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L'hyperbole rhétorique
Avec la collaboration de Jennifer Schumann
et de Sascha Lüthy
T R A V A U X N E U C H Â T E L O I S D E L I N G U I S T I Q U E
Travaux neuchâtelois de linguistique
N° 61-62, 2014-2015 • ISSN 1010-1705
André HORAK
Avant-propos ------------------------------------------------------- 1-6
Catherine KERBRAT-ORECCHIONI
L'hyperbole: approche rhétorique, énonciative
et interactionnelle ------------------------------------------------- 7-23
Paola PAISSA
L'hyperbole, une "figure dérivée" par
excellence: revue des procédés rhétoriques
d'hyperbolisation ------------------------------------------------- 25-41
Laurent PERRIN
L'intensification dans l'hyperbole et la litote --------------------- 43-61
Geneviève SALVAN
Juste la fin du monde. L'excès juste, ou
l'hyperbole exagère-t-elle toujours? ----------------------------- 63-78
Anna JAUBERT
Au vif de l'hyperbole, l'énonciation
problématisante-------------------------------------------------- 79-90
Alain RABATEL
Analyse pragma-énonciative des points de vue
en confrontation dans les hyperboles vives:
hyper-assertion et sur-énonciation ----------------------------- 91-109
Marc BONHOMME
La réception de l'hyperbole publicitaire ----------------------- 111-127
Ruggero DRUETTA
L'hyperbole performée: remarques à partir
d'un corpus d'entretiens politiques --------------------------- 129-151
IV
Fernand DELARUE
L'hyperbole d'Aristote à Quintilien ---------------------------- 153-169
Christine ROUSSEAU
Le système superlatif dans les contes de fées
du XVIIe siècle ------------------------------------------------- 171-182
Suzanne DUVAL
L'hyperbole fictionnelle: exagération et
suffixation dans l'œuvre romanesque de
Madeleine de Scudéry ----------------------------------------- 183-195
Responsables de la revue
Gilles Corminboeuf email: gilles.corminboeuf@unine.ch
Evelyne Pochon-Berger email: evelyne.pochon@unine.ch
Secrétariat de rédaction
Florence Waelchli, Revue Tranel, Institut des sciences du langage et de la
communication, Université de Neuchâtel, Rue Pierre-à-Mazel 7, CH-2000 Neuchâtel
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la bibliothèque numérique suisse romande Rero doc. Voir rubrique "Revues":
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Tous droits réservés
ISSN 1010-1705
Travaux neuchâtelois de linguistique, 2014-2015, 61-62, 1-6
Avant-propos
André HORAK
Université de Berne
1
Voir aussi notre thèse de doctorat à paraître, intitulée Le discours euphémique et soutenue
à l'Université de Berne en 2013.
2
Consulter avant tout Perrin (1996), Por (2003), Cano Mora (2003-2004 & 2008), McCarthy et
Carter (2004), Norrick (2004), Romero (2004), Sert (2008), Verine (2008), Barsi et Boccali
(2010), ainsi que Béguelin (2011).
3
Ce volume inclut, à côté de l'article de Paola Paissa, la plupart des contributions présentées
lors du colloque international L'hyperbole rhétorique, organisé à l'Université de Berne le 5 et
le 6 septembre 2013 par André Horak et Sascha Lüthy.
2 Avant-propos
D'autre part, les questions qui restent sans réponses claires se rapportent
à l'actualisation de l'hyperbole. Quels sont les motifs et les conditions de
réussite de celle-ci? Amène-t-elle toujours "à la vérité" (Fontanier, 1977:
123)? N'y a-t-il pas également des hyperboles manipulatoires qui, selon les
termes de Bonhomme (2005: 76-78 & 2012: 75), visent une réception
"inactivée" ou "empathique"? La production hyperbolique à l'oral est-elle
marquée, comme celles de l'euphémisme et de la litote (Druetta, 2009,
2011 & 2012), par des reformulations, des indices prosodiques ou des
signaux mimo-gestuels? Dumarsais (1988: 133) a-t-il raison lorsqu'il
affirme que l'"hyperbole est ordinaire aux Orientaux" et que les "jeunes-
gens en font plus souvent usage que les personnes avancées en âge"?
Autrement dit, peut-on repérer un lien immédiat entre les emplois de
l'hyperbole et les identités socioculturelles des locuteurs? Enfin, quels
sont les champs de prédilection de l'hyperbole? La littérature, la politique,
l'administration, la publicité, la politesse ou des domaines moins évidents?
4
Dans cet avant-propos, nous nous limitons à esquisser le contenu des articles d'une
manière globale, chacun de ces derniers étant précédé d'un résumé plus détaillé. Signalons
d'ailleurs que les versions originales des résumés, rédigées par les auteurs des
contributions en français ou en anglais, ont été adaptées et traduites en allemand par nous-
même (Sascha Lüthy ayant collaboré à l'élaboration des traductions).
André Horak 3
lecteur apprend que, sous l'Empire romain, cette figure s'utilise pour
référer à l'excès aussi bien en prose qu'en poésie.
Christine Rousseau se focalise sur les contes de fées de la fin du XVIIe
siècle, qui se distinguent des contes traditionnels par leur usage original et
systématique de l'hyperbole. Cette dernière souligne notamment les
qualités thaumaturgiques des caractères littéraires, dont elle consolide le
statut héroïque. Par ailleurs, elle démystifie le merveilleux en exigeant une
lecture active de son destinataire, qui doit assumer la tâche d'un co-
énonciateur éclairé. Enfin, l'auteure fait observer que, sur un plan
théorique, l'hyperbole met en évidence l'arbitraire du signe linguistique.
S'intéressant au même siècle, Suzanne Duval porte son attention sur
l'œuvre de Madeleine de Scudéry, qui se voit souvent critiquée pour son
emploi de suffixes intensifiants – méprisés à l'époque – tels que -able et -
ment. Le travail principalement stylistique de Duval montre que l'hyperbole
scudéryenne constitue un marqueur de fictionnalité qui est au service
d'une rhétorique d'intensité systématique. De surcroît, on constate que les
occurrences hyperboliques qui s'actualisent chez cette femme de lettres
s'accompagnent souvent de métadiscours signalant les émotions des
locuteurs.
Le dernier article de ce volume, rédigé par María Dolores Vivero García,
constitue une étude de l'humour dans les chroniques du quotidien Le
Monde. L'auteure range les occurrences hyperboliques qui contribuent au
comique de ce journal dans deux classes: celle de l'hyperbole ironique, qui
exagère le positif, et celle de l'hyperbole caricaturale, déformant
l'axiologiquement négatif. Vivero García réfléchit aussi sur la pluralité des
effets qu'arrive à susciter la caricature, qui est tantôt comique, tantôt
dépréciative.
Bibliographie
McCarthy, M. & Carter, R. (2004): "There's millions of them": hyperbole in everyday conversation.
In: Journal of Pragmatics, 36, 149-184.
Morier, H. (1989): Dictionnaire de poétique et de rhétorique. Paris (PUF).
Norrick, N. R. (2004): Hyperbole, extreme case formulation. In: Journal of Pragmatics, 36, 1727-
1739.
Perrin, L. (1996): L'ironie mise en trope. Du sens des énoncés hyperboliques et ironiques. Paris
(Kimé).
Por, P. (2003): Voies hyperboliques. Figures de la création poétique des Lumières à la modernité.
Paris (Honoré Champion).
Romero, C. (2004): Nouvelles remarques sur l'hyperbole. In: Araújo Carreira, M. H. (éd.), Plus ou
moins?! L'atténuation et l'intensification dans les langues romanes. Saint-Denis (Université
Paris 8), 265-282.
Sert, O. (2008): An interactive analysis of hyperboles in a British TV series: implications for EFL
classes. In: ARECLS, 5, 1-28.
Suhamy, H. (2006): Les figures de style. Paris (PUF).
Verine, B. (2008): La parole hyperbolique en interaction: une figuralité entre soi-même et même.
In: Langue française, 160, 117-131.
Travaux neuchâtelois de linguistique, 2014-2015, 61-62, 7-23
Catherine KERBRAT-ORECCHIONI
Université Lumière Lyon 2
In diesem Artikel untersucht die Autorin zunächst die klassische Definition der
Hyperbel. Sie weist einerseits darauf hin, dass die Hyperbel stricto sensu nicht nur
eine Übertreibung ist (die Formulierung ist stärker als die beschriebene Sache).
Andererseits erklärt sie, dass sich der Sprecher dieser Tatsache bewusst ist und
keineswegs versucht, den Empfänger zu täuschen (die Übertreibung wird
gewissermassen zugegeben). Dahingegen wird beim allgemeineren Gebrauch der
Hyperbel die Ausdruckweise ausschliesslich vom Empfänger als übertrieben
angesehen. Dieser Gebrauch ist u.a. bei Wahlkampfdebatten zu beobachten, wo
Hyperbeln oft zu Verhandlungen zwischen den konkurrierenden Kandidaten führen.
1. Préliminaires
L'hyperbole est par définition une "figure". Que l'on préfère parler à ce sujet
de "figure de style" ou de "figure de rhétorique", le terme renvoie à l'idée
que la formulation choisie est "marquée", c'est-à-dire qu'elle se
"démarque" de la formulation qui serait en la circonstance la plus "neutre",
ce choix aboutissant à la production de certains effets spéciaux sur le
récepteur du message ainsi "rhétorisé".
Au sein du vaste ensemble des figures que tout au long de son histoire la
rhétorique s'est employée à identifier, étiqueter et classer, on s'accorde à
reconnaître que la spécificité de l'hyperbole tient au fait que le locuteur
exagère, c'est-à-dire qu'il décrit l'objet ou état de choses dont il parle en
des termes plus forts qu'il ne convient, à l'inverse de la litote qui les décrit
en termes affaiblis, ces deux figures inverses ayant donc en commun de ne
s'appliquer qu'à des notions graduables. Le consensus définitionnel qui
règne autour de la notion d'hyperbole (d'autant plus remarquable qu'il est
loin de concerner l'ensemble des notions que l'on manipule en rhétorique
et analyse du discours) se reflète dans cette définition du Petit Robert
(2013):
HYPERBOLE
RHET. Figure de style qui consiste à mettre en relief une idée au moyen d'une
expression qui la dépasse (opposé à litote). emphase, exagération.
Tout locuteur francophone admettra non seulement que les termes "roc",
"pic", "cap" et "péninsule" ne sont pas normalement faits pour désigner la
partie saillante du visage communément appelée "nez", mais en outre que
le plus petit des rocs est nettement plus grand que le plus grand des nez, et
a fortiori la plus petite des péninsules (car l'énumération s'accompagne ici
d'une gradation – cf. le rectificatif "que dis-je" –, l'hyperbole étant un
phénomène graduel). La métaphore et l'hyperbole transgressent une norme
qui n'est pas de même nature pour les deux figures, mais la transgression
est ici dans les deux cas évidente: par rapport à la formulation "vous avez
un nez très grand", qu'utilise précédemment Le Vicomte mais que Cyrano
estime "un peu courte" (c'est-à-dire lamentablement banale), les
trouvailles de Cyrano sont sans aucun doute doublement figurales. Mais
pour ce qui est de la composante "exagération" (sur laquelle repose
l'hyperbole), les choses ne sont pas toujours aussi claires – que dire, par
exemple, d'un énoncé tel que "vous avez un nez immense"? Y aurait-il ou
non, là aussi, "démesure" dans la formulation? On voit immédiatement que,
bien plus que celle d'une métaphore, l'identification d'une hyperbole met
en jeu l'appréciation d'un sujet évaluateur, et qu'il est impossible de parler
d'exagération sans poser du même coup la question de la source du
jugement évaluatif (exagération pour qui?).
C'est pourquoi la perspective sur cette figure ne peut être qu'énonciative,
dans la mesure où, dès la phase d'identification du phénomène, l'analyste
doit nécessairement prendre en compte le point de vue des sujets
impliqués dans l'échange discursif, et cela au détriment de l'objectivité de
la description (alors que l'on peut dire "objective" une affirmation telle que
"roc est un substantif masculin"). On comprend que, lorsqu'il est question
d'hyperbole, les linguistes aient parfois tendance à ramener la figure à un
simple phénomène de formulation intensive, plus apte à se laisser décrire
avec les outils auxquels nous sommes accoutumés dans notre discipline –
mais l'intensification de l'expression, qui repose sur des marqueurs divers
dont la description n'implique pas nécessairement la prise en compte de
leurs utilisateurs, est une condition certes nécessaire mais non suffisante
pour que l'on puisse parler d'hyperbole. Cette figure (comme son inverse la
litote) engage en outre une certaine norme concernant le degré d'intensité
du référent, degré auquel doit en principe s'ajuster l'expression désignant
ce référent, et qui est "dépassé" dans le cas de la formulation
hyperbolique. Dans bien des cas, cette norme est partagée par la
communauté parlante, et l'on peut alors sans trop de difficulté appliquer la
Catherine Kerbrat-Orecchioni 9
1
Dans le cadre de cet article, je mentionnerai simplement l'étude portant sur les principales
figures de rhétorique attestées dans ces débats (Kerbrat-Orecchioni, 2013), étude où il est
d'ailleurs fort peu question de l'hyperbole.
10 L'hyperbole: approche rhétorique, énonciative et interactionnelle
2.1 Définition
La définition de Fontanier (1968: 123-124) se développe en trois temps, que
je commenterai successivement.
(1) L'Hyperbole augmente ou diminue les choses avec excès, et les présente bien
au-dessus ou bien au-dessous de ce qu'elles sont […]. (Fontanier, 1968: 123)
que, si les hyperboles orientées positivement2, comme (i) mais aussi, par
exemple, "je t'ai attendu une éternité", "tu me l'as dit mille fois", etc., ne
posent aucun problème d'identification (ce sont à tous égards des hyper-
assertions), il n'en est pas de même pour des énoncés tels que (ii), mais
aussi "c'est à deux pas", "j'en ai pour une seconde", etc.:
argumentativement, ces énoncés sont eux aussi des hyper-assertions (ils
"exagèrent"), et doivent donc être considérés comme des hyperboles. Mais
comme du point de vue de leur contenu propositionnel ce sont plutôt des
hypo-assertions (ils "diminuent" la réalité), le conflit entre ces deux
aspects du sens déroute l'intuition des locuteurs (ceux en tout cas que j'ai
consultés à ce sujet), qui ne savent plus trop s'il convient alors de parler de
litote ou d'hyperbole3. C'est un trouble de ce genre que reflète cet énoncé
entendu à la radio en juillet 2013, à propos du championnat européen de
course en montagne se déroulant en Bulgarie:
Dire que les distractions sont rares à Borovets, c'est encore exagérer
2
Les termes "positif" et "négatif" n'ont pas ici de valeur axiologique (valeur qui n'est pas
nécessairement impliquée dans le fonctionnement de la litote et de l'hyperbole, à la
différence de celui de l'ironie).
3
C'est, par exemple, le cas des deux façons inverses de signifier figurément qu'il y a très peu
de monde dans une salle, à savoir "il n'y a absolument personne" et "il n'y a pas foule", qui
d'un point de vue argumentatif constituent respectivement une hyperbole et une litote,
alors que l'état de choses est réduit dans le premier cas et augmenté dans le second.
4
Le degré ultime correspondant à ce que Dumarsais (1988: 273-274) appelle "l'expression du
comble"; exemple: "Vicieux, toi? Non. Tu es le vice même".
12 L'hyperbole: approche rhétorique, énonciative et interactionnelle
5
Dans la phrase "il existe dix mille espèces de millepattes", seul le deuxième chiffre
constitue une hyperbole (le myriapode le mieux fourni en pattes n'en possède en effet que
750).
Catherine Kerbrat-Orecchioni 13
C'est pourquoi ils meurent de faim; oui, Messieurs, ils meurent de faim dans vos
terres, dans les villes, dans les campagnes […]. Hélas! ils ne vous demandent que le
superflu, que quelques miettes de votre table, quelques restes de votre grande
chère…
(Bossuet, Sermon du mauvais riche)
relief" que signale la définition du Petit Robert. Ce que l'on peut traiter,
comme nous avions naguère proposé de le faire (Kerbrat-Orecchioni, 1986:
chap. 3), en termes de "trace connotative", dont la nature varie selon le
type de trope auquel on a affaire mais dont le principe reste toujours le
même: s'il peut y avoir au plan dénotatif équivalence entre les formulations
tropique et non tropique, l'effet connotatif n'est jamais exactement le
même (par exemple entre "Ferme la porte" et "Tu peux fermer la porte?"
dans le cas d'un trope illocutoire, même lexicalisé).
C'est pourquoi la formulation tropique doit être réservée à certaines
situations particulières et, dans le cas de l'hyperbole, à celles où "nous
sommes vivement frappés de quelque idée que nous voulons représenter et
que les termes ordinaires nous paraissent trop faibles pour exprimer ce
que nous voulons dire" (Dumarsais, 1988: 131). L'hyperbole va donc
permettre à la fois de restituer (connotativement) la force de cette
impression sans pour autant tromper (dénotativement) le récepteur.
Perrin (1990: 202) exprime une idée similaire en des termes un peu
différents: l'hyperbole véritable consiste, nous dit-il, à "exagérer
sciemment et ostensiblement […], mais non point gratuitement", car "ce
qui doit être rabattu du sens littéral pour accéder au sens figuré ne
recouvre pas tout l'écart manifesté initialement entre ce qui est dit et ce
qui aurait été perçu comme vraisemblable"; d'où certains effets
contextuels supplémentaires que l'auteur, reprenant la théorie de la
pertinence élaborée par Sperber et Wilson (1989), traite en termes
d'inférences supplémentaires déclenchées par l'exagération. On peut
encore dire que l'exagération est "jouée" par l'émetteur, qui s'arrange pour
qu'elle soit "déjouée" par le récepteur, lequel n'est pas dupe de l'illusion
tout en en subissant certains effets6. On peut enfin, de façon à mon avis
plus contestable7, aller jusqu'à imputer le sens littéral (celui que le
locuteur ne prend pas à son compte) à un énonciateur imaginaire,
l'hyperbole venant alors allonger la liste des phénomènes relevant de la
polyphonie énonciative.
Mais l'essentiel reste que, dans l'hyperbole au sens strict, l'exagération est
faite pour être identifiée comme telle par le récepteur. On peut donc se
demander quel intérêt peut présenter pour les candidats, dans le cas de
nos débats, une telle figure.
6
Dans L'implicite (Kerbrat-Orecchioni, 1986: 147-151), je suggère que l'on peut appliquer au
fonctionnement du trope la notion psychanalytique de sujet clivé (le trope étant envisagé du
point de vue de sa réception, mais cela vaut aussi dans une certaine mesure pour son
émission).
7
Ne serait-ce que parce qu'un tel traitement masque la spécificité de l'ironie, dans laquelle
cet énonciateur supposé est pris pour "cible" du trope, ce qui n'est pas le cas dans
l'hyperbole (sauf justement si elle est en outre ironique).
Catherine Kerbrat-Orecchioni 15
La rareté de ces hyperboles doit être mise en relation avec l'objectif des
locuteurs dans ces débats et le contrat de "sérieux" qui préside à ces
échanges: on ne voit pas bien quel intérêt il y aurait pour un candidat à
présenter les choses d'une façon sciemment et ostensiblement exagérée
(en quelque sorte "pour de rire") – dans un tel contexte, le procédé serait
faiblement productif, voire contre-productif.
En revanche, l'efficacité saute aux yeux d'un usage bien particulier de
l'hyperbole, qui s'inscrit dans un fonctionnement dialogique et consiste à
reprendre les propos de l'adversaire en les "hyperbolisant" et, par là même,
en les ridiculisant. Le procédé de l'hyperbole citée (fallacieusement) est
bien représenté dans le corpus, par exemple:
2012, NS: j'ai écouté Monsieur Hollande/ c'est/ c'est assez classique/ (.) ce qu'il a dit/
[…] il a dit qu'il serait un président extraordinaire/ si les Français le choisissaient/
8
Sur ce principe, voir Kerbrat-Orecchioni (1986: 236-237 & 1992: 186-189).
16 L'hyperbole: approche rhétorique, énonciative et interactionnelle
9
La différence entre ces deux types de comportements discursifs s'incarne dans les figures
contrastées de Cyrano le Gascon et de Tartarin le Tarasconnais.
10
Ce terme étant dans certains cas à prendre dans son sens le plus littéral: "L'hyperbole
fleurit à la Une de certains journaux parisiens. 'Paris livré aux casseurs autonomes', tonne
Le Figaro. Le lecteur de province pourra le croire, non celui de la capitale" (Le Monde, 25-03-
1979).
Catherine Kerbrat-Orecchioni 17
électoraux et la visée globale des discours tenus de part et d'autre (il s'agit
de faire admettre une évaluation la plus positive possible de soi-même et la
plus négative possible de son adversaire), il n'est pas étonnant que ces
débats constituent un terrain propice aux "hyperboles du deuxième type",
lesquelles impliquent une formulation intensive qui, d'une part, n'est pas
présentée comme excessive par l'émetteur – il prend d'ailleurs parfois le
soin de l'indiquer lui-même:
1981, JC: les efforts que nous avons accomplis/ seraient (.) compromis/ excusez le
mot/ ruinés/ si le programme tel qu'il est présenté par monsieur Mitterrand/ entrait
en application/ l'été prochain\
1988, FM: tout cela montre une MAIN MISE/ de caractère/ TOTAlitaire/ je n'hésite pas/
à employer ce mot/ (.) sur les moyens de l'information\
Mais, d'autre part, cette même formulation est estimée exagérée par le
récepteur.
Il convient à cet égard de rappeler que les débats médiatiques se
caractérisent par l'existence, outre les participants "actifs" (débatteurs et
animateurs), d'une "masse" hétérogène de récepteurs qui, sans pouvoir
intervenir directement dans le débat, n'en constituent pas moins les
destinataires principaux des propos que les candidats échangent sur le
plateau. Toutefois, en l'absence de toute trace observable, dans le texte de
l'interaction, des jugements portés par ces instances évaluatrices
invisibles, on ne prendra ici en compte que les exagérations dénoncées
comme telles par l'interlocuteur.
choses négatifs dont il est censé être plus ou moins responsable (on
n'hésite pas à noircir le tableau):
le cancer des délocalisations; des crises d'une violence absolument inouïe;
la situation faite aux veuves est catastrophique; un formidable problème de pouvoir
d'achat; les immenses difficultés de la ménagère;
un scandale absolu; une injustice insupportable;
le chômage est une TARE, une maladie qui risque d'être mortelle pour notre société;
ce feu qui emporte nos vies;
des femmes au bout du bout du bout de la détresse;
11
Sur ce problème, voir Verine (2008) et son opposition entre hyperboles "heureuses" vs
"malheureuses" – termes qu'il emploie dans une perspective un peu différente de celle de
Perrin (1990 & 1996: 76-85), pour qui ces termes renvoient plutôt, dans la lignée de la
rhétorique classique, à la question des conditions du "bon usage" de l'hyperbole.
Catherine Kerbrat-Orecchioni 19
pour nous centrer sur la question des réactions portant sur le caractère
hyperbolique de l'énoncé initiatif, sans que soit remise en cause son
orientation argumentative globale.
Se pose en amont la question de savoir si B interprète correctement
l'intention communicative de A. Dans le cas des hyperboles du premier
type, B peut, par exemple, prendre à la lettre une affirmation que A
présente lui-même comme exagérée, ainsi dans cet échange relevé sur le
vif:
– J'en ai rencontré 450 des exemples de ce type
– 450???
– Façon de parler, mais j'en ai bien trouvé une douzaine!
2007, NS: […] premier point\ vous voulez tout remettre à plat (.) c'est-à-dire tout le
travail qui a été fait vous voulez le démolir\ (.) [deuxième point (.)
SR: [pas démolir mais remettre à
plat\ remettre à plat ça n'est
pas démolir vous êtes brutal
On voit par cet exemple les enjeux argumentatifs qui s'attachent à de telles
négociations: au sortir de deux années de cohabitation où la France a été
gouvernée par la droite, Jospin a tout intérêt à amplifier la représentation
des inégalités sociales, que la gauche est censée être plus apte à "réduire".
4. Conclusion
12
Sans que l'on puisse pour autant considérer que toute hyperbole est une métaphore, ni que
"toute métaphore est une hyperbole" (Perrin, 1996: 51 sqq.).
13
Voir Vivero García (2011: 47-49); et, pour la combinaison litote/ironie, qui n'est pas du tout
de même nature, Kerbrat-Orecchioni (2011: 70).
14
L'hyperbole et l'euphémisme sont pour Klemperer (1996) les deux caractéristiques
principales de la LTI (langue du IIIe Reich).
Catherine Kerbrat-Orecchioni 21
15
Si Dumarsais (1988: 133) considère que "nous usons très rarement d'hyperboles en
français", Fontanier (1968: 124) déclare au contraire que l'hyperbole "revient à tout moment
dans la conversation, et même sans qu'on s'en aperçoive". C'est sans doute qu'ils ne se
réfèrent pas aux mêmes types de discours.
16
Pensons, par exemple, à la sinistre déclaration de Darquier de Pellepoix en 1978: "À
Auschwitz, on n'a gazé que des poux".
22 L'hyperbole: approche rhétorique, énonciative et interactionnelle
17
Dans la conversation ordinaire, nous sommes en permanence pris en tenaille entre ces deux
pulsions opposées, ce qui peut donner lieu à des énoncés tels que "en général il arrive
toujours en retard", ou "en général à la Toussaint il ne fait jamais beau", dont le caractère
contradictoire passe d'ailleurs très généralement inaperçu.
Catherine Kerbrat-Orecchioni 23
Toute la nuit, il a retourné dans sa tête les phrases qui lui signifieraient comme il la
trouvait belle, combien il était heureux, sans verser toutefois dans la grandiloquence
qui était peut-être après tout à la mesure de ce qu'il éprouvait (il ne saurait dire), mais
qui paraîtrait à Hélène excessive ou de pure convention.
(Pierre-Louis Rey, Le Reflux)
Bibliographie
18
Pour d'autres genres qui cultivent l'hyperbole, voir par exemple Vanoudheusden (2013) sur
le discours des journalistes sportifs ainsi que, dans ce volume, l'étude de Bonhomme sur le
discours publicitaire.
Travaux neuchâtelois de linguistique, 2014-2015, 61-62, 25-41
Paola PAISSA
Université de Turin
Der vorliegende Artikel analysiert figurative Strategien, welche mit der Hyperbel in
Zusammenhang stehen können. Zunächst werden die Wortfiguren oder Tropen
untersucht, dann die Denkfiguren oder Metalogismen. Anschliessend wird hinterfragt,
ob die Beibehaltung dieser klassischen Unterscheidung nach wie vor sinnvoll ist. Aus
einer pragma-enunziativen Perspektive lässt sich ausserdem die Aktivität
beobachten, welche die Figur des Exzessiven und der Überschreitung beim
Enunziator und Enunziatär auslöst. Dabei stellt sich dieses figurative Phänomen als
Konfrontationspunkt verschiedener Sichtweisen und als Etappe der
Bedeutungsverhandlung heraus.
1
Pour une revue historique des traitements de l'hyperbole, voir Barsi (2010).
2
En effet, c'est le schéma de la comparaison et de la métaphore qui est le plus souvent
évoqué dans les répertoires tant anciens que modernes.
3
L'hyperbole est souvent considérée comme la figure emblématique de la transition entre
ces deux domaines (cf. Ravazzoli, 1978; Stolz, 1999).
26 L'hyperbole, une "figure dérivée" par excellence
4
Cf., entre autres, les inventaires de Dupriez (1984), Morier (1989), Romero (2004), Verine
(2008), Béguelin (2011).
Paola Paissa 27
contraire que la figure affiche "le fait que les mots ne produisent pas du
sens en tant que miroirs du monde extralinguistique" (Rabatel, 2008: 12).
Par là, le phénomène figural nous interdit de faire appel au principe
apodictique de la "vérité", y compris en la faisant coïncider avec l'intention
communicative du locuteur, comme le fait Perrin (1996), en la soumettant
aux cautions qui caractérisent, d'après les études de pragmatique, la
"vérité linguistique" (Perrin, 1996: 42). Par ailleurs, dans la réflexion sur
l'hyperbole, le paramètre véridictoire possède depuis toujours une valence
double, car il est parfois convoqué sur le plan communicationnel (la "vérité"
est le résultat du mécanisme interprétatif) et parfois sur le plan
ontologique (c'est alors l'excès qui éloigne de la "vérité"). Une
confrontation entre la définition de Dumarsais et celle de Fontanier nous
permettra d'illustrer cette ambivalence, qui persiste dans certains
répertoires modernes5. Suivant Dumarsais (1988: 131), l'hyperbole est un
abus au niveau ontologique, puisqu'elle se sert de mots qui pris "à la lettre
vont au-delà de la vérité"; toutefois, au niveau communicationnel, son
critère apparaît compatible avec notre vision moderne de la convenance
pragmatique, vu que l'hyperbole vise à former "dans l'esprit" de
l'interlocuteur "une idée plus conforme à celle que nous voulons y
exciter" (Dumarsais, 1988: 131). En revanche, selon Fontanier, proche des
idéologues (Douay-Soublin, 1994), la vérité est l'issue certaine du
processus figural et interprétatif: le fait d'augmenter ou de diminuer "les
choses avec excès" a pour but "d'amener à la vérité même et de fixer, par
ce qu'elle a d'incroyable, ce qu'il faut réellement croire" (Fontanier, 1968:
123). Or, à notre sens, la référence à la vérité s'avère trompeuse, quel que
soit son statut: c'est plutôt le schéma cognitif sous-jacent du "discours
comme réalité" (Forget, 2000: 111 et passim) qui intervient dans
l'hyperbole, et ceci du côté de la production autant que du côté de la
réception. Auprès de l'énonciateur, ce schéma active une prévision sur la
procédure interprétative et évaluative qu'il pourra déclencher auprès de
l'énonciataire et, chez celui-ci, il sollicite la formulation d'une hypothèse
sur l'intention communicative de l'énonciateur6, doublée d'une
appréciation sur la proximité de cette supposition avec la représentation
de la réalité dont le destinataire dispose. L'émission d'hypothèses et
l'estimation de leur adéquation à la représentation de la réalité
constituent, à l'évidence, des paramètres variables et incompatibles avec
la "vérité", conditionnés qu'ils sont par des facteurs subjectifs, contextuels
et doxiques.
5
Cf. Dupriez (1984), Mortara Garavelli (1988), Molinié (1992), Fromilhague (1995).
6
L'idée de la supposition de l'énonciataire est évoquée par Kerbrat-Orecchioni (2002).
28 L'hyperbole, une "figure dérivée" par excellence
7
Cf. Ravazzoli (1978).
8
Le relevé qu'effectue Cano Mora (2006) concerne l'anglais parlé, mais l'indication qu'il offre
sur la prédominance du vecteur métaphorique est significative.
9
C'est évidemment nous qui soulignons le sommet hyperbolique.
Paola Paissa 29
10
La distinction de Charbonnel (1999) entre la comparaison (type: "Elle est belle comme sa
mère") et la similitude, qui opère une rupture d'isotopie ("Elle est belle comme un soleil"),
nous paraît pertinente, surtout relativement à l'hyperbole.
30 L'hyperbole, une "figure dérivée" par excellence
11
Sur la base métaphorique de ce genre d'antonomases et sur les différences de
fonctionnement du type (6) et (7), cf. Leroy (2000; 2005).
12
Dans la théorie culiolienne, l'attracteur, représentant l'occurrence idéale, s'oppose au
"type", qui n'est qu'un étalon de conformité (Culioli, 1990). Mellet (2009) reprend la notion
d'attracteur, pour décrire celle de "frontière", en tant que co-construit discursif. Dans
l'application que nous faisons de ce concept à l'hyperbole, c'est le point culminant de
l'échelle d'intensité qui assume pour nous la fonction d'un attracteur. Tamba-Mecz (1981:
144-161), dans son traitement du sens figuré intensif, parle de l'"étalon du degré extrême"
comme d'un "modèle exemplaire", de l'"incarnation" même d'une propriété; la nature
"idéale", "absolue" ou "inatteignable" du sommet hyperbolique est également soulignée par
Perelman et Olbrechts-Tyteca (1958: 389), ainsi que Perrin (1990: 205).
13
"Ceux qui nous entendent, rabattent de notre expression ce qu'il en faut rabattre, et il se
forme dans leur esprit une idée plus conforme à celle que nous voulons y exciter que si nous
nous étions servis de mots propres" (Dumarsais, 1988: 147).
14
On sait que la référence à la norme doxique est un caractère récurrent dans les définitions
de l'hyperbole: cf. Verine (2008), qui parle d'une évaluation plus intense que celle
"ordinairement associée à la représentation d'objets comparables" (nous soulignons). Ce
qui intéresse le locuteur hyperbolisant, c'est l'intention de faire adhérer l'énonciataire, ne
serait-ce que le temps de la réception figurale, à son univers de croyances, ce qui explique
le recours plus fréquent, dans la figure, à des éléments doxiques.
Paola Paissa 31
15
C'est un cas analogue à celui de l'attracteur non mentionné, dont Mellet donne un exemple
qui est justement basé sur une séquence elliptique, "occurrence idéale de la notion,
inatteignable et indicible ('il y avait un de ces vents, j'te dis pas…')" (Mellet, 2009: 13).
16
La référence aux procédés périmétonymiques est relativement rare: évoqués par Ravazzoli
(1978) et Bonhomme (1998), les vecteurs métonymiques sont généralement délaissés dans
les descriptions des procédés hyperboliques.
17
Nous empruntons ce terme à Bonhomme (2006).
32 L'hyperbole, une "figure dérivée" par excellence
(10) Les coups, lents et réguliers, semblaient éveiller […] le sommeil traînant sur le
carreau. […] Il y avait là toutes les faims matinales des Halles, mangeant, se
brûlant, écartant un peu le menton pour ne pas se tacher.
(Zola, Le ventre de Paris)
(11) Elle éprouvait une espèce d'écœurement à entendre-là – la sottise parler si
haut. (Goncourt, Madame Gervaisais)
(12) Je l'ai vu cette nuit, ce malheureux Sévère,
La vengeance à la main, l'œil ardent de colère.
(Corneille, Polyeucte)
18
Nous suivons ici la définition de Bonhomme (2006: 59) de la métalepse comme "métonymie
chronologique".
Paola Paissa 33
Dans les exemples ci-dessus, l'énonciateur principal inscrit dans son dire
un PDV2 qui fait l'objet d'une négation: dans l'exemple (13), il s'agit d'un
PDV2 doxique, qui serait à l'origine de la prédication implicite (être malade
= être dégoûtant); dans l'exemple (14), c'est le PDV2 du protagoniste du
récit bien connu de Vercors, dont les collègues de la Gestapo rapportent les
propos pour les nier de manière dérisoire. Quelle que soit la nature de ce
PDV2, le mécanisme de la litote met en scène un conflit entre un PDV1 et un
PDV2 et déploie, en correspondance de ces deux pôles énonciatifs, deux
espaces concurrents. Si le PDV2 est à l'origine d'une prédication outrée et
hyperbolique (être dégoûtant au lieu d'être simplement laid), l'espace
correspondant au PDV2 en résulte élargi, puisque l'attracteur hyperbolique
prolonge l'échelle graduée et en éloigne la borne supérieure. Cela renforce
l'effet expressif de la figure, obligeant l'énonciataire à redescendre par un
parcours inverse plus long. Bien que l'interprétation du destinataire se
situe en deçà du sommet hyperbolique, elle en est donc plus proche (la
19
Bonhomme (2010) critique l'ambiguïté de cette dénomination de nature conceptuelle
étendue à des figures référentielles, comme l'est justement l'hyperbole. Il lui préfère la
dénomination "métalogisme" du Groupe μ, que nous utiliserons comme synonyme.
34 L'hyperbole, une "figure dérivée" par excellence
malade de Molière est loin, et même très loin, d'être "dégoûtante", ce qui
signifie qu'elle est fort belle; la politique est loin, et même très loin, d'être
un "rêve de poètes", comme le voudrait Werner von Ebrennac, c'est
pourquoi elle est vexation, violence, cruauté, etc.). La possibilité pour la
litote d'intégrer une hyperbole fondée sur un attracteur de nature doxale et
interdiscursive se trouve à l'origine des nombreuses catachrèses litotiques
jouant sur la force de la pointe hyperbolique: Ce n'est pas un aigle! et Il
n'est pas manchot!
Un mécanisme de renforcement produit par la figure de l'excès, semblable
à celui de la litote, se met en place avec l'antithèse, dont le Groupe μ (1970)
a souligné la facilité à se combiner avec des hyperboles. Là aussi, la figure
polarise le conflit entre deux PDV (Paissa, 2014) et tire profit du fait de
construire deux échelles concurrentes, qui s'étirent chacune vers deux
directions contraires grâce aux hyperboles mises en opposition. Dans
l'exemple (16), que nous empruntons à Béguelin, ce n'est donc pas, à notre
sens, l'hyperbole qui est "mise en valeur par une antithèse" (Béguelin,
2011: 249), mais c'est plutôt l'hyperbole qui valorise l'antithèse, en
augmentant la tension des deux pôles opposés:
(15) Un malheur éternel sera le prix de l'amour le plus tendre; et vous l'aurez
voulu, et ce sera votre ouvrage.
(Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses)
(16) C'est parfois une calamité qu'une grande fortune.
(Mérimée, 1870; TLF, ad vocem "calamité")
Comme dans les exemples (13) et (14), la nature des PDV2 qui s'opposent à
celui de l'énonciateur principal est différente: en (15), il est question de
PDV des personnages (le PDV1 du roué Valmont, dictant la lettre à Danceny,
s'oppose à celui de l'innocente Cécile, vouée à l'"amour le plus tendre"); en
(16), en revanche, c'est un PDV doxique qui est écarté, quoique sous l'effet
du modalisateur temporel "parfois" (avoir "une grande fortune" ne
constitue généralement pas une "calamité"). Ce qui importe, c'est que les
deux dispositifs mettent en scène un conflit ouvert de PDV et que l'emploi
de l'hyperbole, en correspondance des deux PDV, augmente la distance
entre eux, provoquant, en retour, une interprétation aux effets renforcés.
Dans le cadre de l'antithèse, un dispositif particulier est constitué par
l'antéisagoge (Fromilhague, 1995: 51). Deux exemples tirés de Vercors, où
ce mécanisme est fréquent20, nous permettront de l'illustrer.
(17) Pâle, non pas comme de la cire mais comme le plâtre de certains murs
délabrés.
(Vercors, Le silence de la mer)
20
En général, tous les procédés de négation assument une valeur particulière dans Le silence
de la mer (cf. Paissa, 2011).
Paola Paissa 35
(18) Et je vis, à la limite du front et de la chevelure, non pas naître, mais jaillir –
oui, jaillir – des perles de sueur.
(Vercors, Le silence de la mer)
21
Cf., dans le même passage, la description des lèvres, des pupilles de la nièce, puis de la
main de l'officier.
22
Ces exemples correspondent à des cas où l'antéisagoge comporte le rejet d'une expression
hyperbolique conventionnelle (être pâle comme de la "cire", "naître des perles de sueur").
Cette figure, qui mériterait une étude à part puisqu'elle illustre au premier chef que la
nomination est un "positionnement" (Siblot, 2001), peut comporter aussi le rejet d'une
formule interdiscursive, d'une anaphore intertextuelle, etc.
23
La dénomination "contrefision" de Forget (2000: 131-132), désignant une évolution
graduelle vers l'absurde déclenchée par la formule "tant qu'à y être…", ne se réfère pas à ce
36 L'hyperbole, une "figure dérivée" par excellence
qu'on entend par "contrefision" dans d'autres répertoires et notamment chez Fontanier
(1968: 152).
24
Plantin (1993: 493), s'appuyant sur la théorie des échelles argumentatives de Ducrot, parle à
ce propos de "pente fatale " et de "mouvement d'exagération absurdifiante".
Paola Paissa 37
4. Conclusion
25
Par ailleurs, il est significatif que Cicéron ait recommandé d'utiliser les procédés
d'amplification, dont l'hyperbole, pour augmenter l'efficacité de la péroraison et le pathos
qu'elle peut susciter: Cicéron, Divisions de l'art oratoire (Partitiones Oratoriae, 53).
26
La définition classique des figures "de pensée" se fonde sur le critère de la
paraphrasabilité: les figures "de mots" ne supporteraient pas la paraphrase, alors que les
figures "de pensée" restent telles même si les mots qui les composent sont modifiés ou
remplacés par d'autres. Desbordes (1986) juge "embarrassante" cette définition
uniquement négative des figures "de pensée". Forget (2000), qui offre pourtant une étude
fouillée de cette catégorie de figures, se base encore sur cette définition traditionnelle.
Paola Paissa 39
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Travaux neuchâtelois de linguistique, 2014-2015, 61-62, 43-61
Laurent PERRIN
Université de Paris-Est Créteil, Céditec
Diese Studie befasst sich mit dem Zusammenhang zwischen den quantitativen
Eigenschaften der Bedeutungsintensität und den enunziativen Merkmalen der
linguistischen und rhetorischen Intensivierung. Der erste Teil der vorliegenden Arbeit
analysiert die sprachlichen Aspekte der konzeptuellen Intensität und der
enunziativen Intensivierung. Im zweiten Teil werden die internen Merkmale dieser
Intensivierung sowie die externen Eigenschaften des propositionalen Ausdrucks
untersucht. Im dritten und vierten Teil wird die rhetorische Intensivierung
durchleuchtet, welche die Hyperbel und die Litotes charakterisiert. Der fünfte und
letzte Teil beschreibt die Verbindungen zwischen der rhetorischen Intensivierung,
dem Sarkasmus und der Ironie.
1
Les expressions intensives seront marquées en gras dans tous les exemples de cette étude.
Nous reviendrons, dans la seconde partie, sur les effets de l'adverbe d'énonciation
franchement, que nous définirons comme un modalisateur d'intensification "externe" à
l'expression de la proposition énoncée.
46 L'intensification dans l'hyperbole et la litote
2
En ce qui concerne différents aspects de cette distinction entre les notions d'"intensité" et
d'"intensification", voir les diverses approches réunies par Anscombre et Tamba (2013), en
particulier les articles d'Anscombre, d'Adler et Asnes, de Larrivée, de Lenepveu.
Laurent Perrin 47
3
Ducrot (1995) parle à ce sujet de modificateurs "réalisants" – consistant à renforcer la force
d'intensification énonciative associée à l'intensité conceptuelle représentée – et
respectivement de modificateurs "déréalisants" consistant soit à atténuer, soit à inverser
l'intensification qui s'y rapporte. Parmi d'autres curiosités sémantico-pragmatiques, le rôle
des "intensifieurs" et respectivement des "atténuateurs" ou "inverseurs" en quoi consistent
les "modificateurs réalisants" ou "déréalisants" permet d'expliquer accessoirement ce qui
caractérise la force d'intensification associée à l'emploi figuratif de certaines expressions
conceptuellement non graduables ou quantitatives à la base (comme l'adjectif carré dans le
cadre d'une construction comme: Un raisonnement un peu / vraiment très carré).
48 L'intensification dans l'hyperbole et la litote
4
Analysées notamment par Marandin (2010) et Anscombre (2013), à la suite de Milner (1978).
5
Nous reviendrons brièvement, à la fin de cette étude, sur les effets sarcastiques associés à
l'énonciation de la proposition subordonnée dont relève l'expression superlative La
meilleure du monde.
Laurent Perrin 49
Que dis-je en (7) est quant à lui un connecteur reformulatif, dont les effets
modalisent l'énonciation d'une proposition (cette école où l'on frappe les
institutrices) comme une intensification de ce qui est exprimé dans le
cadre d'une proposition préalable (cette école où l'on menace les
institutrices)6:
6
À l'inverse de que dis-je, d'autres connecteurs reformulatifs comme disons, par exemple,
ont en revanche des effets déréalisants consistant à modaliser l'énonciation d'une
proposition comme une atténuation de ce qui a été formulé préalablement. La substitution
Laurent Perrin 51
(7) Cette école où l'on menace – que dis-je? – où l'on frappe les institutrices avec
des couteaux de cuisine.
(Le Nouvel Observateur, 04-06-2009)
Quel que soit ce qui les oppose respectivement, ces marques linguistiques
en quoi consistent les interjections et autres formules sont des indices
d'intensification énonciative externe à l'expression propositionnelle
qu'elles modalisent. Elles s'articulent d'une part à l'intensification
énonciative interne, attachée à l'expression conceptuelle de l'intensité
quantitative abordée dans la première partie de cette étude, et d'autre part
à diverses formes de figures de rhétorique au plan discursif.
de disons à que dis-je en (7) impose donc une inversion de l'ordre des propositions (Cette
école où l'on frappe, disons où l'on menace les institutrices).
7
Impliquées notamment dans l'un des vers les plus souvent cités de la "tirade du nez"
d'Edmond Rostand: "C'est un roc!… C'est un pic!… C'est un cap!… Que dis-je, c'est un cap?…
C'est une péninsule!" (Cyrano de Bergerac, I, 4).
52 L'intensification dans l'hyperbole et la litote
(8) La semaine passée, un employeur a été pris car il faisait travailler 60 Portugais
contre un salaire de 2,06 euros de l'heure. C'est totalement totalement
totalement inacceptable. [Le premier ministre Elio di Rupo, présentant son plan
contre le dumping social devant l'assemblée législative de Belgique]
(Liberation.fr, 01-12-2013)
8
Sous l'effet notamment des instructions indiciaires associées à une formule verbale
d'intensification énonciative externe, de forme interrogative (vous entendez?).
Laurent Perrin 55
pour les faire valoir au plan rhétorique, les rétablir par sous-entendu. La
litote et l'hyperbole se confrontent aux mêmes circonstances associées à
l'énormité contextuelle de ce qu'elles représentent, et visent le même
genre d'intensification rhétorique à l'arrivée. Seuls les moyens énonciatifs
et rhétoriques d'y parvenir diffèrent, en particulier les attitudes émotives
dont elles procèdent. En témoigne notamment l'exemple ci-dessous, où
l'interlocuteur confirme explicitement dans sa réponse les effets
d'intensification rhétorique implicitement attachés à une forme de litote:
(12) – Pas facile facile comme situation
– À qui le dis-tu c'est clair que c'est une situation très difficile.
(Interview AIEM, Borny)
La formule je peux dire joue ci-dessous un rôle analogue chez Céline, qui
permet dès lors de paraphraser l'énonciation de la proposition pas
beaucoup admiré les femmes par très peu admiré les femmes, et ensuite
l'énonciation de j'étais sensible par quelque chose comme j'étais très
sensible ou vraiment sensible:
(14) pas beaucoup admiré les femmes, je peux dire, dans une pourtant juponnière
vie… mais là je peux dire j'étais sensible…
(Céline, D'un château l'autre)
9
C'est le cas également, par exemple, de l'énonciation de la proposition la route est longue
en (5) – dans la deuxième partie de cette étude –, dont l'intensification interne est
déséquilibrée par les instructions externes d'une interjection préposée d'une part, et celles
d'une formule verbale énonciative postposée de l'autre. Compte tenu du fait qu'aucune
58 L'intensification dans l'hyperbole et la litote
5. Conclusion et perspectives
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Travaux neuchâtelois de linguistique, 2014-2015, 61-62, 63-78
Geneviève SALVAN
Université Nice Sophia Antipolis
Dieser Beitrag interessiert sich für die paradoxe Verwendung des in der mündlichen
Sprache häufig vorkommenden, französischen Adverbs juste. Bei diesem Gebrauch
steht juste vor einem Verstärkungswort und modalisiert es, wie im Satz Marie est
juste fabuleuse. Wir werden sehen, dass eine solche oxymoronische Struktur, die
Angemessenheit und Intensität gegenüberstellt, in bestimmten Diskursen auf die
referenzielle und enunziative Funktion der Hyperbel zurückgreift. Ausserdem werden
wir den übertreibenden Effekt von juste anhand eines Vergleichs von hyperbolischen
Aussagen erkennen, welche auf dieses Adverb zurückgreifen bzw. verzichten.
Letztlich wird uns diese ebenso lexiko-semantische wie pragma-enunziative Studie
zum Wort juste erlauben, die Hyperbel klarer von der Litotes abzugrenzen1.
1
Je remercie Anna Jaubert pour les discussions qui ont accompagné la rédaction de cette
étude.
2
Rappelé, entre autres, par Verine (2008) et Béguelin (2011).
3
Tamba-Mecz (citée par Béguelin, 2011: 240), Bonhomme (2005), Gardes Tamine (2011).
64 Juste la fin du monde. L'excès juste, ou l'hyperbole exagère-t-elle toujours?
les énoncés suivants: L'année a été juste formidable, Marie est juste
parfaite, Ce moment était juste fabuleux. Je voudrais montrer que sous
couvert d'une formulation oxymorique où se côtoient "justesse" et
"intensité", la structure présente, dans certaines conditions de discours, le
fonctionnement référentiel et énonciatif de l'hyperbole. Après avoir
présenté mon corpus d'exemples (1.), je m'attacherai à expliquer ce qui,
dans le signifié de juste, rend possible cet effet de sens (2.), puis j'étudierai
les positionnements énonciatifs sous-jacents à la figure (3.) et sa
fonctionnalité dans le discours (4.).
Soit le corpus d'exemples suivant (les exemples sont reproduits tels quels,
avec leurs fautes d'orthographe) 4:
(1) Juste Sublime c'est un blog beauté tenu par deux sœurs passionnées par tout
ce qui se rapporte aux cosmétiques et au bien-être.
(http://www.justesublime.fr/a-propos/, consulté le 08-10-14)
(2) Zone Franche à Bagneux, c'était juste prodigieux! Des tonnes de bonne humeur,
des tas de rencontres passionnantes, deux grosses soirées inoubliables avec
les grenouilles et Stéphane Marsan, la découverte de la nouvelle de Macalys
(Marie-Anne Cleden), le conte de Vanessa (toujours habitée par son texte), les
prix obtenus par les grenouilles pour leur nouvelle (Anthony Boulanger, Philippe
Deniel et Marie-Anne Cleden), des conférences de qualité, avec comme point
d'orgue celle où nous avons eu droit à la reconnaissance élogieuse de
Stéphane, un moment fort, très fort.
(http://lacitenoire.blogspot.ch/2011/03/zone-franche-bagneux-cetait-
juste.html, 10-03-2011, consulté le 08-10-2014)
(3) Courteney. – Moi, ça fait un moment que je l'utilise. Mais j'ai le modèle
pailletée!! Et sur une peau bronzée, c'est juste parfait!!!
(http://www.lesdessousdemarine.com/2012/07/31/mes-produits-chouchou-
de-l-été-2-l-huile-prodigieuse-de-nuxe/, 31-07-2012, consulté le 08-10-2014)
(4) Alors, c'est sûr, le set d'apprentissage est peut-être le matériel Montessori le
plus célèbre. Et le plus facile à fabriquer. Est-ce pour cela que j'ai tant traîné à
le confectionner? Et pourtant, c'est évident, les idées les plus simples sont les
meilleures. Et ce set est juste parfait.
Antonin en le voyant s'est exclamé que c'était "comme un puzzle", et n'a pas eu
besoin d'explications concernant son utilisation. Et un matériel qui se passe de
démonstration, je trouve cela vraiment idéal. D'une part, cela m'évite de
planifier une présentation (avec le risque qu'elle ne soit pas reçue comme il se
doit), d'autre part, cela me prouve illico que c'est exactement ce qu'il fallait
mon enfant de 29 mois là tout de suite. Juste parfait.
Et puis, le couvert d'Antonin est à présent placé à la perfection. Sans compter
qu'à chaque fois qu'il en a fini avec un couvert, il prend soin de le reposer à sa
place, sur sa silhouette. Ça tombe bien, parce que moi, les bruits métalliques
des petites cuillères tombant sur le parquet ont le don de me mettre les nerfs
en pelote en trois secondes chrono. Lesquels bruits sont largement limités
depuis que nous avons invité ce set à notre table. Juste parfait.
Enfin, ce set est un set. C'est-à-dire un truc qui permet de protéger la table des
multiples cochonssetés alimentaires…
(http://mercimontessori.blogspot.ch/2013/06/juste-parfait.html, 10-06-2013,
consulté le 08-10-2014)
(5) Vous voyez ces 5 garçons ils sont juste parfait, Normal c'est les One Direction. ♥
Être Directioner c'est bien plus qu'une passion c'est juste Magnifique regardez
chaque jours des photos ou des vidéos d'eux c'est du pur bonheur, quand je les
voies je suis juste fière de ce qu'ils sont devenus.
(http://liitle-thing.skyrock.com/3011375749-Vous-voyez-ces-5-garcons-ils-
sont-juste-parfait-Normal-c-est-les-One.html, consulté le 08-10-2014)
(6) Une année juste formidable! Je veux que vous sachiez que cette année à
surement était la plus belle année de ma vie, car je l'ai passer avec vous! […] il
y' a une personne a qui je veux juste dire que c'est 2 mois vont surement être
les pires jours de ma vie! Je t'aime, je t'aime même trop! Dans la rue tout les
4
Les gras et les soulignés sont de moi.
66 Juste la fin du monde. L'excès juste, ou l'hyperbole exagère-t-elle toujours?
deux MAGNIFIQUE!! […] Il y 'en a que je ne pensait pas comme sa mais au delà
des apparences je me suis rendue compte qu'elle était EXTRAORDINAIRE!
(http://x-neverforgetwhoyouare-x.skyrock.com/3169873431-Une-annee-juste-
formidable.html, 23-06-2013, consulté le 08-10-2014)
(7) Jason Bright. – "CE CIRCUIT EST JUSTE INCROYABLE!" Figure emblématique du
championnat australien V8 Supercars (qui met aux prises des voitures de type
"tourisme" équipées de moteurs V8), le pilote australien Jason Bright va
participer pour la première fois aux 24 Heures du Mans! Était-ce une réelle
envie de participer aux 24 Heures du Mans ou est-ce que l'opportunité s'est
présentée? Non, c'est vraiment quelque chose que j'avais envie de faire! C'est
juste très dur de faire correspondre cette course avec le V8 Supercars! C'est
aussi difficile de gérer la Journée Test qui est obligatoire. […] Quels sont vos
premiers sentiments à propos du circuit? C'est juste un circuit incroyable! Il y a
seulement une poignée de pistes comme celle-là dans le monde avec une telle
histoire et où on prend vraiment plaisir à piloter!
(http://www.24h-lemans.com/fr/actualites/jason-bright-ce-circuit-est-
juste-incroyable-_2_1_1707_11189.html, 19-06-2013, consulté le 08-10-2014)
(8) Blake: "Juste fantastique". Yohan Blake, vice-champion olympique du 100 m:
"Ce soir, c'est une formidable soirée pour moi. J'ai 22 ans, je suis encore jeune
et pour mes premiers Jeux Olympiques, je gagne une médaille d'argent. Et avoir
deux représentants de la Jamaïque qui montent sur le podium, c'est juste
fantastique. C'était juste dingue. Non, je ne suis pas déçu, parfois, vous gagnez,
parfois vous perdez, vous ne pouvez jamais savoir ce qui va se passer."
(http://www.lequipe.fr, 06-08-2012, consulté le 08-10-2014)
(9) Bartoli en demi-finales: "Juste fabuleux". Après avoir atteint les demi-finales
grâce à sa victoire 7-6, 6-4 sur la Russe Svetlana Kuznetsova, Marion Bartoli a
estimé devant la presse mardi avoir "beaucoup de chance de vivre des
moments pareils" à Roland-Garros. Que ressentez-vous après cette
qualification pour les demi-finales? Marion Bartoli: "Là ça commence à
retomber, je me sens très fatiguée, mais à la sortie du match j'avais la chair de
poule. J'ai beaucoup de chance de vivre des moments pareils. C'est juste
fabuleux. Mais je ne veux pas m'arrêter là, j'ai encore de grandes choses à
vivre."
(http://www.leparisien.fr, 31-05-2011, consulté le 08-10-2014)
(10) Danse avec les stars: Pour Taïg Khris, "c'est juste l'enfer". Danse avec les stars
touche à sa fin. Samedi 1er décembre, TF1 diffuse la finale. Le public saura alors
qui d'Amel Bent, Emmanuel Moire ou Taïg Khris remportera l'épreuve. Ce
dernier a d'ailleurs été tout proche de ne pas se qualifier. En demi-finale, il
faisait face à Lorie pour savoir qui obtiendrait le dernier billet. Et le public a
décidé de le récompenser. Une décision qui le surprend, comme il l'explique à
20minutes.ch: "Lorie et Amel sont largement plus fortes que moi et je
n'imaginais pas une seconde pouvoir les battre. Mais il y a eu le coup de théâtre
de samedi dernier: le public a plus voté pour moi que pour Lorie. J'ai été très
choqué parce que techniquement elle mérite clairement plus la finale que moi".
Mais c'est bien Taïg Khris que les téléspectateurs retrouveront lors de l'ultime
étape. Il estime y être parvenu grâce à la charge importante de travail qu'il s'est
imposée: "Depuis le début de l'aventure, je suis celui qui travaille le plus. Je fais
parfois des journées de 11h de danse, je ne vois plus ma copine, c'est juste
l'enfer". Maintenant qu'il est là, Taïg Khris espère aller au bout: "J'ai déjà gagné
mon challenge: arriver en finale c'est juste extraordinaire. Mais je suis un
compétiteur donc c'est certain que je vais tout donner pendant la finale". Il sera
cependant loin d'être le favori.
(http://www.aufeminin.com, 01-02-2013, consulté le 08-10-2014)
(11) Sujet: "Être beau, c'est juste merveilleux"
(http://www.jeuxvideo.com/forums/1-51-34462940-1-0-1-0-etre-beau-c-est-
juste-merveilleux.htm, consulté le 08-10-2014)
Geneviève Salvan 67
En (1), Juste sublime est le nom d'un blog; l'exemple (2) est un article
relatant l'inauguration d'une zone franche; l'exemple (3) la réplique d'une
blogueuse à une autre utilisatrice de l'huile prodigieuse de Nuxe5; les
exemples (4), (5) et (6) sont tirés de divers blogs, celui d'une jeune maman
vantant les mérites du set d'apprentissage au repas de l'école Montessori,
ceux de deux jeunes filles survoltées, l'une s'extasiant devant la plastique
des membres d'un groupe de musique, l'autre remerciant ses amis de
l'année qu'elle a passée. Les exemples (7), (8), (9) et (10) sont des extraits
d'articles de journaux sportifs en ligne et d'un site consacré aux femmes.
Les exemples (11), (12) et (13) sont des sujets postés sur des forums de
jeux vidéo qui déclenchent des séries de réponses s'organisant en liste;
l'exemple (14) est un avis de consommateur sur un hôtel, posté sur le site
Tripadvisor, et enfin, l'exemple (15) est un énoncé oral de la conversation
quotidienne privée.
Dans tous ces exemples, le discours est dithyrambique, la tonalité
pompeuse et emphatique. L'énoncé intégrant juste constitue soit une
surenchère finale (3, 4) soit le déclencheur d'un développement textuel ou
discursif (2, 5, 6, 10). L'expression peut également apparaître en titre
d'article dans le corpus de presse (7, 8, 9), ou constituer un sujet de forum
(11, 12, 13, 14), attestant son aptitude au détachement et à la sur-
assertion, typique du régime d'énonciation que Maingueneau (2006a,
2006b, 2011) nomme aphorisation. Les indices contextuels mélioratifs sont
nombreux et convergents. Ils sont à la fois lexico-sémantiques,
5
Cette marque de cosmétiques fonde sa gamme sur des désignations hyperboliques: outre
l'huile prodigieuse©, on trouve la ligne nirvanesque©, la ligne merveillance©, et la crème
nuxellence©. Les cosmétiques Garancia font quant à eux dans la surenchère hyperbolique,
quoique plus inquiétante et donc sélective, avec entre autres le philtre légendaire, la
diabolique tomate, l'eau de sourcellerie, et l'élixir du marabout.
68 Juste la fin du monde. L'excès juste, ou l'hyperbole exagère-t-elle toujours?
6
L'exemple (14) est d'ailleurs issu de la traduction automatique par Google d'un avis de
consommateur rédigé en anglais. Réduire l'emploi de juste à un anglicisme ne résout certes
rien, mais cela explique le trait sémantique /seulement/ qui, associé à une caractérisation
intensive, fait l'oxymore.
7
http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2009/03/03/1442947_le-monde-des-
expressions-c-est-juste-pas-possible.html, 03-03-2009, consulté le 13-07-2014.
8
http://french.stackexchange.com/questions/2733/pourquoi-dit-on-cest-juste-magnifique,
05-07-2012, consulté le 13-07-2014.
9
http://french.stackexchange.com/questions/2733/pourquoi-dit-on-cest-juste-magnifique,
14-06-2012, consulté le 13-07-2014.
10
http://sobusyblog.fr/2011/10/07/nan-mais-cest-juste-pas-possible-la/,
07-10-2011, consulté le 13-07-2014.
Geneviève Salvan 69
dit pas le moins pour évoquer le plus, il dit plutôt "l'exact"11. D'autre part, la
litote relève de l'hypo-assertion, ou énonciation "en-deçà" (Bonhomme,
2005: 106), tandis que l'hyperbole relève de l'hyper-assertion, ce qui est
bien le cas de nos énoncés dont la tension énonciative est forte. Ils
expriment en outre des points de vue dont la prise en charge énonciative
par l'énonciateur premier ne fait aucun doute. L'énonciation est donc
nettement hyperbolique, on y retrouve les dimensions locutoires
caractéristiques de la figure, telles que les présente Bonhomme (2005:
103-104): tension énonciative extrême, révélatrice d'un acte de langage
d'exagération de la part du locuteur; adhésion énonciative du locuteur à
son exagération qui s'effectue selon une modalité sérieuse; axiologie
valorisante, ou dévalorisante (comme dans les exemples 10 et 15), de cette
exagération.
L'effet hyperbolique est produit lorsque juste modalise un adjectif qui
indique déjà le haut degré de la qualité (formidable, fantastique,
prodigieux, mais aussi incroyable12) ou un nom/groupe nominal qui est
lexicalement marqué comme intense (l'enfer). Avec un adjectif non intensif,
le contexte joue alors un rôle décisif pour inférer une énonciation
hyperbolique: par exemple, l'énoncé "Le café est juste chaud" est peu
candidat à l'effet hyperbolique, encore que l'on puisse envisager un
contexte dans lequel le locuteur, se brûlant la langue, s'exclame en
réponse à son interlocuteur s'enquérant de ce qui ne va pas: "Le café est
juste chaud!" pour signifier "Le café est chaud!". Mais dans cet exemple,
l'énoncé relève plutôt de la litote ironique que de l'hyperbole (le café est en
fait bouillant)13. En revanche, dès que l'élément modalisé est subjectif
(évaluatif ou axiologique), l'expression est susceptible de déclencher un
effet d'exagération. Si la tarte au citron juste bien, relevée sur le site
marmiton.org, actualise la valeur d'exactitude, ce que confirme le
commentaire qui suit: "Tarte pas trop douce ni trop amère ni trop lourde à
mon goût…", en revanche l'exemple (14), juste agréable, confirme l'idée que
juste peut produire une valeur d'excès avec un adjectif évaluatif non
intensif, valeur que les points d'exclamation signalent et que le
commentaire qui suit glose à l'envi: tellement agréable, très chaleureux,
11
Rappelons que la litote dit le moins pour faire naître l'idée du plus (je ne te hais point = "je
t'adore"), tandis que l'hyperbole dit plus que la réalité, d'où son rendement par-delà (je
t'adore = "je t'aime"). Ces figures sont très souvent opposées (par Dumarsais notamment).
Kerbrat-Orecchioni (2011: 70) voit dans l'hyperbole une "figure exactement inverse dans
laquelle S [le sens littéral de l'énoncé E] est au contraire plus fort que X [le sens dérivé]".
Dans notre cas, le sens de c'est juste formidable est "plus fort" que celui de c'est
formidable, ce que nous devons montrer.
12
Je mets à part, pour y revenir en fin d'étude, l'emploi avec pas possible, comme dans "C'est
juste pas possible".
13
Et juste porte non seulement sur l'adjectif chaud mais aussi sur l'énonciation.
70 Juste la fin du monde. L'excès juste, ou l'hyperbole exagère-t-elle toujours?
toujours prêt à vous aider, tout simplement excellent, superbe, très bon.
Tous ces énoncés érigent juste en indice figural intentionnel ou
métadiscursif (Bonhomme, 2005: 79) signalant une hyperbole, l'adverbe
suffisant à recatégoriser les adjectifs.
14
Cette partie reprend – et s'appuie sur – les analyses de juste de Mellet et Monte (2009).
15
Pour une analyse de la tautologie comme une opération d'assimilation entre l'occurrence et
le type, voir Gaudin-Bordes et Salvan (2009), et plus généralement sur la tautologie, voir
Gaudin-Bordes (2008).
Geneviève Salvan 71
16
Voici à titre d'exemple un commentaire: "Je crois (mais je n'ai pas de preuve ou de source)
que c'est effectivement une expression récente, probablement calquée de l'anglais.
Traditionnellement on aurait plutôt dit 'c'est tout simplement magnifique' (qui a le même
genre d'antinomie, juste avec un autre mot)"
(http://french.stackexchange.com/questions/2733/pourquoi-dit-on-cest-juste-magnifique,
14-06-2012, consulté le 13-07-2014).
17
L'adverbe trop est devenu dans l'oral actuel un synonyme de très, comme si l'échelle de
l'excès était revue à la baisse et que le principal marqueur de l'excès (négatif: il est trop
beau pour être honnête) était devenu un simple intensif.
72 Juste la fin du monde. L'excès juste, ou l'hyperbole exagère-t-elle toujours?
18
"À peine fonctionne comme modalisateur minorant indiquant que la frontière est
péniblement atteinte, juste fonctionne comme adverbe d'exactitude permettant de
souligner une coïncidence" (Mellet & Monte, 2009: 47).
19
Ce qui rejoint l'idée, développée par Anna Jaubert ici-même, que l'hyperbole effectue une
mise en spectacle de l'énonciation.
Geneviève Salvan 73
personnelle du réel" (Détrie, 2000: 143) qui résout "une difficulté à dire le
vécu" (Détrie, 2014), c'est-à-dire en l'occurrence à représenter à
destination de l'interlocuteur un référent qui a un fort impact sur
l'énonciateur20. En modulant son énoncé avec juste dans ils sont juste
parfaits (ex. 5), la blogueuse refuse en fait l'approximation inhérente à
l'évaluation intensive simple ils sont parfaits. Elle adopte un principe
d'ajustement pour tenter en discours non seulement de combler le fossé
qu'elle ressent entre le langage et un référent remarquable pour elle, mais
pour créer une fiction, qui consiste à croire à l'adéquation exacte entre sa
représentation de la réalité et ladite réalité. De même, dire, comme le
locuteur de (15), "c'est juste la pire des choses que j'ai vécues", c'est non
seulement produire une évaluation intensive du référent ("c'est la pire des
choses que j'ai vécues"), mais c'est aussi feindre de croire – pour donner à
penser – que son évaluation se superpose exactement à l'évaluation
"orthologiquement associée au référent" (Verine, 2008: 121). Juste (r)établit
une coïncidence fictive entre ces deux évaluations, dont l'effet dépasse la
simple affirmation de la coïncidence, et prête son signifié à une valeur
d'emploi hyperbolisante, celle qui fait de l'ajustement à l'excès, un excès
juste. La force illocutoire de l'énoncé avec juste, qui lui donne sa valeur
d'hyper-assertion, est alors plus élevée qu'avec l'adjectif vrai, autre
modalisateur hyperbolique, qui se place sur le terrain de la véridicité, plus
contestable que l'exactitude. La force illocutoire se double d'une prise en
charge énonciative sur le mode sérieux, glosable par "je n'exagère pas,
puisque je suis dans la juste mesure". La fiction d'exactitude21 de cette
hyperbole fait passer pour parfaitement ajusté au référent ce qui est en fait
parfaitement exagéré. Le dialogisme de la figure tient alors non seulement,
comme dans toute hyperbole, à la confrontation d'un point de vue
hyperbolisant à un autre point de vue dominant dans l'interdiscours sur le
même objet du discours (Verine, 2008: 118), mais aussi au dialogue interne
entre le point de vue hyperbolisant de l'énonciateur avec un autre point de
vue, trop mollement hyperbolisant à son goût, et avec lequel il joue.
20
Selon Dumarsais (1988: 131), cet impact subjectif est même la raison première de
l'hyperbole.
21
Pour caractériser la valeur figurale de l'hyperbole avec juste, j'emprunte, et aménage, ce
terme de "fiction" à Gaudin-Bordes (2008: 66), qui parle de fiction d'évidence à propos de la
tautologie.
74 Juste la fin du monde. L'excès juste, ou l'hyperbole exagère-t-elle toujours?
22
On peut néanmoins relever la contradiction interne de l'énoncé qui juxtapose c'est sûr et
peut-être, ce dernier modalisateur visant sans doute, dans le déploiement de l'énoncé, à
atténuer la dimension péremptoire de c'est sûr.
Geneviève Salvan 75
mais aussi les points d'exclamation qui trahissent une adhésion sans
réserve23. Sous couvert de réduire "le sentiment d'insécurité référentielle"
(Verine, 2008: 121) qu'un énoncé hyperbolique peut toujours déclencher
chez son récepteur, le locuteur paralyse très souvent l'échange et entrave
la possibilité offerte à l'autre de négocier l'évaluation d'un objet du monde,
d'une situation, d'une attitude. Cette stratégie discursive assure la réussite
interactionnelle de l'évaluation intensive, qui peut difficilement être remise
en cause par l'interlocuteur, tout en préservant une certaine mesure
expressive. Dans le discours oral quotidien, et dans le discours publicitaire
souvent suspecté d'exagération, juste est un outil énonciatif fort
opportuniste combinant intensité et justesse. Il permet la valorisation
hyperbolique en prémunissant le discours du reproche d'exagération et de
la défiance qui pourrait en découler.
23
Il conviendrait d'étayer cette remarque par l'observation de la posture et des gestes de
locuteur dans le cas de l'oral.
24
Pour l'étude de juste comme adverbe d'énonciation, voir Leeman (2004).
76 Juste la fin du monde. L'excès juste, ou l'hyperbole exagère-t-elle toujours?
(16) – Tu sais que ton attitude fait débat? Sois un peu plus trendy. Next step:
retrouve confiance en toi. Active de nouveaux leviers.
– C'est juste pas possible! Je suis sous l'eau, en burn-out.
– Le meilleur de toi-même, c'est maintenant! T'as pas démérité, mais tu
manques de réalisme, au quotidien25.
25
http://www.la-croix.com/Culture/Actualite/C-est-juste-pas-possible-!-Par-Jean-Claude-
Raspiengeas-2013-05-31-967160, 31-05-2013, consulté le 13-07-2014.
Geneviève Salvan 77
26
Bonhomme (2005: 110) note ainsi prudemment que "seule l'interprétation de mixages
Hyperbole-Euphémisme ou Hyperbole-Litote semble exclue, en raison de la différenciation
extrême de ces figures".
78 Juste la fin du monde. L'excès juste, ou l'hyperbole exagère-t-elle toujours?
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Travaux neuchâtelois de linguistique, 2014-2015, 61-62, 79-90
Anna JAUBERT
Université Nice Sophia Antipolis; CNRS; Bases, Corpus, Langage
Ist das Exzessive unbedeutend? Wörtlich genommen betrifft diese Frage die
Semantik. Sie lässt sich aber auch pragmatisch verstehen: Etwas ist "unbedeutend",
wenn es keine Konsequenzen nach sich zieht. In Anbetracht einer möglicherweise
angenommenen Bedeutungslosigkeit der Übertreibung stellen sich zwei Fragen:
Warum sollte man übertreiben? Ist die Hyperbel lediglich eine Übertreibung? Dem ist
zweifelsohne nicht so, da es sich um eine rhetorische Figur handelt. Allgemein kann
gesagt werden, dass Stilfiguren die Rede permanent beeinflussen. Denkfiguren wie
der Euphemismus, die Litotes, die Ironie und die Hyperbel, die auf einer Diskrepanz
zwischen Gesagtem und Gemeintem beruhen und deren Gemeinsamkeiten wir
untersuchen werden, sind stets in ihrem Produktionskontext zu betrachten. Alles in
allem entspricht der vorliegende Artikel einer Studie zur pragmatischen Instabilität
der Hyperbel.
Le sentiment allégué par Dumarsais que les mots sont trop faibles pour
exprimer ce que nous ressentons est des plus fréquents, tant l'idée d'un
"jamais trop" imprègne tout notre univers affectif. Le curseur du sens
commun, confronté à la subjectivité du locuteur, n'est pas forcément bien
placé, Marivaux faisait dire à M. Orgon:
1
C'est moi qui souligne.
Anna Jaubert 81
Eh bien, abuse va, dans ce monde il faut être un peu trop bon pour l'être assez.
(Marivaux, Le Jeu de l'amour et du hasard, I, 2)
2
Flaubert, G. (1971): Madame Bovary. Paris (Garnier), 239.
3
Voir Jaubert (2007).
4
Les figures de construction illustrent également ce processus (voir Gaudin & Salvan, 2011;
Salvan, 2013).
82 Au vif de l'hyperbole, l'énonciation problématisante
Don Salluste (joué par Louis de Funès) fait une éloquente mimique de
surprise, et surtout il a oublié en route la loi du genre:
DON SALLUSTE. – Est-ce que vous pensez vraiment ce que vous dites?
BLAZE. – Je flatte.
5
Je renvoie à un article sur la référence dans le texte littéraire de Kerbrat-Orecchioni (1982).
Anna Jaubert 83
Olivier réalisera la même prouesse: d'un seul coup d'un seul, l'ennemi est
pourfendu et son cheval avec.
La démesure codifiée signe si bien le monde héroïque qu'elle devient le lieu
commun de sa parodie. Le discours de Don Diègue (Le Cid, 1637), et celui de
Matamore (L'Illusion comique, 1635) illustrent la même tonalité. En
témoignent les extraits suivants:
DON DIÈGUE [à propos du Comte]
Je l'ai vu tout couvert de sang et de poussière,
Porter partout l'effroi dans une armée entière,
J'ai vu par sa valeur cent escadrons rompus […].
(Corneille, Le Cid, I, 5)
6
C'est pourquoi l'interprétation des énoncés est conditionnée par leur appartenance
reconnue à un genre.
84 Au vif de l'hyperbole, l'énonciation problématisante
Associées au rituel "Il était une fois" des incipits, ces formules (plus ou
moins réitérées par la suite) confèrent aux personnages des propriétés qui
vont au-delà du dicible, du vivable, ou du concevable (voir Heidmann &
Adam, 2010)8.
Mais si les traits physiques ou moraux sortent du monde ordinaire, la
formule pour autant n'est pas une exclusivité des Contes; au-delà des
genres il existe des systèmes transversaux. Adam (2009) observe la
prégnance et la significativité du même schéma syntaxique dans d'autres
genres: celui, culturellement encore proche, de la nouvelle historique et
7
Voir Jeanneret (2005).
8
La corrélation intensité et consécution marque fortement la causalité narrative (Heidmann
& Adam, 2010: 249).
Anna Jaubert 85
9
Cf. Jaubert (2013b). Le recueil Ta mère d'Arthur montre que l'histoire drôle, genre fictionnel
déclaré, n'a significativement retenu du genre premier, l'insulte rituelle, que la forme de
l'intensive hyperbolique (Adam, 2011).
86 Au vif de l'hyperbole, l'énonciation problématisante
10
La réputation suivie d'une entrée en scène fracassante est un rite bien connu au théâtre.
Anna Jaubert 87
être efficients, ils doivent l'un et l'autre voiler la distorsion, et avoir l'air
d'un parler "presque vrai". Tout ici est dans le "presque":
[…] l'Hyperbole, pour être une beauté d'expression et pour plaire, doit porter le
caractère de la bonne foi et de la franchise, et ne paraître, de la part de celui qui
parle, que le langage même de la persuasion. Ce n'est pas tout, il faut que celui qui
écoute puisse partager jusqu'à un certain point l'illusion, et ait besoin peut-être d'un
peu de réflexion pour n'être pas dupe, c'est-à-dire, pour réduire les mots à leur juste
valeur11. (Fontanier, 1977: 123-124)
3.2 Le cas d'une démesure non figurale. Quand Nicolas Sarkozy dit
appeler un chat un chat
La saillance d'une figure de pensée repose sur la confrontation entre une
forme linguistique et son contexte. Mais on observe des zones de contact,
des superpositions, qui brouillent les frontières typologiques. La figure
s'identifie alors dans la motivation que l'on prête à la forme repérée. C'est
11
C'est moi qui souligne.
12
Pour le jeu des points de vue en confrontation dans la production des figures, je renvoie aux
nombreux travaux de Rabatel (notamment 2008; 2015).
13
L'adjectif "vrai" accolé à une caractérisation abusive ("X est un vrai loir / un vrai lapin"…),
littéralement disconvenant, a pour effet de pertinentiser la métaphore en invitant à une
lecture sélective du signifié. Ce "vrai" est un indice de réflexivité, il fonctionne comme un
modalisateur d'énonciation (Jaubert, 1990: 103) qui infiltre et légitime un autre point de vue.
88 Au vif de l'hyperbole, l'énonciation problématisante
Est visé l'interdiscours médiatique qui met un bœuf sur sa langue, appelant
les délinquants des "jeunes", et non des voyous. C'est là précisément le
politiquement correct dont le candidat à la Présidence prétend se libérer,
et libérer les Français. Le dire intensif qu'il n'a cessé de pratiquer, comme
la marque même de son volontarisme politique, doit à mon sens être
distingué de l'hyperbole, car loin de susciter une adhésion clivée, il appelle
l'adhésion tout court, ou la non-adhésion. La question qui se pose ici n'est
pas celle de l'emploi d'une figure, mais seulement celle de l'exagération.
Sarkozy dit qu'il appelle un chat un chat, et pour ceux qui partagent sa
vision des choses c'est ce qu'il fait, donc il n'exagère pas; d'autres, au
contraire, l'accuseront d'appeler un chat un tigre, par rodomontade, ou
manipulation. Toute gradation suppose un repère: si l'hyperbole joue par
démarcation et maintien d'un sens commun implicite (c'est la cohabitation
des points de vue), l'exagération simple se contente de s'en démarquer. En
politique, le repère du sens commun cède la place au repère de ce qu'on
appelle une majorité d'idées. Selon le récepteur, il y aura exagération
manipulatrice16, ou au contraire parler vrai.
C'est pourquoi j'écarte du champ de l'hyperbole rhétorique les
manifestations de l'excès verbal qui effacent la problématisation
énonciative et qui, loin de réfléchir l'excès qui fait figure, revendiquent au
14
Comme celle de Perrin (1996), et en pratique chez Vivero (2013).
15
Voir l'ouvrage détaillé de Mayaffre (2012).
16
Sans présager de la réussite ou de l'échec de cette stratégie. Mayaffre (2012), à travers son
investigation logométrique du discours de N. Sarkozy, pointe le suremploi du mot mensonge
(par rapport aux autres discours présidentiels de la Ve République), un mot au service de la
polémique qui, le cas échéant, peut se retourner contre son auteur (Jaubert & Mayaffre,
2013).
Anna Jaubert 89
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90 Au vif de l'hyperbole, l'énonciation problématisante
Alain RABATEL
Université de Lyon 1, ICAR
Die lebendige Hyperbel ist ein beabsichtigtes und ernsthaftes Spiel mit der
Diskrepanz zwischen einer übertriebenen Aussage und nicht-hyperbolischen
Ausdrücken. Zur Schau gestellte Übertreibung ist Teil einer problematischen
Ausdrucksart, die transgressive Denkweisen rechtfertigt, indem sie generell zu wenig
beachtete Eigenschaften des Diskursgegenstandes hervorhebt. Auf sprachlicher
Ebene verleihen der Hyperbel alle Intensitätsformen den Status einer "Hyper-
Behauptung", für welche der Sender die Verantwortung übernimmt. Letzterer
entscheidet sich für eine "Über-Aussage", bei welcher der hyperbolische Standpunkt
relevanter erscheint als der entsprechende nicht-hyperbolische Standpunkt.
1. Cadre théorique
1
La majuscule, suivie du chiffre 1, code le locuteur/énonciateur primaire, dont le rôle domine
les locuteurs/énonciateurs seconds (l2/e2). La barre oblique indique le syncrétisme de L1 et
de E1 ou de l2 et de e2. On code e2 seul, en l'absence d'acte de parole (Ducrot, 1984: 205;
Rabatel, 2012a: 28).
2
Raison pour laquelle le linguiste doit appuyer son analyse sur des faisceaux de marques ou
d'indices.
Alain Rabatel 93
3
Un PDV correspond le plus souvent à une prédication. Mais l'empan peut varier. D'une part,
il peut englober plusieurs prédications ayant le même thème ou la même orientation
argumentative, comme dans l'exemple (10) infra: le macro-PDV hyperbolique correspond à
une vision sarcastique des ouvriers incroyants (dont se repaissent les écrivains réalistes).
D'autre part, un PDV peut se limiter à une lexie à laquelle la mémoire discursive associe des
PDV (à l'instar du mot "racaille", durant les "années Sarkozy").
4
Dans le même temps, on a besoin de la notion de dénotation, mais c'est une approximation
qui renvoie à des significations stabilisées qu'on ne peut considérer comme objectives, sauf
par abus de langage.
94 Analyse pragma-énonciative des hyperboles vives
5
Ce qui fait que, si on garde la notion d'écart, on lui donne des enjeux cognitifs, énonciatifs
ou interactionnels stratégiques au plan interprétatif.
6
Cf. Rabatel (2007: 78).
Alain Rabatel 95
7
Certes, il est impossible d'ignorer la variable générique, mais celle-ci n'est pas au cœur du
propos.
8
La notion de prise en charge (PEC) correspond à la façon dont l'énonciateur s'engage sur la
vérité d'un PDV, cette vérité pouvant être rapportée à la vérité extralinguistique ou à un
autre garant, individuel ou collectif (Culioli, 1980: 184; Berrendonner, 1981: 59). Cette
dernière vérité intègre des façons de voir qui dépassent la dimension aléthique (Rabatel,
2009: 78-79). La vérité peut être indiquée dans le modus ("oui, franchement, il y eut
beaucoup d'heures qu'elle était partie"), mais, en l'absence de modus explicite, la forme
assertive du dictum, les termes évaluatifs suffisent à garantir la vérité du jugement aux
yeux de son énonciateur.
96 Analyse pragma-énonciative des hyperboles vives
9
Voir dans ce numéro certains exemples de Christine Rousseau et d'Anna Jaubert.
Alain Rabatel 97
Même s'il ne s'agit pas d'"hyperboles pures" (Perrin, 1996: 53) – le texte
accumulant comparaisons ou métaphores hyperboliques –, l'exagération
négative renforce l'effet de critique négative, avec des superlatifs
("concupiscences les plus ordurières") ou des termes exprimant une
intensité de haut degré ("abominable gueule", "avorton implacable")
comme s'il fallait à tout prix exagérer pour faire partager la répulsion
devant la laideur physique et morale déjà dénotée péjorativement (selon la
vision dominante que les classes supérieures de l'époque se font de la
classe ouvrière), mais dont l'exagération intensifie la péjoration.
Au total, l'hyperbole n'exagère pas seulement la façon de nommer le
référent, elle exagère l'orientation argumentative de la prédication, par
rapport à une prédication supposée, non hyperbolique, de sens censément
équivalent. L'exagération hyperbolique a donc une dimension référentielle
et une dimension argumentative (en ce sens que les choix de la
référenciation sont censés justifier un PDV qui vise à être partagé), cette
deuxième dimension l'emportant sur la première:
une hyperbole de sens positif10 (Hyp +) renforce une réalité dénotée +
= mélioration redoublée: (6)
une hyperbole de sens négatif (Hyp –) renforce une réalité dénotée – =
péjoration redoublée: (7)
Cela dit, la difficulté tient au fait que les hyperboles, comme bien des
figures, sont rarement "pures". Ainsi, les exemples (8) et (9) cumulent ironie
et intensité ou haut degré et, de ce fait, peuvent être considérées comme
des hyperboles:
(8) C'est un géant de la pensée. [À propos d'un imbécile]
(9) Alors, comme ça je suis le plus grand con du monde?
On pourrait objecter que l'hyperbole joue avec les différents degrés d'une
même échelle argumentative, tandis que l'ironie les renverse. L'argument
est fort, mais il tient peu compte de la réalité qui combine diverses figures
co- ou anti-orientées. Sans remettre en cause le fait que la plupart des
hyperboles jouent sur une même échelle argumentative, je n'exclurais pas
que l'hyperbole puisse inverser les polarités argumentatives, soit dans des
contextes ironiques, soit dans énoncés où il y a des changements de PDV
qui affectent un même objet du discours, comme en (3) ou en (4).
10
Soit on considère que l'hyperbole cumule un contenu positif et une expression positive de
forme affirmative ou une expression de sens négatif et de forme négative. Soit on considère,
comme Dupriez (1980: 238, remarque 2), que ces deux dimensions ne vont pas
nécessairement de pair. Je me range à l'avis de Dupriez. Ainsi, (8) a un contenu négatif
indépendamment de la présence d'une forme négative.
98 Analyse pragma-énonciative des hyperboles vives
11
Pourquoi parler de PDV2 pour le PDV hyperbolique, manifeste, et réserver la dénomination
de PDV1 pour le PDV non hyperbolique, qui ne l'est pas? Parce que le PDV hyperbolique
s'interprète toujours, cognitivement, dans un rapport décalé à une formulation non
hyperbolique supposée qui a le bénéfice de l'antériorité.
Alain Rabatel 99
12
C'est pourquoi ce rôle est parfois accompagné de commentaires méta-énonciatifs
éventuellement distanciés, parfois de pleine prise en charge, etc.
100 Analyse pragma-énonciative des hyperboles vives
13
À supposer que tel soit le sens littéral, qu'on peut discuter, mais c'est secondaire pour le
propos.
14
Rabatel (2012c: 73). Évidemment, si le mécanisme de l'énonciation feinte est le même, au
plan de la prise en charge, il y a une vraie différence pragmatique entre l'ironie qui inverse le
plus souvent la polarité de l'énoncé pris sous son sens non ironique et l'hyperbole qui
n'inverse pas la polarité de l'énoncé non hyperbolique, ce qui fait qu'il est moins grave de ne
pas repérer une hyperbole qu'une ironie.
15
Italiques de l'auteur.
Alain Rabatel 101
devant un lieu saint, représentait, non sans orgueil, tous les virtuoses braillards
et vilipendeurs du groupe social où se déversent perpétuellement, comme dans
un puisard mitoyen, les relavures intellectuelles du bourgeois et les
suffocantes immondices de l'ouvrier.
(Bloy, La femme pauvre)
(11) Mais déjà il était tard, il faisait nuit depuis longtemps et ce fut avec un sursaut
de désespoir qu'elle se souvint qu'il fallait rentrer. Rentrer à Grenelle, dans
cette horrible chambre où elle avait cru tant de fois mourir! Il lui faudrait subir
les questions venimeuses de sa mère, et – à moins qu'il ne fût ivre-mort et
vomissant – les réflexions de ce bandit, plus salissantes que son ivresse… Sa
toilette, il faudrait pourtant l'expliquer, et comment ces âmes ignobles, étroites
comme le péché, pourraient-elles croire à son innocence? / Et tout cela n'était
rien encore. Il y avait ce lit, cet épouvantable lit, ce matelas de pourriture et
d'horreur! Est-ce qu'elle allait y coucher de nouveau, maintenant? Ah! non, par
exemple.
(Bloy, La femme pauvre)
16
Il est impossible de donner un relevé exhaustif tant les figures se chevauchent. Et, en
l'occurrence, tout l'extrait forme une méta-hyperbole.
17
Kleiber (2013: 68) distingue une intensité de quantité et une intensité de qualité qui renvoie
non plus à la quantification gradable de propriétés ou d'états, mais aux propriétés d'un
objet, aux prédicats d'affect.
18
Du huper (au-dessus) et ballein (lancer, jeter), d'où jeter au-dessus, dépasser la mesure.
102 Analyse pragma-énonciative des hyperboles vives
tantôt à leur interprétation. Ainsi, (12) est plus problématisant par sa forme
que (1) ou (2), en raison de sa théâtralisation et de sa réflexivité, en faisant
voir tout un monde dans une simple croûte de pain:
(12) La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi
panoramique qu'elle donne: comme si l'on avait à sa disposition sous la main
les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes.
(Ponge, Le Parti pris des choses, "Le Pain")
Mais dans le même temps, PDV2 ne se donne pas comme le dernier mot,
comme le prouve la triplication de l'hypothèse hyperbolique: car on sent
bien que la liste est incomplète et aléatoire (voir la conjonction "ou") et est
de toute façon une image ("comme si"), en sorte que la merveille de cette
chose quotidienne reste à explorer encore et encore. Il n'en va pas de
même avec les hyperboles de (1) ou (2) qui, du point de vue formel, reposent
sur des collocations ou des locutions figées sans mises en valeur qui
théâtraliseraient la représentation et complexifieraient la signification via
un dire réflexif. Du point de vue interprétatif enfin, (7), (10) et (11) sont
également plus ou moins problématisants, selon que l'on réduise les
hyperboles à une vision sarcastique19 du monde ouvrier ou qu'on y ajoute
une dimension ironique. Car, au plan énonciatif, l'énonciateur en rajoute
pour se moquer d'autres énonciateurs, écrivains réalistes qui ont évoqué
les réalités basses ou idéologues de gauche, que Bloy juge matérialistes20.
Ce faisant, Bloy montre qu'il est capable de parler la langue de l'adversaire,
la charge visant à invalider une esthétique et une idéologie politique jugées
complaisantes (Rabatel, à paraître).
Cette exagération feinte et sérieuse invite à examiner l'hyperbole sous
l'angle de la nature des assertions hyperboliques et des postures
énonciatives.
19
Sur la distinction entre sarcasme et ironie, voir Charaudeau (2011: 27) et Rabatel (2012c:
48).
20
Ces conceptions bloyennes mériteraient d'être discutées, mais ce n'est pas le lieu.
Alain Rabatel 103
21
Je n'utilise pas la notion d'assertion au sens restreint du terme, comme un énoncé
comportant un groupe nominal et un groupe verbal de forme affirmative, qui se présente
comme une vérité (Haillet, 2007: 26), car une telle définition exclut les interrogations
directes ou indirectes, les exclamations, les injonctions, les phrases nominales – sans
compter les énoncés à un autre mode que l'indicatif.
22
Ces prédications ne sont pas obligatoirement des aphorisations (Maingueneau, 2012), qui
sont de bonnes candidates pour être hyper-assertées parce que détachables, mémorables,
mais qui ne sont pas les seules à pouvoir exprimer une idée forte plus ou moins fortement
prise en charge.
23
Dans le n° 177 de Langue française consacré à l'intensification, Anscombre et Tamba (2013)
soulignent que trop souvent, haut degré, scalarité, quantité, intensité et intensification sont
considérés comme des parasynonymes, alors que les différences sont importantes: si, par
exemple, la scalarité renvoie toujours à l'intensité, la réciproque n'est pas vraie
(Anscombre, 2013: 26); la quantification ne produit pas toujours un effet d'intensification,
conçue comme "variation unidimensionnelle à l'intérieur d'une catégorie prédéfinie"
(Anscombre & Tamba, 2013: 4).
104 Analyse pragma-énonciative des hyperboles vives
relief ("Cet X, quel géant! / C'est un vrai géant que X / Ce que X est, c'est un
vrai géant"). La dimension problématisante peut encore être marquée par
les commentaires méta-énonciatifs, les traces de non-coïncidences du dire
(Authier-Revuz, 1995), sans compter, comme on l'a vu, les figures
adjacentes à l'hyperbole. Le tout contribue à étendre les manifestations de
la figure, qui déborde des tropes en un mot, et peut, du fait de certaines
expansions, caractériser des textes entiers, voire une intention (ou une
visée) qui va au-delà des marques de haut degré ou d'intensité.
L'hyperbole est donc une hyper-assertion intensive. Est-ce à dire qu'une
hyperbole ne pourrait pas être hypo-assertée? C'est possible, en tant que
l'hyperbole est une mention qui ne fait pas l'objet d'un accord, mais d'une
simple prise en compte (Roulet, 1981: 19; Rabatel, 2009: 75-76, 2012b: 28).
Il est possible de marquer un désaccord plus ou moins fort avec la façon de
voir hyperbolique: en ce cas, ce n'est pas l'hyperbole (hyper-assertée) qui
est hypo-assertée, c'est sa reprise, avec conditionnel de mise à distance,
rectification, concession, exemplifiés respectivement dans les exemples
(13) à (19)24:
(13) Je ne dirais pas que X est un géant.
(14) X est-il vraiment un géant?
(15) Un géant, enfin…
(16) Il paraît(rait) que X est/serait un géant.
(17) Géant est un mot un peu fort pour X.
(18) Géant, c'est excessif pour caractériser X, mais il y a quand même un peu de ça…
(19) Certes, X est un géant, mais dans le genre, il y a plus grand…
Selon cette hypothèse, il semble ne pas y avoir de place pour des hypo-
assertions, car même les hyperboles ironiques relèvent de la sur-
énonciation et de l'hyper-assertion, fût-ce sur le mode de la feintise
(Rabatel, 2012c)25. Le lecteur pourrait concéder l'hypothèse de l'hyper-
assertion quand les hyperboles comprennent des modalisateurs de
certitude qui marquent une forte PEC d'un dire hyperbolique intensif,
comme en (2) ou (20):
24
Dumarsais (1977: 109) recommande d'user de l'hyperbole "sobrement et avec quelque
correctif; par exemple en ajoutant, pour ainsi dire, si l'on peut parler ainsi". Les exemples
cités par Dumarsais renvoient à une hyperbole hypo-assertée, parce qu'elle se donne
comme la mention d'un discours autre, qui n'est pas pleinement pris en charge par
l'énonciateur E1.
25
Peut-être est-ce là ce qui rassemble l'hyperbole et l'ironie et ce qui les différencie de
l'euphémisme et de la litote, qui semblent plus près de l'hypo-assertion. Le trait
/exagération/ distingue vraisemblablement la tapinose de la litote ou de l'euphémisme, car
la tapinose est une figure d'exagération tournée vers le moins, reposant sur un ethos
exagérant (Reboul, 1991), alors que l'euphémisme ou la litote reposent sur un moins
exprimé à travers un ethos de retenue et de mesure (Jaubert, 2011).
Alain Rabatel 105
26
Voir supra l'analyse de (21).
27
L'hyperbole ne repose pas sur une échelle de scalarité, mais marque "un écart de l'entité
considérée par rapport à une norme" (Anscombre, 2013: 34) et "un idéal posé comme
insurpassable" (Anscombre & Tamba, 2013: 4).
Alain Rabatel 107
28
J'exprime la même réserve envers Fontanier (1968: 124) lorsqu'il écrit que, ayant repéré
"l'illusion", celui qui écoute a besoin "d'un peu de réflexion pour n'être pas dupe, c'est-à-
dire pour réduire les mots à leur juste valeur. Tout cela suppose que l'hyperbole, en passant
la croyance, ne doit pas passer la mesure".
108 Analyse pragma-énonciative des hyperboles vives
l'énonciateur, comme en (2), (2a), (4a) ou (6), mais pas pour les hypo-
assertions dans lesquelles les hyperboles doxales ne sont que prises en
compte, comme en (1), (3) ou dans les exemples (13) à (19) où "géant" fait
l'objet d'une mention mise à distance, relativisée, sur le plan du dire ou du
dit.
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Alain Rabatel 109
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Travaux neuchâtelois de linguistique, 2014-2015, 61-62, 111-127
Marc BONHOMME
Université de Berne
Die Studien zur rhetorischen Hyperbel konzentrieren sich meist auf deren Produktion,
obwohl das Verständnis ihrer pragmatischen Funktionsweise auch die
Berücksichtigung ihrer Rezeption erfordert. Ziel dieses Artikels ist es, die Probleme
bei der Rezeption von Hyperbeln anhand eines Textkorpus zu analysieren, welcher
stark von dieser Figur Gebrauch macht: die Werbesprache. Zunächst werden wir
einige Faktoren untersuchen, welche die Rezeption der Hyperbel beeinflussen.
Letztere fällt insbesondere durch ihre epideiktische Wirkung, ihre sowohl
sprachlichen als auch bildlichen Hilfsmittel und ihre Zweideutigkeit auf.
Anschliessend werden wir sehen, wie Werbespezialisten versuchen, mithilfe
verschiedener Strategien die Interpretationsschwierigkeiten bei der Rezeption der
Hyperbel abzuschwächen. Zu diesen Strategien gehören vor allem naturalisierende
Operationen und spielerische Praktiken.
1. Introduction
1
À l'exemple de l'Énéide de Virgile, dont la tonalité hyperbolique est notamment mise en
exergue par Robrieux (1998).
2
Voir les analyses faites par le Pseudo-Longin (1993: 115) sur Thucydide et Hérodote chez
lesquels "les hyperboles, sous l'effet d'une passion vive, sont prononcées en accord avec
l'importance d'une situation critique".
112 La réception de l'hyperbole publicitaire
3
L'autre registre étant le délibératif. Pour plus de précisions, voir Adam et Bonhomme (2012).
4
Ce processus est bien décrit par Everaert-Desmedt (1984: 127): "Le produit, pour lequel la
publicité est faite, est valorisé, positivé; les autres produits pour le même usage, mais
portant d'autres marques, sont 'négativés'".
5
Comme l'écrivent encore Perelman et Olbrechts-Tyteca (1988: 67), "l'argumentation du
discours épidictique se propose d'accroître l'intensité de l'adhésion à certaines valeurs".
Marc Bonhomme 113
6
Celle-ci s'oppose à la variante d'hyperbole qu'est la tapinose, figure "qui consiste à
développer sur un même thème des assertions hyperboliques péjoratives" (Pougeoise,
2001: 212).
7
Sur le plan littéraire, l'un des exemples les plus célèbres en est la réclame de Finot pour
l'Huile Céphalique dans César Birotteau de Balzac: "Les bulbes qui contiennent les liqueurs
génératrices des cheveux ne sont jamais saisis ni par le froid, ni par le chaud. La chevelure,
ce produit magnifique, à laquelle hommes et femmes attachent tant de prix, conserve alors,
jusque dans l'âge avancé de la personne qui se sert de l'HUILE CÉPHALIQUE, ce brillant,
cette finesse, ce lustre qui rendent si charmantes les têtes des enfants".
8
Ainsi, dans cette annonce Dove diffusée en 2004, plutôt qu'à un public idéalisé, on
s'adresse à la consommatrice telle qu'elle est, avec ses défauts: "Les vraies femmes ont
des vraies courbes. Pour fêter cela, nous avons demandé à de vraies femmes d'essayer
notre nouvelle gamme Dove Raffermissante". On reste bien dans un discours épidictique,
mais celui-ci se développe à travers la présentation naturelle du produit à promouvoir, vue
comme gage d'authenticité.
9
Du fait de la diversité de ses manifestations qui peuvent s'appuyer de surcroît sur une figure
autre (voir l'ex. 16), l'hyperbole se range – tout comme l'euphémisme ou l'ironie – dans la
famille des figures complexes. Plus largement, on retrouve ici le débat sur l'extension du
champ des figures. Celles-ci se limitent-elles au langage (position par ex. de Metz, 1977) ou
affectent-elles également d'autres domaines sémiologiques, comme l'image (Durand, 1970;
Cocula & Peyroutet, 1986; Bonhomme, 2008), la musique (Rosolato, 1974), voire les rêves
(Lacan, 1966)? La seconde position est la plus satisfaisante car les processus rhétoriques,
qu'ils reposent sur l'analogie (métaphore), la contiguïté (métonymie), l'opposition
(antithèse) ou pour nous l'intensification (hyperbole), donnent clairement lieu à des
productions extralinguistiques. C'est pourquoi nous considérons les figures comme des
matrices fondamentales qui participent à une rhétorique généralisée et qui affectent
114 La réception de l'hyperbole publicitaire
Pour leur part, les hyperboles iconiques sont repérables à l'aide d'indices
topographiques (jeu sur la spatialité interne à l'image) et géométriques
(manipulation des formes) par rapport à nos représentations visuelles
conventionnelles. Ainsi, sur une affiche de l'INPES (7) diffusée en 2004
contre le tabagisme, on observe le coin "détente" d'une entreprise agencé
selon un ordre rigoureux et visualisé par un chromatisme euphorique, avec
des couleurs bleu-vert pastellisées invitant au repos. Or ce cadre se voit
perturbé par un important désordre dû à la multiplication quantitative
d'une même unité figurative, interprétable en hyperbole: des mégots de
cigarettes sont accumulés en vrac et en un gros tas autour d'une machine à
café. Une publicité pour le Land-Cruiser 5 places de Toyota (8)12 joue quant
à elle sur un étirement volumétrique, jusqu'à la déformation, d'une unité
figurative. L'habitabilité du véhicule y est en effet suggérée par un
chameau élongé à l'extrême, avec cinq selles disposées l'une derrière
l'autre sur son dos. L'hyperbole iconique émane en outre de l'amplification
volumétrique d'une même unité figurative. Entre autres, dans une annonce
pour les cigarettes Gitane (9)13, l'emblème de la marque – la célèbre gitane
– est hypertrophié de façon à envahir la quasi-totalité de l'image. De son
côté, le montage analogique de l'image peut encore contribuer à une
perception hyperbolique. Ainsi dans une annonce pour la Honda Civic (10)14,
la voiture figurée prend la forme d'un énorme bloc de glace qui se détache
sur un fond bleu uniforme. À cela s'ajoutent des montages iconiques
paradoxaux, comme dans une publicité pour les céréales Coco Pops de
Kellogg's (11)15 dans laquelle le grossissement visuel de la paille
représentée lui permet d'absorber une vache.
Par ailleurs, les hyperboles langagières et iconiques interfèrent
fréquemment dans une même annonce. Par exemple en (10), montrée
hyperboliquement dans l'image, la climatisation de la Honda Civic est en
même temps dite hyperboliquement dans le slogan ("Civic climatisée, le
plaisir de l'ultra frais"), illustration et texte concourant à la reconnaissance
d'une même configuration rhétorique globale. Par contre, en (11), le slogan
("Coco Pops Paille de Kellogg's, la première céréale qui a soif de lait") se
borne à éclairer et à réajuster métonymiquement, selon un transfert
11
Cette variante hyperbolique rejoint l'argumentation par dissociation au sens de Perelman et
Olbrechts-Tyteca (1988).
12
L'Express, 13-05-1998.
13
VSD, 17-11-1991.
14
Le Point, 14-07-2000.
15
L'Hebdo, 11-04-2008.
116 La réception de l'hyperbole publicitaire
16
Telle qu'on la relève chez Fontanier (1977: 123): "L'hyperbole augmente ou diminue les
choses avec excès, et les présente bien au-dessus ou bien au-dessous de ce qu'elles sont,
dans la vue, non de tromper, mais d'amener à la vérité même, et de fixer, par ce qu'elle dit
d'incroyable, ce qu'il faut réellement croire".
Marc Bonhomme 117
17
Pour cette notion, se reporter à Bonhomme (2005).
118 La réception de l'hyperbole publicitaire
18
Si l'intensification constitue le processus définitoire de l'hyperbole, elle est évaluée comme
"exagération" dès qu'intervient un jugement de valeur négatif sur elle.
19
Ce procès fut intenté par la société concurrente Delsey. Pour promouvoir la solidité de ses
valises dans un spot télévisé, Samsonite entreprit de leur faire disputer un match de
football durant lequel les joueurs se présentaient sous la forme de bulldozers et le ballon
sous celle d'une valise Samsonite qui, prétendument incassable, résistait par miracle au
choc de ces derniers. Ce spot déclencha aussitôt une plainte en justice de Delsey qui
accusa Samsonite d'exagération et de publicité mensongère, sous le prétexte que plusieurs
valises avaient été cassées durant le tournage.
Marc Bonhomme 119
20
Le produit à acquérir est ici dénoté et valorisé par son cadre englobant.
21
Caractérisant la narration pour Genette (1972), l'analepse peut être étendue à l'image. Elle
définit toute discordance chronologique sur l'axe de la rétrospection, un fait ou une série de
faits écoulés étant projetés sur le présent.
Marc Bonhomme 121
D'un autre côté, on observe des annonces qui s'efforcent de justifier les
hyperboles de façon à désamorcer les réticences du lecteur. Une telle
argumentation des énoncés hyperboliques peut s'effectuer en les motivant
par le caractère vraiment remarquable des produits qu'ils qualifient, à
l'instar de la publicité ci-après dans laquelle l'hyperbolisation du slogan
("Monstrueusement suréquipé") est expliquée par un long listing
énumérant les nombreux avantages du véhicule promu:
(18) Mitsubishi Pajero. Monstrueusement suréquipé.
Équipements offerts Pajero XStorm: Sellerie cuir noir / alcantara gris clair –
Barres de toit type aluminium – Intérieur type aluminium avec compteurs
blancs – Calandre type sport – Projecteurs fumés.
Équipements de série Pajero XStorm: Motorisation 3.2 160 ch Turbo Diesel –
Système de navigation à technologie DVD (couverture Europe) – Airbags
frontaux et latéraux – Climatisation automatique – Boîte automatique et
séquentielle – Système actif de contrôle de trajectoire MASC et antipatinage
MATC – Contrôle assisté du frein moteur EBAC – Chargeur 6 CD – Toit ouvrant
électrique – Régulateur de vitesse – Sièges avant chauffants – ABS avec EBD.
(Le Nouvel Observateur, 21-04-2005)
De même, dans une annonce pour les cigarettes Royal, une argumentation
chiffrée de type "quasi-mathématique"22, orientée à la baisse, rend plus
vraisemblable pour le public l'énoncé hyperbolique initial:
(19) La plus légère des légères.
ROYAL. Nicotine: 0,09 mg – Goudrons: 0,9 mg
(Marie Claire, septembre 1992)
Il arrive aussi que les hyperboles publicitaires soient justifiées par des
acteurs hautement compétents sur le produit mis en avant. Soit elles sont
présentées comme une mention de l'opinion d'experts qui leur confère une
fonction d'argument d'autorité, à l'exemple de cette annonce BMW:
(20) BMW 316 i, la meilleure automobile de sa catégorie*.
[+ Rédactionnel]
*Élue meilleure voiture de sa catégorie par les lecteurs de la revue spécialisée
Auto Motor und Sport en 1991, 1992 et 1993.
(Le Nouveau Quotidien, 05-11-1993)
22
Pour ce type d'argumentation, voir Reboul (1991: 172).
122 La réception de l'hyperbole publicitaire
23
Ce clivage ludique s'appuie en effet sur une discordance énonciative entre la posture
explicitement non sérieuse de l'instance publicitaire et son point de vue implicitement
sérieux, puisqu'il s'agit toujours d'argumenter commercialement en faveur d'un produit.
24
Plus exactement, on a affaire à un pastiche de style qui imite une parlure particulière: le
langage branché. Pour la forte présence du lexème "max" dans ce dernier, voir Merle (1996).
25
Ce terme étant employé selon l'acception de Rabatel (2012).
26
Pour ce reproche, voir par exemple Cossette (2001: 115-116): "La publicité corrompt les
autres formes de communication de masse. Désormais, il faut […] utiliser un langage
124 La réception de l'hyperbole publicitaire
former et à conserver des os sains. Si vous souhaitez être toute votre vie aussi
fort que Lovely, vous devriez prendre chaque jour trois portions de lait ou de
produits laitiers. Par exemple: 1 verre de lait, 1 gobelet de yoghourt et 1
morceau de fromage. Vous trouverez de plus amples informations alimentaires
sous www.swissmilk.ch.
(L'Illustré, 19-06-2011)
4. Conclusion
Au terme de cette étude, on se rend compte que si l'hyperbole constitue un
processus incontournable de la communication publicitaire, sa réception
s'avère finalement délicate. D'abord, tout en reposant sur une même
matrice sous-jacente: celle de l'intensification, ses manifestations sont
très diversifiées, qu'elles donnent lieu à des réalisations iconiques ou
langagières, principalement dans les slogans. Ensuite, on manque souvent
des repères nécessaires pour calculer ses effets, le discours intensif de la
publicité débordant l'hyperbole stricto sensu, en particulier lorsqu'il revêt
des formes extrêmes non forcément figurales. Enfin, les annonceurs
manipulent les configurations hyperboliques au gré de leurs objectifs, soit
en entremêlant discours hyperbolique et produit hyperbolisé, soit en
28
"Dans ce cas d'hyperbole, l'exagération est telle que l'énoncé ne peut avoir de valeur de
vérité, sauf si l'on est dans le fantastique ou le merveilleux, univers qui échappent à la
logique" (Fromilhague, 1995: 116).
29
Parmi ces exploits, mentionnons la vache Lovely équilibriste sur un seau (L'Hebdo, 14-07-
2008) ou formant une pyramide animale avec un âne, un chien, un chat et un coq sur le dos
(L'Illustré, 11-08-2010).
30
Sans parler de la vache Milka créée par la firme Suchard à Neuchâtel, pensons aux
multiples représentations folkloriques (tapisseries, cartes postales, tableaux…) de montées
à l'alpage ou de scènes rurales et alpines dont les vaches sont les héroïnes en Suisse.
126 La réception de l'hyperbole publicitaire
Bibliographie
Ruggero DRUETTA
Université de Turin
Dieser Artikel analysiert die verbalen, prosodischen und gestischen Aspekte der
Hyperbel in mediatisierten politischen Diskussionen, die aufgrund ihres stark
kodifizierten Rahmens als Untersuchungsgegenstand ausgewählt wurden. Die
Betrachtung der verschiedenen hyperbolischen Performanzniveaus und deren
Verhältnisse untereinander erlaubt es, die markanten Unterschiede zwischen der
übertreibenden und der nicht-übertreibenden Rede zu erkennen. Im Übrigen werden
wir die auf der Performanzebene bemerkbaren Unterschiede zwischen dem in der
politischen Diskussion beliebten Euphemismus und der Hyperbel deutlich
wahrnehmen. Dabei werden wir über die pragmatisch-argumentative Verwendung der
hyperbolischen Rede in der Politik nachdenken, ebenso wie über gattungsbedingte
Einschränkungen, denen die Einsetzung der Übertreibung unterworfen ist.
1. Introduction
1
Ce qui correspond aux "hyperboles au sens large" (ou hyperboles de type 2) analysées par
Kerbrat-Orecchioni dans son article de ce volume.
Ruggero Druetta 133
introduit par l'adjectif même et des expressions telles que tous les deux
répétées à plusieurs reprises, justifie l'apparition de l'hyperbole jumeaux,
le prototype de l'identité étant la gémellité, le palier hyperbolique étant
ultérieurement dépassé par la sous-catégorie pathologique des siamois:
(4) L2 je considère que ces deux-là font la même politique ils
sont tous les deux pour une Europe fédérale que je tiens
pour responsable + de: la situation dramatique + euh de
la France […] ils sont tous les deux pour une
immigration euh euh ils sont tous les deux pour utiliser
le chômage comme une variable d'ajustement euh pour euh
obtenir une déflation salariale donc par conséquent je
je les tiens pour des jumeaux en quelque sorte de des
siamois même
(M. Le Pen, 18-04-2012)
2
Il s'agit des émissions L'invité de RTL (radio), Le Talk Orange-Le Figaro (web), Mots croisés
(télé). Une centaine de segments candidats à l'interprétation hyperbolique ont été retenus
au terme du dépouillement.
Ruggero Druetta 135
montre déjà à quel point cette figure ne fait pas partie des procédés les
plus courants chez ces locuteurs.
En ce qui concerne la transcription, dans un souci de lisibilité, nous avons
choisi une transcription orthographique enrichie3 de quelques signes
conventionnels notant les pauses silencieuses et remplies, mais nous
avons renoncé à la ponctuation, pour ne pas projeter les habitudes
orthographiques du phrasé écrit sur l'oral, ce qui aurait peut-être facilité la
lecture des exemples, mais avec des conséquences orthoépiques qui
auraient pu brouiller la perception réelle des énoncés tels qu'ils ont été
produits. Les dimensions prosodique et mimogestuelle ont été traitées et
analysées séparément4 pour être ensuite réunies à la composante
segmentale afin de permettre l'étude de leurs interactions.
3
Les conventions correspondent à des adaptations de celles du GARS/DELIC: transcription
orthographique, sans capitales (sauf pour les noms propres) et sans signes de ponctuation.
L1 désigne conventionnellement le journaliste, L2 la personnalité politique. Les signes
employés dans nos transcriptions sont les suivants: + pause courte; ++ pause longue; les:
allongement vocalique; tr- amorce de mot; c'est= liaison sans enchaînement.
4
La composante prosodique a été analysée grâce au logiciel Praat et au script Prosogram
pour modéliser la perception acoustique de l'auditeur humain, tandis que nous nous
sommes basé sur la grille élaborée par Bouvet et Morel (2002) pour l'analyse de la
composante mimogestuelle. Cf. Druetta (2009) pour de plus amples précisions
méthodologiques.
136 L'hyperbole performée
À la différence de ce qui se passe avec les euphémismes, rares sont les cas
de disfluence sur l'hyperbole elle-même, comme si le locuteur était bien
assuré de ses propos ou comme s'il voulait afficher un ethos de maîtrise
par rapport au dosage intensif de son expression: en effet, lorsqu'il y a une
disfluence pouvant être rattachée à la recherche lexicale préalable à
l'hyperbole, cette disfluence est le plus souvent tenue à distance, anticipée
de quelques syntagmes par rapport à l'emplacement de l'hyperbole elle-
même, afin d'éviter toute trace d'hésitation sur le syntagme réalisant la
figure, comme on peut l'observer en (9), où l'hyperbole dysphémique
rapports incestueux est précédée à distance par de nombreuses pauses
vides et remplies (les + et les heu), qui tiennent lieu d'une liste
paradigmatique non verbalisée, ainsi que de marqueurs métalinguistiques
de reformulation (je dirais, comment dire), alors que finalement le seul
élément verbalisé de la liste ne sera que le repair final, sur lequel on
n'observe du coup aucune hésitation:
5 On remarque aussi la présence d'une gradation déceptive qui se branche sur l'hyperbole et
dont on ignore pourtant si elle est voulue ou s'il s'agit plus simplement d'une maladresse.
Ruggero Druetta 137
6
Ce procédé a un lien avéré avec l'intensification: il peut faire l'objet d'une
grammaticalisation complète (cas du superlatif sémitique) ou partielle, comme c'est le cas
en français de la réduplication adjectivale avec introduction de la préposition de (variante
plus ancienne) ou du groupe de chez (variante de langue "jeune", plus récente): c'est un
artiste, un vrai de vrai; Julien m'énerve grave de chez grave. Vendryes (1921) met la
réduplication intensive sur le compte du langage affectif.
138 L'hyperbole performée
7
L'accent de focalisation entraîne souvent une très courte pause de préparation, qui ne
dépasse généralement pas 4 cs, la fermeture momentanée des organes de phonation
permettant un pic d'intensité lors de leur ouverture.
8
Cf. Dohen et Lœvenbruck (2004a & 2004b), qui identifient comme traits pertinents la
hauteur et la largeur des lèvres (qu'elles combinent en un trait global appelé "aire aux
lèvres") et l'ouverture de la mâchoire.
140 L'hyperbole performée
9
Cf. (2).
Ruggero Druetta 141
10
Cette impression de naturel vient de ce que la séparation correspond en fait aussi à la
différence des centres sensoriels responsables de la gestion de ces informations, ce qui
permet de faire l'expérience naturelle ou pathologique de la séparation entre composante
verbale, préservée en cas de regard détourné ou empêché par un obstacle ou la maladie, et
éléments bucco-mimogestuels, parfois seuls exploitables en cas de brouhaha excessif, de
vitre (dialogue entre personnes à l'intérieur et à l'extérieur d'une pièce ou d'un train), ou de
surdité.
11
L'exception est constituée par un nombre assez limité de gestes faisant l'objet d'une
verbalisation spécifique enregistrée dans les dictionnaires et constituant de ce fait
l'équivalent parfait de signifiants lexicaux: /index vissé sur la tempe/: "il est toqué"; /index
sous l'œil/: "mon œil!", "c'est faux!", etc.
12
Cf. Krieg-Planque (2013).
Ruggero Druetta 143
13
Dans le tracé gestuel, les gestes sont indiqués au moyen de flèches alignées au texte et
indiquant la direction du mouvement.
14
On remarquera que les seuls mouvements précédant l'hyperbole sont ceux qui portent sur
la désignation du référent destiné à être quantifié par kyrielle.
144 L'hyperbole performée
15
Les deux premiers termes (récession et déflation) sont les plus proches de l'étalon
économique sélectionné par le locuteur (Europe est une métonymie pour l'économie de
l'Europe). Avec dépression on franchit un pas vers l'intensification, car il s'agit d'une
métaphore, pourtant usuelle, décrivant un état de l'économie et de ses opérateurs. Dans les
trois cas, on reste dans le domaine des activités humaines et de leurs états d'âme. Avec
catastrophe, on sort de l'isotopie des événements humains pour entrer dans celle des
événements naturels, des forces aveugles et incontrôlables.
Ruggero Druetta 145
6.2.1 Cumul
En (17), le palier hyperbolique est franchi par deux fois, à l'intérieur d'un
énoncé qui se caractérise par l'intensité globale de son expression: une
première fois, par l'utilisation de extrêmement plébiscitées, où le
sémantisme de l'adverbe, redondant, explicite la saillance du verbe; une
deuxième fois, par le métaphorique regorgent, image de trop-plein
réalisant le dépassement hyperbolique. Les saillances sont marquées
prosodiquement par de fortes proéminences mélodiques sur l'ensemble du
groupe accentuel: après un accent de focalisation sur la syllabe initiale de
extrêmement16 et un pic de préparation à 321,2 Hz sur la syllabe finale de
plébiscitées, on enregistre les deux pics absolus de F0 de tout l'énoncé sur
les syllabes finales des groupes accentuels où se situent les hyperboles
(parents: 396 Hz; d'enfants: 372 Hz). L'efficacité du marquage gestuel ne
dépend pas de tel geste particulier mais du caractère convergent et,
partant, extrêmement redondant de l'ensemble, avec des mouvements
simultanés de toutes les parties du haut du corps sur les syntagmes
hyperboliques, ce qui renforce l'emphase prosodique et la saillance
verbale.
(17) L2 vous savez à Paris quatre-vingt-sept pour cent des
femmes travaillent quatre-vingts pour cent des enfants
restent à la cantine donc on a mis quand-même en place
depuis très longtemps des structures qui sont +
extrêmement plébiscitées par les parents + euh nos
centres de loisirs regorgent d'enfants parce que les
parents savent que ce n'est pas une garderie le mercredi
(A. Hidalgo, 22-01-2013)
16
Avec pause préalable, mais sans coup de glotte.
146 L'hyperbole performée
17
Les gestes présentent ici une double fonction. En plus du balisage hyperbolique, dont nous
venons de parler, il faut en effet signaler la scansion des arguments et le marquage thème-
rhème de l'énoncé: le premier mouvement vers le bas de la main droite, s'accompagnant du
soulèvement rapide des sourcils et de la tête sur on ose, signale le début de l'argument; la
baisse simultanée de la tête et du regard sur crédit d'impôt, avec la forte montée de la F0,
marque l'introduction du thème, tandis que le rhème hyperbolique est indiqué par un cumul
d'indices gestuels et prosodiques: accent d'intensité et final, remontée de la tête et du
regard, immobilisation du buste, geste de balayage de la main droite.
Ruggero Druetta 147
18
Les images correspondent aux syllabes en italiques.
148 L'hyperbole performée
(19) L2 juste une chose parce que je crois qu'on est en train de
diaboliser la procréation médicalement assistée
(N. Vallaud-Belkacem, 27-05-2013)
7. Bilan
Au terme de ce tour d'horizon, il apparaît que, contrairement à ce qu'on
aurait pu attendre, les hommes politiques ne laissent pas leurs hyperboles
au vestiaire des entretiens médiatiques pour les reprendre lorsqu'ils vont
parler à des militants dans des comices, mais que leur utilisation dans ce
contexte semble quand même obéir à quelques contraintes sur le plan
actionnel qui différencient assez nettement cette figure de l'euphémisme,
figure à pivot énonciatif elle aussi, que nous avons étudiée autrefois
(Druetta, 2009 & 2012):
• On relève tout d'abord une prédominance d'hyperboles sans trace
syntagmatique de disfluence, ce qui serait l'indice de la bonne
maîtrise du dosage intensif des choix lexicaux de la part d'un locuteur
qui n'a pas "peur des mots". Cette pauvreté du balisage segmental de
la saillance figurale est compensée par un marquage coverbal
abondant, de type essentiellement emphatique et redondant.
• Si le locuteur semble mettre en œuvre des stratégies pour éviter la
disfluence sur le syntagme hyperbolique, on constate en revanche que
celle-ci se manifeste à d'autres endroits de l'énoncé, notamment dans
le contexte gauche, avec une diffusion et une dilution de ces
phénomènes (amorces, pauses silencieuses et remplies, marqueurs
de reformulation).
• L'observation des entretiens politiques permet enfin de confirmer
empiriquement que l'émergence de l'hyperbole est très rarement un
fait singulier, mais qu'elle s'insère généralement dans un contexte
hyperassertif qui l'annonce. Il est donc fréquent de trouver des termes
intensifs préparant sémantiquement l'hyperbole dans le contexte
gauche de l'énoncé (cf. entre autres l'ex. 16).
Ces contraintes nous permettent en retour de formuler quelques
généralisations sur l'utilisation de cette figure dans le contexte de
Ruggero Druetta 149
19
Cf. Kerbrat-Orecchioni (1994).
20
Cette notion est actuellement l'objet d'une réflexion féconde en linguistique, comme en
témoigne entre autres Mellet (2009a). Précisons toutefois que nous n'utilisons pas ce terme
dans l'acception de frontière notionnelle (Mellet, 2009b), mais bien de frontière
argumentative, résultant d'une confrontation dynamique avec d'autres arguments qui n'est
pas sans rappeler les échelles argumentatives de Ducrot (1980).
150 L'hyperbole performée
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spécial, 95-110.
21
Nous rejoignons là le point de vue de Maingueneau (2002) pour qui, à l'opposé de la
conception rhétorique classique, l'ethos ne doit pas être envisagé simplement comme un
moyen de persuasion, mais comme un élément constitutif de la scène d'énonciation, au
même titre que le matériau linguistique.
Ruggero Druetta 151
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Travaux neuchâtelois de linguistique, 2014-2015, 61-62, 153-169
Fernand DELARUE
Université de Poitiers
Erst nach dem Übergang vom antiken Griechenland zu Rom wird die Hyperbel,
insbesondere in der Rhetorica ad Herennium und bei Cicero, als eine für alle legitime
Strategie definiert und vollständig akzeptiert. Zuvor schienen die Theoretiker durch
die Vorbehalte Aristoteles' gegen diese Figur beeinflusst zu werden. Allerdings basiert
diese Schlussfolgerung auf einer nur kleinen Anzahl von Zeugnissen. Im Römischen
Reich kommt der Hyperbel die besondere Funktion zu, das auszudrücken, was laut
Quintilian "das natürliche Mass übersteigt" und in der griechischen Abhandlung Über
das Erhabene analysiert wird.
1
Italiques de l'auteur.
154 L'hyperbole d'Aristote à Quintilien
bataille, "les fleuves dont le sang précipite le cours, les cadavres égalant
par leur amas le niveau des hautes collines", Juvénal (6, 656) affirmant qu'à
Rome, désormais, "il n'est point de rue qui n'ait sa Clytemnestre"? Quant
au lecteur actuel, qu'il juge ce que lui-même est prêt à admettre.
Entre le 4e siècle et le 1er ap. J.-C.2, l'hyperbole se fait de plus en plus
audacieuse, le seuil d'acceptabilité s'élève. Pour s'interroger sur la position
des théoriciens, trois périodes se distinguent ainsi naturellement,
imposant un plan chronologique. D'abord les Grecs, à la suite d'Aristote:
jusqu'à quel point admettent-ils l'usage de l'hyperbole comme procédé
rhétorique? Son usage va au contraire de soi à Rome, à la fin de la
république: on verra comment elle est présentée dans la Rhétorique à
Hérennius ou chez Cicéron, le seul de nos auteurs à conjuguer théorie et
pratique. On accordera enfin une importance particulière aux ouvrages du
1er siècle ap. J.-C., l'un grec, le traité Du sublime, l'autre latin, l'Institution
oratoire de Quintilien, en un temps où la littérature (surtout chez les
poètes) présente une véritable inflation de l'expression hyperbolique:
existe-t-il alors, comme le croient certains critiques, un divorce entre
pratique et théorie?
Ce qui est conservé de la rhétorique grecque entre Aristote et les Latins est
fort limité; ce qui concerne l'hyperbole, plus limité encore. Chez Aristote
lui-même, peu de choses: "la théorie de l'hyperbole n'en est chez lui qu'à
ses débuts" (Chiron, 2001: 222, n. 71). Théophraste, son successeur, par
son traité Du style (περὶ λέξεως), compléta et systématisa les indications de
la Rhétorique: il n'en reste que des fragments. On doit passer ensuite à
Démétrios, rhéteur longtemps "méconnu", remis en pleine lumière par
Chiron: celui-ci le situe prudemment, mais avec une bonne vraisemblance,
aux alentours de 100 av. J.-C. Chez Démétrios, bien que la doctrine doive
surtout à Aristote et Théophraste, elle est "fruit de traditions diverses et
parfois rebelles à la synthèse" (Chiron, in Démétrios, 1993: XLVIII). On
tâchera de tirer parti enfin d'une simple mention chez Denys
d'Halicarnasse, bien que celui-ci soit postérieur à Cicéron.
Pas de définition chez ces auteurs. Hyperbolê en effet n'est pas, comme
"hyperbole", un terme uniquement technique: c'est un mot du langage
courant, membre d'une famille, et pouvant (comme en français
"comparaison" ou "apostrophe") alterner avec le verbe correspondant.
Hyperbolê d'autre part, comme "exagération" ou "excès", tend souvent à
2
Pour la période suivante, où l'épidictique, qui ne nous intéressera pas ici, triomphe,
renvoyons à Pernot (1993).
Fernand Delarue 155
3
Trad. Chiron. La traduction par "bons mots" (Wartelle) suggère un caractère plaisant en
général étranger aux asteia: Schenkeveld (1994).
4
Meirakiôdês signifie, selon le contexte, "juvénile" ou "puéril". Cf. infra, chez Denys.
5
Le mot n'apparaît pas dans la Poétique: l'emploi homérique de "dix mille" pour "un grand
nombre" (II., 2, 272) est classé comme "métaphore de l'espèce au genre" (57 b 11-13). Dans
la Rhétorique à Alexandre (30 b 9-19), la "sentence par hyperbolê" est une formule fondée
156 L'hyperbole d'Aristote à Quintilien
sur un "dépassement": "les voleurs me paraissent plus pernicieux que les pillards, parce
que […]".
6
Nous reprenons, outre nombre de traductions, le sigle PH de Chiron.
7
PH 52, citant Od. 9, 190-191 et paraphrasant 192. Même analyse avec d'autres exemples
chez Quintilien (8, 6, 70-72).
8
"Telle la fanfaronnade, telle est, à peu de choses près, la froideur du style; en effet le
fanfaron se glorifie de qualités qu'il ne possède pas: l'auteur qui déploie de la pompe autour
de vétilles semble lui aussi fanfaronner sur des riens" (PH 119). Sur la froideur, Aristote,
Rhet. 05 b 34-06 b 18, repris, PH 116.
Fernand Delarue 157
9
PH 124, citant Homère, Il. 10, 437 (deux premières citations: les chevaux de Rhésos) et 4,
443 (la Discorde).
10
L'impossibilité, to adunaton, cause de froideur dans le domaine de la pensée, est déjà
apparue auparavant avec un exemple anonyme, comparable, mais indéfendable: "comme
lorsque, à propos du Cyclope lapidant le navire d'Ulysse, on dit 'sur le roc en plein vol
paissaient encore des chèvres'; la froideur vient ici de l'exagération de la pensée et de son
impossibilité" (115). Cf. Sen. Rh., S. 1, 12.
11
PH 127 et 162: Sophron, fr. 108, 34 Kaibel.
12
Cf. Chiron (2001: 42): "depuis la formule la plus heureuse et le mot d'esprit le plus raffiné
jusqu'à la plaisanterie la plus grasse". Un certain esprit d'enjouement constitue l'élément
commun.
158 L'hyperbole d'Aristote à Quintilien
13
PH 283; Démade, fr. 53 De Falco; également cité par Plutarque, Phoc., 22, 5. Celui-ci nous
apprend aussi que Théophraste plaçait Démade avant Démosthène: "Comme on lui
demandait ce qu'il pensait de Démosthène en tant qu'orateur, il répondit 'il est digne de la
cité', mais pour Démade: 'il est au-dessus de la cité'" (Plut., Dem., 10, 2). Faudrait-il en
déduire que Théophraste n'était pas si hostile à l'hyperbole?
14
Dans Thuc. 15, 3, il semble s'agir de supériorité (dépassement) sur Thucydide, plutôt que
d'hyperbole.
15
C'est apparemment de Denys que vient l'expression de "figures gorgianiques" (Noël, 1999).
16
Cf. Rhet. 04 a 26-29: "Le style <de la prose> fut d'abord poétique, tel celui de Gorgias.
Encore maintenant la plupart des gens incultes pensent que ceux qui s'expriment ainsi
parlent très bien. Il n'en est rien: le style de la prose et celui de la poésie sont des choses
Fernand Delarue 159
différentes". Au reste les poètes aussi ont évolué: "aussi est-il ridicule d'imiter ceux qui
n'utilisent plus eux-mêmes ce mode d'expression" (35-36). De même Quint. 12, 10, 42.
17
Autres adjectifs équivalents, paidariôdês et nearos.
18
Les pages que Chiron (Démétrios, 1993: LVII-LXI; Chiron, 2001: 336-343), à la suite de Costil,
consacre à la rhétorique stoïcienne, sur laquelle on ne sait à peu près rien de précis, ne
nous convainquent pas tout à fait.
19
Chiron (2001: 312-313; 367-370 [Philodème?]; 377-381 [liste des testimonia]).
160 L'hyperbole d'Aristote à Quintilien
20
La connaissance de la Rhétorique d'Aristote par Cicéron paraît singulièrement limitée
(Barnes, 1999: 50-54). Très suggestif, sur l'aspect idéologique et l'influence de l'école de
Pergame pour faire souffler à Rome "a cosmic afflatus", le livre de Hardie (1986: 381; sur le
De republica de Cicéron: 71-76).
21
Cf. Quint., 8, 4, 29: l'hyperbole excède le cadre de l'amplificatio ou de la minutio.
22
Les calques supralatio, superlatio, exsuperatio, superiectio (et les verbes correspondants)
restent confinés dans les traités théoriques. Ailleurs, on use du mot grec: Cic., Fam. 7, 32, 2
(renvoyant au texte du De oratore); Sen., Ben. 7, 23; cf. ici l'exemple des Topiques.
Fernand Delarue 161
d'avancer ce qui est tout à fait impossible, pour amplifier ou pour affaiblir
(c'est ce qui s'appelle ὑπερβολή), et d'accomplir bien d'autres merveilles"
(Top. 45).
Toutes les exagérations paraissent donc permises à l'orateur romain. Son
échelle demeure pourtant celle du monde des hommes. Il appartiendra à
l'ingéniosité du siècle suivant de franchir "les murailles enflammées de ce
monde", flammantia moenia mundi (Lucr. 1, 73), que, sans en avoir ni la
volonté ni la conscience, il respecte encore.
3. Le Haut-Empire
23
Ce thème du recul du soleil, écho du Thyeste de Varius, poète ami de Virgile (Delarue, 1985),
est souvent évoqué par ces poètes: Luc. 1, 543-544; 7, 451-454; Stat., Th. 4, 37-308; Silv. 5,
3, 96-97.
162 L'hyperbole d'Aristote à Quintilien
24
Dans nos travaux antérieurs, nous qualifiions, de façon approximative, les phantasiai
d'"images imaginaires" dotées d'enargeia.
Fernand Delarue 163
25
"Étonnement produit par un coup, d'où épouvante, frayeur" (Bailly); "l'étonnement et la
surprise" (Boileau); "l'étonnement" (Lebègue); "le choc" (Pigeaud).
26
"Je déplore un meurtre. Ne me représenterai-je pas tout ce qui pourrait, de façon
vraisemblable, s'être produit dans la réalité? L'assassin ne s'élancera-t-il pas tout à coup?
L'autre, bloqué, ne va-t-il pas s'épouvanter, crier ou prier ou fuir? celui qui frappe, celui qui
tombe, ne les verrai-je pas? le sang, la pâleur, les gémissements, le dernier soupir enfin de
la victime expirante, tout cela ne se fixera-t-il pas dans l'esprit?" (Quint., 6, 2, 31).
27
Tolma: 32, 4 (audace des métaphores), 38, 4-5 (des hyperboles); cf. parabolos kai
akrosphalês (22, 4), "hardi et risqué", thrasus, "hardi", 32, 3… Un garde-fou préalable: 3, 3.
164 L'hyperbole d'Aristote à Quintilien
de la prose: les meilleures sont celles que le lecteur, entraîné par la tension
et la chaleur du récit, ne remarque pas comme telles. Des exemples
analysés ensuite (38, 3-4), l'un de Thucydide (7, 84, 5), l'autre d'Hérodote (7,
225), retenons une partie du second: lors du combat des Thermopyles, les
Spartiates "se défendirent avec leurs poignards (ceux du moins qui en
avaient encore), avec leurs mains, avec leurs dents". On a parfois refusé
que la mention des dents fût une hyperbole. À tort: pour un Ancien, et
l'auteur est ici très net, un tel détail relève non de la vérité historique, mais
de l'art, tekhnê, ars (Russell, 1964: 171)28. La sobriété du trait contraste
avec l'ampleur des hyperboles cicéroniennes. Et de fait le traité comporte
une comparaison entre Démosthène et Cicéron: au premier les images de la
hauteur (hypsos: élévation, sublime), au Romain, celles de l'étendue
(khusis: épanchement, abondance); la foudre d'un côté, l'incendie qui
dévore tout de l'autre (12, 4). Les mêmes termes se justifient si on compare
le trait fulgurant d'Hérodote à l'anecdote pathétique qui clôt, chez Tite-
Live, historien cicéronien, le tableau du champ de bataille après Cannes
(22, 51, 9)29.
Le développement sur l'hyperbole poétique dans les phantasiai s'ouvre en
cours de phrase après une énorme lacune (9, 4). Il appartient apparemment
à la partie concernant les passions – sans que ces passions soient
dissociées de la grandeur d'âme, cette association inédite étant sans doute
justifiée dans le texte perdu (Dross, 2010: 129-131). Là figurent en
particulier six citations de l'Iliade à propos desquelles on relèvera deux
points.
Vient d'abord une description de la Discorde, Éris, compagne d'Arès:
"Petite d'abord, elle se dresse, puis bientôt de son front s'en va heurter le
ciel, tandis que ses pieds toujours foulent le sol" (Il. 4, 442-443)30. "De son
front heurter le ciel", on l'a vu, était cité par Démétrios (PH, 124) comme
exemple d'hyperbole "par impossibilité". L'effet est tout autre si on
considère l'ensemble. On peut ici s'appuyer sur les brillantes analyses
fournies par Hardie des hyperboles virgiliennes. Hardie (1986: 267-268),
citant Housman qui jugeait que Virgile "soars too near the stars", montre
qu'il ne s'agit pas d'une fantaisie, mais d'"une partie de l'exploration
soutenue des limites ultimes, à la fois supérieures et inférieures, de
l'univers"; ce sont là "les indices d'une toile de fond permanente des
28
Voir chez Quintilien (8, 3, 67-69), à propos des phantasiai, comment un historien décrit la
prise d'une ville.
29
L'auteur évoque aussi l'hyperbole comique: alors que Démétrios dédramatisait l'hyperbole
"sérieuse" en la ramenant au gracieux, il dramatise le rire, "passion dans le plaisant" (38, 6).
30
La citation elle-même figurait dans le texte perdu, mais le commentaire ne laisse aucun
doute à son sujet.
Fernand Delarue 165
31
Cf. Pigeaud (Longin, 1991: 20): "il s'agit de situations limites et radicales. Le sublime en est
la perception".
32
En dernier lieu chez Genette (2004: 14): "transgression délibérée du seuil d'enchâssement".
33
Sur Sénèque, Delarue (2006).
166 L'hyperbole d'Aristote à Quintilien
34
À Rome, le thème du "beau risque" est familier à ce siècle. Il apparaît chez Ovide à propos
de Phaéthon: "ci-gît Phaéthon, aurige du char paternel: s'il ne le put tenir, grande fut
l'entreprise où il succomba" (Met. 2, 327-328).
Fernand Delarue 167
Elle consiste, dit Quintilien, à "outrer avec convenance la vérité", est haec
decens ueri superiectio (8, 6, 67). L'exemple donné ensuite, hyperbole de
Cicéron adressée à Marc-Antoine, invite à ne pas conférer à decens un sens
trop étroit: "En vomissant, il a recouvert de résidus de nourriture aux
relents de vin son sein et l'estrade tout entière du tribunal"35 (8, 6, 68). Les
analyses du pseudo-Longin permettent de comprendre le mot: l'orateur
dont le but est de convaincre ne saurait se permettre les libertés que se
donnent les poètes contemporains, il n'a pas à voir les Furies. Quintilien
ensuite n'innove ni à propos du classement des hyperboles (8, 6, 68-73), ni
à propos des défauts, sur lesquels il n'insiste guère, "d'autant qu'ils ne
sont ni ignorés ni obscurs" (8, 6, 73-74). La suite est bien plus originale, et
en général moins bien comprise.
Il part d'une constatation: "l'hyperbole est communément employée aussi
par les ignorants et les rustres" (8, 6, 75). Il ne s'agit pas, comme chez
Aristote parlant des jeunes gens, d'opposer au bon usage un usage à
rejeter. Aussi, que nous soulignons, montre qu'il s'agit d'un usage commun
à tous. Il ne parle plus de culture, mais de nature: "apparemment parce
que, par nature, nous avons tous le désir inné (cupiditas insita) d'amplifier
ou de rabaisser et que personne ne se satisfait du vrai" (8, 6, 75). Nous voici
à l'opposé du souci d'une adéquation entre parole et réalité, au cœur de
l'"empire rhétorique". Et la conclusion, où le mot grec retrouve son sens
non technique, ouvre largement la porte à la "démesure" des poètes:
"L'hyperbolê 36 est une vertu, quand la chose dont nous avons à parler
outrepasse la mesure naturelle (naturalem modum excessit). Il est permis
en effet de dire plus, parce que nous ne pouvons dire juste ce qu'il faut et
mieux vaut aller au-delà que rester en deçà (melius ultra quam citra)" (8, 6,
76). Situations rares, a-t-on dit37. La guerre civile, la tyrannie, le défi lancé
au Ciel, tout cela n'outrepasse-t-il pas "la mesure naturelle" – ainsi que le
sacrifice pour la liberté des compagnons de Léonidas38 ou le génie du
Poète? Vltra naturalem modum ne peut que rappeler hyperphuês du
Sublime. Il est des sujets sur lesquels ce sont la modération et la tiédeur
qui sont scandaleuses.
35
Cic., Phil. 2, 63: outre 8, 6, 63, Quintilien cite le passage une dizaine de fois.
36
C'est-à-dire l'"exagération". Traduire par l'"hyperbole" n'a pas de sens: dirait-on que
l'"hyperbate" ou la "synecdoque" est une vertu?
37
"Not a frequent occurrence, his placing suggests" (Hutchinson, 1993: 112): c'est
méconnaître l'importance de la place finale, clausula, dans l'esthétique du temps et dans la
rhétorique en général.
38
Sur l'hyperbole morale, "illustration d'une sagesse dont l'exigence confine à l'irréalisme", à
partir de Sénèque, Ben. 7, 23, 1-2, Dross (2012: 62-63).
168 L'hyperbole d'Aristote à Quintilien
4. Le défi d'Homère
S'il faut maintenant, ainsi qu'il convient dans une conclusion, évaluer le
chemin parcouru à propos de l'hyperbole chez les Anciens, on partira de
deux citations latines. Cicéron rappelle dans le De oratore que "l'éloquence
n'est pas née de la rhétorique, mais la rhétorique de l'éloquence" (1, 146;
cf. 108-109). Et, à l'origine de l'éloquence, figure Homère39: Quintilien en
est encore convaincu, "de même que, selon ses propres paroles, fleuves et
fontaines tirent leur source de l'Océan, il est le modèle et l'inspirateur de
toutes les parties de l'éloquence" (10, 1, 46). La première page conservée
de la littérature occidentale lance déjà comme un défi aussi bien aux
théoriciens qu'aux poètes, associant avec une divine simplicité détails
familiers et espace théologique, divin et épouvante. Chrysès a prié Apollon
de châtier les Grecs. L'archer s'apprête, "les flèches sonnant sur ses
épaules": et il va, "pareil à la nuit", νυκτὶ ἐοικώς (Il. 1, 47).
Bibliographie
39
Sur Homère, "éducateur de la Grèce", Marrou (1965: 39-40).
Fernand Delarue 169
Christine ROUSSEAU
Université Stendhal-Grenoble 3
Die mondänen Feenmärchen, die am Ende des 17. Jahrhunderts erscheinen, erneuern
die ebenso populäre wie traditionelle Märchengattung durch eine stilistische
Verfeinerung, welche auf einer systematischen Verwendung der Hyperbel basiert. Die
unwirklichen Aspekte dieser Märchen werden vor allem durch die markante
Hervorhebung der thaumaturgischen Eigenschaften deutlich, welche die literarischen
Charaktere auszeichnen. Mit anderen Worten wird das Fantastische durch die
offensichtliche stilistische Übertreibung, die eine aktive Lektüre durch einen
aufgeklärten Leser verlangt, entmystifiziert. Letztlich ist festzuhalten, dass die in
Feenmärchen oft vorkommende Hyperbel entscheidend den Heldenstatus
bestimmter Figuren mitprägt und auf sprachwissenschaftlicher Ebene die Arbitrarität
des linguistischen Zeichens verdeutlicht.
1
On constate une très grande fréquence d'apparition de ces termes, au premier rang
desquels si fait figure de proue, tant il est présent. Il est un élément systématique, voire un
tic d'écriture hyperbolique. L'adverbe si peut également s'employer en construction
superlative et en corrélation avec une proposition subordonnée de conséquence. Nous
avons choisi de nous intéresser à la partie uniquement superlative (à travers la
qualification), même en corrélation, sans étudier la conséquence qui touche à la syntaxe.
Voir l'analyse des corrélatives intensives dans les contes de Perrault par Heidmann et Adam
(2010).
2
Voir la définition de Riegel, Pellat et Rioul (1997: 361).
Christine Rousseau 173
2. Tautologies héroïques
3
Plantié (1994: 77) évoque "la surabondance des consécutives" que l'on trouve dans Le Grand
Cyrus ou Clélie. Elle donne en exemple l'extrait suivant: "les yeux si doux et attrayants, que
j'advoue n'en avoir jamais veu de semblables. Elle avait la taille si belle, et la façon si pleine
de majesté qu'on pouvait aisément juger qu'elle n'estoit pas née parmy le peuple".
4
Pensons notamment au portrait de M. de Nemours, dépeint dans La Princesse de Clèves de
Mme de La Fayette (1970: 243) comme "l'homme du monde le mieux fait et le plus beau"
avec "un agrément dans son esprit, dans son visage et dans ses actions, que l'on n'a jamais
vu qu'à lui seul".
5
Plantin (1985) parle d'"intensifieur discursif" qui convoque une représentation déjà
existante de la superlativité des motifs, cet intensifieur "s'appuyant sur une intensité 'pré-
énonciative', au sens où le degré d'intensité (éventuellement élevé) n'est pas attribué à
l'adjectif ou à l'adverbe du fait de si: cette intensité est rapportée, citée par si, l'attribution
étant le fait d'un acte de discours antérieur à l'énoncé en si. Si marque la pluralité des voix
dans le discours". Appliquée aux contes, la polyphonie de l'intensif si révèle son caractère
épidictique à travers l'éloge ou le blâme des personnages hyperboliques.
174 Le système superlatif dans les contes de fées du XVIIe siècle
6
Nos italiques.
7
Id.
8
Id.
Christine Rousseau 175
Une fois la qualité distinctive du héros donnée, elle est souvent réitérée au
long du texte. La répétition octroie alors une identité définitive qui confirme
la première occurrence désignative. Ainsi, dans Quiribirini (Perrault et al.,
2005: 575), l'héroïne est "la plus aimable princesse de son temps". Le sème
/amabilité/ immédiatement repris dans la phrase suivante avec "cette
princesse si aimable" singularise le personnage par la reconnaissance de
son caractère. L'adjectif est ensuite attribué deux fois au roi son époux et
deux autres fois au couple, totalisant six occurrences avec trois
constructions superlatives relatives avec plus et trois constructions
superlatives absolues avec si. La répétition filée au long du texte laisse une
empreinte spécifique qui permet la reconnaissance du personnage et
forme un paradigme isotopique définitoire. Les deux personnages ainsi
particularisés s'accordent parfaitement selon leur catégorie héroïque que
le superlatif a marquée et démarquée régulièrement.
Le critère superlatif est donc un moyen de définition, de reconnaissance et
de (s)élection du héros qui apparaît supérieur aux autres personnages.
C'est ce que soulignent Denis et Sancier-Chateau (1994: 175) à propos du
complément du superlatif relatif: "Puisque l'étalon de référence est
constitué de tous les éléments d'un ensemble, il y a donc extraction,
prélèvement (on isole, on soustrait un élément parmi d'autres)". Qualifié
par un superlatif, le héros est donc repéré, extrait et mis à l'écart (en avant)
pour investir pleinement sa fonction privilégiée.
Au seuil du texte, la discrimination du protagoniste est généralement
réalisée par une mention superlative qui le rend unique et le distingue de
son entourage (fratrie, famille, individus de même genre). Ainsi, parmi les
trois sœurs décrites à l'ouverture de La Princesse Belle-Étoile et le Prince
Chéri (Aulnoy, 2004: 898), "la cadette était la plus belle et la plus douce".
De même, dans Le Mouton (Aulnoy, 2004: 407), "la cadette était la plus
aimable et la mieux aimée", et l'héroïne du Petit Chaperon rouge (Perrault
et al., 2005: 199) est "la plus jolie qu'on eût su voir". À partir de ces
énoncés, le lecteur peut immédiatement inférer le rôle prépondérant du
personnage. Le superlatif prend alors la valeur d'un embrayeur actanciel et
narratif, puisque dès sa désignation en tant que héros, le personnage en
assume les fonctions et subit les événements qui lui sont liés.
3. Confirmations génériques
Le superlatif initial est conclu par une tautologie réflexive qui enferme le
personnage dans une définition restrictive qui, comme pour le personnage
désigné, se suffit à elle-même.
9
Surenchère endogène, mais aussi exogène: le corpus dans son ensemble propose une
superlativité considérable et extensive. Il est alors à se demander s'il n'y a pas une
surenchère intertextuelle entre les conteurs qui pratiquent collectivement le même genre.
10
Vérité du personnage comme "vérité de la fiction", pour reprendre l'expression de Grivel
(1973: 135) à propos du nom propre qui, selon le critique, "remplit un double usage: sur une
de ses faces il signifie la fiction, sur l'autre il signifie la vérité de la fiction".
Christine Rousseau 177
4. Démystifications merveilleuses
11
Au sens étymologique rappelé par Macé (2010): l'emphase est un procédé visant à
souligner, montrer ce qui est important.
12
Heidmann et Adam (2010: 258) parlent du caractère "endoxal" des valeurs du conte
modélisées par les intensifs: les motifs du conte se définissent et adviennent selon "un
ordre hyperbolique des choses".
178 Le système superlatif dans les contes de fées du XVIIe siècle
13
Nos italiques.
Christine Rousseau 179
Il faut qu'il y ait quelque chose de bien extraordinaire dans notre naissance pour nous
abandonner ainsi, et une protection bien évidente du Ciel pour nous avoir sauvés de
tant de périls.
14
Voir à ce sujet Gaillard (1823: 366): "l'hyperbole est une figure menteuse, qui abuse de la
crédulité des auditeurs en leur exagérant les choses avec excès".
15
Ou "pacte de fictionnalité" ou "pacte fictionnel", pour reprendre l'expression de Cordoba
(1984: 43) à propos du personnage.
16
Nous parlons de pastiche, de clin d'œil, de connivence et de distance amusée, mais pas
encore de réelle parodie, car il ne s'agit que de quelques éléments dispersés au fil des
textes qui réveillent l'attention lectoriale par un jeu de marquage outrancier et non d'un
retournement de l'ensemble du texte dont le merveilleux premier degré reste le point
d'ancrage essentiel.
180 Le système superlatif dans les contes de fées du XVIIe siècle
2005: 246), dont la description appuie, avec pas moins de cinq répétitions
de l'adverbe fort, les éléments agressifs de leur physionomie:
Ces petites ogresses avaient toutes le teint fort beau, parce qu'elles mangeaient de la
chair fraîche comme leur père; mais elles avaient de petits yeux gris et tout ronds, le
nez crochu et une fort grande bouche avec de longues dents fort aiguës et fort
éloignées l'une de l'autre. Elles n'étaient pas encore fort méchantes; mais elles
promettaient beaucoup, car elles mordaient déjà les petits enfants pour en sucer le
sang.
17
Nos italiques.
Christine Rousseau 181
5. Conclusion
Bibliographie
Corpus littéraire
Aulnoy, Mme d' (2004): Contes des fées. Paris (Champion).
La Fayette, Mme de (1970): Romans et nouvelles. Paris (Classiques Garnier).
Lhéritier, Mlle, Bernard, Mlle, La Force, Mlle de, Durand, Mme & Auneuil, Mme d' (2005): Contes.
Paris (Champion).
Murat, Mme de (2006): Contes. Paris (Champion).
182 Le système superlatif dans les contes de fées du XVIIe siècle
Perrault, Fénelon, Mailly, Préchac, Choisy & anonymes (2005): Contes merveilleux. Paris
(Champion).
Bibliographie analytique
Bonhomme, M. (2005): Pragmatique des figures du discours. Paris (Champion).
Cordoba, P.-E. (1984): Prénom Gloria. Pour une pragmatique du personnage. In: Bustamante
Alsina, J. (éd.), Le personnage en question. Actes du IVe Colloque du Séminaire d'études
littéraires. Toulouse (PUM), 33-44.
Denis, D. & Sancier-Chateau, A. (1994): Grammaire du français. Paris (Librairie générale
française).
Fontanier, P. (1977): Les figures du discours. Paris (Flammarion).
Gaillard, G.-H. (1823): Rhétorique française à l'usage des jeunes demoiselles. Avec des exemples.
Paris (Delalain).
Gevrey, F. (1988): L'illusion et ses procédés. De La Princesse de Clèves aux Illustres françaises.
Paris (José Corti).
Grivel, C. (1973): Production de l'intérêt romanesque. La Haye-Paris (Mouton).
Heidmann, U. & Adam, J.-M. (2010): Textualité et intertextualité des contes. Perrault, Apulée, La
Fontaine, Lhéritier… Paris (Classiques Garnier).
Macé, S. (2010): L'emphase: un point de rencontre entre rhétorique, syntaxe et stylistique. In:
Levesque, M. & Pédeflous, O. (dirs.), L'emphase: copia ou brevitas? Paris (PUPS), 21-35.
Plantié, J. (1994): La mode du portrait littéraire en France (1641-1681). Paris (Champion).
Plantin, C. (1985): La genèse discursive de l'intensité. In: Langages, 80, 35-53.
Quintilien (1840): Institution oratoire. Paris (Panckoucke).
Riegel, M., Pellat, J.-C. & Rioul, R. (1997): Grammaire méthodique du français. Paris (PUF).
Seylaz, J.-L. (1980): Un aspect de la narration stendhalienne. La qualification intensive dans le
début de Lucien Leuwen. In: Études de lettres, 3, 31-49.
Spitzer, L. (1970): Études de style. Paris (Gallimard).
Travaux neuchâtelois de linguistique, 2014-2015, 61-62, 183-195
Suzanne DUVAL
Université Paris-Sorbonne
Die Hyperbel versteht sich als Stilfigur, deren Hauptmerkmal die Übertreibung ist.
Letztere liegt sowohl der Bildung als auch dem praktischen Ziel dieser Figur
zugrunde. Hyperbeln werden üblicherweise als stilistische Mängel betrachtet. Die
Ablehnung, auf die sie oft stossen, motiviert uns, über die hyperbolische
Funktionsweise in einem konkreten Diskurs nachzudenken, sowie über verschiedene
Interpretationen der untersuchten Figur. Im 17. Jahrhundert wurde Madeleine de
Scudéry oft für ihre unzeitgemässe Verwendung verstärkender Suffixe wie -able und
-ment kritisiert, die aufgrund ihrer hyperbolischen Wirkung verpönt waren. Dank einer
eingehenden stilistischen Untersuchung von Scudérys fiktionalem Werk lässt sich die
wiederholte Verwendung solcher Intensivierer bei dieser Autorin gut erkennen.
Kurzum, die vorliegende Studie untersucht die Funktionsweise der Hyperbel in einem
fiktionalen Kontext, der stark auf die Vorstellungskraft des Lesers angewiesen ist.
Hyperbeln entführen letzteren in eine andere Welt und versetzen ihn in Gefühlslagen,
die mit Worten nicht umschrieben werden können.
1
Pour une étude de la genèse de cet idéal, voir Fumaroli (2002) et Siouffi (2010).
184 L'hyperbole fictionnelle: exagération et suffixation
2
Voir à ce sujet Esmein (2009).
3
Voir à ce sujet Denis (1998b).
4
Voir à ce sujet Denis (2001), Dufour-Maître (2008) et Grande (1999).
5
Dans cet article, l'expression "univers de croyance" désigne, comme chez Martin (1987: 10),
"l'ensemble des propositions qu'au moment où il s'exprime le locuteur tient pour vraies (et
conséquemment celles qu'il tient pour fausses) ou qu'il cherche à accréditer comme telles".
Suzanne Duval 185
Le jeu sur les homéotéleutes est ici poussé jusqu'à l'absurde, puisqu'il fait
suivre à la série des suffixations en -able le substantif "diable", dont la
morphologie est entièrement différente. Chez Boileau comme chez
Somaize, ce n'est pas tant l'hyperbole comme telle qui est jugée
répréhensible que son utilisation intempestive, au détriment de la
vraisemblance et de la cohésion du discours.
On voit que la stratégie satirique de ces deux textes joue sur la
décontextualisation de la cible stylistique qu'ils visent: transplantée dans
6
Pour une étude de cette tendance des adverbes en -ment à la "subduction", voir Guimier
(1996: 30).
7
Nous utilisons ici le terme d'intensité au sens de "quantité de propriété", en suivant la
conceptualisation qu'en propose Kleiber (2013: 63).
186 L'hyperbole fictionnelle: exagération et suffixation
8
Nous préciserons dans la suite de l'article les références des occurrences étudiées.
Suzanne Duval 187
9
Sur la "cohérence" des thèses soutenues dans les conversations de Madeleine de Scudéry
portant sur l'esthétique, voir Denis (1998a: 14).
188 L'hyperbole fictionnelle: exagération et suffixation
Ils avaient de grandes et de belles paroles, le son en était même agréable, on eût dit
quand on n'y pensait guère qu'ils voulaient dire quelque chose, et l'on y entrevoyait de
l'esprit; mais avec tout cela, ce n'était que de fausses pointes, mises en galimatias
pompeux. (Scudéry, 2003: 39)
10
Quintilien (2003: 124) dit par exemple que "si toute hyperbole sort de la vraisemblance, il ne
faut pas qu'elle sorte de la mesure, car il n'y a pas de meilleur moyen de tomber dans une
affectation extravagante".
11
Selon la formule de Denis (1997: 243-342), dans une étude portant sur la stylistique de la
conversation chez M. de Scudéry.
Suzanne Duval 189
12
Les "procédures de fictionnalisation" sont ici envisagées, suivant la démarche proposée par
Denis et Jaubert (2005: 3), comme des "indices" inscrits dans le fonctionnement même du
langage dont ils font "bifurquer le mode de référenciation".
190 L'hyperbole fictionnelle: exagération et suffixation
L'horizon d'attente du lecteur est ici décalé sans pour autant être déçu:
l'hyperbole est en effet continuée par le substantif "ravissement" puis le
superlatif "la plus belle personne". Mais à l'écho extraordinaire attendu se
substituent l'apparition d'Isabelle et le silence ébahi du narrateur, dans
une bifurcation du programme narratif qui met en relief la merveille de la
surprise de l'amour.
Ces différents exemples mettent en évidence le fonctionnement
argumentatif spécifique de l'hyperbole en contexte fictionnel. L'hyperbole
standard en effet ne situe son référent sur une échelle argumentative qu'au
terme d'un calcul interprétatif: l'allocutaire négocie à la baisse le degré
d'intensité littéral de l'expression hyperbolique. Dans le contexte fictionnel
du roman héroïque, l'hyperbole conduit au contraire le lecteur à élargir son
univers de croyance pour se figurer des personnages et des actions plus
grands que nature, tout en gardant en mémoire le procédé fictionnel
d'exagération situé au fondement de cette configuration. L'emploi des
hyperboles négatives définit encore un palier supérieur dans cette poétique
de l'intensification.
Suzanne Duval 191
Nous avons vu que les SAM de type 2 actualisaient leur portée intensive de
manière implicite. C'est en effet seulement par inférence que le sème de
négation porté par leur préfixe aboutit à une hyper-assertion: le contenu
sémantique de la base+suffixe, nié par le préfixe, programme une
intensification de la caractérisation très proche du procédé litotique. Dans
les deux cas en effet, l'énonciateur utilise le procédé de la négation pour
faire entendre le haut degré. Mais la litote vise implicitement un degré
localisable sur l'échelle des valeurs, tandis que l'hyperbole négative
indique quant à elle une "occurrence à la fois stabilisée et non stabilisée"
qui "n'a pas de valeur définie et ultime" (Culioli, 1999: 129)13. Interprétée
comme une litote, l'expression x n'est pas crédible peut ainsi être
paraphrasée par l'expression littérale x est complètement invraisemblable.
En revanche, l'expression hyperbolique x est incroyable indique que x se
situe au-delà de l'échelle du croyable. En ce sens, l'hyperbole négative
enveloppe avec elle un méta-discours implicite qui nie la possibilité pour
l'énonciateur de caractériser littéralement l'occurrence qu'il vise, faute de
termes adéquats. Précisons toutefois que cette opération de négation est
lexicalisée, et ce dès le XVIIe siècle; le locuteur qui énonce une SAM
négative en retire directement la valeur intensive, sans effectuer les
inférences que nous venons de décrire, bien qu'elles soient inscrites dans
la morphologie du terme.
Or l'emploi qu'en fait Madeleine de Scudéry remotive cette opération. Le
sème négatif des SAM est en effet souvent réactivé par son inscription
dans une topique de l'indicible14 où l'énonciateur met en scène sa difficulté
à saisir son référent par des expressions appropriées. La négation est alors
actualisée comme l'une des ultimes ressources de l'expression du haut
degré, effectuant le passage d'un régime imageant à un régime suggestif
du discours fictionnel. L'hyperbole négative définit en ce sens les limites du
dire au regard du degré extrême du dit, en énonçant un dépassement des
compétences du discours. Aussi trouve-t-elle son domaine d'application
privilégié dans la représentation de mouvements affectifs marqués à la fois
par un excès qualitatif et une irréductibilité à l'analyse discursive. On en
trouve un bon exemple dans une analyse de la "tendre amitié":
13
Nous appliquons ici au fonctionnement de l'hyperbole une formulation que Culioli
(1999: 129) emploie pour caractériser la pragmatique de la modalité exclamative, utilisée
selon lui par le locuteur lorsque l'intensité d'une qualité excède les pouvoirs du dire: "Quelle
que soit la quantité-qualité que je pourrais choisir pour déterminer l'occurrence, elle
n'épuiserait pas le dicible, elle serait inadéquate".
14
Sur cette topique qui appartient à une tradition rhétorique épidictique remontant à
l'Antiquité, voir Curtius (1956: 196-199).
192 L'hyperbole fictionnelle: exagération et suffixation
Après tout quiconque aime bien, ne saurait qu'être infiniment sensible, à tout ce qui
lui vient de la personne qu'il adore. (Scudéry, 2003: 346)
15
Selon la terminologie d'Anscombre (2005).
Suzanne Duval 193
[…] elle est blonde, blanche, et très bien faite, et quoique tous les traits de son visage
ne soient pas tous d'une beauté extraordinaire, ils sont pourtant tous agréables, et de
l'assemblage de tous ces traits il résulte un certain air inexplicable, qui a plus de
charmes que les plus grandes beautés n'en ont. (Scudéry, 2003: 294)
16
Sur les rapports de l'esthétique galante au je-ne-sais-quoi chez M. de Scudéry, voir
notamment la conversation De l'air galant (Denis, 1998a: 51-52).
194 L'hyperbole fictionnelle: exagération et suffixation
non les qualités intrinsèques de l'objet décrit. Le lecteur est donc invité à
investir la description de sa propre imagination, à se figurer une image
suffisamment marquante pour cadrer avec l'intensité de l'effet énoncé. Ce
mouvement déceptif est reproduit dans la phrase suivante, orientée
d'abord vers une analyse des causes par le connecteur "car", et les
substantifs abstraits "de la justesse" et "de la disposition", pour aboutir
finalement à des tournures négatives: "ce je ne sais quoi", "on ne peut",
"n'ont pas", qui programment une communion du lecteur et de
l'énonciateur dans le partage sensible d'un agrément inexprimable.
L'étude des intensifs en -able et en -ment, traits prototypiques de la
prédilection de Madeleine de Scudéry pour l'hyperbole, a mis en évidence
la plasticité des usages pragmatiques de ce trope. En contexte fictionnel
en effet, celui-ci opère un double démarquage: il affiche un excès par
rapport à la langue commune, en disant plus et mieux qu'elle, et constitue
de ce fait une cible de prédilection pour les ennemis du mensonge
romanesque; mais il se situe dans le même temps en défaut vis-à-vis de la
langue du cœur, en créant un dispositif rhétorique qui comble les failles de
la langue par un art de la suggestion. L'emploi scudéryen de l'hyperbole
contribue ainsi à réaffirmer les pouvoirs de la fiction, tout en déplaçant
l'aventure romanesque du côté de l'inconnu du langage et des mouvements
infinitésimaux de la conscience.
Bibliographie
Anscombre, J.-C. (2005): Le on-locuteur: une entité aux multiples visages. In: Bres, J., Haillet, P.,
Mellet, S., Nolke, H. & Rosier, L. (éds.), Dialogisme et polyphonie. Paris (De Boeck), 75-94.
Boileau, N. (1873): Œuvres complètes, T. III. Paris (Garnier).
Culioli, A. (1999): Pour une linguistique de l'énonciation. Domaine notionnel, T. III. Paris (Ophrys).
Curtius, E. R. (1956): La littérature européenne et le Moyen Âge latin, T. I. Paris (PUF).
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Scudéry. Paris (Champion).
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Le fonctionnement de l'hyperbole dans l'humour
des chroniques du Monde
Die Analyse des Humors, welcher sich in den Chroniken der Zeitung Le Monde finden
lässt, legt nahe, die Übertreibung des Positiven von derjenigen des Negativen zu
unterscheiden. Die erste Übertreibung entspricht der ironischen Hyperbel, die zweite
der karikaturistischen Hyperbel, die das axiologisch Negative verzerrt. Ausserdem
werden wir ungewöhnliche, die Hyperbel verstärkende Gleichsetzungen und
Vergleiche untersuchen, für die der Sprecher nicht ernsthaft geradesteht. Der von der
karikaturistischen Übertreibung geprägte Humor, dessen Effekte durch die
Interpretation der amüsanten Hyperbeln gedämpft werden, verspottet manchmal nur
die aussergewöhnlichen Eigenschaften von Sachverhalten. In bestimmten Kontexten,
z.B. in journalistischen Chroniken, kann diese Art von Humor jedoch zu einer
Abwertung dessen führen, was üblicherweise geschätzt wird.
1
Cette étude se situe dans le cadre du projet de recherche FFI2012-33068 financé par le
Ministerio de Economía y Competitividad.
198 Le fonctionnement de l'hyperbole dans l'humour des chroniques du Monde
1. L'hyperbole ironique
Si, habituellement, l'ironie permet au locuteur de prétendre professer une
attitude énonciative valorisante, l'hyperbole ironique consiste à traiter en
termes excessivement valorisants une réalité qu'il s'agit de dévaloriser.
Ainsi en va-t-il de l'exemple suivant:
La faim. Tout simplement la faim […]. En ce monde si parfait, si global, si riche, si
admirable, si technologiquement développé, si médiatisé, si occidental, pour
résumer, nous aurions, nous avons, un peu tendance à l'oublier, celle-là. (Le Monde,
16-10-2002)
María Dolores Vivero García 199
2. L'hyperbole caricaturale
2
C'est-à-dire, d'après "ce que l'on sait de l'état de choses, et de ce que l'on suppose que le
locuteur veut en dire" (Kerbrat-Orecchioni, 2002: 296).
3
Je laisse de côté, dans le cadre de ce travail centré sur l'hyperbole, d'autres formes d'ironie,
notamment celle qui consiste à exprimer une appréciation négative pour laisser entendre
une appréciation positive. Dans ce cas, ce serait l'hyperbole du négatif (ou hyperbole
diminutive sous-estimant à outrance l'axiologiquement positif) qui fonctionnerait comme
indice de l'ironie. Sur cette conception large de l'ironie, voir Vivero García (2011; 2013b).
200 Le fonctionnement de l'hyperbole dans l'humour des chroniques du Monde
4
Je remercie Marc Bonhomme d'avoir attiré mon attention sur la dimension parodique de cet
exemple, qui laisse entendre le discours de libération du Général de Gaulle du 25 août 1944:
"Paris outragé! Paris brisé! Paris martyrisé!".
María Dolores Vivero García 201
3. L'insolite hyperbolique
5
J'ai plaisir à remercier Catherine Kerbrat-Orecchioni de sa remarque pertinente à propos de
cette métalepse.
María Dolores Vivero García 203
Nous savons tous, grandes entreprises ou simple contribuable, combien il est difficile
de faire aux pattes notre agent, agente, préféré. Quand on téléphone, il faut écrire.
Quand on écrit, il fallait prendre rendez-vous. Et quand on veut prendre rendez-vous,
il faut écrire ou téléphoner, pour prendre son tour aux heures d'ouverture, quand c'est
ouvert. À oser cette métaphore, la fenêtre fiscale est au contribuable ce que la
fenêtre de tir est à l'artilleur d'élite! (Le Monde, 27-02-2003)
6
L'humour de ce fragment procède aussi, en partie, de l'exclamation "Que d'eau, que d'eau!",
parodie des mots prononcés en 1875 par Mac Mahon, alors président de la république,
comme réaction aux dramatiques crues de la Garonne, qui avaient fait plusieurs centaines
de victimes (une réaction jugée un peu courte eu égard à l'ampleur de la catastrophe). Je
remercie Gisèle Valency de cette remarque ainsi que de sa relecture attentive de l'ensemble
de l'article.
María Dolores Vivero García 205
4. Conclusion
Au terme de cette étude, il apparaît que l'hyperbole peut jouer des rôles
différents dans l'humour. Si l'intensification des aspects positifs est un
indice de l'ironie, celle des aspects négatifs est constitutive d'un autre
procédé humoristique: ce que j'ai appelé "l'hyperbole caricaturale". Il a été
enfin suggéré que, lorsqu'elle s'assoit sur des rapprochements insolites,
l'hyperbole participe autrement que sur le plan de l'intensification à la
construction du sens global. Loin de s'effacer dans sa tension vers
l'intensité, l'écart qualitatif qui résulte de ces rapprochements s'impose,
mettant à nu l'adjonction de traits sémantiques incompatibles avec le
contexte.
Si, comme le remarque très justement Fontanier (1977: 124), pour que
l'hyperbole fonctionne en tant que figure, il faut non seulement que
l'exagération puisse être perçue comme telle, en fonction des contextes,
mais aussi que le sens littéral fasse illusion "jusqu'à un certain point", on
peut conclure que l'insolite ravive et fait fonctionner pleinement la force
figurale de l'hyperbole dans la mesure où celle-ci appelle le lecteur à
partager sur un mode ludique l'illusion d'un sens littéral invraisemblable.
Dans des discours propices à la connivence critique, comme les chroniques
journalistiques, cette forme d'humour, qui s'épanouit dans l'emphase et la
surenchère, ne raille pas seulement le caractère outré des choses. En
fonction de l'axiologie associée aux domaines connectés, elle peut servir à
en destituer certains (l'économie, les politiciens ou l'administration),
laissant voir, en même temps que ce qu'il faut raisonnablement
comprendre, ce qui est littéralement dit.
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206 Le fonctionnement de l'hyperbole dans l'humour des chroniques du Monde
Catherine KERBRAT-ORECCHIONI,
catherine.kerbrat-orecchioni@univ-lyon2.fr
Université Lumière Lyon 2, 69007 Lyon, France