juin 1846. Le monument élevé à un chirurgien, auquel fait allu-
sion David, est celui d'Ambroise Paré érigé à Laval.

cxxrx
David au baron Taylor.
Nouvelles instances au sujet d'un artiste malheureux.

Mairie du XIe arrondissement,


A l'hôtel de la Mairie, 6 mars 48.
Cher collègue,
Je vous adresse cette demande. Je n'ai pas besoin de vous
parler de M..., son mérite et son caractère honorable le recom-
mandent assez. C'est un devoir impérieux pour notre Société
d'artistes de venir en aide à cette noble infortune.
Votre bien dévoué de coeur.
DAVID D'ANGERS.
Collection Taylor.
— Cette lettre a passé en vente le 3 juin 1881.
— Une première demande de David, au sujet de l'artiste sans res-
sources auquel il s'intéressa, est publiée plus haut sous la date du
i" décembre 1847.

cxxx
Petitot à David.
M. Davin.
Paris, mai 1848.
Mon cher David,
Je ne crois pouvoir mieux faire en recommandant ce pauvre
et excellent M. Davin à toute ta sollicitude, que de t'envoyer
la petite lettre qu'il m'a écrite
et que j'avais l'intention de te
communiquer à l'Académie il y a 8 jours si tu y étais venu.
A»T n. x.
.a
288 NOUVELLES LETTRES
M. Davin a remis à M. Flocon, membre du gouvernement
provisoire, la lettre qui a été signée par un grand nombre d'ar-
tistes, en général, et par les membres de l'Institut en parti-
culier. M. Flocon a paru prendre intérêt à sa position ainsi
qu'à sa demande, etc. Un mot au citoyen Flocon pourrait de
ta part avoir, je le crois, une grande influence.
Je ne t'en dis pas davantage, sachant, pour l'avoir éprouvé,
tout ce que ton coeur a de chaleur pour défendre ce que tu
crois juste, et je serai reconnaissant de ce que tu voudrais bien
faire en faveur de Davin comme si tu l'avais tait pour moi.
Tout à toi d'affection bien sincère. j__ PETITOT
CollectionH. Jouin. — Cette lettre non datée fut écrite en mai ou
juin 1848, puisqu'il y est fait allusion à Flocon qui remplit les fonc-
tions de ministre de l'agriculture et du commerce du 9 mai au
28 juin. Le signataire de la lettre est le sculpteur Louis Petitot,
membre de l'Institut depuis 1835. M. Davin doit être le mari de
Mrac Césarine-Henriette-Flore Davin, née Mirvault, peintre en minia-
ture, décédée en 1844.

1850

cxxxn
David à François Grille.
La statue de Beaurepaire.

Paris, 4 janvier 1850.


Monsieur,

Je n'oublie pas notre Beaurepaire; lorsque j'aurai terminé


plusieurs travaux qui sont commencés depuis longtemps, je
m'occuperai de consacrer par le bronze les traits de cet éner-
gique républicain ; mais nos compatriotes consentiront-ils à
lui donner le droit de cité ?
Dans tous les cas, j'aurai payé ma dette et celle de la France
à laquelle Beaurepaire a dit, avec son sang, que le crime le
plus grand était de livrer son pays à l'étranger !

DAVID.
DE DAVID D*ANGERS 289
Collection Guillory. — Cette lettre a été publiée en 1889, par
M. Lair> dans la Revue de l'Anjou.

cxxxn
David à Rauch.
Voyage d'Alphonse de Gisors en Allemagne.
Paris, 22 mai 1850.
Cher ami et collègue,
Le départ précipité de M. et Mme de Gisors m'empêche de
vous écrire aussi longuement que je le désirerais, mais j'ai
voulu donner à mes amis cette lettre d'introduction auprès
du grand statuaire. Ils admireront, comme tout le monde, ses
oeuvres immortelles, et ils auront l'avantage de voir l'homme
dont le noble caractère est si bien en rapport avec ses ouvrages.
M. de Gisors est architecte du Gouvernement et un artiste
d'un grand mérite. Accueillez-le avec cette cordialité dont vous
m'avez donné tant de preuves et dont je conserve religieuse-
ment le souvenir, et croyez à ma sincère reconnaissance et à
mon dévouement de tout coeur.
DAVID D'ANGERS.
Collection Eggers, à Berlin.
— Henri-Alphonse de Gisors, architecte
du palais du Luxembourg sous le Gouvernement de Juillet, a été
constamment lié avec David. L'artiste avait modelé, dès 1827, les
médaillons de Gisors et de sa femme. (Musées d'Angers, p. 125.)

cxxxin
David à François Grille.
Le « Siège d'Angers a. — La mère du sculpteur.

Paris, 24 octobre 1850.


Cher ami,
Ce que vous me dites sur la réimpression de votre intéressant
volume le Siège d'Angers me fait le plus grand plaisir ; au
moins, il sera dans plus de mains, et la génération qui va
suivre la nôtre y puisera de patriotiques renseignements. Vous
êtes vraiment, mon ami, le seul littérateur angevin dont le
29O NOUVELLES LETTRES

coeur chaud et français ait compris tout ce qu'il y a de grand et


de noble dans la sainte cause de la liberté qui ne peut avoir
d'autre mère que la République.
Je n'ai aucun document qui puisse intéresser et figurer dans
votre ouvrage sur le siège d'Angers; mon père combattait
dans les rangs des soldats de la République, et ma mère était
obligée de lutter contre les difficultés de cette époque pour
soutenir ses quatre enfants, mais son âme était aussi républi-
caine que celle de son courageux mari... Ma mère était petite,
mais elle avait une âme républicaine en rapport avec les grands
et sublimes actes de cette période.
Croyez-vous, mon ami, que vous ne feriez pas bien de don-
ner quelques vues gravées sur bois de l'aspect des murailles
de notre ville, ou du moins un plan ?
J'ai lu avec le plus grand intérêt vos vers inspirés par les
tristes et honteux souvenirs de l'invasion, et sur notre époque
arrangée par des hommes dignes sous tous les rapports d'avoir
figuré dans les désastreuses affaires politiques de i8i4et 1815.
J'ai vu, il y a peu de jours, la soeur de Leterme ; cette dame
m'a dit que vous aviez écrit à son frère pour obtenir des ren-
seignements; actuellement elle me charge de vous faire
savoir qu'elle est toute disposée à vous donner les papiers
dont vous avez besoin. Voilà son adresse : Mme de la Parigne,
n° 52, rue de Verneuil.
Adieu, mille affectueux et dévoués souvenirs.
' DAVID D'ANGERS.
Collection Dentu. — Cette lettre a passé en vente en 1887. Le
Siège d'Angers (Angers, in-8°) avait paru chez Victor Pavie en 1841.
Grille se proposait, en 1850, de faire une édition nouvelle de son
livre, mais il ne donna pas suite à ce projet.

CXXXIV
David au maire de Cholet.
Mutilations subies par le monument du général Travot.
Paris, 12 décembre 1850.
Monsieur le Maire,
Plusieurs personnes qui ont vu le buste du général Travot
m'ont exprimé la peine qu'elles avaient éprouvée en constatant
DE DAVID D'ANGERS 291
qu'un monument d'hier, pour ainsi dire, était déjà réduit à
l'état de ruines. Ainsi le sabre qui était sur le piédestal a dis-
paru ; la branche d'olivier est à moitié arrachée ; ces symboles
étaient pourtant significatifs pour caractériser un monument
élevé au guerrier pacificateur. Ne serait-il pas possible de
remettre le sabre, de le consolider par des écrous fortement
scellés dans le granit, enfin de placer autour du monument
une grille en fer assez éloignée pour empêcher la malveillance
stupide de le dégrader journellement ? Cette dépense serait, je
crois, fort minime.
J'espère, monsieur le Maire, que vous voudrez bien excuser
la liberté que j'ai prise de vous écrire à ce sujet, et être
assuré que je cède bien plus à la convenance morale et au
patriotisme angevin qu'à la vanité puérile d'un auteur.
Agréez, monsieur le Maire, l'assurance de ma considération
la plus distinguée.
DAVID D'ANGERS.
Archives municipales de Cholet. — Cette lettre a été insérée dans
le Bulletin de la Société des sciences et beaux-arts de Cholet, 1887.

CXXXV
David à Guillory aîné.
La statue de Beaurepaire. — Nouvelle esquisse. — Sa description.

Paris, 17 décembre 1850.

Cette lettre vous sera remise par notre ami Moll qui doit
causer avec vous de la statue de Beaurepaire, dont je vais
m'occuper cet hiver. Je sais que vous êtes intéressé à la réali-
sation de ce projet qui consacrera un monument durable au
premier bataillon de Maine-et-Loire. Ce sera une page en
bronze de notre histoire, et je suis heureux d'y apporter tous
mes soins et mon coeur de patriote. Beaurepaire pressera sur
sa poitrine le drapeau du premier bataillon et, dans la main
droite, il tiendra, froissée et déchirée, la capitulation de Ver-
dun. Moll va, sur l'emplacement où sera élevée la statue,
décider quelle proportion elle devra avoir, et je me mettrai à
292 NOUVELLES LETTRES
l'oeuvre. La fonte de cette statue ne dépassera pas six mille
francs : par conséquent, la ville pourra facilement supporter
cette dépense.

DAVID.

Collection Guillory.
— Cette lettre a été publiée en 1889, par
M. Lair, dans la Revue de l'Anjou.

1851

CXXXVI
David à Ferdinand de Lasteyrie.
Le médaillon de Daniel O'Connor.

Mercredi matin... 1851 (?)

Mon cher monsieur de Lasteyrie,


Je vous fais remettre le médaillon en terre cuite de votre
ami Daniel, en vous priant de vouloir bien l'accepter et lui
donner un petit coin d'asile chez vous : c'est pour ainsi dire
un manuscrit du statuaire.
J'ai terminé totalement les deux médaillons en marbre,
veuillez me dire si vous désirez que je les fasse porter chez
vous.
Croyez à tous mes sentiments de profonde affection et de
dévouement de coeur.
DAVID D'ANGERS.

Collection de Lasteyrie. — Le profil de Daniel O'Connor, petit-fils


de Condorcet, mort en 1851, fut modelé par le maître cette même
année. C'est un médaillon de grand diamètre qui fut traduit en
marbre à deux exemplaires et offert à la veuve du modèle. (David
d'Angers, etc., t. II, p. 506.)
DE DAVID D'ANGERS 293

cxxxvn
Armand Toussaint à David.
L'élève au maître. — Le fauteuil de Pradier à l'Institut. —
L'inauguration du Casimir Delavigne et du Bernardin de Saint-Pierre.

Paris, 5 juillet 1852.


Mon cher maître,
Je viens me rappeler à votre bon souvenir, et vous exprimer
combien je suis heureux de vous savoir en bonne santé, ainsi
que de voir la dignité avec laquelle vous supportez courageu-
sement votre inique exil. Espérez, Monsieur, en des jours meil-
leurs, et croyez que tous les gens de coeur vous tiendront
compte et vous seront reconnaissants des sacrifices que vous
avez faits eh faveur des libertés publiques.
J'ai terminé le buste dont vous avez bien voulu me confier
l'achèvement; l'exécution, je le crois, Monsieur, n'est pas trop
indigne de votre nom, que j'ai gravé sur le socle. Mme David,
ainsi que M. Leclère, en ont paru satisfaits; je suis heureux de
cet assentiment.
La confiance que vous voulez bien avoir pour votre élève,
ainsi que l'amitié que vous daignez lui témoigner, lui porte
bonheur et augmente la considération que l'on pouvait avoir
pour lui. Ainsi, M. Leclère qui me connaissait à peine, m'a
fait dire par Mme David qu'il m'engageait à me porter candi-
dat, en remplacement de M. Pradier, à l'Institut. Je dois vous
avouer, Monsieur, que cela me paraissait un peu téméraire;
j'ai hésité, craignant de paraître ridicule, si, me présentant, je
n'obtenais qu'une minorité infime. Madame David m'a fait
comprendre qu'il n'en serait pas ainsi, et que si j'avais assez de
voix pour être seulement candidat, ce serait un succès dont il me
serait tenu compte pour l'avenir. J'ai suivi ses bons conseils,
j'ai déjà commencé à agir ; je deviens ambitieux, car les circon-
stances sont quelquefois si extraordinaires, que mon coeur est
agité en songeant au hasard heureux pour moi qui ferait du
maître et de l'élève deux collègues, très inégaux il est vrai,
mais dont l'un serait toujours l'élève très dévoué.
Je viens, Monsieur, d'obtenir un travail qui vous concerne
294 NOUVELLES LETTRES

en partie; je le dois à l'insistance de Mrae David auprès de


M. Brunet-Debaines, architecte du musée du Havre. Je suis
chargé d'exécuter une médaille commémorative pour l'inau-
guration de vos deux statues de Bernardin de Saint-Pierre et de
Casimir Delavigne. Le travail m'est d'autant plus facile que je
vais me servir de vos oeuvres pour exécuter mes deux profils ;
quant au revers, c'est la représentation du monument.
Je suis doublement favorisé, puisque, si vous n'êtes pas
encore revenu parmi nous, à l'époque de cette inauguration,
en votre absence, mon cher maître, votre élève fera tous ses
efforts pour avoir l'honneur de vous y représenter; il espère
que vous l'en jugez digne.
Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de mon respect et
de mon dévouement.
A. TOUSSAINT.
Collection David d'Angers.
— Armand Toussaint, élève de David
d'Angers, est mort en 1862, laissant inachevé le buste colossal de
son maître destiné au Musée David. En dépit des flatteuses espé-
rances données à Toussaint au sujet de la succession de Pradier à
l'Institut, l'élève de David fut distancé par Simart.

1853

cxxxvm
David au peintre Navez.
Le sculpteur Chardon. — La tradition dans les arts.

Paris, 27 novembre 1853.


Bien bon et cher Nave^,
Je vous remercie beaucoup de l'intérêt que vous voulez
bien prendre à mon jeune compatriote le statuaire. Je lui fais
remettre la lettre que le maire de la ville d'Angers vient de
m'adresser en réponse à celle que je lui écrivais pour lui recom-
mander M. Chardon. Je crois que l'affaire est en bon chemin,
espérons.
Je pense que votre santé est toujours bonne, et que vous
DE DAVID D'ANGERS 295
poursuivez vos nobles et saintes oeuvres ; tant mieux, car au
milieu de cette avalanche d'artistes qui cherchent, par les
plus grandes excentricités, à fixer l'attention d'un public noyé
dans les flots bourbeux de l'industrialisme, qui démoralise et
fait de notre époque un effrayant Bas Empire qui pèse sur
toute l'Europe; il est heureux que quelques hommes
comme vous, cher ami, conservent encore les bonnes traditions.
Adieu, mon cher Nave^.
Tout à vous.
DAVID D'ANGERS.
Bibliothèque de Bruxelles. Legs Nave\. — Nous devons la commu-
nication de cette lettre à l'obligeance de M. Hymans. — Navei a
écrit en note sur l'autographe de David : « J'ai connu autrefois à
Bruxelles ce Chardon, il était statuaire et suivait les cours de l'Aca-
démie des Beaux-Arts. J'ignore ce qu'il est devenu ; je l'ai rencontré
à Paris il y a une dizaine d'années. » — Nous avons parlé de Nave^
dans le commentaire de la lettre de David publiée sous la date du
20 mars 1826 dans l'ouvrage David d'Angers et ses relations littéraires.

1854

cxxxrx
Victor Hugo à David.
Envoi des Châtiments, — Le poète fait déposer chez David le buste
que celui-ci lui avait offert en 1844.
Marine-Terrace, 26 avril 1854.
Cher grand David,
J'ai reçu votre bonne et noble lettre avec la page si intéres-
sante qu'elle contenait. Je suis heureux que le livre ait été à
votre coeur. Cher ami, enviez-moi, enviez-moi tous : ma
proscription est bonne et j'en remercie la destinée. En ces
temps-ci, je ne sais pas si proscription est souffrance, mais je
sais que proscription est honneur. O mon sculpteur, un jour
vous m'avez mis une couronne sur la tête, et je vous ai dit :
— Pourquoi? — Vous deviniez la proscription. — A ce
propos, ce chef-d'oeuvre, je vous le remets et vous le confie.
296 NOUVELLES LETTRES
Je n'ai plus de chez moi, le buste est chassé comme l'homme.
Ouvrez-lui votre porte. J'espère qu'un de ces jours, bientôt
peut-être, j'irai le chercher chez vous. En attendant, gardez-
le moi. Gardez-moi aussi votre vaillante et généreuse amitié.
Je vous serre la main, poète du marbre.
Victor HUGO.
Mettez-moi aux pieds de votre courageuse et charmante
femme. Ma femme et ma fille l'embrassent.
Collection H. Jouin.
— Le buste de Victor Hugo, la tête laurée
fait l'objet de la lettre du poète publiée sous la date du 12 octobre
1844, dans David d'Angers et ses relations littéraires.
— Le livre offert
par Victor Hugo au statuaire, et dont il est parlé dans la lettre que
nous donnons ici, est Napoléon le Petit (Bruxelles, 1852, in-18) ou
les Châtiments (Bruxelles, 1853, in-i8). Nous supposons qu'il s'agit
de préférence du second ouvrage.

CXL
David à Guillory aîné.
Le Musée David. — Que l'impartialité doit être la loi de l'historien.
Bonchamps. — René d'Anjou. — Beaurepaire.

Paris, 3 juillet 1854.


Cher et digne ami,
Je ne pourrai jamais oublier que c'est sous votre admi-
...
nistration qu'a eu lieu la décision concernant la salle consa-
crée à la réunion des images des hommes remarquables d'Eu-
rope, que des voyages et d'heureuses circonstances m'ont permis
d'exécuter. Je n'ai pas oublié non plus que, vous élevant au
dessus des mesquines influences de parti, vous auriez voulu
que tous les hommes, qui ont illustré l'Anjou par les armes
ou dans nos assemblées politiques, eussent aussi un monument.
Je me rappelle avec bonheur nos recherches, dans la ville
d'Angers, d'une place digne de recevoir la statue de Beaure-
paire, ce Léonidas angevin : cette statue demeure l'un de nos
beaux rêves. Mais combien d'entraves ne rencontre-t-on pas
dans nos temps de luttes misérables Cependant, il est impos-
!
DE DAVID D'ANGERS 297
sible d'anéantir totalement les pages de l'histoire. Pourquoi ne
pas laisser l'artiste écrire ces pages sur le marbre ou le bronze ?
Pour moi, je crois avoir montré qu'aucune pensée d'exclusion
ne pouvait entrer dans mon âme. J'ai fait le monument de
Bonchamps, parce que le dernier acte de sa vie était une
leçon de générosité, et une grande leçon pour tous les partis,
et j'ai été heureux aussi d'apporter mon tribut d'hommages à
la mémoire d'un homme auquel mon père, l'un des républi-
cains prisonniers dans l'église de Saint-Florent, a dû la vie. Le
monument de René d'Anjou est encore une page de notre
histoire, et je pense, j'aime à me persuader que si les hommes,
dont l'image est confiée au bronze, eussent vécu à notre
époque, ils auraient été les émules des grands guerriers dont
le sang a coulé pour la défenre de la patrie. Je pense donc
qu'il ne faut répudier ni le passé lointain, ni les temps non
moins glorieux de notre Révolution. Faisons de l'histoire
impartiale.
Quand M. de Quatrebarbes m'a demandé ma coopération
pour le monument qui doit être placé devant le Château
(lorsque le piédestal qui rappelle trop l'ouvrage de Pénélope,
ou une espèce de mythe, sera fait), je lui ai parlé de Beau-
repaire, il m'a dit : « Je partage votre désir, et je vous assure
que je serai un des premiers souscripteurs. »
Comment le général Delaage n'a-t-il pas un buste sur
l'une de nos places publiques? Pourquoi? Pourquoi?...
Quand je pense à tout ce qui devrait être fait dans notre cher
Anjou, j'en ai le coeur affligé; mais espérons dans l'avenir,
destiné presque toujours à payer les dettes du passé. Vous,
mon cher ami, votre coeur généreux n'attend pas de justice
tardive, honneur donc à vous...
DAVID D'ANGERS.

Collection Guillory.
— Cette lettre a été
publiée par M. Lair, en
1889, dans la Revue de l'Anjou.
298 NOUVELLES LETTRES

1855

CXLI
Ernest de Blosseville à David.
Le maître projette de modeler le profil du navigateur René de Blos-
seville. — Documents. — Un crayon de Langlois.
— Le hyalo-
graphe de Clinchamp.

Amfreville-la-Campagne, 13 janvier 1855.

Monsieur,
Si j'ai tant tardé à répondre à votre lettre, n'allez pas croire
que ce soit pour n'avoir pas su apprécier tout ce qu'elle avait
de consolant pour moi, et par dessus tout ce qu'elle promettait
à la mémoire de mon frère qui vous était déjà si redevable.
Mais je voulais vous porter ma réponse et vous remercier de
vive voix de votre inappréciable sympathie.
En partant pour son fatal voyage, Jules de Blosseville ne
laissait à sa famille qu'un tout petit portrait, rapidement
crayonné dans son enfance par M. Langlois, qui a eu l'honneur
d'être votre collègue à l'Institut. Nous avons retrouvé aussi
dans ses papiers une esquisse grossière, mais fidèle, obtenue
pendant le voyage de la Coquille, vers 1823, au moyen d'un
instrument nouveau alors, fort oublié aujourd'hui, qu'on
nommait, je crois, hyalographe, et qui avait pour inventeur
M. de Clinchamp, professeur de dessin à Toulon. Grâce à
cette informe ébauche, j'ai fait faire par M. Belliard, que
m'avait indiqué Mme Delpech, un profil d'une ressemblance
inespérée. Il y a dans ce portrait, que j'ai fait lithographier,
quelque chose d'un peu trop juvénile pour la double épaulette
du lieutenant de vaisseau ; mais, à cela près, je ne crois pas
qu'il eût été possible d'obtenir mieux, et j'ai craint de perdre
en voulant plus gagner.
Je ne tarderai pas à vous porter ce modeste tribut, et je ne
sais comment vous remercier du nouvel honneur que vous
destinez au souvenir de mon frère.
DE DAVID D'ANGERS 299
Agréez, je vous prie, mes souhaits les plus sincères, et l'ex-
pression de ma profonde gratitude.
E. DE BLOSSEVILLE.
Collection David d'Angers. — Cette lettre est écrite par le publi-
ciste vicomte Benigne-Ernest Poret de Blosseville, frère du baron
René de Blosseville, né en 1802, perdu en 1833 dans les glaces du
Groenland. David avait, dès 1837, gravé le nom du navigateur sur
le gouvernail que tient la « Navigation » dans le haut-relief de la
Douane de Rouen. Le projet d'ajouter le profil modelé de Blosseville
à sa collection de médailles s'explique donc chez David. Il est
parlé à diverses reprises, dans David d'Angers et ses relations littéraires,
de l'archéologue et dessinateur Langlois. Le hyalographe est, on le
sait, un instrument propre à dessiner la perspective et à reproduire
un dessin. Cet instrument est dû à Victor de Clinchamp, élève de
Girodet.

CXLII
Victor Pavie à David.
Offre d'une relique au statuaire.

Ier octobre 1855.


Accceptez-la, cher ami, vous de qui j'ai tout reçu. Relique
de famille, elle ne pouvait s'échapper de mes mains que pour
passer entre les vôtres. Je vous l'offre en souvenir de nos plus
délicats entretiens, comme un signe de mes plus sérieuses
espérances.
Ce n'est ni un talisman, ni une panacée ; c'est mieux que
cela, à moins que vingt siècles n'aient menti : c'est de quoi
expliquer le monde et justifier Dieu à travers le rude pèleri-
nage de cette vie.
En la portant sur vous dans l'atelier, dans les voyages, dans
vos heures arriéres comme dans vos jours sereins, vous ne
vous séparerez plus de celui qui vous embrasse avec confiance
et effusion.

Victor PAVIE.
Collection Pavie.
— L'ami du maître, demeuré fidèle à ses convic-
tions religieuses, voulut offrir une petite croix à David déjà très
300 NOUVELLES LETTRES
souffrant. Craignant de froisser le statuaire par une tentative que lui
dictait sa foi, Pavie avait évidemment pesé les termes de sa lettre
d'envoi. Ainsi s'explique la présence dans ses papiers de la minute
transcrite ici.
CXLHI
David à Victor Pavie.
Une relique offerte au maître. — Ses forces décroissent.

Vendredi, 5 octobre 1855.


Mon cher Victor,
C'est avec la plus profonde reconnaissance que j'ai reçu ta
noble relique de famille; elle m'est précieuse comme venant
d'un des hommes que j'ai le plus aimé au monde, et j'ai com-
pris tout ce qu'il y a de tendre et de profonde délicatesse de
sentiment dans cet envoi qui ne me quittera jamais tant que je
serai sur cette terre.
Excuse-moi avec ton coeur du retard que j'ai mis à te
répondre. J'ai été vivement touché, mais je suis si abattu par
les peines morales et physiques que ma vie n'a plus son ressort
habituel.
J'ai bien regretté de ne pas avoir pu faire mes adieux à ton
père. Mon état de souffrance ne me l'a pas permis. Dis-le lui
de ma part et croyez-moi toujours, toi et les tiens, votre
dévoué de tout coeur.
DAVID D'ANGERS.
Collection Pavie..
— Cette lettre répond au billet qui précède. On
trouvera ces deux pièces dans l'ouvrage Victor Pavie, sa jeunesse, etc.

CXLTV
David à Mme veuve Froment-Meurice.
François-Désiré Froment-Meurice.

Paris, 20 novembre 1855.


Madame,
J'ai profondément regretté l'homme distingué, enlevé si
prématurément aux arts qu'il honorait à la fois par son talent
DE DAVID D'ANGERS 301

et son caractère, et je m'associe à votre légitime douleur de le


voir méconnu. Soyez pourtant persuadée, comme moi, que ce
jugement si pénible n'est que le résultat d'une erreur. J'ai
maintes fois admiré chez M. Froment-Meurice les beaux et
nombreux ouvrages sortis de ses ateliers ; je puis affirmer
que, dans les choses même les plus simples, il rendait à chaque
exécutant la part qui lui était due et n'oubliait pas les modestes
travaux des ouvriers les plus obscurs. N'avait-il pas assez de
son propre mérite sans chercher à amoindrir celui des autres ?
Agréez, je vous prie, Madame, mes respectueux hommages.
DAVID D'ANGERS.

P.-S. Je vous envoie, Madame, la lettre de M. David; s'il n'a


pu l'écrire, il l'a au moins dictée et, pour une signature de
main gauche, le nom est assez lisible ; il vous laisse toute liberté
d'en user comme vous l'entendrez, heureux s'il peut aider en
quelque chose (tout mal sonnant que soit aujourd'hui son
nom) à la réhabilitation d'un homme qu'il aimait et estimait
sincèrement.
Agréez, Madame, l'assurance de ma considération très dis-
tinguée.
E. DAVID D'ANGERS.
Collection Froment-Meurice.
— Cette lettre a été publiée dans l'ou-
vrage F.-D. Froment-Meurice, argentier de la Ville, par Philippe
Burty. (Paris, 1883, in-40.) Cette lettre fut écrite pour protester
contre un article de Gustave Planche dans lequel la mémoire de
l'éminent orfèvre se trouvait outragée.
DERNIERES LETTRES
DE
DAVID D'ANGERS
ET DE SES CONTEMPORAINS

Les recueils de documents ne prennent jamais fin. C'est une


trame interminable, un buisson touffu dont on ne parvient pas à
dénombrer les tiges. Vous souvient-il de la Ballade chantée par
Gringoire dans la comédie de Banville ?
Ces pendus, du diable entendus,
Appellent des pendus encore.
Il en est de même des autographes, des pièces de toute sorte
qu'un homme courageux se hasarde à mettre au jour. Son livre
achevé, le livre recommence ; ses tiroirs vidés, ses tiroirs se rem-
plissent. Et lorsqu'il croyait avoir épuisé le filon qui l'avait tenté,
voilà que de toutes parts on l'invite à creuser de nouveau le sujet
complaisant et fertile auquel il ne songeait déjà plus. Des lettres de
David et de ses amis nous sont apportées; d'autres se révèlent à
nous dans des portefeuilles oubliés. Reprenons la plume et jetons
un peu de lumière à travers ces papiers jaunis, poudreux, froissés,
mais non pas inutiles. La première liasse avait pour titre : Nouvelles
Lettres. Convenons, si vous le voulez, d'inscrire sur la seconde :
Dernières Lettres. Ce sont, en effet, les dernières... jusqu'à demain.
Mais la chronologie! Ahl je vous entends. Sans doute il serait
excellent d'avoir sous la main, le même jour, toutes les pièces
publiables se rattachant au sujet que l'on aime. On les classerait
avec soin, avec suite. Aucune n'empiéterait sur sa voisine, si sa date
d'origine le lui défendait. Ce serait le triomphe du droit de naissance.
Mais on ne classe pas l'inconnu ; et, à toujours attendre, on ne
ferait rien. Puis, nous autres chercheurs, quand nous recueillons
des documents, nous n'avons pas ces scrupules d'auteur qui veut
que tout soit à son plan dans le livre sagement pensé et bien pré-
senté. Des documents ne sont pas un. livre ; ils le préparent et le
rendent aisé, mais le livre reste à faire. Et, pour que les documents
soient d'une consultation facile, quelque déplacement qu'ils aient
subi au point de vue chronologique, que faut-il ? Une table. Nous
n'aurons garde d'oublier ce complément précieux. A tout prendre,
l'alphabet est un guide qui vaut bien le calendrier.
H. JOUIN.
DE DAVID D'ANGERS 3O3

l8l2

I
Vincent à David.
Sollicitude du peintre pour le père du sculpteur.

Paris, le 29 décembre 1812.

Je suis fort sensible, Monsieur, à votre souvenir et aux


témoignages d'affection que vous voulés bien me donner dans
votre lettre. La crainte que vous marquez de me détourner de
mes occupations fait sans doute honneur à votre discrétion,
qualité si rare à la jeunesse, mais cette crainte n'est pas fondée;
vous devés être pleinement convaincu que ce ^era toujours
avec un véritable plaisir que je recevrai de vos nouvelles et
que l'intérêt que je prends à vos talens, comme à votre per-
sonne, ne sçauroit s'affaiblir puisqu'il est fondé sur l'estime
que votre conduite m'a inspirée.
La marche que vous suives dans vos études me paroît
excellente et j'espère qu'elle vous garantira des erreurs qu'on
a pu reprocher à plusieurs jeunes artistes égarés par de faux
systèmes.
J'ai pris plaisir à communiquer votre lettre à M. Pajou, et,
ainsi que moi, il a remarqué avec beaucoup de satisfaction que
s'il est vray, comme vous l'affirmés, que votre première édu-
cation n'ait pas été aussi soignée que vous eussiés pu le désirer,
aucune trace des suites ordinaires de cette négligence ne
s'aperçoit dans votre lettre. Cette remarque m'a fait naître la
pensée de vous engager à écrire à son Excellence le Grand
Chancelier de la Légion d'honneur. Il vous a donné des
marques d'une grande bienveillance et je suis convaincu qu'en
remplissant envers lui ce que je crois un devoir, vous ferés,
en même temps, beaucoup plus pour votre père que quel-
qu'autre personne que ce soit; je vous engage d'autant plus
vivement à cette démarche, que je n'ai aucun titre auprès de
S- E. qui puisse motiver de
ma part de nouvelles sollicitations,
iRT PR. X *0
304 DERNIÈRES LETTRES

à moins que quelque circonstance favorable, et que je ne dois


attendre que du hazard, me mît à portée de les renouveler
auprès de lui, ainsi que je l'ai faitantécédemment. Je le répète
Monsieur, je crois cette démarche, de votre part, et dans
l'ordre des convenances, et dans celui de vos intérêts. M. Pajou
à qui j'ai communiqué ma pensée à cet égard m'a paru parfai-
tement de mon avis.
Adieu, Monsieur, recevês l'assurance de ma parfaite estime.
VINCENT.
Collection H.Jouin. — On trouvera dans David d'Angers et ses rela-
tions littéraires (p. i à 4) une lettre signée de Vincent et de huit
autres artistes demandant une pension en faveur de P.-J. David,
alors élève de l'École des Beaux-Arts, à" Paris. Cette lettre est du
12 février 1811. Les lignes qui précèdent nous montrent Vincent
s'intéressant toujours à David et à son père, Pierre-Louis David,
sculpteur sur bois à Angers. Le grand chancelier de la Légion d'hon-
neur était alors Lacépède.

I8l6

n
Thévenin au ministre de l'intérieur.
Départ de David de la Villa Médicis.

Rome, le 24 mai 1816.


Monseigneur,
Je m'empresse de vous annoncer mon arrivée à Rome le
17 de ce mois. J'ai trouvé ici les deux lettres que V. E.
m'a fait l'honneur de m'écrire.
La 2de m'annonce que V. E. accorde à M. David une pro-
longation d'une année de pension à Rome; j'ai le déplaisir
d'annoncer à V. E. que ce pensionnaire a quitté Rome peu de
jours avant mon arrivée; je vais m'informer de la route qu'il a
prise, et j'emploierai tous les moyens pour lui faire connaître
les intentions de V. E. et la faveur qu'elle veut bien lui accor-
der.
THÉVENIN.
DE DAVID DANGERS 305
Archives de l'Académie de France. — Nous avons raconté dans
David d'Angers (t. I, p. 101-102), le départ subit de l'artiste, impa-
tient de se joindre aux patriotes qui méditaient de replacer Murât
sur le trône de Naples. Thévenin arrivait à Rome comme directeur
de l'Académie de France où il devait remplacer Lethière.

1825

m
David à Auguste.
Le peintre Auguste.
... Ce jeudi, 1825.
La dernière fois que j'ai eu le plaisir de vous voir, je ne me
suis pas rappelé que j'avais, depuis plusieurs jours, une invi-
tation pour vendredi, ce qui m'empêchera de me rendre chez
vous. Mais je vous annonce la visite de M. Champmartin.
Votre dévoué camarade, DAVID.
Collection H. Jouin. — Nous avons raconté dans David d'An-
gers, etc. (t. I, p. 55, 94, 95), le succès imprévu d'Auguste, prix de
Rome, en sculpture, au concours de Rome de 1810. De retour à
Paris, Auguste s'adonna, sans grand succès d'ailleurs, à la peinture
de genre. David, lésé dans son droit par la partialité du jury qui avait
favorisé Auguste en 1810, n'en demeura pas moins, pendant de
longues années, l'ami de son rival heureux. Invité, sans doute, à
venir apprécier quelque nouvelle toile du peintre, il s'excuse de
manquer le rendez-vous, mais il décide Champmartin, alors en
renom, à le suppléer auprès de son ami.

IV
David au baron Taylor.
La statue de Talma.

Lundi matin 1827.


Monsieur le baron,
Il y a près d'un mois que je reçois des avis sur le modèle de
la statue de Talma. J'aurais bien désiré avoir les vôtres, mais
306 DERNIERES LETTRES

croyant que vos nombreuses occupations vous empêchaient de


venir à mon atelier, rue de Fleurus, 9, j'ai pris le parti de
faire mouler le modèle. Quand cette opération sera terminée
je prendrai la liberté de vous demander quelques-uns de vos
instants; je serai encore à même de profiter de vos bons avis-.
Veuillez, Monsieur le baron, recevoir l'assurance du respect
de votre serviteur.
DAVID.

Collection Taylor.
— David, en s'adressant au Commissaire royal
près le Théâtre-Français ne s'acquittait pas, comme on pourrait le
croire, d'un simple devoir de courtoisie. Taylor avait connu Talma.
C'est à Taylor que Talma dut son dernier succès retentissant dans le
Léonidas, de Michel Pichat. Talma s'était surpassé lui-même. Au
sortir du théâtre, il y eut grande fête chez Barba, qui alors était le
libraire de la Comédie. Quand le Commissairedu roi était entré, le
grand tragédien, se précipitant vers lui, l'avait embrassé en s'écriant :
« Ah ! mon cher ami, vous serez le sauveur de la Comédie-Fran-
çaise. » David n'ignorait rien de ces détails, et il avait intérêt à
prendre conseil de Taylor au point de vue de la ressemblance de
son modèle. Le plâtre du Talma a figuré au Salon de 1827 (n° 1084),
et le marbre au Salon de 1837 (n° 1898.)

1828

V
Quatremère de Quincy à David.
La statue de Condé.

Paris, 27 juillet 1828.


Monsieur,
J'ai l'honneur de vous prévenir qvie la Commission du pla-
cement des statues du pont Louis XVI s'assemblera mardi
prochain, 29 du mois, au magasin des marbres, rue de l'Uni-
versité, près le Champ de Mars, à deux heures après midi.
QUATREMÈRE DE QUINCY.
DE DAVID D'ANGERS 3O7
Collection David d'Angers. — On sait que la statue de Condé,
aujourd'hui placée dans la cour d'honneur du château de Versailles,
fut d'abord érigée sur le pont de la Concorde, antérieurement pont
Louis XVI. Le billet de Quatremère donne la date approximative de
la décoration du pont Louis XVI.

VI
Giraud à David.

Candidature académique.

Juvisy, 14 août 1828.


Mon cher David,
Dans l'intention où je suis de me mettre sur les rangs à
l'occasion du choix que la classe des beaux-arts va être dans le
cas de faire pour le remplacement de M. Houdon à l'Institut,
notre vieille amitié me rendrait coupable envers vous, si je
vous en laissais apprendre la nouvelle par tout autre que moi.
Dès l'instant que j'y ai pensé, j'aurais voulu en causer avec
vous, mais j'en ai été empêché par une indisposition assez
sérieuse, et dont je ne suis encore que foiblement convales-
cent. Je me trouve cependant assez bien pour espérer de pou-
voir dans le courant de la semaine prochaine aller vous deman-
der votre assentiment auquel j'attache le plus grand prix.
Nous nous connaissons trop bien pour que je finisse avec
vous autrement qu'en me disant,
Votre sincère ami.
GIRAUD.

H. Jouin. — Jean-Baptiste Giraud, sculpteur de


Collection
talent, né en 1752, devait mourir en 1830. 11 avait fait partie de
l'ancienne Académie de peinture. On n'a pas oublié le Musée qu'il
créa dans son hôtel de la place Vendôme, où il avait réuni des
moulages des plus beaux antiques d'Italie. Candidat à l'Institut à
1 âge de soixante-seize ans, il échoua.
308 DERNIÈRES LETTRES

1829

vn
David à François Grille.

Condoléances.

Paris, 4 novembre 1829.


Mon ami,
Si je ne vous ai pas écrit plus tôt, j'espère et désire beau-
coup que vous ne m'accusiez pas d'indifférence. Celui qui a
éprouvé un si vif bonheur quand on vous avait rendu justice
ne peut pas être indifféreut lorsque vous êtes la victime d'une
infamie politique. Oui, cher ami, je partage votre malheur; je
le sens bien vivement. Mais je pense à votre noble caractère,
qui vous met au dessus de semblables coups de la fortune, et
qui doit trouver sa consolation dans la certitude d'avoir fait
tout le bien qu'il lui a été possible de faire.
Soyez tranquille, ce qui est violent ne peut durer. Nous
sommes dans un tems où l'on marche vite ; les hommes seront
libres, justes, non par vertu, mais par intérêt, et alors celui
dont les idées ont toujours été nobles, dont les actions ont
toujours eu pour but le bien de son pays, sera récompensé,
avec usure, des chagrins qu'on lui a fait endurer.
Vous serez encore apprécié. Croyez-en un ami qui vous a
voué un tendre et sincère attachement pour la vie.
DAVID.

Collection Grille.
— François Grille qui, pendant de longues
années, remplit au ministère de l'Intérieur les fonctions de directeur
du service des Beaux-Arts, venait d'être destitué à la suite d'une
crise ministérielle. David, son compatriote et son obligé, ne se fait
pas faute de flétrir la mesure violente dont François Grille est la
victime.
DB DAVID D'ANGERS 309

I83O

vin
Granet à David.
Granet, conservateur des tableaux du Louvre.

Rome, ce 12 avril 1830.


Cher ami,
Le comte de Forbin me dit dans toutes ses lettres combien
vous êtes bon pour moi, dans la grande question qu'il traite.
Vous la traitez aussi avec un zèle bien remarquable qui ajoute
à tous les sentimens que je vous ai voués, celui d'une recon-
naissance éternelle. Voilà, cher ami, tout ce que je peux faire
dans ma position. Je fais aussi de nouveaux efforts sur mon
grand tableau de la Chartreuse, pour mériter dignement la
bonne idée que vous avez sur ma peinture.
J'espère pouvoir vous présenter cet ouvrage dans quelques
mois d'ici. J'ai toujours eu l'ambition de bien faire; mais dans
cette circonstance je voudrais faire miracle, pour mettre mes
amis à l'abri de tout genre de reproches.
Voilà ma confession; faites-la connaître à tous mes juges.
Adieu, les Chartreux m'attendent. Je cours chez eux pour
tâcher de trouver quelques titres de plus à votre amitié, et un
peu plus de gloire aux yeux des autres.
La signora nera est comme moi bien touchée de tout ce que
vous faites pour nous; elle me charge de vous en bien témoi-
gner sa reconnaissance, et moi, quelque soit mon sort, je serai
toujours votre bien dévoué. GRANET.
Ne m'oubliez pas près de l'ami Dupré et de tous ceux qui
nous aiment.
Collection H. Jouin.
— On sait quelles relations d'amitié
unirent le comte de Forbin et Granet. En 1830, Granet remplaça
Taunay à l'Académie des Beaux-Arts, puis Forbin le fit nommer
conservateur au Louvre. Quelques années plus tard, il remplit le
même poste au Musée de Versailles. La signora nera est la dénomi-
nation familière d'une dame romaine qui vécut dans l'intimité du
310 DERNIÈRES LETTRES
peintre français. Son prénom était Magdalena, et par abréviation,
on l'appelait souvent dans l'entourage de Granet « madame Lena ».
Augustin Dupré, nommé dans cette lettre, est le graveur en
médailles.

183I

LX
Paul Lacroix à David.
Le statuaire Jehan Duseigneur.

Monsieur,
Je m'adresse avec confiance à notre premier sculpteur pour
le prier de donner appui à un sculpteur distingué qui se voit
victime d'une mesure inouïe.
Le groupe à'Esmeralda et Quasimodo par M. Duseigneur, vient
d'être refusé par le jury d'admission! Cette monstrueuse déci-
sion, puisqu'elle frappe un ouvrage si remarquable, ne peut être
qu'un effet de la malveillance.
Quels sont les membres de ce jury qui fait la leçon aux
artistes? A coup sûr, monsieur, ce ne sont pas les grand noms
que nous citons avec orgueil : Ingres, Gérard, Delaroche, David.
Ceux-là s'abstiennent et se retirent, mais faut-il laisser tout
pouvoir à la médiocrité envieuse?
Oh monsieur ! je vous en conjure, au nom de l'art que vous
aimez et qui vous aime, séparez-vous de ceux qui porteraient
aussi un arrêt d'exclusion contre vos oeuvres de génie ; soyez
en aide à ce jeune homme qui mérite de marcher sur vos
traces.
Pour moi, qui vous admire dans vos ouvrages, je me ferais
un devoir comme un plaisir de proclamer à toutes les tribunes
où je puis élever la voix que vous avez tendu la main au
talent et donné un piédestal à la statue.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur, avec la plus haute estime
et la plus parfaite considération,
Votre très humble et très dévoué serviteur.
P.-L. JACOB,
bibliophile.
DE DAVID DANGERS 311
Collection David d'Angers. — Duseigneur, statuaire de l'école
romantique, débuta au Salon de 1831, parle RolandJurieux, coulé en
bronze en 1866, et placé dans le jardin du Luxembourg après la
mort de son auteur. Le groupe dont il est parlé ici fit grand bruit
en son temps. La bizarrerie de la composition ne fut pas étrangère à
la curiosité dont l'oeuvre du statuaire fut l'objet. Paul Lacroix, le
bibliophile Jacob, qui intercède avec tant d'énergie en faveur de
Duseigneur était, croyons-nous, son beau-frère.

1833

X
Chaponnière à David.
De sculpteur à sculpteur.
Paris, 7 septembre 1832.
Monsieur,
J'aurais dû vous écrire plus tôt pour vous remercier de vos
bontés. Si je ne l'ai pas fait, c'est que j'espérais pouvoir bientôt
me présenter chez vous pour m'acquitter moi-même de ce
devoir; mais voyant chaque jour mon espoir déçu, et ne pré-
voyant pas le terme de mon séjour dans la maison de santé
où je suis actuellement, je ne veux pas tarder plus longtemps
à vous exprimer toute ma reconnaissance.
Vous avez eu la bonté d'écrire à M. le comte de Forbin au
sujet d'un groupe que j'ai exposé au dernier Salon; je suis
bien reconnaissant, Monsieur, de cette marque d'intérêt que
je voudrais avoir méritée, et flatté que vous ayez daigné remar-
quer un ouvrage qui, je le crains bien, ne mérite pas l'honneur
que vous avez bien voulu lui faire. Je regrette que l'encoura-
gement que vous avez eu la bonté de solliciter pour moi ne
dépende pas entièrement de votre volonté, car votre indul-
gence m'eût donné l'espoir d'une réussite que j'appelle de
tous mes voeux, mais dont je n'ose me flatter.
Dans tous les cas votre bonne intention me touche infini-
ment et je vous prie de recevoir mes sincères remerciements
ainsi que l'assurance de mon dévouement.
J.-E. CHAPONNIÈRE
312 DERNIÈRES LETTRES
Collection David d'Angers. —J.-E. Chaponnière avait exposé
au
Salon de 1831 deux groupes et un bas-relief. Cet artiste de grand
talent avait su attirer l'attention de David par ses ouvrages. Il remer-
cie le maître qui s'est fait son appui ; mais sa lettre est datée d'une
maison de santé. Cruel présage qui ne s'est que trop tôt réalisé.

XI
Eugène Devéria à David.

Une cabale.
1832 (?)
Mon cher David,
Je n'ai pu voir qu'hier Mademoiselle Boulanger qui m'a,
remis l'adresse de Louis que yoilà : « M. Boulanger à Mouchy-
le-Châtel (par Noailles), département de l'Oise. »
Elle m'a bien assuré qu'il n'avait aucune connaissance de
cette affaire, et qu'il en serait bien surpris et bien chagrin
quand il l'apprendrait.
Votre dévoué, DEVÉRIA.
Collection H. Jouin.
— David avait été l'objet d'attaques violentes
que son auteur n'avait pas signées. On lui nomma Louis Boulanger
comme responsable des articles qui le visaient. Il résolut de s'en
expliquer avec le peintre, et Devéria fut chargé de lui procurer
l'adresse de Boulanger, alors absent de Paris.

xn
Louis Boulanger à David.
Motte, Schnetz et Guérin. — Une calomnie.

Mouchy-le-Châtel, i« octobre 1832.

Mon cher Monsieur David,


Je viens d'apprendre des choses qui me causent le plus vif
chagrin. Ma soeur m'envoie un article indigne contre vous, me
demandant ce que cela veut dire. J'ai rougi en pensant que
vous pouviez croire que moi, qui ai toujours admiré votre
DE DAVID D'ANGERS 3I3
talent et estimé votre caractère, j'y étais pour quelque chose.
Voici le fait. J'ai été chargé par M. Motte de lui colorier une
épreuve d'après un tableau de Schnet^ qui se trouve dans l'ate-
lier de M. Guérin, chez lequel je ne me suis pas introduit en
sournois, comme on le donne à entendre dans l'article, pour
aller dénigrer ses oeuvres d'une manière aussi lâche. Vous
vîntes alors, et les éloges que vous avez donnés au tableau de
Priam je les trouvai justes.
Je fus, je vous l'avoue, surpris et affecté de n'être point
reconnu de vous; j'en dis quelques mots à une personne que
je rencontrai en sortant, et c'est sur une parole amère, dont je
vous demande sincèrement pardon, que la misérable fable de
cet article a pu être construite. J'en suis navré. Puis-je espérer,
mon cher David, que la vérité que je vous dis ici sera crue par
vous; vous me rendriez trop malheureux en me rangeant dans
cette classe d'aboyeurs; je n'irai jamais chercher mes moyens
d'avancement dans le ruisseau, et ce n'est pas avec de la boue
que les honnêtes gens effacent des rivaux; votre amitié pour
moi doit le croire. Je ne serai content que lorsque j'aurai reçu
un mot de vous. Je l'attends avec impatience. C'est payer bien
cher un mot d'humeur!
A vous,
Louis BOULANGER.

Ecrivez-moi à Mouchy-le-Chàtel, près Noailles, par Beau-


vais.

Collection Henry Jouin. — Nous aurions pu donner le titre à la


lettre très loyale qu'on vient de lire « Un coin d'atelier ». Le jour-
nal dans lequel parurent plusieurs articles dirigés contre David nous
échappe. Il nous a été communiqué, voilà près de vingt ans, par
Mmc David. Les attaques étaient ridicules et odieuses. Louis Bou-
langer se disculpe de l'accusation portée contre lui dans l'entourage
de David. Il faut le croire. Un point subsiste toutefois. David entrant
chez Guérin n'a pas reconnu Boulanger. Or, David et le peintre
avaient fait partie du Cénacle. Il faut admettre que les deux hommes
ne s'étaient jamais rencontrés chez Victor Hugo. C. Motte, le litho-
graphe, était le beau-frère d'Achille Devéria. David a modelé le
médaillon de Mme Achille Devéria.
314 DERNIÈRES LETTRES

XIII
Louis Boulanger à David.
Le mot de l'énigme.

Mouchy-le-Chatel, 6 octobre 1832.


Mon cher David,
J'ai besoin de vous remercier de votre digne et bonne lettre,
et vous assurer encore que je mérite l'amitié que vous me por-
tez. Vous ne sauriez croire combien j'en veux à mon caractère
sombre et ombrageux, qui m'a fait dire quelques paroles
injustes qu'on a transformées en une infamie : si je ne vous
aimais pas, je n'aurais pas dit ces paroles ; et à qui me suis-je
adressé? A un homme que je croyais mon ami, à qui j'avais
exprimé tout l'éloignement et tout le dégoût que m'inspirait
ce journal, bourbier d'où je m'efforçais de le tirer : Faux ami
qui, au lieu d'effacer en moi cette mauvaise impression, ou de
m'en plaindre et garder le silence, me traîne dans son libelle
sous un masque ignoble. Plaignez-moi, mon ami, car je n'ai
jamais tant souffert. Jusqu'ici j'ai vécu pauvre, faisant d'opi-
niâtres efforts pour me créer une existence honorable et méri-
ter l'estime des gens de bien, soutenu dans mes plus durs
moments par la conscience de ma dignité d'artiste, et voilà
qu'un traître me fait jouer envers un homme que j'admire et
que j'aime, le rôle d'un misérable! Que Dieu lui pardonne,
pour moi, non! J'ai été injuste envers vous, c'est vrai. J'ai cru
que vous aviez pour moi du dédain, que sais-je ? Mais vous
connaissez assez le coeur humain pour savoir que le chagrin, le
découragement, les tristes embarras de la vie, peuvent parfois
y jeter de vilaines ombres qui ne sont point sa nature et doivent
rester secrètes pour la véritable amitié qui les voit. Voilà le
moment qu'on a choisi pour me peindre; cependant si on
avait voulu se rappeler d'autres moments, ceux où je suis bien
moi, quand je loue en vous l'impartialité de vos jugements,
l'indulgence que vous avez pour tout ouvrage d'art, la droiture
de votre âme enfin, on se serait arrêté et l'on n'aurait point
trempé sa plume dans le fiel. Vous avez senti cela et vous me
DE DAVID D'ANGBRS 315
rendez justice ; merci donc, car j'étais bien triste et votre
lettre m'a ranimé. L'estime et l'amitié d'hommes tels que
vous sont des biens que je ne me consolerais jamais d'avoir
perdus.
Votre dévoué et reconnaissant ami,
Louis BOULANGER.

Collection H. Jouin. — Cette letrre est le corollaire de la précé-


dente. Elle témoigne de l'empressement avec lequel David accueillit
les franches explications de Boulanger.

1833

xrv
Célestin Nanteuil à David.
Auguste Préault.
1833.
Monsieur,
Je suis venu de la part d'Hugo pour vous réitérer encore
ses prières pour notre pauvre Préault. Il lui porte un
grand
intérêt et vous prie de faire pour lui tout ce qui sera en votre
pouvoir. J'ose aussi, quoique bien peu connu de vous, vous
prier également en sa faveur. Hugo pense qu'une lettre de
vous au jury feroit beaucoup. Enfin, nous laissons à votre
bonté le choix des moyens. C'est aujourd'hui que le jury s'as-
semble pour la sculpture (à 11 heures).
J'ai l'honneur de vous saluer,
Célestin NANTEUIL.
n'a
Collection H. Jouin.
— Préault, élève de David et de Moine,
cessé d'obséder son premier maître de supplications de toute nature,
soit directement, soit par intermédiaire, dans le but de faire admettre
ses ouvrages aux Salons ou d'obtenir des commandes. David ne par-
vint pas toujours à satisfaire son irritable disciple, et la plume mor-
dante de Préault n'est rien moins que juste lorsque l'occasion se pré-
sente à lui de parler de son maître. Voyez David d'Angers, etc.
(t. I, p. 35o,3Si,39é, 397, 547)-
316 DERNIÈRES LETTRES

l834

XV
Frédéric Tieck à Schelling.
Introduction chez le philosophe allemand.
Berlin, 23 octobre 1834.

Au nom de cette amitié que vous eûtes la bonté de me


témoigner il y a quelques années, je prends la liberté de recom-
mander par la présente le porteur à votre gracieux accueil.
C'est M. David, de Paris, en compagnie de sa jeune et aimable
femme, un des plus célèbres sculpteurs de notre époque, qui
parcourt l'Allemagne, dans le seul but de faire la connaissance
de quelques-uns de ces hommes qu'on considère en ce moment-
ci comme les plus estimables d'Allemagne.
Comme il attachait beaucoup d'importance à vous être
recommandé, j'ai pensé que mon nom suffirait pour lui ména-
ger un bon accueil près de vous.
En vous le recommandant tout particulièrement, je reste
avec tous mes respects,
Votre tout dévoué, Frédéric TIECK.
Collection David d'Angers. — Frédéric Tieck, statuaire allemand,
frère de Ludwig Tieck, saisit l'occasion du second voyage de David
à Berlin pour modeler son buste. Ses relations d'amitié avec Schel-
ling lui permirent d'accréditer le sculpteur français auprès du phi-
losophe de Munich, alors président de l'Académie royale des
Sciences. David, accueilli par Schelling, exécuta son médaillon pen-
dant son séjour à Munich. Voyez David d'Angers, etc. (t. I,p. 289).

XVI
Victor Hugo à David.
Auguste Préault.
9 février 1835.
Je suis accablé de travail, mon cher David. Je voulais cepen-
dant aller vous voir pour vous recommander les sculptures de
DB DAVID D'ANGERS 317
M. Préault qui vont passer par votre jury. Ne pouvant sortir,
je vous écris, ce qui rend le même service à M. Préault, mais
ne me fait pas le même plaisir.
C'est un jeune homme de talent, qui se tient aux choses
étudiées et sévères. Faites le plus possible pour lui. Je vous en
serre la main d'avance.
Victor HUGO.
P. S. J'ai quatre volumes à vous porter, et puis tous mes
hommages à Madame David.
Collection H. Jouin. — Ce que nous disons plus haut, à l'occasion
de l'intervention de Nanteuil, en faveur de Préault se trouve ici
justifié par la lettre de Victor Hugo.

XVII
Dur et à David.

Candidature à l'Institut.

13 décembre 1835.
Monsieur,
N'ayant point le bonheur de vous rencontrer, permettez-moi
au moins de vous exprimer combien j'ai été sensible à l'inté-
rêt que vous avez daigné me porter, en parlant pour moi à
l'Institut. L'honneur de votre suffrage que j'ambitionnais par
dessus tout me rend un peu d'espérance. Quel que soit mon
destin, permettez-moi, Monsieur, de vous offrir l'expression
de ma reconnaissance et de mon profond respect.
Votre très humble serviteur,
DURET.

Collection H. Jouin.
— Parmi les sculpteurs contemporains de
David, Duret est l'un de ceux qui ont toujours fait preuve de grande
justice à l'endroit du statuaire de Bonchamps et du général Foy. On
voit ici que David, de son côté, appréciait, à sa valeur, le talent de
Duret. David défendit la candidature de son confrère à l'Institut
dès 1835. Duret
ne fut élu que dix ans plus tard.
3l8 DERNIÈRES LETTRES

l83é

XVIII
Rauch à David.
Le sculpteur Rauch.

Berlin, le 25 octobre 1836.

Mon très cher ami et honorable collègue,


Après votre aimable lettre du 26 août, m'est arrivé en par-
fait état le buste de marbre, lequel j'ai pu bientôt porter au
Salon de l'exposition où l'Académie lui a voulu donner un
emplacement très favorable. Chaque fois que je me trouve
devant ce portrait d'une conception caractéristique, et que je
lis votre dédicace dictée par une amitié trop flatteuse pour moi,
je suis très embarrassé pour trouver des paroles qui vous
expriment, mon bon ami, combien je suis profondément ému
et pénétré des sentiments de bonté et de bienveillance que
vous m'avez voulu toujours si noblement accorder, et vous
en perpétuez le souvenir dans le précieux marbre de votre
main. Soyez sûr qu'à ce titre il sera conservé par moi et par les
miens.
Les médaillons nous sont parvenus par M. Beûte, et ils
sont tous bien placés et témoignent à la fois de votre talent et
de votre grande âme qui vous porte à conserver le type des
hommes éminents à la postérité.
M. le baron d'Humboldt ainsi que M. d'Alton et ma fille
m'ont prié de présenter leurs hommages les plus respectueux,
à vous d'abord et à Madame votre épouse. C'est avec une
vraie joie que nous avons reçu la bonne nouvelle de l'accrois-
sement de votre famille. Vous avez une petite fille et le petit
Robert est en bonne santé !
Je suis actuellement occupé au modèle de la statue colossale
d'Albert Durer, laquelle sera fondue et placée à Nuremberg,
et j'espère la terminer d'ici à peu de jours. J'ai cru pou-
voir recommander à vos bons conseils, pour leurs études, et
DE DAVID DANGERS 319
accréditer auprès de vous afin que votre atelier leur soit
ouvert, deux peintres de notre pays, MM. Kaplowsky, élève
de M. Henfel, et Danneker, élève de M. Vacht. Ils trou-
veront à Paris des compatriotes; ils ne devront pas vous
incommoder autrement, attendu qu'il leur suffira d'avoir eu
l'honneur de faire votre connaissance.
Dans ma propre langue, je saurais m'exprimer mieux. Excu-
sez le langage si peu cultivé d'un étranger. Je vous prie
de
me vouloir conserver votre chéri souvenir et votre amitié, et
c'est avec le plus profond respect que je suis de tout mon
coeur,
Votre sincère dévoué, RAUCH.
Collection David d'Angers. — Christian Rauch, sculpteur allemand
de haut mérite, est demeuré avec David dans des relations de grande
intimité. Au cours de son voyage en Allemagne, en 1834, David
avait modelé, dans l'atelier de Rauch, le buste colossal de l'artiste
prussien. Dix-huit heures lui avaient suffi pour exécuter son travail.
Le marbre, terminé en 1836, fut offert par David à son ami. Voy.
David d'Angers, etc. (t. I, p. 288-289), et David d'Angers et ses rela-
tions littéraires (p. 114, 115, etc.).

1837

XIX
Delacroix à David.
Le Fronton du Panthéon.
Le 9 août 1837.
Mon cher ami,
J'avais doublement le désir de vous voir depuis la visite que
je vous ai faite au Panthéon. D'abord pour voir votre atelier
et les ouvrages dont vous m'aviez parlé, ensuite pour vous
dire tout
ce que je pense de l'absurde niaiserie qu'on vous
suscite à propos de votre beau Fronton. J'aurais voulu vous
dire combien je
ressens l'injure qu'on vous fait, car c'en est
une des plus graves, et tout artiste jaloux de son art doit par-
tager un si juste ressentiment; mais j'ai été presque constam-
ment à la campagne et j'y retourne. Je suis mal portant et ai
besoin d'air.
HT r». x 11
J20 DERNIÈRES LETTRES

Adieu, mon cher ami, je me flatte que vous triompherez de


ces misères-là. Il faut cependant tout attendre de la sottise
humaine.
Tout à vous sincèrement, Eug. DELACROIX.
P. S. Seriez-vous assez bon pour me conserver, s'il est
temps encore, un billet pour la loterie de Barrère, pour un ami
qui veut en être, et dont je vous tiendrai compte à la première
vue.
N'oubliez pas mon masque de Bonaparte.
Collection H. Jouin. — Nous avons raconté dans David d'Angers,
etc. (t. I, p. 321-337), les tracasseries dont l'artiste fut l'objet de la
part du gouvernement de Juillet relativement au Fronton du Pan-
théon. L'éloge d'Eugène Delacroix sur ce travail a sa portée. Le
profil du général Bonaparte est l'un des meilleurs portraits du vain-
queur d'Arcole. Nous ne sommes pas surpris que Delacroix ait
exprimé le désir de garder une épreuve de ce profil.

XX
David à François Grille.
Le Fronton du Panthéon. — Orientation politique.
Paris, Ier septembre 1837.
Mon cher ami,
La grande lutte, dont vous aurez sans doute eu connais-
sance, pour le Fronton du Panthéon, est terminée. On défait
l'échafaud! Tâchez, quand vous viendrez à Paris, de venir
voir mon ouvrage.
J'avais l'espérance de pouvoir aller passer une journée
auprès de vous pour causer des bonnes et patriotiques indica-
tions que vous m'avez données dans votre dernière lettre. Je
suis heureux que vous me jugiez digne d'exécuter quelques-
unes des pensées généreuses qui font battre votre coeur
patriote. Croyez que je répondrai toujours à votre appel. Si je
n'ai pas pu effectuer le projet que j'avais d'aller vous voir, le
motif se trouve tout naturellement dans l'immensité de tra-
vaux dont je suis encombré. Quand vous les verrez, ce sera
mon excuse.
DE DAVID D'ANGERS 321
Il est très probable que nous touchons à de nouvelles élec-
tions. Si vos idées ne sont pas changées à mon égard, servez-
moi avec toute la chaleur de votre coeur auprès de vos hono-
rables parents d'Angers qui m'ont montré tant d'intérêt il y
a quelques années, aux élections dernières. Il est bien impor-
tant que mes amis fassent bien comprendre, à la masse des
électeurs, que je suis patriote de coeur et de profonde convic-
tion ; que ma vie sera toujours consacrée à la sainte cause de
la liberté, mais que je la veux sage et calme, et appuyée sur les
lois qui font sa seule force.
Vous concevez bien, mon ami, que voulant changer les
idées de mes compatriotes à mon égard, on a dit bien des
faussetés qui tomberaient bien vite, si ma vie était mieux
connue à Angers. C'est, je le répète, à mes amis que je laisse
ce soin, qui ne. leur sera pas
difficile à remplir puisqu'ils n'ont
que la vérité à faire connaître.
Vous savez, mon ami, que ma place est fixée dans les arts;
que je ne puis pas être soupçonné d'avoir aucune ambition
de
fonction rétribuée.
Ainsi, je suis totalement indépendant par mon caractère et
par ma position. Si je recherche l'honneur de la députation,
c'est qu'il me serait bien doux de recevoir une telle marque
d'estime de mes concitoyens, puisqu'un homme indépendant
et inflexible à la Chambre pourrait être de quelque utilité, et •
enfin que les artistes y auraient un défenseur, qui ne serait
peut-être pas inutile lorsque l'on discute le budget des arts.
Faites ce que votre amitié et votre conscience vous conseil-
leront.
Dans tous les cas, croyez à mon inaltérable amitié.
DAVID.

Collection Grille.
— Les difficultés que
David avait rencontrées de
la partde Thiers et de Montalivet, au sujet du Fronton, devaient lui
faire désirer d'entrer à la Chambre des députés où il fortifierait l'op-
position. Le rêve du statuaire ne se réalisa qu'en 1848. La lettre
qu'on vient de lire renferme une profession de foi.
322 DERNIÈRES LETTRES

l837

XXI
David à de Potter.
Le profil de Lelewel. — Le Fronton du Panthéon.

Paris,... septembre 1837.


Mon cher ami,
J'ai souvent regretté, depuis votre départ de Paris, de n'avoir
pas pensé à vous prier de me rendre un service ; voici ce dont
il s'agit. Quand M. Lelewel était à Paris, je lui avais demandé
de poser pour son médaillon ; l'ordonnance brutale du ministre
est venue me l'enlever. Comme je ne prévois pas pouvoir aller
à Bruxelles d'ici bien longtemps, j'ai pensé que vous pourriez
charger un dessinateur habile de me faire un dessin bien exact
du profil de ce digne et honorable Polonais. Vous auriez la
bonté de payer le dessinateur et je vous rendrais ce que vous
auriez déboursé. Tâchez d'arranger cette affaire, vous m'obli-
gerez infiniment.
On vient de commencer la gravure de ma collection de
médailles; je crois que cette publication aura de l'intérêt.
Vous avez entendu parler de toutes les tracasseries du Pou-
voir à l'égard du Fronton du Panthéon. On croyait sans doute
trouver en moi un homme plus souple; j'attends toujours
tranquillement dans ma légalité.
Adieu, cher ami, portez-vous bien tous et croyez à l'entier
dévouement de celui qui est tout à vous.
DAVID.
Présentez, je vous prie, mes respectueux hommages à
Mme Potter. Emilie me charge de la rappeler à son souvenir.
Bibliothèque de Bruxelles. — Cette lettre fait partie du legs Nave{.
Nous sommes redevable de la transcription de l'autographe à
M. Hymans. — Louis-Joseph-Antoine de Potter est le publiciste
belge, auteur de Y aura-t-il une Belgique? Lettres à Léopold, etc.
David avait fait la connaissance de de Potter à Rome, en 1815, et
tous deux étaient restés étroitement liés. — Joachim Lelewel,
DE DAVÏD DANGERS 323
homme politique et historien polonais, député à la Diète de Var-
sovie, en 1828, exilé en 1833, vivait en Belgique. De Potter ne
s'acquitta pas de la mission dont le chargeait David. Ce fut celui-ci
qui, en 1844, alla dessiner le profil du patriote polonais. (David
d'Angers, etc., t. I, p. 524.) Le dessin du maître est conservé au
Cabinet des Estampes de la Bibliothèque de Bruxelles. Il porte la
mention autographe : a Joachim Lelewel dessiné à Bruxelles en
décembre 1844, par David d'Angers. » Le médaillon de Lelewel
porte le millésime de 1844.

xxu
Alexandre Decamps à David.
Préault et le monument d'Armand Carrel.

Paris, le 8 décembre 1837.


Monsieur,
Au moment où la Commission du monument d'Armand
Carrel vient de décider qu'elle s'en remettait à vos avis et à
votre haute réputation pour arrêter l'exécution définitive du
tombeau, permettez-moi de rappeler à votre souvenir une
démarche que j'eus l'honneur de faire auprès de vous, il y a
un an, pour recommander à votre sollicitude un projet pré-
senté par un de vos élèves pour lequel vous avez témoigné un
intérêt véritable, et qui depuis quelques années a été traité,
par le jury, avec une rigueur au moins extraordinaire.
Le projet de M. Préault a été jugé par MM. Delacroix,
Schejjer et plusieurs autres artistes éminents qui, tous, ont
rendu justice aux belles qualités de la figure qui repose sur le
monument. Vous-même, Monsieur, avez, si je ne me trompe,
apporté la sanction de votre voix, toute puissante dans ces
questions, au jugement des artistes que je viens de nommer.
M. Préault, maltraité par les jurys d'exposition, négligé par
le pouvoir, a besoin de l'appui de tous les hommes patriotes
auxquels il appartient surtout de signaler et de réparer, autant
que possible, les fautes des gouvernants.
Le projet qu'il a présenté justifie, d'ailleurs, l'intérêt que
nous lui montrons aujourd'hui. Nous serons heureux de nous
rappeler que c'est à la recommandation de votre grand et noble
324 DERNIÈRES LETTRES

talent, qu'un jeune homme plein d'avenir et d'espérances


aura dû son entrée dans une carrière où il a rencontré jusqu'à
ce jour tant d'obstacles.
Agréez mes salutations bien sincères et l'assurance de ma
considération.
DECAMPS, Alexandre,
faubourg St-Denis, 109.
Collection H. Jouin. — Nous avons publié dans la Vie du maître
(t. II, p. 378) une lettre de David des plus chaleureuses à M. Thomas,
directeur du National, en faveur de Préault. David demande que l'on
confie à son élève le monument de Carrel. Thomas, président de la
Commission, ne voulut pas se rendre à la recommandation de
David. Le point curieux dans cette affaire, c'est que Decamps, ami
de Préault, était le critique d'art attitré du National. Le directeur
du journal, désavouant la campagne de son collaborateur, fit écar-
ter Préault et David fut chargé de la statue de Carrel. Decamps s'y
était pourtant pris avec adresse. En l'absence de Thomas, il avait
vu la Commission et lui avait demandé de poser en principe que la
statue de Carrel ne serait pas sculptée par un membre de l'Institut.
Or, David appartenait à l'Académie depuis plus de dix ans. Je soup-
çonne Préault d'être l'auteur de ce trait de diplomate. Il en fut pour
ses frais. Voy. David d'Angers, etc. (t. I, p. 396-397).

1838

xxni
Isabey père à David.
Candidature à l'Institut.

Paris, 27 avril 1838.


Mon cher Camarade,
Je viens préalablement, et en attendant que je puisse sortir,
vous témoigner ma reconnaissance de l'aimable accueil que
vous avez fait à la demande que vous a adressée mon cher
Eugène.
J'ose espérer que vous trouverez dans vos honorables con-
frères quelques bons camarades qui me sont dévoués. Je
DE DAVID DANGERS 32$
devrais compter sur certains, mais ils ont oublié les services
que je leur ai rendus. Je n'ose vous les nommer; cependant
l'un est architecte; il faut l'oublier. Mais ce dont il faut se sou-
venir, c'est que la bizarre fortune vient souvent faire échouer
la meilleure intention des amis. N'importe; quel que soit le
résultat, je n'en conserverai pas moins une reconnaissance bien
sentie.
Votre tout dévoué. ISABEY père.

Collection H. Jouin. — Jean-Baptiste Isabey père, peintre de minia-


ture, premier peintre de l'impératrice Joséphine, en 1805, dessina-
teur du Cabinet et des cérémonies, directeur des décorations de
l'Opéra, est mort à l'Institut où il y avait un logement, mais par une
sorte d'ironie de la destinée, ce charmant et fécond artiste ne put
jamais forcer la porte du palais Mazarin. Son fils Eugène, peintre de
genre et de marine, est mort en avril 1886.

xxrv
Alexandre Decamps à Préault.
Toujours Préault.

Verberie, 6 juin 1838.


Mon cher Préault,
La Commission du monument s'est assembléedeux fois; j'y
ai fait tout ce que loyalement vous pouviez attendre de moi;
elle a décidé qu'elle s'en rapporterait à David et qu'elle l'appel-
lerait dans son sein pour qu'il y expose son avis. C'est donc
de lui que cela dépend maintenant. Vous ferez bien de l'aller
voir et de profiter de la position qu'il a appuyée lui-même afin
de l'engager à répéter à la Commission de vive voix ce qu'il
m'a écrit à moi-même, et d'appuyer votre projet.
Faites-lui voir que ce serait un noble procédé de sa part, et
en même temps une belle oeuvre qu'il encouragerait dans les
arts.
Ménagez-le, car ces Messieurs s'en rapportent à lui.
Écrivez-moi de suite.
Amitié et dévouement. Alex. DECAMPS.
P.-S. J'ai fait soixante lieues pour assister aux deux réunions.
326 DERNIÈRES LETTRES
CollectionH. Jouin. — Cette lettre nous est venue par la famille
de David d'Angers. On peut donc conclure de la direction donnée à
l'autographe de Decamps que Préault ne se fit point faute de le
porter au statuaire, afin de faire pression sur lui perjas et nefas.

XXV
M"e Sarazin de Belmont à David.

Services reçus.

juin 1838.
Monsieur,
J'éprouve le besoin de vous témoigner toute ma reconnais-
sance pour les lettres que vous avez eu la bonté d'écrire en ma
faveur à diverses personnes qui honorent aujourd'hui l'Alle-
magne par leur talent. Croyez bien, Monsieur, que si je
n'avais pas été au moment du départ, j'aurais saisi avec
empressement cette occasion de connaître personnellement un
homme dont j'admire depuis tant d'années Tes grands et beaux
ouvrages, et c'est avec regret que je me vois forcée de remettre
ma visite à l'hiver prochain.
M. Lenormand, qui déjà avait bien voulu me montrer qu'il
prenait intérêt à mes travaux, ne pouvait mieux ajouter à la
reconnaissance que j'ai pour lui, qu'en me donnant l'occasion
de vous assurer, Monsieur, de celle que j'ai pour toute votre
obligeance et les sentiments de haute estime et de considéra-
tion distinguée de votre servante.
L.-J. SARAZIN DE BELMONT.

Collection H. Jouin.
— Louise-Joséphine Sarazin de Belmont, peintre
et lithographe, morte en 1871, à quatre-vingts ans, était d'humeur
voyageuse. Elle a longtemps vécu en Italie. La lettre qui précède
nous apprend qu'elle fit un vovage en Allemagne en 1838. Dési-
reuse d'être accréditée auprès des artistes de ce pays, elle sollicita de
David quelques lettres d'introduction. Le statuaire s'empressa de
déférer à ce désir, sans d'ailleurs connaître personnellement Mlu de
Belmont.
DE DAVID D'ANGERS 327

1839

XXVI
David à Hawke.
La Cathédrale d'Angers.
Paris, 24 avril 1839.
Monsieur,
J'ai été bien vivement touché de votre bon et honorable
souvenir. Je ne puis vous rendre toute l'expression de ma
reconnaissance pour votre bonne lettre et pour la gravure si
belle de notre Saint-Maurice d'Angers.
Il y a bien longtems que j'admire vos ouvrages. Vous êtes,
Monsieur, un grand artiste, et vous joignez à ce mérite celui
de posséder un noble caractère. Vous aimez de passion la
liberté et vous désirez de toute votre âme l'émancipation
totale du genre humain. Nous sommes donc frères en religion,
car ce que vous voulez pour le bonheur de vos frères, je le
veux aussi.
Tant de liens entre nous font que je vous ai voué une
amitié et une estime profonde.
A vous de tout coeur. DAVID.
Collection Hawke.
— Pierre Hawke, peintre et graveur, a longtemps
habité Angers. La gravure à l'eau-forte « la Cathédrale d'Angers »
fut exposée par lui au Salon de 1841. Nous avons lieu de penser,
d'après la lettre qui précède, que cette planche date de 1839, car les
mots « Notre Saint-Maurice » sont la désignation familière et toute
angevine de l'eau-forte en question. Hawke ne dédaignait pas de s'oc-
cuper d'économie sociale. Il dut soumettre à David quelque système
de réforme qui séduisit le sculpteur.

XXVII
Carrier à David.
La statue du jeune Barra.
Paris, avril 1839.
Mon cher David, je ne résiste pas au désir de vous exprimer
tout ce que m'a fait éprouver de douleur et d'admiration votre
328 DERNIÈRES LETTRES

jeune Barra. C'est pour moi le nec plus ultra de l'art, sorti du
plus profond sentiment d'une âme grande et élevée. Cette
nature saisissante vous émeut jusqu'au fond du coeur. Je suis
resté deux heures devant, sans pouvoir m'en éloigner que pour
y revenir encore. Si je n'avais été très souffrant, je serais allé
aussitôt vous serrer la main et vous témoigner tout ce que je
pense. J'espère que ce n'est différé que jusqu'au premier jour.
Tout à vous de coeur.
J.-A. CARRIER.
Collection H. Jouin.
— Auguste-Joseph Carrier, peintre en miniature,
élève de Prud'hon et de Gros, rend justice au talent de David, en
termes très justes, au sujet du jeune Barra. Le marbre fut exposé au
Salon de 1839 (n° 2171). Voy. Musées d'Angers (p. 108).

xxvm
David à Hawke.
L'autel de la Patrie.

Paris, 6 septembre 1839.


Mon cher Monsieur,
M. Guillory vient de m'annoncer que vous aviez la bonté
de vouloir bien vous occuper de reproduire, par la gravure, un
ouvrage de mon père. Vous touchez là, Monsieur, une des
fibres les plus sensibles de mon coeur. Par votre talent, son nom
et son souvenir seront conservés dans la mémoire des hommes.
Merci, mille fois merci.
J'ai fait remettre à M. Guillory une courte notice sur mon
père. Vous verrez ce qu'il vous sera possible d'en faire.
Je suis toujours bien heureux des rapports que j'ai le
bonheur de conserver avec vous, et je vous prie bien de croire
à tous mes sentimens de haute et profonde estime et d'entier
dévouement de coeur.
DAVID.

— Pierre-Louis David, sculpteur sur


Collection Hawke. bois, père
de David d'Angers, fut chargé de sculpter sous la Révolution « l'autel
delà Patrie » destiné au Temple décadaire. Ce morceau de sculpture,
placé en 1839 à la mairie d'Angers, a été transporté au Musée
DE DAVID D'ANGERS 329
David où il sert aujourd'hui de piédestal au buste colossal de David
d'Angers. Hawke fit une gravure, d'après ce travail, pour le bulletin
d'une Société savante angevine, que présidait alors M. Guillory.
Voy. David d'Angers, etc. (t. I, p. 12, et t. Il, p. 169).

1840

XXIX
Brion à David.
De statuaire à statuaire.

Monsieur, .... i« avril 1840.

Admirateur sincère du beau caractère que vous avez déployé


lors des élections, et dans cette nouvelle circonstance pour le
jury du Musée, je brûle de rendre hommage à votre énergie,
et à l'impartialité dont vous faites preuve, pour obtenir que
tous les artistes jouissent du même privilège, quelle que soit
leur capacité. Le vrai talent peut seul plaider la cause des
élèves exposés à la cabale de gens peu généreux ; et cette cause
sacrée devait vous appartenir.
Depuis longtemps, Monsieur, j'ai senti la force de cet argu-
ment, mais qu'aurai-je pu faire, ou dire? Il faut une santé qui
réponde à l'énergie de l'âme, il faut au mérite craintif des
encouragements.
Ces derniers m'ont manqué, et m'ont fait sentir que,
lorsque l'une est altérée, l'autre s'anéantit, faute de soutien.
Mais avec votre appui, il n'en sera plus de même pour la
génération actuelle, et le talent pourra percer au milieu de ces
médiocrités. Poursuivez, Monsieur, poursuivez cette route
glorieuse, elle rendra l'enthousiasme à cette jeunesse si stu-
dieuse, si mal comprise, et cependant si ardente pour conqué-
rir l'estime et la gloire de ses contemporains! Vous serez
admiré, chéri de ce peuple d'artistes, et les arts vous devront
plus d'un grand homme!
Pour moi, Monsieur, mes modestes voeux vous suivront
partout, et je serais heureux si ma voix au collège pouvait
33© DERNIÈRES LETTRES

ajouter à toutes celles que vous avez, pour acquérir à mon


pays un bon et loyal député.
J'aurais pris, Monsieur, la liberté d'aller vous témoigner
toute mon admiration, si je ne me trouvais en ce moment
retenu à Valognes encore un mois environ, afin de poursuivre
un des fermiers de ma mère pour coupe de bois frauduleuse.
Oserai-je vous prier, Monsieur, de me rappeler au souvenir
de mon ancien ami Goupil. J'ai l'honneur d'être, Monsieur,
avec la plus haute considération, votre très humble et très
obéissant serviteur. BRIONJ statuaire.
Chez Mmc veuve Sagnier, à Valognes.
Collection H. Jouin. — Isidore-Hippolyte Brion, sculpteur de talent,
était élève de Bosio. Goupil fut le praticien de David.

184I

XXX
David à François Grille.
Le « Siège d'Angers. »

Paris, 18 septembre, 1841.


Mon cher compatriote,
J'ai lu avec un bien vif intérêt votre description du siège
d'Angers. C'est un ouvrage plein d'animation vraie et sentie
par un coeur patriote. Vous avez bien raison de recueillir nos
archives angevines, ce sera précieux pour nos descendants, et
même ces documents conservés par chaque province peuvent
être d'une grande importance pour l'histoire générale de la
France.
Avec votre talent et votre ardeur, on peut être sûr que vous
laisserez des monumens curieux de littérature historique à
notre cher Anjou. Pour ma part, je vous en remercie de tout
mon coeur.
Dans la caisse que je viens d'expédier au Musée d'Angers,
j'ai fait mettre, pour la Bibliothèque d'Angers, l'intéressant et
savant ouvrage de M. de Potter : Histoire du Christianisme,
DE DAVID D'ANGERS 33 1
ainsi qu'une notice biographique sur M. Daunou. Cette notice
expliquera le buste que je vais envoyer sous peu à notre Musée,
et puis il y a une lettre de M. Daunou qu'il écrivait en ma
faveur, il y a quelques années, aux électeurs du 8e arrondisse-
ment de Paris. Cette lettre de l'un des hommes les plus hono-
rables de France est un titre précieux pour moi.
M. Mercier aura dû vous remettre depuis longtems une
notice biographique sur Parent-Réal.
Selon votre désir, j'avais demandé vos deux autres écrits qui
sont chez M. Techener. Il paraît qu'il n'a pas jugé à propos
d'obtempérer à cette demande.
Adieu, cher compatriote, croyez à ma bien vive affection de
coeur. DAVID.
Collection Grille.
— L'ouvrage dont il est question ici fut publié
par François Grille, en 1841, chez Victor Pavie, alors imprimeur à
Angers, sous la signature a un amateur ». Voy. David d'Angers et
ses relations littéraires (p. 181).

1842

XXXI
David à Experton.
Un refus au Salon.

Paris, 18 mars 1842.

Mon cher Monsieur Experton,


Je viens d'apprendre que votre buste du maréchal comte
Devaux ne faisait pas partie de l'exposition de cette année.
J'en ai éprouvé un vif étonnement qui sera, j'en suis sûr,
partagé par tous les artistes qui ont vu votre ouvrage. Il ne
faut cependant pas vous affliger de ce contre-temps, et vous
seriez tout rassuré si vous pouviez voir l'encombrement d'ou-
vrages entassés devant les membres du jury. Votre oeuvre peut
facilement avoir échappé à leur jugement par la négligence
d'un gardien qui l'aurait oubliée dans un coin, ou par quel-
qu'autre circonstance.
332 DERNIÈRES LETTRES

Je serais désespéré, et c'est pourquoi je vous écris, qu'un


jeune artiste qui, comme vous, donne de si belles espérances,
dont la vie est entièrement consacrée à l'étude de son art, dont
le caractère est si Honorable, pût se laisser aller au décourage-
ment.
Je suis heureux de vous renouveler ici toute l'estime que je
fais de votre talent et de votre personne, et je vous engage
même, si vous le croyez nécessaire, à faire savoir à Messieurs
les membres du conseil d'Agriculture que j'ai été extrêmement
satisfait de votre travail, et qu'en vous accordant leur confiance,
ils l'ont dignement placée.
Votre bien dévoué. DAVID,
Membre de l'Institut et professeur à FÉcole des Beaux-Arts.
CollectionH. Jouin. — David, en écrivant cette lettre, fit évidem-
ment preuve d'une grande mansuétude. Experion n'a pas laissé de
trace. Il fut, vers 1860, le praticien de Bonnassieux. On peut
craindre que le jury du Salon ne se soit fait une habitude de
refuser les oeuvres du sculpteur. Les livrets des expositions de 1842
à 1850 ne renferment pas le nom d'Experton. Cette lettre nous a
été gracieusement offerte par M. Henri Thiriot, sculpteur messin.

xxxn
David à Balzac.
La médaille du romancier.

Dimanche matin... 1842(7)


Monsieur,
Je sais combien vos moments sont précieux, mais ne pour-
riez-vous pas disposer de quelques instants en ma faveur pour
que je puisse faire votre médaille?... Si vous étiez assez bon
pour m'accorderma demande etm'indiquer le jour et l'heure,
vous obligeriez beaucoup votre admirateur et dévoué serviteur.
DAVID.

— Ce billet nous donne la preuve d'instances


Collection Lovenjoul.
antérieures faites auprès de Balzac dans le but d'exécuter son
médaillon. David savait être tenace lorsqu'il s'agissait de modèles
de marque tels que Balzac. La médaille du romancier fut exécutée
en 1842.
DE DAVID D'ANGERS 333

XXXIII
David à François Grille.
La médaille de Pierre Haudaudine.

Paris, 27 juillet 1843.

Il y a bien longtems, cher ami, que je n'ai eu de vos nou-


velles, et je ne veux pas manquer l'occasion qui se présente
de vous envoyer quelques lignes de souvenir, et de réclamer
en même temps de votre inépuisable complaisance un nou-
veau service. Lorsque je fus placer la statue de Bonchamps à
Saint-Florent, je profitai de mon voyage à Nantes pour dessi-
ner le portrait de face et de profil du Régulus nantais, Haudau-
dine, dans l'intention de faire son buste un jour; mais je veux
commencer par un médaillon qui fera partie de la collection
que je consacre à notre génération. Ne pourriez-vous pas,
mon ami, me procurer une signature du célèbre nantais, afin
que je puisse la graver sur le médaillon ? Vous m'obligeriez
beaucoup.
Depuis quelques jours je suis souffrant, c'est ce qui m'a
forcé de suspendre mon travail pour la statue du roi René,
qui devrait être placée dans la salle des séances du congrès
scientifique dont l'ouverture aura prochainement lieu à
Angers. Comme j'espère que mon indisposition ne sera pas
longue, je compte bien avoir terminé à tems mon ouvrage.
Sous peu, je vais faire un nouvel envoi au Musée. Dans la
caisse, je mettrai les deux derniers volumes des Mémoires de
Barrère.
Vous qui collectionnez avec tant d'ardeur tout ce qui a rap-
port à notre pays, ne pensez-vous pas qu'il serait très intéres-
sant de noter tous les vieux termes et les locutions angevines
qui disparaissent tous les jours; d'en faire une sorte de dic-
tionnaire où chaque terme serait mentionné avec sa significa-
tion. Ce travail serait, du moins je le pense, utile, car il sub-
siste encore dans le langage angevin des restes du vieux
celtique. Il y a longtems que je me proposais de vous sou-
334 DERNIÈRES LETTRES

mettre cette idée. Je désire qu'elle ne vous paraisse pas hors


de sens.
Adieu, cher ami, croyez à tout mon dévouement de coeur.
DAVID.
Collection Grille.
— Pierre Haudaudine, que sa loyale conduite
pendant la Révolution fit surnommer le Régulus nantais, avait été
fait prisonnier dans l'église de Saint-Florent, avec les républicains
auxquels Bonchamps, général vendéen, sauva la vie. David prit
deux dessins de la tête d'Haudaudine, en 1825. A une date posté-
rieure, il modela le médaillon dont il parle dans la lettre qui précède.
Cette médaille n'existe pas au Musée David. Voy. David d'An-
gers, etc. (t. I, p. 445 et 471).

xxxrv
David à François Grille.
Le Roi René. — Beaurepaire.

Paris, le 18 août, 1843.


Mon cher ami,
Malgré des souffrances assez grandes, j'ai travaillé avec une
extrême ardeur à l'exécution de la statue du roi René, et
j'espère qu'elle sera sur son piédestal, à Angers, à l'époque du
congrès. J'y ai travaillé avec intérêt, parce que c'est l'image de
l'un de nos compatriotes; qu'il est le premier artiste connu
en Anjou, qu'il était bon, et enfin qu'il faut que nous élevions
des monuments à toutes les gloires ; que ce sont là de nobles
archives en bronze et en marbre, exposées aux regards des
générations, mais cependant je ne puis m'empêcher d'éprouver
un sentiment bien pénible quand je pense que Beaurepaire est
toujours ajourné, et cela par les fils de ces braves légions
angevines qui ont compris si dignement la puissante voix de
la patrie en danger. Et moi qui aurais été si heureux de con-
sacrer mon tems à la représentation des traits de ce généreux
et noble républicain ! Je mourrai sans avoir pu réaliser un pro-
jet depuis si longtemps formé.
Je suis heureux, cher ami, que vous vous occupiez d'élever
un monument littéraire à nos braves légions angevines. Cette
idée est digne de vous.
DE DAVID D'ANGERS 33$
Je vous l'ai dit bien souvent, je vous aime parce que toutes
vos affections sont pour notre cher Anjou.
Avez-vous pensé à former une collection de gravures à votre
bibliothèque ? S'il en était ainsi, je vous enverrais celles qui ont
été faites d'après mes ouvrages, de même que celles qui pour-
raient me paraître intéressantes. Vous feriez bien de com-
mencer une collection de portraits d'Angevins.
Adieu, cher ami, aimez-moi toujours et croyez à mon inal-
térable dévouement pour vous.
DAVID.
P.-S. Lorsque le dernier volume des Mémoires de Barrère
aura paru, je m'empresserai de vous l'envoyer avec le troisième
pour notre bibliothèque.
Collection Grille. — La statue du roi René, exécutée en bronze et
inaugurée à Angers le i" juin 1853, fut terminée en plâtre en 1843.
Douze statuettes devaient compléter le monument. Elles furent
achevées en 1846. Il est parlé plus haut, dans le commentaire delà
lettre du 12 août 1841, des vicissitudes par lesquelles passa le projet
de David, relativement à la statue de Beaurepaire.

1844

XXXV
Eugène Delacroix à David.
Le cours de perspective à l'École des Beaux-Arts.

Ce 26 septembre 1844.
...
Mon cher ami,
L'Académie aura peut-être lieu prochainement de nommer
a la place de professeur suppléant de perspective à
l'École. Je
prends la liberté de vous demander votre voix et même vos
recommandations auprès de vos confrères pour M. Forestier,
professeur de perspective, très habile dans cette partie et
connu de tous les artistes, et très intéressant en outre par sa
position de père d'une famille nombreuse. Vous ne ferez que
336 DERNIÈRES LETTRES

justice en m'accordant ma demande : vous vous en convaincrez


facilement en demandant des renseignements sur son compte.
Permettez-moi en même temps de vous dire le plaisir que
m'a fait dernièrement un article de vous sur Thorvaldsen, que
j'ai lu dans le Cabinet de VAmateur. On ne peut apprécier plus
finement et plus fortement son genre de talent et surtout celui
de Canova. La rectitude d'un pareil jugement ne doit pas sur-
prendre de votre part, mais la manière dont il est exprimé et
le style de votre lettre prouvent, une fois encore, que les
« seuls vrais écrivains » sont ceux qui ne le sont pas par
métier.
Recevez, mon cher ami, en excusant la liberté que je prends,
les assurances de mon amitié et de mon admiration sincère.
Eug. DELACROIX.
Collection H. Jouin. — Louis-Joseph Girard, professeur de per-
spective à l'École des Beaux-Arts, étant mort le 27 novembre 1844,
ce fut Consiant-Dufeux qui lui succéda le 6 février suivant. Le can-
didat patronné par Delacroix n'eut pas de succès. Il est parlé plus
haut de l'étude de David sur Thorvaldsen dans le commentaire de la
lettre de Charles Blanc, du 17 avril 1844.

XXXVI
David à Balzac.
Le buste du romancier.

Lundi matin, ...1844.


C'est avec un bien vif regret, cher ami, que j'ai appris que
vous aviez pris la peine de passer à la maison. Je suis actuelle-
ment dans une de ces crises de travail que vous connaissez si
bien ; on ne me laisse pas de répit, et il est important que j'aie
terminé mon travail pour une époque rapprochée; mais aussi-
tôt que je serai libre, je donnerai les dernières retouches à
votre buste. Quelques jours suffiront, et alors je m'empresse-
rai de vous en prévenir.
On m'a dit que votre santé n'était pas très bonne. Soignez-
vous donc bien, car elle est précieuse à vos amis et à vos
admirateurs.
DE DAVID DANGERS 337
Mme David me charge de vous remercier du thé que vous
lui avez fait remettre.
Un peu de patience encore pour votre buste, et croyez-moi
tout à vous de coeur.
DAVID.

Collection Lovenjoul. — Il nepeut être question ici que du buste


en terre cuite qui porte le millésime de 1844. Le marbre ne fut
exécuté que l'année suivante. Voy. David d'Angers et ses relations lit-
téraires (p. 243).

XXXVII
Duret à David.
Le Monument des Invalides.

Ce 23 mai 1844 (?)


,
Mon cher collègue,
Permettez-moi d'en appeler à votre justice et de vous prier
d'être mon avocat près la Commision du Tombeau de Napoléon.
Si M. Visconti a pris le moulage de ma cariatide à sa charge,
c'est qu'il a pensé qu'il me devait une indemnité pour m'avoir
fait recommencer plusieurs fois des modèles que j'ai exécutés
avec soin et conscience, et pour lesquels il m'avait proposé une
indemnité qui a été réduite par M. Cave.
Je ne mérite donc aucune réduction et compte sur votre jus-
tice, mon cher professeur.
Tout à vous de coeur.
F. DURET.
P.-S. Vous pouvez montrer ma lettre si vous le trouvez bon.
Collection H. Jouin. — On trouvera dans David d'Angers, etc.
(t. I, pp. 389-390, et t. II, p. 421) des détails précis sur l'attitude
de David vis à vis de Cave et de l'architecte Visconti, au sujet du
monument des Invalides. Duret fut constamment soutenu par David
d'Angers, et celui-ci valut certainement à son confrère la commande
des statues persiques placées A l'entrée du Tombeau.
33^ DERNIÈRES LETTRES

xxxvni
David à Balzac.
A huis clos.

Samedi matin, décembre 1844.

J'ai beaucoup de regret, cher ami, de ne pas m'être trouvé


chez moi lorsque vous avez pris la peine d'y passer, et nous
vous remercions bien sincèremenr, Mme David et moi, du livre
que vous avez eu la bonté de nous donner. Vos ouvrages ne
peuvent être lus par des personnes qui éprouvent une plus
vive admiration pour votre génie que nous. Soyez-en bien
persuadé.
Votre buste est presque terminé en marbre. Quand j'aurai
fait tout ce qui peut être en mon pouvoir pour le rendre le
plus digne possible de vous, je m'empresserai de vous prier de
venir me voir.
Votre bien dévoué de tout coeur. DAVID.
Collection Lovenjoul.
— La dernière lettre publiée plus haut, sous
le millésime de 1844, renferme les doléances de Balzac, qui s'est
inutilement présenté chez David à sept ou huit reprises. David
s'excuse ici d'être pris par ses travaux et de tenir sa porte rigoureu-
sement fermée.
1845

XXXIX
David au maire d'Angers.
Ferdinand Taluet.

Paris, 29 juin, 1845.


Monsieur le Maire,
Depuis plusieurs années, la ville d'Angers avait accordé au
jeune Taluet une pension qui lui permettait d'étudier, à Paris,
la sculpture pour laquelle il annonce de véritables dispositions.
DE DAVID D'ANGERS 339
Si ce secours lui était enlevé, il lui faudrait renoncer à une car-
rière qu'il semble appelé à honorer. Comme je pense qu'il n'a
rien fait pour démériterjde la bienveillance de ses concitoyens,
je viens vous prier, Monsieur le Maire, de vouloir bien
appuyer ma demande près du Conseil municipal pour que la
pension du jeune statuaire lui soit conservée.
Agréez, je vous prie, Monsieur le Maire, l'assurance de ma
considération distinguée.
DAVID D'ANGERS.

Collection H. Jouin. — M. Taluet, né le 13 novembre 1820, à An-


gers, reçut dans sa ville natale, les leçons du peintre Mercier, et plus
tard celles de David, à Paris. Ce statuaire a exposé à la plupart
des Salons depuis 1848.

1847

XL
David à François Grille.
Robert le Fort et Beaurepaire. — Un portrait de Danton.

Paris, 21 janvier 1847.


Cher ami,
La statue de Robert je Fort et celle de Beaurepaire seraient
admirablement placées sur le pont d'Angers. Ce serait une
noble décision prise par le Conseil municipal. La représenta-
tion de ces deux guerriers réunirait le passé au présent
dans ce qu'il a de grand, concernant le courage voué à la
défense de la patrie; ce seraient de glorieuses archives en
bronze, offertes comme stimulant aux générations qui nous
suivront, et enfin des pages pour ainsi dire vivantes placées
sous les yeux des nombreux étrangers qui viendront visiter
notre poétique pays. J'aime à me persuader que ce projet
n'éprouvera aucun obstacle de la part de nos compatriotes.
Bientôt je m'occuperai de la composition d'une médaille
angevine qui ne sera pas, je crois, sans signification pour
340 DERNIÈRES LETTRES

notre pays. Je veux représenter Dumnacus, notre illustre


ancêtre, dans l'attitude du combat : il aura, sous l'un de ses
pieds, une aigle romaine, et derrière lui, la Loire et la
Maine confondant leurs eaux. Ne pensez-vous pas, mon ami,
qu'il serait plus convenable qu'une ville donnât en récom-
pense d'une belle action accomplie par un citoyen une
médaille qui fût la représentation d'un des traits les plus hono-
rables de son histoire? Quel noble enseignement! Et ne pen-
sez-vous pas que toutes les villes de France devraient suivre
cet exemple, ainsi que cela avait lieu dans chaque ville de la
Grèce ancienne? Il y a quelques années que j'ai donné ce con-
seil au maire de Grenoble qui s'est empressé de le mettre à
exécution.
Si vous trouvez que mon idée soit bonne et réalisable,
parlez-en, et soyez assez bon pour me faire connaître ce qu'on
en pense.
Il y a longtems que j'ai consigné dans l'un de mes écrits
une idée qui avait bien frappé l'imagination de Goethe lorsque
je la lui communiquai. Ce serait de graver les traits des
hommes illustres de la France sur nos monnaies; alors l'ar-
gent serait annobli et la biographie des grands hommes
deviendrait populaire. Je laisse à votre généreuse imagination
le soin d'analyser la portée immense d'une telle entreprise.
Adieu, cher ami, croyez-moi toujours à vous de tout coeur.
DAVID D'ANGERS.

P.-S. Drolling vient de me dire qu'il savait très positive-


ment que M. Belon avait une trentaine de portraits peints en
camée par le peintre Langlois; que celui de Danton faisait par-
tie de cette collection. Comme je désire beaucoup faire le
médaillon de ce sublime révolutionnaire, veuillez vous infor-
mer si l'on pourrait me le confier pour peu de jours.
Collection Grille.
— Au mois de décembre 1846, François Grille
écrit à David d'Angers en lui suggérant, l'idée d'exécuter les statues
de Beaurepaire et de Robert le Fort, pour être placées sur les deux
piles du pont du Centre à Angers. Nous donnons ici la réponse de
David. L'artiste ne put donner suite à ce double projet. Une statuette
de Robert Le Fort, comte d'Anjou, modelée par "David, décore le
piédestal du monument du Roi René, à Angers.
DE DAVID D'ANGERS 341

I848

XLI
David à François Grille.
Le « Premier bataillon de Mayenne et Loire ». — Beaurepaire.

Paris, 9 janvier 1848.


Mon cher Grille,
J'ai reçu avec bien de la reconnaissance la première partie
de votre ouvrage sur le Bataillon de Maine-et-Loire. Vous allez
élever un monument à nos braves compatriotes, et il sera
durable, n'en doutez nullement. Je vous estime, mon ami,
parce que toutes les pensées qui vous animent sont en faveur
de notre cher Anjou. Un jour on vous en saura gré. Et d'ail-
leurs tous ces sentimens que vous exprimez avec tant de cha-
leur d'âme, sous votre plume, vous rendent heureux, j'en suis
sûr, parce que vous devez avoir la conviction intime que c'est
un moyen d'être utile à votre pays, et que vous servez digne-
ment notre sainte cause de la liberté.
Lorsque j'aurai achevé quelques travaux qui m'occupent
exclusivement, je me mettrai de suite à faire le modèle de la
statue de Beaurepaire, et lorsqu'il sera terminé, nous deman-
derons à nos compatriotes l'achèvement de l'oeuvre en ouvrant
une souscription pour subvenir aux frais du bronze.
Faites-moi le plaisir de prier M. l'ingénieur de vouloir bien
m'envoyer la dimension exacte du piédestal, afin que je puisse
juger de la proportion que devra avoir la statue.
Choudieu m'a souvent parlé de la dernière lettre que Beau-
repaire lui écrivit de Verdun, dans laquelle il disait : « qu'avec
du courage la ville pouvait être défendue, que d'ailleurs, quand
elle se rendrait, Beaurepaire n'existerait plus. » Cette lettre fut
lue à la tribune de la Convention par notre compatriote. C'est
cette phrase soulignée que je graverai sur la plinthe.
Je viens d'apprendre que M. de Quatrebarbes s'en rappor-
tait définitivement au choix de la Commission pour le place-
ment du monument de René d'Anjou. Lorsqu'il vint me voir
342 DERNIÈRES LETTRES

avec Mme de Quatrebarbes, je les avais priés avec la plus vive


instance d'agir ainsi parce que je trouvais inconvenant d'im-
poser sa volonté à ceux qui veulent bien accepter un don, si
important qu'il fut. Et je pouvais parler ainsi, car vous, mon
ami, qui connaissez si bien l'évaluation d'un travail aussi consi-
dérable, vous pouvez mieux que personne savoir que le Gou-
vernement aurait alloué à un statuaire la somme de vingt-quatre
mille francs pour son exécution, et je n'ai touché que quatre
mille francs, somme qui n'a qu'à peine suffi à couvrir mes
frais des deux moulages « à bon creux » de la statue, celui
des douze statues, et les frais matériels d'atelier ; mais j'ai été
extrêmement heureux de consacrer par le bronze quelques-
unes de nos vieilles archives nationales, et aussi de faire voir
que les patriotes ne reculent pas devant la représentation des
illustrations d'une époque qui a accompli des actes quelque-
fois d'une bravoure toute française, mais inspirés par des idées
qui ne peuvent plus être de notre tems, car on ne fait pas
remonter un fleuve vers sa source.
On parle d'utiliser le moulage des statues pour un acte de
bienfaisance. Je serais très heureux si cette idée pouvait se
réaliser. Dans le courant des travaux, M. de Quatrebarbes
éprouvant quelques difficultés pour solder le fondeur, m'avait
témoigné le désir de faire vendre des épreuves en plâtre des
statues; plus tard, le ministre de l'Intérieur a donné une
somme de six mille francs pour sa souscription aux oeuvres de
René d'Anjou. On peut donc utiliser le moulage pour un but
d'humanité.
J'éprouve bien du plaisir à vous parler d'un trait qui honore
Mme Aimé Martin. Je lui avais parlé de la modicité de la
somme et de l'insuffisance de la souscription du Havre, pour
payer la fonte de la statue de Bernardin de Saint-Pierre ; cette
dame, peu de jours avant sa mort, a fait remettre au maire de
la ville du Havre une somme de six mille francs.
Croyez-moi toujours, cher-ami, à vous de tout coeur.,
DAVID D'ANGERS.

— Nous avons parlé de l'ouvrage de François


Collection Grille.
Grille dans David d'Angers et ses relations littéraires (p. 288). Il en
est également question dans la lettre de David à Victor Pavie, datée
du Ier octobre 184e.
DE DAVID D'ANGERS 343

XLÏÏ
Grenier à David.
*~)étresse d'artiste.

29 février 1848.
Mon cher ami,
Je suis allé hier pour te voir et n'ayant pu parvenir jusqu'à
toi, je prends le parti de t'écrire de nouveau pour te mettre au
fait de la position où je me trouve. Après avoir élevé et donné
à mes enfants le plus d'éducation possible, et travaillé toute ma
vie, je me trouve à présent privé du peu d'économies que
j'avais pu faire et que j'avais placées dans les chemins de fer.
La personne avec laquelle je faisais des affaires ayant quitté le
commerce, ma position est devenue tellement précaire que je
ne puis la considérer sans une vive inquiétude, surtout dans
ce moment où les arts vont nécessairement rester en souffrance
pendant quelque temps. Je vois tant de places données de tous
côtés et tant de changements, que je me décide à solliciter à
mon tour, et je m'adresse à toi aqprès duquel je puis espérer
un appui qui m'est bien nécessaire. On me dit que la place de
l'école gratuite de dessin est vacante. Si cela est, je serais
bien heureux de l'obtenir. Dans le cas contraire, sois assez
bon, mon cher camarade, pour tâcher de me caser à Paris dans
une place quelconque, soit comme conservateur d'un musée,
ou du moins de me faire accorder une indemnité de logement
qui m'aide un peu à vivre. Je n'ai rien eu du gouvernement
qui vient de s'écrouler. On ne m'a jamais vu à la Cour. Je n'ai
pas sollicité, et ce sera sans doute un titre de recommandation
près de la République, dans le cas où elle accorderait des
demandes de tableaux, et j'ai vraiment grand besoin qu'elle
me porte assistance, car je ne sais pas comment je ferai si elle
ne vient à mon secours. Je mets donc mes intérêts dans tes
mains, mon cher ami, et je suis sûr de réussir si tu veux
m'aider. Je t'en garderai une éternelle reconnaissance. J'aurais
grand désir de te voir pour t'expliquer de vive voix tous mes
ennuis, et je compte sur ton amitié pour m'accorder un
instant.
344 DERNIÈRES LETTRES

En attendant, je te remercie de ce que tu feras pour moi et


te renouvelle l'assurance de ma vieille affection.
Ton ami, F. GRENIER.
Place du Louvre, 20.
Collection H. Jouin. — François Grenier de Saint-Martin, peintre
et lithographe, élève de Louis David et de Guérin, est mort en 1867,
après avoir pris part à tous les Salons depuis 1810. Il est connu par
ses scènes militaires, de nombreux tableaux d'histoire et des pein-
tures de genre.
XLHI
Le président et les secrétaires du Comité central
des artistes, à David.
Une présidence d'honneur.
Paris, le 19 mars 1848.
Monsieur,
Les membres du Comité central des artistes nous ont confié
le soin de vous envoyer les statuts de cette association, statuts
qui sont insérés dans le numéro ci-joint du Journal des Beaux-
Arts, et de solliciter de votre part un acte de bienveillance et
d'encouragement, ce serait d'accepter le titre de Président
honoraire que nous avons l'honneur de vous présenter.
Dans cette demande, voyez surtout, Monsieur, un témoi-
gnage de notre admiration pour un des maîtres qui honorent
le plus notre école, et daignez y faire une réponse favorable
qui serait reçue par nous tous avec une bien vive reconnais-
sance. Vous remarquerez que ce titre ne vous engage à rien.
Veuillez aussi, Monsieur, agréer les hommages de nos sen-
timents de haute estime et de profond dévouement.
Claude THÉVENIN, président,
Rue de Bondi, 64.
RAVERAT, secrétaire. — A. CALMELS, statuaire.
Collection H. Jouin.
— Un Comité d'artistes composé, croyons-
nous, de soixante-dix membres, se forma dès les premiers jours qui
suivirent la révolution de Février. Beaucoup de projets furent pré-
conisés au sein de cette assemblée souvent tumultueuse. La plupart
n'aboutirent point. Toutefois, la création du jury, chargé de décer-
ner les récompenses à l'issue des Salons, fut décrétée par ce sénat
DE DAVID DANGERS 345
de peintres et de sculpteurs. La situation politique de David d'Angers
le désignait comme président au choix de ses confrères. Il n'accepta
pas. Le Comité se divisa. Les sculpteurs formèrent un groupe à
part, et le comte de Nieuwerkerke obtint la présidence de cette
seconde assemblée. Vincent-Nicolas Raverat, peintre d'histoire, né
en 1801, est mort en 1865. Claude Thévenin, peintre de genre et de
portraits, né en 1800, est mort en 1849. Célestin Calmels, sculpteur,
élève de Bosio, n'avait que vingt-six ans lorsqu'il signa la lettre qui
précède.
XLIV
Isabey à David.
Le poste de conservateur à Versailles.

26 mars 1848, an 1" de la République.


Honorable camarade,
Ci-joint une demande que, par votre entremise, j'ose adres-
ser au citoyen Ledru-Rollin, ministre de l'Intérieur.
La préférence que je sollicite trouve son excuse dans la
fortune de Granet, célibataire. Tâchez, mon brave ami, que
ma lettre arrive dans un moment opportun. Vous connaissez
mon respect et mon admiration pour les bons citoyens qui
se dévouent au bien de tous.
A vous de coeur. IsABEY père> patriote de 89.
Collection H. Jouin.
— Isabey père, qui déjà s'est réclamé de
l'appui de David pour entrer à l'Institut, saisit l'heure où Granet
vient d'être destitué du poste de conservateur du Musée de Ver-
sailles pour obtenir du ministre de l'Intérieur, par l'entremise de
son ami, la fonction vacante.

XLV
Grenier à David.
Requête au maire.
mars 1848.
Mon vieux camarade,
Je veux être un des premiers à te féliciter de la place où
vient de t'appeler le Gouvernement provisoire de la Repu-
346 DERNIÈRES LETTRES

bliqufr et te dire aussi combien je désire que l'on apprécie,


comme je le fais moi-même, les services que tu peux rendre
au nouveau Gouvernement. J'aurais été te voir si je n'avais
craint de te déranger dans un moment où tous tes instants
doivent être comptés, mais, en attendant que j'aie ce plaisir,
je viens rappeler à ton souvenir que j'ai deux fils qui ont reçu
une très bonne éducation et qui sont deux dignes et braves
jeunes gens, et que, si dans la nouvelle position où tu te trouves,
tu pouvais les employer de manière à ce que je n'en sois pas
séparé, je t'en saurais un gré infini, car la carrière des arts
est bien difficile dans les circonstances où nous nous trouvons,
et j'aimerais mieux les voir avec une place que de ne savoir
à quoi m'en tenir sur leur avenir. Je réclame donc ta bonne
amitié et je suis sûr d'avance que tu feras ce que tu pourras
pour obliger un ancien camarade qui te remercie et te serre la
main.
A toi de coeur. F. GRENIER,
Place du Louvre, 20.
P.-S. Ecris-moi un mot si tu veux que j'aille te présenter
mes deux fils.
Collection H. Jouin.
— François Grenier de Saint-Martin, peintre
et lithographe. Sa lettre ne réclame pas de commentaire. Les
deux fils de Grenier ont été peintres à l'exemple de leur père.

XLVI
Arsène Houssaye à David.
Candidature électorale.
Paris, avril 1848.
Mon cher Michel-Ange,
Je vais partir pour les élections de l'Aisne où je suis appelé.
J'y retrouverai mon ami Bergeron, mais je veux emporter
quelques lettres : une de vous, une de Lamartine, d'autres
de noms moins glorieux, mais non moins dignes.
Ma profession de foi se termine par ces mots : Vivre et mourir
pour la République! J'espère donc avoir le suprême honneur de
travailler avec vous à la régénération sociale. Aidez-moi, vous
DE DAVID D'ANGERS 347
qui êtes si digne par le coeur et par l'esprit. Un seul mot d'en-
couragement, je l'emporterai comme une espérance; vous avez
là-bas des amis inconnus, j'aurai le droit matériel de me dire
votre ami devant eux.
Salut, salut et fraternité.
Ar. HOUSSAYE.
Collection Er. Lemaître. — Cette lettre, qui nous est communiquée
par M. de Lovenjoul, a été publiée en 1890, dans une brochure de
M. Arsène Houssaye, ayant pour titre : « Une candidature en 1848. »
Cette brochure, nous écrit M. de Lovenjoul, imprimée à Laon, n'a
été tirée qu'à six exemplaires. Cela s'appelle une édition à a petit
nombre ».

XLVII
De Pignerolle à David.
Blessé aux « Journées de juin ». — Le Musée d'Angers.

Paris, le 26 juillet 1848.


Monsieur,
J'ai l'honneur de m'adresser à vous avec deux titres qui me
donneront droit à votre indulgence : je suis Angevin et artiste.
Depuis longtemps j'ai quitté Angers pour venir étudier à
Paris, et de là en Italie.
Le ministère de l'Intérieur m'a fait l'honneur de m'acheter
un tableau que j'avais mis cette année à l'exposition, sous le
titre de Pèlerinage à Lorette.
Le prix d'acquisition a dû subir une réduction que l'état
des finances nécessite. Mais M. Charles Blanc répondit qu'on
le placerait probablement au Luxembourg. Je n'ai pas la vanité
de croire qu'on l'y laissera longtemps.
Je viens donc vous prier, Monsieur, d'appuyer de votre
crédit une espérance qui, si elle est réalisée, me dédommagera
en me faisant un peu connaître.
Je serais bien heureux plus tard de voir mon tableau dirigé
sur la ville d'Angers, par le double motif que c'est ma ville
natale et que le directeur du musée, M. Mercier, a été mon
professeur à l'École militaire de La Flèche.
Si une blessure grave que j'ai reçue dans les Journées de
348 DERNIÈRES LETTRES

juin ne me retenait au lit, j'aurais voulu aller vous faire ma


demande de vive voix.
Je vous demande pardon de venir vous importuner au
milieu de vos graves préoccupations.
J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et obéis-
sant serviteur,
Marcel PIGNEROLLE,
Rue de Miroménil, n» n.
Collection David d'Angers. — Le tableau que Pignerolle souhaitait
de voir au Musée d'Angers fut déposé par l'Etat au Musée d'Orléans,
à la demande de M. Martin, représentant du peuple et maire
d'Orléans, en 1848. David s'était, sans doute, laissé distancer auprès
de Charles Blanc par M. Martin; mais il prit sa revanche en 1851.
Une Gondole vénitienne, peinture exposée par de Pignerolle au Salon
de 1850-1851, fut envoyée par l'Etat au Musée d'Angers.

XLVin
Texier à David.
Le Musée de sculpture.
Le i" août 1848.
Monsieur et ami,
Je ne vous ai pas remercié plutôt de votre lettre amicale,
parce que j'ai voulu avant tout donner suite à ma demande au
ministre, et comme j'espère bien que vous voudrez m'appuyer,
je vous remets copie de ma lettre pour que vous puissiez le
faire en connaissance de cause :
« M. le Ministre,
« Le comte de Clarac, conservateur des Antiques du Musée
du Louvre, commença, il y a déjà bien des années, un ouvrage
d'une grande utilité pour les beaux-arts, intitulé : Musée de
sculpture antique et moderne.
« Cette publication a occupé la dernière moitié de sa vie et
absorbé sa fortune. Il venait de corriger les dernières épreuves
de la 13e livraison, lorsque, le 20 janvier 1847, la mort est
venue l'enlever à la science.
« Associé dès l'origine à l'oeuvre de M. de Clarac, comme
DB DAVID D'ANGERS 349
collaborateur graveur, et chargé de la publication, je n'ai pas
voulu la laisser inachevée : la 13e livraison a été éditée. J'ai
mis la main aux deux dernières livraisons qui doivent com-
pléter l'ouvrage et qui sont nécessaires pour que le fruit de
tant d'études et de sacrifices ne soit pas perdu pour le pays.
« Seul dépositaire des plans,
des dessins et des notes de
M. de Clarac, je n'ai pas hésité à me rendre acquéreur d'un
ouvrage que je pouvais seul terminer. Mon avoir était trop
modeste pour y suffire ; mais j'ai pensé que l'Administration
ne me refuserait pas un appui éclairé pour l'achèvement d'un
travail véritablement utile aux beaux-arts et qui, d'ailleurs,
touche à son terme. Très peu de temps avant sa mort,
M. de Clarac avait demandé verbalement à M. le Ministre de
l'Instruction publique d'aider à la continuation de l'ouvrage
au moyen de nouvelles souscriptions. Son dévouement à la
science méritait cette haute faveur; sa mort inopinée, en
interrompant ses démarches, a suspendu la décision de l'Ad-
ministration. C'est sur cette demande, M. le Ministre, que
je viens aujourd'hui appeler votre attention. Les mêmes
motifs existent toujours de l'accueillir. Le Gouvernement
pourroit trouver un utile emploi des exemplaires de l'ouvrage
pour les bibliothèques départementales ; en outre cette subven-
tion auroit pour résultat d'assurer du travail et un salaire à
un grand nombre de dessinateurs, graveurs, littérateurs,
imprimeurs et marchands de papier. Enfin, M. le Ministre,
il ne s'agit pas pour moi d'une spéculation ; la publication de
l'ouvrage m'a coûté et me coûtera encore beaucoup; mais je
suis soutenu et encouragé par cette pensée qu'en continuant
l'oeuvre de mon savant ami, je poursuis un but essentiellement
utile aux arts et à ceux qui les cultivent.
« Veuillez ne pas perdre de vue cette considération et agréer
les respects, etc. »

Ne voulant pas abuser plus longtemps de vos moments, je


finis en vous assurant bien véritablement que ce n'est pas pour
moi seul que je sollicite; cet ouvrage employant beaucoup de
personnes, je dois m'assurer que je pourrai les payer avant
de les faire travailler, je ne saurois donc vous prier assez de
plaider la cause des artistes, car ils ont grand besoin que l'on
pense à les occuper.
3$0 DERNIÈRES LETTRES

Quand vous serez un peu débarrassé, et quand cela vous


conviendra, je viendrai mettre en ordre votre exemplaire du
Musée de sculpture, car je n'ai pas oublié vous l'avoir promis,
il y a bien longtemps, et si pour l'usage de l'atelier il vous
convenoit d'avoir quelques épreuves détachées, j'en ai à votre
service. Votre statue de Philopoemen se trouve pi. 392, donnée
avec la 12e livraison. Je fais dessiner maintenant toutes les
statues et les groupes qui ont été nouvellement apportés au
Louvre dans les salles de la sculpture moderne, du xvie au
xixe siècle.
Recevez de nouveau les remerciements de votre très dévoué
serviteur et ami, v. TEXIER,
3 50, rue Saint-Honoré.

Collection H. Jouin. — Victor Texier, mort en 1864, âgé de


quatre-vingt-sept ans, à la suite d'un accident de voiture, a été le
collaborateur le plus intelligent et le plus dévoué de Clarac. Le
Musée de sculpture antique et moderne renferme d'innombrables gra-
vures au trait dus à la pointe distinguée et fidèle de Texier. Dès
1822, Texier exposa les premières planches du Musée de sculpture.
A trente ans de date, on le voit, son zélé ne s'est pas ralenti.

XLLX
Forster à David.
Les graveurs en 1848.
Paris, le 9 août 1848.
Mon cher collègue,
Dans une récente réunion générale des artistes graveurs, on
a exprimé, en nobles termes, la gratitude de ses membres
pour ce que vous avez fait dans l'intérêt des arts et des artistes.
De plus, cette assemblée m'a chargé de vous prier d'user de
votre haute et légitime influence pour que dans l'emploi des
200.000 fr. décrétés pour les beaux-arts, celui de la gravure
soit reconnu. Hélas ! je puis vous le certifier, jamais les artistes
graveurs n'ont été si malheureux, un grand nombre sont dans
une navrante misère. Intervenez en leur faveur, je vous en
prie, et croyez-moi
Votre affectionné. FORSTER.
DE DAVID DANGERS 35 I
CollectionH. Jouin. — L'intervention généreuse de François
Forster, membre de l'Institut, en faveur des graveurs est à son éloge.

L
Guersant à David.
Le buste de Quintilien.

Paris, ce 15 septembre 1848.


Mon brave et ancien camarade,
Il y a quarante ans, c'était le titre qui nous unissait ; aujour-
d'hui, c'est celui de représentant du peuple que vos talens
et vos vertus civiques vous ont mérité.
Vous êtes dans cette honorable position en mesure de venir
en aide par la voix de la justice à vos concitoyens, les artistes.
Je suis sensible au serrement de main fraternel et à l'affec-
tion que vous m'avez témoignée mardi, lorsque je fesais partie
de la députation du Comité central des artistes, qui nous
avait chargé de vous exposer combien il était pressant de leur
venir en aide.
Forcé de vous parler de moi, je vous prie de vouloir bien
m'appuyer auprès de M. Charles Blanc, directeur des Beaux-
Arts, qui m'a promis un buste et une copie quelconque de
peinture à ma fille.
Je désirerais que ce buste soit un de nos braves guerriers
qui ont versé leur sang généreux pour la défense de nos lois.
Je serais heureux de remplir le rôle du véritable artiste qui,
par son travail, fait passer les héros à la postérité.
Vous acquerrez par ce fait un nouveau titre à ma recon-
naissance et au dévouement avec lesquels j'ai l'honneur d'être
votre très humble serviteur.
GUERSANT,
109, quai Valmy.
Collection H. Jouin. Pierre-Sébastien Guersant, élève de Car-

iellier, ne s'adressa pas inutilement à David. Dès 1848, le ministre
de l'Intérieur lui commanda, l'effigie d'un soldat il
non pas comme
l'eût souhaité, mais
un buste de Quintilien, qui fut exposé au
Salon de 1849 et placé ensuite à l'Ecole normale.
ART FR.
x 2j
352 DERNIÈRES LETTRES

1849

LI
Ducoux à David.
La statue de Papin. — Loison et Calmels.

Blois, 19 novembre 1849.


Mon cher David,
Mon beau-frère qui, par négligence, n'a pu être admis aux
premières épreuves de l'examen dont il a manqué l'heure, m'a
dit en arrivant que M. Loison s'était présenté à vous, chargé par
moi de la mission de vous demander votre désistement pour
la statue de Denis Papin. Je n'ai pas besoin de vous dire que ce
monument perdrait, à mes yeux, une partie de sa valeur, si
votre nom ne se rattachait pas à son érection. Mais voici un
autre prétendant que je n'ai découvert qu'hier et que je m'em-
presse de vous signaler.
Il y a ici à Blois, depuis quelques jours, un jeune statuaire
de Paris, nommé Anatole Calmels, qui a fait déjà pour l'hôtel
de ville de Paris une statue de Denis Papin, et qui cherche à
obtenir celle de Blois. Il m'a été adressé par des amis politiques
de Paris; vous devinez ce que j'ai dû lui dire. Cependant,
comme la réaction pénètre dans toutes les choses, même, en
apparence, les moins gouvernementales, il serait peut-être à
désirer que vous réitérassiez près du maire et du préfet les
offres que vous avez déjà faites. Vous prendriez pour cela pré-
texte d'une délibération du Conseil général qui, sur mon rap-
port, a voté dix mille francs pour la souscription, et d'une
autre délibération du Conseil municipal de Blois qui a renouvelé
son vote de six mille francs. Je ne fais plus partie du Conseil
municipal, mais le maire actuel, M. Péan, est un de mes amis
et vous est sympathique. Coupez donc court, d'un seul coup,
à toutes ces rivalités ténébreuses, et aussi indignes de vous que
du but qu'elles convoitent.
Je ne vous dirai rien, mon bon ami, de la triste époque où
nous sommes ; ma plume ne réussirait jamais à rendre ce que
DE DAVID DANGERS 353
j'éprouve. Dans quelques jours, j'irai passer quelques heures
à Paris, j'irai vous voir, nous nous épancherons alors.
D'ici là, que Dieu vous garde, et vive la République !!
Tout à vous de coeur.
Ducoux.

Collection H. Jouin. — Nous avons publié dans David d'Angers et


ses relations
littéraires (p. 228), une lettre du statuaire relative au
«
Denis Papin ». L'oeuvre ne fut inaugurée qu'en 1880, et c'est
Aimé Millet qui l'a exécutée. Les lignes qu'on vient de lire nous
instruisent sur les compétitions qui retardèrent pendant quarante
années l'hommage de la ville de Blois à Papin.

LU

David à Sabatier, sténographe.

Bernardin de Saint-Pierre. — Gerbert.

Paris, mercredi soir... (1849)

Mon cher Monsieur Sabatier,


Je vous ai écrit plusieurs fois pour vous prier de venir voir
la statue de Bernardin de Saint-Pierre, et pour vous remercier
de la lettre que vous m'avez envoyée, laquelle me sera très
utile pour composer les bas-reliefs du monument de Gerbert ;
je vous disais aussi combien je serais heureux de voir
M. Arnoud.
Venez donc, je vous prie ; je serai à mon atelier tous les jours
hors samedi prochain, mais dimanche je puis vous recevoir si
cela vous convient.
A vous de tout coeur.
DAVID D'ANGERS.

— Ce billet montre une fois de plus le soin


Collection Lovenjoul.
qu apportait David à s'assurer les conseils de lettrés pour la compo-
sition de ses ouvrages. Combien d'artistes, chargés de représenter
Jes scènes historiques, n'ont pas le même souci !
354 DERNIÈRES LETTRES

I850

Lin
Ducoux à David.

Simart. — Le monument de Papin.

Paris, 23 décembre 1850.


Mon cher David,
La question du monument Papin n'est pas, heureusement,
aussi avancée que vous l'a dit M. La Saussaye. Duban a eu la
pensée de se proposer, en indiquant à ia commission
M. Simart. La commission, composée d'élémens nouveaux et
dans laquelle je figure (extraordinairement) comme délégué du
conseil général, n'a pas statué sur le modèle, ni conséquem-
ment sur l'exécution.
J'ai besoin de vous voir à ce sujet, et si je n'étais obligé de
partir cette nuit pour me rendre à l'invitation des démocrates
de Nevers qui m'appellent au secours du représentant Malardier,
tué moralement et physiquement dans les cellules de la prison,
j'irais causer avec vous d'un objet dont je me préoccupe plus
que jamais.
Jeudi matin, au plus tard, de midi à une heure, j'irai vous
serrer la main. Jetez-moi un billet à la poste si cette heure ne
vous convenait pas.
Tout à vous de coeur.
Ducoux.
Rue de Bourgogne, 41.

Collection H. Jouin. — On a vu plus haut que les sculpteurs


Préault, Loison, Calmels avaient brigué l'honneur d'exécuter la sta-
tue de Papin. Simart entre en scène en 1850. Il est patronné par
Duban. Mais Simart n'a plus que quelques années à vivre. Il n'aura
pas le loisir de faire triompher son projet.
DE DAVID DANGERS 355

LTV
David à Morey.
Monument de Drouot. — Symbolisme des piédestaux.

1850.
Cher Monsieur Morey,
J'ai reçu en même tems que votre lettre celle de M. le
Maire qui me dit que votre dessin du piédestal a été adopté à
l'unanimité par les membres du Conseil municipal et qui m'en-
joint de me conformer aux dimensions que vous m'avez don-
nées.
A l'égard des bas-reliefs, je me suis occupé de leur composi-
tion. Les sujets de la Bataille et du Triomphe du jeune Drouot,
lors de son examen devant La Place, peuvent avoir i m. 20 de
largeur sur 1 m. de hauteur. Le sujet devant représenter
Drouot vieux au milieu de ses amis, et donnant de l'argent à des
Religieuses sera plus difficile à composer. Cependant, comme
j'ai l'intention d'indiquer l'intérieur de la chambre du général,
cela m'aidera à remplir l'espace qui restera libre au dessus des
têtes des personnages, ceux-ci devant avoir la même dimension
que ceux des deux autres bas-reliefs. A cet effet, vous m'obli-
gerez infiniment de me donner un croquis de l'intérieur de
cette chambre et de me dessiner un costume de Religieuse.
Puisque vous voulez bien me demander mon avis sur votre
dessin du piédestal, je vous répondrai franchement que je le
trouve de bon goût, mais je crois qu'il conviendrait mieux à
un monument destiné à un poète, à la statue de Callot, par
exemple. Selon moi, le piédestal d'un monument doit donner
l'idée du caractère moral de l'homme dont il est appelé à porter
la statue.
Les militaires, surtout les artilleurs, sont des hommes au
caractère grave et austère. La forme carrée fait naître une
impression de grandiose simplicité. Je sens que vous avez
voulu indiquer que la ville de Nancy, ayant à honorer la
mémoire de l'un de ses illustres enfants, devait mettre toute la
richesse la plus splendide dans sa manifestation. Cependant, à
356 DERNIÈRES LETTRES

l'égard de la forme octogone, je vous avoue que je crains


qu'elle ne soit molle, car la forme humaine étant cylindrique,
un piédestal carré fait un heureux contraste avec la statue qui
le surmonte. Je me trouve, à ce sujet, dans les mêmes senti-
ments que M. Monet qui était à mon atelier lorsque votre lettre
et le calque m'ont été remis. Mais le Conseil municipal ayant
pris une décision, vous n'avez à tenir aucun compte de mes
observations.
J'ai recours à votre obligeance pour un détail qui ne peut
embarrasser un architecte aussi distingué que vous. Je ne sais
comment me tirer de la gêne dans laquelle me mettent les
plans coupés de la plinthe et les petits crochets des angles qui
feraient porter à faux la jambe qui avance et l'affût de l'obusier.
Permettez-moi donc de faire une plinthe carrée, comme cela a
été admis dans tous les temps. On ne vous en saura pas mau-
vais gré, car on n'ignore pas que le piédestal est fait pour la
statue, et non la statue pour le piédestal. Je puis encore, si
vous l'exigez, retrancher un pouce en me gênant. Je me plais
à penser, Monsieur, que vous voudrez bien me faire cette
concession si indispensable.
J'écris à M. le Maire pour le prévenir que ma santé ne me
permet pas d'aller à Nancy, et je lui rappelle la décision que
nous avons prise avec l'ancienne commission. Je lui fais part
de mon opinion relativement au choix de la place de la Préfec-
ture, et je lui dis que je me conformerai à la décision du Conseil
municipal au sujet des dimensions adoptées par cette assemblée.
Les mouleurs sont en devoir de mouler la statue. Je m'oc-
cuperai avec activité des bas-reliefs qui vont nécessiter un
grand travail.
Croyez, mon cher Monsieur, à tous mes sentiments de
haute considération et à mon sincère dévouement.
DAVID.
Collection H. Jouin. — Nous possédons la minute autographe de
la lettre qui précède. Cette minute n'est pas datée. Mathieu-Prosper
Morey, architecte, élève de Leclère, prix de Rome en 1831, a été élu
membre correspondant de l'Institut en 1869. Il est l'auteur de
nombreux édifices, à Nancy, sa ville natale. Le piédestal du monu-
ment de Drouot, érigé en 1855, sur le cours Léopold, à Nancy, est dû
à cet artiste. C'est au sujet de ce piédestal que David s'entretient avec
DE DAVID DANGERS 357
lui. Voici, d'ailleurs, ce qu'écrivait le statuaire, en 1847, sur le sym-
bolisme des piédestaux : « Si j'exécute la statue de Drouot, je tâcherai
de faire adopter l'idée d'un piédestal qui me paraîtrait particulariser
l'artillerie, arme spéciale de ce général. Si on demandait aux artilleurs
de concevoir une base, ils la composeraient de canons, d'obusiers,
d'affûts, de drapeaux, le tout convenablement agencé et' relié, afin
de présenter un appui non moins solide que caractéristique. Aux
quatre angles, je voudrais placer un artilleur tenant en main soit un
écouvillon, soit tout autre instrument en usage dans son arme. La
statue du général dominerait ainsi ses soldats. On eût pu, pour la
statue de Mathieu de Dombasle, grouper en forme de piédestal des
instruments d'agriculture. » (Voir David d'Angers, etc., t. II,
pp. 62-63.) O" peut constater, par les lignes qui précèdent, que
Morey était loin d'entrer dans les vues de David en ce qui concer-
nait la composition du piédestal en question.

LV
David à Gigoux.
Le tombeau de Balzac.
1850 (?)
Cher am.,
Un rhume très opiniâtre m'a forcé de garder la chambre,
de ne voir personne afin de ne pas être obligé de parler pour ne
pas irriter les bronches. Voilà la raison qui m'a empêché d'aller
vous voir.
A l'égard du buste de Balzac, je vous engage à faire exécuter
un moule sur le marbre, par le mouleur Daguet, rue Guéné-
gaud, près la Monnaie, et ensuite à faire couler un bronze,
par M. Simonet, rue de la Perle, n° 22, au Marais. Il sera très
accommodant avec vous, soyez-en certain (en venant de ma
part).
Le modèle en plâtre qui a servi à l'exécution du marbre
est tellement détérioré qu'il est impossible de s'en servir
pour couler un bronze.
A bientôt, cher ami ; mille amitiés de tout coeur.
DAVID D'ANGERS.
Collection Lovenjoul. Balzac étant mort en 1850, sa veuve eut

la pensée d'ériger sur la tombe du romancier une réplique, en
bronze, du buste exécuté par David quelques années auparavant. Le
358 DERNIÈRES LETTRES

statuaire indique au peintre Jean Gigoux, son ami, le moyen de se


procurer une fonte, d'après le marbre que possède Mmc de Balzac.

1851

LVI
Auguste Hesse à David.
Hesse candidat à l'Institut.
18 février 1851.
Mon cher Monsieur David,
Je suis malade au lit. J'espère que je reprendrai bientôt mes
occupations, mais en attendant on fait des visites, et moi je suis
cloué à la maison !
Très peu de personnes me reconnaissent quelque talent.
Vous seul, mon cher Monsieur David, avez eu l'obligeante
amitié de vous rappeler de mes travaux ; aussi vous en aurai-je
toujours une grande reconnaissance.
Votre très dévoué et affectionné sarviteur.
Auguste HESSE.
Collection H. Jouin.
— Nicolas-Auguste Hesse se porta candidat à
l'Académie des Beaux-Arts en remplacement de Michel-Martin
Drolling mort le 9 janvier 1851. Alaux l'emporta sur Hesse. Celui-ci
ne fut élu que le 3 1 octobre 1863 en remplacement de Delacroix.

1852

LVII
Simart à David.
Candidature à l'Institut.
juillet 1852 (?).
Monsieur,
J'ai su toute la sympathie que vous avez bien voulu avoir
pour moi au moment où j'éprouvais la perte la plus cruelle.
Dans cette situation, il ne m'a pas été possible d'accomplir
les formalités suivies ordinairement par les artistes qui se pré-
DE DAVID D'ANGERS 359
sentent à l'Institut. Vous ne m'en avez pas moins donné votre
appui pour me faire porter sur la liste des candidats. Croyez,
Monsieur, que j'en suis profondément touché, et que je
sens, que j'apprécie tout ce que vaut l'estime d'un artiste de
votre mérite et de votre caractère. Croyez bien que je m'ef-
forcerai de m'en rendre digne.
Veuillez donc, Monsieur, agréer l'expression de la recon-
naissance de votre très obéissant serviteur.
SIMART.
CollectionH. Jouin. — Le commentaire de cette lettre ne laisse
pas de nous embarrasser. Simart fait
allusion, dans les lignes qui
précèdent, à la mort de sa première femme, fille de Jay, architecte,
professeur à l'Ecole des Beaux-Arts. Il parle en même temps de sa
candidature à l'Institut. A quelle date précise est morte Mme Simart ?
Gustave Eyriès, qui a consacré au statuaire une importante biogra-
phie de 600 pages in-8, a systématiquement banni toute date de
son ouvrage. Relisez les pages 288-289, vous y trouverez de curieux
détails sur la mort de Mmc Simart, mais sans aucune indication
chronologique. D'un autre côté, Simart est entré à l'Institut en
remplacement de Pradier, mort à Bougival, le 4 juin 1852. Il serait
aisé d'admettre que Mme Simart soit morte cette même année et que
son mari se soit vu empêché par son deuil de faire les visites accou-
tumées. Mais, s'il en a été ainsi, la lettre de Simart à David ne s'ex-
plique plus. En effet, en 1852, David était en exil. Nous avons
publié, dans David d'Angers et ses relations littéraires, une lettre du
statuaire écrite de Képhissia, le 18 juillet 1852, et dans laquelle
l'auteur de Philopoemen parle précisément de la mort de Pradier.
Dans ces conditions, David n'a dû avoir aucune influence sur ses
collègues de l'Institut relativement à l'élection de Simart. Nous
sommes en présence d'une énigme.

LVIII
Armand Toussaint à Mme David d'Angers.
Inauguration des monuments de Bernardin de Saint-Pierre et de
Casimir Delavigne au Havre.
Paris, le 23 août 1852.
Madame,
Si je n'ai pas répondu plus tôt à votre première lettre, c'est
que je ne suis rentré à Paris que samedi dernier, ayant séjourné
360 DERNIÈRES LETTRES

à Caen et à Rouen. J'ai voulu, avant d'y répondre, ainsi qu'à


votre seconde, me rendre chez le directeur de l'Illustration, et
lui demander ce que signifiait ce silence, sur le nom de l'au-
teur des deux statues, qui font en partie le sujet de l'article.
Selon le directeur, l'omission du nom de M. David est un
oubli tout à fait involontaire, « et pour preuve, m'a-t-il dit,
que nous n'avons aucun mauvais vouloir envers M. David,
reportez-vous à l'article que nous avons inséré relativement à
son buste de Canaris. » Il m'a promis de faire son possible
pour réparer cette erreur.
La cérémonie du Havre s'est parfaitement passée, autant que
pouvait se passer pour moi, et pour les amis de M. David, dont
l'absence laissait un vide, une fête dont il faisait en partie les
frais. Votre absence a été également remarquée, Madame. Vous
en jugerez par un article à la suite de celui sur l'inauguration,
inséré dans le journal du Havre, que je vous adresse en même
temps que la présente.
Le banquet a été très beau et très animé. Après plusieurs
toasts officiels, j'attendais avec impatience qu'une voix s'élevât
pour parler de mon maître, lorsqu'enfin, après beaucoup de
diplomatie pour en obtenir l'autorisation, un avocat, M. Hébert,
prit la parole et porta un toast énergique que vous trouverez à
la fin de l'article sur l'inauguration.
M. Hébert était précisément placé en face de moi. Très
émotionné de ses paroles, je suis allé au devant de lui pour tou-
cher mon verre au sien ; je lui ai serré la main et l'ai remercié
au nom de mon maître. A la fin du banquet, j'ai été le trou-
ver et causer avec lui sur l'incident. Pendant notre conversa-
tion, entouré de plusieurs personnes, j'ai fait la connaissance
du rédacteur en chef du journal du Havre, M. Brindeau, qui,
sur ma demande, m'a adressé à Paris deux numéros qui vous
sont destinés.
Puissent ces quelques paroles d'un des amis de M. David lui
remettre un peu de baume au coeur et lui faire espérer des
jours meilleurs, pouvant encore compter sur des amis dévoués.
Je joins aux deux journaux le seul programme qui se ven-
dait. C'est la copie exacte de la grande affiche officielle. J'ai été
surpris qu'on ait osé y faire figurer le nom de David d'Angers.
Veuillez, Madame, me rappeler au souvenir de mon bon
DE DAVID D'ANGERS 361

maître quand vous lui ferez parvenir ces quelques détails.


Je suis, Madame, avec un profond respect, votre dévoué
serviteur.
A. TOUSSAINT.

P.-S. Je passerai chez M. Charton afin de m'entendre avec


lui pour la reproduction des deux statues. Le fondeur a
envoyé chez moi pendant mon absence pour savoir ce qu'il
doit faire du plâtre du buste. J'attendrai, Madame, votre
décision pour lui donner une réponse.
Collection H. Jouin. — La fête à laquelle Armand Toussaint fait
allusion dans les lignes qu'on vient de lire est celle de l'inaugu-
ration des monuments de Bernardin de Saint-Pierre et de Casimir
Delavigne, qui eut lieu au Havre le 9 août 1852. A cette date, David
était exilé politique, et l'omission de son nom dans l'Illustration
avait ému l'élève du statuaire.

LIX
Simart à Mme David.

David jugé par ses pairs.

7 décembre 1852.
Madame,
J'ai entendu dire, par quelques-uns de mes confrères de
l'Institut, que M. David devait se retrouver au milieu de nous
dans le courant du mois de janvier. Je viens vous demander,
Madame, de vouloir bien me confirmer cette bonne et heu-
reuse nouvelle qui nous rendrait non seulement l'artiste émi-
nent que nous admirons tous, mais encore le coeur noble et
sincère auquel je suis pour ma part bien fortement attaché.
Veuillez agréer, etc.
SIMART.

Collection H. Jouin.
— Simart, nous venons de l'écrire, était entré
à l'Institut le 24 juillet 1852.
3Ô2 DERNIÈRES LETTRES

I856

LX
Victor Hugo à Mme David.

Réception du portrait de David.

Hauteville-House, 27 décembre 1856.

Merci, Madame, j'ai revu avec émotion cette noble tête. Si


vous avez jeté un regard sur mon dernier livre, vous avez vu
que je n'oublie pas David d'Angers. Mon esprit est fidèle au
puissant artiste, et mon coeur au vaillant citoyen.
Je mets, Madame, tous mes hommages à vos pieds.
Victor HUGO.

Collection J. Brivois.
— Nous avions supposé que les mots « cette
noble tête » s'appliquaient au buste du poète que Mmc David, peu
après la mort de son mari, restitua à Victor Hugo. Une note dans
ce sens a paru sous notre nom dans l'Intermédiaire. Nous avons été
contredit par des admirateurs du poète qui se sont effrayés de cette
parole orgueilleuse. Il ne nous coûte pas de chercher une autre
explication. Mme David fit parvenir aux amis de son mari une pho-
tographie très expressive dont s'est inspiré M. Hébert pour la com-
position du portrait de David exposé par lui en 1867. Il se peut
que Victor Hugo réponde ici à l'envoi de cette photographie. Victor
Hugo a parlé de David dans Napoléon le petit, mais, en 1856, l'ex-
pression mon dernier livre » ne saurait s'appliquer à ce pamphlet.
<x
APPENDICE

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

Nous avons signalé dans nos divers écrits sur David d'Angers un
nombre important de sources bibliographiques, livres, brochures,
journaux. Mais on sait combien il est malaisé de ressaisir à point
les articles, souvent circonstanciés, dispersés dans les publications
périodiques. Combien plus difficile encore est le recolement des
études et notices parues en province ! Une liasse de vieux journaux
conservés par David dans le fond de quelque tiroir nous échoit.
Nous parcourons anxieusement ces pièces, de valeur inégale, dont
nous n'avons pu profiter lors de la composition de notre biographie
du maître. Mais rien n'est perdu. Un homme d'esprit a dit que les
livres d'histoire devaient être recommencés au bout de cinquante
ans. A ce compte, notre étude parue en 1877 tentera la plume de
quelque écrivain dans trente-deux ans. L'édition première sera-
t-elle épuisée ? Mystère ! Mais ce qui ne fait pas doute, c'est que le
biographe de David aura disparu. Laissons donc à celui qui vient, et
que nous ne connaissons pas, les documents qu'il aurait quelque
peine à découvrir. Qui sait s'il ne nous saura pas gré de cette
attention !
Dans le relevé qui va suivre, nous grouperons d'abord les études
ayant un caractère biographique, puis nous donnerons place aux
articles de critique, en les réunissant sous le titre de l'ouvrage
auquel ils se rattachent.
H. J.

DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES

PROSE

n° du 18 avril 1830. — Lettre de Goethe à David, datée


Affiches d'Angers,
de Weimar, 15 mars 1830. — Cette lettre est la même que celle publiée
par nous dans David d'Angers, etc. (t. I, p. 575), mais un certain nombre
de phrases diffèrent dans les deux textes. La version donnée en 1830 est
364 APPENDICE
due à M. Théodore Pavie; celle que nous avons publiée était de
Mme David. Nous n'avons pas eu à notre disposition le texte allemand.
Affiches d'Angers, n° du 27 mai 1832. — Article sur les envois du statuaire
au Musée d'Angers. Non signé.
Afficlxs d'Angers, n" du 12 mars 1835. — « David d'Angers, statuaire. »
Article de J.-Jérôme Kajsiewicz.
Affiches d'Angers, n° du 5 décembre 1835. — Article sur les Expositions
angevines par V. P. (Victor Pavie). Un passage important concerne David.
Vert-Vert, galette ic Paris, n° du 17 août 1837. Biographie du statuaire.
Non signée.
L'Intelligence, journal du droit commun, n° de septembre 1837. Biographie
du statuaire. Non signée.
Le National de TOuest, n°* des 27 novembre 1839, i« et 5 février, 23 sep-
tembre 1840 et 20 juillet 1841. Intervention de David en favevr de Suc
pour l'exécution de la statue de La Tour d'Auvergne que l'on se propose
d'ériger. Marochetti se porte compétiteur.
Le Facteur, journal de l'arrondissement d'Ussel (Corrèze), n°« des 30 juillet,
20 et 27 août, 10 et 24 septembre 1839. Biographie du statuaire, par
Wains-Desfontaines.
Galette des médecins-praticiens, n° du 24 mai 1840. Étude sur Bra et David,
par Amédée Latour.
Affiches d'Angers, n» du n juillet 1840. Article non signé sur les oeuvres du
statuaire qui manquent à son Musée.
L'Indicateur de THéranlt, n°du 15 avril 1842. Voyage du statuaire à Béziers
Non signé.
Affiches d'Angers, n» du 10 juin 1842. Étude sur les oeuvres du statuaire en
cours d'exécution. Non signé, mais doit être de Victor Pavie.
L'Artiste, n°» des 17 et 24 mars 1844. Intérieur d'atelier : P.-]. David,
par Alphonse Esquiros.
POÉSIE

Epitre à M. P.-J- David, statuaire, auteur du monument de Bonchamps,


exposé au Salon de 1824, par son compatriote et son ami L. Pavie.
Angers, impr. L. Pavie, 1824, in-12.
Le Trilby, album des Salons, n» du 2 décembre 1829. « A David le sta-
tuaire, » par Mm« Waldor.
Le Neustrien, n° du 11 janvier 1^30 « A M. David statuaire, » par Rous-
sel, des Andelys.
Le National de TOuest, n° du 26 novembre 1839. « Éloge de David, » par
Mme Urbain Chartier.
L'Indicateur général de Seine-et-Marne, n" du 15 février 1840. « Au sta-
tuaire, » par Bathild Bouniol.
L'Intelligence, journal du droit commun, n° sans date. « A David, » par Louis
Voitelain.
CRITIQUES

LA JEUNE GRECQUE AU TOMBEAU DE MARCO BOTZA1US

du 15 septembre 1833. Strophes de Marceline


Affiches d'Angers, n»
Valmore. — Le Charivari, n° du 16 août 1834. — VAvant-scène, n° du
1" septembre 1834. — Le Foyer, n° du 2 septembre 1834. Articles non
signés.
FÊNELON

Ode à Cambrai, sur l'inauguration de Fénelon, par Miel, 1827, in-8°.

LA FAYETTE
Figaro du 25 mars 1829.

LE DÉPART DES VOLONTAIRES


(Bas-relief de la Porte d'Aix à Marseille.)
Affiches d'Angers, n° du 14 juillet 1835.

CUVIER
(Statue érigée à Montbéliard.)
Affiches d'Angers, n° du 8 octobre 1835.

LE FRONTON DU PANTHÉON

Le Charivari, n° du 29 juillet 1837. Article d'Alphonse Esquiros. —


L'Ami de la Charte, National de VOuest, n° du 13 août 1837. Strophes
signées « Un Vendéen ». — L'Intelligence, n° de septembre 1837. Article
non signé. — La Phrênologie, n° du 10 septembre 1837. Article de C. Place.

SAINTE CÉCILE
du Ier mars 1836. Article non signé. — N» du
Affiches d'Angers, nOJ
17 mars 1836. Stances par Adrien Maillard. — N» du 7 août 1838. Article
de Victor Pavie.

LE JEUNE BARRA

Vert-Vert, n° du 20 février 1839. Article non signé.


366 CRITIQUES

AMBROISE PARE

Annonces et avis divers de la Mayenne, n° du 25 juillet 1840. Article non


signé.

GUTENBERG

Fêtes de Gutenberg. Cortège industriel de Strasbourg, 25 juin 1840. A


Strasbourg, che\ E. Simon (1841), pet. in-fol. obi.
Suite complète de 48 pi. lithogr. en couleur, très curieuses, représentant
le défilé de toutes les corporations industrielles qui composaient le cortège
formé à l'occasion des fêtes données par la ville de Strasbourg pour l'inau-
guration de la statue de Gutenberg, et la célébration du quatrième anniver-
saire séculaire de l'invention de l'imprimerie, les 24, 25 et 26 juin 1840.
Cet album est accompagné d'un vol. de Description : Relation des fêtes de
Gutenberg célébrées à Strasbourg, etc. Strasbourg, Simon, 1841, in-8° de
172 pp. orné d'une vue de la statue de Gutenberg.
La suite des estampes en couleur n'a été tirée qu'à quelques exemplaires
et est devenue très rare.
LE PÈRE VANIÈRE

fourmi de Béliers, nos des 18 juin 1841 et 5 août 1842. Articles non
signés.

BICHAT
(Monument érigé à Bourg.)

Courrier de l'Ain, nos des 16 juin 1840, 27 janvier, 26 mars 1842 et


23 février 1843. Articles non signés. — Journal de VAin, n° du 21 mars
1842.
LE GÉNÉRAL GOBERT

Le Charivari, n° du 7 novembre 1842. Poésie par Alphonse Esquiros.

HAUDAUDINE
Le Régulus nantais.
(Voir plus haut lettre du 27 jutllet 1843, p. 333.)

Extrait d'une lettre de M. Dugast-Matifeux, de Nantes, président de la


commission de la Bibliothèque de la Ville, à M. Charles Marionneau (1882).
« Je sais qu'il existe un médaillon d'Haudaudine par David d'Angers,
mais je ne l'ai jamais vu. Je connais seulement un petit buste ou statuette
CRITIQUES 367

en bronze que m'a montré Mme Vv« Perchais, qui demeure rue du Calvaire,
n° 24, maison de la Brosserie (fabrique de brosses), et dont le mari fut l'un
des héritiers d'Haudaudine. Il me vient un soupçon : au lieu d'un médail-
lon, ne serait-ce point plutôt une statuette qu'aurait exécutée David"} En
tout cas, ce travail, quel qu'il soit, ne doit pas dater de 1829, car je tiens
de feu M. Sotta, à qui l'on doit les deux portraits peints du « Régulus nan-
tais » existant aujourd'hui, que jamais le modèle n'avait posé devant un
artiste avant 1843, époque où il y travailla. Haudaudine avait alors 85 ans,
il ne se souciait même pas de se laisser peindre, ce furent les Perchais et
les Vauversy, ses neveux, qui l'y déterminèrent. Voilà ce que je puis vous
dire comme le tenant de M. Sotta, que j'allai voir lorsque je m'occupais de
la notice d'Haudaudine. »
M. Dugast-Matifeux, toujours bien informé sur les questions d'art en ce
qui concerne la région nantaise, est, cette fois, dans l'erreur lorsqu'il sup-
pose que David aurait modelé une statuette d'Haudaudine et non une
médaille. David est explicite sur ce qu'il a fait. Sotta n'est pas mieux ren-
seigné lorsqu'il avance que le « Régulus nantais » n'aurait posé devant
aucun artiste antérieurement à 1843. Haudaudine, s'il a tenu le propos que
lui prête Sotta, ne s'est pas souvenu de la séance obligeamment accordée
par lui à David en 1825. On trouvera d'intéressants détails sur Haudaudine
dans l'ouvrage Souvenirs d'un vieux Nantais, 1808-1888. NANTES, 1888,
1 vol. in-i2, cart. 265 pag., fig. (Tiré à un très petit nombre d'exem-
plaires.) Le peintre Sotta, mort à Nantes il y a près de quinze années, fut le
premier maître d'EHe Delaunay.

NOTES COMPLEMENTAIRES
ORDRES FRANÇAIS OU ÉTRANGERS CONFÉRÉS A DAVID

11 janvier 182s. — Chevalier de la Légion d'honneur.


1835. — Chevalier de l'Ordre du Sauveur(Grèce).
22 mars 1844. — Décoré de la croix de l'Ordre du Mérite de Saxe.

NOMINATIONS A DES TITRES DIVERS DANS DES SOCIÉTÉS SAVANTES


OU LITTÉRAIRE DE FRANCE ET DE L'ÉTRANGER

il février 1826. — Membre correspondant de la.Société d'Émulation de


Cambrai.
20 novembre 1828. — Membre correspondant de la Société des Beaux-
Arts de Gand.
10 mai 1831. — Associé honoraire de la Société établie à Genève pour
l'avancement des arts.
2 décembre 1832. — Membre titulaire de la Société Phrénologique de
Paris.
AKT F». JC 24
368 NOTES COMPLÉMENTAIRES

2 janvier 1833. — Associé résidant de la Société Philotechnique de Paris.


23 septembre 1833. — Membre de l'Académie de Goettingue.
8 juillet 1835. — Co-protecteur de la Société Polytechnique polonaise.
15 janvier 1837. — Membre correspondant de la Société archéologique
de Béziers.
Ier mars 1838. — Membre du Directorium Albrecht Durer Venins in
Nuremberg.
23 août 1839. — Membre ordinaire delà Société Ethnologique de Paris.
8 janvier 1840. — Membre honoraire de la Société d'Agriculture,
Sciences et Arts d'Angers.
14 décembre 1840. — Membre de la Société des Monuments historiques
de France.
15 janvier 1841. — Membre de l'Institut archéologique de Rome.
25 mai 1841. — Membre honoraire de la Société Arti et Amkitiae
d'Amsterdam.
2 décembre 1843. — Membre libre de l'Institut des Beaux-Arts de
Londres.
10 février 1844. — Membre ordinaire et étranger de l'Académie des
Beaux-Arts de Berlin.
8 janvier 1847. — Associé de l'Académie royale de Belgique.
11 août 1848. — Membre correspondant de la Société des Sciences, de
l'Agriculture et des Arts de Lille.
6 septembre 1853. — Membre agrégé de l'Académie royale des Beaux-
Arts d'Anvers.
19 février 1854. — Membre honoraire de la Société Dunkerquoise.
TABLE
ANALYTIQUE ET RAISONNÉE
DE LA DIXIÈME ANNÉE

CO-

SIGNES ET ABRÉVIATIONS :

A. signifie Architecte. — Aq., Aquarelliste. — Art. dr., Artiste drama-


tique. — Art. lyr., Artiste lyrique. — Br., Brodeur. —Carie, Caricaturiste.
— Cér.,
Céramiste. — Cis., Ciseleur. — Comp., Compositeur. — Dess.,
Dessinateur. — Éd., Éditeur. — Ém., Émailleur. — Fond., Fondeur. —
G., Graveur. — Gr. en méd., Graveur en médailles. — Hist., Historien.
Imp., Imprimeur. —Jo., Joaillier. — Lap., Lapidaire. — Lith., Litho-
graphe. — Méd., Médailleur. — Men. éb., Menuisier ébéniste. — Mod.,
Modeleur. —Mon., Monnayeur. —Mos., Mosaïste. — Orf., Orfèvre. —
P., Peintre. — P. sur porcel., Peintre sur porcelaine. — P. verr., Peintre
verrier. — Phot., Photographe. — Se, Sculpteur. — Stuc, Stucateur. —
Tap., Tapissier. — Verr., Verrier.
Le mot Bibliogr. indique un article bibliographique spécial ou une men-
tion d'ouvrage.
Un astérisque (') précède les noms de lieux.

ACADÉMIE — ANGERS

Académie de France (Archives de F), *Andelys (les), 364.


305. •Angers, 182, 183, 202, 203, 206,
Adam (Nicolas-Sébastien), se, 75, 211, 237, 238, 255, 260, 262,
76. 264, 272, 276, 280, 283, 321,
AJfklxs d'Angers, journal, 206, 363, 35L 334, 335, 339, 347-
364, 365.
Aiguillon, consul, us. — Archives municipales, 172, 174,
198.
Ain (Courrier de T), 366. — Archives du Petit - Séminaire
Ain (Journal de V), 366. Mongazon, 248, 264, 267.
*Aix, 120, 139, 221, 222, 228.
Alaux (Jean), p., 358. — Bibliothèque, 179, 238, 241,
260, 274, 278, 330.
Alexandre le Grand, 137. — Cabinet d'Histoire naturelle, 179.
Almanach du Mois (1'), 269.
Alton (d'), 318. — Cathédrale, 281, 327.
Ami de la Charte (T), journal, 365. — Dépôt de mendicité, 207.
'Amsterdam, 368. — Ecole centrale, 217.
— Ecole de médecine, 175, 176.
370 ANGERS — BERTON

— Mairie, 328. 5!ÏÏe-,.i27I,*îî6"z*î8' î57'358-


— Musée, 169-171, 175, 176, 179, Médaillon, 260, 261, 332.
199, 200, 202, 206, 237-239, Balzac (Mme de), 358.
245, 246, 330, 347, 348. Bandol (Vue du golfe de), 2, 22-26.
— Pont du Centre, 251, 340. Banvillle (de), écrivain, 302.
— Société d'Agriculture, Sciences Barba, libraire, 306.
et Arts, 368. Barbier (Auguste), poète, 216.
Angiviller (le comte d'), 2, 68-93. •Barcelone, 257.
Anjou (le comte d'). Voy. Robert Baron (Jean), 103.
le Fort. Barra (Joseph), soldat de la Répu-
Annonces et avis divers de la Mayenne, blique. Statue, 327-328, 365.
journal, 366. Barrère de Vieuzac, conventionnel,
Antibes (Vue du port d'), 2, 3,8-15, 320, 333, 335. Médaillon, 230-
17, 22-26,41. 231.
'Anvers (Belgique), 368. Bart (Jean), marin. Statue, 272,
Appelle, p., 137, 152. 274, 275,277, 278.
Arago, capitaine d'artillerie, 235. Barthélémy (Auguste-Marseille),
Arago (François),astronome. Buste, poète, 214-21$.
240, 241, 270. Basan, 74.
Archives de Fart français, 1, 2, 4, 6, Baudoin, 186.
7, 8, 53,64, 65. Bayonne (Vues de), 2, 22-46, s 3, 54,
Archives de l'art français (nouvelles), 59-
93, m- Beauregard (de), 246.
Archives de l'Aisne,
, 109, ni. Beaurepaire (Nicolas -Joseph de),
Argenson (comte d'), 4, 5. commandant, 278. Statue, 250,
•Arles, 113-115, 123-125, 129, 134, 251, 262, 263, 279, 282, 288,
140, 142, 152-155, 157, 159- 291, 292, 296, 297, 334, 339,
164, 166. 340, 341.
•Armentières, 211. Béclard (Pierre-Augustin), médecin,
Arnoud, 355. 180, 181.
Artiste (/'), journal, 272, 280, 286, Bedfort (le duc et la duchesse de),
364. S2-
Asturies (le prince des), 81-85. Belliard, dessinateur, 298.
•Athènes, 174. Bellot (Etienne), notaire, 111.
Aubigné (le marquis d'), 66. Belmas (Mgr), évêque de Cambrai,
Auguste (Jules-Robert), p. et se, 184-185.
305. Belmont. Voy. Sarrazin (Mll<=).
Autographe (/'), journal, 237, 262. Belon (Mf), 340.
Avant-scène (T), journal, 365. Béranger (Pierre-Jean de), poète,
•Avignon, 3,47-
197, 229.
— Bibliothèque, 1. Bérard (Auguste-Simon-Louis),
— Musée, 235. député. Médaillon, 219.
Avignon (Vue du port d'), 90.
•Avrillé (Maine-et-Loire), 203. Berger jouant de la flûte, statue, 175,
Ayrault (Pierre), 272. 176.
Bergère des Alpes (la), peinture, 5S-
Bergeron, 34e.
B... (cabinet), 172. •Berlin, 316, 318, 368.
Baccarit, a., 107. Bernier (l'abbé), 248, 264, 267.
Bailly, garde des tableaux
^ du Roi, Berry (le duc de), ioo.
21, 26, 52, 66, 67, 71, 72. Berryer, ministre de la marine, 44,
Ballanche (Pierre-Simon), philo- 45-
sophe, 197-198. Berton (Henri Montan), comp-
Balzac (Honoré de), romancier, 168. Médaillon, 264, 265.
BERTRAND — CETTE 37!
Bertrand (Louis, dit- Aloysius), Bouniol (Bathild), poète, 364.
poète, 25 S-257- •Bourg (Ain), 263, 366.
Besançon (Académie de), 195, 196. Bourgeois (Maximilien), se, 251.
Besnardière. Voy. La Besnardière. Bovet (Alfred), collectionneur, 6.
Besnier, marguillier, 107, 108, 109. Bra(Théophile), se, 364.
Bessière(Gabriel de), a., 103. Brandt(C), 261.
Beùte(M'), 318. Brebion (M*), 92.
Beyle (Henri). Voy. Stendhal. Brillet. Voy. Villemorge.
•Béziers, 239, 258, 259, 364, 368. Brindeau, journaliste, 360.
Béliers (Journal de), 366. Brion (Isidore-Hippolyte), se, 329-
Bichat (Marie-François-Xavier), 33°-
physiologiste. Statue, 263, 366. Brissac (le duc de), 182.
Billard (Charles-Michel), médecin. Brivois (].), collection, 362.
Buste, 206, 207. Brunet-Debaines,a., 294.
Blanc (Charles), écrivain, 269, 3 36, Brunville (Deflandre de), 99.
347,348, 3Si- •Bruxelles (bibliothèque de), 295,
Blanc (Louis), écrivain, 269. 322.
*Blois (Loir-et-Cher), 352, 353. Buonarroti (Michel- Angiolo), p.,
Blordier-Langlois (André), écrivain, se et a., 230, 268.
272. Burty(Philippe), écrivain, 242, 301.
Blosseville (Jules - Alphonse- René Butay (Claude), p., 103, 106.
Poret, baron de), navigateur. Butay (Jean), p., 103, 105.
Portraits, 298-299. Butay (Robert), p., 102-106.
Blosseville (Benigne-Ernest Poret, Butay (Suzanne), 102-106.
vicomte de), publiciste, 298-299.
Bodin (Jean-François), hist., 178,
179. Cabinet de F Amateur, 336.
Boizot (Louis-Simon), se, 81, 95, Cadeau (René), p., 239.
96. •Caen (Calvados), 360.
Bonaparte (le général). Profil, 320. Cailleux(A. de), a., 23s, 277, 285.
Bonchamps (Artus de), général ven- •Calissanne, 114-116, 121, 124,
déen. Monument, 177, 178, 181. 125, 129-131, 134-136, 139, 141-
182, 185, 186, 188, 275, 276, 143, 145, 146, 150, 152-166.
280, 296, 297, 333, 334, 364. Callet, p., 02.
Bonnassieux (Jean), se, 332. Calmels (Célestin-Anatole), 344,
'Bordeaux, 219. 345, 354-
— Hôtel de Ville, 30, 32. •Cambrai, 183-185, 367.
Bordeaux (Vues du port de), 2, 12- — Archives municipales, -183.
31, 35,41, 52. Canaris (Constantin), marin grec.
Bordillon (Grégoire), homme poli- Buste, 360.
tique, 219. Canova (Antoine), se, 280, 336.
Boreau. Voy. La Besnardière. •Carlsbad, 271.
Bosio (Jean-François-Joseph), se. Cairel (Armand), publiciste. Statue,
33°, 345- 246, 247, 323, 324.
Boscher (Pierre), libraire, 110. Carrier (Auguste-Joseph), p., 327-
Botzaris (Marco), général grec. Tom- 328.
beau, 365. Cartellier (Pierre), se, 351.
Boucher (M«), notaire, 105. Cauchois-Lemaire, 229.
'Bougival, 359. Cave (François),directeurdes Beaux-
Bouille (Arthur, comte de), 181, Arts, 337.
182, 186. Cécile (sainte). Statue, 239, 365.
Boulanger (Louis), p., 261, 312- •Céphisia. Voy. Képhissia.
315. Médaillon, 191, 192. Cette (Vue du port de), 2, 4, 6-15,
Boulanger (Mlle), 312. 17, 18, 22-26, 41.
372 CHALGR1N — DAVID
Chalgrin (Jean-François-Thérèse), Constant-Dufeux (Simon-Claude)
a., 94. a., 336.
Champmartin (Charles-Emile), p., Conty (le prince de), 103.
305. Coq en bronze, 198.
•Champtoceaux (Maine-et-Loire), Coquilhat, procureur, 139.
18,. Coquille (la), vaisseau, 298.
•Chapelle (La) Maine-et-Loire, 182. Cornemin (Louis de), publiciste,
Chapmann (Montague), 203-204. 246-247
Chaponnière (J.-E.), se, 311-312. Corneille (Pierre), poète. Statue, 206,
Charavay (Etienne), 47, 68. 207, 211, 212, 242, 243.
Chardigny (Barthélémy), se, m- Cotteau, 182.
168. Cottenet (E.), collectionneur, 172.
Chardin (Jean-Baptiste-Siméon),p., Coulanges (Mm« de), 169.
26,79. 'Coulommiers, 250.
Chardon (Jean), se,, 294, 295. Courrierfrançais, journal, 262.
Charivari (le), journal, 365, 366. Couturier de Vienne (H.-J.-B.),
Charlemagne. Statue, 220. publiciste, 272.
Charles V. 100. Crouchandeu, 270.
Charles VII, 100. Cuvillié ou Cuvillier, 69, 82.
Charlet (Nicolas-Toussaint),p., 168' Cuvier (Georges), naturaliste, 194-
222. 195. Statue, 237, 365. Buste,
Chartier (Mme Urbain), poète, 364. 206, 207, 211, 212, 214.
Charton (Edouard), 361. Cuvier (Mme veuve Georges), 207.
Chateaubriand (François-René, vi-
comte de), écrivain, 168, 216.
Chenay (Paul), 261. Daguerre (Louis-Jacques-Mandé),
Chénier (André), poète. Buste, 266. p., 246, 247.
Chevallier, marguillier, 107-109. Daguet, mouleur, 357.
Chevreul (Eugène), chimiste, 202. Daly, écrivain, 247.
Médaillon, 217-218. Danneker, p., 319.
Choiseul (le duc de), 43, 44, 45, Danton (Georges-Jacques), conven-
57, 58. tionnel. Portrait, 340.
•Choisy, 63, 64. Davin(Mr), 287, 288.
•Cholet (Maine-et-Loire), 243-245, Davin (Mme Césarine-Henriette -
291. Flore, née Mirvault), p., 288.
municipales, 244, 245, Dassy (Léon), écrivain, 228.
— Archives Daunou (Pierre-Claude-François),
291.
Choudieu, 341. homme politique. Buste, 331.
Christ (le), 106-109. David père (Pierre-Louis), se, 304,
Clarac (le comte de), écrivain, 348- 328.
David d'Angers (Pierre-Jean), se,
350. 168, 368. Portraits, 294, 362.
•Clermont, 184, 186.
David d'Angers (Emilie Maillocheau
Clinchamp (Victorde), p., 298-299. M™), 203, 206, 209, 240, 246,
Cochin (Charles-Nicolas), gr., 2, 249, 251, 254-257, 276, 283,
11, 12, 18, 20, 21, 23, 24, 26, 287, 293, 294, 300, 301, 313,
27, 59, 65, 67, 70, 73, 74, 77, 317, 318, 322, 337, 338, 359"
78. 362, 364.
Combes, a., 88. David d'Angers (Robert), se, 234,
•Compiègne, 20, 239. 240, 275, 318.
Condé (Louis II, prince de), dit le David d'Angers (Hélène). Voy.
Grand Condé, capitaine. Statue, Leferme (M™=).
188, 198, 199, 274, 306, 307. David (Jacques-Louis), p., 87, 88,
Condorcet (J. A. N. de), 292. 279, 280, 284, 285, 344-
DECAMPS — FLOCON 373
Decamps(Alexandre), écrivain, 323- Dupré(Augustin), gr. en méd., 309,
326. 310. Médaillon, 211, 213.
Delaage (le général Henri-Pierre). Dupré (Louis), p., 201.
Buste projeté, 253, 254, 297. Durande (Amédée). hist. Son ou-
Delacour (Félix), musicien, 244, vrage : « Joseph, Carie et Horace
245- Vernet, » cité, 3.
Delacroix (Eugène), p., 242-243, Durer (Albert), p. et g., 368. Sta-
319, 320, 323, 335, 358. tue, 318.
Delaroche (Paul), p., 242, 269, 310. Duret (Francisque), se, 317, 337.
Delarue, 261. Durieux (A.), écrivain, 183.
Delaunay (Elie), p., 367. Durival, 84.
Delavigne (Casimir), poète, 183- Duseigneur (Jehan), se, 310, 311.
184. Statue, 286, 294, 359-361.
Delpech (M"c), 298. Eggers, collectionneur, 250, 289.
Demilly (Me), procureur au Châte- Encyclopédie (/'), publication, 232,
let, 94, 95- 233-
Dentu, éditeur et collectionneur, Enfant à la grappe (T), statue, 233,
290. 234.
Descemet (le docteur Jean), 96. Enfant prodigue (Parabole de V),
Descente de croix, 113, 114, 116, 120, peinture, 83.
123, 129, 141, 143, 144, 146, Epaminondas, bas-relief, 168, 169.
147, 149-152, 154, 158, 160. Esmeralda et Quasimodo, groupe,
Des Forges, 103. 310.
Devaux (le maréchal comte). Buste, Esquiros (A.), poète, 364-366.
3 31- •Estagel, 270.
Devéria (Achille), p., 313. Experton, se, 331-332.
Devéria (Mmc Achille). Médaillon, Eynard(J.-C), philhellène. Médail-
3!3- lon, 186, 187.
Devéria (Eugène), p., 312. Eyries (Gustave), hist., 359.
Dieppe (Vue du port de), 2, 22-26,
55-58, 60,63-65, 77,90. Fabre. Voy. Pavie (M™).
•Dijon (Côte-d'Or), 257. Fâche (René), se, 235, 236.
Dombasle (Mathieu de), agronome. Facteur (le), journal, 364.
Statue, 286, 287, 357. Faniez (Mr), 273.
•Douai (Nord), 236. Farcy (Auguste), 261.
Douay (M»"), 93, 94, 96- 97, 99- Farran, d'Angers, 263.
Douleur (la), buste, 168, 169. Fénelon (François de Salignac de La
Drolling (Michel-Martin), p., 340, Mothe), archevêque de Cambrai.
3S8. Statue, 182-185, 365. Buste, 190,
Drouot (Antoine, comte), général. 191.
Monument, 283, 284, 355-357. Féraud, entrepreneur, 113, 114,
Duban (Félix-Jacques), a., 354. 115, 140, 155-
'Dublin, 203. *Ferté-Milon (La), 189, 211, 213.
Dubreuil, avocat, 139. Fétis (F.-J.), musicien et hist., 265.
Dubrunfaut, collection, 220, 231. Feuillet, 232, 233.
Ducoux député, 352-354. Figaro (le), journal, 365.
Dugast-Matifeux, écrivain, 366-367. Fillon (Benjamin), archéologue, 70.
Dumas (Alexandre), romancier, Flajoulot(Charles-Antoine),p., 195-
203, 204, 215, 216. 196.
Du Metz (Gédéon), garde du Tré- •Fléchay (Maison du), 203.
sor, 106. Fleurus (Bataille de), bas-relief, 255-
Dumnacus. Médaille projetée, 340. 256.
Dupin aîné (A.-M.-J.-J.), homme Flocon, ministre de l'agriculture,
politique. Médaillon, 191. 288.
374 FLORENCE — HAVART
•Florence, 267. Gomel, procureur au Châtelet, 90.
•Fontainebleau (château de), 58, Gondole vénitienne, peinture, 348.
229. Goujon Gean), sc-, IO*>-
Forbin (Louis-Nicolas-Philippe-Au- Goupil, se, 330.
guste, comte de), p. et écrivain, Grandin (G.), conservateur du Mu-
309,311. sée de Laon.—Procuration donnée
Forestier, dess., 33s. par le peintre Maurice-Quentin de
Forlet (Auguste), g., 261. La Tour à un libraire de Laon,
Forster (François), g., 350-351. 109-m.
Foy (Maximilien-Sébastien, géné- Granet (François-Marie), p., 309,
ral). Monument, 200, 201, 202, 310, 345.
206, 207. Gravia, miniaturiste, 88, 89.
Foy (M1"), 206, 207. Grenier de Saint-Martin (François),
Foyer (le), journal, 365. p. et lith., 343-346.
François I«. Buste, 192, 193. •Grenoble (Isère), 340.
Froment-Meurice(François-Désiré), Grille (François), bibliothécaire, 278,
orf, 300, 301. 279, 288-290, 308, 320, 321, 330,
Froment-Meurice (Mme veuve), 300, 33i, 333-335, 339-342.
301. Grille(Toussaint),amateur, 178-179.
Gros (Antoine-Jean, baron), p.,
Gaignières, 100. 328.
*Gand (Belgique), 367. Grouchy(le vicomte de). — Le con-
Garnier (François-Claude), médecin. trat de mariage de Charles Le
Buste, 282. Brun, 101-106.
Gassier, avocat, 167. Guérin (Pierre-Narcisse, baron), p.,
Gaucher de Trainou. Voy. Jean 312, 313, 344-
d'Orléans. Guérin (Mr), 236.
Gaulle (Edme), se, 213. Guersani (Pierre-Sébastien), p., 351.
Gautier (Théophile), écrivain. Mé- Guibert(J.-Honoré), se, 4, 10, 95-
daillon, 273. 96.
Galette des médecins-praticiens, 364. Guibert (Virginie), 95.
GeoffroySaint-Hilaire (Isidore), zoo- Guiffrey (Jules), directeur de la
logiste, 277, 278. Manufacture nationale des Gobe-
Gérard (François-Pascal, baron), p., lins. — Correspondance de Joseph
242, 310. Vernet avec le directeur des bâti-
Gerbert. Voy. Silvestre II. ments, sur la collection des ports
•Genève (Suisse), 367. de France, 1-99. — Le contrat
Gigoux (Jean), p., 357, 358. de mariage de Charles Le Brun,
Gineste, maire de Toulon, 115. 101-102. — L'autel de Saint-Ger-
Ginoux (Charles). — Le sculpteur main l'Auxerrois par le sculpteur
Chardignv : son procès avec la VanClève, 106-109.
ville de Toulon, m-168. Guillemot, 269.
Girard (Louis-Joseph), dess., 336. Guillory aîné, 250, 253, 254, 262,
Girardot. Voy. Marigny. 263, 282, 283, 291, 292, 296,
Giraud (Jean-Baptiste), se, 307. 297, 329.
Gisors (Henri-Alphonse de), a., Gutenberg(Jean).Statue,235,239,
Médaillon, 289. 240, 241, 247, 366.
Gisors CMme de). Médaillon, 289.
Gobert (J.-N.), général. Monument, Halévy (F.), comp., 244.
366. Harel, directeur de théâtre, 215-216.
Godefroid, p., 92. Haudaudine (Pierre). Dessins et
Goethe(Jean-Wolfgang), poète, 209, médaillon, 333-334, 366, 367.
224. Buste, 194, 201, .202, 237. Hautefeuille (Mme d'), 197.
•Goettingue (Académie de), 367. Havart (Reine), 110.
HAVRE — LACORDAIRE 375
•Havre (Le), 342, 3S9-361. Joly (Jules-Jean-Baptiste de), a.,
Hôtel de ville, 179, 193. 242.
— Joséphine (l'impératrice), 325.
Havre (Vue du port du), 73.
Hawke (Pierre), p. et g., 327-329. Joubert (André), écrivain, 238.
Hébert (Ernest), p., 251-253, 267- Joubert-Bonnaire (Alex.), maire
269, 360, 362. d'Angers, 198-199.
Héliopolis (Bataille d'), bas-relief, Jouin (Henry), secrétaire de l'Ecole
255-258. des Beaux-Arts. — David d'An-
Henfel, p., 319. gers : nouvelles lettres du maître
Hesse (Nicolas-Auguste), p., 358. et de ses contemporains, 168-301.
Heures du jour (les), peinture, 60. — Dernières lettres de David
Horaces (les), peinture, 279. d'Angers et de ses contemporains,
Houdon (Jean-Antoine), se, 307. 302-368. — Sa collection, 170,
Houssaye (Arsène), écrivain, 272, 173, 176, 177, 179, 189, 191,
273, 280, 346, 347. 193, 199, 201, 204, 228, 242,
Hugo (Abel), écrivain, 194-195. 253, 269, 277, 285, 288, 296,
Hugo (Marie-Victor, comte), 168, 305, 309, 312, 314, 317, 320,
194,195, 210-212, 215, 2;6, 223- 324-326, 328, 330, 332, 336,
228, 313, 315-317. Buste, 295, 337, 339, 344-346, 350, 351,
296, 362. 353, 354, 356, 358, 359> î6i.
Hugo (Adèle Foucher, Mmt), 216. — Ses ouvrages cités : « Charles
Humboldt (Alexandre, baron de), Le Brun et les arts sous Louis
naturaliste, 318. XIV, » 101 ; — « David d'Angers,
Huvé (Jean-Jacques-Marie), a., 242, son oeuvre, ses écrits et ses con-
243. temporains ; » — « David d'An-
Hymans (Henry), écrivain, 295. gers et ses relations littéraires ; »
— « Les Musées d'Angers, » 168-
lliaqucQa table), 237-239. 368, passim. — Table analytique et
Illustration (f), journal, 360, 361. raisonnée du présent volume, 369
Indicateur de l'Hérault (/'), journal, et suiv.
364. Jour (les quatre parties du), pein-
259,
Indicateur général de Seine-et-Marne tures, 64.
(V), 364. Journal des Beaux-Arts, 344.
Ingres (Jean-Auguste-Dominique), Julien, dess., 261.
Julien (Mc), 132.
p., 310.
Innocence implorant la Justice (T),
bas-relief, 240-241. Kajsiewicz (J.-Jérôme), publiciste,
Intelligence(J), journal, 364, 365. 364.
Intermédiaire (V), journal, 362. Kaplowsky, p., 319.
Isabelle (Charles-Edouard), a., 283. •Képhissia ou Céphisia, 359.
Isabey père (Jean-Baptiste), p., 324- Kirstein (Frédéric), orf. cis. et se,
325,345- 235-237.
Isabey (Eugène), p., 324, 325. Kirstein (Jacques-Frédéric), cis.,
236.
Jalabert (Charles-François), 267.
Jarry (L.).
— Son étude sur « Jean La Besnardière (de), maire d'An-
Gaucher de Trainou, dit Jean gers, 168, 169, 172.
d'Orléans, peintre des rois de Labitte, libraire, 257.
France », citée, 100. La Bourdonnaye(le comte de), 190.
Jauffret, écrivain, 228. Lacépède (Etienne de Laville, comte
Jay (François-Marie), a., 359. de), naturaliste, 304. Buste, 179,
Jean d'Orléans (Gaucher de Trai- 180.
nou, dit), p., 100. Lacordaire (A.-L.), hist., 64.
376 LACROIX — MALLARD
Lacroix (Paul), bibliophile Jacob, Lebé (Julienne), 102, 105.
310-311. Le Brun (Charles), p., 101-106.
La Fayette (Gilbert Motier de), Le Brun (Gabriel), g., 103, 105.
général, 195. Statue, 237, 365. Le Brun (Nicolas), p., 103, 105.
•LaFlèche (École militaire de), 347. Le Brun (Nicolas), se, 102-105.
Lagrange (Léon), historien. — Son Leclère (Achille), a., 293, 356.
ouvrage : « Joseph Vernet et la Ledru-Rollin, ministre de l'Inté-
peinture au xvm» siècle, » cité 1, rieur, 345.
2, 3, 4,6, 7, is, 68,77,93. Lefebvre (le maréchal), 279.
Lagrenée frères, p 82, 85, 86, 88. Leferme (Hélène David cl'Angers,
Lair, 250, 254, 263, , 283, 289, M-'), 240,249, 275, 318.
292,
297. Legrain (Louis), passementier, 103.
Lair (M«), greffier, 97. Legrain (Marguerite),102,105,106.
Lajariette, collectionneur, 197. Lelewel (Joachim), hist. Médaillon,
Lamartine (Alphonse de Prat', dit). 322, 323.
poète, 168, 346. Lemaltre (Er.), collection, 347.
La Montagne, 28, 30. Le Moyne (Jean-Baptiste), se, 76.
Langlois (Eustache-Hyacinthe), p.; Lenepveu (J.-E.), p., 237-240.
archéologue et graveur, 298, 299. Lenormand (Charles), archéologue,
Buste, 240, 241. 218, 255, 256.
Langlois (Jérôme-Martin), p., 242. Leprince, p., 67, 82.
Langlois, peintre angevin, 340. Leroux (Jean-Marie), g., 243.
•Langres (Haute-Marne), 213. Lescot (Pierre), a., 106.
Lannelier (Etienne), p., 100-101. Leterme, 290.
Lantier, 143. Lethière (Guillaume-Guillon), p.,
*Laon (Musée de), 109.
La Parigne (Mme de), 290. Levans, procureur, 167.
La Place (P.-S., marquis de), 355. Levesque, collection, 272.
La Revellière-Lepeaux. Buste, 200- Levesque (M«), notaire, 105.
201. Liébault (Claude-Anne), 96.
La Revellière (Ossian), 203, 205, •Lille (Nord), 368.
215. Lioux. Voy. Savignac.
La Rochelle (Vue du port dé), 2, 22- •Lisbonne, 276.
26, 41-53, 55, 58, 60, 65. Loir (Gilles), orf., 103.
Larrey (Dominique-Jean, baron), Loire. Voy. Maine (la).
chirurgien. Statue, 279. Loison (Pierre), se, 352, 354.
Lassalle (Emile), 261. •Londres, 173, 174, 216, 368.
Lasteyrie (Ferdinand de), archéo- Louis XV, 1.
logue, 230, 231, 291. Louis XVI. Buste, 179.
La Saussaye (Mr), 354- Lovenjoul (vicomte Spoelberg de),
Latouche (Henri de), écrivain. Mé- collection, 234, 273, 332, 337,
daillon, 266. 338,347,353,357-
Latour (Amédée), écrivain, 364. ,
Lune (clair de), peinture, 50-51, 60.
La Tour (Charles de), 110, 111.
La Tour (François de), musicien, Magdalena, 310.
110,m. Mahault (M«), 103.
La Tour (Maurice-Quentin de), p., Maillard (Adrien), écrivain, 183,
1, 109-111. 275,36s.
La Tour d'Auvergne. Statue, 364. Maillard (René), 183.
Le Bas (Jacques-Philippe), g., 21- Maindron(Hippôlyte),se, 188-190.
24, 26, 74, 78. Maine (la) et la Loire, dessin, 179.
Lebé (André), maître écrivain, 103. Malardier, député, 354.
Lebé (Charles), précepteur, 103. Malézieu (M«), notaire, 111.
Lebé (Jean), maître écrivain, 103. Mallard (L.), consul, 115.
MALLET — NIVELON 377
Mallet, secrétaire du lieutenant cri- Moiras (Peirenne de), ministre de
minel, 103. la marine, 13, 14.
Mareschal (Pierre), 103. Moll (Edouard), a., 281, 282, 291.
Marigny (Girardot de), 77, 79. Monet (Mr), 356.
Marigny (le marquis de), 1-6, 8- Mongazon (l'abbéUrbain Loir-), fon-
23, 26-68, 78. dateur du Petit Séminaire d'An-
Marionneau (Charles), peintre et gers. Monument, 248, 264, 267.
écrivain, 366. Montaiglon (A. de), écrivain, 3, 88.
•Marly (château de), 43. Montalant, adjoint au maire d'An-
Marmier(Xavier),écrivain, 220-222. gers, 200.
Marochetti(le baron Ch.), se, 364. Montalivet, ministre de l'Intérieur,
•Marseille, 8, 228, 365. 237, 321.

Arc de triomphe; 218, 256. •Montbéliard, 365.
Hôpital, 62. Montigny (Lucas de), 171, 172,

Matseille(Vues duport dé), 2, 22-26. 219, 220, 231.
Martin, maire d'Orléans, 348. Moreau (Catherine-Françoise), 95.
Martin (l'abbé), curé de Béziers. Moreau (Jean-Michel), dess. et gr.,
Monument projeté, 258, 259. 95, 96-
Martin (M™ Aimé), 342. Morey (Mathieu-Prosper), a., 355-
Martini, g., 74. 357-
Matin (le), peinture, 60 Morgan (Miss Sidney Owenson,
Mazure(Adolphe),inspecteur d'Aca- lady), publiciste, 203, 204.
démie, 183, 184. Morissel (Me), greffier, 97.
Mélodie (la) et l'Harmonie, bas-relief, •Moskowa (la), 254.
235-236. Motte (C.).lith., 312, 313.
Ménage (Gilles), 271-272. *Mouchy-le-Châtel, 312, 313, 314.
Ménage (Guillaume), 272. Mouguet, bourgeois de Paris, 103.
Ménage (Mathieu), 272. Muller (Charles), se, 249-250.
Ménard (Alfred-Pierre), p., 203. •Munich, 236, 316.
Ménard père, 203. Murât, 305.
'Ménars (château de), 61. Musée de sculpture antique et moderne,
Mercier (J.-M.), p., 206, 237-241, publication, 348-350.
260, 274, 277, 278, 331, 339, Musset (Alfred de), poète. Médail-
347- lon, 204.
Merlin de Thionville, convention-
nel. Médaillon, 196. •Nancy, 283, 284, 287, 356.
Méry (Joseph), poète, 215. 'Nantes, 276, 333, 366, 367.
Mezzara (Mme Angélique), p., 229. Nanteuil (Célestin), se, 315, 317.
Mezzara (Joseph), se, 229. •Naples, 268, 305.
Michault (Louis), bonnetier, 103. Napoléon Ier, 362. Tombeau, 337.
Michel-Ange. Voy. Buonarroti. National (le), journal, 324.
Micheli, mouleur, 218 National de l'Ouest (le), 364, 365.
Mickiewicz, poète, 248-249. Natoire (Ch.-J.), p., 44, 46.
Midi (le), peinture, 60. Navez (François-Joseph), p., 294-
Miel, poète, 365. 295.
Miel (E.-F.-M.), écrivain, 233. 09. Navigation (la), haut-relief, 299.
Mignonneau, marguillier, 108, 1 Nerbonne (Henri de), 278, 279.
Millet (Aimé), se, 353. •Neufchâtel, 286.
Millon, entrepreneur, 113, 114, Neustrien (lé), journal, 364.
115, 140, 155, 158. •Nevers (Nièvre), 354.
Mirevault. Voy. Davin (M™'). Nieuwerkerke (le comte), se, 345.
Mistral, commissaire de la marine, Niobê mourante (Fille de), statue, 200.
73' Nivelon (Claude) p. et écrivain,
»Moine (Antonin), se, 315. 101.
378 NODIER — PHRÉNOLOGIE
Nodier (Charles), poète, 248, 249. —
Palais du Luxembourg, 52, 67
Buste, 277, 279, 280, 284, 285. 68.
— Panthéon, 365.
Nuit (la), peinture, 60. 236-237, 240, 241,
Numa, dess., 201. 246, 319-323,
Vendôme, 307.
•Nuremberg, 318, 368. — Place XVI, actuellement
— Pont Louis
O' Connor (Daniel). Médaillon, pont de la Concorde, 306, 307.
— Prison de Saint-Lazare, 266.
292.
Ollivier, g., 201. — Salle Ventadour, 242.
Philotechnique, 367.
Omphalc, huste, 171. — Société Phrénologique, 367.
Orléans. Voy Jean d'Orléans. — Société
•Orléans (Loiret), 202. — Théâtre de l'Odéon, 215, 216.
— Théâtre de
la Porte-Saint-Mar-
— Musée, 218, 256, 348.
Othryades, ronde bosse, 168, 169. tin, 216.
Parker (Virginie-Cécile). Voy. Ver-
net (Mmc).
Pajou (Augustin), se, 303, 304. Pariset (E.), médecin, 251, 263.
Papiau de la Verrie, maire d'An- Pauleran (Jean), maçon, 106.
gers, 172. Pavie père (Louis), imprimeur et
Papiau de la Verrie (M">=), 180. écrivain, 178, 180-182, 185,
Papiau de la Verrie (Raymond). 193, 201-203, 205, 207, 211,
Tombeau, 180-181. 218, 239, 245, 254, 276, 364.
Papin (Denis), physicien. Projet de Pavie (Marie-Madeleine Fabre, Mmc
statue, 352-354. Louis-Victor), 201, 206, 212.
Paré (Ambroise), médecin, 231. Pavie (Maurice), 275.
Statue, 287, 366. Buste, 175, Pavie (Théodore), orientaliste, 193,
176, 187. 194, 206, 209, 219, 240, 254,
Parent-Réal (Nicolas-Joseph-Marie), 256, 276, 300, 364.
homme politique, 331. Pavie (Victor), poète et littérateur,
Paris. — Académie, 83, 91, 95, 97, 168, 179, 181, 182, 186, 194,
113, 187. 202, 205-207, 209, 211, 212,
— Archives
nationales, 94. 216, 219, 222, 231, 232, 239,
— Cimetière du Père - Lachaise, 240, 246, 255, 257, 258, 275-
202, 283, 284. 281, 283, 286, 287, 290, 299,
— Colonne de la Grande-Armée, 300, 331, 342, 364, 365.
213. Pavie (M"« Victor), 232.
— Ecole normale, 351. Pazéry, avocat, 139.
— Eglise de la Madeleine, 242. Péan, maire de Blo's, 352.
Église de Saint-Germain l'Au- Pedro I« (Dom), 220.

xerrois, 106-109. Peilhon, 70.
du Midi, Pellicot, avocat, 139.
— Hôpital des Capucins ou Pèlerin, commis de marine, 7.
223.

Hôtel Colbert, 79. Pèlerinage à Lorette, peinture, 347.
— Hôtel des Luxembourg,
Invalides, 337. Pepe (le général Guillaume). Mé-
— Jardin du Tuileries, 8. 311. daillon, 284.

Jardin des Perchais (la famille), 367.
— Manufacture des Gobelins, 89, Percier (Charles), a., 242.
102. •Perpignan (Archives municipales
64,
— Musée du Louvre, 2, 8, 9, de), 270.
309, 350. Petitot (L.), se, 199, 200, 287, 288.

Musée du Luxembourg, 347. Peyron, p., 82, 85, 86, 87.
— Musée
du Trocadéro, 239. Phidias, se, 174.

Palais du Louvre, 53, 55, 81, Philopoemen, statue, 237, 350.
92,93.24i- Phrérwlogie (la), journal, 365.
FICHAT — ROZE 379
Pichat (Michel), auteur dramatique, Real (Pierre-François, comte). Mé-
306. daille, 209-210.
Picot (F.-Ed.), p., 238, 240. Regnault (J.-B., baron), p., 238.
Pierre (Jean - Baptiste - Marie), p., Reinhard (Charles-Frédéric, comte),
70, 75, 83, 85,92. diplomate. Médaillon, 194.
Pigalle (Jean-Baptiste), se, 89. Religion portant un calice (la), 114,
Pignerolle (Marcel de), p., 347-348. 116, 120, 124, 129, 130, 141,
Pilastre (MO, 203. 146, 147.
Piscatory (Antoine-Pierre), 96. Renault (Math.), avocat, 103, 105.
Pitard (M*), 15. René d'Anjou, statue, 220-222,
Place (C), écrivain, 365. 279-283, 296, 297, 334, ^35,
Planche (A.), pharmacien, 223. 340-342. Tombeau, 245, 246.
Planche (Gustave), écrivain, 216, Réunion des Sociétés des Beaux-
217, 301. Médaillon, 218. Arts, 183.
Poinsot (Louis), géomètre. Médail- Revue de l'Anjou (la), 238, 250, 254,
lon, 265-266. 263, 283, 289, 292, 297.
Pompadour (la marquise de), 45, Revue des documents historiques, 47.
48. Rhin (la chute du), peinture, 79.
Poret. Voy. Blosseville. Richard (Louis), fond., 240, 241.
Portai (le baron). Buste, 187. Richelieu (le maréchal de), 30, 32.
Potter (Louis-Joseph-Antoine de), Richter (Jean-Paul), écrivain, 196.
publiciste, 322, 323, 330. Rigny (l'amiral de), 222.
Poulain, 81. Rigny (le colonel de), 222.
Pradier (James), se, 293, 294, 359, Riguet,ni.
Préault (Auguste), se, 272-273. •Riorn (Puy-de-Dôme), 100.
315-317, 323,325-326, 354. Riquet (P.-P.), ingénieur, 239.
Priam, peinture, 313. Robert le Fort, comte d'Anjou.
Prilhon, trésorier des bâtiments du Statue projetée, 339-340. Sta-
Roi, 40. tuette, 340.
Proust (Louis), chimiste. Buste et RocheJort (Vue du port dé), 2, 22-26,
médaillon, 201, 202. 4°-5i, 53-55, 58,60,65.
Provost (Jean-Louis), a., 189, 190. Rochet (Louis), se, 219, 220.
Prud'hon (Pierre), p., 328. Rochette (Raoul), archéologue, 243.
Puget (Pierre), se, 228. Roland (Philippe-Laurent), se, 170-
Purry (David), statue, 286, 287. 172, 280.
Roland furieux, groupe, 311.
Quatrebarbes (Théodore, comte de), Rome, 172, 173, 174, 368.
281, 282, 297, 341, 342. — Villa Médicis, 269.
Quatrebarbes (la comtesse de), 283, Roslin (Alexandre), p., 88.
342. Rostan (de), commissairede marine,
Quatremère de Quincy (Antoine- 13, 14, 15, 17-
Chrysostome), archéologue, 306, •Rouen, 207, 212, 242, 243, 283,
307. Médaillon, 230. 360.
Quentin (Gabriel), procureur, 103. — La Douane, 299.
Quintilien, buste, 351. — Musée, 241.
Rouen (Vue du port de), 74.
Racine (Jean), poète. Statue, 189, Rouget de Lisle (Joseph). Médail-
211-213. lon, 197, 213.
Ramey père (Claude), se, 88. Roussel, poète, 364.
Raphaël. Voy. Sanzio. Rousselet (Gilles), g., 103.
Rauch (Christian), se, 249, 250, Roussin, chirurgien, 103.
289. Buste, 318, 319. Roux, stuc, 120, 122,127, 136-139,
Raverat (Vincent-Nicolas), p., 201, 144-148, 152-153, 157, 160-168.
344, 345- Roze (M.), 201,
380 SABATIER — TRILBY
Sabatier, sténographe, 353. Suc (Etienne-Nicolas-Edouard), se,
Sades (le comte de), 4, 5. 264, 364.
Sagnier (Mmt veuve), 3 30. Sudre (Jean-François), musicien,
*Saint-Cloud (château de), 52-57. 264-265.
*Saint-Florent(Maine-et-Loire), 182, Suvée (Joseph-Benoît), p., 266.
275 276, 297 333, 334. Sylvestre II (Gerbert, pape sous le
Saint-Germain (le comte de), 73. nom de). Monument, 353.
Saint Louis à Tarticle de la mort, bas-
relief, 114, 141, 146-150.
Saint-Martin. Voy. Grenier. Talma (François-Joseph), tragédien.
•Saint-Ouen (château de), 242. Statue, 274, 305, 306.
Saint-Pierre (Bernardin de), statue Talon (Antoine-Omer), 93, 94, 97
294,342, 353, 359-36i- 98.
Saint-Priest (de), 92, 93. Taluet (Ferdinand), se, 338-339.
•Saint-Quentin., 110, m. Taraval (Hugues), p., 90.
Sainte-Beuve (Charles-Augustin), Taraval (Jean-Gustave), p., 84, 88.
critique, 215, 216, 233, 234, 255. Tardieu (Alex.), écrivain, 261, 262.
Sand (Mme George), romancier. Taunay (Nicolas-Antoine), p., 309.
Médaillon, 215, 216, 217. Taylor (Isidore-Séverin-Justin, ba-
Sanzio (Raflfaello), p., 230. ron), écrivain, 277, 284, 285,
Sarrazin de Belmont (Mlle Louise- 287, 305, 306.
Joséphine), p., 326. Texier (Victor), g., 348-350.
Sartines (de), 73. Thévenin (Claude), p., 304, 305,
Savignac (Édme-Charles de Lioux 344. 345-
de), p., 66, 67. Thevenin (le chanoine Claude),
Scheffer (Ary), p., 323. 103.
Schelling (F.-G.-J. de), philosophe. Thiers (Adolphe), historien et
Médaillon, 316. homme d'Etat, 212, 321.
Schiller (J.-Frédéric-Christophe) , Thiriot (Henri), se, 332.
poète, 215. Thomas, publiciste, 324.
Schlegel (Auguste-Guillaume de), Thomas (A.) — Jean d'Orléans et
poète et critique, 272. Portrait Etienne Lannelier, peintres du duc
dessiné, 261, 262. de Berry, 100-101.
Schnetz (Victor), p.. 242, 312, 313. Thorvaldsen (Bertel), se, 269, 336.
Segla (André), se, 89. Tibault, p. et dor., 80, 81.
Senancourt (Et.-P. de). Médaillon, Tieck (Frédéric), se, 316.
215, 216. Tieck (Ludwig), littérateur, 316,
Senecterre (le maréchal de), 43. Touard ou Trouard, a 88.
Sévigné (M">e de), 169. •Toulon, 111-168, 298.,
Sigaud, a., 113-116, 134, 136, 140. — Archives communales, 112.
Simart (Pierre-Charles), se, 294, Toulon (Vues du port de), 2-5, 8, 9,
354, 358,359, 36i. 17, 22-26, 41.
Simart (M™), 359- •Toulouse, 15, 244.
Siméon, avocat, 139. Tourny (de), 16, 18.
Simonet, fond., 357. •Tours, 202.
Soir (le), peinture, 60. Toussaint (Armand), se, 293-294,
Soleil Lever du —, so, 51, 60. 359-361.
Coucher du —, 60. Touzé (Jacques-Louis-François), p.,
Sotta, p., 367. 95, 96.
Soyer, fond., 247. Trainou. Voy. Jean d'Orléans.
Spoelberg. Voy. Lovenjoul. Travot (Jean-Pierre, baron), géné-
Stendhal, dit Henri Beyle, roman- ral. Buste, 243-245, 290, 291.
cier, 193. Trévoux, g., 201.
•Strasbourg, 235, 236, 241, 366. Trilby (le), album des Salons, 364.
ULYSSE — WERNER 38I
Ulysse(Tête d'), buste, 170-174. — Musée, 309, 345.
•Ussel (Corrèze), 364. Vert-Vert, galette de Paris, 364, 365.
Vien (Joseph-Marie, comte), p., 88.
Valenciennes (A.), naturaliste, 214. Vierge foulant le serpent, statue, 114,
Valmore (Hippolyte), 271. 116, 120, 124, 129, 130, 141,
Valmore ( Marceline Desbordes, 146, 147.
Mme), poète et romancier, 365. Villemorge (Brillet de), maire d'An-
•Valognes (Manche), 330. gers, 174-177, 179, 188-193.
Van Clève (Corneille), se, 106-109. Viflenave (Mathieu-Guillaume-Thé-
Vanière (le Père), buste, 366. rèse), écrivain, 185, 186.
Varlet (Louis), greffier, 103. Villeneuve de Mons (le conseiller
•Varades (Loire-Inférieure), 276. de), 139, 167.
Vaudoyer (Léon), a., 201. Vincent (François-André), p., 173,
Vauversy (la famille), 367. 303, 304.
•Venise, 280. Viollet-le-Duc(Eugène-Emmanuel),
Vergennes (le comte de), 84. a., 239.
Vernet (Agathe-Fostine), 95. Visconti (Ennius-Quirinus), archéo-
Vernet (Antoine-Charles-Horace, logue. Buste, 175, 176.
dit Carie), p., 3, 27, 77, 83, 88, Visconti (Louis-Tullius-Joachim),
91-99. a-, 337-
Vernet (Horace), p., 3. Voitelain (Louis), poète, 364.
Vernet (Joseph), p., 1-99. Volontaires (Départ des), bas-relief,
Vernet (Louis), receveur général du 218, 25s, 256, 365.
tabac, 94.
Vernet (Marguerite-E.-F.), 94.
Vernet (Virginie-Cécile Parker, Wach, p., 319.
femme de Joseph), 93-99. Wains-Desfontaines, écrivain, 364.
•Verdun, 250, 341. Waldor (M">e)( poète, 364. Médail-
•Vernon, 184. lon, 186.
Verrie. Voy. Papiau. Washington (George), premier pré-
•Versailles, 238. sident des Etats-Unis. Buste, 195.
— Château, 4-18, 32, 34, 42, 44,
•Weimar, 193, 194, 224, 363.
46, 47, 58, 69, 72, 74, 78, 84, Werner (Frédéric), poète dramati-
85,91, 307. que. Médaille, 207-209, 215.

Henry JOUIN.
31 décembre 1893.

Joseph FLOCH, Maître-Imprimeur à Mayenne 26-12-1973, n» 4854


LA SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DE L'ART FRANÇAIS
(S. H. A. F.)

fondée en 1870 par un groupe d'historiens d'art érudits, prit


pour but la poursuite de la publication de documents originaux
et inédits dans l'esprit des travaux déjà imprimés par ses pré-
décesseurs, le marquis de Chennevières-Pointel, A. de Montai-
glon, P. Mantz, E. Soullié et L. Dussieux, qui, en véritables
précurseurs de l'histoire de l'art moderne en France, avaient
commencé dès 1851 la mise en ordre et l'édition des travaux
énumérés en tête de la liste ci-après :
PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ (et antérieures) :
ARCHIVES DE L'ART FRANÇAIS. 1851-1860 : DOCU-
MENTS, 6 volumes parus alternativement avec
ABECEDARIO DE P.-J. MARIETTE et autres notes de cet
amateur sur les arts et les artistes, 6 vol.
ARCHIVES DE L'ART FRANÇAIS, deuxième série : 1861-
1862. 2 vol.
NOUVELLES ARCHIVES... 1872 (I) à 1878 (VI) ; deuxième
série : 1879 (I) à 1885 (VI) ; troisième série : REVUE DE
L'ART FRANÇAIS ANCIEN ET MODERNE. 1884 (I) à
1906 (XXII).
ARCHIVES DE L'ART FRANÇAIS, nouvelle période : 1907
(I) à 1968 (XXIV).
BULLETIN DE LA S. H. A. F. : 1875-1878, 4 fascicules. —
1907 à nos jours, un volume par an sauf pendant les années
de guerre.
PUBLICATIONS DIVERSES. La S. H. A. F. a publié divers
travaux dont :
MÉMOIRES INÉDITS sur la vie et les ouvrages des membres
de l'Académie royale de Peinture et de Sculpture. 1854.2 vol.
RÉPERTOIRE DES PUBLICATIONS de la Société. Tables
par noms d'auteurs et par sujets I (1851-1927) ; II (1928-
1956). 2 vol.
PROCÈS-VERBAUX DE L'ACADÉMIE ROYALE DE PEIN-
TURE ET DE SCULPTURE (1648-1:792). 11 vol.
PROCÈS-VERBAUX DE L'ACADÉMIE ROYALE D'ARCHI-
TECTURE (1871-1793). 10 vol.
PROCÈS-VERBAUX DE L'ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS
(1795-1810). 3 vol.
CORRESPONDANCE DES DIRECTEURS DE L'ACADÉMIE
DE FRANCE A ROME (1666-1804). 18 vol.
ETC. — Les publications ci-dessus sont en partie disponibles

F. DE NOBELE, libraire de la Société, 35, rue Bonaparte, PARIS, VI».

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