Vous êtes sur la page 1sur 23

Amazones et sorcières :

deux récits d'origine dans la pensée écoféministe


Jeanne Burgart Goutal

Introduction
Nous souhaitons nous pencher ici sur la façon dont l'écoféminisme remet en question et
renouvelle la pensée économique en adoptant un angle inédit : celui de la nature et des femmes, et
non plus de l'« homme », qui derrière sa prétendue universalité occulterait en fait des phénomènes
significatifs, et serait grevé par des biais anthropocentristes, ethnocentristes et androcentristes.
Qu'apprend-on lorsqu'on pense l'économie, son origine et son histoire, non plus du point de vue du
travail productif, comme le font presque tous les auteurs, mais du point de vue du travail effectué
par la nature et les femmes, souvent taxé de simplement « reproductif » ?
Nous commencerons par présenter brièvement l'écoféminisme, méconnu en France. Puis
nous exposerons deux thèmes récurrents et centraux dans la théorisation écoféministe des origines
et du développement économiques – deux apparentes « pièces de musée1 » que les écoféministes
sortent du folklore et font le pari de prendre au sérieux : l'idée d'une société matricielle et
écologique aux origines de l'humanité, version écoféministe de l'état de nature ; la chasse aux
sorcières des XVIe et XVIIe siècles, érigée en clé de lecture de la transition au capitalisme. Ces
deux thèmes ont des statuts épistémologiques très différents : tandis que le second se réfère à un
épisode historique attesté et documenté, le premier prétend reconstituer des temps ancestraux,
antérieurs à toute source écrite et même à l'invention de l'écriture. Cependant, même dans le cas de
la chasse aux sorcières, bien réelle, la part de conjecture est forte, tant elle est imparfaitement et
bizarrement documentée : les estimations du nombre de femmes mises à mort sur les bûchers
varient de 100.000 à 9 millions, et les seuls documents à disposition sont les délirants manuels de
chasseurs de sorcières (expliquant doctement qu'il s'agit d'être diaboliques capables de tuer à
distance, de transformer les humains en animaux, de subtiliser les pénis des hommes, de voler la
nuit jusqu'à des sabbats maléfiques où elles baisent la queue d'un bouc et sacrifient des bébés, et
autres sortilèges surnaturels), et les minutes des procès lors desquels, sous la torture, les inculpées
finissent par avouer des crimes totalement insensés. On a donc affaire, dans un cas, à une hypothèse
historiographique heuristique, jetant un éclairage original sur la « Grande transformation »
capitaliste ; dans l'autre cas (la société matricielle et écologique des origines), à un thème au statut
plus ambigu : s'agit-il d'une vérité (pré)historique ? d'une hypothèse ? d'une fiction ? d'un mythe ?
Au sein même de l'écoféminisme, les réponses divergent. Quoi qu'il en soit, ces deux thèmes sont
souvent pensés en miroir, comme des échos l'un de l'autre : la chasse aux sorcières est explicitement

1 Françoise d'Eaubonne, Le sexocide des sorcières, Paris, L'esprit frappeur, 1999, p. 107.
posée comme « l'équivalent moderne de la défaite historique à laquelle Engels fait allusion dans
L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État 2 » – « défaite du sexe féminin », mais
aussi, pour les écoféministes, de la nature (hors de nous : environnement, espèces non humaines,
immanence ; et en nous : corps, émotions, pulsions). Il s'agirait de deux épisodes violents lors
desquels les femmes et la nature auraient subi conjointement un processus de dévaluation,
objectivation et domination dont elles pâtiraient encore – deux moments clés dans la construction
d'une civilisation occidentale patriarcale et écocide, traitant les femmes et la nature non pas comme
la source sacrée de toute vie mais comme des objets à domestiquer et exploiter.
Ces deux thèmes ne sont pas propres à la pensée écoféministe ; ils ont suscité depuis le
XIXe siècle de nombreux débats historiques, philosophiques, politiques, épistémologiques, et
continuent d'en susciter, à la fois au sein et autour de ce mouvement. Nous ne pourrons pas faire le
tour de tous ces débats internes et externes ; il nous faudra faire des choix. Dans le cadre de cette
intervention, nous nous concentrerons sur leurs enjeux économiques, en en tronquant donc
inévitablement l'intérêt : en quoi de telles relectures de l'histoire constituent-elles des outils critiques
de modèles économiques plus classiques – ceux de l'économie politique classique, comme ceux de
la théorie marxiste ? En quoi permettent-elles de fonder un paradigme économique alternatif,
ouvrant la voie à des utopies originales ?

I. Qu'est-ce que l'écoféminisme ?


L'écoféminisme est un mouvement théorique et militant hétéroclite (allant de l'activisme
anticapitaliste et altermondialiste au culte néo-paien de la Terre Mère) existant depuis une
quarantaine d'années, vivace surtout dans le monde anglo-saxon et certains pays du Tiers-Monde.
Son nom a été forgé en 1974 par Françoise d'Eaubonne, militante du MLF, fondatrice du FHAR et
du groupe Féminisme-Écologie. On pourrait l'inscrire dans une filiation implicite qui le relie à toute
une tradition de pensée critique révolutionnaire remontant à la fin du XIXe siècle (naturisme, néo-
malthusianisme, féminisme végétarien...). Mais c'est véritablement dans les années 1970-1980 qu'il
se constitue explicitement, au cours de luttes anti-nucléaire et anti-pollution au « Nord » ; de
combats contre la déforestation, les politiques de développement impérialistes, et pour l'autonomie
alimentaire au « Sud » – ces luttes allant toujours de pair avec la parution d'ouvrages théoriques
mêlant textes militants et académiques. Depuis, il s'est développé et ramifié, nourrissant des actions
variées, renouvelant de nombreuses disciplines (philosophie, théologie, sociologie, psychologie,
littérature, économie...) et s'enrichissant de désaccords conceptuels comme politiques.
Derrière leur grande variété, ses différentes tendances actuelles gardent un point commun
fort : articuler souci écologiste et souci féministe, à partir de la conviction qu'il existe des liens,
2 Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, trad. par le collectif Senonevero et
Julien Guazzini, Marseille, Senonevero, et Genève-Paris, Entremonde, 2014, p. 208.
aussi bien matériels que conceptuels, entre domination des femmes et de la nature ; et par
conséquent que la libération des femmes et le respect effectif de la nature, hors de nous
(environnement, espèces animales et végétales, écosystèmes, ressources) et en nous (corps, pulsions
et émotions), sont indissociables :
« Aux racines de l’écoféminisme se trouve la compréhension de l’imbrication des nombreux
systèmes d’oppression, qui se renforcent mutuellement. Se fondant sur l’intuition du féminisme
socialiste selon laquelle le racisme, le classisme et le sexisme sont interconnectés, les
écoféministes ont découvert des relations entre ces formes d’oppression humaine et les structures
oppressives du spécisme et de l'antinaturalisme. Le point de départ du mouvement écoféministe
fut la prise de conscience que la libération des femmes - but de tous les courants féministes - ne
peut être pleinement atteinte sans libération de la nature ; et réciproquement que la libération de la
nature si ardemment désirée par les écologistes ne peut être pleinement atteinte sans libération des
femmes : les liens conceptuels, symboliques, empiriques et historiques entre les femmes et la
nature qui ont été construits dans la culture occidentale sont tels que les féministes et les
écologistes doivent unir leurs efforts s’ils veulent parvenir à leurs fins 3. »
L'assimilation des femmes et de la nature, déjà mise en évidence par Beauvoir, serait donc à
la fois le problème (puisqu'elle a servi à les inférioriser conjointement, à justifier leur oppression et
leur exploitation) et la solution : réinterprétée, elle pourrait fournir la base d'un changement radical
de valeurs et de civilisation. Les écoféministes se proposent donc de réfléchir sur l'interconnexion
des dominations (en particulier des femmes et de la nature, mais aussi d'ethnie (impérialisme) et de
classe), puisque selon elles, elles font système, afin de les dépasser comme un tout. L'exploration de
ces connexions, de leurs causes matérielles et symboliques, de leur origine et de leur histoire, de
leurs multiples formes et modes d'action, constitue donc une tâche cruciale de leurs écrits. Dans
cette recherche, nombre d'entre elles sont conduites à proposer des généalogies du « système
oppressif » qu'elles dénoncent – les premières écoféministes l'appellent « système phallocrate »
(d'Eaubonne), les altermondialistes des années 1980-1990 « patriarcat capitaliste » (Mies) ou
« capitalisme patriarcal » (Shiva), les auteures plus abstraites des années 1990-2000 « mise à
distance » (Starhawk), « logique de domination » (Warren) ou « paradigme du maître »
(Plumwood). L'écriture de récits d'origine est toujours guidée par un certain diagnostic du présent,
déterminant ce dont on prétend faire la genèse. Loin de toute fascination pour la « richesse des
nations » (Smith), les miracles de la propriété privée et de la libre-concurrence, la « production de
la richesse sociale » (Walras), ou les progrès du « système industriel » (Saint-Simon), c'est donc la
construction d'une civilisation-monde inégalitaire et destructrice que les écoféministes veulent
expliquer, écrivant alors de nouveaux Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité : entre
les sexes, les classes, les races, les peuples, et aussi les espèces habitant ce monde.

3 Greta Gaard, « Toward a Queer Ecofeminism », Hypatia, vol. 12, n° 1, 1997, p. 137.
La généalogie qu'elles proposent s'articule toujours autour des deux épisodes clés que
seraient le « grand renversement » d'une société originelle matricielle et écologique, et la chasse aux
sorcières des débuts du capitalisme. Ils structurent une conception de l'histoire humaine
délibérément alternative voire iconoclaste, remettant en question la vulgate historique qui serait
grevée par des biais androcentristes et anthropocentristes. Comme nous tenterons de le montrer, ils
mettent aussi vigoureusement en œuvre, de façon imagée et sans long discours, toute une démarche
de déconstruction et reconstruction de la théorie économique – qu'on pourrait intellectualiser ainsi :
« [L'écoféminisme] établit les présupposés de l’armature du capitalisme comme suit : l’histoire est
différente de la nature ; l’homme est un sujet historique et la femme est un objet passif ; l’homme
produit et la femme reproduit. À ces présupposés, [on peut] opposer ceux de l’écoféminisme : la
nature et l’histoire sont des unités matérielles ; la nature, les femmes et les hommes sont des sujets
actifs et passifs ; le métabolisme femme-nature détient la clé du progrès historique ; et les travaux de
reproduction orientés par leur soin sont des modèles de durabilité. 4 »
Les récits que nous allons étudier sont la traduction narrative de telles thèses et orientations.

II. L'état originel et son grand renversement selon l'écoféminisme


II-1. La société des origines chez Françoise d'Eaubonne
Commençons par cerner ce dont le grand récit d'origine écoféministe, situant aux sources de
l'humanité une société matricielle et écologique, vise à se démarquer. On peut distinguer deux
grands types de récits d'origine dans la pensée économique moderne, que le récit écoféministe
renvoie dos-à-dos. D'une part « l'état de nature » de l'économie politique classique des XVIIe et
XVIIIe siècles, selon lequel l'humanité serait originellement, c'est-à-dire essentiellement, composée
d'individus libres et égaux, indifférenciés, atomisés ou tout au moins relativement indépendants les
uns des autres, « rationnels » au sens de mus par leurs besoins et intérêts – et ce serait ce jeu des
besoins et intérêts qui aurait généré l'économie (la production, le travail puis sa division, la
propriété privée, les échanges, etc.). D'autre part, l'« état sauvage » des penseurs socialistes qui, à
partir du milieu du XIXe siècle, rejettent les anciennes « robinsonnades » dénuées de fondement ;
puisant dans l'ethnologie, l'archéologie et la préhistoire naissantes des prétendues « données » qui
parent leurs récits d'une apparence de scientificité, ils forgent une nouvelle image de l'état originel,
pensé cette fois comme un état d'emblée social. Mais que ce soit dans l'un ou l'autre type de
reconstitution, ces tableaux hypothétiques passent purement et simplement sous silence les
questions qui intéresseront les écoféministes, notamment en matière économique : quels sont, à
l'origine, les rapports économiques entre les sexes ? Comment est apparue la division sexuelle du
travail et quelles en sont les premières formes ? Comment sont apparues les inégalités économiques

4 Anne-Line Gandon, « L'écoféminisme, une pensée féministe de la nature et de la société », Recherches féministes,
vol. 22, n°1, 2009, p. 14.
entre les sexes (en matière de propriété, de travail, etc.) ? Quand, comment et pourquoi les hommes
(avec toute l'ambiguité de ce terme) ont-ils cessé d'être de simples maillons d'un écosystème, et
sont-ils devenus des producteurs aptes et se sentant fondés à disposer à leur gré des règnes animal,
végétal et minéral, à exploiter les ressources à merci – se mettant ainsi en position d'extériorité et de
supériorité, au lieu d'être partie intégrante d'une nature nourricière de tous les êtres vivants ? Enfin,
en quoi tous ces processus sont-ils liés ?
C'est afin de répondre à ces questions que certaines écoféministes vont écrire de nouvelles
Discours sur l'origine. Lisons le récit proposé par d'Eaubonne, fondatrice de l'écoféminisme :
« Le raisonnement est simple. Tout le monde, pratiquement, sait qu’aujourd’hui les deux
menaces les plus immédiates sont la surpopulation et la destruction des ressources ; (…) mais très
peu encore ont découvert que chacune des deux menaces est l’aboutissement logique d’une des deux
découvertes parallèles qui ont donné le pouvoir aux hommes voici cinquante siècles : leur possibilité
d’ensemencer la terre comme les femmes, et leur participation dans l’acte de la reproduction.
Jusqu’alors, les femmes seules possédaient le monopole de l’agriculture et le mâle les croyait
fécondées par les dieux. Dès l’instant où il découvrit à la fois ses possibilités d’agriculteur et de
procréateur, il instaura ce que Lederer nomme ''le grand renversement'' à son profit. S’étant emparé
du sol, donc de la fertilité (plus tard de l’industrie), et du ventre des femmes (donc de la fécondité), il
était logique que la surexploitation de l’une et de l’autre aboutisse à ce double péril menaçant et
parallèle : la surpopulation, excès des naissances, et la destruction de l’environnement, excès des
produits5. »
L'origine première du système actuel (cette « civilisation technologique superurbaine et
superindustrielle » qui reposerait sur la domination croisée des femmes et de la nature, et n'est pour
d'Eaubonne que le dernier avatar du « système phallocrate » instauré alors) serait donc « la ''grande
défaite du sexe féminin'' survenue 3000 ans avant J.-C. sur l'ensemble de la planète 6 », c'est-à-dire à
la fin du Néolithique, aux débuts de l'Âge de bronze et des civilisations de l'écrit. C'est à cette
période que les sociétés humaines (du moins, la plupart) seraient passées d'un mode de vie originel
gynocentré, pacifique et écologique, plaçant les femmes et la nature – actives, indépendantes et
respectées – au cœur de la culture et de la religion, à une organisation patriarcale et guerrière,
structurée autour de principes virils et du culte de la transcendance. Pour d'Eaubonne, ce
renversement ne se fit pas sans violence ni résistance, et « c'est la défense, armes à la main, des
richesses agricoles, qui est à l'origine des prétendues ''légendes'' des Amazones et de leurs combats
contre les hommes chasseurs et bergers 7 » : il s'agirait des traces de cette première grande lutte des
sexes historique, dont les femmes et la nature (au sens matériel comme au sens symbolique –
environnement et immanence) seraient sorties vaincues.

5 Françoise d'Eaubonne, Le féminisme ou la mort, Paris, Pierre Horay éditeur, 1974, p. 220-221.
6 Ibid., p. 241.
7 Ibid., p.115.
Comme elle le note elle-même, d'Eaubonne n'est pas l'auteure originale de ce récit, qui a
connu son heure de gloire fin XIXe. L'idée selon laquelle l'humanité originelle vivait dans sociétés
sous ascendant féminin fut théorisée tout d'abord par Bachofen dans Le droit maternel (1861),
sources historiques, ethnologiques et mythologiques à l'appui, puis reprise par plusieurs penseurs
socialistes – Bebel dans La femme et le socialisme (1883), Engels dans L'origine de la famille, de la
propriété privée de de l'État (1884) –, et par certains des grands noms de l'anthropologie
évolutionniste – Morgan dans La société archaïque (1877), Frazer dans Le rameau d'or (1890-
1915). Elle a déjà fait l'objet d'innombrables discussions avant d'Eaubonne – notamment par
Beauvoir dans Le deuxième sexe (1949).
Mais d'Eaubonne se démarque de ces illustres prédécesseurs sur deux points essentiels.
Premièrement, elle récuse la thèse soutenue par Bachofen et Engels d'un matriarcat ou « gynocratie »
primitif, c'est-à-dire un régime soumis au « droit maternel », où le pouvoir aurait appartenu aux
femmes. Elle affirme pour sa part « l’existence d’une culture occidentale clanique avant la
fondation même du patriarcat, et qui n’était pas pour autant le matriarcat. Les femmes n’étaient pas
au sommet, mais au centre. Il n’y a pas eu une espèce de patriarcat inversé où les femmes tenaient
un rôle de pouvoir… Non, ça n’a jamais existé.8 » Ce point est constant dans les récits d'origine
écoféministes ; Starhawk parlera de « sociétés matricielles » et Maria Mies d'« unités matristiques
ou matricentrées », évitant soigneusement le terme « matriarcat ». Il s'agit de penser la primauté,
dans l'histoire humaine, de sociétés fondées sur « le non-pouvoir (et non le pouvoir-aux-femmes)9 » :
l'orientation anti-hiérarchique voire anarchiste de l'écoféminisme se lit dans ce choix.
Deuxième nouveauté apportée par d'Eaubonne : lier l'angle écologiste à l'angle féministe.
Son but n'est pas seulement de montrer que le patriarcat n'est pas la forme originelle, voire naturelle
et éternelle des sociétés humaines. Elle veut aussi montrer – contre la tradition de pensée
dominante, prégnante aussi bien dans l'économie politique classique que dans le marxisme (et chez
tous les héritiers du kantisme et du hégélianisme : structuralisme, existentialisme...) – que la rupture
avec la nature elle non plus n'est pas une structure invariante constitutive de toute conscience et de
toute société humaine : il s'agit de refuser l'idée selon laquelle l'homme se définirait comme « anti-
phusis » (Beauvoir), comme « animal qui nie le donné » (Bataille) et le soumet. Car le but est de
montrer qu'il y a un lien entre l'émergence d'une société inégalitaire, en particulier au point de vue
des rapports de sexes, et la rupture avec la nature – c'est-à-dire le passage d'une relation immanente,
d'inclusion et coopération entre vivants, à une relation transcendante, de surplomb et domination. Il
lui importe donc de soutenir que les sociétés humaines, pendant des millénaires, étaient caractérisés
à la fois par la valorisation des femmes et par l'inclusion harmonieuse dans la nature, et que cela va
de pair : patriarcat et transcendance seraient nés tardivement et d'un même mouvement.
8 Interview de d'Eaubonne : https://joellepalmieri.wordpress.com/2012/12/21/francoise-deaubonne-la-rebelle/
9 D'Eaubonne, Le féminisme ou la mort, op. cit., p. 251.
II - 2. Les arguments d'un récit alternatif
Mais quels sont les arguments d'une telle reconstitution de la préhistoire ? D'Eaubonne les
développe en 1976 dans Les femmes avant le patriarcat. Pour elle, « c'est à travers le mythes et les
techniques que nous pourrons saisir et cerner la coupure qui sépare deux étapes marquées par l'un
ou l'autre sexe10 ». Elle s'appuie donc d'une part sur les mythes, légendes et récits religieux de
nombreuses civilisations du passé ; d'autre part sur les outils, statuettes et autres objets exhumés lors
de fouilles archéologiques. Les écoféministes des décennies suivantes poursuivront ses recherches,
en cherchant dans des directions qui varient selon leur sensibilité philosophique. Deux exemples :
Maria Mies, sociologue matérialiste, y ajoute les découvertes récentes de la paléo-anthropologie et
de la primatologie ; Starhawk, sorcière néo-paienne, fouille plutôt dans les mythes et archétypes.
Tous ces indices sont interprétés en un sens convergent (mais sans occulter la diversité ni les
évolutions des formes socio-économiques au cours la longue période envisagée) : les statuettes et
autres objets de culte antérieurs au IIIe millénaire dans tout le Bassin méditerranéen, ainsi que les
mythes de ces époques, semblent attester la prédominance ancestrale de cultes adressés à des
Déesses immanentes et dirigés par des prêtresses, célébrant la Lune, la Terre-mère et leurs rythmes
sacrés, avant leur renversement par des cultes voués à des Dieux (masculins) transcendants,
déconnectés de la terre, et dirigés par des prêtres 11. Des vestiges archéologiques, par exemple ceux
de la ville anatolienne de Catal Höyük fondée au VIIe millénaire avant J.C., semblent attester que
de tels cultes du « Divin Féminin » immanent à la nature étaient l'expression idéologique de
structures sociales, économiques et politiques égalitaires (comme le soutient l'archéologue Maria
Gimbutas) : les femmes auraient été les égales des hommes, ayant le droit de travailler, de posséder
et transmettre des biens, de mener une vie indépendante, avant que les grands codes juridiques de
l'Antiquité ne les réduisent à la minorité. Quant à la primatologie (dont font par exemple usage Mies
et Radford Ruether), elle permettrait de remonter encore plus loin, en nous apprenant que les
sociétés de grands singes, auxquelles ressemblaient sans doute les premières sociétés humaines du
Paléolithique, sont matricentriques (et, bien sûr, écologiquement harmonieuses) : leur cœur est
formé de cellules mères-petits, qui assurent l'essentiel des activités de subsistance, d'éducation, de la
vie économique et sociale de l'espèce ; les mâles n'y ont qu'un rôle marginal et intermittent. Peut-on
alors, comme Michelet dans La sorcière, en déduire qu'« au début, la Femme est tout12 » –
accompagnée de « son aide et sœur la Nature13 » ?

10 Françoise d'Eaubonne, Les femmes avant le patriarcat, Paris, Payot, 1976.


11 L'Enuma Elish, récit babylonien de la création du monde, qui raconte le meurtre de la Déesse Mère Tiamat par son
fils Marduk, est selon Ruether la transcription littéraire de ce processus ; de même que le poème de Gilgamesh et la
« légende » des Amazones selon d'Eaubonne.
12 Jules Michelet, La sorcière, Paris, GF-Flammarion, 1966, p. 31.
13 Ibid., p. 32.
Une telle reconstitution est loin de faire l'unanimité parmi les écoféministes. Certaines
(comme Janet Biehl) la tiennent pour une fiction parfaitement infondée, voire nocive pour le
combat féministe, qu'elle tendrait à engluer dans une nostalgie éthérée et contre-productive. Parmi
celles qui lui donnent une importance, quelques-unes y voient une vérité historique incontestable
mais camouflée par l'histoire officielle, taxée de « MANstream » : l'« history » serait une « HIS
story » truquée (d'Eaubonne, Mary Daly). Mais la plupart en font un simple mythe alternatif, ni plus
ni moins authentique que les autres : Radford Ruether parle ainsi de « Paradis perdu » et de « récit
écoféministe de la Chute14 », soulignant sa dimension essentiellement symbolique. Mais alors
pourquoi en parler ? Quel peut être son intérêt – en l'occurrence pour la théorie économique ?

II - 3. Enjeux de ce récit pour la pensée économique


II - 3 - 1. Un renouvellement du concept de mode de production
Tout d'abord, on peut en dégager un enjeu heuristique : ce récit permet de creuser
l'hypothèse d'une relation entre un certain stade de développement technique, un certain type de
rapports sociaux de classes et de sexes, et un certaine forme de rapport matériel et symbolique à la
nature. Autrement dit, il apporte un renouvellement intéressant de la notion de mode de production,
en y incluant des facteurs habituellement mis de côté (rapports de sexes et rapports à la nature)15.
Considérons en effet la question récurrente dans les récits d'origine écoféministes : celle du
mode de production qui aurait permis aux hommes de s'approprier le pouvoir politique et de
détrôner à la fois la puissance des femmes et de la nature. Quand les conditions ont-elles été réunies
pour un tel événement : dans quel type de division du travail, avec quel type d'outillage et de
pratiques productrices ? Est-ce chez les peuples nomades du Paléolithique, vivant de chasse et de
cueillette, sachant uniquement manier le bois et la pierre taillée ? Chez les agriculteurs/trices
sédentarisés du Néolithique, maniant le bâton fouisseur, la houe et des outils de pierre polie ? Plus
tardivement au Néolithique, chez des peuples pratiquant en outre la domestication des animaux
(éleveurs nomades ou sédentaires) ? Ou plus tard encore, à l'Âge de bronze, chez des peuples
commençant à exploiter la force de travail de leurs animaux d'élevage et sans doute d'esclaves, en
les enchaînant à l'araire (ancêtre de la charrue) nouvellement inventé pour l'agriculture ?
Deux hypothèses se dégagent, rattachant le « Grand renversement » des femmes et de la
14 Rosemary Radford Ruether, Gaia and God, New York, Harper Sans Francisco, 1992.
15 Une fois lus ces récits, on s'aperçoit en fait qu'il s'agit d'un lien déjà évoqué par certains auteurs, mais en passant, en
filigrane, de façon non thématisée. Ainsi Engels écrit dans L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État
(Paris, Éditions sociales, 1952, p. 54-55) : « La domestication des animaux et l'élevage des troupeaux
[transformation du rapport à la nature] avaient développé une source de richesse insoupçonnée jusque là et créé de
nouveaux rapports sociaux. (…) Car l'esclavage était aussi inventé dès ce moment-là. Pour le barbare du stade
inférieur, l'esclave était sans valeur. (…) A ce stade, la force de travail humaine ne fournit pas encore d'excédent
appréciable sur ses frais d'entretien. Il en fut tout autrement avec l'introduction de l'élevage, du travail des métaux,
du tissage et enfin de l'agriculture [transformation du mode de production et des techniques]. Les femmes, qu'il était
si facile autrefois de se procurer, avaient pris une valeur d'échange et étaient achetée [transformation des rapports
de sexes]. » Mais il n'explique pas les relations entre ces transformations.
nature à des inventions techniques qui renvoient à deux phases différentes de la préhistoire :
1) Maria Mies, se fondant sur des parallèles ethnologiques, considère que « la première
division du travail [fut] celle entre les femmes chargées de la cueillette (et plus tard de l'agriculture)
et les chasseurs, majoritairement des hommes16 ». C'est donc eux qui auraient commencé à fabriquer
et utiliser des armes, dès le Paléolithique : « les femmes ont certainement continué à développer
leurs techniques [bâton fouisseur, houe], tandis que certains hommes ont inventé des outils de
chasse, (…) qui purent être utilisés non seulement pour tuer des animaux, mais aussi des
humains17 » ; d'où un pouvoir de coercition qui aurait permis la toute première prise de pouvoir :
« l'esclavage [notamment des femmes] n'est bien évidemment pas issu du commerce, mais du
monopole masculin sur les armes18 ». Cette hypothèse a deux intérêts : premièrement, elle permet de
discuter la thèse marxiste selon laquelle le pouvoir politique émerge du pouvoir économique (il
découlerait plutôt du pouvoir militaire, comme le pense Nietzsche) ; deuxièmement, en termes
écoféministes, elle semble indiquer une connexion matérielle entre la prédation à l'égard du monde
naturel (la chasse) et au sein du monde social (la violence armée, source de réduction en esclavage
des femmes et autres groupes). Cependant, elle a de nombreuses faiblesses : elle utilise des sources
ethnologiques pour reconstituer le passé, tombant dans une illusion évolutionniste dénuée de
rigueur ; elle pose sans le justifier le postulat d'un monopole masculin sur la chasse et les armes ;
enfin, elle ne suffit pas à expliquer l'instauration de rapports de domination à proprement parler à
l'égard des femmes et de la nature – Mies elle-même a conscience que la chasse peut aller de pair
avec un rapport de parenté respectueuse à l'égard des animaux, donc que « l'émergence d'une
technologie de chasse spécialisée implique seulement la possibilité d'établir des relations
d'exploitation et de domination19 ».
2) C'est pourquoi Radford Ruether met plutôt en évidence la rupture que constituerait
l'invention de l'araire, symbole par excellence des transformations techniques (et conséquemment
économiques, sociales et mentales) de l'Âge de bronze (qui commence après le Néolithique, autour
du IIIe millénaire avant J.-C.). Beauvoir déjà – évoquant « l'identité phallus-charrue dans quelques
langues austro-asiatiques20 » – y voyait un moment clé dans la destitution des femmes :
« C'est le passage de la pierre au bronze qui permit [à l'homme] de réaliser par son travail la conquête
du sol et de se conquérir lui-même. (…) Toute la figure de l'univers en est bouleversée. La religion de
la femme était liée au règne de l'agriculture, règne de la durée irréductible, de la contingence, du
hasard, de l'attente, du mystère ; celui de l'homo faber, c'est le règne du temps qu'on peut vaincre
comme l'espace, de la nécessité, du projet, de l'action, de la raison. Même quand il affronte la terre

16 Maria Mies, Patriarchy and Accumulation on a World Scale. Women in the International Division of Labour,
Londres, Zed Books, 1986, p. 58.
17 Ibid., p. 61.
18 Ibid., p. 64.
19 Ibid., p. 62.
20 Ibid., p. 134.
l'homme l'affrontera dorénavant en ouvrier (…) : il crée le monde à neuf. (…) L'invention du bronze
et du fer a profondément modifié l'équilibre des forces productrices et (…) par là l'infériorité de la
femme s'est accomplie.21 »
Mais le jugement que porte Beauvoir sur ce bouleversement est ambigu : « le grand Pan
commence à s'étioler quand retentit le premier coup de marteau et le règne de l'homme s'ouvre 22 »,
écrit-elle avec un triomphalisme prométhéen. Pour elle, ce qui est une régression pour les femmes
est surtout un progrès immense pour l'humanité, qui « s'affirme comme sujet et liberté » par cette
maîtrise technique de la nature. Mais du point de vue écoféministe, une telle maîtrise se nomme
domination. Derrière le passage de la houe à l'araire, ce serait donc un triple processus qui se noue :
– l'instauration de rapports d'exploitation entre humains : c'est à ce moment que l'agriculteur
du Néolithique supérieur aurait « fait appel à une main d'oeuvre servile 23 », qui aurait jusque
là été encombrante, mais est rendue utile par la nouvelle technique – puisque l'araire,
contrairement au bâton fouisseur ou à la houe, outils manuels et autonomes, est un outil
mécanisé qui s'attelle, et requiert donc l'exploitation d'esclaves humains ou non humains.
– la dégradation de la condition féminine : par cet outillage qui ne serait plus « à la mesure de
ses forces », « la femme a perdu le rôle économique qu'elle jouait dans la tribu 24 » – alors
que jusque là « économie et mystique [étaient] d'accord pour abandonner aux femmes le
travail agricole25 ». En effet les hommes, ignorant la paternité selon Beauvoir, d'Eaubonne,
ou encore Mies (thèse reprise à Malinowski), auraient attribué la fécondité des femmes et la
fertilité des terres à l'effet de « mystérieux effluves émanant du corps féminin qui attirent en
ce monde les richesses enfouies aux sources mystérieuses de la vie 26 ». Mais la nouvelle
méthode de labour et d'ensemencement née à l'Âge de bronze aurait permis aux hommes de
comprendre et contrôler leur rôle dans ces processus au lieu d'y voir « des dons surnaturels »
et magiques ; dès lors ils auraient été conduits à se prendre pour leur auteur et maître et se
seraient arrogés le monopole ou du moins le rôle prépondérant dans les activités de
production – Mies souligne d'ailleurs les analogies entre champ et femme d'un côté, graine
et sperme de l'autre, qui émergeraient alors seulement27.
– la transformation délétère de notre rapport à la nature – à la fois sur les plans symbolique et
concret. D'une part, avec l'araire et la « rationalisation » de l'agriculture qu'elle véhicule, les
représentations auraient changé : c'est là qu'on aurait cessé de tenir pour source de richesse
et objet de culte la généreuse productivité de la terre, y substituant le travail de « l'homme ».

21 Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949, p. 129 à 33.


22 Beauvoir, op. cit., p. 130.
23 Ibid., p. 133. On trouve une idée analogue chez Engels, voire note n° 15.
24 Beauvoir, op. cit., p. 133.
25 Ibid., p. 122.
26 Ibid., p. 121.
27 Mies, op. cit., p. 57.
En outre, puisque l'araire nécessite l'exploitation de la force de travail d'autres vivants, il
entraîne l'invention de la bête de trait. L'écoféminisme, en accord avec l'écologie profonde, y
voit la marque d'un rapport nouveau aux animaux non humains, caractérisé par l'utilitarisme,
l'anthropocentrisme et le spécisme ; cela constituerait une rupture à l'égard de rapports plus
anciens, d'immanence, posant une parenté voire une égalité entre tous les vivants.
Mais la part de conjecture invérifiable dans cette théorie d'un lien entre forme de technique,
mode de production, rapports de sexes et rapport à la nature, reste gênante. C'est donc sans doute à
titre critique que les récits d'origine écoféministes sont les plus convaincants.

II - 3 - 2. Une critique des théories économiques libérales et marxistes


En effet, si farfelus qu'ils puissent paraître, ces récits alternatifs mettent en évidence
justement ce qu'il y a de tout aussi inévident voire infondé dans les récits classiques. Conformément
à l'épistémologie du « point de vue » et des « savoirs situés » élaborée par les féministes (Harding,
Hartsock, Haraway), ils invitent à se demander qui et d'où parlent ces récits plus familiers. C'est
alors le caractère mythique ou plutôt idéologique, partial et politique de toute reconstitution
d'origine, y compris celles qui se parent des atours trompeurs de la scientificité, qui apparaît. Le
mythe écoféministe sert ainsi d'arme contre un mythe bien plus répandu : celui de l'objectivité. Il a
pour intérêt de révéler les projections androcentristes, anthropocentristes et ethnocentristes des
versions courantes de l'état de nature, et plus généralement des concepts majeurs de l'économie qui
y sont en jeu. À sa lumière, ceux-ci apparaissent dès lors comme des pièces clés dans la
construction et la légitimation du système de dominations croisées de sexe, ethnie, classe et espèce
que dénoncent les écoféministes :
« Un de nos principaux problèmes est que non seulement les analyses en tant que telles, mais même
les outils d'analyse, les concepts et définitions de base, sont affectés – ou plutôt infectés – par le
déterminisme biologique. Cela se vérifie au sujet des concepts fondamentaux qui sont au cœur de
notre analyse, comme ceux de nature, de travail, de division sexuelle du travail, de famille et de
productivité. Si ces concepts sont employés sans critique de leur biais idéologiques implicites, ils
tendent plutôt à obscurcir les problèmes qu'à les éclaircir. 28 »
Revenons en effet sur les principaux traits de l'état de nature des économistes classiques.
Dans le Traité du gouvernement civil, qui les inspire implicitement, Locke définit l'état de nature
comme « un état de parfaite liberté», qui « est aussi un état d'égalité, (…) sans nulle subordination
ou sujétion29 ». Dans cet état, « la terre et toutes les créatures inférieures sont communes et
appartiennent en général à tous les hommes ». Comme on le voit, la question de la différence des
sexes est passée sous silence, et il va de soi que les autres espèces que l'humaine sont « inférieures »
28 Mies, op. cit., p. 45.
29 John Locke, Traité du gouvernement civil. Toutes les citations sont tirées de :
http://classiques.uqac.ca/classiques/locke_john/traite_du_gouvernement/traite_du_gouv_civil.pdf
et à notre disposition – deux points que le fossé qui sépare cette image du récit écoféministe fait
sauter aux yeux. Il pourrait sembler égalitaire de ne pas faire de distinction de sexes, et pourtant on
s'aperçoit vite qu'il y a là une tromperie : les femmes sont remarquablement absentes de ce texte,
sauf à trois occurrences : comme butins de guerre, comme mères, et comme épouses : bref, jamais
comme sujets proprement dits. Leur vie, leur travail, leur rôle économique propres semblent
inexistants : nous sommes loin des cueilleuses, agricultrices, guérisseuses et prêtresses de
l'écoféminisme. En outre, malgré l'affirmation de l'égalité naturelle des individus, Locke définit la
cellule sociale naturelle sur un modèle patriarcal : « La première société a été celle de l'homme et
de la femme ; (…) elle consiste particulièrement dans le droit que l'un a sur le corps de l'autre, par
rapport à la fin principale et la plus nécessaire, qui est de procréer des enfants. 30 » La domination
masculine est ainsi tenue pour un fait et un droit de nature, sans que Locke semble percevoir la
contradiction avec les principes posés au début. En ce qui concerne le rapport à la nature, là aussi la
domination semble aller de soi : la terre « nous appartient », ainsi que les autres espèces qui la
peuplent.
Cet état de nature est supposé expliquer l'émergence des principaux phénomènes
économiques : le travail et sa division ; la propriété privée ; les échanges. Les images transmises par
les récits d'origine écoféministes, avec leur civilisation matricielle et écologique, organisée autour
de femmes actives et indépendantes, respectant tout être vivant et célébrant les rythmes de la Terre
mère, font apparaître les présupposés biaisés de ces généalogies. En effet, dans les versions
classiques de l'état de nature, le travail est défini comme une activité imposée par « l'homme »
(implicitement mâle) à une nature passive – c'est-à-dire d'une façon anthropocentrique, et plus
précisément androcentrique. Locke affirme ainsi que si l'on « considère ce qui appartient purement
à la nature, et ce qui appartient précisément au travail : nous verrions, dans la plupart des revenus,
que 99 centièmes doivent être attribués au travail 31 ». La chasse, la cueillette, l'agriculture et
l'élevage ne sont pas tenus pour des relations de coopération, de co-activité entre l'homme et la
nature, mais pour une action à sens unique, l'exploitation d'une matière inerte, comme morte : « Une
terre qui est abandonnée, où l'on ne sème et ne plante rien, qu'on a remise, pour parler de la sorte,
entre les mains de la nature, est appelée, et avec raison, un désert 32 ». Pour les écoféministes, il y a
un lien fort entre cette représentation anthropocentrique de la nature et du travail, et
l'androcentrisme : cette conception du travail non pas comme coopération, coproduction, co-activité
de l'homme et de la nature, mais comme domination prométhéenne, serait calquée sur un modèle
genré patriarcal qui émerge chez Aristote – d'un côté, la matière, passive, associée au féminin ; de
l'autre l'esprit, actif, associé au masculin. Ce réseau symbolique s'articulerait en outre

30 Ibid.
31 Ibid.
32 Ibid.
intrinsèquement avec des biais racistes et colonialistes : l'Amérique ne peut servir de modèle de
l'état de nature que parce qu'elle est définie comme terre vierge et inculte, voire « inhabitée » (sic).
On retrouve ces mêmes biais entremêlés chez Smith. Lui aussi occulte le rôle productif de la
nature et des femmes, lorsqu'il écrit : « L e Travail annuel d'une nation est le fonds primitif qui
fournit à sa consommation annuelle toutes les choses nécessaires et commodes à la vie » (là où on
pourrait plutôt attendre : « la nature »33), et donne comme seuls exemples de ce « travail », dans
l'état originel, « la chasse et de la pêche » ou parle de « tribus de chasseurs ou de bergers ». Ce
faisant, il ne tient compte que d'activités traditionnellement masculines (passant sous silence la
cueillette et le jardinage, activités des femmes dans les sociétés dites « primitives », qui fournissent
environ 80% de la nourriture quotidienne 34 ) :
« La même asymétrie masquée, les mêmes biais imprégnés de biologisme que l'on repère dans le
concept de travail prévalent dans celui de division du travail (…) qui camoufle le fait que les tâches
masculines sont généralement considérées comme des tâches authentiquement humaines (c'est-à-dire
conscientes, rationnelles, planifiées, productives), tandis que les tâches féminines sont encore vues
comme fondamentalement déterminées par leur ''nature''. La division sexuelle du travail, selon cette
définition, pourrait être reformulée en division entre ''travail humain'' et ''activité naturelle''. (…) Les
instruments de travail, les moyens corporels de production implicitement inclus dans ce concept de
travail sont les mains et la tête, mais jamais l'utérus et les seins d'une femme. 35 »
Smith choisit en outre des activités prédatrices, liées à la domestication ou à la destruction
d'animaux, préférence qui pourrait être interprétée comme un biais spéciste ou carniste – « carno-
phallogocentriste », pour reprendre les termes de Derrida36. D'autre part, en faisant découler la
division du travail d'un simple « penchant qui porte [les hommes] à trafiquer, à faire des trocs et des
échanges d'une chose pour une autre 37 », Smith occulte des rapports de force indispensables pour
expliquer cette « répartition » qui, dans les faits, est hiérarchisée et inégalitaire – notamment entre
les sexes – ce que le récit écoféministe du « Grand renversement » met en évidence.
Il en va de même concernant les notions de propriété privée et d'échanges. Ainsi, pour lui
(conformément à la théorie lockéenne), c'est le travail qui fonde la propriété privée dans l'état de
nature ; mais le travail de qui, et la propriété pour qui ? Lorsque Smith pose que « les choses
nécessaires et commodes à la vie » et leur propriété « sont toujours, ou le produit immédiat du
travail, ou achetées des autres nations avec ce produit 38 », le lecteur des récits écoféministes
racontant la lutte des Amazones contre l'appropriation de leurs richesses agricoles reste perplexe.

33 Les physiocrates échappent à ce biais anthropocentriste en définissant la nature comme source première de toute
richesse et production ; mais leur « ordre naturel » est truffé de biais androcentristes.
34 Mies, op.cit., p. 58.
35 Ibid., p. 45-46.
36 Jacques Derrida, L'animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006.
37 Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations ; source :
http://classiques.uqac.ca/classiques/Smith_adam/richesse_des_nations_extraits/richesse_nations_extraits.pdf
38 Ibid.
Locke lui-même écrivait à quelques lignes d'intervalle : « Le travail de mon corps et l'ouvrage de
mes mains, nous le pouvons dire, sont mon bien propre. (…) Ainsi, l'herbe que mon cheval mange,
les mottes de terre que mon valet a arrachées, et les creux que j'ai faits dans des lieux auxquels j'ai
un droit commun avec d'autres, deviennent mon bien et mon héritage propre39. » Entre temps, se
sont introduits subrepticement des rapports d'appropriation du travail d'autrui et d'exploitation entre
les êtres vivants, selon des axes d'espèce (le cheval) et de classe (le valet), et implicitement d'ethnie
(peuples colonisés et réduits en esclavage) et de sexe (femmes), qui semblent ici aller de soi, au
point que leur existence et leur origine sont impensées par l'économie politique classique. Même
chose en ce qui concerne la naissance des échanges économiques, qui sont pensés selon un point de
vue androcentrique : ils ont lieu entre des « individus » prétendument indifférenciés, mais dont on
saisit rapidement qu'il s'agit nécessairement de sujets masculins – déjà pour la simple raison que, les
femmes ne travaillant pas dans cette version des origines, elles n'ont rien à échanger. Elles sont
donc objets et non pas sujets de la propriété et des échanges ; l'inverse n'est jamais ne serait-ce que
supposé. Une telle idée, qui correspond au statut des femmes à l'époque où ces textes ont été écrits,
revient à naturaliser l'ordre patriarcal construit de la Modernité – ce que dénonce l'écoféminisme.
Mais lue à travers le prisme du récit d'origine écoféministe, la théorie marxiste non plus
n'échappe pas à ces biais ; car si elle thématise l'exploitation de classe et cherche à en faire la genèse
depuis le « communisme primitif », elle passe sous silence l'exploitation de sexe et d'espèce. Tout
au plus Marx et Engels peuvent-ils reconnaître des formes de « domination » masculine,
d'« inégalité » entre les sexes ; mais comme il va de soi que les femmes, les animaux, les sols,
graines, cours d'eau et autres sources environnementales d'énergie et de richesse ne « travaillent »
pas, il ne peut pour eux être question d'« exploitation » des femmes ni de la nature. Engels lui-
même, malgré l'attention qu'il porte aux rapports des sexes dans L'origine de la famille, de la
propriété privée et de l'État, invisibilise doublement le travail des femmes, de même que celui de la
nature. En effet, une fois posée la distinction entre « production et reproduction », ou « production
des moyens d'existence » et « production des hommes mêmes », il classe sans même l'interroger
l'activité féminine du côté de la reproduction, niant implicitement le rôle productif des femmes ;
deuxième geste, il reformule cette distinction en « travail » et « famille » : ainsi le travail féminin,
déjà réduit au travail reproductif, n'est même plus du travail. Il va de soi pour Engels, comme pour
tous les auteurs de l'économie politique classique, qu'il existe une « division naturelle » des tâches
entre les sexes ; dans la mesure où il n'évoque jamais le rôle économique productif des femmes dans
la société originelle, mais ne les évoque que lorsqu'il parle de la famille, il semble que leur rôle soit
pour eux uniquement procréatif. Nous sommes toujours très loin des cueilleuses, jardinières ou
agricultrices autonomes, des guérisseuses, prêtresses et Amazones de l'écoféminisme.

39 Locke, op. cit.


III. Le « sexocide des sorcières », acte de naissance du capitalisme
III -1. La redécouverte d'un épisode faussé
Un autre thème retient l'attention dans le traitement écoféministe de notre histoire
économique : celui de la chasse aux sorcières. Habituellement reléguée dans la catégorie des faits
divers qui font frissonner le soir et alimentent un folklore pittoresque, il s'agit au contraire pour les
écoféministes d'une véritable rupture dans l'histoire, qui a bouleversé durablement les structures
sociales et marqué au fer rouge la psyché des femmes et des hommes en Occident. On croit
généralement que la chasse aux sorcières a eu lieu au Moyen-Âge, qu'elle s'expliquerait par
l'obscurantisme et la frénésie de paysans affamés, abrutis et manipulés par une Église avide de
trouver des coupables et boucs-émissaires. Ce ne sont pas seulement les représentations populaires,
mais aussi la plupart des historiens qui ont accrédité cette version, reprenant à leur compte
l'interprétation des Lumières40. La chasse aux sorcières serait alors un objet de « psychologie
historique », à analyser sous l'angle de l'irrationnelle « mentalité traditionnelle » (Mandrou) ; de son
côté, l'histoire économique s'en est généralement désintéressée : la chasse aux sorcières n'aurait pas
grand chose à nous apprendre sur les bouleversements des structures matérielles qui lui sont
contemporains, liés à la « Grande Transformation ».
Pourtant, comme l'écrit Silvia Federici dans Caliban et la Sorcière :
« La chasse aux sorcières a eu lieu en même temps que la colonisation et l'extermination des
populations du Nouveau Monde, les enclosures anglaises, le début de la traite des esclaves, la
promulgation des Bloody Laws contre les vagabonds et les mendiants, elle a culminé dans
l'interrègne entre le féodalisme et l'''essor'' du capitalisme, au moment où la paysannerie européenne
atteint le sommet de son pouvoir mais, à terme, a aussi consommé sa défaite historique. On aurait pu
trouver un sens à tout cela. Cependant, cet aspect de l'accumulation primitive est jusqu'à présent
véritablement demeurée un secret41. »
Celles des écoféministes qui s'y intéressent commencent donc par rectifier quelques erreurs :
loin d'avoir eu lieu au Moyen-Âge comme on le croit généralement, la chasse aux sorcières s'est
déroulée essentiellement aux XVIe et XVIIe siècles (avec encore quelques bûchers jusqu'au
XVIIIe) : en plein essor des Temps Modernes, du capitalisme, de la vision scientifique du monde 42.
L'« âge d'or » des procès de sorcières se situe entre 1580 et 1630. Des grands noms du rationalisme,
comme Jean Bodin ou Francis Bacon, y sont mêlés43. En outre, dès le milieu du XVIe siècle, ce sont
40 Voltaire écrit ainsi dans son Dictionnaire philosophique : « On a déjà dit que plus de cent mille prétendues sorcières
ont été exécutées à mort en Europe. La seule philosophie a enfin guéri les hommes de cette abominable chimère. »
Robert Mandrou, bien qu'il trouve cette explication un peu courte, attribue lui aussi la chasse aux sorcières aux
« angoisses du Moyen-Âge finissant » (Magistrats et sorciers en France au XVIIe siècle, Paris, Plon, 1968).
41 Silvia Federici, Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, trad. par le collectif Senonevero et
Julien Guazzini, Marseille, Senonevero, et Genève-Paris, Entremonde, 2014, p. 293.
42 Ce n'est qu'en 1484 que le pape Innocent VIII déclare la sorcellerie crime d'hérésie, et y étend l'Inquisition ; le
Malleus Maleficarum de Kramer et Sprenger, premier « manuel » de la chasse aux sorcières, ne paraît qu'en 1486.
43 Par ex. Jean Bodin, De la démonomanie des sorciers, 1580. Sur le rôle de la chasse aux sorcières dans la pensée de
Francis Bacon, voir Carolyn Merchant, The Death of Nature. Women, Ecology, and the Scientific Revolution, New
les tribunaux laics, et non pas religieux, qui mènent les procès de sorcières. C'est donc une version
trompeuse de cet épisode qui s'est propagée – ce qui serait d'ailleurs significatif.
Les écoféministes proposent alors une réinterprétation de cet épisode : pour elles, la chasse
aux sorcières qui fit rage à travers l'Europe du XVe au XVIIe siècles et répandit un climat de terreur
et de suspicion a été l'un des principaux mécanismes employés pour instaurer le nouvel ordre
« patriarcal-capitaliste » ; elle serait « liée à trois processus enchevêtrés : l’expropriation de la terre
et des ressources naturelles, l’expropriation du savoir, et la guerre contre la conscience de
l’immanence44 ». Starhawk écrit ainsi : « la persécution des sorcières détruisit le lien des paysans
avec la terre, interdit aux femmes la fonction de guérisseuse, et imposa la vision mécaniste du
monde comme machine inerte. Cette rupture fonde les oppressions inséparables de race, de sexe, de
classe, et la destruction écologique45 ». En effet :
« La chasse aux sorcières sert tous les objectifs de la révolution qui est en train de se produire. Elle
contribue à détruire la communauté, puisque le risque de se faire dénoncer comme sorcier ou
sorcière pousse chacun à se méfier de tous. Elle éradique le lien à la terre, ce lien que les villageois
célébraient à travers les rituels marquant le cycle des saisons. Elle est aussi confiscation de la
connaissance : en qualifiant les savoirs populaires de superstitieux et d’obscurantistes, voire de
diaboliques, on substitue à la figure du guérisseur [ou guérisseuse] intégré à la communauté celle du
médecin qui dispense sa science d’en haut. (…) En martyrisant la chair des femmes, l’Inquisition
exprime aussi une haine de la vie sensuelle qui se retrouve dans l’éthique protestante du travail. 46 »

Comme on le voit dans ces quelques lignes, le sens à donner à cet épisode fait l'objet de multiples
axes d'analyse au sein de l'écoféminisme.

III - 2. Au cœur de la science et de l'économie modernes


La première analyse écoféministe précise de la chasse aux sorcières l'inscrit dans l'histoire des
47
sciences, en particulier de la physique, de la biologie et de la médecine . Comme l'écrit déjà
Michelet, « l'unique médecin du peuple, pendant mille ans, ce fut la sorcière 48 ». En brûlant les
sorcières, sages-femmes et infirmières (pour reprendre le titre de Barbara Ehrenreich et Deirdre
English)49, il se serait agi de destituer les femmes de leur savoir-pouvoir médical, et plus largement
de leur expertise traditionnelle sur la nature, remplaçant les « grands-mères » par les « hommes en
blouse blanche50 » dans la constitution et la transmission de ce qui passe pour science : « On divisa
York, Harper & Row, 1980.
44 Starhawk, « Le temps des bûchers » : https://www.infokiosques.net/lire.php?id_article=1189#nh6
45 Starhawk, Femmes, magie et politique, trad. Morbic, Paris, Les empêcheurs de tourner en rond, 2003, p. 19.
46 Mona Chollet, « Quitter la terre ferme des certitudes » : http://www.peripheries.net/article215.html
47 Comme dans Sorcières, sages-femmes et infirmières : une histoire des femmes soignantes de Barbara Ehrenreich et
Deirdre English (1973) ou encore The Death of Nature de Carolyn Merchant (1980).
48 Jules Michelet, La sorcière (1862), Paris, GF-Flammarion, 1966, p. 31.
49 Barbara Ehrenreich et Deirdre English (1973), Sorcières, sages-femmes et infirmières, Paris, Échanges et
mouvements, 1978.
50 Les expressions sont de Vandana Shiva (physicienne, philosophe et activiste écoféministe), qui a fondé une
habilement le royaume de Satan. Contre sa fille, son épouse, la Sorcière, on arma son fils, le
Médecin 51 » . Pour les écoféministes qui promeuvent une telle lecture de l'histoire des sciences,
cette offensive contre les femmes savantes et soignantes à l'orée des Temps modernes aurait
également nui à l'environnement et aux êtres non humains, et posé les fondements conceptuels de la
future crise écologique. En effet, elle aurait précipité la défaite du modèle organiciste de la nature
comme être vivant, teinté de culte paien de la Terre mère, qui était au cœur de la science
prémoderne des « sorcières » guérisseuses, et favorisé le triomphe d'un nouveau paradigme
mécaniste et réductionniste, justifiant de disséquer et piller une planète tenue pour déjà inerte et
étrangère, dont il faudrait dès lors se rendre « comme maîtres et possesseurs » (Descartes). Car si
l'on décrypte les chefs d'accusation des procès en tentant de reconstituer le sens plausible des
« crimes » invoqués, les femmes brûlées comme sorcières étaient probablement les détentrices du
savoir traditionnel sur la nature et les plantes, et les gardiennes d'anciens cultes magiques, faisant
survivre contre l'emprise du christianisme les traditions paiennes célébrant les rythmes terrestres et
lunaires (symbolisés par le sabbat). Michelet déjà écrivait :
« Certains auteurs nous assurent que, peu de temps avant la victoire du christianisme, une voix
mystérieuse courait sur les rives de la mer Égée, disant : ''Le grand Pan est mort.'' L'antique Dieu
universel de la Nature était fini. (…) Est-il bien sûr, comme on l'a tant répété, que les anciens dieux
fussent finis ? (…) Ces dieux logés au cœur des chênes, dans les eaux bruyantes et profondes, ne
pouvaient en être expulsés. (…) Où sont-ils ? Dans le désert, sur la lande, dans la forêt ? Oui, mais
surtout dans les maisons. La femme les garde et les cache au ménage et au lit même. 52 »
La mise à mort, à travers les sorcières, du rapport à la nature dont elles auraient été porteuses, serait
donc liée avec ce que Merchant appelle la « mort de la nature », et dont elle analyse la mise en
place dans les textes des pères fondateurs de la science moderne, en particulier Francis Bacon, chez
qui « les interrogatoires de sorcières servent explicitement de métaphores pour l'interrogation de la
nature, le tribunal de modèle d'enquête, et la torture au moyen d'appareils mécaniques est employée
comme symbole de mise au pas du désordre – des comparaisons qui furent fondamentales dans
l'élaboration de la méthode scientifique comme pratique de pouvoir53 ».
Outre l'histoire des sciences, c'est également l'histoire économique que les écoféministes
renouvellent par leur analyse de cet épisode. Ces deux angles sont d'ailleurs liés, puisque selon elles
« le mécanisme a triomphé, pas nécessairement parce que c’était la meilleure description de la
réalité, mais à cause de ses implications politiques, économiques et sociales 54 »: « le réductionnisme
est une réponse aux besoins d’une forme particulière d’économie et d’organisation politique. La

« Université des grands-mères » dans son organisation paysanne altermondialiste Navdanya.


51 Michelet, op. cit., p. 40.
52 Michelet, op. cit., p. 45-47.
53 Carolyn Merchant, The Death of Nature, cité dans Mies, op. cit., p. 88.
54 Starhawk, « Le temps des bûchers », op. cit.
vision du monde réductionniste, la révolution industrielle et l’économie capitaliste sont les
constituants philosophique, technologique et économique du même processus 55». Federici
considère ainsi que la chasse aux sorcières « appartient à l'histoire du prolétariat56 », et pas
seulement à l'histoire des femmes. Car non seulement cette campagne de terreur et de persécution
« soutenue par l'État (…) diabolisa littéralement toute forme de contrôle des naissances et de
sexualité non procréative57 », mais elle « joua un rôle essentiel dans la défaite de la paysannerie
européenne, facilitant son expulsion des terres qu'elle possédait avant en commun 58 ». En effet, « les
croyances diaboliques surviennent dans les périodes historiques où un mode de production est
supplanté par un autre59 » ; elles seraient au service d'évolutions brutales de la division du travail et
de la répartition des richesses. « Au cours de telles périodes, ce sont non seulement les conditions
matérielles de la vie qui sont radicalement transformées, mais aussi les structures métaphysiques
qui sous-tendent l'ordre moral60 » : la diabolisation des victimes du nouvel ordre contribue à
instaurer et légitimer ce bouleversement. C'est ce qui ressortirait de la comparaison entre des
épisodes analogues : « la diabolisation des peuples indigènes américains servit à justifier leur
asservissement et le pillage de leurs ressources. En Europe l'attaque menée contre les femmes
justifia l'appropriation de leur travail par les hommes et la criminalisation de leur emprise sur la
reproduction.61 »
Ainsi la diabolisation des sorcières, et à travers elles des femmes, aurait été un instrument
majeur dans l'instauration du mode de production moderne, le « patriarcat capitaliste » (Mies),
« capitalisme patriarcal » (Shiva) ou « patriarcat salarial » (Federici). Au croisement de la lutte des
sexes et de la lutte des classes, elle aurait été un moyen efficace « pour les élites européennes
d'éradiquer tout un mode de vie qui, vers la fin du Moyen-Âge, menaçait leur pouvoir économique
et politique.62 » En effet, elle est contemporaine d'un ensemble de processus convergents : « 1. le
développement d'une nouvelle division sexuée du travail assujettissant le travail des femmes et leur
fonction reproductive à la reproduction de la force de travail ; 2. la construction d'un nouvel ordre
patriarcal, fondé sur l'exclusion des femmes du travail salarié et leur soumission aux hommes ; 3. la
mécanisation du corps prolétaire, et sa transformation, dans le cas des femmes, en une machine de
production de nouveaux travailleurs63 ».
Selon cette interprétation, la chasse aux sorcières aurait joué un triple rôle économique.
Premièrement, elle aurait permis d'affaiblir les solidarités de classe en les parasitant par une hostilité
55 Vandana Shiva, in Vandana Shiva et Maria Mies, Écoféminisme, Paris, L'Harmattan, 1993, p. 39.
56 Federici, op. cit., p. 290.
57 Ibid., p. 79.
58 Ibid., p. 20.
59 Ibid., p. 309.
60 Ibid.
61 Ibid. p. 207.
62 Ibid., p. 312.
63 Ibid., p. 20.
de sexes, détournant ainsi les révoltes populaires – d'autant plus qu'elle les désorganisait : « Les
rassemblements nocturnes de paysans fomentant des rébellions devinrent plus difficiles, dans un
contexte où se rencontrer de nuit dans les champs ou les forêts risquait d'être condamné comme un
sabbat de sorcières64 ».
Deuxièmement, elle fut un important « moyen d'accumulation primitive du capital65 » ; car
« en vertu du droit canon, les propriétés des sorcières devaient être confisquées, qu'il y ait ou non
des héritiers. (…) La chasse aux sorcières fut une source très lucrative d'argent et de richesses 66»
pour l'État, la classe de médecins et de magistrats qui la mena, bref la bourgeoisie naissante ; elle
aurait contribué à exproprier la paysannerie, puissante en cette fin de Moyen-Âge, et à accumuler
les capitaux entre les mains de la classe dominante. C'est pourquoi les écoféministes la mettent en
relation avec le mouvement d'enclosure, de privatisation des communaux, dont elle fut selon elles
un moyen.
Troisièmement, elle contribua à instaurer une nouvelle division du travail, indispensable au
capitalisme : par la terreur qu'elle fit régner en s'abattant arbitrairement sur les femmes actives et
indépendantes (à la fin du Moyen-Âge, les femmes pouvaient exercer à peu près tous les métiers,
elles « tenaient des rôles importants dans l’artisanat et l’industrie, et le mariage était par maints
aspects un partenariat d’affaires »67), elle favorisa leur domestication, leur exclusion du travail
rémunéré, leur réclusion au foyer et au travail gratuit. Ôtant des concurrentes aux hommes, elle leur
fournit en échange des esclaves domestiques, remplaçant les communaux privatisés au même
moment en tant que moyens de subsistance et « libérant » les hommes du travail domestique, afin
de rendre ceux des classes populaires disponibles pour le travail exploité hors du foyer : dans
l'ombre de la figure émergente du prolétaire, il y a celle de la femme au foyer, partie immergée de
l'iceberg sans laquelle la prolétarisation des paysans et artisans et l'instauration du capitalisme
auraient été impossibles. Dans cette nouvelle division sexuelle du travail au service du « patriarcat
salarial », les femmes sont la cible d'une campagne nataliste, assignées à produire de nouveaux
travailleurs en masse – ce ne serait pas un hasard si beaucoup de « sorcières » étaient des sages-
femmes, enseignant la contraception et pratiquant l'avortement 68. Dans la chasse aux sorcières se
forge ainsi une nouvelle forme d'État, qui se charge de « biopolitique » économique. Pour Mies,
« cela apparaît très clairement avec Jean Bodin, le théoricien français de la nouvelle doctrine
économique du mercantilisme. (…) Pour lui, l'État avait le devoir de fournir assez de travailleurs
pour la nouvelle économie. Dans ce but, il réclame une police forte, qui lutterait surtout contre les

64 Silvia Federici, « Clôturer le corps des femmes » : http://jefklak.org/?p=2335


65 Mies, op. cit., p. 86.
66 Ibid., p. 85.
67 Starhawk, « Le temps des bûchers ».
68 Voir Barbara Ehrenreich et Deirdre English (1973), Sorcières, sages-femmes et infirmières, Paris, Échanges et
mouvements, 1978.
sorcières et sages-femmes responsables, selon lui, de tant d'avortements, de la stérilité des couples
ou de rapports sexuels sans conception.69 » Pour les écoféministes, il ne s'agit pas seulement d'une
deuxième « grande défaite historique du sexe féminin », mais également de la nature : car avec les
sorcières, c'est toute une économie de subsistance qui aurait péri, pratiquant un rapport intelligent et
soutenable avec la nature, notamment grâce à l'existence de communaux soustraits à l'exploitation à
des fins marchandes.

III - 3. Enjeux critiques de cette relecture


Cette hypothèse historiographique sur le rôle crucial de la chasse aux sorcières dans la
transition du féodalisme au capitalisme présente un intérêt à la fois critique et heuristique. En effet
de quoi la chasse aux sorcières est-elle le nom, sous la plume des écoféministes ? De la thèse selon
laquelle domination de sexe, de classe, d'ethnie et d'espèce forment un système interconnecté, qui
est au cœur de la civilisation moderne : en un seul épisode, tout se noue. Cet événement fortement
symbolique révèlerait les connexions souterraines entre des phénomènes d'habitude pensés
séparément, voire impensés, par les théories économiques habituelles, libérales comme marxistes.
En effet, lire les débuts des Temps modernes sous cet angle permet de mettre en évidence les
points aveugles de ces théories concernant « la nature et les causes de la richesse des nations »
européennes, subitement accrue aux XVIe et XVIIe siècles, autrement dit les processus qui
rendirent possible l'accumulation du capital, l'essor du capitalisme et les révolutions industrielles.
Smith attribue essentiellement cette « accumulation de capitaux », sans laquelle « le travail ne peut
acquérir la grande extension de puissance productive 70 » qu'il a alors connue, à l'épargne et à son
investissement dans la production, selon un modèle abstrait. Ce faisant, il occulte les conditions
historiques réelles de cette accumulation, comme Marx déjà lui a reproché :
« Cette accumulation primitive joue dans l'économie politique à peu près le même rôle que le péché originel
dans la théologie. Adam mordit la pomme, et voilà le péché qui fait son entrée dans le monde. (…) De même,
il y avait autrefois, mais il y a bien longtemps de cela, un temps où la société se divisait en deux camps : là,
des gens d'élite, laborieux, intelligents, et surtout doués d'habitudes ménagères ; ici, un tas de coquins faisant
gogaille du matin au soir et du soir au matin. Il va sans dire que les uns entassèrent trésor sur trésor, tandis
que les autres se trouvèrent bientôt dénués de tout. (…) Dans les annales de l'histoire réelle, c'est la conquête,
l'asservissement, la rapine à main armée, le règne de la force brutale, qui l'a toujours emporté. (…) Les
méthodes de l'accumulation primitive sont tout ce qu'on voudra, hormis matière à idylle. (…) La base de
toute cette évolution, c'est l'expropriation des cultivateurs. 71 »

Pour dissiper les supercheries de l'économie politique classique, Marx décortique les mécanismes
ayant permis l’enrichissement par vagues successives des capitalistes anglais et plus largement

69 Mies, op. cit., p. 83.


70 Adam Smith, op. cit.,
71 Karl Marx, Le Capital, livre I, section VIII, chapitre 26.
européens : spoliation des biens de l'Église, aliénation des domaines de l'État, pillage, privatisation
et clôture des terrains communaux, expropriation des paysans, prolétarisation des artisans...
Le récit écoféministe de la chasse aux sorcières s'accorde avec le marxisme pour montrer
que la théorie classique, en faisant abstraction des conditions historiques réelles de l'accumulation
du capital, se rend aveugle aux violences, expropriations et pillages qui l'ont permise. Mais il révèle
également que la version marxiste elle-même est entachée de biais et points aveugles. Mies
reproche ainsi à Marx et même à Engels de « parler uniquement de la relation entre classes
exploitantes et exploitées, ils n'incluent jamais la relation entre hommes et femmes, entre puissances
coloniales et pays colonisés, ou entre l'homme ''civilisé'' en général et la nature. Mais ces relations
constituent en fait la fondation cachée de la société civilisée72 ». Et en effet, dans le même chapitre
d u Capital, Marx définit la transition au capitalisme comme « le mouvement historique qui
convertit les producteurs en salariés73 ». Mais qu'en est-il des femmes dans cette formule ? Pour ne
rien dire des esclaves et peuples colonisés. L'angle révélateur de la chasse aux sorcières met en
exergue l'androcentrisme de cette vision tronquée. En centrant au contraire l'analyse sur le cas des
sorcières, on est conduit à redéfinir également cette période comme le mouvement historique qui
convertit les productrices en travailleuses de l'ombre, exclues du salariat et « superexploitées »
(Mies) sans rémunération : exclues de la pratique de la médecine, expropriées de leurs terres et
biens, privées des communaux qui leur servaient peut-être de lieux de culte, les « sorcières » sont la
métonymie résumant la dégradation de la condition féminine (masquée dans la théorie classique
comme marxiste) sur laquelle se serait construit le capitalisme émergent : « le travail domestique
non payé a été la fondation sur laquelle l'exploitation des travailleurs salariés, ''l'esclavage salarié'', a
été bâti, et le secret de sa productivité74 ». On comprend alors que ni l'économie politique classique
ni le marxisme n'ont vu à quel point « l'exploitation [et non l'exclusion] des femmes a joué un rôle
central dans le processus d'accumulation capitaliste, dans la mesure où les femmes ont produit et
reproduit la marchandise capitaliste la plus essentielle : la force de travail75 ». En outre, le parallèle
constamment tiré par les écoféministes (lectrices de Rosa Luxemburg 76) entre cette diabolisation des
femmes et celle des « sauvages » permet d'étendre l'analyse aux peuples colonisés et aux esclaves.
Ce sont aussi les biais anthropocentristes voire antinaturalistes de ces théories qui
apparaissent, dans la lumière émise par les bûchers de sorcières. En mettant le doigt sur les
transformations du rapport à la nature qui auraient été induites ou favorisées par la chasse aux

72 Mies, op. cit., p. 76-77.


73 Marx, op. cit.
74 Federici, op. cit., p. 11.
75 Federici, op. cit., p. 10.
76 Dans L'accumulation du capital – contribution à l'explication économique de l'impérialisme (1913), Luxemburg
met en évidence les points aveugles de la théorie marxiste de l'accumulation primitive, qui oublie le rôle fondamental de
la colonisation dans l'accumulation primitive – pillage des ressources naturelles des colonies, expropriation à grande
échelle, esclavage, commerce triangulaire, ouverture de nouveaux marchés, etc.
sorcières (défaite de la vision organiciste ancrée dans les cultes magiques de la terre ; triomphe de la
vision mécaniste réductionniste), l'interprétation écoféministe révèle qu'il s'agit d'un autre point
aveugle des théories économiques habituelles : pour celles-ci, il va de soi que les gains de
productivité, la domination et l'exploitation accrues de la nature, permis par le nouveau mode de
production capitaliste, constituent un progrès. Marx lui-même s'en réjouit et glorifie ce triomphe sur
la nature. Mais pour l'écoféminisme au contraire, la chasse aux sorcières ferait violemment
apparaître le nœud inextricable entre l'instauration de rapports de classes et de sexes fondés sur
l'exploitation, et d'un rapport transcendant et dominateur à l'égard de la nature : ce ne serait pas un
hasard si, « au même moment où les paysans furent arrachés à la terre, les cérémonies célébrant ce
lien ancestral furent proclamées démoniaques et sataniques 77 » : domination de classe, de sexe,
d'ethnie et de la nature formeraient un tout, dont la chasse aux sorcières est la synecdoque. C'est
pourquoi pour certaines « la renaissance de la religion de la terre fait partie du large mouvement qui
conteste la domination78 ».

III - 4. Vers une « meilleure science79 » économique ?


De cette critique découle une exigence : celle de renouveler la théorie économique, afin de la
libérer des biais androcentristes et anthropocentristes qui la faussent, et de prendre en compte au
contraire, dans la construction des concepts mêmes, le point de vue des femmes et de la nature,
ainsi que des peuples soumis à l'impérialisme. C'est ce que propose par exemple Vandana Shiva
(physicienne, philosophe et activiste écoféministe indienne), sous le nom de « perspective de
subsistance ». Pour elle, si dans le système capitaliste « l’économie de la nature – grâce à laquelle
la régénération environnementale a lieu – et l’économie de subsistance des gens – dans laquelle des
femmes produisent la subsistance pour la société grâce à leur travail gratuit ‘invisible’, appelé non-
travail – sont systématiquement détruits pour créer la croissance dans l’économie de marché 80 », ce
serait non seulement parce que de puissants intérêts économiques sont en jeu, mais aussi parce que
la théorie économique elle-même (libérale ou marxiste) a purement et simplement ignoré les deux
premières économies au profit de la troisième, seule prise en compte. Loin de considérer l'activité
de la nature (des sols et de leur micro-faune, des sources d'énergie, des animaux et plantes sauvages
ou domestiques, bref de tous les composants des écosystèmes et de la biosphère) et l'activité de
subsistance (assignée en particulier aux femmes) comme une part essentielle du travail productif et
même son fondement, y compris dans le régime capitaliste, les théories économiques les passent

77 Starhawk, « Le temps des bûchers », op. cit.


78 Starhawk, Femmes, magie et politique, op. cit
79 L'expression de « better sience » est récurrente dans l'épistémologie féministe, par exemple chez Sandra Harding,
Nancy Hartsock ou Donna Haraway. Elle récuse à la fois le monopole des sciences « manstream » (sic) et le
relativisme, en signifiant qu'il y a une pluralité de théories scientifiques valables, mais que toutes ne se valent pas.
80 Vandana Shiva, Ecoféminisme, op. cit., p. 93.
sous silence – « oubli » théorique aux graves conséquences pratiques.
Ce seraient donc des failles conceptuelles à corriger si l'on ne veut pas poursuivre par
ignorance et cécité le processus de « maldéveloppement » (Shiva) du capitalisme globalisé, qui
selon les écoféministes serait nocif aux femmes, à l'environnement, aux classes exploitées et aux
peuples du Sud. C'est à une telle rectification que s'emploie Shiva, en affirmant :
« Les deux principales économies sur lesquelles repose la vie sont l'économie de la nature, dont les
capacités de production dépassent de loin celles que pourra jamais atteindre l'humanité, que ce soit par
la pollinisation des insectes, le recyclage de l'eau, les cycles hydrologiques. Vient ensuite l'économie
durable, humaine, où nous produisons de quoi satisfaire nos besoins fondamentaux : l'eau, la nourriture
nécessaire à la vie, un abri pour nous protéger des excès de chaleur ou de froid. (…) Vient enfin, loin
derrière par son importance, l'économie de marché. (…) Elle se fait aussi aux dépens de l'économie
durable, sur laquelle sont fondées toutes les activités d'auto-organisation, de soins, la vie des familles
et des communautés.81 »

En ressuscitant la mémoire des sorcières, c'est-à-dire en rappelant le rôle crucial des


paysannes et gardiennes des semences, des guérisseuses, des grands-mères, des rituels magiques de
célébration du lien à la terre, des activités productrices et reproductrices non rémunérées dans les
économies soutenables des sociétés pré-capitalistes, l'écoféminisme veut ouvrir des pistes pour la
mise au point de modèles théoriques qui n'occulteraient plus ces fondements réels de la production,
ni par conséquent les limites nécessaires du marché et de la croissance. En fournissant au
mouvement des femmes et au mouvement altermondialiste et écologiste pour la décroissance un
grand récit favorisant l'empowerment, il s'agit de créer une « meilleure science » économique,
pourvoyeuse de concepts alternatifs et qui, elle, afficherait clairement ses enjeux politiques. Au
fond, c'est le concept même d'« économie » qui s'en trouverait renouvelé, subordonnant son sens
marchand à un sens plus large, ancré dans son étymologie grecque oikos (la maison) : pour les
écoféministes, amazones et sorcières d'aujourd'hui, l'économie devrait être ce par quoi nous rendons
le monde habitable.

81 Vandana Shiva, « L'économie de la nature », interview par Jason Francis :


http://www.partageinternational.org/revue_Partage_International/archives_Partage_International/pi231.php#Anchor2

Vous aimerez peut-être aussi