Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Irigaray Luce. Approche d'une grammaire d'énonciation de l'hystérique et de l'obsessionnel. In: Langages, 2ᵉ année, n°5, 1967.
Pathologie du langage. pp. 99-109;
doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1967.2875
https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1967_num_2_5_2875
***
une pièce très claire, dans un fauteuil, etc. Ici aussi on retrouve la
référence explicite ou implicite au (tu), car c'est de votre bureau, votre
appartement, qu'il s'agit, ou tout au moins ta pièce très claire, le fauteuil,
n'interviennent-ils qu'en tant qu'ils évoquent, qu'ils sont comparables,
à votre logement ou son mobilier. Comme si l'hystérique n'avait comme
références spatiales que les vôtres et qu'il tentait de se repérer lui-même
par rapport à l'espace de l'allocutaire. La plupart des autres circons-
tants (28 %) expriment des références temporelles, précises dans le cas
où elles se situent par rapport aux temps des échanges de l'hystérique
avec son interlocuteur — la nuit dernière, Vautre jour (celui de l'entretien
précédent), etc. — très vagues dans les autres cas — de temps en temps,
il y a x temps.
Il est remarquable que les adjectifs, chez l'hystérique, déterminent
presque exclusivement l'objet, SN2, encore qu'ils puissent intervenir
comme attributs d'un sujet inanimé concret. Les adjectifs spécifient
souvent l'objet sous l'aspect quantitatif et toujours d'une manière telle
que la comparaison avec un autre objet, ou un autre état de l'objet, soit
suggérée : une grande maison; aussi net, aussi rangé qu'ici; un manteau
pareil (de même longueur), assorti; la bête entière; un tout petit renard ;
une pièce très claire; etc. Les autres adjectifs traduisent soit des qualités
quasi sensorielles de l'objet — soyeux, doux, — soit, dans les cas rares
où ils se rapportent à un animé, des qualités directement référées au
protagoniste de renonciation — sympathique, attachant, intéressant, (pour
vous). Quant aux adverbes, ils expriment également des modalités
quantitatives ou comparatives de l'action ou de l'état : trop, très, aussi, tout,
beaucoup.
que dans le récit du rêve l'ordre SNj^ : tu-> SN2 : me soit quasi constant,
et non masqué, le tu y intervenant explicitement comme celui qui assume
l'énoncé, accomplit l'action, le me en étant l'objet. Dans le cas où je
est sujet de la complétive, la principale se réduit à une modalisation de
l'énoncé exprimant soit la contrainte, — il faudra que je passe par-là;
il faut que je me retrouve; — soit le caractère virtuel et inachevé de l'action,
évoquant, à son tour, un empêchement, une pression, extérieurs — ça
me plairait de faire le foutoir ici; je voudrais envoyer vos feuilles en Vair;
j'avais envie de dormir.
L'objet s'exprime avec une fréquence nettement significative sous
forme d'interrogation indirecte : je me demandais pourquoi vous m'en
parliez; je me demande si je vous suis sympathique ou si je vous suis
antipathique; je me suis demandé s'il y avait longtemps que vous étiez mariée;
je ne sais pas si vous me l'aviez donnée ou si je l'avais prise, etc. Ici aussi,
il semble que la première proposition ne soit là que pour masquer une
interrogation directe qui laisserait plus explicitement au (tu) la
responsabilité de l'énoncé et, le cas échéant, le soin d'en assumer la
transformation négative. Quand le (tu) n'intervient pas pour décider de
l'opportunité du positif ou du négatif, l'alternative reste posée en une oscillation
infinie, le sujet perplexe ne pouvant faire un choix, ce qui a pour
conséquence de laisser l'action ou l'état inachevés : je ne sais pas si je dois
me coucher ou si je ne dois pas me coucher; je suis incapable de savoir si
c'est un truc à acheter ou pas. Il est intéressant de noter que, dans le
rêve (lieu de l'expression des désirs?), c'est le (tu) qui questionne, posant
corrélativement le je comme sujet d'énoncé : vous me demandiez si j'aimais
les bijoux; vous me demandiez ce que j'en pensais. Le projet fondamental
de l'hystérique, toujours occulté dans le discours ordinaire, serait donc
de se faire reconnaître comme sujet valable d'énoncé?
Les subordonnées relatives ont souvent fonction de spécifier,
d'expliciter, les relations de l'objet, représentant du monde, — SN2 — au (tu) :
tout ce que je peux deviner de goût que vous pouvez avoir; dans votre métier
vous devez avoir des gens qui vous sont plus ou moins sympathiques, qui
vous attirent plus que d'autres; j'aime vos tableaux sauf celui qui est sur
votre bibliothèque. En fait, il s'agit davantage de relatives determinatives
que qualificatives, spécifiant avant tout les conditions d'existence de
l'objet, ses coordonnées spatio-temporelles.
Les conditionnelles se présentent, chez l'hystérique, sous la forme :
si A alors B, mais avec cette particularité du chiasme des sujets déjà
repérée, l'action du tu y apparaissant comme une condition nécessaire,
indispensable, pour que le je puisse accomplir une action ou éprouver un état.
Cette tendance à faire du tu le responsable de ses actes ou états apparaît de
façon plus caricaturale encore dans le cas où l'action potentielle, ou même
irréelle, du tu est présentée comme ce qui aurait pu éviter l'action ou l'état
du je : si vous aviez mauvais goût, je ne me sentirais pas d'affinités avec
vous; si vous faisiez comme X, j'aurais moins peur de m' attacher à vous.
104
***
des réfléchis : je me suis trouvé gêné (> < je me suis trouvé bien); je me
demande la raison d'une telle évolution (> < je me demande si vous
viendrez); je me sens libéré ( > < je me sens une envie de chanter). Il faut
noter aussi qu'un nombre significatif de verbes ont la marque
morphologique du potentiel ou de l'irréel.
L'objet de l 'énoncé est plus souvent réalisé sous forme de complétive
qu'intégré à la phrase noyau. S'il figure en tant que SN2, il introduit
alors non le monde lui-même, en sa matérialité, mais une image abstraite,
peu précise, de celui-ci (74 %) : un monde de notions, mon discours, des
difficultés, le réflexe, ma possibilité, mon désir, l 'effet, l'impression. On
constate, par ailleurs, que ces modalités abstraites du monde sont le plus
souvent référées au sujet lui-même, ou du moins médiatisées par lui (66 %).
C'est de son désir, sa possibilité, son impression, l'effet sur lui, etc., qu'il
s'agit. Au fond c'est toujours de l'image de lui-même, relayée par l'image
du monde, donc plus élaborée, plus occultée, qu'il est question. Et encore
cette image est-elle présentée de manière assez imprécise pour qu'elle ne
véhicule pas d'information nette sur le sujet lui-même, ni sur son
appréhension du monde, et qu'elle n'apparaisse pas comme un véritable objet
d'échange. Il arrive que l'objectivation du sujet lui-même — me —
intervienne en place de SN2 (24 %). Ce ne sera toutefois que dans des
propositions où le sujet est je ou un non-animé, jamais tu : je me sens comme
libéré d'une tutelle; je me suis trouvé assez gêné; ce qui me frappe; ce qui
m'ennuie. Dans le cas de sujets non-animés, on peut d'ailleurs, par
les transformations passives, rendre à je son statut de sujet d'énoncé :
je suis frappé; je suis ennuyé. Il faut mentionner le fait que me intervient
plus comme objet indirect, que direct, de l'énoncé, et notamment avec
des verbes exprimant le procès même de renonciation : je me demande;
je me dis; je m'interroge. Ainsi, non seulement le tu n'intervient-il pas
explicitement comme allocutaire mais est-il implicitement évincé, le
sujet se désignant lui-même comme récepteur de son message.
Quant à SN3, autre lieu possible d'apparition du monde, il se réduit
essentiellement, chez l'obsessionnel, à des repères temporels, situés dans
le passé, le critère de référence étant le temps du discours du sujet lui-
même : les deux derniers entretiens, tout à l'heure, depuis quelque temps,
il y a quelque jours, en classe de philo. C'est dire que le monde actualisé
en SN3 est encore un monde du sujet, médiatisé, intériorisé, par lui, et
référé à ses états ou enunciations. Ce qui s'oppose au temps socialisé mais
plus encore aux références spatiales qui supposent toujours une certaine
extériorité par rapport au sujet.
Les adjectifs spécifient l'état ou l'attitude du sujet dans le cas où
ceux-ci ne sont pas réalisés dans le syntagme verbal par un passif ou un
verbe d'état : sceptique, nerveux, fier, embêté, malade. Quand ils qualifient
un non-animé, c'est encore par rapport au sujet parlant et notamment
pour marquer les rapports qu'il peut soutenir à celui-là, voire leur
évolution, ce qui implique alors une comparaison avec un temps révolu;
106
***