L’a. est philosophe, professeur à l’Ecole polytechnique. C’est comme philosophe qu’il se propose d’examiner l’année 1938, sur laquelle « il est tombé par hasard », pour réfléchir à notre contemporanéité.
Remarques critiques
Le défaut de méthode historique expose l’a. à de très nombreuses naïvetés et à des surprises souvent agaçantes pour le lecteur (par exemple à propos de Daladier ou de l’attitude de la droite nationaliste). D’autre part, M. Foessel encombre ses remarques de sa propre subjectivité, omniprésente dans l’ouvrage (écrit à la première personne) : le corps du livre est de ce fait moins une réflexion sur l’histoire que le récit de la découverte de l’année 1938 par l’a. Ce n’est pas toujours intéressant et c’est assez rarement réussi, sauf vers la fin (chapitres 6 et 7, nourris d’H. Arendt et de Sartre). La table des matières, reproduite ci-après donne une idée assez exacte de la confusion des registres, avec le passage de l’inclusif (ma défaite, notre défaite) à l’objectif « La défaite sociale »…) En outre, d’un point de vue méthodologique, l’a. fait le choix de fonder sa réflexion sur une source presque unique, la presse, ce qui préempte assez largement la vision de la période en la colorant idéologiquement. Pour autant, l’avant propos et surtout la conclusion recèlent quelques observations très intéressantes, susceptibles de nourrir un oral ou une dissertation.
Avant-propos. L’hypothèse et la rencontre
p. 11-12 : impossibilité matérielle d’un remake des années 1930 : irréductibilité du temps passé. p. 13 mais hypothèse : « les années 1930 sont devant nous » = non pas ce qu’elles ont été (qui est terminé) mais ce qui les a rendu possibles. Or (p. 14), « la différence des temps abolit-elle l’unité de l’époque moderne ? Rien n’est moins sûr (…). Pour être certain que les années 30 ne nous regardent plus, il faudrait démontrer que les possibles les + violents ouverts par la modernité sont définitivement refermés ». p. 15 « Se demander si « les années 30 » ont un avenir suppose de vaincre une illusion + tenace encore que celle du « retour » : la croyance naïve dans la nouveauté absolue du présent ». p. 16 « La « désolation », caractéristique centrale des régimes totalitaires selon Arendt, n’a été possible que pour des êtres qui faisaient déjà l’épreuve (moderne) de leur solitude. » p. 19 « Il arrive que le présent ne laisse plus le choix : il faut bien lui donner un nom ou le saisir par une formule. On parle aujourd’hui de « populisme » à propos de mvts qui, pour s’emparer du pouvoir, misent sur le ressentiment populaire à l’égard des institutions représentatives et des élites éco. » id : « démocraties illibérales » : on n’ose pas dire « fascisme ». Or, en employant ces termes « populiste », « illibéral », on accorde à leur promoteur à peu près tout ce qu’ils demandent et on exonère les Etats « démocratiques de tt examen de conscience » (p. 20). Diagnostic bien connu de la « faiblesse des démocraties » face aux régimes totalitaires des années 30. Mais était-ce bien des démocraties ? p. 22 L’année 1938 envisagée dans ce livre = celle de la France. Depuis ce poste d’observation, le diagnostic sur la « faiblesse des démocraties » est apparu aussi discutable que celui que l’on fait aujourd’hui sur les « démocraties illibérales » Exploration de 1938 a pourtant moins montré la faiblesse de la démocratie française que le fait que la France n’était + à cette date que faiblement démocratique : emploi systématique des décrets lois, répression massive des grèves, politique hostile aux étrangers, élections de Maurras à l’académie française… p. 24 Le pari de ce livre est donc 1938 comme fil conducteur pour comprendre la situation de 2018 plutôt que pour expliquer la débâcle de 1940. p. 25 1938 = une accélération vertigineuse ds la succession des défaites démocratiques. Le point de vue adopté = celui de la presse de l’époque, découverte au travers de Gallica et du site Retronews.
Table des matières 1- Le « Napus ». Ma défaite 2- « Sortir du libéralisme pur » ? La défaite de Blum 3- « On se demande qui commande ici ? », La défaite des partis 4- « Notre honte », La défaite sociale 5- « Notre passé a fait de chaque Français un homme libre, mais… », la défaite de la République 6- « La France a déjà fait beaucoup pour recevoir et recueillir », la défaite morale 7- « Un coin d’acier », la défaite des sentiments
Epilogue. Le retour et l’hypothèse
p. 159 Comme les journaux fascisants (de 1938) ne veulent à aucun prix d’une guerre avec des régimes autoritaires qui leur conviennent en tout point, le véritable ennemi est intérieur. p. 160 : on a tort de dire qu’en 1938 les Français ne voulaient pas de la guerre : beaucoup d’entre eux rêvaient d’une victoire totale, mais sur le front intérieur. p. 163 L’impératif obsédant de « remettre la France au travail » (après la « fête du Front populaire ») a écrasé les imaginaires qui associent la politique à une forme quelconque de bonheur : le travail pour le travail, la nation pour la nation, le budget pour le budget. La fête est finie… Elle a couté su cher et rapporté si peu. p. 164 La répression des occupations d’usines et des grèves, la fin de la « semaine des deux dimanches », les facilités données au licenciement mais aussi les mesures sur la « police des étrangers », l’accélération de la procédure de déchéance de la nationalité, le report des élections législatives : au cours de l’année, ces décisions et ces projets sont de moins en moins argumentés politiquement et de + en + présentés comme des mesures de salut public. Une sorte de pénitence rendue nécessaire après la fête des inconscients. En déployant une énergie incroyable 1938 veut rompre avec l’héritage pourtant si jeune de 1936. P. 165 Existent en 1938 des mots d’ordre, des reflexes de pensée, des éléments de langage qui structurent l’ordinaire de la politique française depuis longtemps. L’avantage de 1938 est de condenser en qques mois des évolutions à l’œuvre depuis + d’une décennie ds le présent (…) Le détour par 1938 permet de voir en accéléré une démocratie qui prétend se défendre en empruntant les armes de ses adversaires les + acharnés. p. 166 Entre 1938 et 2018 il y a bcp + qu’une assonance : une analogie. NB L’analogie n’est pas une ressemblance (par ex : le mouvement des gilets jaunes est impossible en 1938) mais synthétise des points communs entre des réalités différentes : l’antiparlementatisme par le haut (en 1938 le parlementarisme fait l’objet d’une incrimination généralisée alors même que le plt ne se réunit + que pour voter les pleins pouvoirs…) ; le maintien de l’ordre présenté comme le dernier rempart d’une République menacée par une partie de son peuple et par l’ingérence des puissances étrangères. p. 170. Une analogie = une identité de rapports entre des réalités hétérogènes. N’affirme pas que A = B (1938=2018) mais que A/B = C/D. A et C sont adoptées comme des politiques alternatives à ce dont elles risquent en réalité de faciliter l’advenue par tte une série de mesures et d’associations d’idées : le fait d’avoir introduit ds le « Grand Débat » la question de l’immigration, absente des revendications des GJ est significatif. (…). En 1938 déjà les décrets-lois sur la police des étrangers apparaissaient au milieu d’une avalanche de mesures éco. Cela crée artificiellement un lien entre des pbs sociaux et les angoisses identitaires ds le but de flatter une opinion publique supposée intrinsèquement xénophobe. (…) Tentation de déplacer le centre de gravité du conflit : de social et démocratique, il devient identitaire et culturel – puisque le débat sur la pol éco est borné par des a priori gestionnaires (indépassables donc). Ces sujets (culturels et identitaires) présentent en outre l’avantage de n’impliquer aucune ligne budgétaire, mais donnent par avance raison aux adversaires de la démocratie que l’on entend combattre. p. 172 Procès de Pétain après la guerre a montré qu’une grande partie des mesures du régime de Vichy avait été préparée par la IIIè République : camps d’internement des étrangers créés par décrets ; mesures installant en France un état d’urgence permanent : autant de facilité juridiques dont le gvt de Vichy fera usage ds sa traque des réfugiés et des résistants. p. 173 L’hypothèse de l’analogie est forgée pour maitriser l’immaitrisable : le sentiment tenace qu’il y a des revenants ds l’histoire. L’analogie est une manière de mettre en garde contre la récidive tt en gardant raison. Cette hypothèse permet de respecter la différence des temps sans nier l’unité de l’époque.