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Publications de l'École française

de Rome

La ville dans le nord de l'Illyricum (Pannonie, Mésie I, Dacie et


Dardanie) .
Bernard Bavant

Résumé
Les trois seuls sites de la région dont la documentation permette de bien suivre l'évolution du Ve au VIIe siècle sont
Sirmium, Gamzigrad et Caricin Grad. À Sirmium, une rupture se placerait fin IVe-début Ve siècle, avant même que la ville
échappe à l'Empire : désaffectation de grands bâtiments, pauvreté des réaménagements, rétraction des zones habitées,
pénétration des tombes intra muros. Gamzigrad, luxueuse résidence fortifiée bâtie au tout début du IVe siècle, devient
bientôt un bourg artisanal qui se ruralise dès la fin du Ve siècle. Caricin Grad, création artificielle de Justinien, n'est sans
doute d'abord qu'un centre monumental et administratif fortifié, transformé, au plus tard sous Justin II, en petite ville rurale
servant de lieu de refuge. L'analyse des trois sites donne la mesure d'une décadence des villes de la région, commencée
au Ve siècle, et qui ne fait que s'aggraver au siècle suivant.

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Bavant Bernard. La ville dans le nord de l'Illyricum (Pannonie, Mésie I, Dacie et Dardanie) .. In: Villes et peuplement dans
l'Illyricum protobyzantin. Actes du colloque de Rome (12-14 mai 1982) Rome : École Française de Rome, 1984. pp. 245-
288. (Publications de l'École française de Rome, 77);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1984_act_77_1_2515

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BERNARD BAVANT

LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM


(PANNONIE, MÉSIE I, DACIE ET DARDANIE)

L'évolution des villes à l'époque protobyzantine a été l'objet


d'appréciations divergentes. Selon que l'observateur porte son attention sur
le nombre des villes ou leur réalité matérielle, sur les églises ou
l'habitat, sur la permanence de l'artisanat ou la dégradation des techniques
de construction, il est amené à parler de maintien du fait urbain, voire
de renouveau de la vie urbaine, ou au contraire de déclin et de
décadence1.
Cette contradiction ne s'explique pas seulement par une évidente
diversité régionale, mais aussi par la difficulté que l'on éprouve à
définir, pour cette époque, ce qu'est la ville. Elle ne s'identifie plus
exactement, ni en droit ni en fait, à la cité2. Elle n'est pas non plus la ville au
sens moderne du terme; ou plutôt, parmi les composantes qui pour
nous la définissent (nombre des habitants, taille et organisation de
l'agglomération, activités non-agricoles de la majorité de la population. . .),
les hommes du VIe siècle privilégient de beaucoup le cadre
architectural : une ville est d'abord pour eux un ensemble de monuments3, un

1 On peut se reporter aux études générales suivantes : G. Ostrogorsky, Byzantine


Cities in the Early Middle Ages, dans DOP, 13, 1959, p. 47-66; E. Kirsten, Die
byzantinische Stadt, dans Berichte zum XI. int. Byz. Kongress (München, 1958), I, Munich, 1958, p. l-
48; F. Dölger, Die frühbyzantinische und byzantinisch beeinflusste Stadt, dans Atti del
3° Congresso int. di Studi sull'Alto Medioevo (14-18 Ott. 1956), Spolète, 1959, p. 65-100;
D. Claude, Die byzantinische Stadt im 6. Jhdt, Munich, 1969; V. Popovic, Desintegration
und Ruralisation der Stadt im Ost-Illyricum vom 5. bis 7. Jhdt n. Chr., dans Palast und
Hütte, Tagungsbeiträge eines Symposiums der Alexander von Humbolt-Stiftung (Berlin, 25-
30 Nov. 1979), Mayence, 1982, p. 545-566.
2 Sur l'effacement du jus civitatis en tant que critère nécessaire et suffisant pour
définir la ville, cf. D. Claude, Die byzantinische Stadt, p. 195 sq.
3 II est assez facile d'en dresser une liste : murailles, thermes, aqueducs et citernes,
églises, rues à portiques et places publiques, bâtiments administratifs et greniers . . .
246 BERNARD BAVANT

πόλεως σχήμα4, et, de plus en plus, les murailles apparaissent comme


l'élément principal de ce décor obligé, alors qu'elles appartiennent
aussi bien aux grandes métropoles qu'aux simples villages fortifiés.
À l'historien qui cherche à cerner la spécificité fonctionnelle des
villes, ou, si l'on préfère, à éclaircir l'évolution des rapports entre villes
et campagnes, l'archéologie des sites urbains5 devrait au moins
apporter des éléments de réponse sur quatre points : la concentration de la
population, les transformations de l'urbanisme, le sort des bâtiments
considérés individuellement, les activités économiques. Une telle
enquête devra d'abord se faire dans un cadre régional et prendre pour base
les sites où l'exploration a été à la fois suffisamment étendue et
attentive pour qu'on puisse se faire une idée précise de leur physionomie au
VIe siècle.
La région qui nous occupe ici (l'ensemble du diocèse dacique sauf
la Prévalitaine et le limes danubien) est d'une étendue considérable.
Mais la densité du réseau des cités y a toujours été faible6 et de vastes
zones, correspondant aux bassins de la Drina et de la Morava de
l'Ouest, étaient même restées à l'époque romaine vides de cités7.
Presque tous les sites urbains jalonnent ou avoisinent quelques grands axes :
le limes, la vallée de la Save (Sirmium), la grande transversale
balkanique (Singidunum, Horreum Margi, Naïssus, Remesiana, Serdica), la
voie Morava- Vardar ou les routes secondaires qui la rejoignent (Justi-
niana Prima, Ulpiana, Scupi) et la vallée du Strymon (Germania, Pauta-
lia).
Parmi les sites connus, il nous faut renoncer à interroger
directement ceux pour lesquels la documentation disponible est
manifestement trop restreinte. Ainsi, à Naïssus8, si l'on sait que la ville antique
correspond en gros à la forteresse du XVIIe siècle (avec un faubourg
sur la rive gauche de la Nisava), le tracé même des murailles de la bas-

4 D'abord et non uniquement : pour Procope encore, l'importance démographique


(πολυανθρωπία), l'étendue (μέγεθος) et l'activité commerciale sont essentielles au πόλεως
αξίωμα.
5 II est à peine besoin de souligner que l'étude des sites ruraux, qui en serait le
pendant indispensable, est encore dans l'enfance.
6 Nous retrouvons sur ce point l'opposition entre le nord et le sud de rillyricum qui a
été soulignée par M. Dagron.
7 Ce phénomène n'a pas été, jusqu'à présent, expliqué. Cf. P. Petrovic, Inscriptions de
la Mésie- Supérieure, IV : Natssus-Remesiana-Horreum Margi, Belgrade, 1979, p. 7.
8 P. Petrovic, Nisu anticko doba.Nis, 1976, et Inscriptions, p. 43-48.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 247

se époque impériale reste inconnu. Seule la découverte, dans la partie


sud de la forteresse turque, d'une petite nécropole paléochrétienne qui
s'est superposée à un édifice à hypocauste a pu faire supposer que la
superficie de la ville s'était réduite pendant la haute époque byzantine.
Même incertitude à Horreum Margi : l'étendue de la ville romaine
est approximativement connue, mais les quelques bâtiments fouillés
paraissent tous du IVe siècle, et nous ignorons leur sort ultérieur9. À
Remesiana, le tracé des murailles est assuré et l'on connaît au moins
trois nécropoles «tardives», mais l'organisation de la ville elle-même
reste inconnue10. À Germania, la réfection des remparts sous Justinien
paraît confirmée par les fouilles, mais les cinq bâtiments mis au jour à
l'intérieur des murailles n'ont pas été datés de facon précise, et nous
ignorons l'aménagement intérieur et la durée d'occupation du site11.
Nos connaissances sur Ulpiana sont presqu'aussi lacunaires : le site
comporte d'une part un castrum carré de 16 ha et d'autre part, à une
centaine de mètres seulement à l'ouest, une enceinte urbaine
trapézoïdale de 35 ha environ12. Les fouilles n'ont porté jusqu'à présent que sur
une partie des nécropoles nord13 et ouest et sur le quartier nord de la
ville. Les bâtiments qui y ont été découverts (la porte nord, une
basilique chrétienne, un bâtiment de destination inconnue et des éléments de
thermes) sont de chronologie discutée14.

9 D. Piletic, Rimski kastrum Cuprija-Horreum Margi, dans Vestnik Vojnog Muzeja, 15,
1969, p. 9-57; P. Petrovic, Inscriptions, p. 57-61.
10 P. Petrovic, Inscriptions, p. 53 (petite nécropole « de la basse Antiquité » ayant pris
la place d'un grand bâtiment du Haut-Empire, nécropole « des VIe- VIIe siècles » autour de
la basilique ouest) et p. 55 (nécropole sud pouvant dater de la fin du Ve siècle).
11 T. Ivanov, Archeologiceski proucvanija pri Sapareva Banja, dans Izvestija na Bulg.
Arch. Inst., 21, 1957, p. 211-232, et R. F. Hoddinott, Bulgaria in Antiquity, Londres, 1975,
p. 182-183 et 287.
12 Sur Ulpiana, cf. M. Parovic-Pesikan, Anticka Uîpiana prema dosadasnjim istrazivan-
jima, dans Starinar, 32, 1981, p. 57-74, qui fait le point des connaissances avant la reprise
des fouilles en 1982, et donne la bibliographie antérieure.
13 Un des seuls éléments attribuables en toute certitude au VIe siècle est une riche
tombe de femme gothe découverte dans cette nécropole. Cf. J. Kovacevic, Mercenaires
germains à Ulpiana c. 550, dans Actes du XIIe Congrès int. d'études byz., 3, 1964, p. 187-
192.
14 V. Popovic, (N. Duval et V. Popovic, Urbanisme et topographie chrétienne dans les
provinces septentrionales de l'Illyricum, dans Actes du Xe Congrès int. d'archéol. chrétienne
(Thessalonique, 28 sept.-4 oct. 1980), Thessalonique, 1981, p. 381) est porté à voir une
importante phase de construction au VIe siècle (basilique, thermes, réfection des tours de
248 BERNARD BAVANT

Serdica même est peu utile pour notre propos : le plan de la ville
est remarquablement connu grâce aux fouilles effectuées après la
Seconde Guerre mondiale15, mais il est difficile, dans l'état actuel de la
documentation publiée, de distinguer l'état du VIe siècle de celui du
IVe, sauf pour les murailles, qui furent restaurées sous Justinien, tout
en gardant le même tracé. Dans plusieurs articles, M. Stanceva a insisté
sur la continuité constatée entre Serdica antique et Sredec médiéval 16 :
le tracé des remparts et le réseau des rues ne changent pas; plusieurs
bâtiments publics (rotonde de Saint-Georges) et des demeures
aristocratiques, mais aussi des maisons plus modestes et des boutiques sont
utilisés au IXe-Xe siècle encore, au prix de simples réparations et
aménagements ; la nécropole autour de Sainte-Sophie reste en usage. Cette
continuité est due sans doute à un destin historique exceptionnel : prise par
les Avaro-Slaves en 614 ou 615, en même temps que Naïssus et Justinia-
na Prima 17, Serdica fut récupérée bientôt par les Byzantins (à une date
inconnue), avant d'être conquise par les Bulgares au début du IXe
siècle, alors que l'État bulgare avait déjà acquis une certaine maturité.
Mais nous manquons d'éléments pour nous faire une idée de l'aspect
concret de la ville aux VIIe-VIIIe siècles18.

la porte). Au contraire, M. Parovic-Pesikan (op. cit., p. 73-74) pense que les tombes
maçonnées entourant l'église sont des IVe-Ve siècles, et les tours de la porte du IVe
siècle.
15 Ces fouilles, qui ont précédé la reconstruction du centre ville bombardé, ont été
très étendues mais nécessairement rapides. Essentiel des résultats dans Serdika I, Sofia,
1964.
16 Cf. notamment M. Stanceva, Usvojavane na anticnoto nasledstvo na Serdika ot sred-
novekovnija Sredec (l'adoption de l'antique héritage de Serdica par Sredec médiéval), dans
Izvestija na Bui. Ist. druzestvo, 29, 1974, p. 209-222; Sofia au Moyen-Âge à la lumière de
nouvelles études archéologiques, dans Byzantino-bulgarica, 5, 1978, p. 211-228; Serdica aux
confins de deux époques, IVe-VIe siècle, dans Études historiques, 8, 1978, p. 107-122.
17 Le fait que la chute de Serdica et celle de Naïssus sont à peu près simultanées se
déduit des Miracula s. Demetrii, II, 2, 197 et 200 (P. Lemerle, Les plus anciens recueils des
Miracula de saint Démétrius. I. Le texte, Paris, 1979, p. 185-186). Ces événements sont de
peu antérieurs à l'attaque des Sklavènes de Chatzôn contre Thessalonique, qu'on doit
«placer en 615, à une année près en plus ou en moins» (P. Lemerle, op. cit., H, Le
commentaire, Paris, 1981, p. 94). La numismatique confirme cette date (V. Popovic, Aux
origines de la slavisation des Balkans : la constitution des premières sklavinies macédoniennes
vers la fin du VIe siècle, dans CRAI, 1980, p. 246 sq.).
18 M. Stanceva (Sofia au Moyen-Âge, p. 221) suppose, pour expliquer la situation du
IXe siècle, que «lors de la prise de Serdica par les Bulgares, la ville était un centre bien
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 249

Pautalia et Scupi, encore peu explorées, ont une intéressante


caractéristique commune : celle de posséder une forteresse protobyzantine
dominant la ville antique. À Pautalia, la colline de l'Hissarluk, fortifiée
peut-être dès la fin du IVe ou le début du Ve siècle, est à proximité
immédiate de la ville19. Le cas de Scupi est plus complexe20 : il semble
aujourd'hui admis que la ville antique, qui couvrait une quarantaine
d'hectares intra muros, avait perdu de son importance dès avant le
tremblement de terre de 518, mais qu'elle ne fut pas complètement
abandonnée après cette date21. Aux environs, plusieurs collines furent
fortifiées, sans doute au VIe siècle. L'un de ces fortins, Markovi Kuli,
situé à 6 km au sud-est de l'antique Scupi, a retenu particulièrement
l'attention. Dominant la plaine de 300 m, il couvre environ 4 ha et s'éta-
ge en trois terrasses. La plus haute, à l'ouest, comporte un bastion
avancé, des tours triangulaires et deux citernes. La terrasse
intermédiaire, où l'on a repéré plusieurs grands bâtiments, est pourvue de
tours pentagonales et d'une grande porte au sud22. Les limites de la
terrasse orientale sont moins nettes sur le terrain; elle se prolongeait
vers l'est par un vaste faubourg non fortifié. Cette disposition
d'ensemble n'est pas sans rappeler Caricin Grad. La fouille dira peut-être si la
fondation de Markovi Kuli correspond, comme on l'a supposé, à un
déplacement d'une partie de la population de Scupi.

entretenu ». Mais les Bulgares ne la repeuplent que progressivement. À quand remontait


donc la dépopulation précédente? Quels avaient été les effets de la conquête avare, et de
la reconquête byzantine? Le niveau d'occupation s'est élevé, entre le IVe siècle et le haut
Moyen-Âge, de 1,20 m à 2 m selon les endroits. Cet exhaussement est-il dû à des couches
de destruction nivelées? À des remblais successifs? Et de quelle époque? Autant de
questions auxquelles on espère que les fouilles futures, même limitées, pourront répondre.
19 Sur Pautalia, cf. Z. Goceva, Les fouilles sur le Hisarlàk de Kjustendil (Pautalia), dans
Musei i pametnici na kulturata, 1966, 4, p. 53 sq.; Krepost na mestnostta Chisarluka ν grad
Kjustendil, dans Izvestija na Bulg. 1st. druzestvo, 27, 1970, p. 233-254; R. F. Hoddinott,
Bulgaria in Antiquity, p. 285-286.
20 Sur Scupi, cf. I. Mikulcic, From the topography of Scupi, dans Archlug, 14, 1973,
p. 29-35, et D. Koracevic, The status of the Scupi archaeological researches, dans Macedo-
niae Ada Archaeologica, 3, 1977, p. 143-180.
21 Les édifices fouillés sont peu nombreux et datés de façon imprécise. La dernière
phase importante de construction paraît être du IVe siècle, mais quelques bâtiments
(celui situé à l'ouest de la basilique ouest, ainsi que la basilique chrétienne est) sont
certainement postérieurs.
22 La forme des tours et la porte sud formant un rentrant semi-circulaire iraient
assez bien avec une datation sous Justinien.
250 BERNARD BAVANT

Au total, il n'est guère que trois sites dont la documentation


disponible permette d'essayer de retracer l'évolution : Sirmium, Gamzigrad
et Caricin Grad; trois cas si différents qu'il nous faudra les examiner
successivement.

SIRMIUM

Installée sur la rive gauche de la Save, à l'arrière du limes


danubien, la ville de Sirmium était depuis Dioclétien capitale de la province
de Pannonie Seconde et du diocèse pannonien23. Au IIIe siècle et
surtout au IVe, les empereurs y firent des séjours fréquents. Dans la
seconde moitié du IVe siècle, elle fut à deux reprises siège de la préfecture du
prétoire d'Illyricum lorsque celle-ci était constituée en entité séparée. À
la fin du IVe siècle et au début du Ve, lors des divers partages des
diocèses balkaniques entre Orient et Occident, Sirmium et la Pannonie sont
rattachées en général à l'Occident, et cette situation ne change qu'en
426 ou 437, lorsque l'Empire d'Occident renonce à ses prétentions sur
l'Illyricum. C'est sans doute alors que Sirmium devient siège d'une
préfecture du prétoire dans le cadre de l'Empire d'Orient24.
En fait, au nord de la Save, l'Empire ne contrôle guère alors que
les environs immédiats de la ville, le reste de l'ancien diocèse
pannonien étant passé définitivement aux mains des barbares25. En 441 sans
doute, Sirmium tombe au pouvoir des Huns et y reste jusqu'à la chute
de leur empire en 453. Dès 455 les Ostrogoths s'installent en Pannonie :
bien que Sirmium fasse toujours partie en principe de l'Empire
d'Orient, elle est en fait au pouvoir des Goths26. En 474, le repli des
Goths profite aux Gépides qui installent à Sirmium leur capitale27, mais

23 Présentation du site et des grandes lignes de son histoire : N. Duval, Sirmium


«vil e impériale» ou «capitale»?, dans CCAB, 26, 1979, p. 53-59.
24 M. Mirkovic, Sirmium. Its History from the I Century A.D. to 582 A.D., dans
Sirmium, Archaeological Investigations in Syrmian Pannonia, I, Belgrade, 1971, p. 5-95, en
particulier p. 42-43.
25 Au VIe siècle, le Synekdémos d'Hiéroklès ne mentionne, en Pannonie, que les villes
de Sirmium et de Bassianae (Le Synekdémos d'Hiéroklès et l'opuscule géographique de
Georges de Chypre, éd. E. Honigmann, Bruxelles, 1939, p. 21).
26 E. Stein, Histoire du Bas-Empire, t. I, Paris-Bruxelles- Amsterdam, 1959, p. 353 et
notes p. 588.
27 Sur les Gépides à Sirmium, cf. M. Mirkovic, op. cit., p. 51.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 251

Théodoric récupère la Pannonie en 504, et un traité gotho-byzantin de


510 reconnaît cette annexion, en ne laissant aux Byzantins, sur la rive
gauche de la Save, que la ville de Bassianae28. En 535, Justinien
parvient à reprendre Sirmium avec l'aide des Gépides, mais ces derniers
s'en emparent à nouveau dès l'année suivante. Sirmium ne redeviendra
byzantine qu'en 567, lorsque Justin II put tirer profit de la rivalité entre
Lombards et Gépides pour se faire remettre Sirmium par les seconds.
Mais ce conflit avait frayé la voie aux Avars, et Sirmium restera sous la
menace avare jusqu'à sa chute définitive en 582 29.
Les fouilles archéologiques, poursuivies systématiquement depuis
1957, sont menées dans des conditions difficiles en raison de la
présence de la ville moderne et du mauvais état de conservation des ruines.
Elles ont pourtant permis de connaître à peu près l'extension de la
ville, certains éléments du plan, un nombre appréciable de bâtiments
publics, et quelques parties des quartiers d'habitation. L'état de la ville
que nous font le mieux connaître les fouilles est celui du IVe siècle. Il
semble en effet que Sirmium ait subi une reconstruction générale à
l'extrême fin du IIIe et dans la première moitié du IVe siècle, et ne
connut jamais par la suite de vague de construction d'une telle ampleur30.
Nous nous bornerons donc à présenter les éléments des bâtiments du
IVe siècle essentiels à la compréhension des phases tardives (fig. 1).
Le tracé de l'enceinte, assez irrégulier, est relativement bien connu
au nord et au sud, très peu à l'ouest, et pas du tout à l'est31. Au nord,
on a retrouvé les restes d'une première enceinte en bois qui fut
remplacée, dès le IIe siècle, par un mur en dur. À l'ouest, on connaît l'angle
nord-ouest de la muraille. Au sud, le tracé forme plusieurs rentrants.
Dans la localité 31, on a prouvé qu'il avait existé deux murs successifs :
le plus ancien, rectiligne, date du IIIe siècle au plus tard, tandis que le
plus récent, situé quelques dizaines de mètres plus au sud et présentant
un brusque décrochement vers l'ouest, doit être du début du IVe siè-

28 E. Stein, Histoire du Bas-Empire, t. II, Paris-Bruxelles-Amsterdam, 1949, p. 156.


29 Sur les événements de 567-582, cf. M. MirkoviC, op. cit., p. 52-57.
30 V. Popovic, A Survey of the Topography and urban Organisation of Sirmium in the
late Empire, dans Sirmium, I, p. 119-148, en particulier p. 120 et 129. Les divers secteurs
de fouille («localités») sont portés sur la fig. 1.
31 Ibid., p. 122; F. Baratte, Sirmium, topographie et urbanisme: état des recherches,
dans MEFRA, 86, 1974, p. 603-604.

Fig. 1 - Sirmium. Plan d'ensemble avec l'emplacement des secteurs fouillés (d'après
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 253

.
cle32. À l'est, l'emplacement de la muraille ne peut être que conjecturé
d'après la position des marais et des nécropoles. La surface entourée
par les murs devait être légèrement inférieure à 100 ha.
Les plans publiés comportent quelques segments des principales
artères 33 : une longue rue est-ouest qui passe entre le cirque et une
grande villa, puis oblique légèrement vers le nord et traverse des
quartiers d'habitation avant d'atteindre le quartier monumental et de se
raccorder à une autre rue perpendiculaire; plus au nord, un tronçon
repéré sur près de 200 m et un petit segment perpendiculaire dans la
localité 36; enfin, au sud-ouest de la ville, une rue qui devait donner accès au
port. Nulle part on ne signale, ni pour les remparts ni pour les rues,
d'état sûrement postérieur au IVe siècle. Il en va autrement pour les
bâtiments.
Le quartier monumental était vraisemblablement situé dans la
partie ouest de la ville. Deux bâtiments y sont assez bien connus :
a) Des thermes (loc. 29) dont la moitié environ a été dégagée, et
qui ont connu deux états, dont le plus récent serait du début du IVe
siècle34. S'il s'agissait, comme on l'a supposé, des grands thermes dont
parle Ménandre, et sur lesquels les habitants de Sirmium étaient
montés pour guetter les Avars, il faudrait en conclure qu'ils sont restés en
assez bon état jusqu'à la fin du VIe siècle35. Au-delà de la rue qui borde
ces thermes à l'ouest a été trouvé un groupe d'une quinzaine de tombes
avares.
b) Au sud des thermes, une grande pièce légèrement
trapézoïdale (loc. 30) bordée de portiques au nord et au sud, divisée en cinq nefs
par de gros piliers, et dans laquelle il faut voir sans doute un hor-
reum36. L'édifice est mal daté, mais, comme les thermes, il se
superpose à un bâtiment qui était sans doute de même destination. Ici non plus,

32 N. Duval et V. Popovic, Sirmium VIL Horrea et thermes aux abords du rempart sud.
1. Architecture, Rome, 1977, p. 24 et 101 ; N. Duval, Sirmium, p. 68.
33 N. Duval, Sirmium, p. 70.
34 M. Parovic-Pesikan, Arheoloska istrazivanja antickog Sirmijuma 1957-1967 godine,
dans Starinar, 19, 1968, p. 86; V. Popovic, Survey, p. 126; F. Baratte, op. cit., p. 608;
N. Duval, Sirmium, p. 72.
35 Ménandre le Protecteur, Excerpta de legationibus, 27, éd. C. de Boor, Excerpta hts-
torica, II, Berlin, 1903, p. 456.
36 V. Popovic, Sirmium, ville impériale, dans Akten des VIL int. Kongresses für
christliche Archäologie (Cité du Vatican, 1965), Berlin, 1969, p. 668 et Survey, p. 126-127; F.
Baratte, op. cit., p. 608-610; N. Duval, Sirmium, p. 74.
254 BERNARD BAVANT

les rapports, succints, ne parlent pas de niveaux tardifs. La trouvaille,


sur place, de moulins à blé, peut donner à penser que cet horreum est
resté en usage assez longtemps37. En face de Y horreum se trouve un
bâtiment à abside (peut-être une basilique civile?) daté lui aussi du IVe
siècle, et dont seule une petite partie a été fouillée. C'est enfin dans ce
secteur qu'on a dégagé un dallage qui pourrait avoir été celui du
forum 38.
Le «quartier monumental» du IVe siècle s'étendait également à l'est
de l'actuelle rue Boris Kidric (loc. 59), où des fouilles ont été effectuées
en 1978. Ici, la destruction des édifices est marquée par une épaisse
couche d'incendie, datée par les trouvailles monétaires de l'extrême fin
du IVe siècle ou du début du Ve39. Par la suite, la couche de destruction
fut soigneusement nivelée et l'on construisit par-dessus une église (dite
«église urbaine», car c'est la seule connue pour l'instant intra muros)
qui réutilise une partie des murs antérieurs, sauf pour son abside. Dans
une couche située entre cette abside et le sol du bâtiment du IVe siècle
a été trouvée une monnaie frappée entre 394 et 402. Les monnaies
indiquent d'autre part que cette église fut surtout utilisée au Ve siècle.
Autour de cette église s'est développée une petite nécropole : 26
tombes ont été fouillées. Elles étaient creusées dans la couche de
destruction des bâtiments du IVe siècle, et ont, au nord-est de l'église,
crevé un pavement qui avait appartenu à une place ou à une cour. Ces
tombes possèdent le plus souvent une couverture de tuiles. Le mobilier
funéraire comprend des monnaies de la fin du IVe siècle, des couteaux,
des fibules de fer sans doute du Ve siècle, des peignes de corne.
L'absence d'élément sûrement postérieur au milieu du Ve siècle, et
notamment de tout objet de caractère germanique, incite à attribuer cette
petite nécropole à une population romanisée, et à la dater d'avant la
prise de la ville par les Huns en 441.
Enfin, toujours dans la même zone, on a noté des murs faits de
matériaux de remploi liés à l'argile, et appartenant sans doute à un
quartier d'habitation pauvre du Ve siècle. Mais d'autres éléments de ce
quartier semblent plus tardifs : il s'agit de petites constructions à demi
enterrées faites de fragments de briques, de huttes de bois, de foyers

37 V. Popovic, Survey, p. 127.


38 N. Duval, Sirmium, p. 71.
39 V. Popovic, Desintegration und Ruralisation, p. 550.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 255

dispersés. D'après le matériel, il paraît probable que cet habitat, formé


au Ve siècle, a continué de se développer au VIe40.
Vers l'est et le sud s'étendait un quartier d'habitation assez mal
connu (loc. 22, 2, 16 et 36). Dans la localité 36, il s'agit sans doute de
boutiques alignées le long d'une rue secondaire en arrière d'un
portique. Dans la localité 2, l'espacement régulier de murs assez rapprochés
a pu faire penser à des immeubles de rapport (insulae)41. L'existence de
plusieurs phases est probable dans la localité 22, mais nous ignorons
leur chronologie.
Dans l'angle sud-ouest de la ville (loc. 28), on connaît relativement
bien une partie d'un quartier artisanal où l'on a pu identifier
notamment un four de verrier42. Le plan en est assez clair et comporte trois
phases dont la datation n'est malheureusement pas très sûre. Dans un
premier temps fut établie une rue à portiques avec de part et d'autre
deux séries de bâtiments rectangulaires, d'une ou deux pièces, de
profondeur variable, séparés par des ruelles. Puis, des constructions
vinrent s'appuyer au rempart, et occuper un espace demeuré d'abord
libre. Enfin, on ajouta aux bâtiments des pièces annexes, on subdivisa
les pièces, et l'on boucha par endroits les intervalles entre les piliers
des portiques. Signalons enfin dans l'arrière-cour deux tombes «tardo-
romaines ou germaniques».
Plus à l'est, nous rencontrons les restes de ce qui serait une villa à
atrium (loc. 1, 5, 14, 38). Le plan est à la vérité très partiel et peu lisible.
Notons seulement dans cet ensemble (loc. 5) la présence de sept tombes
miniature qui contenaient des ossements d'adultes, ainsi que de trois
tombes du même genre dans un petit ensemble d'habitations voisin,
encore inédit (loc. 49). Ces groupes de tombes sont à rapprocher
chronologiquement de la nécropole proche de Γ« église urbaine». Leur
présence ne signifie d'ailleurs pas l'abandon de cette zone : on a noté, dans
la localité 49, les traces d'une restauration des bâtiments peut-être
postérieure à la réoccupation byzantine de 567 43.
La localité 3 1 (fig. 2) compte parmi les quartiers de Sirmium les
mieux connus et publiés44. Elle comporte essentiellement des horrea de

40 V. Popovie, Desintegration und Ruralisation, p. 550 et 552.


41 V. Popovic, Survey, p. 122; N. Duval, Sirmium, p. 71.
42 V. Popovic, Survey, p. 124; F. Baratte, op. cit., p. 612.
43 V. Popovic, Desintegration und Ruralisation, p. 552.
44 N. Duval et V. Popovic, Sirmium VII.
256 BERNARD BAVANT

MUR V

Fig. 2 - Sirmium. Les horrea de la loc. 31 (d'après N. Duval, Sirmium, fig. 4).
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 257

deux types : l'édifice B, divisé en deux nefs par une série de piliers, qui
est venu s'adosser contre le rempart primitif sans doute dès avant sa
destruction, et l'édifice A, formé de deux rangées de cellules disposées
de part et d'autre d'une cour centrale, qui a pris place entre les deux
remparts, et s'appuie au sud et à l'ouest au rempart du second état. Au
nord, deux autres bâtiments ont été fouillés en partie : de petits
thermes (édifice C) et un bâtiment chauffé (édifice D) dont on ne connaît
que l'extrémité sud. Tout le quartier a été fortement endommagé par
une inondation de la Save de la fin du IVe ou du début du Ve siècle. La
couche d'argile fluviale apportée par cette inondation est
particulièrement nette dans la cour séparant les bâtiments A et D et dans les pièces
nord du bâtiment A45.
Il semble pourtant que ces bâtiments ont connu une utilisation
ultérieure. Tout d'abord, le bâtiment D subit une réparation à la suite
de l'écroulement de son mur sud46, et reçut un nouveau praefurnium47 ;
d'autre part ont été retrouvés dans une pièce nord du bâtiment A
plusieurs milliers de fragments d'amphores dont certaines portent des
lettres grecques peintes sur le col ou la panse, et qui dateraient du VIe
siècle48. Il semble donc probable qu'on a remployé les pièces nord du
bâtiment A comme entrepôt, non plus pour des grains mais pour des
liquides49. La partie sud du bâtiment ne paraît pas avoir été réutilisée
comme magasin. On y a noté l'installation d'une maison dont le
premier état pourrait être d'époque byzantine50. Enfin, deux tombes ont
été trouvées à l'extérieur du rempart sud, et une troisième près de la
tour ronde51. Elles appartenaient sans doute à une petite nécropole
installée dans ce secteur au VIe siècle.
Plus à l'est encore, nous trouvons, dans les localités 37 et la, les
restes de ce que l'on a parfois qualifié de «palais impérial». Telles
qu'elles se présentent aujourd'hui, et étant donné qu'il n'est guère
possible d'étendre la fouille, ces ruines n'ont pas d'unité apparente52. On

*5Ibid., p. 91.
«Ibid., p. 79-81.
47 Ibid., p. 82 et 98.
48 Ibid., p. 53 et 92. Ces amphores n'étaient pas toutes juste au-dessus du niveau de
réutilisation, mais mêlées en partie aux couches de destruction supérieures.
"Ibid., p. 60-61.
50 Ibid., p. 94.
51 Ibid., p. 97 et 109.
52 Dernière mise au point sur ce secteur : N. Duval, Sirmium, p. 75-78, qui exprime
258 BERNARD BAVANT

distingue : à l'ouest l'extrémité orientale d'un grand bâtiment chauffé;


au nord, dans un secteur souvent remanié, plusieurs pièces dont
plusieurs sont chauffées et deux pourvues de mosaïques, ainsi qu'une salle
à abside venue s'intercaler entre deux bâtiments antérieurs; au centre,
un petit édifice isolé, carré, qui devait être couvert d'une voûte ou
d'une coupole; au sud, quatre salles plus petites. Il s'agit certainement
de bâtiments publics, qui ont été construits pour l'essentiel au IVe
siècle, et ont recouvert, au nord notamment, des édifices plus anciens.
Seules les pièces sud pourraient être postérieures au IVe siècle.
L'occupation tardive est attestée par deux tombes découvertes dans l'angle
nord-est du grand bâtiment occidental, où elles ont détruit une
mosaïque, et par des foyers établis au-dessus des mosaïques dans les pièces
nord. Enfin, des constructions légères auraient occupé l'espace
découvert autour du petit édifice carré. D'après les trouvailles, l'ensemble de
ce niveau d'occupation serait des Ve-VIe siècles53.
Au nord-est de la localité la se trouve l'hippodrome, bien connu
surtout dans sa partie sud-est. Construit au début du IVe siècle, sous
Licinius ou Constantin, il fut rebâti, après une première destruction,
mais perdit sa fonction primitive dès avant la fin du IVe siècle, et fut
aussitôt utilisé comme carrière. Mais il présente aussi les traces d'une
occupation tardive assez diversifiée54.
Dans l'arène, ces traces ne se trouvent que contre le mur intérieur.
Il s'agit de deux sols superposés et fragmentaires, situés 20 à 30 cm
au-dessus du niveau de la piste, et auxquels sont associés des foyers en
briques, une pierre de meule, des couches de cendre, un peu de
céramique grise ou glaçurée et des monnaies dont les plus récentes sont de
Théodose Ier. Comme on n'a pas retrouvé de murs correspondant, on
suppose l'installation, aux Ve- VIe siècles, de huttes en matériaux légers
venues s'appuyer au mur intérieur de l'hippodrome avant sa chute
définitive, puisque les couches de destruction viennent recouvrir ce
niveau tardif.
Certaines des pièces qui portaient les tribunes ont vu leurs voûtes

les plus sérieuses réserves sur l'emploi du terme «palais impérial», et dont je résume ici
les conclusions.
53 O. Brukner, Iskopavanja u Sirmiumu 1957-1960 godine, dans Limes u Jugoslaviji, I,
Belgrade, 1961, p. 77.
54 V. Popovic et E. L. Ochsenschlager, Der spätkaiserliche Hippodrom in Sirmium,
dans Germania, 54, 1976, p. 156-181.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 259

s'effondrer dès le Bas-Empire. Dans ce cas, on a retrouvé au-dessus de


la couche de destruction de la voûte des couches alternées de terre
brûlée et de détritus contenant beaucoup d'ossements animaux et du
matériel des Ve-VIe siècles. En un seul point, on a pu repérer des traces de
sol.
Dans le cryptoportique situé en arrière des tribunes, le sol primitif
est jonché d'un mélange de sable et de cailloutis (provenant sans doute
de l'arène) que recouvre une épaisse couche verdâtre contenant des
galets et des squelettes de chevaux. Puis vient une série de couches de
cendre, de suie, de terre contenant des fragments de tuiles, des
morceaux de fresques et des ossements. Enfin, plus de deux mètres
au-dessus du sol du cryptoportique, on trouve les couches de destruction de la
galerie qui le surmontait, et des murs. D'après les monnaies et la
céramique, en partie plus ancienne que celle de l'arène et des pièces sous
les tribunes, il paraît certain qu'on a utilisé le cryptoportique, dès le
dernier quart du IVe siècle, comme dépotoir, en jetant de temps en
temps de la terre sur les détritus, ou en les faisant brûler. La galerie
supérieure ne se serait écroulée qu'au VIe siècle.
L'espace séparant l'hippodrome du bâtiment qui le flanque au sud
a été coupé par un mur lié à l'argile, auquel correspond un sol de terre
jaune. Cet espace semble avoir été en partie couvert. Le terminus post
quem de cet aménagement est constitué par des monnaies de la fin du
IVe siècle. Cette couche jaune se retrouve dans le bâtiment sud, où elle
est associée à un muret de briques, et a livré de nombreux fragments
d'amphores byzantines. Il semble donc qu'on ait réutilisé cet espace,
peut-être découvert à l'origine55, comme entrepôt. Signalons enfin
quelques tombes isolées (du Ve siècle?), trouvées au sud-est et à l'est de
l'hippodrome.
L'histoire de ce secteur pourrait donc se retracer ainsi :
- Dès le dernier quart du IVe siècle, le cirque, abandonné, sert
de carrière, tandis que le cryptoportique est utilisé comme dépotoir par
les maisons voisines.
- Au Ve siècle, une petite installation prend place en bordure de
ce qui avait été l'arène, et utilise comme décharge l'emplacement des
anciennes tribunes, déjà démontées en partie.
- Enfin, au VIe siècle, on réutilise le bâtiment au sud de
l'hippodrome, en y établissant de petits entrepôts.

55 F. Baratte, op. cit., p. 616.


260 BERNARD BAVANT

Fig. 3 - Sirmium. La villa avec thermes (loc. 4) : en trait épais, les constructions tardives
(d'après V. Popovic, Desintegration und Ruralisation, fig. 9).

Au nord de l'hippodrome (loc. 4 et 35) s'était installée, vers le


milieu du IVe siècle, une vaste villa (fig. 3) centrée sur une cour à
portiques, qui avait réuni en les transformant des bâtiments antérieurs,
notamment de petits thermes56. Vers le sud, cette villa s'étendait
jusqu'à la grande rue est-ouest. Ses limites est et ouest sont mal connues.
Elle fut détruite, semble-t-il, par un incendie partiel à la fin du IVe
siècle ou dans la première moitié du Ve57. La partie sud ne fut pas
réutilisée, mais on remarque, au nord, des foyers tardifs et des murs faits de
fragments de briques liés d'un mauvais mortier. Ces murs cloisonnent
le portique et rétrécissent l'entrée de certaines pièces; au nord, ils
s'établissent au-dessus d'un praefurnium démoli. Ce niveau d'occupation n'a

56 M. Parovic-Pesikan, Excavation of a late roman villa at Sirmium, dans Sirmium II,


Belgrade, 1971, p. 15-49, et Sirmium III, Belgrade, 1973, p. 1-44. Cf. aussi F. Baratte, op.
cit., p. 613-616.
57 M. Parovic-Pesikan dans Sirmium II, p. 30 et 33, et Sirmium III, p. 17.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 261

pas livré de monnaie, mais des fragments de céramique grise (dite


«gépide») de la fin du Ve et de la première moitié du VIe siècle58. Nous
avons donc affaire à un petit habitat de la période gépide et gothique.
De la même époque date un gros mur rectiligne large de 1,30 m,
qui a été dégagé sur près de 25 m. Ce mur n'est pas fondé. Il est formé
de pierres de récupération et de quelques briques, le tout lié par un
mauvais mortier. Son orientation (nord-ouest-sud-est) ne correspond à
celle d'aucun des bâtiments connus du quartier, et sa destination est
inconnue. On a pensé à un rempart tardif. L'hypothèse demanderait à
être vérifiée59. Deux tombes, dont une germanique, ont été trouvées
dans ce secteur, toutes deux au nord des thermes.
Tout au nord de la ville se trouve un dernier quartier d'habitation,
assez confus60. On y distingue deux maisons, dont l'une possède une
pièce à abside61. Mais la fonction du vaste péristyle situé au nord de cet
ensemble est peu claire : on a proposé d'y voir un marché. Quoi qu'il en
soit, ce quartier a certainement été plusieurs fois remanié et sa
chronologie relative reste mal connue.
Au total, l'évolution de la ville de Sirmium aux Ve-VIe siècles ne
peut être retracée que de façon fragmentaire. Nous distinguons
cependant quelques faits majeurs.
Tout d'abord, de grands bâtiments publics ou des quartiers
importants subissent à la fin du IVe et au début du Ve siècle des
détériorations profondes. Les causes en sont variées : ce peut être l'abandon pur
et simple (hippodrome), ou un accident (incendie dans les localités 59
et 4, inondation dans la localité 31). Ce qui marque vraiment une
rupture dans l'évolution de la ville, c'est qu'on n'entreprend plus alors de
restaurations et de réparations étendues.
Le parti adopté est variable : dans un seul cas (loc. 59) on nivelle le
secteur et on construit un bâtiment nouveau (notons qu'il s'agit d'une
église). Parfois, on réutilise les bâtiments, en partie au moins, pour un
usage voisin de leur destination d'origine (bâtiment A de la loc. 31);
parfois, on laisse simplement le secteur à l'abandon (loc. 35); plus sou-

58 M. Parovió-Pesikan dans Sirmium II, p. 36 et fig. 80, pi. XXV.


59 M. Parovic-Pesikan dans Sirmium II, p. 30. Nous savons par Ménandre (éd. cit., II,
p. 475) que les Byzantins renforcèrent les défenses de Sirmium au début du
gouvernement de Tibère. S'il s'agit de la construction d'un nouveau rempart, on ne l'a pas, jusqu'à
présent, identifié de façon sûre (Cf. V. Popovic, Survey, p. 131).
60 V. Popoviô, Survey, p. 124.
61 Sur cette maison, cf. F. Baratte, op. cit., p. 611-612.
262 BERNARD BAVANT

GRAEBER
Τ Barbarische, 4.-5. Johrh.
+ Römische/ S.Jahrh.
Τ Germanische, S-6. Jahr h.

Fig. 4 - Sirmium. Emplacement des tombes (d'après V. Popovic,


Desintegration und Ruralisation, fig. 3).

vent, on adapte tant bien que mal à un usage nouveau (habitat pauvre,
petits entrepôts) les lieux qui s'y prêtent le moins mal : les portiques
(loc. 4), les cours intérieures (loc. la), les espaces étroits (entre
l'hippodrome et le bâtiment sud), ou ceux qui jouxtent de gros murs encore
debout (hippodrome, bâtiment au sud de l'hippodrome). Au contraire,
de grands bâtiments du IVe siècle servent seulement de dépotoir
(cryptoportique de l'hippodrome) ou à l'établissement de tombes (bâtiment
au sud de la loc. la). Nous assistons en effet, dès le Ve siècle, à une
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 263

sorte d'interpénétration de l'habitat et des nécropoles : les tombes


(fig. 4), isolées ou en petits groupes, commencent à s'installer à
l'intérieur des murs, à proximité immédiate des noyaux habités62.
Cette évolution n'empêche pas que certains bâtiments du IVe siècle
restent en usage très tard, de même que certains quartiers (quartier des
ateliers) qui subissent seulement des subdivisions et adjonctions visant
à l'utilisation maximale de l'espace disponible. Nous constatons même
des réparations parfois assez importantes (loc. 49, bâtiment D de la
loc. 31).
Tel serait le mouvement d'ensemble. Il est pourtant impossible,
dans l'état actuel de la documentation, de déterminer l'extension des
zones habitées à partir du Ve siècle. L'hypothèse la plus plausible paraît
être celle-ci : au cours du Ve siècle, l'habitat se rétracte, et l'on voit se
constituer des groupes d'habitations de plus en plus isolés les uns des
autres; au VIe siècle n'est plus peuplée en fait que la partie sud de la
ville, le long de la Save (où étaient regroupées, au IVe siècle, les
constructions à destination économique: port, entrepôts, ateliers)63. Ce
schéma, qui paraît vraisemblable si l'on tient compte de la ruine
progressive du système d'aqueducs romains, se fonde surtout sur la
répartition des trouvailles monétaires64. On l'acceptera pourtant avec
prudence, car la moitié sud de la ville antique a été jusqu'à présent plus
intensément explorée que la moitié nord. De nouvelles fouilles et
l'étude de la répartition topographique des différents types de céramique65
pourront compléter et nuancer ce tableau.

62 Cf. V. Popovic, Desintegration und Ruralisation, p. 550, qui note, pour le Ve siècle,
que les tombes attribuables à des fédérés germaniques prennent place dans les anciennes
nécropoles extra muros (au nord-est et surtout au nord-ouest de la ville), alors que les
sépultures à l'intérieur de la ville appartiennent à la «population romanisée».
63 On ignore le sort des faubourgs qui devaient être, au IVe siècle, étendus et peuplés.
L'hypothèse selon laquelle le principal établissement de la seconde moitié du VIe siècle
aurait été situé sur la rive droite de la Save (Macvanska Mitrovica) n'a pas été confirmée
par l'archéologie et est aujourd'hui abandonnée. Cf. V. Popovic, Survey, p. 131 ; sur
Macvanska Mitrovica, cf. D. Minic, Le site d'habitation médiéval de Macvanska Mitrovica,
dans Sirmium XI, Belgrade, 1980 et S. Ercegovic-Pavlovic, Les nécropoles romaines et
médiévales de Macvanska Mitrovica, dans Sirmium XII, Belgrade, 1980.
64 V. Popovic, Catalogue des monnaies byzantines du musée de Srem, dans Sirmium
VIII, Rome-Belgrade, 1978, p. 193 et Desintegration und Ruralisation, p. 553 et fig. 12,
p. 556.
65 Cette étude est en cours au centre de documentation de Sremska Mitrovica.
264 BERNARD BAVANT

GAMZIGRAD

Gamzigrad se situe en province de Dacia Ripensis, près de la ville


actuelle de Zajecar66. Le tracé des voies antiques de cette région n'est
pas connu avec certitude, mais on a pu montrer que l'intersection des
routes Aquae-Naïssus et Bononia-Horreum Margi devait se trouver tout
près de Zajecar, soit à une quinzaine de kilomètres à l'est de
Gamzigrad67.
Le site fortifié, placé au confluent de deux ruisseaux, présente la
forme d'un trapèze irrégulier d'environ 6,5 ha (fig. 5). Les fouilles n'ont
guère porté que sur une partie des remparts, un ensemble de bâtiments
du secteur nord-ouest et un temple de position presque centrale. Elles
ont permis de déterminer les grandes lignes de l'histoire du site, mais
le caractère limité de l'exploration archéologique explique que les
discussions sur la nature de la forteresse, sa destination d'origine et son
identification soient loin d'être closes68. Les recherches récentes ont
montré qu'il ne s'agissait ni d'une cité ni d'un camp militaire, mais
d'une luxueuse résidence fortifiée, peut-être prévue (ou réaménagée?)
pour servir de lieu de séjour impérial69.
Les remparts ont connu deux phases. Du premier état70, on ne
connaît qu'une partie de la courtine ouest, avec la porte occidentale, qui
était flanquée de deux tours octogonales, et une tour carrée, qui était

66 Sur Gamzigrad, la publication la plus importante est M. Canak-Medic, Gamzigrad.


Kasnoanticka palata. Arhitektura i prostorni sklop (en serbe avec résumé français),
Belgrade, 1978, qui renvoie aux travaux antérieurs, et dont on comparera les conclusions à
celles de D. Srejovic, A. Lalovic et Dj. Jankovic, Gamzigrad, dans Starinar, 31, 1980, p. 68-
80.
67 M. Canak-Medic, Gamzigrad, p. 19-22.
68 On avait d'abord fait de Gamzigrad la résidence d'un dux limitis ou le centre
d'exploitation des mines de la région (Dj. Mano-Zisi), voire même une véritable ville (A. Moc-
sy). L'identification de Gamzigrad avec la Romuliana d'Aurelius Victor et de Procope a
été proposée par Dj. Mano-Zisi, acceptée par M. Canak-Medic, {Gamzigrad, p. 172-173) et
soutenue avec de nouveaux arguments par D. Srejovic, A. Lalovic et Dj. Jankovic
{Gamzigrad, p. 74-75). Si elle est exacte, elle permet de situer Gamzigrad sur le territoire de la
cité d'Aquae.
69 Cf. infra.
70 M. Canak-Medic, Gamzigrad, p. 32-50.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 265

reliée au rempart par le milieu de ses côtés latéraux71. Des contreforts


et une série de piliers massifs supportaient un portique adossé au
rempart. Le mur du second état, beaucoup mieux repérable sur le terrain,
est, à l'ouest, approximativement parrallèle au rempart d'origine, à
llm vers l'extérieur72. Il compte 20 tours circulaires ou polygonales.
Seule la porte ouest a été fouillée, notamment les deux vastes tours
polygonales, de 15 m de diamètre intérieur, qui l'encadrent. L'ancienne
tour octogonale sud fut transformée, dans cet état 2, en propugnacu-
lum. Contre le nouveau rempart s'appuyait un portique très
monumental, porté par des piliers cruciformes, et doté sans doute d'une galerie à
l'étage.
Les datations proposées par Mme Canak-Medic reposent, pour la
phase 1, sur la disposition de la tour carrée et sur une trouvaille
monétaire; pour la phase 2, sur l'analyse de la façade de la porte
monumentale et de sa décoration polychrome, sur le style des chapiteaux de la
première galerie et sur une monnaie de 308 ou 311 trouvée dans le
mortier supportant le dallage de la tour polygonale nord. Selon ces
critères, la phase 1 daterait de la fin du IIIe ou du tout début du IVe siècle,
tandis que la phase 2, qui avait été d'abord placée au VIe siècle, serait à
dater encore du IVe siècle, et même du premier quart73.
Considérant que Gamzigrad est sans doute une construction
impériale, mais que les deux fortifications ne peuvent être dues à l'initiative
d'un seul empereur, Mme Canak-Medic hésite entre deux hypothèses :
attribuer la phase 1 à Dioclétien et la phase 2 à Galère, ou attribuer la
phase 1 à Galère et la phase 2 à Constantin (pendant son séjour dans les
Balkans entre 314 et 321). L'étude des techniques de construction la
fait pencher en faveur de la seconde solution. D. Srejovic, A. Lalovic et
Dj. Jankovic considèrent au contraire que «la construction de Gamzi-

71 Partout ailleurs, le tracé de ce rempart est très incertain. Il suffit pour s'en
convaincre de comparer le premier plan donné par M. Canak-Medic en 1971 (Gamzigrad.
Une résidence fortifiée provenant du Bas-Empire, dans Zbornik Radova Vizant. Inst., 13,
1971, p. 257-261, repris par N. Duval, Palais et forteresses de Yougoslavie : recherches
nouvelles, dans BSAF, 1971, p. 116), le plan qu'elle publie en 1978 (Gamzigrad, fig. 127, p. 159)
et celui que proposent D. Srejovic, A. Lalovic et Dj. Jankovic en 1980 (Gamzigrad, fig. 6,
p. 73).
72 M. Canak-Medic, Gamzigrad, p. 50-97.
73 Le problème, si l'on accepte d'identifier Gamzigrad et Romuliana, est alors de
savoir en quoi a consisté la «restauration» de Justinien, mentionnée par Procope (de
Aedificiis, IV, 4).
266 BERNARD BAVANT

Fig. 5 - Gamzigrad. Plan d'ensemble (d'après M. Canak-Medic, Gamzigrad, fig. 3).

grad est due à la volonté d'une seule personne», et que cette personne
ne peut être que Galère74. Il aurait fait commencer les travaux, alors

74 Op. cit., p. 74. L'attribution se fonde sur le fait que les deux temples découverts à
Gamzigrad (le petit au nord et le grand au centre) paraissent consacrés l'un et l'autre au
culte de Cybèle associée au culte de l'empereur (identifié, dans le second cas, à Hercule).
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 267

qu'il n'était que césar, afin de «confirmer le dévouement qu'il portait à


sa mère», puis modifié après 306 le projet incomplètement réalisé75,
pour aménager le lieu de la retraite que sa mort prématurée l'empêcha
de prendre76.
Qu'il faille supposer deux étapes distinctes de construction ou un
processus unique avec infléchissement du projet initial, il est sûr que le
seul ensemble architectural étendu fouillé jusqu'à présent à Gamzigrad
(fig. 6) date, comme les remparts et les deux temples, de la fin du IIIe
ou du début du IVe siècle77. Une des salles les plus importantes de cette
demeure aristocratique baptisée «palais» était sans doute la salle D,
disposant d'une niche semi-circulaire sur son petit côté est et d'une
annexe octogonale. La mosaïque de sol représentait une scène de
chasse. Un atrium F sépare la salle D d'une salle à abside chauffée G (un
triclinium ou un œcus). Le sol est à l'entrée une mosaïque représentant
Dionysos, tandis que la partie centrale est en opus sectile. Enfin, un
autre atrium H donne accès à l'est à trois salles, dont une triconque et
une tétraconque, qui faisaient sans doute partie de petits thermes. Des
remaniements, effectués peu après la construction, ont été constatés
dans les atria ainsi qu'au nord-ouest, où l'on ajouta des annexes
incomplètement fouillées. Le cadre architectural du IVe siècle est donc assez
clair, même s'il est permis d'hésiter sur la destination exacte de
certaines pièces. Ce qu'il importe ici de noter, c'est que dès la fin du IVe
siècle, toutes les parties de cette résidence perdirent leur destination
originelle78.

75 Ibid., p. 75. La preuve de ce changement de projet serait que le temple nord a la


même orientation que le rempart de la phase 1, tandis que le grand temple central est
parallèle au rempart de la phase 2. Il est clair que les bâtiments connus à ce jour
s'organisent selon deux directions concurrentes. Mais pour que l'une de ces directions puisse
être rattachée avec certitude au premier rempart, il faudrait que celui-ci ait été fouillé en
un point où il n'est pas parallèle au rempart de la phase 2. De toute façon, il reste
dif icile d'expliquer la construction d'un nouveau rempart entourant, à peu de chose près, la
même superficie que le rempart primitif. Pourquoi, d'autre part, la «position centrale
réservée au temple» aurait-elle contraint à «déplacer l'axe du decumanus»?
76 II faut évidemment, dans cette hypothèse, identifier Gamzigrad avec Romuliana,
lieu de naissance de Galère, qu'il rebaptisa du nom de sa mère.
"Pour la description, cf. M. Canak-Medic, Gamzigrad, p. 97-118 et pour la date de
construction, ibid., p. 118-119.
78 D. Srejovic, A. Lalovic et Dj. Jankovic {Gamzigrad, p. 76-77) considèrent que
Gamzigrad dut être abandonné pendant la plus grande partie du IVe siècle. On attendra, pour
considérer que ce point est acquis, de disposer d'une publication de la céramique et
d'indications stratigraphiques plus précises qu'une seule coupe non localisée.
268 BERNARD BAVANT

I I 4.JAHRH
"2| ] MOSAIKEN
3 imi ENDE6.-ANF 5 JAHRH
μ ^β DASILIKA I, 5.JAHRH
5-6 JAHRH

Fig. 6 - Gamzigrad. Le quartier du «palais»: à gauche de la légende, les numéros des


phases (d'après V. Popoviô, Desintegration und Ruralisation, fig. 13).

La phase 3 de construction se marque d'abord par l'établissement


de la basilique I79 dans la partie occidentale de la grande salle D. La
salle C devint le narthex de cette église, qui communiquait également
avec la partie est de l'ancienne salle D.

79 M. Canak-Medic, Gamzigrad, p. 127-130.


LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 269

À la même époque, les autres parties de la demeure connurent elles


aussi des transformations profondes80. Tout d'abord, les pièces situées
à l'ouest de la salle G et de l'atrium F furent cloisonnées et subdivisées,
par suite peut-être d'un changement de leur utilisation. D'autre part, le
téménos du temple nord (à l'est du «palais») fut rasé, et une bâtisse de
trois pièces, de destination peu claire, fut construite entre le temple et
les petits thermes. Dans ces derniers, la salle triconque Ο devint un
atelier de verrier : on y a découvert, au-dessus du sol primitif en opus sec-
tile, un four et de très nombreux fragments de verre et déchets de
cuisson. Le portique nord de l'atrium F fut cloisonné, et on y a retrouvé
quelques outils, ainsi que plusieurs meules à blé; il faut peut-être
mettre ces installations en rapport avec un canal d'adduction d'eau dégagé
au nord et à l'ouest de l'atrium. Enfin, quatre bassins furent installés
dans la salle L, et un cinquième dans la salle M. Ce dernier, ainsi que
deux des bassins de L, étaient pourvus d'un dispositif de chauffage. La
comparaison avec la domus fullonica de Stobi permet de penser qu'il
s'agit sans doute d'un atelier de foulon.
En résumé, il paraît clair que si la salle D fut occupée par une
église, toute la partie nord du «palais» devint à la même époque un petit
quartier artisanal. Pour adapter à ce nouvel usage des bâtiments qui ne
s'y prêtaient guère, on dut construire quelques aménagements, dans
une technique encore relativement soignée. En plusieurs endroits, le
niveau des sols fut même conservé. Naturellement, toutes ces
transformations n'intervinrent pas exactement au même moment, mais la
stratigraphie montre qu'elles sont peu éloignées dans le temps de la
construction de la basilique I, qui serait, d'après une monnaie, un peu
antérieure à la fin du règne d'Arcadius (395-408) 81.
Cette occupation fut interrompue par une destruction violente,
marquée par un incendie au moins partiel et la démolition de certains
murs. De nouveaux bâtiments furent ensuite construits au-dessus de la
couche de destruction. Il faut cependant noter que certains murs des
phases précédentes étaient encore debout dans cette phase 4, puisqu'on
en tira partie pour appuyer les nouvelles constructions. C'est le cas des
salles A et G. Par contre, les pièces Ν, Ο et Ρ devaient être démolies,

80 Ibid., p. 130-133 et V. Popovic, Desintegration und Ruralisation, p. 555.


81 M. Canak-Medic, (Gamzigrad, p. 130) la place plus précisément sous Théodose,
entre 370 et 390. Mais cf. infra, note 90.
270 BERNARD BAVANT

puisque la bâtisse installée dans ce secteur ne réutilisa pas leurs murs.


La relation stratigraphique entre les bâtiments de la phase 4 et ceux
des phases précédentes est d'ailleurs variable : ainsi, les pièces
installées dans l'ancienne salle A ont leurs seuils presqu'au niveau de la
mosaïque antique, alors que l'ordinaire, le sol des nouvelles
constructions repose sur des déblais de 50 cm environ d'épaisseur, comportant
des couches de tuiles et des traces d'incendie82.
La destination de ces bâtiments est assez claire : à l'est se trouvait
une église (basilique II) dont on n'avait fouillé, en 1974, que le
baptistère (en M) et une partie du mur nord. Dans l'ancienne salle A, aux
emplacements des salles G et K, au sud du temple et à l'est de L, il
s'agit certainement de maisons d'habitation. Dans Yatrium F s'installe
un atelier où fut découverte toute une série d'outils agricoles (pelles,
soc de charrue, houe, ciseaux. . .) qu'il faut rapprocher de fragments de
pierre de meule, au nombre d'une centaine, et de divers petits
instruments métalliques découverts dans ce niveau d'occupation.
Par rapport à la phase 3, les bâtiments de la phase 4 se
caractérisent par une évidente dégradation de la technique de construction : les
matériaux utilisés sont des briques cassées, des fragments de pierre et
des blocs remployés, liés seulement à l'aide d'une boue argileuse. Dans
l'église seule, dont la construction est légèrement plus soignée, on a
incorporé à cette terre un peu de chaux83.
Ces maisons comportent au rez-de-chaussée deux ou trois pièces,
de forme assez irrégulière, et qui n'ouvrent pas toujours dans la même
direction. La technique utilisée explique le très mauvais état de
conservation de ces vestiges; il est donc difficile de dire si ces maisons ont
comporté un étage. Il est cependant possible, dans quelques cas, que le
soubassement de pierre et de briques ait porté une superstructure en
bois et en pisé.
La destruction qui précéda immédiatement la phase 4 n'est pas
datée avec beaucoup de précision. Les indices chronologiques sont les
suivants : une monnaie de Léon Ier (457-474) a été trouvée dans l'une
des maisons de la phase 4 84; de la céramique glaçurée byzantine fut
découverte lors de la fouille de la salle A et dans une fosse située au
milieu de Yatrium F, et deux amphores byzantines en pâte blanche dans

82 Ibid., p. 134.
"Ibid., p. 135.
84 Ibid. , p. 30.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 271

un puits de la cour B, construit et utilisé, lui aussi, à la même époque85;


enfin, les constructions de la phase 4 paraissent, d'après la
stratigraphie, antérieures à la basilique III, qui fut construite à l'emplacement
de la basilique I, et que Mme Canak-Medic place sous le règne de Justi-
nien, probablement après 540, c'est-à-dire après la consolidation du
limes danubien86. Sur ces bases, Mme Canak-Medic propose de placer
la destruction vers le milieu du Ve siècle. Si cette datation est exacte, il
se peut que la dévastation soit à mettre au compte de l'invasion hunni-
que de 441 -442 87.
Les trouvailles monétaires et la céramique prouvent que
l'utilisation des bâtiments de la phase 4 fut assez longue et s'étendit au moins
jusqu'à la seconde moitié du VIe siècle : la dernière monnaie découverte
jusqu'à présent serait de 569-57088. Il est plus difficile de proposer une
datation pour l'abandon du site. En plusieurs endroits, à l'intérieur et à
l'extérieur des bâtiments, on signale la présence de fragments de
céramique slave dans les couches superficielles, mais il n'a pas été possible
de rattacher cette céramique à des structures précises. Comme aucun
vestige d'habitat typiquement slave n'a été retrouvé, on a supposé
qu'une population slave ou slavisée avait continué d'occuper les
bâtiments de la phase 4 à la fin du VIe ou au début du VIIe siècle89. La
question méritera un nouvel examen lorsque le matériel céramique
aura été publié.
En résumé, Gamzigrad offre un bon exemple de site fortifié non
urbain devenu une bourgade assez peuplée en changeant de destination
vers la fin du IVe ou le début du Ve siècle : illustration du mouvement
général qui pousse alors les populations à rechercher la protection des
murailles90. On évitera de parler, pour cette phase, de « ruralisation » :

**Ibid., p. 135, note 336.


86 Ibid., p. 138-140.
87 Ibid., p. 170. Cette date est admise par D. Srejovic, A. Lalovic et Dj. Jankovic
(Gamzigrad, p. 77).
88 M. Canak-Medic, Gamzigrad, p. 171 et V. Popovic, Desintegration und Ruralisation,
p. 555-556. D. Srejovic, A. Lalovic et Dj. Jankovic (Gamzigrad, p. 77) proposent une
chronologie un peu différente : la basilique III aurait été construite après une seconde
destruction violente, due à l'invasion avare de 585. Cette seconde destruction paraît pourtant
encore bien mal attestée.
89 M. Canak-Medic, Gamzigrad, p. 171-172.
90 Cette tendance est assez nette dans les forteresses du limes danubien. M. Canak-
Medic, (Gamzigrad, p. 170), renvoyant à E. Dyggve et H. Vetters (Mogorjelo, ein spaianti-
272 BERNARD BAVANT

nous ne connaissons en effet qu'un quartier, où nous constatons


seulement l'installation du culte chrétien et d'un artisanat diversifié, grâce à
des adaptations relativement soignées. Les choses changent sans doute
dans la seconde moitié du Ve siècle. Nous avons alors affaire à une
population dont les activités sont surtout agricoles, et dont les quelques
maisons connues se rapprochent plutôt, par leur mode de construction
et leur organisation, de ce que l'on rencontre dans de petits fortins,
comme ceux proches de Sadovetz. Ni cité ni village, Gamzigrad,
pendant le dernier siècle de son existence, pourrait être qualifié de gros
bourg fortifié. Il est difficile de préciser son importance tant que
l'habitat dispersé qui a été repéré dans les environs n'a pas été exploré, mais
il est clair que les agglomérations de ce type pouvaient, au VIe siècle,
concurrencer les vieilles cités dans au moins deux de leurs fonctions les
plus traditionnelles : la défense et l'artisanat.

CARICIN GRAD

Avec Caricin Grad, nous abordons un autre cas particulier : il s'agit


en effet de la seule ville byzantine importante de la région qui soit une
fondation du VIe siècle, parfaitement artificielle91. Située à environ
45 km à vol d'oiseau au sud de Nis, Caricin Grad est peu éloignée du
carrefour de la grande route Naïssus-Scupi avec une transversale se-

ker Herrensitz in Dalmatien, Vienne, 1966, p. 60), veut mettre ce phénomène en rapport
avec une loi de Théodose Ier «autorisant la population à s'installer dans les forteresses et
les palais des fonctionnaires». En vérité, la loi Cod. Theod. IX, 14, 2 (éd. Th. Mommsen et
P. M. Meyer, Berlin, 1905, t. II, p. 457) du 1er juillet 391 (et non VIII, 14, 2, du 1er juin)
stipule qu'en cas de légitime défense, celui qui tue son agresseur ne sera pas traduit
devant les tribunaux. Cette loi révèle l'insécurité des temps et incite la population à
l'autodéfense (c'est d'ailleurs bien ce qu'avait compris H. Vetters, loc. cit.); elle n'autorise
personne à s'installer nulle part.
91 Sur Caricin Grad, cf. V. Kondic et V. Popovic, Caricin Grad, utvrdjeno naselje u
vizantijskom Iliriku (Caricin Grad, site fortifié dans l'Illyricum byzantin), Belgrade, 1977.
On y trouve (p. 233-249) une bibliographie exhaustive jusqu'en 1976, à laquelle il convient
d'ajouter Dj. Mano-Zisi, Caricin Grad-Iustiniana Prima, Leskovac, 1979 et V. Popovic, La
signification historique de l'architecture religieuse de Tsaritchin Grad, dans CCAB, 26,
1979, p. 249-311. Un bref aperçu des fouilles commencées en 1978 a été présenté au
Xe Congrès int. d'archéologie chrétienne (Thessalonique, 26 sept. -4 oct. 1980) : V.
Kondic, B. Bavant, J.-M. Spieser, Nouvelles fouilles à Caricin Grad (sous presse).
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 273

condaire menant à Ulpiana. Il ne s'agit pourtant nullement d'un nœud


routier d'importance comparable à Naïssus ou à Scupi, ce qui explique
qu'il n'y ait eu ici aucun établissement romain important. Le site est
presque sur la limite entre la Dacie et la Dardanie, et seule
l'identification, très probable, avec Prima Justiniana permet de placer Caricin
Grad en province de Dacie Méditerranéenne.
Grâce aux fouilles menées depuis 1912, les structures du site
fortifié sont bien connues dans leurs grandes lignes (fig. 7). La ville est
établie sur une colline au confluent de deux rivières, à une altitude
d'environ 400 m, à l'extrémité d'un plateau qui s'élargit vers le sud. Les
murailles la partagent en trois entités distinctes, appelées
traditionnellement acropole, ville haute et ville basse.
L'acropole, au nord-ouest, a une superficie d'environ 1 ha92; elle
est entourée d'un rempart de forme irrégulière, incomplètement
exploré, muni d'une seule porte à l'est. Elle ne dispose que d'une rue, bordée
de portiques. Au sud de cette rue prend place la grande basilique
episcopale et le baptistère attenant (n° 1), ainsi qu'un bâtiment de
destination peu claire, muni d'une abside carrée à l'est (n° 4). Au nord de la
rue se trouve un ensemble de trois bâtiments où l'on a voulu voir la
résidence episcopale (n° 6), en raison surtout de la proximité de la
grande église.
La ville haute, dont les remparts ont été partiellement fouillés, est
elle aussi de forme irrégulière, grossièrement polygonale au nord, avec
un appendice trapézoïdal au sud93. L'espace ainsi délimité, qui est
d'environ 5 ha (acropole comprise) est divisé en quatre quartiers de
superficie inégale par deux rues à portiques, non perpendiculaires, qui se
rencontrent à l'emplacement d'une place circulaire de 22 m de diamètre
(n° 8), entourée elle aussi de portiques et représentant le centre
monumental de la ville. La rue est-ouest relie la porte de l'acropole à la porte
est de la ville haute (n° 13), en fer à cheval, d'où l'on accédait, par trois
marches, à une voie menant à un pont qui enjambait la rivière Caricins-
ka (n° 35). L'autre rue, beaucoup plus longue, conduisait à la porte sud,
flanquée de deux tours pentagonales dont une a été fouillée (n° 20). Les
remparts de la ville haute sont relativement bien connus au sud ; outre
la porte ont été dégagés, sur le segment ouest, une poterne, le départ de

92 V. Kondiê et V. Popovic, op. cit., p. 310-318. Les numéros des bâtiments indiqués
ci-après sont ceux de la fig. 7.
93 Ibid., p. 319-335.
274 BERNARD BAVANT

Fig. 7 - Caricin Grad. Plan d'ensemble (d'après V. Kondic et V. Popovic, Caricin Grad, fig. 4).
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 275

l'escalier d'accès au chemin de ronde, et l'entrée d'une tour qui semble


rectangulaire; on a mis aussi au jour les deux tours d'angle; elles sont
décagonales, et la tour occidentale (n° 24) a été transformée plus tard
en réservoir d'eau94. Par contre, le tracé de la muraille reste incertain
au nord et à l'ouest, où l'on n'a repéré qu'une tour rectangulaire. On
ignore si le rempart ouest se raccordait à celui de l'acropole ou si,
comme sur les plans publiés, il le longeait à une vingtaine de mètres de
distance.
La ville basse a une forme allongée, légèrement trapézoïdale, et
une superficie d'environ 2,25 ha95. Ses murs est et ouest constituent le
prolongement des murs de la ville haute. Elle disposait, comme la ville
haute, de deux portes, l'une au sud (n° 36), l'autre à l'est, flanquée de
deux tours rectangulaires (n° 32). Les tours d'angle sont de forme
différente, circulaire au sud-est, rectangulaire au sud-ouest. C'est par cette
tour sud-ouest qu'un aqueduc amenant les eaux de la Petrova Gora
pénétrait dans la ville. Une seule autre tour a été dégagée sur le côté
ouest; elle est rectangulaire. La grande rue nord-sud qui traverse la
ville basse (n° 30), bordée de portiques, change de direction à hauteur de
la basilique à transept. Elle est reliée à la porte est par une rue (n° 31)
qui ne disposait peut-être d'un portique que du côté nord.
Nous allons maintenant localiser rapidement les principaux
bâtiments connus, en mettant l'accent sur les adaptations tardives qu'on a
pu y observer, avant de résumer l'état de nos connaissances sur
l'évolution de la ville.
Les bâtiments de l'acropole ont été certainement parmi les
premiers construits. Les modifications ultérieures y ont été très limitées :
on s'est contenté de murer partiellement le portique nord, de boucher
des portes à l'aide de remplois et de construire quelques bâtisses avec
des pierres liées à l'argile dans les rares espaces libres entre les
bâtiments initiaux (derrière l'abside de la basilique, à l'extrémité ouest de
la rue, et au nord du «palais episcopal»)96.
Dans la ville haute, le quartier le mieux connu reste celui situé
autour de la place circulaire (fig. 8). Il comportait d'abord au nord une

9*Ibid., p. 319 et V. Kondic, B. Bavant et J.-M. Spieser, Nouvelles fouilles à Caricin


Grad.
95 V. Kondic et V. Popovic, Caricin Grad, p. 336-349.
96 Ibid., p. 24, 29, 39.
276 BERNARD BAVANT

église (basilique C, n° 18) à atrium, établie, en raison de la pente du


terrain, au-dessus d'un espace voûté accessible seulement de l'est, par
l'extérieur. Au nord de la rue est, une série de boutiques et d'ateliers (n° 15)
s'alignait en arrière du portique97. Il s'agit de deux séries de pièces,
profondes respectivement de 3,90 m et 6,20 m (les pièces donnant sur le
portique étant moins vastes que les pièces arrière). Peut-être les six
pièces orientales sont-elles antérieures aux autres, bien que le plan publié
soit peu clair sur ce point. Au rez-de-chaussée, on a pu identifier un
magasin avec des pithoi et un four de boulanger. Le bâtiment avait un
étage, où se trouvaient sans doute les pièces d'habitation. L'occupation
a été certainement assez longue, plusieurs sols ayant été refaits. Le
portique a été cloisonné. Près de la porte est de la ville, on signale la
présence de cabanes en pierres liées à l'argile (non portées sur le plan).
Le bâtiment au sud-est de la place (n° 17) est mal connu98. Quatre
séries de deux pièces ont été dégagées, les plus proches du portique
étant cette fois les plus vastes. Ce bâtiment était-il bien tourné vers le
portique? On remarquera que toutes les pièces communiquaient entre
elles, mais il n'y avait, semble-t-il, que deux entrées sur la rue. On ne
sait si ce bâtiment, qui avait certainement un étage, se poursuivait plus
au sud.
Au nord-ouest de la place (n° 14) ont été fouillées deux pièces d'un
bâtiment allongé dans le sens nord-sud99. Elles comportent
respectivement deux et un piliers centraux servant de support à l'étage. Dans un
second temps, la pièce nord a été divisée en trois et le portique
cloisonné. En outre, l'espace entre ce bâtiment et le rempart de l'acropole a
été occupé tardivement par deux constructions bâties sans mortier,
dont les sols de brique furent réparés au moins une fois. Remarquons
que la construction ouest s'appuie sur le portique de la rue, tandis que
l'implantation de la construction est, où l'on a retrouvé un four, paraît
indiquer que le mur de fond du portique était ici partiellement détruit
(fig. 8). Dans la boutique installée dans le portique ont été découverts
un four circulaire et un moulin.

97 Dj. Mano-Zisi, dans Starinar, 3-4, 1952-1953, p. 161-165; V. Kondic et V. Popovic,


Caricin Grad, p. 61-67.
98 Dj. Mano-Zisi, dans Starinar, 7-8, 1956-1957, p. 311-312; V. Kondic et V. Popovic,
Caricin Grad, p. 325.
99 Dj. Mano-Zisi, dans Starinar, 3-4, 1952-1953, p. 165; 5-6, 1954-1955, p. 158-159, 164;
V. Kondic et V. PopoviC, Caricin Grad, p. 71-74.
Fig. 8 - Carichi Grad. Le quartier de la place circulaire : en hachures, les constructions
tardives (d'après V. Popovic, Desintegration und Ruralisation, fig. 20).
278 BERNARD BAVANT

Au sud-ouest de la place, le «bâtiment à arcades» (n° 16), qui


compte quatre pièces au rez-de-chaussée, doit son nom aux arcs fermant ses
deux pièces arrière 10°. Il s'agit peut-être simplement d'une sorte de
portique ouvert sur un jardin. On retrouverait alors un type de maison
assez banal, puisque l'existence d'un étage est prouvée par les restes
d'un escalier dans la grande pièce du sud. Dans la pièce nord ont été
retrouvés des colonnes et des chapiteaux à imposte. Plus au sud, de
l'autre côté d'une ruelle, on connaît trois pièces d'un bâtiment
trapézoïdal. La pièce ouest était chauffée et l'escalier d'accès à l'étage se
trouvait dans la pièce centrale. On ignore le rapport exact entre ces trois
pièces et les bâtiments situés derrière le portique occidental de la rue
sud (n° 19), qui restent très mal connus (les plans existants sont ici
certainement inexacts).
Une autre maison, non fouillée, se trouve à l'ouest du bâtiment
trapézoïdal, séparée de celui-ci, semble-t-il, par une rue secondaire.
L'espace d'abord libre entre cette maison et le bâtiment à arcades fut
occupé ensuite par un atelier de forgeron, tandis que d'autres boutiques
s'installaient derrière le portique sud de la rue ouest, et des cabanes de
torchis contre les remparts de l'acropole. Signalons enfin que le
portique est de la rue sud a été, comme les autres, cloisonné, et que des
cabanes de bois et de torchis se sont installées dans le portique ouest.
Outre le quartier de la place circulaire, on connaît dans la ville
haute deux églises (basilique B, n°22, et F, n°21), ainsi qu'un quartier
comprenant au nord la «villa urbana» (n° 23) et au sud un ensemble de
bâtiments fouillés depuis 1978. Telle qu'elle se présente après les
fouilles de 1959, la villa urbana101 a sa porte principale au sud. Au nord
d'un vestibule, une petite cour intérieure sépare deux corps de
bâtiments : à l'ouest, une seule pièce a été fouillée, probablement une
cuisine; à l'est, un petit corridor donne accès à une pièce à abside, peut-être
chauffée, et à une pièce à colonne centrale, dont le niveau est un peu
plus bas (sans doute une réserve). L'existence d'un étage est certaine
pour ce bâtiment est. Au nord de là cour centrale, un portique devait
ouvrir sur une autre cour ou un jardin. Bien que le plan soit incomplet,
on y reconnaît sans peine les éléments d'une demeure aristocratique,

100 Dj. Mano-Zisi, dans Starinar, 5-6, 1954-1955," p. 160-166; V. Kondic et V. Popovic,
Caricin Grad, p. 68-71.
101 Dj. Mano-Zisi, dans Starinar, 17, 1966, p. 163-164; V. Kondic et V. Popovic, Caricin
Grad, p. 91-93.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 279

plus luxueuse en tout cas que les autres maisons connues de Caricin
Grad. Des transformations plus ou moins importantes ont été notées :
déplacement de l'escalier d'accès à l'étage, extension de la pièce à
abside aux dépens du corridor, installation d'un four dans le vestibule. Les
annexes qui existaient probablement à l'ouest n'ont pas été fouillées.
L'espace situé entre la villa urbana et le rempart sud de la ville
haute a d'abord été occupé par un grand bâtiment d'axe de symétrie
nord-sud dont le plan de base est un rectangle de 31 m sur 18,80 m (soit
environ 100 pieds sur 60 pieds). Seules sont conservées les parties
centrale et occidentale de ce bâtiment qu'un mur de refend est-ouest
divisait en deux ensembles d'organisations différentes : au sud de ce mur
se trouvaient trois pièces presqu'égales; au nord deux pièces étroites et
très allongées encadraient une vaste pièce pourvue au nord d'une sorte
d'abside presque carrée et précédée au sud d'un petit vestibule. Le
bâtiment disposait de trois portes au sud (où se trouvait visiblement l'accès
principal) et de deux portes à l'ouest et sans doute à l'est. L'ensemble
nord était probablement surélevé par rapport à l'ensemble sud, de
même que les pièces centrales par rapport aux pièces latérales. La
présence d'un étage est très improbable. Dès l'origine, ce bâtiment était
relié à la tour rectangulaire du rempart sud.
Plus tard (phase 2) les deux pièces orientales furent détruites, et
l'espace ainsi libéré fut occupé par deux grandes salles dallées de
briques, qui se prolongeaient vers l'est jusqu'aux dernières pièces alignées
le long de la grande rue nord-sud102. Entre ces deux salles se trouvait
une cour bordée à l'ouest par un portique. L'espace situé encore plus
au nord, et dont la limite orientale rejoint la villa urbana, ouvrait à l'est
par un grand porche large de 3,10 m. On peut supposer que ce porche
était l'entrée principale d'un ensemble dont la villa urbana proprement
dite constituait la partie résidentielle, et les deux salles sud des
annexes.
On ignore encore si ces annexes ont été ajoutées à la villa ou en
sont contemporaines, c'est-à-dire si la villa urbana elle-même date de la
phase 1 ou de la phase 2. On a pu établir, par contre, que ces
profondes transformations architecturales sont contemporaines de la pose de
canalisations de plomb qui, partant de la tour d'angle, couraient paral-

102 Quatre de ces pièces ont été explorées. Elles étaient surmontées d'un étage, et
étaient tournées non vers la rue mais vers la cour de la phase 2. Il ne s'agit donc pas de
boutiques, comme on avait pu d'abord le penser.
280 BERNARD BAVANT

lèlement au rempart avant de remonter vers le nord sous le sol du


portique bordant la rue. C'est donc de notre phase 2 qu'il faut dater la
transformation de la tour d'angle en réservoir d'eau, transformation
qui est mise d'ordinaire en rapport avec la construction du rempart de
la ville basse103.
L'occupation tardive de cette zone (phase 3) est attestée par des
vestiges de sols, d'abondants outils de fer, un petit atelier d'orfèvre
installé dans l'entrée de la poterne et une fosse creusée devant la tour
d'angle. Entre le rempart ouest et le bâtiment du premier état, dont les
pièces ouest étaient sans doute déjà désaffectées, furent édifiés des
bâtiments incomplètement fouillés. Quant au système d'adduction
d'eau, il cessa alors de fonctionner, et une partie des canalisations de
plomb fut même récupérée. Après un incendie dont les traces sont
surtout visibles le long du rempart et dans la pièce transversale sud, cette
zone ne connut plus qu'une occupation très sporadique.
Dans la ville basse n'ont guère été fouillés jusqu'à présent que des
bâtiments isolés. Il s'agit, à l'est de la rue nord-sud, de deux églises :
une grande basilique à transept (basilique D, n° 28) et une église double
(basilique G, n° 27). Dans la basilique à transept ont été observés divers
aménagements tardifs, notamment des foyers dans l'atrium et le nar-
thex et un four en briques dans l'annexe sud. On s'est donc demandé si
cette église, à la fin de la vie de Caricin Grad, n'avait pas été purement
et simplement désaffectée104.
À l'ouest de la rue principale ont été fouillés des thermes (n°25)
peut-être transformés en église triconque par l'adjonction d'une abside
à l'est, et une grande citerne (n° 26), incomplètement dégagée, qui fut
désaffectée et servit de carrière105. Sur le petit quartier d'habitation
(n°29), sans doute tardif, installé au nord de la basilique à transept,
nous ne disposons que de très peu d'informations. Les murs sont
construits sans mortier. On aurait identifié un atelier et des boutiques106. Il
faut enfin mentionner, pour l'époque la plus tardive, une fosse située
entre l'église double et le rempart est, et de petits ateliers installés dans

103 V. Kondic et V. Popovic, Caricin Grad, p. 169, note 72, et infra, p. 282.
lM Ibid., p. 117.
105 Ibid., p. 101-104 et 100-101.
106 Ibid., p. 129; Dj. Mano-Zisi, dans Starinar, 19, 1968, p. 111-113, et Caricin Grad-
Iustiniana Prima, p. 60-61, considère que ces bâtiments sont groupés autour d'une place
de marché. Cela est extrêmement douteux.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 281

le portique nord de la rue est (en particulier, à l'angle des deux rues, un
four, peut-être de boulanger).
À l'extérieur de la ville, nous connaissons trois bâtiments
importants : des thermes (n° 33) proches de la porte est de la ville basse, dans
l'atrium desquels paraissent s'être installées tardivement des
habitations107; une église triconque au sud-est de la ville (n°34), à environ
80 m de la tour d'angle, et une église a nef unique située sur le plateau
sud, à 350 m des murailles.
Peut-on proposer aujourd'hui un schéma chronologique
d'ensemble du développement de Caricin Grad? Remarquons d'abord que le
point de départ comme le point d'arrivée sont assez sûrs. Si l'on
accepte l'identification avec Justiniana Prima, que l'analyse des textes rend
très probable et qu'aucune donnée archéologique ne vient contredire 108,
on considérera que la construction débuta aux environs de 530. Quant à
la destruction de la ville, elle se place au moment de la prise par les
Avaro-Slaves des villes de l'intérieur du diocèse dacique : en effet, le
trésor monétaire le plus récent nous mène à l'année 613 109, et la
dernière monnaie trouvée sur le site est sans doute de 615 no.
Dans un intervalle aussi réduit (80 ans environ) il faudrait, pour
retracer une évolution, pouvoir s'appuyer sur plusieurs bâtiments bien
datés et les résultats de fouilles stratigraphiques couvrant une surface
étendue. Or, de nombreux bâtiments ont été fouillés anciennement et
isolément les uns des autres. De plus, les monnaies ne sont pas très
abondantes (un peu plus de 300 ont été trouvées depuis 1912) et la
céramique d'importation, la plus facilement datable, est presqu'absente.
On dispose cependant d'un critère de différenciation commode en
remarquant que le rempart de la ville basse a été construit après celui
de la ville haute111. En effet, les murs de la ville basse sont plaqués con-

107 Dj. Mano-Zisi, dans Sfarinar, 7-8, 1956-1957, p. 318-325; V. KondiC et V. Popovic,
Caricin Grad, p. 130-135.
108 Résumé de cette question, qui a fait couler beaucoup d'encre, dans V. Kondic et
V. Popovic, Caricin Grad, p. 367-371.
109 V. Kondic et V. Popovic, Caricin Grad, p. 420, n° 190 et p. xxxvm; V. Popovic, La
descente des Koutrigours, des Slaves et des Avars vers la mer Egée : le témoignage de
l'archéologie, dans CRAI, 1978, p. 629.
110 Hexagramme inédit, trouvé dans la fouille de la ville basse en 1982.
111 Mise au point des connaissances, à la date de 1977, sur les étapes du
développement de la ville dans V. Kondic et V. Popovic, Caricin Grad, p. 371-374. Nous résumons
ici leurs conclusions.
282 BERNARD BAVANT

tre les tours décagonales de la ville haute, tout comme le portique est
de la rue nord-sud est plaqué contre la tour pentagonale. De plus,
l'angle formé par la rue nord-sud a pu être imposé par la présence
antérieure de la basilique à transept, et l'égout principal descendant de la
ville haute passe sous la basilique double et sous la tour nord de la
porte est de la ville basse. Enfin, le fait que les thermes intérieurs ne soient
distants que de quelques mètres de la tour pentagonale ouest amène à
penser que cette tour avait, après la construction des thermes, perdu
toute fonction défensive, comme c'est certainement le cas de la tour
décagonale ouest transformée, nous l'avons vu, en réservoir d'eau. On
voit donc se dessiner une phase 2 d'urbanisme, à laquelle il faudrait
rattacher, outre les remparts de la ville basse, les thermes intérieurs, la
basilique double, et peut-être la citerne. À la phase 1 appartiendraient
par contre, en plus de l'acropole et de la ville haute, la basilique à
transept, les thermes extérieurs et l'église triconque. Une phase 3 serait
constituée par toutes les adaptations tardives que nous avons énumé-
rées.
Il faut pourtant remarquer que des doutes subsistent sur
l'attribution à la phase 1 ou à la phase 2 de bâtiments isolés, pour lesquels on
ne peut se fonder que sur des similitudes d'orientation. D'autre part, si
certains bâtiments de la ville basse sont antérieurs aux remparts,
inversement, la phase 2 s'est traduite en ville haute par des modifications
urbanistes et architecturales profondes, comme nous l'avons vu dans le
quartier sud-ouest. Enfin et surtout, la distinction entre murs avec et
murs sans mortier a été trop souvent utilisée comme un critère de
datation; or, rien ne nous assure que certains murs liés à l'argile n'ont pas
été construits déjà dans la phase 2.
En chronologie absolue, la datation de la phase 2 repose sur peu
d'éléments : une monnaie de 544/545 se trouvait dans la tranchée de
fondation de la basilique double et peut fournir un terminus post
quern112; dans le quartier sud-ouest de la ville haute, la monnaie la plus
récente de la phase 2 est pour l'instant de 550/551. La phase 3 livre le
matériel de loin le plus abondant; la plupart des monnaies sont de
Justin II et de Maurice. En bref, la phase 1 de construction se situerait
dans les années 530-540 et la phase 2 vers la fin du règne de Justinien,
tandis que les «adaptations tardives» de la phase 3 commenceraient

Ibid., p. 374.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 283

dès le règne de Justin II pour se poursuivre jusqu'au début du règne


d'Héraclius.
Comment faut-il interpréter ce cadre chronologique? Dans la
phase 1, nous remarquons que la superficie de la ville haute et de
l'acropole est faible : environ 5 ha, c'est-à-dire un peu moins que Gamzigrad
qui, nous l'avons vu, n'était pas à l'origine une ville. La plupart des
cités romaines d'Illyricum et de Thrace avaient une superficie
nettement plus importante113. Or, dans les 5 ha de la ville haute, une place
considérable est occupée par les rues à portiques, la place circulaire et
les bâtiments publics (toute l'acropole et, dans la ville haute, trois
églises et un bâtiment de caractère certainement public au sud-ouest).
Dans ce qui est connu de l'habitat, il faut mettre à part la villa urbana,
qui est une résidence assez luxueuse. Il reste quelques maisons
appartenant certainement à des couches plutôt aisées de la population (au sud-
ouest et au nord-ouest de la place) et des demeures d'artisans à l'étage
des ateliers et boutiques. Un habitat plus modeste pouvait s'étager sur
la pente nord114, et un petit nombre de maisons trouvait peut-être place
au sud de l'acropole, au nord de l'église cruciforme et près de l'angle
sud-est du rempart. Mais au total, c'est peu de chose115, et l'on retire
l'impression que les constructeurs de la ville haute on surtout voulu
protéger un ensemble de bâtiments publics, de boutiques et d'ateliers116
organisés selon les règles d'un urbanisme traditionnel.
Peut-on alors penser que la construction des murailles de la ville
basse répondit au désir de fortifier un vaste quartier d'habitat déjà exis-

113 À part Sirmium, les cités les plus vastes ont une enceinte qui égale ou dépasse
légèrement 40 ha (Augusta Trajana, Odessos, Nicopolis ad Istrum, Scupi) ; Ulpiana est un
peu plus modeste (35,5 ha); la plupart des cités ont un peu plus de 20 ha (Oescus, Bono-
nia, Stobi, Héraclée, Serdica, sans doute Naïssus); avec ses 14 ha environ, Horreum Mar-
gi est une petite ville, et Remesiana (5,5 ha) est qualifié par Procope de πολίχναον (de
Aed., IV, 1).
114 Sur le plan schématique qu'ils ont dressé à partir de la photographie aérienne de
1947, A. Deroko et Sv. Radojcic situent un «quartier d'habitat probable» au nord de
l'acropole (Sfarinar, 1, 1950, p. 122).
115 D'autant plus que la ville haute compte probablement d'autres grands bâtiments
non encore fouillés. A. Deroko et Sv. Radojcic (toc. cit.) en supposent un au sud de l'église
cruciforme et un autre au sud-est de l'acropole.
116 La plupart des ateliers artisanaux devaient pourtant se situer au bord des deux
cours d'eau. C'est sur la rive de la Svinjarica qu'a été fouillé un four de briquetier (V.
Kondic et V. Popovic, Caricin Grad, p. 356-357). Les ateliers de potiers et de forgerons
n'ont pas encore été localisés.
284 BERNARD BAVANT

tant117? Cela est douteux, car la ville basse elle aussi est occupée en
grande partie par des monuments publics : basilique à transept,
citerne, basilique double et thermes. Il faut ajouter à cette liste plusieurs
grands bâtiments non fouillés. A. Deroko et Sv. Radojcic en
discernaient un à l'ouest et trois à l'est de la grande rue nord-sud118. La
position et l'orientation de ces derniers ont été précisées par une
prospection électrique en 1980 : l'un d'eux est aligné sur la rue, les deux autres
ont à peu près la même orientation que la basilique à transept. À part
quelques maisons au nord de cette église, le seul quartier d'habitation
attesté dans la ville basse est situé au sud-ouest, où une fouille a été
commencée en 1981 et 1982. Nous sommes donc conduits à penser
qu'en construisant lés remparts de la ville basse, on a voulu avant tout
protéger une autre série, de bâtiments publics, existants ou en projet,
mais que la majorité des habitants, dans la phase 2, résidait encore à
l'extérieur des murs. En 1950, A. Deroko et Sv. Radojcic avaient déjà
noté la présence probable de plusieurs faubourgs tout autour de la
ville119. Le plus vaste semble s'étendre sur le plateau sud, et comporter un
fossé situé à environ 200 m du rempart sud de la ville basse120. Une
prospection électrique, effectuée en 1981 sur ce plateau, à l'est de
l'aqueduc, confirme l'hypothèse : elle met en lumière, outre deux
grands bâtiments proches de l'aqueduc, l'existence de constructions
légères qui, vers le sud-est, pourraient même dépasser le fossé et se
poursuivre en direction de l'église à nef unique (que la prospection n'a
pas atteinte).
Signalons d'autre part que la seule nécropole découverte jusqu'à
présent à Caricin Grad (un groupe de sept tombes a été fouillé en 1981)
est située à une centaine de mètres au sud de la ville et à l'ouest de
l'aqueduc : il conviendra donc d'étudier le problème des relations entre
l'habitat et la ou les nécropoles dans l'espace situé en dehors des
murailles.
La construction du rempart de la ville basse et la phase 2 de
construction traduisent donc une transformation assez nette du projet ini-

117 C'est autour de 550 (date probable du début de la phase 2) qu'ont lieu les
premières grandes incursions slaves en Illyricum (cf. P. Lemerle, Invasions et migrations dans
les Balkans, dans Revue historique, 211, 1954, p. 286).
118 A. Deroko et Sv. Radojcic, loc. cit.
n9Ibid.
120 Peut-être le faubourg nord-est était-il aussi protégé par une levée de terre. Ce type
de dispositif est assez fréquent en Scythie Mineure, par exemple (à Histria, Noviodunum,
Troesmis).
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 285

tial d'urbanisme, mais non nécessairement une modification essentielle


des conditions d'occupation du site : on pourrait dire que l'aire enclose
par les murailles représente alors, plutôt qu'une ville à proprement
parler, le centre monumental fortifié d'une agglomération dont la
physionomie ne nous apparaît pas encore clairement. La phase 3, en
revanche, révèle un changement plus sensible : tandis que de grands
bâtiments cessent d'être entretenus et que la structure urbaine se
dégrade, la population se tasse à l'abri des remparts, occupant les
moindres espaces libres. D'après les trouvailles, ces habitants
s'adonnent surtout à l'agriculture et à l'élevage, même si l'artisanat reste
important. Nous devrions, pour mieux analyser ce phénomène, être
renseignés sur l'habitat périphérique et sa chronologie : remonte-t-il au
moins en partie au règne de Justinien, ou est-il partout plus tardif? Son
évolution va-t-elle dans le sens d'un accroissement ou d'un abandon
progressif? Seule la fouille pourra peut-être répondre à ces questions.
C'est à partir d'une meilleure connaissance de l'occupation du site
à la fin du VIe siècle qu'il faudra reposer le problème si discuté de la
présence d'une population slave à Caricin Grad121. L'attribution aux
Slaves de l'ensemble des constructions de la phase 3 est maintenant
unanimement abandonnée, pour trois raisons : les maisonnettes de la
phase 3 ne présentent pas les traits caractéristiques de l'habitat slave;
la céramique la plus tardive de Caricin Grad, même non tournée, n'est
pas identique à la céramique slave archaïque; enfin, les pièces de
parures trouvées à Caricin Grad et qui sont d'un type en usage chez les
Slaves et les Avars ont toutes été découvertes dans un contexte
comprenant des produits de l'artisanat byzantin. L'hypothèse qui paraît
aujourd'hui la plus vraisemblable est donc celle de la présence de groupes
slaves dans la ville ou à ses abords au cours de la dernière période, en
tout cas de contacts entre populations locales et nouveaux arrivants
avant la chute de la ville. Après cette date, l'occupation du site paraît
très clairsemée et peu durable 122.

121 V. Popovic, Les témoins archéologiques des invasions avaro-slaves dans Vlllyricum
byzantin, dans MEFRA, 87, 1975, p. 497-500; La descente des Koutrigours, des Slaves et des
Avars, p. 634-635 ; V. Kondic et V. Popovic, Caricin Grad, p. 373 et 382-383 ; V. Popovic,
Note sur l'habitat paléoslave, dans P. Lemerle, Les plus anciens recueils des miracles de
saint Démétrius, t. II, p. 235-241.
122 Elle est surtout attestée par des inhumations dispersées (V. Kondic et V. Popovic,
Caricin Grad, p. 373). Par ailleurs, un petit nombre de tessons et de monnaies peuvent
faire penser à une réoccupation sporadique aux Xe-XIIe siècles.
286 BERNARD BAVANT

CONCLUSION

Cette rapide analyse aura permis d'apercevoir les incertitudes qui


subsistent quant à l'évolution des trois sites pourtant les mieux
documentés de la région. Nous sommes donc encore loin de pouvoir écrire,
sur la base de l'archéologie, une véritable histoire des villes du diocèse
dacique. Surtout, la nature particulière des trois sites en question rend
toute tentative de généralisation bien hasardeuse. Sirmium, Gamzigrad
et Caricin Grad sont en effet des cas particuliers : une métropole d'une
taille exceptionnelle qui échappe au contrôle de l'Empire dès la
première moitié du Ve siècle ; une résidence fortifiée devenant un centre habité
au Ve siècle ; une création artificielle du VIe siècle. Nous n'avons encore
que des informations trop fragmentaires sur le devenir des cités ayant
eu, au IVe siècle, une importance moyenne, comme Horreum Margi,
Naïssus, Serdica, Ulpiana, Scupi ou Pautalia123.
On croit pourtant discerner quelques lignes directrices qui peuvent
au moins servir d'hypothèses de travail. Tout d'abord, le Ve siècle
constitue presque partout, pour ce qui est de l'activité édilitaire, une sorte
de vide documentaire dont on ne sort vraiment qu'avec le règne de Jus-
tinien124. Pour une part, il s'agit d'un ralentissement normal après la
vague de constructions du IVe siècle, liée aux fréquents séjours
impériaux dans des villes comme Sirmium, Naïssus et Serdica. Mais il y a
aussi des signes d'une baisse de prospérité125, à mettre sans doute en
rapport non seulement avec les raids des Huns et des Goths, mais aussi
avec un déficit démographique endémique et surtout avec le déclin
bien connu des curiales, dont l'évergétisme n'est que partiellement
relayé par les initiatives ecclésiastiques. Derrière tout cela, on devine,
sans pouvoir la percevoir directement, une diminution du pouvoir
exercé par les cités sur les campagnes : elle seule peut expliquer l'émergen-

123 Dans un proche avenir, c'est sans doute des fouilles d'Ulpiana qu'on est en droit
d'attendre le plus.
124 Avec cette coupure du Ve siècle, nous retrouvons le contraste entre l'Illyricum du
nord et la Grèce.
125 Le fait que Sirmium échappa tôt au contrôle impérial a certainement hâté son
déclin, mais ne l'a pas directement provoqué (cf. supra). De même, Scupi n'avait sans
doute plus, à la veille du séisme de 518, sa prospérité du IVe siècle.
LA VILLE DANS LE NORD DE L'ILLYRICUM 287

ce, entre les mailles d'un réseau de cités assez lâche, d'un nouveau type
d'agglomérations dont Gamzigrad nous offre un exemple126.
Cet appauvrissement, sans doute inégal et dont il ne faudrait pas
exagérer l'ampleur pour le Ve siècle, devient patent au VIe siècle. La
«rénovation justinienne» vise à rétablir une situation militaire, non à
restaurer une prospérité économique. L'état reste certes attaché, ici
comme ailleurs, à un modèle d'organisation urbaine hérité, pour
l'essentiel, des traditions hellénistiques et romaines. Mais il prend aussi en
compte les changements sociaux (ainsi, à Caricin Grad, la place
eminente est-elle réservée à l'ensemble episcopal) et privilégie les
préoccupations militaires défensives, en fortifiant des espaces réduits, quitte à
fournir une protection moins efficace à une bonne partie de l'habitat (à
Caricin Grad, et sans doute à Scupi, Pautalia. . .).
La multiplication des points fortifiés, parmi lesquels les cités se
distinguent à peine par la taille, consacre et admet le dépérissement de
la vie urbaine et une probable «contraction» de l'occupation du sol.
Même, paradoxalement, elle accélère ce processus : l'afflux de
populations rurales réfugiées dans les forteresses et à leurs alentours
immédiats suppose la désertion de certaines campagnes (ce qui, pour
l'instant, échappe à notre observation) et entraîne un bouleversement
profond du cadre architectural urbain (ce que l'archéologie aperçoit déjà
très bien).
La ville finit, surtout dans la seconde moitié du VIe siècle, par
prendre l'aspect d'une agglomération rurale, fortifiée en totalité ou en
partie; ses habitants exploitent directement un territoire restreint dans
un climat peu sûr, et se contentent d'un habitat assez pauvre, tout en
entretenant une classe d'artisans aux traditions bien établies.
L'ensemble de la région, qui avait dû surtout son essor à son rôle de transition
et de passage entre l'Orient et l'Italie, est devenu une sorte de marche
rurale militarisée et une zone de contacts avec le monde barbare.

Bernard Bavant

126 C'est de l'exploration des «castella» du VIe siècle, allant du village fortifié à la
petite ville, que l'on peut attendre un progrès décisif de nos connaissances. Mentionnons, à
titre d'exemple, Sadovsko Kale et Golemanovo Kale près de Sadovetz, à la limite du
diocèse de Thrace (cf. I. Welkow, Eine Gotenfestung bei Sadowetz (Nordbulgarien), dans
Germania, 19, 1935, p. 149-158 et G. Bersu, A 6th century German Settlement of foederati,
dans Antiquity, 11, 1938, p. 31-43), ainsi que Zlata et Balajnac, près de Nis (Ν. Duval et
V. Popovic, Urbanisme et topographie chrétienne, p. 378).
288 BERNARD BAVANT

Addendum

Cet article était déjà remis à l'impression lorsqu'est paru, à l'occasion d'une
exposition organisée à Belgrade, un volume collectif consacré à Gamzigrad : D. Srejovic, Dj.
Jankovic, A. Lalovic, V. Jovic, Gamzigrad, kasnoanticki carski dvorac, Belgrade, 1983. Cet
important ouvrage contient d'abord, outre le catalogue du matériel en partie inédit de
l'exposition, une présentation provisoire de plusieurs bâtiments du IVe siècle explorés
récemment : une maison à péristyle (dite « palais II ») qui ferait partie du même ensemble
que le « palais » du nord-ouest, et qui est bordée au sud d'un long bâtiment à couloir ; plus
au sud, près du grand temple, un horreum et un bâtiment à portique ayant recouvert une
construction du IIP siècle. Surtout, on y trouvera une synthèse remise à jour (avec plans
des bâtisses et publication partielle du matériel) pour les trois principales phases
d'occupation tardive : les deux premières (p. 98-141) précèdent et suivent respectivement la
destruction du milieu du Ve siècle. La dernière phase est une réoccupation slave du XIe
siècle (p. 142-160). L'abandon du site entre le début du VIIe siècle et la fin du Xe paraît
assuré.

INTERVENTION
Noël Duval :
Sirmium
M. Duval observe que rien ne prouve que l'église urbaine soit encore en
usage au VIe siècle. D'autre part, les tombes ne prouvent pas forcément une
restriction de la ville, surtout quand elles sont associées à une église (c'est le
cas de la «basilique urbaine» : la plupart des tombes sont dans l'église). En fait,
on ignore presque tout de l'aspect de la ville au VIe siècle, même s'il est plus
que probable qu'elle ait été en décadence.

Gamzigrad
La chronologie proposée par Mme Canak-Medic est discutable et discutée.
La datation qu'elle avait proposée d'abord - parler du VIe siècle pour l'enceinte
extérieure - est en soi plus satisfaisante.
D'autre part, la nature de l'agglomération est encore inconnue. On ne peut
pas être certain qu'il s'agisse d'une «résidence fortifiée» car la découverte d'un
grand temple au centre (voir le dernier numéro de Stariner) prouve à l'évidence
que l'enceinte entourait un complexe de bâtiments publics (préexistant?). On
pense à ces centres religieux et économiques, sans habitat important, qui sont
bien connus en Gaule.
La chronologie relative des églises et l'histoire du bâtiment cultuel instale
tardivement à proximité des thermes demandent aussi à être précisées.

La conclusion générale de M. Bavant peut-elle être acceptée sans réserve?


Comme l'a dit l'orateur lui-même, le contexte historique et géographique, le
type de «ville» pour les trois exemples examinés en détail sont très différents.

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