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DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06458-9.p.0177
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RÉSUMÉ – L’enquête des sources permet d’analyser la naissance des élites dans la
principauté de Moldavie au XIVe siècle et de suivre leur évolution au XVe siècle. Il n’y
avait, à cette époque-là, que des élites chrétiennes, car l ’accès aux charges (dans
l ’administration du pouvoir, centrale ou provinciale) et le droit de posséder des
domaines fonciers étaient réservés aux orthodoxes seuls. Les allogènes hétérodoxes
participaient largement à l ’administration des villes et pouvaient jouer un rôle
important dans d’autres services.
début que, dans le délai indiqué (xive-xve siècles), les principautés rou-
maines (la Moldavie et la Valachie) ne connaissent que des élites chré-
tiennes : les non-chrétiens – les « païens », comme on avait l’habitude
de les nommer – ne pouvaient accéder à aucune charge administrative.
Mais quels sont les païens à cette époque-là ? Les anciens « chevaliers
de la steppe » n’existaient plus : une partie des Coumans, christianisés
au xiiie siècle, avait pris la fuite en Hongrie, à l’arrivée des Tatares ;
une autre partie, restée sur place, s’était dissoute dans la masse des
Roumains autochtones3. Les Tatares avaient été réduits en esclavage4
lorsque la domination de la Horde d’Or fut supprimée par la fondation
même de la principauté que nous allons évoquer. Aux Ottomans, on
défendit – par les « capitulations » (ahd-nāme) – de s’établir en terre
roumaine et d’y acquérir des propriétés. Quant aux Juifs, on n’en voit
pas en Moldavie à cette époque.
Parmi les chrétiens eux-mêmes, l’accès aux charges (dans
l’administration du pouvoir, centrale ou provinciale) et le droit de pos-
séder des domaines fonciers étaient réservés aux orthodoxes seuls. Ceux
qui appartenaient à la confession latine, les catholiques (Allemands,
Hongrois, Sicules, Italiens) et les Arméniens pouvaient acquérir (par
achat ou par donation) des vignobles, des terrains et des maisons dans
les villes et ils avaient la permission de pratiquer librement leur pro-
fession. Ils étaient donc commerçants (surtout les Arméniens et les
Allemands, mais aussi les Italiens), vignerons (parmi les Hongrois et les
Allemands), artisans, orfèvres, usuriers etc. Par contre, les hétérodoxes
participaient largement à l’administration des villes5. Par exemple, à
3 Victor Spinei, The Romanians and the Turkic Nomads North of the Danube Delta from the
Tenth to the Mid-Thirteenth Century, Leiden-Boston, Brill, 2009, p. 152-156, 168-169, 358-
360. L’auteur observe que : despite more than four hundred years of co-habitation within the
Carpathian-Dniester region, there was no real symbiosis between Romanians and Turkic nomads
(p. 359).
4 Leur héritage est néanmoins saisissable tant dans la toponymie, que dans l’organisation
économique de la principauté moldave ; cf., par exemple, Nicoară Beldiceanu, Irène
Beldiceanu-Steinherr, « Note asupra birului, câtorva dregătorii din Principate şi robilor
tătari », Buletinul Bibliotecii Române – Freiburg, XIII (XVII)/1986, p. 1-16 (la version fran-
çaise, « Notes sur le Bir, les esclaves Tatars et quelques charges dans les pays Roumains »,
Raiyyet Rüsûmu. Essays Presented to Halil Inalcik on his Seventieth Birthday by his Colleagues
and Students, dir. Carolyn Gross, Cambridge MA, Harvard University Press, 1986 =
Journal of Turkish Studies, 10/1985, p. 7-14).
5 Laurenţiu Rădvan, At Europe’s Borders. Medieval Towns in the Romanian Principalities, trad.
Valentin Cîrdei, Leiden-Boston, Brill, 2010, p. 393-409, 426-431.
rôle éminent aux boyards moldaves, qui ont constitué, quelques siècles
durant, le véritable rempart de la principauté22.
22 Pour le rôle des boyards roumains tout au long de l’histoire roumaine, cf. Neagu Djuvara,
« Les “grands boïars” ont-ils constitué dans les Principautés Roumaines une véritable
oligarchie institutionnelle et héréditaire ? », Südost-Forschungen, XLVI/1987, p. 1-56.
23 Maria Magdalena Székely, « Familii… », art. cité, p. 95-104 ; Id., « O familie de secui
în Moldova : Seachileştii » [Une famille de Sicules en Moldavie : les Seachil], Arhiva
Genealogică, II (VII)/1995, 3-4, p. 19-22.
24 Documenta Romaniae…, éd. citée, I, p. 42-44, no 30. Voir aussi p. 44-45, no 31.
Il ne faut pas non plus négliger les élites urbaines. Les gens les plus
riches des villes étaient surtout des allogènes, anciennement établis, ou
parfois, de plus fraîche date. Parmi eux, les Arméniens sont attestés en
25 Dimitrie Dan, Lujenii. Biserica, proprietarii moşiei, satul şi locuitorii lui [Lujeni. L’Église,
les propriétaires du domaine, le village et ses habitants], Czernowitz, 1893.
26 Alexandru Pînzar, « Originea lui Stanislav de Ielova – Rotompan. O ipoteză » [L’origine
de Stanislas de Ielova – Rotompan. Une hypothèse], Acta Moldaviae Septentrionalis, X/2011,
p. 34-43. La famille de ce noble moldave était peut-être venue de Silésie dans l’entourage
du duc Ladislas de Opole (Władysław Opolczyk), par deux fois gouverneur de la Galicie.
27 Personnage de premier rang de l’histoire moldave, il fut le meilleur spécialiste des rela-
tions avec la Pologne et surtout avec l’Empire ottoman, au temps d’Étienne le Grand et
de son successeur, Bogdan III. Pour sa cour, il fit bâtir une somptueuse église, qui servit
de nécropole pour lui et sa famille, ainsi que pour ses descendants jusqu’au xviie siècle.
Cf. Ştefan S. Gorovei, « Une ancienne famille moldave : le logothète Tăutu et sa descen-
dance », 12. Internationaler Kongreß für genealogische und heraldische Wissenschaften, München
1974. Kongreßbericht. Band G, Stuttgart, 1978, p. 157-163 ; Id., « Activitatea diplomatică
a marelui logofăt Ioan Tăutu » [L’activité diplomatique du grand chancelier Ioan Tăutu],
Suceava. Anuarul Muzeului Judeţean, V/1978, p. 237-251.
28 Ştefan S. Gorovei, « Contribuţii la genealogia familiilor Tăutu şi Callimachi » [Contributions
à la généalogie des familles Tăutu et Callimachi], Analele Ştiinţifice ale Universităţii
« Alexandru Ioan Cuza » din Iaşi. Istorie, LIX/2013, p. 99-119.
Moldavie depuis 1386 mais, sans l’ombre d’un doute, ils y étaient déjà
établis depuis quelques décennies : en 1380, un archevêque avait été
nommé à la tête du diocèse de Lvov pour les Arméniens de Galicie et
de Moldavie29.
La plus « cosmopolite » des villes moldaves était, à cette époque,
Moncastro (Akkerman, Cetatea Albă, aujourd’hui en Ukraine) : y
étaient représentés les peuples qui pratiquaient le commerce dans les
régions de la mer Noire. Le célèbre écrivain, diplomate et voyageur
Ghillebert de Lannoy (c. 1386-1462) en témoigne : « une ville fermée
et port sur laditte mer Maiour, nommée Mancastre ou Bellegard, où il
habite Gènenois, Wallackes et Hermins30 ». Encore faut-il y ajouter les
Grecs, attestés par les documents. Cette fameuse cité marchande tomba
entre les mains des Turcs en 1484, à la suite de la campagne du sultan
Bajazet II31. Ses archives ont disparu à cette occasion, mais pour ce qui
concerne quelques décennies de ce xve siècle, les archives génoises et
les registres de la ville de Lvov peuvent fournir des informations utiles
pour la connaissance des élites urbaines.
Les Allemands et les Hongrois dans des villes comme Baia (Civitas
Moldaviensis, Stadt Mulde, première capitale de la Moldavie : caput
ipsius patriae), Hârlău (Civitas Bachlovia) ou Cotnari, et les Arméniens à
Suceava ont pu constituer un véritable patriciat, dont on peut suivre les
généalogies et les activités (même dans le domaine culturel)32.
ancêtres), que parmi les scientifiques des autres spécialités. Pour les noms
de familles, par exemple, les philologues se sont attachés à les étudier
eux seuls, en fouillant les sources, bien sûr, mais ils sont dépourvus de
la vision intégratrice que seule la généalogie peut apporter lorsqu’il s’agit
des élites. On aimerait avoir des rencontres comme celles organisées
par Madame Monique Bourin et Monsieur Pascal Chareille entre 1986
et 1997, à la suite desquelles sont parus les cinq volumes des Études
d’anthroponymie médiévale. Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne39.
Nous ne possédons pas, pour les élites roumaines du Moyen Âge, de
recherches concernant l’anthroponymie40.
Ştefan S. GoRovei
et Maria Magdalena Székely
Université Alexandru Ioan Cuza,
Roumanie
39 Voir aussi la synthèse : Monique Bourin et Pascal Chareille, Noms, prénoms et surnoms au
Moyen Âge, Paris, Picard, 2014.
40 Voir, pourtant, Ştefan S. Gorovei, « Note de antroponimie medievală » [Notes
d’anthroponymie médiévale], Arhiva Genealogică, IV (IX)/1997, 1-2, p. 51-58.