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Schimbare și continuitate: administrația publică și corpul funcționarilor publici din Transilvania înainte și după Primul Război Mondial (1910-1925) directopr proiect:
Judit Pál (UEFISCDI PN-III-P4-ID-PCE-2016-0390) View project
The Social Uses of Higher Education, Elite Change and Creativity in Romania. The Formation and Transformation of Educated and Ruling Clusters (1919-1949),
Academia Română, Institutul de Istorie „George Bariţiu”, Departamentul de Istorie, Cluj-Napoca View project
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2011
4
Introduction ........................................................................................ 13
Troisième partie.
Le corps préfectoral à l’épreuve de l’histoire roumaine
Chapitre IX – Politique de parti et politique nationale ..................... 309
Le préfet : fonctionnaire public et homme politique .................................... 310
1866 : une épuration à la roumaine ?.......................................................... 319
La stabilité des chefs d’arrondissement et des directeurs de préfecture et
leurs fonctions politiques ........................................................................ 322
Le régime autoritaire de Carol II : la militarisation de l’institution du
préfet et la « dépolitisation de l’administration » .................................. 328
8
Cette étude est le résultat d’un doctorat en co-tutelle à l’École des Hautes
Études en Sciences Sociales (EHESS), à Paris et à l’Université de Bucarest. Cela
m’a permis d’avoir accès à la littérature étrangère, ainsi que de consacrer mon
temps à la recherche des sources en France comme en Roumanie. J’ai eu la chance
et le privilège d’avoir bénéficié de la double direction du Marc Olivier Baruch,
directeur d'études à l'EHESS et du Bogdan Murgescu, professeur des universités à
l’Université de Bucarest ; ils m’ont donné de précieux conseils et m’ont
constamment aidé à mener à bien ce travail. Les remarques et les conseils de mon
jury de thèse, composé par Nathalie Clayer, Jeanne Siwek, Sudhir Hazareesingh,
Lucian Nastasă-Kovacs et mes co-directeurs de thèse ont été très stimulants et ont
contribué à mieux comprendre la complexité du métier d’historien.
Je voudrais particulièrement remercier Mirela-Luminiţa Murgescu pour
avoir encadré mes recherches de toute sa compétence et m’avoir toujours fait
bénéficier de son appui inconditionnel. J’adresse ma gratitude à Rose Marie
Lagrave, qui, dans sa qualité de directrice de l’École doctorale de Bucarest, a
guidé les recherches d’une génération de jeunes historiens, politistes et
sociologues de Roumanie et d’autres pays de l’Europe de l’Est. Ma
reconnaissance va aussi à Florin Ţurcanu qui m’a encouragé et conseillé dans mes
démarches sur le terrain de l’histoire sociale et culturelle.
Ma recherche a aussi bénéficié de l’aide de certaines institutions :
l’Université de Bucarest, l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, l’École
Doctorale en Sciences Sociales de Bucarest, l’Agence universitaire de la
Francophonie, le groupe Approches historiques des mondes contemporains (au
sein du Centre de Recherches Historiques de l’EHESS), le Conseil National de la
Recherche Scientifique pour l’Enseignement Supérieur de Roumanie, les
Archives Nationales de Roumanie. Même si cet ouvrage reprend en grande partie
le travail de doctorat dans la forme soutenue en juillet 2009, la période de stage à
New Europe College (octobre 2009 - juillet 2010), en qualité de boursier Ştefan
Odobleja, m’a aidé à affiner mes idées, à communiquer dans un espace
intellectuel fécond et à compléter mes recherches sur les fonctionnaires
minoritaires dans la Grande Roumanie. Je remercie vivement le personnel de ces
institutions.
Je suis reconnaissant à Elena Siupiur, Emilia Plosceanu, Camelia
Runceanu, Elena (Oana) Nicolăescu, Elena Stoian, Radu Carp, Nicolae Mihai et
Simion Câlţia qui m’ont donné de précieux conseils et m’ont encouragé eux aussi
à publier ce travail. Merci à mes parents, à mon frère, à Ioana qui dans les
moments difficiles de la rédaction de l’ouvrage ou de l’après thèse ont toujours
été là.
10
Liste d’abréviations
1
Mihail Manoilescu, Rostul şi destinul burgheziei româneşti, Bucarest, Cugetarea-Delafras,
[1943], p. 198.
2
Voir Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le corps préfectoral sous la Troisième et sous la Quatrième
République, Paris, Armand Colin, 1969, p. 9.
14 ANDREI FLORIN SORA
1
Le syntagme « serviteurs de l’État » n’a été employé dans l’historiographie française que
récemment, surtout par Marc Olivier Baruch, même si l’usage de ce terme est ancien.
2
Luc Rouban, Les préfets de la République 1870-1997, Cahier du CEVIPOF, no 26, 2000, p. 5.
3
Les similarités entre la Roumanie de la première moitié du XIXe siècle et l’Ancien Régime
français sont relativement nombreuses. Nous ne devons pas écarter totalement la théorie d’Alexis
de Tocqueville sur la continuité de l’administration entre l’Ancien Régime et la période d’après
1789. Voir Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, Gallimard, 1981
[1856], p. 135.
4
Anibal Teodorescu, « Viitoarea organizare administrativă a României », in Constituţia României
în dezbaterea contemporanilor, Bucarest, Humanitas, 1990 [1923], p. 407.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 15
1
Nous avons choisi de limiter le nombre de pages consacrées à l’administration des régions
habitées par les Roumains qui avant 1918 étaient sous un autre régime étatique. Nous rappelons
qu’il s’agit d’un régime étatique, culturel et social bien différent du Vieux Royaume où les
Roumains, à l’exception de la Bucovine, étaient marginaux dans l’exercice de l’autorité publique.
2
Au dix-neuvième siècle il existe des exceptions à la règle : des personnages riches et forts qui
commencent leur carrière administrative par la fonction de sous-préfet ou de directeur de
préfecture.
3
Apud Jean-Pierre Chaline, « Entre histoire sociale et la sociologie. L’étude de la bourgeoisie in
Histoire sociale, histoire globale ? », in Christophe Charle (dir.), Histoire sociale, histoire
globale ?, Actes du colloque des 27-28 janvier 1989, Paris, Fondation de la Maison des sciences
de l’homme, 1993, p. 149.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 17
La Roumanie moderne,
XIX siècle – première moitié du XXe siècle1
e
1
Ce sous-chapitre veut familiariser le lecteur avec un bref historique de la Roumanie moderne.
2
En 1821, après une période de plus de cent ans, les princes régnants de ces deux principautés
n’ont plus été nommés parmi les grecs nobles de Constantinople (les phanariotes), le Sultan
revenant à la pratique de choisir le prince parmi les boyards roumains.
3
La modernisation de la société roumaine se révèle par un processus d’européanisation de la
législation, des institutions politiques et de l’administration. Une présentation succincte des
théories roumaines et occidentales sur la modernisation et la signification des notions
de modernisation et de modernité dans les Principautés Roumaines/Roumanie se trouvent dans
l’introduction de Bogdan Murgescu à l’ouvrage collectif Romania and Europe. Modernisation as
Temptation, Modernisation as Threat, Bucarest, ALLFA, 2000, p. 2-9.
4
Dans la dernière décennie du XVIIIe siècle, sous l’impact de la Révolution française le poète grec
Rigas Vélestinlis a créé une société secrète, Hétairie, ayant comme objectif la libération des Balkans
de la domination ottomane, et notamment et la création d’un État grec. Ces idées ont été reprises en
1814 par la création à Odessa du mouvement Hétairie (φιλικι εταιρεία). Dans les Pays Roumains,
Hétairie (Eteria en roumain) a bénéficié de forts soutiens dans les familles des boyards grecs.
22 ANDREI FLORIN SORA
1
Ces accords entre l’Empire ottoman et la Russie stipulaient : l’autonomie administrative de la
Moldavie et de la Valachie, la nomination à vie des princes par le traité d’Andrinople, la cession
des forteresses ottomanes de la rive gauche du Danube à la Valachie, le droit de commerce des
Principautés.
2
Pour cette période voir Ioan C. Filitti, Principatele Române de la 1828 la 1834 : ocupaţia
rusească şi Regulamentul organic, Bucarest, 1934.
3
En 1834, par la convention de Saint-Pétersbourg, l’Empire ottoman a reconnu les Règlements
organiques.
4
Les Règlements organiques n’ont pas été exclusivement l’œuvre de la Russie, même si le
gouvernement de Saint-Pétersbourg et le général Pavel Kiseleff, le gouverneur russe de la
Moldavie et de la Valachie, se sont chargés de leur rédaction. Après cette étape, les membres de la
classe dirigeante roumaine ont été consultés et les Assemblées extraordinaires les ont adoptés. Ils
sont entrés en vigueur à partir du 1er juillet 1831, en Valachie et du 1er janvier 1832, en Moldavie.
5
Le prince régnant était choisi à vie par l’Assemblée extraordinaire. Cette nomination devait être
confirmée par l’Empire ottoman et reconnue par la Russie. On accordait au prince des prérogatives
importantes aussi dans le domaine législatif et judiciaire.
6
Adunarea obştească acquérait pourtant un domaine d’action très limité.
7
Une grande partie de ces contestataires étaient des jeunes boyards qui avaient fait des études en
Occident. De nombreux étudiants roumains à Paris entre 1840 et 1850 ont participé à la
constitution de l’État roumain et de ses institutions : Dumitru Brătianu, I. C. Brătianu, C. A.
Rosetti, Mihail Kogălniceanu, Ion Ghica etc. Ils ont fondé des sociétés conspiratives, demandant
des droits démocratiques et réclamant des lois à caractère national. Les loges franc-maçonniques
commencent également à se développer.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 23
1
En Moldavie, le mouvement n’a pas été aussi fort qu’en Valachie. Après quelques manifestations
les contestataires du régime du prince régnant Mihai Sturdza se sont réfugiés dans les territoires
voisins habités par les Roumains (en Transylvanie, en Bucovine et en Valachie).
2
Parmi les revendications des révolutionnaires roumains figuraient : l’égalité des droits de tous les
citoyens, la liberté de pensée, celle de la presse et des réunions, la participation de tous les citoyens
à la vie publique, l’extension du droit électoral, l’abolition de la hiérarchie nobiliaire, la
suppression de la corvée.
3
La convention de Balta-Liman du 1er mai 1849, ratifiée par l’Empire ottoman et la Russie, a
imposé l’affaiblissement des attributions et de l’autorité des Chambres législatives des
Principautés ; les princes (Barbu Ştirbei en Valachie et Grigore Ghica en Moldavie) sont devenus
plutôt de hauts dignitaires ottomans, nommés par le Sultan pour une durée de sept ans.
4
Pendant la guerre, la Moldavie et la Valachie ont été occupées par l’armée russe, ensuite par les
armées ottomanes et autrichiennes.
5
On reconnaissait en même temps leur indépendance administrative et on prévoyait la constitution
constitution d’une assemblée consultative spéciale.
6
Ancien territoire de la Moldavie acquis par la Russie en 1812.
7
Les sept grandes puissances européennes étaient : l’Angleterre, la France, l’Autriche, la Prusse,
la Russie, le Royaume de Sardaigne, l’Empire ottoman.
8
Le calendrier grégorien a été introduit en Roumanie seulement en 1919, à la place du calendrier
julien. Sauf l’indication des deux variantes, pour la période antérieure au 1er avril 1919 (jour
devenu le 14 avril 1919, suite à la mise en pratique du calendrier grégorien) nous avons choisi
d’indiquer les dates selon le calendrier julien.
24 ANDREI FLORIN SORA
distinction très nette des trois pouvoirs, pour la responsabilité ministérielle, pour
l’admissibilité de tous les Roumains dans la fonction publique1.
Deux ans plus tard, à Paris, les représentants des puissances européennes
ont débattu la question roumaine. La Convention adoptée le 7/19 août 1858 à
Paris par les sept garants des Pays Roumains, axée sur leur statut international,
avait en fait tous les attributs d’une constitution. Les Principautés unies
conservaient leur autonomie sous la suzeraineté de l’Empire ottoman. Bien qu’ils
doivent être confirmés par le Sultan, les Princes disposaient de leur propre
organisation administrative. Le pouvoir législatif était représenté par les deux
Assemblées, une pour chaque pays, élues pour une période de sept ans. Les seules
institutions communes étaient la Commission centrale2, dont le but était
d’analyser et de proposer des lois communes, et la Cour de cassation. La
Convention, ayant comme source d’inspiration la Constitution belge de 1831 et
celle française de 18523, confirmait le principe de la séparation des pouvoirs4 et
accordait des droits et des libertés fondamentaux5. Par cet acte à caractère
constitutionnel se mettait en place également une requête présentée par les
assemblées « ad-hoc » : la suppression des titres nobiliaires.
Au début de l’année 1859, sans avoir l’accord des grandes puissances mais
bénéficiant de l’appui de la France de Napoléon III, les Roumains ont réalisé
l’union de facto de la Moldavie et de la Valachie. La modalité a consisté à élire le
même prince sur le trône des deux Principautés : le boyard moldave Alexandru
Ioan Cuza6. Dans les premières années de son règne, chaque principauté a eu son
1
L’administration publique a été un sujet très débattu surtout en ce qui concernait l’autonomie
locale. Une proposition novatrice a été d’exiger que les hommes d’Église aient le statut des
fonctionnaires. La Commission des sept représentants des grandes puissances a fait des
propositions concernant l’administration publique. Par exemple, elle s’est penchée avec un grand
intérêt sur la fonction de chef d’arrondissement, en recommandant la nomination de celui-ci par le
pouvoir exécutif.
2
Ioan Stanomir caractérise la Commission centrale comme un « laboratoire constitutionnel », son
projet de constitution de 1859 a été un repère et une source pour la Constitution de 1866, Naşterea
Constituţiei. Limbaj şi drept în Principate până la 1866, Bucarest, Nemira, 2004, p. 319.
3
Sur l’influence du droit constitutionnel belge dans les Pays Roumains voir notamment l’étude du
grande juriste Andrei Rădulescu, « Influenţa belgiană asupra dreptului român », in Pagini din
istoria dreptului românesc, Bucarest, Editura Academiei R.S.R., 1970, p. 188-209.
4
Voir Alexandre Tilman Timon, Les influences étrangères sur le droit constitutionnel roumain,
Bucarest et Paris, Cugetarea-Georgescu Delafras et Librairie du Recueil, Sirey, 1946, p. 299-301.
5
La liberté de pensée a été reconnue, tous les citoyens avaient le droit à occuper des fonctions
publiques. Le droit de vote était conditionné par un cens élevé.
6
Pour la période délimitée par le Traité de Paris de 1856 et l’abdication d’Alexandru Ioan Cuza de
de 1866 très utiles sont les ouvrages de Dan Berindei (Epoca Unirii, Bucarest, Corint, 2000),
Grigore Chiriţă (Organizarea instituţiilor moderne ale statului român (1856-1866), en 1999 et
Societatea din Principatele Unite Române în perioada constituirii Statului Naţional (1856-1866),
en 2004, les deux ouvrages parus chez Editura Academiei Române, à Bucarest) ou Constantin C.
Giurescu (Viaţa şi opera lui Cuza Vodă, Bucarest, Editura Ştiinţifică, 1966).
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 25
1
« Statutul desvoltătoriu convenţiunei din 7/19 august 1858 », in Ioan Muraru, Gheorghe Iancu,
Mona-Lisa Pucheanu, Corneliu-Liviu Popescu, Constituţiile române – Texte. Note. Prezentare
comparativă, Bucarest, Regia Autonomă „Monitorul Oficial”, 1993, p. 7.
2
Après le refus du prince Philippe de Flandres d’accepter le trône, les hommes politiques
roumains choisissent de nommer Carol comme prince régnant. Il serait à remarquer que Philippe
de Flandres a été proclamé prince sans qu’il donne auparavant son accord et les fonctionnaires
publics ont prêté serment à un prince qui n’a jamais régné.
3
Ioan Stanomir, Libertate, lege şi drept. O istorie a constituţionalismului românesc, Iaşi, Polirom,
2005, p. 53.
4
Le système politique et le régime parlementaire roumain ont été influencés par le droit du
Prince/Roi de nommer le président du Conseil des ministres et de dissoudre le Parlement.
5
Le droit de veto contre les projets de loi n’a jamais été utilisé par Carol I.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 27
1
M. Guţan, Istoria administraţiei publice româneşti, p. 215.
2
« Constituţiunea din 1866 », art. 131, in Constituţiile române …, p. 63.
3
En ce qui concerne l’idéologie conservatrice en Roumanie, nous mentionnons les études de Zigu
Ornea (Junimea şi junimismul, deux volumes, Bucarest, Minerva, 1998), d’Ion Bulei
(Conservatori şi conservatorism în România, deuxième édition, Bucarest, Editura Enciclopedică,
2000) ou d’Ioan Stanomir (Spiritul conservator. De la Barbu Catargiu la Nicolae Iorga, Bucarest,
Curtea Veche, 2008).
4
Şerban Rădulescu Zoner (dir.), Istoria Partidului Naţional Liberal, Bucarest, ALL, 2000.
28 ANDREI FLORIN SORA
1
La loi électorale de 1866 a eu comme principe déterminant le suffrage censitaire : le droit de vote
d’une petite minorité des citoyens et la division des électeurs en collèges. Pour la Chambre des
députés il y avait quatre collèges d’électeurs (dans le quatrième collège, les électeurs étaient des
paysans qui avaient le droit de vote indirect) et pour le Sénat, deux collèges. En 1884, la loi électorale
a été modifiée, le quatrième collège de la Chambre des députés a été assimilé au troisième, mais cette
modification de loi n’a pas fait augmenter de manière considérable le nombre d’électeurs.
2
Cf. Matei Dogan, Analiza statistică a ‘democraţiei parlamentare’ din România, Bucarest, 1946,
p. 10-14. Voir également Leonida Colescu, Statistica electorală. Alegerile generale pentru
Corpurile Legiuitoare în 1907 şi 1911, Bucarest, 1913.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 29
1
En échange de la participation de l’armée roumaine à la guerre, l’Allemagne et l’Autriche-
Hongrie avaient promis au gouvernement de Bucarest la Bessarabie. L’autre camp, celui de
l’Entente (la France, l’Angleterre et la Russie), espérait attirer la Roumanie de son côté en lui
accordant des territoires de l’Autriche-Hongrie.
30 ANDREI FLORIN SORA
1
Cf. Keith Hitchins, România, 1866-1940, deuxième édition en roumain, Bucarest, Humanitas,
1998 [édition anglaise, 1994], p. 276.
2
Ion Nistor, Istoria Basarabiei, Chişinău, Cartea Moldovenească, 1991, p. 212.
3
La présentation des membres de l’Assemblée du Pays (Sfatul Țării), par orientation politique et
origine géographique est réalisée par Alexandru Chiriac, Membrii Sfatului Ţării, 1917-1918,
Bucarest, Editura Fundaţiei Culturale Române, 2001.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 31
1
Cette résolution a été adoptée avec 86 voix pour, 3 contre et 36 abstentions.
2
K. Hitchins, op. cit., p. 234.
3
Voir Ion Nistor, Istoria Bucovinei, Bucarest, Humanitas, 1991, p. 385-404.
4
Le Conseil dirigeant a fait l’objet de plusieurs études dont les plus significatives sont celles de
Gheorghe Iancu (Contribuţia Consiliului Dirigent la consolidarea statului naţional român (1918-
1920), Cluj-Napoca, Dacia, 1985 et d’Aurel Galea (Formarea şi activitatea Consiliului Dirigent al
Transilvaniei, Banatului şi ţinuturilor româneşti din Ungaria (2 decembrie 1918 – 10 aprilie
1920), Târgu-Mureş, Tipomur, 1996).
5
L’union a été reconnue par décrets-lois par la Roumanie le 10 avril 1918 pour la Bessarabie, le
13 décembre 1918 pour la Transylvanie, le Banat, la Crişana et le Maramureş et le 19 décembre
1918 pour la Bucovine. Ces décrets-lois ont été ratifiés le 1er janvier 1920 (Codul General al
României, vol. IX-X, Bucarest, p. 252-253).
32 ANDREI FLORIN SORA
1
En juillet 1921, le Parti Paysan du Vieux Royaume a fusionné avec une formation, dirigée par
Pantelimon Halippa, issue du Parti Paysan de la Bessarabie. Ensuite, quelques-uns des anciens
membres du Parti Démocrate de l’Union de la Bucovine ont intégré le même parti. D’autre part,
suite à sa « fusion » avec le Parti Paysan de la Bessarabie (dirigé par Ion Inculeţ) et le Parti
Démocrate de l’Union de la Bucovine (dirigé par Ion Nistor) la représentativité au niveau national
du Parti National Libéral est accrue.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 33
1
Dans leur grande majorité, les dirigeants du Parti National Roumain de Transylvanie avaient une
grande expérience et une bonne formation politique. Ils ont bien compris que pour conquérir le
pouvoir dans l’État roumain ils avaient besoin d’un ancrage dans le Royaume tout entier. En
conséquence, en novembre 1922 le Parti National a fusionné avec le Parti Conservateur Démocrate
et il a transféré son siège de Cluj à Bucarest. En 1926, après quatre ans de négociations, le Parti
National s’est unifié avec le Parti Paysan pour constituer le Parti National Paysan.
2
L’historiographie sur la Garde de Fer est assez riche (nous citons notamment l’ouvrage de Zigu
Ornea, Anii treizeci : extrema dreaptă românească, Bucarest, Editura Fundaţiei Culturale Române,
1995), y compris des recherches faites par des chercheurs étrangers qui lui ont dédié des articles ou
des chapitres dans leurs ouvrages (Eugen Weber, Nicholas M. Nagy-Talavera), soit des études
indépendantes: Armin Heinen, Legiunea ‘Arhanghelului Mihail’ : o contribuţie la problema
fascismului internaţional (première édition parue dans la langue allemande chez Oldenburg,
München, 1986), Bucarest, Humanitas, 1999, Francisco Veiga, La mistica del ultranacionalismo :
(Historia de la Guardia de Hierro) Rumania, 1919-1941, Belaterra, Universitat Autonoma de
Barcelona, 1989, traduit en roumain chez Humanitas en 1993). En ce qui concerne
l’historiographie roumaine d’avant 1989, elle a offert un discours politisé. Après 1989 la Garde de
Fer est devenue le sujet de beaucoup de débats contradictoires et de nombreux articles et études
monographiques.
34 ANDREI FLORIN SORA
1
I. Stanomir, Libertate, lege şi drept …, p. 120.
2
K. Hitchins, op. cit., p. 333.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 35
qui avaient comme principal objectif d’obtenir un plus important et rapide profit
sans trop d’investissements. Cette conception de l’agriculture a influencé la
situation matérielle des paysans et même le fonctionnement de l’administration.
Dans le Vieux Royaume le caractère agraire du pays et la crainte d’émeutes
paysannes ont fait que les préfets et surtout les chefs d’arrondissement recevaient
des attributions précises pour contrôler le respect des contrats agricoles.
Considérée à l’époque comme la plus radicale réforme de l’Europe et promise par
le roi Ferdinand pendant la Guerre, la réforme agraire1, adoptée par plusieurs lois
promulguées entre 1918 et 19212, a exproprié 6 millions d’hectares de terre3.
Toutefois, cette réforme n’a pas mis fin à la paupérisation de la classe paysanne:
entre 30 et 35% des 2,3 millions de paysans ayant le droit de recevoir des lots de
terre (cultivable) n’ont rien obtenu4, beaucoup d’autres ont reçu une parcelle
insuffisante pour une vie normale, défauts à qui s’ajoutent les abus dans
l’application de la loi, la perpétuation des lotissements, le payement du terrain
acquis et plusieurs autres taxes et impôts.
En ce qui concerne le degré d’instruction, en 1899, 78% des habitants âgés
de plus de 7 ans étaient illettrés5, même si l’instruction primaire était depuis
plusieurs décennies obligatoire et gratuite. En 1930, le pourcentage d’illettrés était
de 43%6, avec de grandes disparités d’une région historique à l’autre (en
Bessarabie 61,9% contre 33% en Transylvanie7). Un aspect intéressant réside dans
dans les différences de degré d’instruction entre hommes et femmes : en 1899,
32% des hommes âgés de plus de 7 ans savaient lire et seulement 10% des
femmes8 ; en 1930 64,2% des hommes âgés de plus de 7 ans savaient lire et
45,5% des femmes9. Un autre clivage concernait la différence de degré
d’instruction entre la ville et la campagne.
1
Sur ce sujet nous signalons la monographie de Dumitru Şandru, Reforma agrară din 1921,
Bucarest, Editura Academiei R.S.R., 1975. Une analyse pointue des diverses catégories de paysans
et de leur polarisation politique est réalisée par Antoine Roger, Fascistes, communistes et paysans.
Sociologie des mobilisations identitaires roumaines (1921-1989), Bruxelles, Éditions de
l’Université de Bruxelles, 2002.
2
La réforme agraire a été appliquée de manière différente dans le Vieux Royaume, la Bessarabie,
la Bucovine et Transylvanie.
3
La surface moyenne de terrain donnée en propriété a été de 2,8 hectares, cf. D. Şandru, op. cit., p.
p. 251-252.
4
K. Hitchins, op. cit., p. 349.
5
La Roumanie, 1866-1906, Bucarest, Socec, 1907, p. 70.
6
Enciclopedia României, vol. I, p.142.
7
Ibidem.
8
La Roumanie ..., p. 71.
9
Enciclopedia României, vol. I, p. 144.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 37
1
Ibidem, p. 19-26.
2
Delphine Gardey, Le dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau, 1890-
1930, Paris, Belin, 2002.
3
Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide, Lille,
Presses Universitaires de Lille, 1989.
4
Max Weber, Economie et société, tome 1, vol. 1, Paris, Plon 1995 ; nous avons consulté aussi
l’édition anglaise Economy and Society. An Outline of Interpretive Sociology, deux volumes,
Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 1978.
5
Michel Crozier, Le Phénomène bureaucratique. Essai sur les tendances bureaucratiques des
systèmes d’organisation modernes et sur leurs relations en France avec le système social et
culturel, Paris, Editions du Seuil, 1963, nouvelle édition 1993.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 39
interactions à l’œuvre dans un groupe tel que celui des fonctionnaires. En ce qui
concerne les approches anglo-saxonnes sur la bureaucratie on rappelle les études
rassemblées par Robert K. Merton dans son Reader in bureaucracy1 ou l’ouvrage
de David Beetham2. Dans l’espace nord-américain la notion de public
administration est analysée surtout du point de vue sociologique. Nous avons
trouvé de fortes ressemblances du rapport politique-administration entre la
Roumanie et les États-Unis. En outre, jusqu’à un certain point, le spoil system
américain est identifiable aussi dans la Roumanie de la période 1866-1940.
Dans les dernières décennies, aux États-Unis, les études sur les agents
publics ont commencé à ne plus préoccuper uniquement les sociologues. En
analysant la professionnalisation des agents publics dans des institutions comme
la Poste ou dans diverses agences autonomes du département de l’agriculture,
Daniel P. Carpenter3 offre des pistes de recherche concernant la difficulté du
processus de professionnalisation, y compris dans un système administratif avancé
comme celui des États-Unis, où l’administration est étroitement liée à la politique.
En ce qui concerne l’étude de la bureaucratie dans les pays européens nous
mentionnons le travail de Françoise Dreyfus4 qui a réalisé une étude comparative
sur trois pays sous différents régimes administratifs (la France, la Grande Bretagne
et les États-Unis), les recherches menées par Guy Thuillier5 et l’ouvrage de Rolf
Torstendahl6 sur la bureaucratie et le pouvoir central dans l’Europe du Nord.
Dans l’historiographie des pays du Sud-est de l’Europe, l’histoire de
l’administration et des fonctionnaires n’est pas encore un domaine de recherche
très développé, mais la démarche en a été déjà commencée. Dans un ouvrage sur
les intellectuels et leur rôle dans le processus de modernisation de la Bulgarie,
l’historien Jordan Kolev7 consacre un chapitre aux fonctionnaires publics où il
accorde une grande importance à l’évolution de leur niveau d’études. Un essai
réussi d’analyse comparative des élites politiques de la Bulgarie et de la
Roumanie est celui de la chercheuse bulgare Dobrinka Parusheva8.
1
Robert K. Merton (dir.), Reader in Bureaucracy, Glencoe, Illinois, Columbia University, The
Free Press, 1952.
2
David Beetham, Birocraţia, Bucarest, Du Style, 1998 (édition anglaise 1987).
3
Daniel P. Carpenter, The Forging Bureaucratic Autonomy. Reputations, Networks and Policy
Innovation in Executive Agencies, 1862-1928, Princeton University Press, 2001.
4
Françoise Dreyfus, L’invention de la bureaucratie. Servir l’État en France, en Grande-Bretagne
et aux États-Unis (XVIIIe-XXe siècle), Paris, La Découverte, 2000.
5
Guy Thuillier, La Bureaucratie aux XIXe et XXe siècles, Paris, Economica, 1987; Pour une
histoire de la bureaucratie en France, Paris, 1999 ; Les retraites des fonctionnaires, tome 1.
Débats et doctrines 1790-1914, Paris, Sécurité Sociale, 1996.
6
Rolf Torstendahl, Bureaucratisation in Nortwestern Europe 1880-1985, Londres et New York,
Routledge, 1991.
7
Jordan Kolev, Bălgarskaia inteligentzija, 1878-1912, Sofia, 1992.
8
Voir notamment son article « Political Elites in the Balkans, Nineteenth and Early Twentieth
Century: Routes to Carrier », in Balkan Studies, no 4/2001, p. 69-79.
40 ANDREI FLORIN SORA
1
Robert Descimon, Jean-Fréderic Schaub, Bernard Vincent (dir.), Les figures de l’administrateur.
Institutions, réseaux, pouvoirs en Espagne, en France et au Portugal, 16e- 19e siècle, Paris,
Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1997.
2
Vida Azimi (dir.), Les élites administratives en France et en Italie, Paris, Panthéon-Assas, 2006
3
Jürgen Kocka (dir.), Bürgetum im 19 Jahrhundert, Munich, Deutscher Taschenbuch Verlag,
1988. Nous avons utilisé l’édition française Les bourgeoisies européennes au XIXe siècle, parue
chez Belin en 1996.
4
Arpad Von Klimo, Tra Stato e società. Le élites amministrative in Italia e Prussia (1860-1918),
Rome, 2002.
5
Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le corps préfectoral sous la Troisième et sous la Quatrième
République, Paris, Armand Colin, 1969.
6
Vincent Wright et Bernard Le Clère, Les Préfets du Second Empire, Paris, Armand Colin, 1973.
7
Luc Rouban, Les préfets de la République 1870-1997, Cahier du CEVIPOF, no 26, 2000.
8
Christophe Charle, Les Hauts fonctionnaires en France au XIXe siècle, Paris, Gallimard/Julliard,
Gallimard/Julliard, 1980 et Les élites de la République (1880-1900), Paris, Fayard, 1987.
9
Dominique Chagnollaud, Le premier des ordres. Les hauts fonctionnaires (XVIIIe-XXe siècle),
Paris, Fayard, 1991.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 41
République française, qui porte essentiellement sur les préfets. Cette contribution a
été complétée quelques années plus tard par l’ouvrage de Vincent Wright et
Bernard Le Clère sur les préfets du Second Empire. Les préfets de l’époque qui a
suivi la défaite de Sedan ont été décrits dans l’excellent ouvrage biographique
posthume de Vincent Wright, riche en informations et surtout enrichissant par les
méthodes de travail déployées1. Ainsi, par la publication des biographies de la plus
grande partie des préfets de 1870-1871, réalisée par un travail d’archive et un
questionnement très pointu qui sert aussi à notre recherche comme modèle, Vincent
Wright nous dévoile les modalités de survivance et de reproduction d’une
institution blâmée et même condamnée par les nouveaux dirigeants, mais qui a su
s’adapter - par la législation et le facteur humain - et servir au nouvel ordre
politique. Il faut mentionner aussi la contribution du sociologue Luc Rouban qui
réalise une riche analyse quantitative par laquelle il montre les origines
géographiques et sociales, l’évolution sociale, professionnelle, les études des préfets
en fonction durant la période 1870-1997. L’auteur se propose de « mesurer avec
précision la réalité sociale d’un grand corps de l’État et d’apprécier ce qui fait qu’un
groupe professionnel de la fonction publique constitue un corps »2 et de s’interroger
s’interroger sur les rapports entre l’administration et la politique.
Le bicentenaire de la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) a
engendré l’organisation de plusieurs colloques dont les actes ont été le plus
souvent publiés3. À l’occasion du bicentenaire un autre ouvrage est paru, écrit par
Edouard Ebel qui essaie d’analyser une des principales attributions des préfets, le
maintien de l’ordre4.
En France, le pays de l’école des Annales, l’histoire sociale est bien
représentée également par des études sur les élites. Les hauts fonctionnaires
publics de même que des membres de la haute société sont analysés dans les
études sur les élites administratives de Dominique Chagnollaud, Christophe
Charle ou Marie-Christine Kessler5.
1
Vincent Wright, Les préfets de Gambetta, texte complété, mis à jour par Eric Anceau et Sudhir
Hazareesingh, Paris, Presses Université Paris-Sorbonne, 2007.
2
L. Rouban, op. cit., p. 4.
3
Francis Borella (dir.), Le préfet 1800-2000. Gouverneur, Administrateur, Animateur, colloque du
du 30-31 mars 2000, (Nancy), Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 2000; Jean-Jacques Clère
et Jean-Louis Halpérin (dir.), Ordre et désordre dans le système napoléonien, colloque du 22-23
juin 2000 (Dijon), Paris, Éditions la Mémoire du Droit, 2003 ; La loi du 28 pluviôse an VIII, deux
cents ans après, survivance ou pérennité ?, colloque du 9-10 mai 2000 (Amiens), Paris, Presses
Universitaires de France, 2000 ; Maurice Vaisse (dir.), Les préfets, leur rôle, leur action dans le
domaine de la défense de 1800 à nos jours, colloque du 29-30 septembre 2000 (Château de
Vincennes), Bruxelles, Paris Bruylant, LGDJ, 2001, etc.
4
Eduard Ebel, Les préfets et le maintien de l’ordre public, en France au XIXe siècle, Paris, La
Documentation française, 1999.
5
Marie-Christine Kessler, Les Grands Corps de l’État, Paris, Presses de la FNSP, 1987.
42 ANDREI FLORIN SORA
1
Une contribution importante est celle de Vida Azimi, « De la suppression des préfets : chronique
d’une mort ajournée », in Marc Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une
histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 245-260.
2
Jean-Michel Bricault, Le sous-préfet d’arrondissement. Elément de modernisation de l’État en
France, Paris, L’Harmattan, 2004.
3
Nico Randeraad, Authority in Search of Liberty: The Prefects in Liberal Italy, Amsterdam,
Thesis Publishers, 1993. Nous avons utilisé l’édition italienne Autorita in cerca di autonomia. I
prefetti nell’Italia liberale, Rome, 1997.
4
Luigi Ponziani, Il fascismo dei prefetti. Amministrazione e politica nell’Italia meridionale, 1922-
1926, Catanzaro, Meridiana Libri, 1995.
5
Guido Melis, Storia dell’amnistrazione italiana, 1861-1993, Bologne, Il Mulino, 1996.
6
Idem, Due modelli di amministrazione tra liberalismo e fascismo. Burocrazie tradizionali e nuovi
nuovi apparati, Rome, 1988.
7
Marc Olivier Baruch, Servir l’État Français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris,
Fayard, 1997.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 43
une référence importante et non seulement pour le cas français. L’auteur nous
dévoile comment un régime politique détermine le changement du comportement
et même des mentalités administratives et comment - et surtout pour quelles
raisons - les fonctionnaires acceptent de devenir les instruments d’un régime anti-
démocratique et répressif.
En revenant au constat que Mihail Manoilescu faisait dans les années
1940, que nous avons mis en exergue à l’introduction, on pourrait dire que cette
analyse se vérifie encore au début du XXIe siècle. Au-delà de la pénurie de
recherches d’histoire ou de sociologie sur les fonctionnaires publics, et
notamment sur les membres de l’administration préfectorale, en Roumanie, même
les monographies sur les institutions publiques sont peu nombreuses et, quand
elles existent, ont souvent un caractère partisan. Le régime communiste d’avant
1989 n’a pas encouragé le développement d’un vrai débat historiographique sur
l’administration publique de la Roumanie moderne. Dans des pays comme la
France et l’Italie, les études sur l’administration et sur les élites administratives
ont été précédées ou accompagnées de la publication de dictionnaires
biographiques sur des préfets ou sur d’autres hauts fonctionnaires, étape
historiographique qui en Roumanie se manifeste encore timidement.
Pour la science juridique roumaine d’avant 1945, l’administration et la
fonction publique représentaient des sujets favoris, les débats étant encouragés
pour des raisons pratiques : l’essor de sciences juridiques en Roumanie, le
prestige du métier d’avocat, de magistrat, du titre de docteur en Droit dans le
contexte de la création de l’État roumain. Ces conditions ont favorisé un ensemble
de débats entre les juristes sur les voies du développement institutionnel.
L’histoire des institutions étatiques comme celle des sources de la Constitution de
1866 n’ont pas été laissées de côté1. Avant 1940, l’administration locale, y
compris les agents territoriaux de l’administration centrale, a été étudiée par des
juristes, des fonctionnaires publics, ou on lui a consacré des mémoires de maîtrise
ou de thèses de doctorat2. La Roumanie moderne a été un terrain favorable aux
débats théoriques sur l’administration locale et sur les questions de
décentralisation ou de déconcentration. Nous rappelons les spécialistes roumains
les plus appréciés en droit administratif : C. G. Dissescu3, Anibal Teodorescu4,
1
Ion I. C. Filitti, Izvoarele constituţiei de la 1866, Bucarest, 1934.
2
Parmi ces contributions on remarque les études du Vasile C. Nicolau, Priviri asupra vechii
organizări a Moldovei, Bârlad, [1913]; Anton I. Milea, Rolul pretorului după legea de unificare
administrativă, Bucarest, 1928; Ion G. Vântu, Comuna. Studiu critic şi comparat, Bucarest, 1928 ;
Gavril Ursu et Ştefan Oniga, Prim pretorul şi plasa cu o bogată descriere a plăşii în diferite State
străine, Alba-Iulia, 1933; Valeriu Moldovan, Administraţiunea locală română - Judeţul şi
comuna, Cluj, 1936; ou les divers articles de la Revista de Drept Public, fondée en 1926 par Paul
Negulescu.
3
C. G. Dissescu, Curs de drept public român, Bucarest, Socec, 1891.
4
Anibal Teodorescu, Tratat de drept administrativ, vol. I, troisième édition, Bucarest, 1929.
44 ANDREI FLORIN SORA
Paul Negulescu1, Marin Văraru2, Victor Onişor3, Erast Diti Tarangul4. En ce qui
concerne la fonction publique notre travail fait appel notamment aux écrits de
George Alexianu5 ou Jean Vermeulen6.
En lignes générales la littérature historique et juridique reste dans le
sillage descriptif et se limite à une brève présentation de la législation. Après
1989 la nécessité d’un changement qui détermine un plus grand degré de
démocratisation de l’appareil étatique, les débats publics ou entre les juristes sur
une nouvelle Constitution et sur le statut des fonctionnaires publics ont fait
maintes fois appel au modèle institutionnel occidental et, également, à la
Roumanie de l’entre-deux-guerres.
En ce qui concerne l’image d’ensemble de l’histoire de l’administration, il
faut rappeler les recherches de Manuel Guţan, historien du droit à l’Université de
Sibiu, auteur autant d’une histoire de l’administration publique7 que d’un ouvrage
ouvrage sur l’histoire de l’administration publique locale8. M. Guţan fait le point
sur l’importance et le poids des emprunts étrangers. Une autre vision, plus
détaillée mais moins claire, est celle de l’historien Nicolae Prună développée dans
plusieurs ouvrages qui portent sur l’administration de la période 1860-1916, en se
penchant sur divers aspects (l’administration locale, les débats parlementaires, la
question de la décentralisation)9. Sur le ministère de l’Intérieur, même s’il n’est
pas inédit, on mentionne seulement le travail de Florin N. Şinca sur la police10,
recherche qui s’appuie sur un riche matériel d’archives.
L’institution préfectorale et ses fonctionnaires ont fait l’objet de plusieurs
monographies locales11, toujours insuffisantes et incomplètes, exclusivement
1
Paul Negulescu, Tratat de drept administrativ. Organizarea administrativă a României,
quatrième édition, vol. I, Bucarest, 1934 [1904].
2
Marin Văraru, Tratat de drept administrativ român, Bucarest, Socec, 1928.
3
Victor Onişor, Tratat de drept administrativ român, deuxième édition, Bucarest, Cartea
Românească, 1930 [1923].
4
Erast Diti Tarangul, Curs de drept administrativ, 1947, Cluj.
5
George Alexianu, Statutul funcţionarilor publici (Lege şi regulament), din 19 iunie 1923 cu toate
legile modificatoare (1923-1937), troisième édition, Bucarest, 1937.
6
Jean Vermeulen, Statutul funcţionarilor publici, Bucarest, 1933.
7
Manuel Guţan, Istoria administraţiei publice româneşti, deuxième édition, Bucarest, Hamangiu,
2006 [2005].
8
Idem, Istoria administraţiei publice locale în statul român modern, Bucarest, All Beck, 2005.
9
Nicolae Prună, Centralizarea sau descentralizarea administraţiei locale în România modernă
(1864-1905). Dezbateri parlamentare, Drobeta Turnu Severin, Lumina, 2001; Administraţia
locală în România modernă Vol. I: Perioada 1864-1876, Drobeta Turnu Severin, Univers, 2002;
Administraţia locală în tranziţie (1860-1866), Drobeta Turnu Severin, Recreativ, 2005; Evoluţia
regimului administraţiei publice locale, 1864-1914, thèse de doctorat soutenue à l’Université de
Bucarest, la Faculté d’Histoire, 2008.
10
Florin N. Şinca, Din istoria poliţiei române, vol. I Între onoare şi obedienţă, Bucarest, 2006
11
Ionela Mircea, Prefectura şi prefecţi. Instituţia prefectului. Judeţul Alba, Alba-Iulia, 2005; Ioan
Pânzar et Emil Satco, Prefectura. Repere istorice locale, Iaşi, Junimea, 1995 – ouvrage qui se
réfère essentiellement au département de Suceava; Corneliu Tamas, Smaranda Țana, Judeţul
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 45
descriptives. Un autre type d’approche, celle de l’historien du droit, est due à Emil
Bălan1. En outre on peut trouver des informations sur les attributions des préfets et
leur relation avec le conseil local dans l’ouvrage de Dragoş Rotaru2. Les deux
ouvrages analysent surtout la période d’après 1989.
Dans la dernière décennie, plusieurs études ont abordé l’histoire
constitutionnelle. Tel est le cas des recherches menées par Laurenţiu Vlad, Radu
Carp et Ioan Stanomir3. En ce qui concerne la création des institutions modernes et
leur rôle dans le processus de construction de l’État roumain, y compris les
réformes du prince Alexandru Ioan Cuza nous rappelons les recherches menées par
Grigore Chiriţă4. Un autre ouvrage qui s’avère utile pour notre recherche et qui
réussit à répertorier l’évolution de l’administration locale, en analysant également
les causes de ses changements et leurs conséquences, est dû à Ioan Silviu Nistor5.
Notre choix comme étude de cas de l’institution préfectorale et de ses
principaux fonctionnaires et sa projection sur une longue période nous permet de
quantifier l’évolution de la société roumaine, les changements qui s’opèrent dans
le recrutement des fonctionnaires, l’origine sociale et géographique, leur
formation intellectuelle, le type de leur carrière.
L’historiographie roumaine sur la vie quotidienne n’est pas aussi riche que
dans l’espace anglo-saxon ou français. Néanmoins, notre recherche s’appuie sur les
travaux de Dan Berindei6, Grigore Chiriţă7, Ion Bulei8 ou Elena Olariu9 qui se
penchent sur la société roumaine du XIXe siècle ou du début du XXe siècle. Les
boyards, parmi lesquels il y a un nombre important de préfets et même de directeurs
de préfecture et de chefs d’arrondissement, ont été dans l’historiographie roumaine
Vâlcea şi prefecţii lui, Râmnicu Vâlcea, Conphys, 2004; Nicolae Băbălău, Dinică Ciobotea, Ion
Zarzără, Din istoria instituţiilor administrative ale judeţului Dolj, Craiova, Sitech, 2004.
1
Emil Bălan, Prefectul şi prefectura în sistemul administraţiei publice, Bucarest, Editura Fundaţiei
„România de Mâine”, 1997.
2
Dragoş Rotaru, Consilierii locali: istorie şi actualitate. Statutul aleşilor locali - consilieri în
organizarea administraţiei publice locale a României moderne şi contemporane, Iaşi, Helios, 2003.
3
Radu Carp, Ioan Stanomir, Laurenţiu Vlad, De la pravilă la constituţie. O istorie a începuturilor
constituţionale româneşti, Bucarest, Nemira, 2002 ; Ioan Stanomir, Naşterea Constituţiei : Limbaj
şi drept în Principate până la 1866, Bucarest, Nemira, 2004 ; Ioan Stanomir, Libertate, lege şi
drept. O istorie a constituţionalismului românesc, Iaşi, Polirom, 2005.
4
Grigore Chiriţă, Organizarea instituţiilor moderne ale statului român (1856-1866), Bucarest,
Editura Academiei Române, 1999.
5
Ioan Silviu Nistor, Comuna şi judeţul. Factori ai civilizaţiei româneşti unitare. Evoluţia istorică,
Cluj-Napoca, Dacia, 2000.
6
Dan Berindei, Societatea românească în vremea lui Carol I (1866-1876), Bucarest, Editura
Militară, 1992.
7
Grigore Chiriţă, Societatea din Principatele Unite Române în perioada constituirii Statului
Naţional, Bucarest, Editura Academiei Române, 2004.
8
Ion Bulei a publié plusieurs livres sur la vie quotidienne au début des années 1900. Nous
mentionnons notamment son ouvrage Lumea românească la 1900, Bucarest, Eminescu, 1984.
9
Elena Olariu, Mentalităţi şi moravuri la nivelul elitei din Muntenia şi Moldova. Secolul al
XIX-lea, Bucarest, Editura Universităţii din Bucureşti, 2006.
46 ANDREI FLORIN SORA
l’objet d’un nombre limité d’études, pour la plupart des biographies, fait qui
contraste avec leur importance historique. Parmi les exceptions nous signalons
l’ouvrage de Gheorghe Platon et d’Alexandru Florin Platon, qui vise l’espace
moldave dans la première moitié du XIXe siècle1. Dans l’ouvrage déjà mentionné,
Elena Olariu analyse les changements intervenus aux divers échelons de la haute
société roumaine dans le XIXe siècle et décrit la querelle entre l’ancien et le
nouveau, entre la tradition et la modernité à l’intérieur de l’élite du pays.
Même si elles n’ont pas comme sujet les fonctionnaires publics, les études
sur les intellectuels d’Elena Siupiur, recueillies dans un ouvrage paru en 20042 et
de Lucian Nastasă-Kovacs3 nous offrent un cadre de comparaison avec d’autres
groupes sociaux et nous facilitent la compréhension de l’importance des études
universitaires dans l’espace public roumain et les réseaux qui se constituent entre
des gens avec une formation intellectuelle et même origine sociale proche.
Une étude prosopographique pointue, mais limitée comme groupe et
période analysés est celle de Mihai Sorin Rădulescu4 sur les élites libérales durant
durant la période 1866-1900. D’autre part, sur les élites conservatrices, pour une
région et une époque bien déterminée (l’Olténie du début du XXe siècle) nous
signalons les recherches d’Ana Maria Rădulescu5.
Même si elle a été rédigée il y a plus de soixante ans, l’étude du
sociologue Mat(t)ei Dogan6 sur les membres du Parlement est très utile. Son
analyse sur les membres du Parlement roumain de l’entre-deux-guerres constitue
une direction de recherche dans le repérage de l’origine sociale et professionnelle
de la classe politique roumaine et demeure encore un point de référence. Un
ouvrage complémentaire et aussi novateur, mais écrit plus récemment, qui analyse
le Parlement roumain comme institution et qui nous aide à saisir les mécanismes
qui sont à la base du changement de régime politique, est le travail de l’historien
allemand d’origine roumaine Hans Christian Maner7.
1
Gheorghe Platon, Alexandru Florin Platon, Boierimea din Moldova în secolul al XIX-lea. Context
Context european, evoluţie socială şi politică (Date statistice şi observaţii istorice), Bucarest,
Editura Academiei Române, 1995.
2
Elena Siupiur, Intelectuali, Elite, clase politice moderne în Sud-estul european. Secolul XIX,
Bucarest, Dominor, 2004.
3
Lucian Nastasă, Intelectualii şi promovarea socială. Pentru o morfologie a câmpului universitar,
universitar, en 2004, Itinerarii spre lumea savantă. Tineri din spaţiul românesc la studii în
străinătate (1864-1944), en 2006, Suveranii Universităţilor româneşti. Mecanisme de selecţie şi
promovare a elitei intelectuale. I Profesorii Facultăţilor de Filosofie şi Litere (1864-1948), en
2007 ; ouvrages parus à Cluj-Napoca chez Limes.
4
Mihai Sorin Rădulescu, Elita liberală românească 1866-1900, Bucarest, ALL, 1998.
5
Ana Maria Rădulescu, Conservatorii în Oltenia, Dolj, 1899-1913, en 2004 et Conservatorii din
judetul Dolj între 1899-1922, en 2005; les deux ouvrages publiés chez Aius, à Craiova.
6
Matei Dogan, Analiza statistică a ‘democraţiei parlamentare’ din România, Bucarest, 1946.
7
Hans Christian Maner, Parlamentarismus in Rumänien : 1930-1940. Demokratie im autoritären
Umfeld, Munchen, Oldenbourg, 1997, traduit en roumain chez Editura Enciclopedică (Bucarest),
2004.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 47
Une très riche étude, assez singulière par sa valeur méthodologique et par
les pistes de recherche proposées, mais assez peu connue et mise en valeur par les
historiens, est le travail du sociologue Marius Lazăr1. Même si Marius Lazăr
s’efforce d’étudier notamment les élites culturelles, il nous fait également une
analyse de l’origine sociale, des études, de la carrière politique des ministres de la
période 1866-1938. Ce travail est le premier en Roumanie, à notre connaissance,
qui emploie l’analyse géométrique des données pour un échantillon d’hommes
politiques.
Une des plus importantes attributions des membres du corps préfectoral a
été durant toute la période le contrôle des élections, au profit des forces politiques
au pouvoir. Sur la vie politique de l’entre-deux-guerres, et notamment le
comportement électoral et les programmes électoraux des principaux partis
politiques se penche l’ouvrage de Stelu Şerban2. Un autre jeune historien, Sorin
Radu, nous fournit des réponses relatives au degré de démocratisation des
élections3. Le lecteur saisit ainsi la relation entre la politique, le vote et l’électorat
en montrant les modalités de fraude des élections. Sorin Radu est également
l’auteur d’un ouvrage qui analyse l’évolution de la législation électorale et les
débats provoqués par ses nombreux changements4. Parmi les études récentes sur
les systèmes électoraux on mentionne aussi les travaux de Cristian Preda5 ou
d’Andreea Zamfira6.
Un nombre restreint d’anciens membres du corps préfectoral ont fait
l’objet d’études biographiques. Ces études ne visent que dans une mesure limitée
l’activité professionnelle comme préfets ou fonctionnaires administratifs de nos
sujets. La publication des biographies de ceux qui avaient détenu à un certain
moment des dignités préfectorales est plutôt due à d’autres raisons : c’est en tant
qu’intellectuels - écrivains7, publicistes8, hommes de l’Église9, hommes
1
Marius Lazăr, Paradoxuri ale modernizării. Elemente pentru o sociologie a elitelor culturale
româneşti, Cluj-Napoca, Limes, 2002.
2
Stelu Şerban, Elite, partide şi spectru politic în România interbelică, Bucarest, Paideia, 2006.
3
Sorin Radu, Electoratul din România în anii democraţiei parlamentare (1919-1937), Iaşi,
Institutul European, 2004.
4
Idem, Modernizarea sistemului electoral din România (1866-1937), Iaşi, Institutul European,
2005.
5
Cristian Preda, « Influenţa sistemelor electorale asupra sistemului de partide în România
interbelică », in Studia Politica, vol. II, 2002, no 1, p. 15-76.
6
Andreea Zamfira, « Élections et électeurs aux XIXe et XXe siècles. Une généalogie de l’étude
électorale en Roumanie », in Studia Politica, vol. VII, 2007, no 2, p. 339-372.
7
Adrian Marino, Viaţa lui Alexandru Macedonski, Bucarest, Editura pentru Literatură, 1966 ;
Viorica Diaconescu, Pantazi Ghica. Studiu monografic, Bucarest, Minerva, 1987 ; V. I. Cataramă,
Spiritul Junimii: Vasile Pogor, Iaşi, 1942.
8
Viorel Domenico, Claymoor, Bucarest, Intact, 2003.
9
Grigore Ploeşteanu, Dimitrie Poptămaş (dir.), Elie Câmpeanu, omul şi faptele sale, Târgu-Mureş,
Mureş, Fundaţia Culturală „Vasile Netea”, 1999.
48 ANDREI FLORIN SORA
Les sources
Notre travail s’appuie sur différents types de sources : des lois, des
règlements, des statuts, des fonds archivistiques, des annuaires et la presse, le
Journal officiel et les débats parlementaires (Dezbaterile Adunării Deputaţilor,
Dezbaterile Senatului), des mémoires et des témoignages, des réflexions
contemporaines sur les fonctionnaires, la littérature.
1
Th. G. Rosetti, Bucarest, Liga de Propaganda Conservatoare, 1909.
2
Constantin Lupescu, « Dr. Nicolae Hasnaş » in Titu Pânişoară, Ion Şoldea (dir.), Amintirile
oraşului, Târgu-Jiu, Măiastra, 2006, p. 49-52; Marin Pop, « Din viaţa şi activitatea lui Ion
Ossian », in Acta Musei Porolissensis, vol. 27, 2005, p. 213-224.
3
Adrian Brişcă, « Alexandru Cartojan (1901-1965) », in Arhivele Totalitarismului, XII, no 44-45,
3-4/2004, p. 252-258, Ioan Opriş, « Ştefan Meteş », in Magazin istoric, XL, no 5 (470), mai 2006,
p. 50-53.
4
Ioan Popa, Un ardelean prefect de Argeş. Profesorul Nicolae Brânzeu, Bucarest, Editura
Niculescu, 1997.
5
Nicolae Brânzeu était originaire de la Transylvanie. Diplômé de la Faculté de droit de Bucarest il
il a fait preuve de bonnes qualités d’administrateur.
6
Ioan Munteanu, « Dr. Aurel Cosma - primul prefect român al judeţului Timiş », in Acta Musei
Apulensis, Alba Iulia, XXV, 1988, p. 523-532.
7
Gheorghe Dumitraşcu, « Aspecte ale situaţiei Dobrogei în perioada noiembrie 1878–mai 1883.
Activitatea primului prefect de Constanţa, Remus N. Opreanu », in Anuarul Institutului de istorie
şi arheologie ‘A. D. Xenopol’, vol. XVIII, 1981, p. 293-304.
8
Mihai Dimitrie Sturdza (dir.), Familiile boiereşti din Moldova şi Țara Românească: enciclopedie
enciclopedie istorică, genealogică şi biografică, vol. I, Bucarest, Simetria, 2004.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 49
La législation
Si dans les chapitres qui visent l’organisation étatique et les fonctionnaires
publics, la législation, la presse et les prises d’opinion des contemporains
constituent les principales sources, dans le cas de l’institution préfectorale on s’est
appuyé surtout sur les archives. Néanmoins, l’étude de la législation sur
l’administration préfectorale à laquelle nous dédierons un important chapitre
représente un point majeur pour comprendre l’organisation étatique.
En ce qui concerne les fonctionnaires publics roumains, jusqu’à 19231
ceux-ci n’ont pas eu un statut qui réglemente d’une manière uniforme leur
situation, même si beaucoup de voix l’ont demandé. Nous avons identifié des lois,
des décrets et des règlements d’ordre intérieur pour les fonctionnaires des
ministères ou même des règlements pour les fonctionnaires de l’administration
locale. Ces règlements voulaient poser des droits, des obligations, des normes
pour fixer une meilleure conduite des fonctionnaires. Nous avons examiné
également le statut des diverses sociétés de fonctionnaires publics fondées dans
cette période2.
La presse
La presse, y compris les annuaires, les débats parlementaires, etc., nous
offre d’autres précieuses sources qui nous facilitent l’identification, comme dans
un puzzle, des pièces pour reconstituer le statut social et professionnel des
fonctionnaires publics et leur images de soi. Des sources essentielles à notre
recherche sont les annuaires des ministères et des institutions autonomes, même
lorsqu’ils ne couvrent que de courtes périodes. Une source importante dans
l’analyse de la carrière des fonctionnaires publics et surtout des membres de
l’administration préfectorale réside dans l’Annuaire du ministère de l’Intérieur,
paru entre 1893 et 1901 et en 1914, 1923 et 1938. D’autres annuaires, qui
présentent les biographies du personnel employé à ce moment-là, concernent des
institutions comme le ministère de la Justice (Anuarul Ministerului de Justiţie,
1899-1900, Anuarul Magistraturei, 1904-1928), la Cour des comptes (pour
l’année 1941), le ministère de l’Instruction et des Cultes (1899-1903, 1912, 1943),
etc. D’autres sources, qui viennent compléter les archives et les fiches
personnelles des annuaires, sont les informations fournies par la presse.
1
Statutul funcţionarilor publici, Bucarest, 1923.
2
Memoriul şi Statutul Asociaţiei generale „Liga Muncei“ a foştilor funcţionari publici suprimaţi
pe motive de economie la 1 aprilie 1901 ; Bucarest, Statutele Asociaţiei generale ale prim-
pretorilor din România, Bistriţa, [s.d.] ; Statutele Asociaţiei Generale a Funcţionarilor din
Ministerul de Finanţe Serviciile Exterioare, Bucarest, 1937 ; Statutele societăţii Corpul didactic
din România cu cinci anexe, Bucarest, 1879 ; Statutele funcţionarilor publici din judeţul Vâlcea
sub numele de „Concordia“, fondată în anul 1895, Râmnicu-Vâlcea, 1895 ; Statutele societăţii
funcţionarilor „Covurlui“, Galati, 1898 ; Statutele Societatei Funcţionarilor Publici, Bucarest,
1885 ; Statutele Societăţii Peleşul şi Vârful cu dor a micilor funcţionari (ai Statului din Bucuresti),
Bucarest, 1896.
50 ANDREI FLORIN SORA
Nous avons identifié plusieurs types de presse qui visent nos objets de
recherche: la presse destinée aux fonctionnaires, la presse centrale et la presse
régionale. La presse des fonctionnaires peut être partagée en presse officielle
(parue sous la protection officielle ou non des institutions étatiques) et des
journaux sinon indépendants au moins autonomes, dirigés et patronnés par des
fonctionnaires ou par des retraités. Si avant 1916 les plus importants périodiques
avaient comme lieu de publication Bucarest, la création de la Grande Roumanie a
engendré un plus grand degré d’atomisation. À Cluj1, à Chişinău2, etc.
paraissaient des publications, qui visaient à première vue un caractère régional.
Dans les pages de ces publications, on analysait le statut des fonctionnaires
publics, leur rapport avec la société, leur représentation dans l’opinion publique et
des solutions possibles aux problèmes de ce groupe professionnel. Elles nous
offrent de riches informations sur les fonctionnaires, leurs problèmes, leurs
aspirations sociales et même sur le niveau de cristallisation d’une conscience
commune. Beaucoup de ces périodiques3 sont également une source qui nous
permet de saisir le fonctionnement des sociétés des salariés publics, en l’absence
de leurs archives.
Dans la presse centrale, les fonctionnaires publics - vus comme un
ensemble, voire comme un groupe - constituent un sujet relativement fréquent. On
observe qu’ils apparaissent dans la presse dans plusieurs occasions: au moment où
le gouvernement et surtout l’opposition politique met en question le grand nombre
des fonctionnaires ; quand un fonctionnaire ou un groupe de fonctionnaires
devient la cible d’un journal ; durant la période pendant laquelle le Parlement
analyse le budget.
La presse régionale - et il faut dire qu’il existait en province dans les
grandes et dans les petites villes de nombreux journaux - n’accorde pas d’attention
spéciale aux problèmes des fonctionnaires en général. Les discussions abordées
sont plus ponctuelles: un abus précis, la situation des petits fonctionnaires d’une
préfecture ou d’une mairie etc. Tant dans la presse centrale que régionale, on
retrouve des articles élogieux ou critiques concernant les fonctionnaires de l’État.
Ceux qui attiraient les reproches des journaux de province n’étaient pas seulement
les hauts fonctionnaires ou les députés et les ministres, mais plutôt les
fonctionnaires moyens (les directeurs de préfecture, les sous-préfets, les adjoints
des sous-préfets, les commissaires de police). La situation inverse était aussi
1
Administraţia Română. Le chapeau initial de la revue Administraţia română, parue à Cluj était
« organul Reuniunei notarilor comunali şi cercuali din Transilvania, Banat şi părţile ungurene
alipite » pour y devenir ultérieurement « organul asociaţiei notarilor comunali din România ». Son
siège a été transféré en 1923 à Lugoj.
2
Funcţionarul, Chişinău, à partir de 1921.
3
Buletinul Societăţii Funcţionarilor Publici, périodique continué dans l’entre-deux-guerres par la
Revista funcţionarilor publici, Bucarest.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 51
1
Parmi ceux qui ont écrit sur ce monde on mention également Alexandru Pelimon (Un funcţionar
sinucis. Fratele şi sora), I. M. Bujoreanu (Zapciul), George Baronzi (Muncitorii Statului), Dimitrie
Teleor, etc.
2
Momente şi schiţe, édition de A. Rosetti, Şerban Cioculescu et Liviu Călin, Bucarest, Eminescu,
1985.
3
O scrisoare pierdută, Galaţi, Porto Franco, 1993. Il y a plusieurs traductions en français de ce
chef d’œuvre, nous mentionnons celle d’Eugen Ionesco et Monica Lovinescu, Une nuit orageuse,
M’sieur Leonida face à la réaction, Une lettre perdue, Paris, L’Arche, 1994.
4
Duiliu Zamfirescu, Nuvele, édition d’Alexandru Săndulescu, Bucarest, Minerva, 1988, p. 106-130.
52 ANDREI FLORIN SORA
1
Ibidem, p. 109.
2
Cezar Petrescu, Comoara regelui Dromichet, Bucarest, Cugetarea, 1946 ; Liviu Rebreanu,
Răscoala, Bucarest, Adevărul, 1932.
3
Nicolae M. Gane, Ion Neniţescu, Vasile Pogor, Leon Negruzzi, Gheorghe Baronzi, Arthur
Gorovei, I. M. Bujoreanu, George Cair, Dimitrie Iov, Aurel Pavel Bănuţ, Alexandru Procopovici,
Dumitru C. Moruzi, Alexandru Lascarov Moldovanu.
4
Dumitru C. Moruzi, Înstrăinaţii. Studiu social în formă de roman (1854-1907), Bucarest, 1912
[1910], p. 282-283.
5
Un fait semblable à celui décrit par Dumitru C. Moruzi s’est passé en 1893 quand une enquête
ministérielle a confirmé les réclamations successives récusant la probité du préfet de Putna,
Dimitrie Nicolaidi. Au lieu que le préfet Nicolaidi soit déféré devant la Justice il a été promu
inspecteur administratif, haute fonction dans l’administration centrale du ministère de l’Intérieur.
Cf. DAD, no 7, 30 novembre 1894, séance du 26 novembre 1894, p. 125.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 53
1
Bibliothèque de l’Académie roumaine. Département des manuscrits (BAR, Mss.), Familia Filitti
(A 3824), Jurnal, vol. I-IV.
2
Ioan C. Filitti, Jurnal, vol. 1, (1913-1919), édition établie par Georgeta Filitti, Târgovişte, Musée
départemental de Ialomiţa, Editura Cetatea de Scaun, 2008.
3
BAR, Mss., Lupu C. Kostaki, Memoriile unui trădător, 1850-1919 (A 1825).
4
Ce travail biographique est préservé sous forme de manuscrit dactylographié dans le fonds
Mihail Berceanu (608), ANIC, VI/36.
5
Lupu C. Kostaki, op. cit., p. [1].
6
Ibidem, p. 332.
7
ANIC, fonds Iunin I. Lecca (1701), ds. 1-8.
54 ANDREI FLORIN SORA
1
Nicolae M. Gane, Amintiri (1848-1891), Craiova, Scrisul Românesc, 1941.
2
Arthur Gorovei, Alte vremuri. Amintiri literare, Falticeni, 1930 ; Pagini de viaţă, in Ioan Lăcustă
(dir.), De la o Unire la alta. Memorie sau memorialişti, 1859-1918, Bucarest, Albatros, 2005, p.
180-212.
3
Radu Rosetti, Amintiri din prima tinereţe, Bucarest 1927.
4
Sergiu Dimitriu, Din trecut, Iaşi, Institutul European, 2006.
5
C. D. Anghel, Amintirile unui fost prefect din timpul răscoalelor, Bucarest, 1912.
6
Grigore Ghica, Grigri, édition établie par Mariana Avana Iancu, préfacée par Constantin
Bălăceanu Stolnici, Bucarest, Editura Fundaţiei Culturale Române, 1998 ; la première édition est
parue à Madrid en 1973.
7
Andrei Rădulescu, Amintiri, Bucarest, Editura Academiei Române, 1995.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 55
Dans les récits et les mémoires des hommes politiques roumains, comme
Nicolae Iorga1, Constantin Argetoianu2, Mihail Manoilescu3 nous avons trouvé
d’autres informations utiles à notre recherche.
1
Nicolae Iorga, Memorii, vol. VI, Încercarea guvernării peste partide (1931-1932), Bucarest,
1939 ; Orizonturile mele. O viaţă de om aşa cum a fost, Bucarest, Minerva, 1984.
2
Constantin Argetoianu, Pentru cei de mâine : amintiri din vremea celor de ieri, Bucarest,
Humanitas (vol. I-IV), Machiavelli (V-X), vol. I-X, 1991-1997 et Însemnări zilnice, vol. III (1er
juillet–31 décembre 1937), IV (1er janvier–30 juin 1938), Bucarest, Machiavelli, 2001-2002,
éditions établies par Stelian Neagoe.
3
Mihail Manoilescu, Memorii, deux volumes, Bucarest, Editura Enciclopedică, 1993.
4
Arhivele Judeţene Prahova (AJP), fonds Pretura Filipeşti, ds. 60, f. 237.
5
Ibidem.
56 ANDREI FLORIN SORA
1
Ibidem, art. 12, p. 25.
2
Ibidem.
3
Aux archives départementales de Vrancea, les dossiers personnels d’une grande partie des
fonctionnaires des années 1920-1940 de la préfecture, y compris quelques préfets, ont été
rassemblés dans un fonds commun, le fonds 13 (Préfecture de Putna), numéro d’inventaire 5.
58 ANDREI FLORIN SORA
informations très intéressantes pour notre recherche dans les plaintes portant
contre les membres du corps préfectoral et faites par des particuliers, des
fonctionnaires, des maires, d’autres autorités publiques (la Gendarmerie, l’Armée,
la Justice). Troisièmement, en ce qui concerne les informations qui nous
intéressent il y a des années entières, pour la période d’avant 1918, pour lesquelles
on ne trouve aucun dossier. En outre, les informations sont très disparates.
Néanmoins, l’étude des archives départementales nous a permis de mieux
comprendre l’existence des spécificités locales qui ne tiennent pas seulement au
découpage du territoire dans des régions historiques (Vieux Royaume, Dobroudja,
Transylvanie, Bucovine, Bessarabie). Les particularités locales (la distribution de
la propriété agraire, la confession, l’ethnie, etc.) des départements sortant d’un
tronc commun de développement historique peuvent influencer les
comportements de l’administration au niveau local et engendrer des distinctions
au niveau de la population préfectorale (origine sociale et géographique, fortune,
formation intellectuelle, carrière antérieure et ultérieure, etc.).
Des informations précieuses sur les membres du corps préfectoral peuvent
être trouvées dans des dossiers créées par le ministère de l’Intérieur, y compris par
la Police et la Sûreté Générale1. La fouille dans d’autres fonds archivistiques créés
par des ministères ou des institutions afin de trouver plus de données sur la
fonction publique en Roumanie n’a pas donné les résultats espérés. Néanmoins,
nous avons trouvé des documents provenant des archives de quelques sociétés de
fonctionnaires publics, ainsi que de nombreux matériels de propagande et
brochures, dans plusieurs fonds qui se trouvent à l’ANIC, mais qui proviennent de
l’Archive du Comité Central du Parti Communiste Roumain - section
Chancellerie. Nous avons entrepris des recherches dans les fonds suivants, qui
avant 1989 ont été préservés dans la direction archivistique du Comité Central :
La Commission centrale des Syndicats, 1907-1923 (2908), Les organisations
professionnelles PTT, 1919-1936 (2958); Le Syndicat des fonctionnaires de la
Roumanie, 1912-1941 (2959), La Fédération des associations et des syndicats
professionnels des Chemins de fer, 1930-1937 (2987).
Une des sources les plus importantes concernant le cadre organisationnel
de la Fédération générale des associations professionnelles des fonctionnaires
publics (FGF), qui en même temps met au jour et laisse dans l’ombre certains
aspects du mouvement des fonctionnaires publics en Roumanie de l’entre-deux-
guerres, est un mémoire rédigé probablement en novembre 19362. Le dossier
1
La division communale, 1866-1879 (318) ; La division rurale communale, 1866-1868 (319) ; La
division administrative, 1866-1879 (2600-2602), La division de l’administration centrale, 1880-
1933 (320-332); La direction de l’administration et des finances locales, 1901-1949 (1375) ; La
direction générale de la Police, 1893, 1903-1940 (2349-2350) La direction de l’administration
d’État, 1928-1949 (1689), Le fonds de la Direction générale de la Statistique, 1866-1901 (430) et
un dernier fonds appelé le Ministère de l’Intérieur, p. I-II, 1934-1944, (754-755).
2
ANIC, fonds Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 133, f. 1-36,
r. 393, c. 808-843.
60 ANDREI FLORIN SORA
1
Pendant le régime communiste, ce fonds ainsi que d’autres visant les associations et les
organisations syndicales ont été conservés à l’Archive du Comité Central du Parti Communiste
Roumain – section Chancellerie. Après les événements de décembre 1989, ces fonds d’archives
ont été pris par le ministère de la Défense Nationale, qui les a transférés en 1995 aux Archives
Nationales, au Service Archives Contemporains.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 61
1918, le nombre des préfets, à l’exception des délégués, est d’environ 900 pour
l’ensemble du Vieux Royaume (1866-1918). Dans l’entre-deux-guerres
(décembre 1918-septembre 1940), sans compter les délégations exercées pour
seulement quelques jours par le directeur de préfecture (le sous-préfet), un chef
d’arrondissement ou un inspecteur général administratif, il y a eu entre 1500 et
1600 nominations et environ 1200 préfets. Entre 1866 et 1940, la population totale
des préfets s’élève à environ 2000 personnes. Le nombre de nominations dans la
fonction de directeur de préfecture est un peu moins élevé que celui des préfets.
En ce qui concerne les chefs d’arrondissement, le nombre de nominations est plus
élevé dans le Vieux Royaume que dans la Grande Roumanie. Nous estimons à peu
près 13.000 le nombre de chefs d’arrondissement pour toute la période envisagée,
nombre d’entre eux ayant détenu également la fonction de directeur de préfecture.
Au total, il s’agit d’environ 15 à 16 mille membres de l’administration
préfectorale entre 1866 et 1940.
Le grand nombre d’individus à étudier, la longue durée envisagée,
l’insuffisance des sources, le nombre réduit d’instruments de travail sur lesquels
s’appuie notre recherche, soulèvent le problème de la pertinence des échantillons.
Nous avons fait appel aux travaux d’histoire sociale et surtout aux méthodes
utilisées par des historiens comme Christophe Charle, Vincent Wright, Jean Le
Bihan ou par le sociologue Luc Rouban. Même si la comparaison avec la France
permet beaucoup de similarités, l’étude des catégories socio-professionnelles - dans
notre étude de cas les membres de l’administration préfectorale - doit commencer
par la mise en place d’un cadre conceptuel et l’élaboration des critères d’évaluation.
En usant d’un codage adapté à cette situation et aux principales questions soulevées
par notre recherche, nous avons construit nos propres échantillons.
Le choix des échantillons, la collecte, le codage1 et le traitement des
données doivent être bien expliqués afin de bien comprendre la structure de ce
travail. Nous n’avons pas voulu nous limiter à un travail descriptif sur la
construction d’un appareil étatique moderne ou seulement à la présentation de la
législation sur les fonctionnaires publics et des attributions officielles et non
officielles des membres du corps préfectoral. Toutefois, l’utilisation de la méthode
descriptive contribue à une meilleure compréhension de l’édification de la
Roumanie moderne.
Dans la partie qui porte sur le corps des fonctionnaires publics (la
codification de leurs droits et devoirs, ainsi que le processus de cristallisation
d’une « communauté d’intérêts » - selon le terme de Michel Crozier) nous avons
entamé également des recherches plus pointues sur certaines fonctions et agents
1
D’après le sociologue Alain Desrosières « un codage est une décision conventionnelle de construire
une classe d’équivalence entre divers objets, la classe étant jugée plus générale que tout objet
singulier ». Voir Alain Desrosières, « Comment faire des choses qui tiennent. Histoire sociale et
statistique », in Christophe Charle (dir.), Histoire sociale, histoire globale ?, Actes du colloque des
27-28 janvier 1989, Paris, Fondation de la Maison des sciences de l’homme, 1993, p. 26.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 63
1
C. Charle, Les élites de la République (1880-1900), p. 20.
66 ANDREI FLORIN SORA
toujours permis d’être aussi complet sur tous les aspects. Indépendamment de
cette hétérogénéité, l’option d’un échantillon éclaté implique un codage complexe
pour essayer de prendre en compte le maximum des données applicables à
l’ensemble et ne pas se limiter à quelques indicateurs généraux mais pauvres »1.
Dans le choix de nos variables nous avons tenu compte aussi des méthodes
employées par Luc Rouban dans son travail sur les préfets français et par Jean Le
Bihan dans son ouvrage sur les fonctionnaires intermédiaires au XIXe siècle.
La recherche menée par Elena Siupiur sur les intellectuels roumains nous a
été d’une grande aide. Ses analyses ont comme point de départ l’enquête réalisée
dans les années 1970 avec Andrei Pippidi et Vlad Georgescu à l’Institut des
Études Sud-Est Européennes de Bucarest, sous le titre La vie intellectuelle des
Roumains au XVIIe-XVIIIe-XIXe siècle2. Pour le XIXe siècle, l’échantillon
sociologique est composé de 3000 individus nés entre 1780 et 1855 et qui
déploient leur activité après 1800. Les résultats de cette enquête et certaines
données sont également utiles à notre travail, mais nous avons préféré établir
notre propre codage pour plusieurs raisons : les périodes étudiées ne coïncident
que partiellement, l’échantillon retenu par Elena Siupiur n’est pas représentatif
pour notre étude de cas. Pourtant, nous avons tenu compte du questionnaire utilisé
par Elena Siupiur, composée de 11 typologies principales et 77 situations
possibles pour chaque individu.
Nous avons établi deux questionnaires, semblables, un pour les sous-
préfets et les directeurs de préfecture et un autre pour les préfets, en identifiant
plusieurs variables interdépendantes :
Variables Sujets
Chefs d’arrondissement et Préfets
directeurs de préfecture
Démographiques année de naissance
Variables état civil3
souhaitées : nombre d’enfants
date de décès
Géographiques origine géographique : lieu de naissance par département/région
mobilité géographique dans la carrière préfectorale
- si le lieu de naissance ou plutôt le lieu
d’origine de la famille ou le département
où elle exerce de l’influence/détient des
propriétés coïncide avec le lieu de la
première dignité publique (y compris les
fonctions politiques)
1
Ibidem.
2
E. Siupiur, op. cit., p. 45.
3
État matrimonial : marié, non marié (veuf, célibataire).
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 67
1
L’origine sociale n’est pas d’habitude présente dans les dossiers personnels ; dans le cas des
directeurs de préfecture et des chefs d’arrondissement on ne peut pas faire recours à d’autres types
d’informations pour combler ce manque.
2
En ce qui concerne le codage de l’origine sociale nous avons entrepris un regroupement dans :
grandes familles nobles (grands boyards), moyennes et petites familles nobles, grande bourgeoisie,
professions juridiques, libérales (notamment médicales), intellectuelles (professeur de lycée, de
l’université) et ceux dont le père est dans la haute et la moyenne fonction publique, classes
populaires (familles des paysans, petits fonctionnaires).
Première partie
1
Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 1990, p. 14.
2
Le Conseil administratif (Consiliul administrativ), créé par les Règlements organiques, était
composé des titulaires des départements des affaires intérieures, des Finances, du secrétariat d’État
(Postelnicia) et du prince régnant qui était son président. Même s’il avait un pouvoir de décision
limité (celui-ci incombait surtout au prince) le Conseil administratif devait assurer le bon
fonctionnement de l’Assemblée et préparer les projets de loi ; discuter les questions d’ordre
administratif, financier, commercial. On ne peut pas considérer ce conseil comme un véritable
Conseil des ministres.
72 ANDREI FLORIN SORA
1
Manuel Guțan, Istoria administraţiei publice româneşti, deuxième édition Bucarest, Hamangiu,
2006 [2005], p. 138.
2
La loi du 7/19 avril 1881 admettait que pour être Premier ministre il était suffisant que le titulaire
détienne au moins la fonction de ministre sans portefeuille.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 73
1
Par la loi sur l’administration centrale du ministère de l’Intérieur du 19 avril 1892 (modifiée le 30
avril 1895) et ensuite par la loi sur les services extérieurs de ce ministère du 1er novembre 1892
(promulguée par Carol I le 4 octobre 1892, mais publiée dans le MO du 1er novembre 1892) ont été
codifiés d’une manière plus précise l’organigramme du ministère de l’Intérieur, son rôle et ses
fonctions dans l’État Roumain, ainsi que les attributions, les obligations et les conditions
d’admission des fonctionnaires de l’administration centrale et locale du ministère de l’Intérieur.
2
Suite à ces modifications, par la loi du 2 août 1929 la Roumanie comptait seulement dix
ministères : de l’Intérieur, des Affaires étrangères, des Finances, de la Justice, de l’Instruction
publique et des Cultes, de l’Armée, de l’Agriculture et des Domaines, de l’Industrie et du
Commerce, des Travaux publics et de la Communication et celui du Travail, de la Santé et de la
Protection sociale. MO, no 169, 2 août 1929, p. 6114.
74 ANDREI FLORIN SORA
1
M. Guțan, Istoria administraţiei publice româneşti, p. 217.
2
« Constituțiunea din 1866 », art. 130, in Ioan Muraru, Gheorghe Iancu, Mona-Lisa Pucheanu,
Corneliu-Liviu Popescu, Constituţiile române – Texte. Note. Prezentare comparativă, Bucarest,
Monitorul Oficial, 1993, p. 63.
3
Pour plus d’informations sur la création de la fonction de sous-secrétaire d’État voir Victor Onișor,
Tratat de drept administrativ, deuxième édition, Bucarest, Cartea Românească, 1930, p. 53.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 75
1
Les Roumains ont pris ces provinces des autorités militaires russes. Dans le département de Silistra
Nouă - et nous pensons que dans les autres départements les choses se sont passées de la même
manière - le représentant de la nouvelle administration roumaine (le préfet « ad-interim » Alexandru
Macedonski) et le commandant russe ont rédigé un procès-verbal de « prise de possession de
l’administration du département ». Ce procès-verbal contenait un inventaire des registres, des
dossiers d’archives, ainsi que des biens immobiliers et mobiliers (meuble, bétail). L’inventaire des
biens immobiliers comprenait une présentation des édifices publics du nouveau département. ANIC,
fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2602), ds. 225/1878, passim.
2
Regulamentul, instrucţiunile şi proclamaţiunile date pentru organizarea Dobrogei, in ANIC,
fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2602), ds. 264/1878.
3
Ibidem, f. 9 v., 10 r.
4
Adrian Rădulescu, Ion Bitoleanu, Istoria Dobrogei, Constanța, Ex Ponto, 1998, p. 354.
76 ANDREI FLORIN SORA
1
MO, no 57, 9/21 mars 1880, p. 1581-1584.
2
Constantin Tudor, Administraţia română în Cadrilater, 1913-1940, thèse de doctorat, Université
de Bucarest, 1999, p. 35.
3
MO, no 1 bis, 1/14 avril 1914, p. 49-63.
4
Ibidem, p. 37.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 77
(art. 23), il nommait les maires des communes rurales, et dans le cas des villes les
maires étaient nommés par décret royal à la suggestion du préfet (art. 44)1.
Même si la loi d’organisation de la Dobroudja du Nord prévoyait des
élections pour les conseils locaux et départementaux, celles-ci n’ont été organisées
qu’après la Première Guerre mondiale parce que les autorités roumaines n’ont pas
réussi à rédiger avant septembre 1916 les listes des personnes devenus citoyens
roumains2. Dans ces conditions, les cinq membres des conseils locaux intérimaires
des villes étaient nommés par décret royal, suite à la proposition du préfet, tant
que les conseils des communes étaient formés par trois membres nommés par le
préfet3. Le conseil départemental était composé par les chefs des services publics,
les maires des villes, et les représentants des cultes ; le président du conseil était le
préfet4. Il faut noter que la loi du 1/14 avril prévoyait que les membres des
conseils départementaux de Dobroudja du Nord soient nommés parmi les
membres des conseils locaux. Les conseils départementaux de Quadrilatère
n’avaient pas d’organe exécutif, comme c’était le cas pour le reste du pays. Les
attributions des conseils départementaux étaient accomplies par les préfets5. Nous
pouvons donc affirmer que l’intégration du Quadrilatère à la Roumanie a suivi la
même voie que celle de la Dobroudja du nord, caractérisée par une étape
d’administration militaire suivie par une forte centralisation, remplacée, à son
tour, par l’application totale de la législation roumaine.
La Bessarabie
Par le traité de paix signé à Bucarest en 1812, avec la complicité de
quelques-uns des grands dignitaires turcs, la Russie obtenait de l’Empire ottoman
le territoire situé entre les rivières Prut et Dniester - Nistru en roumain - (la partie
orientale de la Principauté de la Moldavie et une région, Boudjak (Bugeac),
auparavant sous contrôle ottoman direct). Au début, la nouvelle province,
oblastie, a bénéficié d’autonomie : son administration était assurée par un
gouvernement provisoire et une assemblée (Sfat Obştesc). Le gouvernement,
dirigé par un gouverneur civil, originaire de cette province, subordonné à un
gouverneur général militaire, avait deux services (administrative et judiciaire).
L’Assemblée (Sfatul Obştesc) nommait les chefs de départements. Les boyards
roumains étaient membres de l’assemblée provinciale et ils participaient à
1
Loi du 1/14 avril 1914, in MO, no 1 bis, 1/14 avril 1914, p. 53.
2
C. Tudor, op. cit., p. 48.
3
Loi du 1/14 avril 1914, art. 59 et 60, op. cit., p. 54.
4
C. Tudor, op. cit., p. 48.
5
Loi du 1/14 avril 1914, art. 41, op. cit., p. 53.
78 ANDREI FLORIN SORA
1
Cetatea Albă, Chilia, Codru, Greceni, Hotărniceni, Hotin, Iaşi, Ismail, Lăpuşna, Orhei, Soroca.
2
Cette division territoriale a été introduite aussi dans les anciens raïas et dans le Boudjak.
3
La défaite de la Russie dans la guerre de Crimée (1853-1855) et le traité de Paris de 1856 ont
obligé l’Empire russe à rétrocéder à la Principauté de la Moldavie les départements du sud de la
Bessarabie : Cahul, Ismail et Bolgrad, (Cetatea Albă), qui allaient être reconquis par la Russie en
1878.
4
Bălţi, Cetatea Albă, Cahul, Chişinău, Hotin, Orhei, Soroca, Tighina et le département urbain
d’Ismail.
5
Ioan Silviu Nistor, Comuna şi judeţul. Factori ai civilizaţiei româneşti unitare. Evoluţia istorică,
Cluj-Napoca, Dacia, 2000, p. 108.
6
Anton I. Milea, Rolul pretorului după legea de unificare administrativă, Bucarest, Cartea
Românească, 1928, p. 6-7.
7
Gavril Ursu, Ştefan Oniga, Primpretorul şi plasa. Cu o bogată expunere istorică, şi o descriere a
a Plăşii în diferite State străine, Alba-Iulia, 1933, p. 12.
8
P. Gh. Gore, Autoadministrarea şi zemstvoul, Chișinău, 1920, p. 13.
9
Le zemstvo de la province a été dissous par le gouvernement de Bucarest le 3/16 octobre 1918.
10
I. S. Nistor, op. cit., p. 108.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 79
1
W. Bruce Lincoln, The Great Reforms. Autocracy, Bureaucracy and the Politics of Change in
Imperial Russia, Dekalb, Northern Illinois University Press, 1990, p. 187.
2
Constantin Ungureanu, Bucovina în perioada stăpânirii austriece, 1774-1918: aspecte etno-
demografice şi confesionale, [Chișinău], Civitas, 2003, p. 20.
3
Ibidem, p. 24
4
Dans la Constitution autrichienne du 4 mars 1849, la Bucovine était mentionnée comme duché,
indépendant de la Galicie, mais en fait le statut de duché autonome a été obtenu seulement en
1861.
5
Ion Nistor, Istoria Bucovinei, Bucarest, Humanitas, 1991, p. 52.
6
Cernăuţi, Câmpulung, Coţmani, Dorna, Gura Humorului, Putila, Rădăuţi, Sadagura, Siret, Solca,
Storojineţ, Suceava, Văşcăuţi, Vijniţa, Zastavna.
80 ANDREI FLORIN SORA
1
Cernăuţi, Câmpulung, Coţmani, Gura Humorului, Rădăuţi, Siret, Storojineţ, Suceava, Văşcăuţi,
Vijniţa, Zastavna.
2
M. Stoica, « Aspecte ale legislației și funcționării administrației locale în Romînia burghezo-
moșierească (1918-1944) », in STUDIA Universitatis Babeș-Bolyai, series Iurisprudentia, VIII,
1963, p. 25.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 81
1
Sigmund Andrei, « Contribuţiuni la reforma administrativă », in Revista de Drept Public, no
4/1926, p. 425-426.
2
Ce fonctionnaire était issu de la noblesse et des grandes propriétaires terriens, à la différence
d’alispán qui était en général le représentant de la bourgeoisie.
3
Péter Kovács, « La Hongrie et ses instances de Droit Public similaires aux préfets français », in
François Borella (dir.), Le préfet, 1800-2000. Gouverneur, Administrateur, Animateur, Nancy,
Presses Universitaires de Nancy, 2000, p. 71.
4
Dans les années 1870 il y avait en Transylvanie les comitats suivants : Alba Inferioară, Arad,
Bichiş, Bihor, Bistriţa-Năsăud, Braşov, Caraş Severin, Cenad, Ciuc, Cojocna, Făgăraş, Hunedoara,
Maramureş, Mureş-Turda, Odorhei, Sălaj, Sătmar, Sibiu, Solnoc-Dăbâca, Timiş, Târnava Mare,
Târnava Mică, Torontal, Trei Scaune, Turda-Arieş, Ugocea.
5
Iulian M. Peter, « L’administration locale en Transylvanie », in Revista de Drept Public, IX,
1934, p. 341-342.
82 ANDREI FLORIN SORA
1
G. Ursu, Ş. Oniga, op. cit., p. 11.
2
Ibidem, p. 33-34.
3
Ladislas Makkai, Histoire de la Transylvanie, Paris, Presses Universitaires de France, 1946,
p. 329.
4
Stelian Mândruț, « O privire vizând ‘chestiunea româno-ungară’ în Transilvania (1868-1916) »,
in Anuarul Institutului de Istorie din Cluj-Napoca, Cluj-Napoca, XXXVI, 1997, p. 152.
5
L’état de siège signifiait un plus grand contrôle des autorités militaires et la suspension, pour une
une période de temps définie par loi ou pour un territoire donné, de certains droits et libertés
comme la liberté de la presse et la liberté de réunion, etc. Dans l’entre-deux-guerres la pratique
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 83
courante était que l’état de siège affecte des régions de frontière et celles connues pour leur
résistance contre les autorités étatiques roumaines : le Cadrilater ou le sud de la Bessarabie. Voir
Hans-Christian Maner, Parlamentarismul în România, 1930-1940, Bucarest, Editura
Enciclopedică, 2004, p. 343-358.
1
Cf. V. Onișor, Tratat de drept administrativ român, deuxième édition, Bucarest, Cartea
Românească, 1930 [1923], p. 88-89.
84 ANDREI FLORIN SORA
province, habitée en proportion de 43,8% (en 1930)1 par des minorités ethniques,
le péril communiste et la possibilité d’une attaque de l’Armée Rouge ont constitué
des raisons pour légitimer la nomination dans l’administration des regățeni et
l’introduction de la législation du Vieux Royaume. À l’est de Prut « le processus
difficile de réaménagement de la province s’est réalisé par un élargissement
rigoureux des institutions administratives du Vieux Royaume, sans pourtant
éliminer immédiatement les vieilles institutions russes »2. Le parcours du
Monitorul oficial (le Moniteur officiel) de 1918 montre que ce processus a
commencé par une percée très forte des fonctionnaires du Vieux Royaume : les
magistrats suivis par des fonctionnaires administratifs (chefs d’arrondissement,
notaires communaux), corps enseignant, etc. La conquête du pouvoir dans la
Bessarabie et l’influence des autorités centrales roumaines se sont faites aussi par
l’intermédiaire de l’armée roumaine. De nombreux officiers roumains ont reçu des
fonctions dans l’administration locale comme préfets, chefs d’arrondissement,
dans la police, etc. Cette stratégie, mais à une échelle inférieure, peut être
identifiée en Bucovine et Transylvanie aussi, où parmi les regățeni qui ont obtenu
des postes dans l’administration locale il y avait d’anciens militaires. Par rapport à
la Bessarabie, en Transylvanie et même en Bucovine, il y avait une forte élite
politique et intellectuelle roumaine, éduquée dans les centres universitaires
d’Autriche-Hongrie (notamment à Budapest et à Vienne).
À l’Assemblée d’Alba Iulia du 1er décembre 1918 on a adopté l’union de
la Transylvanie avec la Roumanie. L’organe exécutif de l’Assemblée d’Alba Iulia,
le Conseil dirigeant, créé le 19 novembre/2 décembre 1918 et reconnu par les
autorités de Bucarest par le décret royal du 30 novembre/13 décembre 1918,
devait diriger les affaires internes de la province jusqu’à l’organisation
institutionnelle de la nouvelle Roumanie. Dès le début, le Conseil dirigeant s’est
heurté au problème « d’établir et d’élaborer un système d’actes normatifs, qui
permette de contrôler les champs d’activité de la Transylvanie restés à sa charge,
ayant deux possibilités : adopter la législation de la Roumanie ou maintenir les
lois hongroises, adaptées par des changements, jusqu’à une unification
complète »3. Manuel Guțan observe à juste raison que le Conseil dirigeant ne s’est
pas hâté d’entreprendre l’uniformisation de l’organisation administrative et
territoriale en Transylvanie et en Roumanie4.
Gheorghe Iancu, travaillant sur l’activité du Conseil dirigeant, a établi trois
étapes dans le processus d’introduction de l’administration roumaine dans les 26
départements de la Transylvanie (y compris le Banat) : décembre 1918-janvier
1
Enciclopedia României, vol. I, Bucarest, 1938, p. 148.
2
Manuel Guţan, Istoria administraţiei publice locale în statul român modern, Bucarest, All Beck,
2005, p. 242.
3
Gheorghe Iancu, Contribuţia Consiliului Dirigent la consolidarea statului naţional unitar român
(1918-1920), Cluj-Napoca, Dacia, 1985, p. 50.
4
M. Guțan, Istoria administraţiei publice locale, p. 239.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 85
1
Anibal Teodorescu, « Viitoarea organizare administrativă a României », in Constituția României
în dezbaterea contemporanilor, conférence du 23 avril 1922, à l’Institut Social Roumain, Bucarest,
Humanitas, 1990 [1923], p. 405-420.
2
Ibidem, p. 409-410.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 87
du centre, une organisation flexible, qui permette le déroulement d’une vie locale
florissante … »1. En restant dans le sillage de la pensée de ce grand juriste nous
citons sa caractérisation de la première voie envisagée pour uniformiser la
législation dans la nouvelle entité, adoptée finalement par le gouvernement libéral,
et qui consistait à étendre la législation du Vieux Royaume dans les régions
« réunies » en 1918 : « au-delà de la dose de tyrannie qu’elle contiendrait,
totalement imméritée par les nouveaux citoyens, cette mesure serait également
non juridique, parce que le système administratif du Vieux Royaume n’est pas
impeccable, mais, par contre, profondément vieilli. »2
Quelles raisons ont conduit le gouvernement libéral à opter pour la loi
finalement adoptée en 1925?
Nous pensons que les autorités publiques de Bucarest et la classe politique
du Vieux Royaume ont perçu l’union de 1918 plutôt comme une sorte
d’intégration des nouveaux territoires dans un système étatique, politique,
économique et social déjà existant. Cette solution avait été déjà utilisée par les
Roumains au lendemain de l’union des Principautés de 1859, en 1878 (pour la
Dobroudja du Nord) et en 1913 (pour le Quadrilatère/la Dobroudja du Sud). En ce
qui concerne le premier moment, l’historien Valeriu Stan observait que « le
processus d’intégration appliqué après le 24 janvier 1862 s’est caractérisé par le
fait que, le plus souvent, l’unification de l’administration et de la législation des
Principautés Unies s’est réalisée par l’extension en Moldavie des lois de la
Valachie, qui connaissait une législation plus avancée»3. En revenant à la période
d’après 1918, les « nouveaux » citoyens de la Roumanie n’ont pas reçu avec
satisfaction cette intégration. Si le régime politique roumain leur paraissait
corrompu, l’administration était perçue comme trop centralisatrice. Dans un
article paru dans une revue des fonctionnaires de Transylvanie, cette intégration
était caractérisée par les mots suivants : « Dans les nouveaux territoires, l’État
roumain devait assumer le rôle de garant de la démocratisation de l’administration
générale du pays et non pas, comme il l’a fait, aller sur la voie de l’absolutisme et
de l’arbitraire administratif, troublant tout avec préméditation ; dans le Vieux
Royaume, sous l’argument de la démocratie, nous avons été les témoins d’un
spectacle décevant de décomposition administrative, que l’on ne peut voir que
rarement. »4 Nous pouvons parler donc d’une véritable désillusion de la part des
Roumains des provinces intégrées à l’État roumain au lendemain de la guerre, qui
allait être amplifiée par la loi administrative de 1925.
Néanmoins, la loi du 14 juin 1925 constitue une étape importante dans
l’essai de construction de l’État roumain après la fin de la Première Guerre
1
Ibidem, p. 408-409.
2
Ibidem, p. 409.
3
Valeriu Stan, « Desăvârşirea Unirii Principatelor Române pe plan administrativ (1859-1864) », in
Studii şi materiale de istorie modernă, vol. VII, 1983, p. 33.
4
România administrativă, V, no 2, février 1924, p. 23.
88 ANDREI FLORIN SORA
1
Alexandru Vaida Voevod, Memorii, édition établie, annotée et présentée par Alexandru Șerban,
vol. II, Cluj-Napoca, Dacia, 1995, p. 271.
2
La loi des ministères, La loi de la police, La loi de la Haute Cour des comptes, etc.
3
En 1929, ont été créés sept directorats ayant comme siège : Bucarest, Cernăuți, Chișinău, Cluj,
Craiova, Iaşi, Timişoara.
4
Valeriu Moldovan, Administraţiunea locală română - Judeţul şi comuna, Cluj-Napoca, 1936, p. 27
5
Enciclopedia României, vol. I., p. 306.
6
H.-C. Maner, op. cit., p. 319.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 89
dirigé par Nicolae Iorga, qui par la loi de modification du 15 juillet 1931 annulait
la division administrative de 1929, en rétablissant la fonction du préfet comme
chef de l’administration départementale, par le fait qu’on le mettait à nouveau
dans la fonction de président de la délégation départementale. La loi
administrative du 27 mars 1936 a réussi à mettre fin à ce chaos législatif, en
revenant aux traditions administratives du Vieux Royaume.
La Constitution du 28 février 1938 a marqué un changement significatif
par rapport aux lois fondamentales antérieures et à une tradition qui se prétendait
et était perçue comme démocratique et libérale. La loi administrative, promulguée
le 14 août 19381, sans être débattue ou au moins présentée devant le Parlement,
mettait en pratique les directions esquissées dans le texte de la Constitution. Les
principes qui devaient servir comme fondement à l’organisation de
l’administration publique roumaine et notamment à l’administration locale
étaient : le travail et la compétence ; la suppression des „unités administratives
artificielles”; un climat d’ordre et d’autorité ; l’organisation et la systématisation
des activités administratives. La loi administrative du 14 août 1938 a conduit à la
croissance du contrôle du gouvernement et donc du roi Carol II. Même si
l’objectif affiché, considéré comme accompli par cette loi, était la décentralisation
administrative, on assista paradoxalement à une forte centralisation
administrative. Le plus important changement reposait sur la création d’unités
territoriales administratives plus grandes, les régions (ţinuturi), ayant personnalité
juridique, dirigées par un gouverneur (rezident regal).
La région était une division administrative avec des attributions
économiques, culturelles et sociales. Le gouverneur était nommé pour une période
de six ans par décret royal, à la suite de l’accord du Conseil des ministres et sur la
proposition du ministre de l’Intérieur. Le gouverneur était appelé avec le titre
honorifique d’Excellence ; du point de vue de la dignité administrative et du
traitement, il était égal à un sous-secrétaire d’État. Il était l’administrateur et le
représentant du gouvernement dans la province. Comme dans le cas du préfet, il
n’avait pas le droit de détenir parallèlement une autre fonction payée par l’État, ni
d’exercer une profession libérale ou d’être membre du Parlement (art. 58). La
limite d’âge imposée à ces dignitaires était de 35 ans, mais il y avait aussi la
condition d’être titulaire d’un diplôme universitaire ou d’avoir détenu dans la
carrière militaire le grade de général.
Le département est devenu une simple circonscription administrative, sans
personnalité juridique, tout comme l’arrondissement, ayant le rôle de
« circonscriptions de contrôle et de déconcentration de l’administration générale »
(art. 1). Les maires des communes rurales étaient nommés par le préfet parmi les
membres de la commune ; les maires des villes, exceptant les chefs lieu du
département, étaient nommés par le résident royal et les maires des stations
1
Constantin Gr. C. Zotta, Legea administrativă, Bucarest, Cugetarea, 1939.
90 ANDREI FLORIN SORA
1
AJBv, fonds Prefectura Brașov. Serviciul administrativ, ds. 2/1938, f. 1.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I (754), ds. 122/1938, f. 2.
3
Ibidem, f. 3.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 91
1
Voir l’ouvrage de Radu Florian Bruja, Carol al II-lea și Partidul Unic: Frontul Renașterii
Naționale, Iaşi, Junimea, 2006.
2
Ibidem, p. 65.
3
Ioan Stanomir, Libertate, lege şi drept. O istorie a constituţionalismului românesc, Iaşi, Polirom,
2005, p. 117.
4
Ludwig von Mises, Birocrația și imposibilitatea planificării raționale în regim socialist, traduit
en roumain par Livia et Dragoş Pîslaru, l’Institut Ludwig von Mises-România, 2006
(Bureaucracy, [1962], première édition 1944), p. 47.
5
MO, no 221, 22 septembre 1940, p. 5530.
92 ANDREI FLORIN SORA
Modernisation ou conservatisme ?
Au XIXe siècle, la modernisation signifiait le processus d’européanisation,
l’orientation vers l’Europe. Par la théorie « des formes sans fonds »1, Titu
Maiorescu - personnalité politique et culturelle - a critiqué le processus
d’imitation de l’Occident, l’ignorance des réalités et des coutumes locales, en
considérant que les Roumains avaient adopté lois et institutions politiques et
culturelles occidentales sans avoir préalablement accompli les évolutions
nécessaires pour un tel changement de sorte que celui-ci était sans véritable
fondement, à la différence des pays occidentaux2.
Un des aspects les plus importants du processus de modernisation a été la
codification du droit3 ; la promulgation des lois inspirées par la législation des
pays occidentaux a, plus d’une fois, compliqué les choses au lieu de les simplifier.
Au moment où Titu Maiorescu parlait « des formes sans fonds », un fait banal,
l’imposition d’une taxe sur les boissons alcooliques provoquait de grands
mécontentements parmi les paysans. Dans une pétition adressée au prince régnant,
des centaines de paysans du département de Vâlcea, y compris les maires et les
conseillers communaux, tout en se plaignant de cette nouvelle taxe, en profitaient
pour dénoncer globalement « le présent », plus particulièrement « les neuf
derniers années », à partir de 1858 - la Convention de Paris -, et ils demandaient le
retour au « passé ». Par rapport au présent, pour les paysans le passé signifiait une
meilleure situation financière (« moins d’impôts », « commerce fleurissant »), une
justice et une administration composées par des gens du pays et surtout
l’application des lois coutumières qu’ils comprenaient. Il s’agissait d’un passé
idyllique qui s’opposait à un présent plein d’impôts, d’une législation codifiée :
« les lois civiles et criminelles d’Alessandru Ioan Ier ont été pour nous un des plus
grands coups … les lois actuelles sont écrites dans une langue qui n’est pas
adaptée à notre culture et totalement incompréhensible pour nous, les paysans,
même pour ceux qui jugent nos procès », etc. Cette pétition récusait les nouvelles
lois, d’autre part elle soulignait que l’administration « n’existe pas parce qu’elle
n’a pas de loi spécifique »4.
1
Titu Maiorescu, « În contra direcţiunii de astăzi în cultura română », paru en 1868, dans
Convorbiri literare, repris par Laurențiu Vlad (anthologie, préface, notes, bibliographie de),
Conservatorismul românesc: concepte, idei, programe, Bucarest, Nemira, 2006, p. 145-153.
2
Ibidem, p.150-152.
3
Gheorghe Platon, Alexandru-Florin Platon, Boierimea din Moldova în secolul al XIX-lea.
Context european, evoluţie socială şi politică - Date statistice şi observaţii istorice -, Bucarest,
Editura Academiei Române, 1995, p. 79.
4
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2601), ds. 82/1867, f. 129 r.,
v.- 133 r.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 93
La Roumanie n’est pas le seul pays qui ait remplacé les structures
administratives anciennes d’après le modèle français et qui ait ainsi essayé de
bâtir un nouveau système administratif répondant aux nécessités de l’époque.
Jean-Louis Halperin synthétise ces changements en considérant que « les réformes
de l’organisation administrative accomplies en Europe au cours du XIXe siècle ont
été fortement influencées par les deux piliers du système français : le découpage
du territoire en départements (1789) et la création d’une hiérarchie d’agents
uniques dépendant du gouvernement (préfets, sous-préfets et maires), assistés par
des conseils dont les membres étaient eux aussi nommés (1800) »1.
Il est important de comprendre pour quelles raisons le jeune État roumain
a recouru à l’exemple français. Les raisons d’ordre politique, liées au soutien de la
France à l’édification d’un État roumain, le prestige de la civilisation française ou
le fait que des milliers de jeunes Roumains ont étudié dans ce pays n’expliquent
pas entièrement le grand rôle joué par la législation française en Roumanie. Il est
nécessaire de se demander pourquoi l’administration prussienne et autrichienne
n’ont pas eu une influence plus grande dans le système bureaucratique roumain,
et, en outre, pour quelles raisons l’exemple belge n’a pas été continué. La nation
roumaine des années 1850 et 1860 en train de se constituer en État unifié et
indépendant s’est rapportée souvent à l’exemple belge, même certaines conquêtes
de la révolution française ont été adoptées par l’intermédiaire belge. Le corollaire
de l’influence belge est représenté par la Constitution roumaine de 1866 qui
repose sur la Constitution belge de 1831, vue à l’époque comme la plus libérale de
l’Europe.
La critique de l’État sera fortement reprise dans l’entre-deux-guerres, alors
que les problèmes avec lesquels était confrontée la Roumanie, et les courants de
pensée s’étaient beaucoup diversifiés. L’essor extraordinaire dans le monde des
théories sur l’État idéal et la critique de droite contre les démocraties développées
dans des pays comme l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, etc. ainsi que l’influence
du socialisme et du communisme ont touché, à degrés différents, la Roumanie de
l’entre-deux-guerres. Les opinions sur les fonctions de l’État évoluent, elles sont
étroitement liées aux changements économiques et politiques au niveau mondial
qui ne restent pas sans conséquences dans l’espace roumain.
Sur le plan de l’administration étatique dés la seconde moitié du XIXe
siècle les libéraux se sont déclarés pour la décentralisation2, la stabilité des
fonctionnaires, la dépolitisation des institutions, mais au-delà des programmes
politiques et des écrits théoriques, les réalisations sont restées limitées. Au-delà
1
Jean-Louis Halpérin, Histoire des droits en Europe de 1750 à nos jours, Paris, Flammarion,
2004, p. 348.
2
Des termes comme la centralisation de l’État et la décentralisation administrative font leur
apparition dans les Pays Roumains vers 1848, Klaus Bochmann, Der politisch-soziale wortschatz
des Rumänischen, von 1821 bis 1850, Berlin, Akademie Verlag, 1979, p. 49, apud Ioan Stanomir,
Nașterea Constituției. Limbaj și drept în Principate până la 1866, Bucarest, Nemira, 2004, p. 91.
94 ANDREI FLORIN SORA
1
Dans les Pays Roumains la notion de déconcentration a été utilisée pour la première fois par
Vasile Boerescu dans l’ouvrage La Roumanie après le Traité de Paris du 30 mars 1856, publiée
en 1859 en français, M. Guţan, Istoria administraţiei publice locale ..., p. 54.
2
Voir Jean-Benoît Albertini, Réforme administrative et réforme de l’État en France. Thèmes et
variations de l’esprit de réforme de 1815 à nos jours, Paris, Economica, 2000, p. 16.
3
Apud Ibidem, p. 16.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 95
1
Nicolae Ghiulea, Organizarea Statului. Mijloace şi metode noui ..., Bucarest, 1935, p. 13.
2
România administrativă, V, no 2, février 1924, p. 23.
Chapitre III
Fonction et fonctionnaires publics
dans la Roumanie moderne
1
Jean-Benoît Albertini, Réforme administrative et réforme de l’État en France. Thèmes et
variations de l’esprit de réforme de 1815 à nos jours, Paris, Economica, 2000, p. 13.
2
Apud Marcel Pinet (dir.), Histoire de la fonction publique en France, tome III, Les XIXe et XXe
siècles, rédigé par Michel Chabin, René Bidouze, Jean-Noël Lallement, Serge Salon Paris,
Nouvelle Librairie de France, 1993, p. 14.
3
Maurice Block, Dictionnaire de l’administration française, Paris, Strasbourg, 1862, p. 845.
4
Ibidem.
5
Nous avons fait appel aux ouvrages rédigés par Maurice Block non seulement en raison de
l’influence de la législation et de la culture française en général dans l’espace roumain, mais aussi
en considération de la place significative que les ouvrages encyclopédiques occupaient dans la
Roumanie de la seconde moitié du XIXe siècle. Les ouvrages de droit administratif ou ceux de
popularisation des acquis institutionnels ont eu un très grand écho, n’oublions pas le nombre
d’étudiants roumains en France ainsi que le poids de la langue française dans la société roumaine.
Les éditions successives des dictionnaires administratifs édités par M. Block ont eu une large
diffusion dans l’espace roumain, succès prouvé aussi par les exemplaires préservés dans les
bibliothèques publiques roumaines.
98 ANDREI FLORIN SORA
publique »1. Maurice Block ajoute que le fonctionnaire «doit y consacrer son
temps, ses forces, son intelligence ; être toujours probe et digne, se conformer
rigoureusement aux lois, aux règlements et aux instructions [...] Il a des devoirs à
remplir envers le public et envers ses égaux, ses supérieurs et ses subordonnés ;
ces devoirs présentent bien des nuances suivant la nature des divers services ;
toutefois, on peut dire qu’il doit être suffisamment accessible pour les citoyens,
d’une dignité non empruntée, toujours convenable et poli, n’oubliant jamais que le
public est généralement disposé à juger sévèrement le gouvernement sur la
conduite de ses agents. »2 Ces devoirs idéaux de la fonction publique ont été
requis également par le jeune État roumain.
Tout au long de la période étudiée, les ouvrages roumains de droit public
ou administratif ont défini les fonctionnaires par l’observation directe de la
situation roumaine, mais avec comme point de réflexion les théories occidentales
de l’époque sur la nature juridique de la fonction publique : la thèse de la situation
contractuelle soutenue en Allemagne par Paul Laband et en France par Edouard
Laferrière, et la thèse du statut légal3. Les spécialistes en droit administratif et,
également, beaucoup d’hommes politiques et de membres de l’administration
connaissaient très bien les différentes écoles de droit administratif français. Les
essais des juristes roumains de donner une définition aux notions de fonction ou
fonctionnaire ont été fort influencés par les traités de droit administratif étrangers,
notamment français : les écrits de Maurice Hauriou, Edouard Laferrière, Léon
Duguit, Gaston Jèze, Paul Laband, Otto Mayer, Georg Jellinek, etc.
Dans un des premiers traités roumains de droit administratif, Christodul
Suliotis4 explique la difficulté de rédiger « un cours de droit administratif », en
dénonçant le fait que « nous avons une multitude de lois, mais qu’il manque une
corrélation entre elles. On voit souvent dans une loi, une disposition paralysée par
une autre loi, d’une part, fruit de la rapidité d’élaboration chez nous des lois et
d’autre part, conséquence de la jeunesse de notre État »5.
Dans un traité de droit administratif très apprécié à la fin du XIXe siècle, le
troisième volet du cours de droit public, le juriste et homme politique Constantin
G. Dissescu considérait comme fonction publique « n’importe quel service
demandé par l’État ou réalisé au bénéfice de l’État ». Dans le sillage de cette
pensée, le fonctionnaire était défini comme « une personne qui, disposant ou non
d’une partie de souveraineté, contribue au fonctionnement de l’œuvre publique,
qui reçoit un traitement et qui prête serment »6. Au début de sa présentation,
Constantin Dissescu réalise une analogie intéressante, qui n’est toutefois pas
1
Maurice Block, Petit Dictionnaire politique et social, Paris, 1896, p. 332-336.
2
Ibidem, p. 334-335.
3
Verginia Vedinaș, Statutul funcționarului public, Bucarest, Nemira, 1998, p. 18.
4
Christodul Suliotis, Elemente de drept constituțional, Bucarest, 1881.
5
Ibidem., p. 3.
6
C.G. Dissescu, Curs de drept public român, Bucarest, 1891, p. 854-855.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 99
1
Ibidem, p. 853.
2
Aurel Onciul, Dreptul administrativ român. Partea Generală, Vienne, chez l’auteur, 1900,
p. 107.
3
Ibidem, p. 107.
4
De nos jours, il est courant de considérer que l’expression « statut des fonctionnaires » comprend
comprend deux éléments principaux : « Le premier c’est qu’un statut est composé d’un ensemble
de règles juridiques et d’usages parfois tatillons, sanctionnés par des lois ou règlements, quand ce
n’est pas la constitution elle-même, et généralement codifiés dans des recueils de textes. Le second
est que ces textes s’attachent à définir les garanties dont les fonctionnaires doivent bénéficier dans
l’exercice de leurs fonctions, au sens le plus large du terme : garantie d’être justement rémunérés
pour le travail accompli et pour sujétions de service, garantie de percevoir la pension de retraite
méritée par un certain temps de service, garantie d’emploi, garantie d’une progression de carrière
équitable, garantie contre les menaces de toutes sortes encourues à cause de leurs fonctions. »
Histoire de la fonction publique en France …, tome III, p. 69.
5
Dana Apostol Tofan, Drept administrativ, vol. I, Bucarest, All Beck, 2003, p. 277.
100 ANDREI FLORIN SORA
1
Danièle Frisson, Histoire constitutionnelle de la Grande-Brétagne, Paris, Ellipses, 2005, p. 123.
2
Françoise Dreyfus, L’invention de la bureaucratie. Servir l’État en France, en Grande-Bretagne
et aux États-Unis (XVIIIe-XXe siècle, Paris, La Découverte, 2000, p. 176
3
Ibidem, p. 178.
4
Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide, Lille,
Presses Universitaires de Lille, 1989, p. 33.
5
Cf. V. Vedinaș, op.cit., p. 12.
6
Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 1990, p. 88.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 101
1
Dan Berindei, Epoca Unirii, Bucarest, Corint, 2000, p. 156.
2
Constantin C. Giurescu, Viața și opera lui Cuza Vodă, Bucarest, Editura Științifică, 1966, p. 400.
3
Cette revendication sera accomplie d’une manière uniforme seulement en 1923 par l’adoption du
Statut des fonctionnaires publics.
4
« Constituțiunea din 1866 », art. 131, in Ioan Muraru, Gheorghe Iancu, Mona-Lisa Pucheanu,
Corneliu-Liviu Popescu, Constituţiile române – Texte. Note. Prezentare comparativă, Bucarest,
Monitorul Oficial, 1993, p. 63.
5
Ibidem, art. 93, p. 55.
104 ANDREI FLORIN SORA
1
L’historien Ion Bitoleanu considère que le statut « a été une réponse des cercles dirigeants à la
grande grève des fonctionnaires de l’État d’avril 1923 », affirmation qui ne tient pas compte du
processus antérieur de rédaction de cette loi, ainsi que des mouvements de fonctionnaires avant
1923. Ion Bitoleanu, Din istoria modernă a României, 1922-1926, Bucarest, Editura Științifică și
Enciclopedică, 1981, p. 158.
2
D. N. Drăniceanu, « Funcţionarul public. De eri, de astăzi şi de mâine », in Două conferinţe cu
subiecte care sunt la ordinea zilei, Bucarest, 1930, p. 6.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 107
1
De surcroît, dans le même article 8 de la Constitution de 1923 on affirmait : « On n’admet dans
l’État aucune discrimination en fonction de la naissance et de la classe sociale.
Tous les Roumains, sans distinction d’origine ethnique, langue ou religion sont égaux devant la loi
et il est de leur devoir de contribuer d’une façon égale aux impôts et aux charges publics.
Ils sont les seuls à être admis dans les fonctions et les dignités publiques, civiles et militaires.
… Les étrangers ne peuvent être admis dans les fonctions publiques que dans des situations
exceptionnelles et spécialement établies par des lois ». « Constituțiunea din 1923 », art. 8, in
Constituţiile române …, p. 72.
2
« Statutul unic al funcționarilor » élaboré par l’Union générale des fonctionnaires publics ; Petre
Nedelski, Statutul unic al funcţionarilor. Principii generale, Vaslui, 1922.
3
P. Nedelski, op. cit., l’introduction, p. [1].
4
Loi du 19 juin 1923, in Statutul funcţionarilor publici, Bucarest, 1923, p. 3.
5
Ibidem, p. 3-4.
108 ANDREI FLORIN SORA
ultérieures établiraient les règles d’admissibilité, les droits et les devoirs1. Les
appels en justice des années 1920 ont confirmé leur statut professionnel distinct.
En ce qui concerne les normes d’admissibilité, les droits et les devoirs de ces
employés, la législation n’était pas très claire, en laissant à l’employeur la tâche de
régler ces questions.
Relative aux « fonctionnaires de l’administration », la deuxième partie du
statut (Dispositions spéciales) et le règlement d’application contenaient des
dispositions assez claires sur la hiérarchie administrative, les conditions
d’admission, de nomination et d’avancement, la mutation, la « discipline » et les
éventuelles voies de dérogation à ces conditions.
La loi sur le statut des fonctionnaires publics de 1923 et notamment son
règlement d’application ont provoqué un subtil clivage entre les « fonctionnaires
de l’administration » et les autres catégories des fonctionnaires à qui ne
s’appliquait pas la deuxième partie. Aux autres catégories d’agents
publics (magistrats, « membres du Corps diplomatique et consulaire, didactique et
ecclésiastique », « fonctionnaires des Corps législatifs », membres des corps
techniques et de spécialité »), devait s’appliquer seulement la première partie du
Statut à laquelle s’ajoutait le règlement intérieur de fonctionnement de leurs
institutions. Le statut de 1923 a eu également la vertu de mettre fin aux opinions
selon lesquelles les militaires, y compris les gendarmes, et les prêtres n’étaient pas
de véritables fonctionnaires publics2.
Dès les premiers mois suivant l’adoption du Statut, même si personne ne
contestait son utilité et le progrès réalisé, les juristes et ses sujets - les
fonctionnaires - ont commencé à le critiquer. De surcroît, de nombreux
spécialistes en droit administratif se sont accordés sur le fait que la définition
même des fonctionnaires publics donnée dans la loi était incomplète. Les tenants
de ces critiques pensaient que ceux travaillant dans les établissements d’utilité
publique étaient en réalité des fonctionnaires particuliers, et non pas des
fonctionnaires publics. En ce qui concerne les fonctionnaires d’un service public
concédé à une instance privée, les opinions des juristes divergeaient: la grande
majorité était d’accord avec le Statut. La plus grande autorité en droit
administratif de l’époque, le professeur Paul Negulescu, estimait par contre que
« la fonction publique fait partie d’un service public, mais seulement celui
exploité en régie. Les fonctionnaires d’un service public concédé ne sont pas des
fonctionnaires publics. »3
1
Ibidem, p. 4.
2
Avant 1923 il y avait des voix qui considéraient que ces catégories professionnelles ne
bénéficiaient pas d’autorité publique, et donc, pour cette raison, ils n’étaient pas de fonctionnaires
publics. La législation des années 1920-1930 a clarifié cet aspect et également leur statut
particulier, et leur distinction d’avec les fonctionnaires administratifs.
3
Paul Negulescu, Tratat de drept administrativ, quatrième édition, vol. I, Bucarest, 1934 [1904],
p. 522.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 109
1
Anibal Teodorescu, « Viitoarea organizare administrativă a României », in Constituția României
în dezbaterea contemporanilor, conférence du 23 avril 1922 tenue à l’Institut Social Roumain,
Bucarest, Humanitas, 1990 [1923], p. 411.
2
Les raisons pour cet encadrement juridique étaient les suivantes : leur fonction n’avait pas un
caractère de permanence, ils n’étaient pas nommés suite à une élection ni en tenant compte des
conditions prévues dans le Statut, la compétence dans les affaires administratives appartenait au
Conseil.
3
Jean H. Vermeulen, Statutul funcţionarilor publici, Bucarest, 1933, p. 52.
4
Règlement du 23 novembre 1923 visant l’application de la loi du 19 juin 1923, art. 6, in Statutul
funcţionarilor publici, Bucarest, 1923, p. 23.
5
Dans la Roumanie moderne, en nombreuses occasions les innovations législatives ayant comme
but de rentabiliser et valoriser les services publics et le fonctionnement de l’administration ont été
maintes fois limités par l’adoption – parfois dans la même loi – des dérogations.
110 ANDREI FLORIN SORA
déterminer qui était ou non fonctionnaire public. Même s’il s’agissait d’une
pratique ancienne, les procès à la Cour de cassation, et à partir de 1925 à la Cour
d’appel, sont devenus une source importante pour définir qui était ou non à
l’époque fonctionnaire public et pour couvrir ainsi les manques de la législation.
Les poursuites en justice concernaient la destitution d’une fonction inférieure ou
le licenciement, actions perçues par ceux qu’elles frappaient comme illégales, la
réglementation des droits salariaux et de pension, le refus d’être employé dans un
service public. En outre, les instances judiciaires ont été contraintes de se
prononcer sur la nature de la fonction publique, là où la législation n’était pas
précise et dans le cas où l’enjeu était assez important, notamment de nature
politique. Dans le cadre d’un tel procès on a donné la définition suivante de la
fonction publique: « une situation juridique générale, créée suite aux lois, qui a un
caractère permanent¸ c’est-à-dire qui persiste autant que la loi par l’intermédiaire
de laquelle a été créée et aussi longtemps qu’une autre loi ne la modifie pas et ne
la supprime pas »1.
Ces décisions de la justice roumaine ont complété et ont clarifié la
définition de la notion de fonctionnaire public. Dans les années 1920, dans la
presse et dans la justice un vif débat s’est déroulé sur la question de savoir si le
personnel artistique et administratif des théâtres nationaux, et même communaux,
s’inscrivait dans la catégorie de fonctionnaires publics2. Au seuil des années 1930,
le licenciement de nombreux fonctionnaires, conséquence des difficultés
budgétaires provoquées par la Grande dépression, a engendré une polémique très
vive dans la société roumaine.
Dans une étude comparative portant sur les régimes administratifs en
France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, Françoise Dreyfus affirme que : « À
partir du milieu des années vingt [1920], les principes constitutifs d’une
bureaucratie de type wébérien – hiérarchisation des emplois correspondant à des
compétences, sélection au mérite par concours ou examen d’aptitude et permanence
dans la carrière ou l’emploi assuré par les modalités d’avancement - forment
globalement l’armature de la fonction publique en Grande-Bretagne et en France.
C’est aussi le cas, quoique de manière moins systématique, aux États-Unis où le
recrutement au mérite est étendu … »3. On voit bien que, par le Statut de 1923, la
fonction publique roumaine s’est synchronisée à l’Occident. Grace à cette loi, le
fonctionnaire roumain a reçu un des plus importants droits: la stabilité, conquête qui
engendrera l’accélération de la professionnalisation de la fonction publique.
1
La sentence 796 du 15 octobre 1927 du Tribunal d’Ilfov ; la section I, cf. J. H. Vermeulen,
Statutul funcţionarilor publici, p. 56.
2
Ce débat a eu comme résultat une décision irrévocable : le personnel artistique des théâtres ne
faisait pas partie de la catégorie des fonctionnaires publics. Suite à la loi de modification des
articles de la loi des théâtres nationaux et des opéras, le personnel de ces institutions a été divisé en
catégories : artistique, technique, administratif et auxiliaire (personalul de serviciu). MO, no 70, 25
mars 1931, p. 2727.
3
F. Dreyfus, op. cit., p. 199.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 111
Les années 1920 ont apporté dans la fonction publique une évidente
professionnalisation, voire modernisation et même démocratisation. Néanmoins,
ces acquis n’ont réussi que partiellement à rompre avec une administration
politisée, corrompue, où trônaient les relations clientélistes. L’uniformisation et la
généralisation des obligations et des droits des fonctionnaires permettront la
consolidation d’une identité commune, signe visible dans les années 1930 dans les
efforts de fonder une fédération. Hormis ces conséquences positives, l’obtention
de la stabilité déclenchera un phénomène d’enfermement, marqué par la limitation
des entrées dans le corps.
La période d’après la promulgation du Statut a été marquée par l’essai des
gouvernements de l’éluder. La demande faite par les fonctionnaires d’inclure le
statut dans la Constitution, en empêchant ainsi son changement ou même son
abrogation - un processus législatif difficile - n’a pas été mise en pratique. Le
Statut des fonctionnaires publics de 1923 a constitué un pas en avant, notamment
dans la réglementation de la stabilité et par le fait que cette loi « a servi comme
une arme de défense devant le contentieux administratif, contre les gouvernants
contrevenant à la loi »1. Toutefois, six ans après la promulgation de la loi sur le
Statut des fonctionnaires publics, un article paru dans la Revista administrativă et
portant le titre suggestif Le Statut – un bout de papier (Statutul un petic de hârtie)
constatait avec amertume que « … cette loi a été toujours méprisée, violée et
outragée par tous les chefs de départements, à tout moment, quand ils ont eu
besoin de récompenser une aide politique ou de sanctionner une attitude menée
contre les intérêts de leur partis politiques […] N’importe quelle usurpation de la
loi produit des effets démoralisateurs, d’autant plus si elle est faite par une
personne haut placée. La violation du Statut en ce qui concerne notamment les
nominations, les avancements et les mesures disciplinaires a provoqué au sein du
corps des fonctionnaires la démoralisation de la majorité de leurs membres et le
sentiment de la révolte justifiée »2.
1
Revista administrativă, IX, no 10, 1er juin 1930, p. 139.
2
Ibidem.
112 ANDREI FLORIN SORA
travaillant dans le service de l’État. Une fois arrivé au pouvoir, le PNT a essayé de
faire imposer sa vision sur l’administration. En conséquence, une autre étape dans
la longue démarche de codification de la fonction publique s’est déroulée à la
charnière des années 1920 et 1930. De cet effort législatif on retient notamment la
loi sur les Ministères et la loi sur l’administration locale du ministère de
l’Intérieur, toutes les deux promulguées en 1929.
La loi sur l’administration locale du 3 août 1929 précisait que si le statut
des fonctionnaires publics était modifié, les éventuels changements ne seraient pas
appliqués aux fonctionnaires communaux (art. 173)1. En revanche, à ceux-ci
seraient appliquées les conditions d’admission, de stabilité et les sanctions
disciplinaires « qui seront établies pour les fonctions similaires par la loi sur
l’organisation du ministère de l’Intérieur »2. Cette loi a augmenté les imprécisions
et les ambiguïtés de la législation roumaine: par l’article 263 on diminuait la
distinction entre les fonctionnaires départementaux et communaux, maintenue par
le Statut de 1923. En outre, dans la loi sur l’administration locale de 1929
s’observe l’intention du législateur de politiser la fonction de secrétaire général du
département3. La nomination dans cette fonction ne tenait plus compte de l’ordre
établi par l’examen de capacité. Le Conseil départemental pouvait choisir
n’importe qui dans cette fonction parmi ceux déclarés réussis à un examen pour ce
poste4. Nous pouvons parler d’un retour un arrière par rapport au statut
professionnel du fonctionnaire public établi par la loi du 19 juin 1923 ; cet aspect
bien saisissable également dans la loi sur les ministères du 2 août 19295.
Dans la vision de Jean Vermeulen ces deux lois ont compromis le
principe, établi par le Statut de 1923, de la réglementation générale et unitaire de
la fonction publique6. Dans la loi sur l’administration locale, Vermeulen déclarait
avoir saisi « l’intention évidente de notre législateur de soustraire les
fonctionnaires publics de l’administration locale de l’influence du Statut »7, en
ajoutant quelques années plus tard que « le mobile poursuivi par le législateur de
1929 est facile à concevoir, le Statut des fonctionnaires publics constituant une
entrave trop sérieuse au favoritisme des partis politiques »8. Une autre explication
doit être cherchée dans la décentralisation de l’administration menée par PNT, la
1
MO, no 170, 3 août 1929, p. 6207.
2
Ibidem.
3
On note que par la loi de 1929 la fonction de sous-préfet (le directeur de préfecture dans le Vieux
Royaume) a été supprimée. La plus grande partie des attributions du sous-préfet est revenue au
secrétaire général du département, fonction bâtie sur le fondement de la fonction de secrétaire
général du Conseil départemental.
4
J. H. Vermeulen, Statutul funcţionarilor publici, p. 122.
5
MO, no 169, 2 août 1929, p. 6114-6133.
6
J. H. Vermeulen, Statutul funcţionarilor publici, p. 119.
7
Ibidem, p. 120.
8
Idem, « La loi administrative roumaine de 1938 », in Revista de Drept Public, XII, no 3-4, 1938,
p. 515.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 113
majorité de leurs dirigeants ayant une culture juridique allemande, constat auquel
s’ajoute l’effort d’affermir et de maintenir leurs fiefs politiques.
Les fonctionnaires étaient sensibles aux modifications de la loi qui
pouvaient conduire à la perte d’une grande partie de leurs droits. Une vive
opposition a été suscitée en 1929, par un projet de statut du « personnel de la régie
autonome des PTT », par lequel, dans l’opinion des fonctionnaires de cette
direction « ont été confisqués tous nos droits consacrés par des lois et des
règlements encore en vigueur »1. Ce projet s’inscrivait dans l’effort du
gouvernement national-paysan d’élever le niveau d’instruction des fonctionnaires
et donc de renouveler le corps. On a décidé ainsi que les fonctions moyennes, de
direction, seraient réservées aux agents détenteurs de titres universitaires. Cette
mesure frappait notamment les fonctionnaires anciens : beaucoup d’entre eux ne
remplissant pas cette condition, furent renvoyés ou nommés dans des postes
d’exécution2. En janvier 1930, sous l’influence des nouvelles lois mais sans tenir
compte du Statut de 1923, le gouvernement avait mis à la retraite tous les
« fonctionnaires supérieurs » des PTT qui avaient plus de 30 ans d’ancienneté ou
âgés d’au moins 57 ans, soit au total 631 individus3. Pour remplir le vide laissé
par cette « rétrogradation », la direction fit appel à 251 récemment retraités, reçus
dans leurs fonctions comme des employés diurnaux4, auxquels se sont ajoutés
aussi comme contractuels de nouveaux cadres5. Une nouvelle mise à la retraite de
ceux qui avaient plus de 30 ans d’ancienneté ou au moins 57 ans a été réalisée par
une loi du 26 avril 1930, qui, dans les PTT, a concerné 638 « fonctionnaires
supérieurs »6.
La Grande crise économique mondiale ouverte par le krach boursier de
1929 s’est fait sentir fortement en Roumanie, pays où les difficultés économiques
provoquées par la crise ont été accentuées par l’instabilité politique. Le PNT, au
pouvoir entre novembre 1928 et avril 1931 et entre juin 1932 et novembre 1933, a
dû faire face aux accusations de corruption (l’Affaire Skoda), aux manœuvres du
nouveau roi Carol II d’imposer ses partisans et à de forts mouvements de
revendications sociales et économiques de la part des ouvriers. Une des mesures
préconisées par le PNT pour sortir de la crise consistait à faire des économies
budgétaires, en commençant par réduire les traitements et les autres gratifications
1
ANIC, fonds Organizaţiile profesionale ale salariaţilor P.T.T. din România (2958), ds. 4, r. 467,
c. 673.
2
Ibidem.
3
Idem, ds. 6, r. 467, c. 683.
4
Il ne faut pas confondre le diurnist roumain avec le surnuméraire français ; à la différence du
second, le premier touchait un traitement variable en fonctions des heures travaillées. Le stagiaire
roumain est plus proche du surnuméraire français, à la différence que lui aussi est payé, même s’il
s’agit d’un traitement insuffisant et un emploi précaire.
5
ANIC, fonds Organizaţiile profesionale ale salariaţilor P.T.T. din România (2958), ds. 6, r. 467,
c. 683.
6
Ibidem, c. 684.
114 ANDREI FLORIN SORA
1
La première « courbe salariale » prévoyait la diminution des tous les salaires et les pensions de
retraité supérieurs à un montant de 3000 lei brut : 10 % pour un salaire brut entre 3001-4000 lei –
mais on devait toucher au moins 3000 lei, 14 % (4001-5000 lei), 18 % (5001-10.000 lei), 20 %
(10.001-15.000 lei), 21 % (15.001-20.000 lei), 22 % (20.000-30.000 lei), 23 % (au dessous de
30.000 lei). MO, no 296, le 31 décembre 1930, p. 10744.
La grande majorité des fonctionnaires et des employés publics (77,4 %) touchaient moins de 5.000
lei par mois (cf. Ioan Scurtu, Gheorghe Buzatu, Istoria Românilor în secolul XX (1918-1948),
Bucarest, Paideia, 1999, p. 67).
2
MO, no 301, 28 décembre 1931, p. 10265-10266.
3
Lege pentru înființarea Cadrului disponibil al funcționarilor publici. Însoțiță de expunere de
motive, avizul Consiliului Legislativ și raportul de la Cameră și Senat, parue dans le MO, no 101,
du 4 mai 1933, Bucarest, Curierul Judiciar, 1933.
4
« Les fonctionnaires de l’État, des Régies commerciales, autonomes, des Caisses autonomes, des
départements et des communes ».
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 115
1
Nicolae Ghiulea, Organizarea Statului. Mijloace şi metode noui ..., Bucarest, 1935, p. 93.
2
Ardealul administrativ, I, no 4, avril 1937, p. 58.
3
N. Ghiulea, op. cit., p. 93.
4
Par contre, la loi de 1938 précisait clairement que les fonctionnaires de l’administration locale
étaient soumis aux normes du Statut des fonctionnaires publics.
116 ANDREI FLORIN SORA
Sûreté générale. Ainsi, quelques jours après la suspension du Statut parmi les
cheminots cette décision était mise en question, d’autres étaient soucieux et ne
savaient pas si la nouvelle législation donnera le droit de faire partie
d’organisations professionnelles1. Selon l’agent de renseignement « la majorités
des cheminots pensent que cette mesure a été prise afin de licencier les femmes
employées dans les services publics et que le gouvernement ait pleine liberté dans
la mutation des fonctionnaires », ils se montraient inquiets de la suppression des
commissions disciplinaires2. Si la première affirmation ne se vérifie pas, les autres
étaient vraies, par ces dispositions le gouvernement de Carol II limitait
l’indépendance de l’administration et affermissait son pouvoir.
Ultérieurement, le 8 juin 1940, sous le nom de Codul funcţionarilor
publici, a été adopté un nouveau statut des fonctionnaires publics, qui devait
refléter les changements survenus au bout de deux ans dans la législation et
l’administration, ainsi que le nouveau contexte politique interne et international.
Après la Deuxième Guerre mondiale, dans un contexte politique difficile, marqué
par les essais des communistes roumains de s’assurer le contrôle total du pouvoir,
le 22 septembre 1946 on a adopté un nouveau statut (la loi 746/1946) - modifié le
12 décembre 1946 - accompagné d’un Statut sur les salariés communaux (la loi
535 du 9 juillet 1946 avec les rectifications du 14 septembre 1946).
1
Idem, ds. 40/1938, f. 1.
2
Ibidem.
3
Delphine Gardey, La dactylographe et l’expéditionnaire, Histoires des employés de bureau,
1890-1930, Paris, Belin, 2002, p. 27.
118 ANDREI FLORIN SORA
notamment les commis des services administratifs, les copistes ; il était utilisé
également dans l’ancien territoire de l’Autriche-Hongrie intégré à la Roumanie en
1918. Ioan Stanomir remarque que les néologismes empruntés à des langues
étrangères, notamment après 1830, ont accéléré la modernisation institutionnelle1.
Au début de la période visée par cette étude, plusieurs dénominations se
disputaient la suprématie : on distinguait notamment les termes de fonctionnaire
(funcționar) et d’employé (amploiat), empruntés à la langue française et
accoutumés dans les Pays Roumains presque simultanément, dans le deuxième
tiers du XIXe siècle. Le philologue Sextil Pușcariu expliquait que le mot amploiat
« du français employé commence avec un a qui reproduit la prononciation
française, continue avec oi, qui correspond à l’écriture française, et il se fini en -
at qui est une roumanisation de la terminaison française - é »2. D’autres termes
utilisés pour indiquer le personnel des services de l’État étaient ceux d’agents
d’État ou d’agents administratifs et même le terme d’impiegat, de l’italien
impiegato, désignant dans les deux langues la même chose. Durant toute la
période étudiée, par le terme d’impiegat on entendait d’une manière générale le
personnel étatique inférieur et plus particulièrement les petits fonctionnaires de la
SCFR (la Société des Chemins de fer Roumains) et des PTT, ainsi que, dans
l’entre-deux-guerres, le premier degré dans les services de l’État. Toutefois, dans
les premières années de cristallisation de l’appareil étatique roumain, le terme
d’impiegat a servi pour désigner tout agent public3.
Les Roumains ont assimilé et ont accordé presque les mêmes
significations aux termes français de fonctionnaire et d’employé. La principale
différence consiste dans le fait qu’en Roumanie la qualité de fonctionnaires n’est
pas reconnue seulement aux agents des administrations d’État, mais également au
personnel départemental et communal4. Même si les juristes roumains avaient
établi une distinction entre ces deux termes, ils ont été perçus longtemps par la
grande partie de l’opinion publique comme des synonymes. De surcroît, jusqu’aux
années 1870, les autorités roumaines n’ont pas fait de distinction entre employés
et fonctionnaires. Avec le processus de codification et de rationalisation de
l’administration, l’utilisation du terme d’employé dans le monde administratif et
juridique a connu une large diffusion, parallèlement à la rapide adoption du sens
donné en France, quelques décennies auparavant. Ainsi, comme en France, ce
terme est arrivé à désigner presque exclusivement les petits fonctionnaires. À la
différence d’autres pays, en Roumanie les employés n’appartenaient pas
1
I. Stanomir, Nașterea Constituției. Limbaj și drept în Principate …, p. 92.
2
Sextil Pușcariu, Limba română, vol. I, Privire generală, Bucarest, 1940, p. 404.
3
Tel est le cas pour la loi sur le corps télégraphe postale de 1871 qui utilise comme termes, sans
aucune distinction, les appellations d’employés et d’impiegats. Loi sur l’organisation du corps
télégraphe-postal de 1871. Cf. C. N. Minescu, op. cit., p. 310-314.
4
Jean Le Bihan, Au service de l’État. Les fonctionnaires intermédiaires au XIXe siècle, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 23.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 119
1
P. Rosanvallon, op. cit., p. 50.
2
J. Siwek-Pouydesseau, op. cit., p. 21.
3
Ainsi, pour l’année 1893, cinq des 32 préfets (plus de 15 %) ont déclaré qu’ils ont exercé la
fonction de copiste ; pour l’année 1897, 43 % des sous-préfets ont eu comme emploi initial dans le
service de l’État celui de copiste.
4
C. G. Dissescu, op. cit., p. 859.
120 ANDREI FLORIN SORA
1
Ibidem, p. 858-859.
2
Ibidem, p. 854.
3
Dans une première phase, la situation juridique des diurnişti a été relevée par les décisions des
Cours d’Appel. À la suite d’un procès de 1897 qui visait l’écrivain Ioan Slavici, secrétaire de la
commission des traductions, nommé seulement par décret ministériel et recevant des droits
financiers et un salaire à la journée on a mieux défini le statut de ce type de fonctionnaire. On a
établi que les diurnişti n’étaient pas fonctionnaires publics, indifféremment du caractère permanent
ou non permanent de la fonction qu’ils accomplissent. Apud Corneliu Rudescu et Gheorghe
Marghidan, Statutul funcţionarilor publici şi statutul salariaţilor comunali (Comentariu doctrinar
şi jurisprudenţial), Bucarest, 1947, p. 17.
4
Le Statut de 1946 a opéré un changement en distinguant le personnel permanent et le personnel
temporaire, mais en incluant dans la première catégorie les diurnişti, qui étaient employés dans
une fonction publique à caractère de permanence (par exemple les impiegaţi, sans que leur service
soit conditionné par la réalisation d’une activité précise ou pendant une durée de temps déterminée
par contrat). C. Rudescu, G. Marghidan, op. cit., p. 16.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 121
régies autonomes ou dans les services des institutions dépendantes de l’État »1.
Dans le même document on précisait à tort que « les lois en vigueur font la
différence entre les salariés et les fonctionnaires publics. La première notion
englobait tous ceux qui accomplissaient un service permanent - n’importe lequel -
payé par un budget public, et la deuxième notion visait seulement les salariés qui
déployaient un service intellectuel2 ». Une autre opinion consistait à considérer, et
ce n’est pas un jugement isolé, que tous ceux qui accomplissaient une fonction
politique ou élective n’étaient pas des fonctionnaires publics3.
Laissons cette fois-ci la parole à un représentant de l’autorité étatique.
Dans un discours tenu en 1937, P. Alexandrescu Roman, professeur au Centre de
formation des fonctionnaires publics et secrétaire général du ministère du Travail
et des Assurances sociales incluait les fonctionnaires publics dans la grande
catégorie des salariés correspondant à ceux qui « déploient une activité en
échange d’une rémunération … Vous faites partie donc de la grande famille, à
partir du salarié intellectuel en passant par le salarié manuel, de l’ouvrier de
l’usine à son supérieur technique, de l’artisan au médecin ou au ingénieur. Vous
êtes unis tous par le même noble et sain effort : le travail4 ».
Maintes fois, les fonctionnaires se sont démarqués les uns des autres dans
le but de légitimer leur statut ou leurs demandes. Dans les journaux qui
demandaient un meilleur statut social et professionnel pour les agents publics - la
presse des fonctionnaires -, pour capter le soutien de l’opinion publique, on a
essayé de montrer l’existence de deux groupes professionnels : les fonctionnaires
et les employés. L’employé était donc un individu qui gardait sa fonction sans
tenir compte des changements politiques, un serviteur de l’État qui devait être
indépendant de point de vue politique. On intégrait dans cette catégorie « les chefs
des services, des divisions, des bureaux, les sous-chefs, les contrôleurs, les
archivistes, les copistes ». D’autre part, « les ministres, les secrétaires généraux
des ministères, les préfets, les sous-préfets, les maires, les adjoints de sous-
préfecture, les commissaires de la police » étaient catégorisés comme des
fonctionnaires5. Dans un essai d’étude monographique, le directeur et le principal
signataire des articles du périodique Funcționarul, Th. Jerebie divisait les
fonctionnaires publics en trois catégories : les agents directs, les employés, les
agents auxiliaires6. La première catégorie de fonctionnaires publics était
représentée par le Roi, les ministres, les secrétaires généraux, les préfets, les
1
ANIC, fonds Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 133, f. 1, r.
393.
2
Ibidem.
3
Ibidem.
4
P. Alexandrescu Roman, « Rostul şcoalelor de pregătire profesională a funcţionarilor publici »,
conférence, in Revista de Drept Public, 1937, p. 333.
5
Funcționarul, I, no 8, 16 octobre 1883, p. 1.
6
Theodor Jerebie, Funcţionarii. Studiu administrativ, Bucarest, 1892, p. 82.
122 ANDREI FLORIN SORA
1
Ibidem, p. 83.
2
J. H. Vermeulen, Statutul funcţionarilor publici, p. 57.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 123
Combien de fonctionnaires ?
L’étude des effectifs de l’administration publique et des discussions
qu’elle a provoquées à différentes époques offre des pistes de recherche pour la
compréhension de l’établissement institutionnel et de son poids en Roumanie.
Durant toute la période 1866-1940, l’opinion publique et les acteurs politiques ont
accusé les gouvernements, de toute orientation, d’avoir augmenté artificiellement
le nombre de fonctionnaires pour récompenser leur clientèle. Le nombre de
fonctionnaires publics roumains est difficile à déterminer, principalement à cause
de l’évolution des catégories prises en compte d’une époque à autre.
1
Constituţiile române …, l’article 88 de la Constitution de 1866 (p. 55), l’article 93 de la
Constitution de 1923 (p. 84), l’article 46 de la Constitution de 1938 (p. 105).
124 ANDREI FLORIN SORA
1
Elena Siupiur, Intelectuali, elite, clase politice moderne în Sud-estul european. Secolul XIX,
Bucarest, Dominor, 2004, p. 31.
2
Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXème siècle, Paris, Seuil, 2000, p. 194.
3
Apud Antoine Roger, Fascistes, communistes et paysans. Sociologie des mobilisations
identitaires roumaines (1921-1989), Bruxelles, Éditions de l’Université Libre de Bruxelles, 2002,
p. 117.
4
Grigore Chiriţă, Societatea din Principatele Unite Române în perioada constituirii Statului
Naţional (1856-1866), Bucarest, Editura Academiei Române, 2004, p. 38n.
5
Le pouvoir administratif était composé par les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur (3134
personnes), du ministère de l’Agriculture, du Commerce et des Travaux publics (424 personnes),
le ministère des Finances (1243 personnes), le ministère des Affaires étrangères (115 personnes),
le ministère de la Justice (2072 personnes), le ministère des Cultes et de l’Instruction publique
(2665 aux Cultes et 3562 à l’Instruction publique). Voir Ion Petrescu, Estractu din statistica
administrativă a României/Extrait de la statistique administrative de la Roumanie, Bucarest, 1866,
p. 22.
6
Ibidem.
7
Il est à remarquer que les auteurs de cet ouvrage avaient projeté une statistique pointue des
fonctionnaires publics, mais qui, faute d’un recensement, se sont contentés d’utiliser des données
extraites du Budget :
« Une statistique des fonctionnaires publics n’ayant jamais été faite chez nous, nous avons cru
qu’il serait intéressant de publier certaines données extraites des budgets de l’année 1902-1903.
Ces données ne doivent pas être considérées comme complètes, notre étude n’a porté que sur le
nombre de fonctionnaires et leurs traitements. Il serait utile de connaître le degré d’instruction des
fonctionnaires de chaque administration, en fonction des titres académiques et des certificats
scolaires, leur état civil (s’ils sont ou non mariés, ce fait ayant son importance, au point de vue du
service) ; leur âge par rapport à la place qu’ils occupent et par rapport aux titres et diplômes qu’ils
possèdent».
Statistica funcționarilor publici și a pensionarilor din România pe anul 1902-1903/Statistique des
fonctionnaires publics et des pensionnaires de Roumanie pendant l’année 1902-1903, Ministère
des Finances – Direction de la Statistique Générale des Finances, Bucarest, 1903, p. I.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 125
1
Cette statistique ne compte pas les 59.481 soldats, parmi les fonctionnaires, mais il le fait pour
les huissiers et les garçons de bureau, tout en reconnaissant leur particularité, Statistique des
fonctionnaires ... 1902-1903, p. I-III.
2
Paul Negulescu, Tratat de drept administrativ român, deuxième édition, Bucarest, 1906 [1904],
p. 158.
3
Ibidem, p. 162.
4
Statistica profesiunilor din România după recensământul general al populaţiunei din 1 ianuarie
1913 stil nou/Statistique des professions de la Roumanie d’après le recensement général de la
population du 1er janvier 1913, Ministère de l’Industrie et du Commerce, Direction générale de la
Statistique, Bucarest, 1923.
5
Ibidem, p. III.
126 ANDREI FLORIN SORA
ouvriers à la journée et toutes les personnes assistées » et les gens exerçant une
profession inconnue1. Le nombre des actifs2 était de 4.039.262 (55,8%) et celui
d’ « oisifs » (non actifs) de 3.195.657 (44,2%), la population totale de la
Roumanie arrivant à 7.234.919 personnes.
La division C3 comprenait trois classes : la force publique et l’armée, les
administrations publiques et les cultes, la justice, l’enseignement (y compris
l’enseignement privé) et les professions dites libérales, au total un nombre de
182.071 personnes, soit 4,6% des personnes actives ou 2,51% de la population4.
Dans la division C, les femmes étaient représentées par un pourcentage de 8%
(14.651 personnes). En 1913, le nombre des retraités enregistrés en Roumanie
était seulement de 9765 personnes5, chiffre proche de celui enregistré en 1903,
5.457 (« retraités civiles et ecclésiastiques) et 3169 retraités militaires6. Pour
l’année 1903, seulement 45% de retraités étaient des hommes alors que les
femmes (55%), étaient, dans la majorité des cas, des veuves de fonctionnaires7.
La force publique et l’armée (VIe classe) comptait au total 103.719
personnes dont 87.271 personnes formaient l’armée active de terre, 542 la marine,
9.953 la gendarmerie et les gardes frontières et 5948 la police. À cette classe
s’ajoutait l’administration publique (la VIIe classe) formée de 25.921
fonctionnaires de la Couronne, de l’État, des départements, des communes, de
l’Académie, de la Fondation Universitaire, y compris les fonctionnaires civils de
l’armée (sans inclure les fonctionnaires des Chemines de fer, de la Poste et du
Télégraphe, ni le corps didactique, ni les magistrats). Le dernier groupement de la
division C comprenait des emplois divers, étrangement regroupés : « Cultes,
justice, enseignement public et armée, professions dites libérales ». Dans cette
dernière classe on peut considérer que environ 35.000 personnes faisaient partie
1
La division D (202.451 personnes) incluait des catégories qui peuvent intéresser notre sujet.
Ainsi par groupes de professions la division D était répartie dans « 11.537 propriétaires de maisons
et loueurs de chambres meublés, 6.593 rentiers, 9765 pensionnaires, 113.294 domestiques, 10.384
ouvriers journaliers, 11.214 personnes entretenues ou secourues par des parents, les institutions de
bienfaisance, 23.113 étudiants et élèves, 3.036 détenus, 1.083 prostituées inscrites, 2.258
vagabonds et 10.174 chefs de famille sans profession déterminée (Statistique des professions … ,
p. XX).
2
D’après leurs « professions » ces quatre divisions étaient à leur tour subdivisées en douze classes
et cent trente et un groupes de professions.
3
On observe une certaine imprécision de cette statistique relative à l’opération d’une délimitation
plus claire entre emploi public et privé et à la hiérarchisation des emplois. Il n’y a pas de
distinctions entre les différentes fonctions publiques ni au moins entre les fonctions d’exécution et
celles de direction. Ces constats s’expliquent par le silence de la législation sur les catégories
professionnelles qui relèvent du service public et, également, par une faible auto-définition de la
part de ces catégories.
4
Statistique des professions …, p. V.
5
Ibidem, p. XX.
6
Ibidem, p. XXV-XXVI.
7
Ibidem, p. XXV.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 127
1
N. Ghiulea, op. cit., p. 82.
2
Revista Funcționarilor Publici, VIII, 3-4, 1933 p. 5-6.
3
Idem VII, no 3-4, 1932, p. 2.
4
Idem, VII, no 1-2, 1932, p. 27.
5
I. V. Gruia, « Problema reducerii numărului funcţionarilor publici », in Revista de Drept Public,
IV, 1929, p. 255.
6
« En poursuivant des buts politiques, les partis politiques ont créé des postes inutiles pour placer
leur clientèle », Ibidem, p. 254-255.
7
Revista Funcționarilor Publici, IX, no 1-2, 1934, p. 3.
8
I. V. Gruia, op. cit., p. 258.
9
Revista Funcționarilor Publici, VII, no 3-4, 1932, p. 3.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 129
1
Revista administrativă, IX, no 4, 1er mars 1930, p. 2.
Chapitre IV
1
Ştefan Bosie, Funcţionarii şi oligarhia, Craiova, [192-], p. 31.
2
« Constituţiunea din 1866 », art. 10, in Ioan Muraru, Gheorghe Iancu, Mona-Lisa Pucheanu,
Corneliu-Liviu Popescu, Constituţiile române – Texte. Note. Prezentare comparativă, Bucarest,
Regia Autonomă „Monitorul Oficial”, 1993, p. 35.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 131
candidat possédait une fortune, pour lui servir comme gage à l’entrée dans une des
fonctions : caissier, comptable, percepteur et, jusqu’en 1867, sous-préfet. Dans le
Vieux Royaume ont persisté longtemps des dissimilitudes en ce qui concerne les
conditions générales d’admission dans la fonction publique, des directions d’un
même ministère ayant une politique de cadres différente.
Il y avait des fonctions qui facilitaient la montée dans la carrière et
d’autres qui pouvaient « bloquer » ou limiter cette progression ; elles
représentaient le sommet d’une certaine filière professionnelle. Ainsi, dans
l’entre-deux-guerres la fonction de chef d’arrondissement cesse d’être un
tremplin, et devient, dans les années 1930, la plus haute fonction à laquelle un
ancien notaire ou un petit fonctionnaire de l’administration locale peut espérer.
Sans doute le processus de modernisation se reflète-t-il dans les stratégies de
carrière dans la fonction publique. Celles-ci sont visibles, dans une première
étape, par le choix des études et surtout par le choix de la première fonction.
Jusqu’à la fin des années 1870, période qui correspond à la consolidation de l’État
roumain et de ses institutions, il s’agit plutôt des stratégies de carrière spécifiques
à l’époque antérieure. Dans ce système d’ancien régime, chaque classe sociale
était en « possession » d’un espace public et d’un champ d’emploi bien délimités.
Néanmoins, à partir des années 1870 on assiste au début d’une période de maturité
de l’administration roumaine, qui s’est accentuée dans l’entre-deux-guerres et se
caractérise par une tendance à la hiérarchisation, la spécialisation et la
rationalisation de l’administration et du service public.
Le fonctionnaire devait remplir des conditions générales concernant l’âge,
le niveau minimum d’études – différent d’une fonction à l’autre – et d’autres
conditions d’éligibilité (liées aux rapports du demandeur d’emploi auprès de
l’État) comme d’avoir accompli la loi de recrutement (avoir fait le service
militaire), de n’être pas failli non réhabilité. Pour d’autres fonctions, des
conditions liées à la possession d’une fortune ont été imposées. La croissance des
missions de l’État et l’inflation des demandeurs d’emploi dans l’administration
ont fait qu’à partir de la fin du XIXe siècle la condition de l’ancienneté et
l’exigence d’un cursus honorum se sont généralisées non seulement par rapport
aux fonctions techniques. Dans différents services ou institutions, les liens de
parenté ont été interdits. Tel était le cas pour les membres de la Cour des comptes,
où dès la première loi d’organisation, de 1864, on avait interdit les liens de
parenté jusqu’au quatrième degré1. Cette imposition des conditions d’admissibilité
et leur graduelle uniformisation pour l’ensemble des fonctionnaires publics
montrent l’accélération du processus de modernisation de l’appareil étatique
roumain. Pourtant, jusqu’à la dernière décennie du XIXe siècle, le concours et
l’examen concernaient peu de fonctions publiques. Comme l’avait montré pour le
1
Voir les lois d’organisation de la Cour des comptes dans Bogdan Murgescu, Mirela-Luminiţa
Murgescu, Ion Bucur, Andrei Florin Sora, Curtea de Conturi a României, 1864-2004. Culegere de
documente, Bucarest, 2004.
132 ANDREI FLORIN SORA
1
Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 1990, p. 82.
2
Theodor Jerebie, Funcţionarii. Studiu administrativ, Bucarest, 1892, p. 19.
3
Constantin N. Minescu, Istoria poştelor române. Originea, desvoltarea şi legislaţiunea lor,
Bucarest, [1916], p. 319.
4
MO, 19 avril/1er mai 1892, p. 411.
5
Décret 1559 d’avril 1894, apud C. N. Minescu, op. cit., p. 485.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 133
Le capital scolaire :
les études des fonctionnaires et l’enseignement public en Roumanie
Dans un article sur les élites culturelles, Jean-François Sirinelli observe:
« Dans les sociétés modernes de l’Europe industrialisée de la fin du XIXe siècle et
du XXe siècle, la compétence, essentielle au miroir social, est théoriquement à la
fois garantie et légitimée par le diplôme »4. Le décret de création de l’Université
de Iaşi (1860) attribue aussi un rôle à l’enseignement dans le progrès de l’État :
« Depuis, aucun jeune ne sera plus admis dans les fonctions publiques de l’État
s’il ne fait preuve des diplômes demandés en fonction du poste sollicité »5.
1
« Statutul desvoltătoriu convenţiunei du 7/19 août 1858 », in Constituţiile României ...., p. 12.
2
Une autre circonstance qui à certains moments a eu comme conséquence la prestation d’un
serment a été « provoquée » par l’arrivée au pouvoir d’un nouveau prince régnant. En 1866 le
« Pays », et notamment les fonctionnaires publics ont dû prêter deux fois serment de fidélité :
envers Philippe de Flandres qui a refusé le trône et envers Carol I.
3
Loi du 19 juin 1923, art. 6, in Statutul ..., p. 4.
4
Jean-François Sirinelli, « Les élites culturelles », in Jean-Pierre Rioux et Jean François Sirinelli
(dir.), Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997.
5
Apud Vasile Puşcaş, Universitate, societate, modernizare. Organizarea şi activitatea ştiinţifică a
Universităţii din Cluj (1919-1940), deuxième édition, Cluj-Napoca, Eikon, 2003 [1995], p. 62.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 135
1
En Roumanie, les conditions d’admission n’ont pas tenu compte toujours des réalités locales.
Maintes fois, les conditions imposées à l’entrée dans la fonction publique dans les pays
occidentaux ont été appliquées sans avoir en vue les limites de l’enseignement public roumain.
2
Loi du 29 juin 1923, art. 37, in Statutul ..., p. 11.
3
Règlement du 23 novembre 1923 …, art. 74, in Idem, p. 42.
4
Marie-Bénédicte Vincent, Serviteurs de l’État : les élites administratives en Prusse de 1871 à
1933, [Paris], Belin, 2006, p. 37.
136 ANDREI FLORIN SORA
chefs étaient des facteurs plus déterminants que les qualités intellectuelles et le
travail. Pourtant, tout au long de la période étudiée, il y a eu à tout échelon
administratif des fonctionnaires jouissant d’une formation intellectuelle supérieure
aux conditions d’accès dans la fonction.
Le changement des conditions d’admission dans les emplois publics
touchant au niveau de formation scolaire peut être saisi à travers trois périodes
distinctes. Nous avons identifié une première période qui va jusque dans les
années 1860, lorsque, à l’exception de quelques filières administratives et des
postes de responsabilité, lire, écrire et compter était suffisant. La seconde période
va jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, et l’on observe une
hiérarchisation graduelle des fonctions publiques en étroite liaison avec le degré
d’instruction1. Toutefois, le diplôme universitaire reste l’apanage d’une minorité
qui trouve sans soucis, dès la vie étudiante, une place dans l’administration. En
troisième lieu, dans les années 1920-1930 la fonction publique est devenue un
véritable terrain de bataille pour ceux qui voulaient accéder à un emploi salarié, à
une certaine sécurité et nourrissant l’espoir de monter dans la carrière. Pendant
cette période, le nombre des titulaires d’un diplôme universitaire a connu une
forte croissance, ne pouvant plus assurer si aisément l’accès à une fonction
publique.
L’imposition et l’uniformisation, par le Statut de 1923, des conditions
d’admission et de stabilité ont contribué à l’ouverture de la fonction publique à
toutes les catégories sociales, aux hommes et aux femmes, l’évolution de
l’enseignement public jouant un rôle important dans ce processus. On peut dire
que le Statut s’inscrit dans la ligne novatrice tracée par la loi sur le suffrage
universel. Ces conditions d’admission, y compris l’obligation de passer un
concours, ont diminué l’importance du facteur relationnel et clientéliste. Pour la
Roumanie de l’entre-deux-guerres, on peut appliquer également le constat de
Marie-Bénédicte Vincent, constat établi pour la Prusse. Ainsi cet auteur pense que
« plus la prééminence sociale est contestée dans une société qui évolue vers la
démocratie, plus le corps doit se légitimer en mettant en avant le primat
d’expertise »2.
Il existe encore dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres des attaques
contre les carences dans la formation intellectuelle des fonctionnaires publics,
associées avec la nécessité d’assurer une administration efficiente, en même temps
que l’unité de l’État. Il y avait des opinions qui contestaient même le rôle des
diplômes dans l’accession à une fonction publique. Mihail Manoilescu,
économiste et homme politique, notait: « Le titre universitaire est, surtout en
1
Dans la dernière décennie du XIXe siècle, Theodor Jerebie crayonnait le profil intellectuel et
moral idéal des fonctionnaires de la manière suivante : « érudits, au caractère fort, rigoureux dans
leur attitude, sages, actifs, bien coordonnés dans leurs activités, soumis, moralement parfaits et
patients». T. Jerebie, op. cit., p. 9.
2
M.-B. Vincent, op. cit., p. 170.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 137
1
Mihail Manoilescu, Memorii, vol. I, Bucarest, Editura Enciclopedică, 1993, p. 88.
2
George Alexianu, « Statutul funcţionarilor publici. Stabilitate şi inamovibilitate », in Revista de
Drept Public, I, no 4/1926, p. 557.
3
Constant Georgescu, « Pregătirea profesională a funcţionarilor publici », in Revista de Drept
Public, II, no 4/1927, p. 666-667.
138 ANDREI FLORIN SORA
Filières universitaires
En Roumanie, la grande majorité des titulaires d’un diplôme d’études
supérieures, aussi bien que les fonctionnaires diplômés, ont suivi une filière
juridique. Même dans la situation où ils possèdent déjà un diplôme autre que
juridique, de nombreux Roumains continuaient leur éducation afin d’obtenir un
diplôme universitaire en droit. La question de l’existence des cours de droit public
et particulièrement de sciences administratives, a été soulevée avec vigueur,
notamment à partir de la première moitié du XIXe siècle.
L’idée d’un enseignement des sciences administratives est bien visible au
XIXe siècle; il devient nécessaire aux besoins de la nouvelle entité étatique et
grâce à la force de l’exemple : les sciences camérales des universités allemandes
ou l’École d’Administration - avortée - imaginée en 1848 par Lazare Carnot. En
Valachie2 et en Moldavie3 des projets pour la création d’une école d’enseignement
supérieur en sciences juridiques qui puisse préparer en même temps les futurs
administrateurs ont existé dés les premières décennies du XIXe siècle. Au début
de son règne, à coté des facultés de lettres, sciences, droit et médecine, le prince
Alexandru Ioan Cuza demandait la création d’une « Faculté des Sciences
Économiques et Administratives »4.
Cette préoccupation de former des futurs administrateurs, ou au moins
d’assurer un enseignement élémentaire des sciences administratives, est toutefois
présente dans le cycle inférieur et secondaire et dans les deux facultés de droit.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, dans la IVe (dernière) classe de gymnase
1
Revista Funcţionarilor Publici, IX, no 1-2, 1934, p. 3.
2
En 1815, des connaissances de Droit ont été enseignées à l’École de Saint Sava par un certain
Nestor (Constantin C. Giurescu (dir.), Istoria învăţământului din România, Bucarest, Editura
Didactică şi Pedagogică, 1971, p. 217). La même école, à partir de 1838, organisait des cours de
droit civil (enseignés par Ştefan Pherekyde), droit judiciaire et criminel (C. Brăiloiu), droit
commercial (A. Racoviţă), droit romain (Constantin Moroiu). Le 8 janvier 1851, dans les locaux
de Saint Sava ont été inaugurés par le prince Stirbey les cours de la faculté juridique. Cf. « Cultura
juridică românească în ultimul secol », in Andrei Rădulescu, Pagini din istoria dreptului
românesc, Bucarest, 1970, p. 91 et Ovidiu Bozgan, Universitatea Bucuresti, Bucarest, Editura
Universităţii din Bucureşti, 1994, p. 7.
3
L’idée de la création d’une école de droit se retrouve dans le projet de Constitution d’Ionică
Tăutu (1822). En 1840, le prince régnant Mihail Sturdza a approuvé la création de trois facultés :
de philosophie, de théologie, et « des lois ». Istoria învăţământului din România, p. 218.
4
Apud V. Puşcaş, op. cit., p. 61.
140 ANDREI FLORIN SORA
1
Istoria învăţământului din România, p. 218.
2
Ştefan G. Kimet, Mici cunoscinţi de Dreptulu Administrativu pentru usulu scoleloru primare
prelucratu dupe cei mai buni autori, Galaţi, 1886. En ce qui concerne le rôle de l’école dans la
construction de l’identité nationale dans le XIXe siècle voir l’étude de Mirela-Luminiţa Murgescu,
Între „bunul creştin” şi „bravul român”. Rolul şcolii primare în construirea indentităţii naţionale
româneşti (1831-1878), Iaşi, Editura A 92, 1999.
3
Andrei Florin Sora, Personalul Curţii de Conturi a României, in Bogdan Murgescu (dir.), Istoria
Curţii de Conturi a României (1864-2004), Bucarest, 2005, p. 339.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 141
1
Istoria învăţământului din România, p. 217.
2
Lucian Nastasă, Itinerarii spre lumea savantă. Tinerii din spaţiul românesc la studii în
străinătate (1864-1944), Cluj-Napoca, Limes, 2006, p. 27.
3
Ibidem, p. 33.
4
C. Georgescu, op. cit., p. 681.
142 ANDREI FLORIN SORA
droit. En 1921, dans le Parlement a été débattu, sans aboutir, un projet de loi initié
par le ministre de l’Intérieur Constantin Argetoianu, portant sur la création d’une
École Supérieure de Droit Administratif1. Le projet de loi fut adopté par le Sénat
(le 17 juillet 1921)2, mais non pas par la Chambre des députés.
Une démarche importante, qui doit beaucoup au professeur de droit
administratif Paul Negulescu, a été la création en 1925 de l’Institut des Sciences
administratives. Professeur à la Faculté de droit de Bucarest et un de plus grands
juristes de l’époque, Paul Negulescu avait rédigé en 1921 un projet de loi sur la
création d’une école supérieure de sciences administratives et financières3. Paul
Negulescu, qui contrôlait aussi la Revue de droit public, a su collaborer avec le
pouvoir et notamment avec le roi Carol II, en s’assurant ainsi une forte position
dans la formation des fonctionnaires publics.
La création en 1928, à l’initiative de l’Institut des Sciences administratives
et notamment de Paul Negulescu, de l’École de documentation et des sciences
administratives, nom changé en celui de l’École supérieure des sciences
administratives, constitue une autre étape dans la longue démarche de l’édification
d’un enseignement des sciences administratives. Toutefois, cet établissement
n’était pas une institution d’État, mais une école privée. Même si elle a été
reconnue par l’État, ses diplômes ne conféraient aucun droit. L’École supérieure
des sciences administratives avait deux sections : la section de formation, destinée
aux fonctionnaires inférieurs, jusqu’au grade de sous-chef de bureau et une
section de spécialisation pour les fonctionnaires qui étaient déjà passés par la
section précédente et pour les chefs de bureau ou agents d’une position
équivalente4. Chacune assurait un enseignement de deux ans ; les cours ayant lieu
à la Faculté de droit, de l’Université de Bucarest, après le travail, de 19 heures à
21 heures5.
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (330), ds. 34/1921.
2
Ibidem, f. 8.
3
România administrativă, V, no 1, janvier 1924, p. 2.
4
Revista Funcţionarilor Publici, VII, 1-2, 1932, p. 10.
5
Dans la première section, on enseignait les matières suivantes: droit constitutionnel, droit
administratif, économie politique, finances publiques, droit civil, comptabilité publique et privée,
finances, psychologie, histoire, le français, l’allemand et le roumain. À l’exception du roumain et
de l’économie politique, ces matières étaient reprises dans la première année de la section « de
spécialisation » où on enseignait également : « la police scientifique », l’urbanisme, « la technique
de construction des villes », les voies de communication, la théorie générale du budget,
l’organisation, la méthodologie et la documentation administrative, etc. Par contre, la deuxième
année de la section de spécialisation était plus spécialisée, le fonctionnaire pouvant opter pour
deux branches : l’administration générale (criminologie et science pénitentiaire, médecine légale,
la « police scientifique », droit administratif) et l’administration financière (législation fiscale,
comptabilité publique et privée, « politique commerciale » et des notions de droit commercial et de
droit financier). Revista Funcţionarilor Publici, VII, 1-2, 1932, p. 10-11.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 143
1
G. Alexianu, « Statutul funcţionarilor publici. Stabilitate şi inamovibilitate », p. 526.
2
Au milieu des années 1920 un procès à la Cour d’appel a fait couler beaucoup d’encre : le désir
du ministre de l’Instruction publique de faire renvoyer le directeur général de l’enseignement
primaire, P. Ghiţescu, ne pouvait pas se réaliser à cause du fait que le fonctionnaire jouissait de
l’inamovibilité. En conséquence, le pouvoir politique a eu recours à une mutation déguisée, en lui
donnant une délégation sans limite de temps pour enquêter sur l’état de l’enseignement primaire
sur l’ensemble du pays.
3
Voir le refus du sous-préfet de Făgăraş d’accorder des dépenses à titre de déménagement à
l’occasion de la nomination du notaire Şerban Dănilă dans le poste de chef d’arrondissement,
AJBv, fonds Prefectura Făgăraş - Serviciul administrativ. Subprefectul, ds. 1/1921, f. 2 r. v.
4
G. Alexianu, « Statutul funcţionarilor publici. Stabilitate şi inamovibilitate », p. 545.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 147
1923 a été une des premières lois par laquelle on a codifié et uniformisé
l’avancement par grade et classe1.
Le salaire
En 1900, dans son traité de droit administratif, Aurel Onciul caractérisait
les bénéfices des fonctionnaires de la manière suivante : « Comme récompense
pour leur service, on garantit aux fonctionnaires les moyens d’existence, non
seulement pendant qu’ils sont actifs, mais aussi en tant que pension, en
considérant un devoir social de donner à ceux qui ont investi leurs capacités dans
le service public les moyens de survivre bien après la fin de ce service»2 .
Dans l’introduction du projet de 1871 sur l’organisation du ministère de
l’Intérieur, Ion Ghica considérait que l’insuffisance du traitement des fonctionnaires
publics – qui dans son opinion n’assurait pas les moyens d’une vie paisible – nuisait
au fonctionnement des services publics3. La rétribution des fonctionnaires était
perçue comme une condition nécessaire d’une bonne administration : « on voit
toujours nos meilleurs fonctionnaires quitter l’administration pour aller là où ils sont
mieux payés … Lorsque les fonctionnaires de l’administration seront eux aussi bien
payés et leur statut réglé par une loi d’admissibilité et avancement, je suis sûr,
Messieurs les députés, que les abus et les manques d’aujourd’hui ne seront plus et
nous arriverons à avoir des fonctionnaires capables d’accomplir leur devoir tel que
le pays et le gouvernement ont le droit de le leur demander. »4
Le traitement précaire faisait que, en attendant le moment du paiement du
salaire, le fonctionnaire essayait de trouver d’autres moyens de s’en sortir, l’une
des possibilités était l’emprunt. La presse signale la pratique de prêt à intérêt chez
les fonctionnaires, parfois les supérieurs empruntaient de l’argent à leurs
subordonnés ou ils facilitaient l’accès à des usuriers (cămătari)5.
Les fonctionnaires luttaient pour un traitement plus grand, pour des
conditions meilleures de retraite, pour la reconnaissance de leur statut social. La
terminologie et les raisons invoquées pour obtenir ces droits et accroître leur
prestige étaient parfois surprenantes. Ainsi, pour justifier la nécessité de la retraite
à l’âge de 60 ans, dans une publication des fonctionnaires l’argument principal
était une statistique médicale qui prouvait que « ceux qui vivent longtemps sont
les agriculteurs et non pas les fonctionnaires »6.
1
Loi du 19 juin 1923, art. 41-48, Statutul…, p. 13-14.
2
Aurel Onciul, Dreptul administrativ român. Partea Generală, Vienne, chez l’auteur, 1900, p.
115.
3
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2602), ds. 299/1871, f. 66 r.
4
Ibidem, f. 67 r.
5
Un exemple de ce genre est fourni par Constantin Bacalbaşa. Dans ses mémoires, il se rappelle
que dans sa jeunesse, pour survivre et finir la Faculté de droit, il a du travailler comme copiste
auprès du ministère de l’Instruction. Constantin Bacalbaşa, Bucureştii de altădată, vol. I, 1871-
1884, Bucarest, 1927, p. 235.
6
Funcţionarul Public, I, no 5, 24 septembre 1883, p. 1.
148 ANDREI FLORIN SORA
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 40/1921, f. 2.
2
ANIC, fond Ministerul de Interne. Direcţia Generală a Poliţiei (2349), ds. 2/1920, f. 98 r.
3
Idem, fonds Organizaţiile profesionale ale salariaţilor P.T.T. din România (2958), ds. 9/1935, r.
467, c. 707-708.
4
Dans un numéro d’une revue publiée par la direction du personnel du ministère de l’Intérieur, le
préfet Em. Cately, en se référant aux inspecteurs généraux administratifs, soulignait leur faible
traitement : « ils sont très mal rémunérés, bien qu’ils effectuent un travail surhumain sur l’autel de
la patrie ». Cette démarche était plutôt une manière de flatter ses supérieurs. Voir România
administrativă, VI, no 1 et 2, janvier et février 1925, p. 10.
5
M. Manoilescu, op. cit., vol. I, p. 87.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 149
1
Ibidem.
2
Nicolae Ghiulea, Organizarea Statului. Mijloace şi metode noui ..., Bucarest, 1935, p. 130.
3
Par la loi du 25 décembre 1929, « le salaire de base, les indemnisations de grade, d’ancienneté,
de cherté » ont formé « une seule rétribution du budgétaire », MO, no 288 du 25 décembre 1929,
p. 9820.
4
ANIC, fonds Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 133, f. 4, r.
393.
5
Loi du 19 janvier 1923, art. 16, in Statutul …, p. 7.
150 ANDREI FLORIN SORA
la Roumanie : par les « courbes de sacrifice » les salaires des agents de l’État ont été
réduits trois fois successivement1. Dans les moments de crise économique, les
fonctionnaires ont été parmi les premiers qui souffraient des économies au budget
de l’État. Un article paru dans la Revue des fonctionnaires publics, rédigé par son
rédacteur en chef (I. Gh. Oprişan) mettait en cause la justesse des courbes de
sacrifice imposées aux fonctionnaires2. Notamment, pendant cette crise économique
les associations de fonctionnaires publics sont devenues d’une façon plus concrète
les défendeurs des droits de leurs membres. D’autre part, le pouvoir politique a fait
plus d’efforts pour améliorer leurs conditions de vie.
Le congé
Le congé reste dans toute la période étudiée un argument pour entrer dans
la fonction publique. Il pouvait être demandé pour d’autres motifs que la maladie
ou la nécessité d’un repos. Il était courant de solliciter un congé en cas de
concentration de troupes pendant les manœuvres militaires qui avaient lieu chaque
année pendant un mois, et où était rappelée une partie des réservistes3. Les
responsabilités des fonctionnaires partis en congé étaient prises par des collègues
du même service ou par ceux déplacés d’autres services. Le droit au congé annuel
n’a connu une réglementation uniforme que très tard, suite au Statut de 1923.
Pendant le congé, le fonctionnaire continuait à recevoir son salaire (le « salaire de
base ») ; dans le cas d’un congé de maladie qui dépassait trois mois, le salaire était
réduit à moitié ; après un congé de maladie d’une année sans interruption le
fonctionnaire était licencié4. Le congé d’études a été fixé par le règlement
d’application du Statut de 1923, mais ce droit du fonctionnaire était ancien. Le
fonctionnaire devait déposer une demande auprès de son chef direct qui donnait
son accord et le renvoyait pour l’approbation finale au service des cadres, au
ministre ou au secrétaire général du ministère.
La pension de retraite
Un des attraits principaux de la fonction publique était la possibilité du
fonctionnaire (ou de sa famille) de bénéficier d’une pension de retraite. Ce
traitement était perçu par les fonctionnaires non seulement comme un droit pour
lequel ils avaient contribué en versant chaque mois pendant le service une partie
de leur traitement, mais surtout un droit légitimé par les années de service au
bénéfice de l’État et des citoyens. Dans une brochure d’une association
rassemblant les retraités, on mentionnait : « notre vieillesse ne doit pas être
1
Loi du 31 décembre 1930 (sur la réduction des traitements des salariés publics).
2
Revista Funcţionarilor Publici, VI, no 11-12, 1931, p. 12.
3
Voir la demande de congé pour 35 jours à l’occasion de manœuvres militaires d’automne d’un
petit fonctionnaire du bureau statistique du ministère de l’Intérieur, ANIC, Direcţia generală a
Statisticii (430), ds. 1584/1890, f. 5.
4
Règlement du 23 novembre 1923 …, art. 51, in Statutul … , p. 35.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 151
1
Chemare către toţi pensionarii civili din Capitală şi din ţară. Asociaţia solidară a pensionarilor
civili, [s.d.], p. 7, ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia generală a Poliţiei (2349), ds.
16/1924, vol. I, f. 169 r. 169 v.
2
Paul Negulescu, Tratat de drept administrativ român, vol. I, deuxième édition, Bucarest, 1906
[1904], p. 193.
3
Ibidem.
4
Des dispositions de cette loi devaient profiter tous ceux qui étaient dans le service de l’État, à
l’exception des fonctionnaires des Chemins de fer, des employés des PTT, des militaires et les
fonctionnaires civiles dans le service de l’armée. À ces catégories d’agents publics ont été données
d’autres lois, dont le contenu était similaire à celle du 10 mai 1890.
5
Loi du 10 mai 1890 sur la retraite des fonctionnaires civiles et ecclésiastiques, Codul General al
României, première édition, deuxième volume, Bucarest, 1904, p. 2365.
6
Les caisses de pensions départementales ont été créées sept ans plus tard, en 1897, la loi de 26
février 1897 prévoyant qu’elles devaient fonctionner auprès de chaque conseil communal et
départemental, Loi sur la création des caisses de pensions …, p. 3743-3749.
152 ANDREI FLORIN SORA
payée par l’État, était obligé de choisir entre la pension et la rémunération comme
fonctionnaire1.
Le Statut de 1923 mentionnait que l’âge de la retraite pour les
fonctionnaires était de 60 ans, sous réserve que les lois organiques de
fonctionnement de leurs institutions ne prévoient pas autre chose2, par exemple
dans le cas des prêtres. Une autre loi générale sur les retraites sera adoptée le 15
avril 1925 et concernait le fonctionnaire qui avait servi plus de 35 ans dans
l’administration ou celui qui avait plus de 57 ans d’âge (65 ans dans le cas des
« fonctionnaires ecclésiastiques»)3. Par la loi du 26 avril 1930, les fonctionnaires
qui avaient atteint l’âge de 57 ans ou ceux qui avaient servi au moins 30 ans dans
les services publics avaient le droit à une pension de retraite4. Cette modification
de la loi des pensions de 1925 faisait partie des mesures prises par le
gouvernement national-paysan afin de faire face à la crise économique. Plusieurs
catégories d’agents de l’État ou d’employés payés par le budget de l’État étaient
exceptés de cette loi : les militaires, les magistrats, les membres du Conseil
législatif, les membres et les procureurs de la Cour des comptes, le clergé, les
membres du corps enseignant, titulaires du poste (art. 2).
1
Loi sur la retraite des fonctionnaires civiles et ecclésiastiques …, p. 2369.
2
Loi du 19 juin 1923, art. 22, Statutul …, p. 8.
3
Loi générale des pensions du 15 avril 1925, art. 2, in Codul general de pensiuni, vol. XI-XII, p.
440-441.
4
MO, no 21, 26 avril 1929, p. 3034.
5
George Alexianu, « Observaţii asupra statutului funcţionarilor publici », in Revista de Drept
Public, no 1/1928, p. 79.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 153
1
G. Alexianu, « Statutul funcţionarilor publici. Stabilitate şi inamovibilitate », p. 547.
2
Loi du 19 juin 1923, art. 51-52, in Statutul …, p. 15.
3
Ibidem, art. 56, p. 16.
4
Ibidem, art. 53-55, p. 15-16.
5
Le règlement du 23 novembre, art. 96, in Statutul …, p. 50.
6
Chaque ministère avait ses commissions de discipline, et dans le cas des fonctionnaires de
l’administration locale - dépendant du ministère de l’Intérieur - il y avait également des telles
commissions pour chaque département. Voir Statutul …, art. 114-117, p. 54 -56.
7
Jean H. Vermeulen, « La loi administrative roumaine de 1938 », in Revista de Drept Public, XII,
no 3-4, 1938, p. 550.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 155
conduite et de comportement dans les bureaux, ainsi que dans la société. Par
réglementation interne, chaque ministère, et parfois direction, imposait ses propres
règles de conduite, proches dans le contenu, mais différemment mises en pratique.
L’un des services administratifs qui jouissait de beaucoup d’attention de la
part des autorités étatiques était le service statistique1, où le niveau d’instruction
ainsi que le salaire étaient supérieurs aux autres services. Par une décision du 22
mai 1871, le ministre de l’Intérieur interdisait l’habitude de fumer dans la
chancellerie, donc dans les bureaux2. Dans un service où le nombre de
fonctionnaires étaient d’environ 12 personnes3, les mesures prises en 1899 par le
nouveau chef, Leonida Colescu, peuvent surprendre. En fait Colescu ne faisait
qu’appliquer les ordres intérieurs du ministre. Par un « ordre de service », soumis
à l’attention et signé par chaque employé à la Statistique, L. Colescu exigeait, de
la part de ses subordonnés, de « maintenir une parfaite propreté dans leurs
bureaux et de protéger le mobilier. On attire spécialement l’attention sur le fait
que l’habitude de faire couler l’encre sur le sol ainsi que celle de jeter les
cigarettes par terre doivent être supprimées»4. Quelques semaines plus tard,
Leonida Colescu complétait cet ordre par un autre : « En observant maintes fois
qu’il y a des fonctionnaires qui se détournent de leur travail, pour parler ou se
promener dans d’autres bureaux, on rappelle que l’absence du bureau pendant la
journée de travail sans un motif bien fondé est interdite pour chaque
fonctionnaire, et elle sera interprétée comme une absence non justifiée et
sanctionnée avec une peine pécuniaire. »5
Dans la grande partie des ministères et de l’administration locale, la
journée de travail était divisée en deux périodes : le matin et l’après-midi (de 9 à
12 heures et de 14 à 19 heures ou de 8 à 12 et de 14 à 18 heures) avec une pause
1
De 1859 à 1883, le service statistique a fonctionné comme « office », auprès du ministère de
l’Intérieur. En 1883 il a intégré le nouveau ministère de l’Agriculture, de l’Industrie et du
Commerce, en devenant à partir de 1886 un simple bureau auprès de la division de l’agriculture.
En 1892, on a créé la Direction de la Statistique générale, appellation changée en 1896 en celle de
Service de la Statistique générale, dépendant à partir de 1900 du ministère de l’Agriculture. Au
début du XXe siècle, auprès de chaque ministère ont été créés des bureaux de statistique, qui en
1919, jusqu’en 1921, ont été englobés dans le Service de la Statistique générale, qui avait changé
aussi de nom, en celui de la Direction générale de la Statistique. Cette direction dépendait, comme
auparavant, du ministère de l’Agriculture. Une nouvelle réorganisation, plus efficace, a eu lieu en
1925, quand on a créé l’Institut de Statistique générale de l’État, institution autonome auprès du
ministère du Travail, de la Santé et de la Protection sociale. De nouveaux changements se sont
produits suite à la loi sur l’organisation des ministères du 2 août 1929. Pour une présentation de
l’évolution des services de la statistique en Roumanie voir l’étude réalisée par E. C. Decuseară,
« Organizarea statisticii în România », in Revista de Drept Public, 1929, p. 533-558.
2
ANIC, fonds Direcţia generală a Statisticii (430), ds. 1165/1871, f. 11.
3
Idem, ds. 1862/1897, f. 36.
4
Idem, ds. 1926/1899, f. 48.
5
Ibidem, f. 71.
156 ANDREI FLORIN SORA
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia Generală a Poliţiei (2349), ds. 2/1920, f. 45 r.
2
Loi du 19 juin 1923, in Statutul…, art. 8, p. 5.
3
ANIC, fonds Direcţia generală a Statisticii, (430), ds. 1926/1899, f. 130.
4
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 40/1921, f. 1.
5
Ibidem, f. 2.
6
Règlement du 23 novembre, art. 17, in Statutul…, p. 26.
7
Loi du 19 juin 1923, in Statutul …, p. 5.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 157
les fonctionnaires publics déposaient une activité intellectuelle, leur travail était
très important pour l’avenir de la Nation et ils devaient affronter des maladies
spécifiques. Les fonctionnaires considéraient leur métier comme « une charge
considérable, beaucoup de soucis, responsabilités, un travail fatigant et des
sacrifices énormes »1.
1
Funcţionarul, XIV, no 677, 31 décembre 1895, p. 1.
2
D. A. Gheorghiu-Cirişianu, Funcţionarii şi pensionarii Statului – Probleme şi soluţii, [Ploieşti],
1925, p. 13-14.
3
Revista Funcţionarilor Publici, VII, no 3-4, 1932, p. 27.
158 ANDREI FLORIN SORA
1
ANIC, fonds Direcţia generală a Statisticii (430), ds. 1627/1892, f. 4.
2
Le règlement sur l’application de la loi du 19 juin 1923 stipulait que n’importe quelle sanction
disciplinaire appliquée à un fonctionnaire devait être inscrite sur la fiche qualificative, sur le futur
dossier personnel. Le règlement du 23 novembre 1923, art. 96, in Statutul …, p. 50.
3
Loi du 19 juin 1923 …, art. 11 in Statutul …, p. 5
4
Un tel exemple est celui du dossier personnel (cazier personal), enregistré avec le numéro 11115,
de Domokoş Anton, notaire communal à Leţ, dans le département de Trei Scaune, AJBv, fonds
Prefectura Braşov. Serviciul administrativ, ds. 16/1938, f. 5.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 159
1
T. Jerebie, op. cit., p. 52.
2
Manuel Guţan, Istoria administraţiei publice româneşti, deuxième édition, Bucarest, Hamangiu,
2006 [2005], p. 225.
3
Alya Aglan et Emmanuelle Loyer, « Épuration, histoire d’un mot », in Marc Olivier Baruch (dir.)
Une poignée de misérables. L’épuration de la société française après la Seconde Guerre
mondiale, Paris, Fayard, 2003, p. 19.
160 ANDREI FLORIN SORA
emprunté à la langue française, est utilisé dans la seconde moitié de XIXe siècle
pour exprimer « des comportements jugés indésirables, en général dans le cadre
d’un bouleversement de système politique »1 et pour marquer la nécessité de
renouveler et réformer l’administration. Si on donnait une définition de l’épuration
on pourrait la considérer « au sens précis du terme, et d’un point de vue organique,
celle qui frappe des fonctionnaires et agents des services publics, parmi lesquels
nous pourrons ranger magistrats et militaires de carrière, et plus largement tous
ceux qui relèvent non seulement d’un statut mais aussi d’un état »2.
Parmi les raisons qui font qu’un nouveau régime choisit d’entreprendre
des épurations administratives il y en a deux qui semblent correspondre à celles
invoquées en France à la même époque, soulignées par Vincent Wright :
l’existence d’une pression des adhérents à un nouveau gouvernement et la volonté
du parti au pouvoir de contrôler l’appareil administratif3. Vincent Wright ajoute
une raison d’ordre symbolique de licenciement des fonctionnaires après chaque
changement de régime, « avertir ceux qui restaient que des actes hostiles ne
seraient pas tolérés »4. En se rapportant à la France, mais la remarque est valable
pour les autres pays également, Pierre Rosanvallon ajoute : « l’épuration, malgré
son coût en termes de désorganisation, apparaît à chaque fois comme le seul
moyen de maintenir l’administration dans son rôle de simple commis de la loi. »5
L’ampleur et les raisons des épurations administratives ont été révélées
notamment dans les revues des fonctionnaires. Les fonctionnaires publics
n’avaient pas d’autres possibilités de s’exprimer que la presse et les mémoires
officiels. On trouve des articles, dans lesquels on donne des solutions à ce
problème. La presse généraliste ne regardait pas avec sympathie le corps des
fonctionnaires et leur licenciement était considéré, sinon nécessaire au moins
comme usuel. Par contre, les publications des fonctionnaires, surtout celles
privées, affirmaient qu’ils voulaient combattre cette calamité, vue comme cause
des carences dans l’administration, mais perçue aussi comme génératrice de
problèmes sociaux. Graduellement, pour combattre et expliquer les malheurs du
système et le licenciement à chaque changement de gouvernement, les
fonctionnaires ont développé des interrelations, ont forgé des arguments et une
certaine conscience de groupe, en faisant ainsi les premiers pas dans la
professionnalisation de la fonction. Ils ont commencé à percevoir leur fonction
comme une profession, à côté des autres catégories professionnelles : « je suis
fonctionnaire, comme l’avocat, le médecin, le commerçant, l’agriculteur ou
1
Ibidem, p. 20.
2
Claude Goyard, « La notion d’épuration administrative », in Paul Gerbod (dir.), Les épurations
administratives, XIXe et XXe siècle, Genève, Droz, 1977, p. 4.
3
Vincent Wright, « Les épurations administratives de 1848 à 1885 », in P. Gerbod, op. cit., p. 72.
4
Ibidem, p. 71.
5
P. Rosanvallon, op. cit., p. 78.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 161
l’industriel, et, on ne peut pas supprimer cette profession. »1 Dans un autre article,
on soulignait que « nous [les fonctionnaires] n’appartenons pas aux partis, nous
n’appartenons à aucun individu, nous appartenons au pays, à l’État, que nous
servirons avec dévouement et soumission. »2
La réaction des fonctionnaires contre la politique des épurations se reflète
dans la parution de deux numéros d’une revue dont le titre ne laisse aucun doute,
Revista Funcţionarilor rămaşi în disponibilitate (La Revue des fonctionnaires
licenciés) où on pouvait lire l’affirmation suivante : « À la place du fonctionnaire,
on va nommer un aubergiste, des garçons de restaurant, un forgeron, un charron,
un barbier; on préfère des serveurs, des hommes de charge et des cuisiniers qui
ont servi ou qui se trouvent encore au service d’un grand devenu, par malheur et
sans que Dieu le sache, Député, Sénateur, Ministre, Préfet, Directeur de Police. »3
Beaucoup de ces fonctionnaires limogés avaient été auparavant des gagnants de
cette même coutume.
Le mécanisme de l’épuration administrative était lié à l’alternance au
pouvoir des conservateurs et des libéraux. Ce processus a déterminé aussi une
alternance des fonctionnaires à la fonction publique en général, surtout aux
fonctions les plus disputées. Cette observation peut être vérifiée par d’autres
sources, comme la presse, les annuaires administratifs, les dossiers sur la
nomination et le licenciement au ministère de l’Intérieur. Il est évident qu’il y
avait une sorte de mobilité professionnelle rattachée au climat politique. De
nombreux fonctionnaires sont restés dans leur poste, mais pour la plupart le fait
était conditionné par l’adhésion au parti politique au pouvoir. On doit souligner
que l’alternance au pouvoir n’était pas la seule cause du licenciement ou du
changement de fonction. Les relations interpersonnelles, l’aide mutuelle, le
népotisme représentent un complexe de facteurs, indispensables pour comprendre
le fonctionnement de l’administration roumaine et le statut des fonctionnaires
publics. La période étudiée se situe chronologiquement à quelques décennies
distance de l’époque à laquelle les boyards, arrivant dans les fonctions publiques,
employaient leurs parents, mais aussi leurs serviteurs.
Moldaves et valaques
L’union de la Moldavie et de la Valachie en 1859 a fait naître des
mécontentements de la part des moldaves, non satisfaits toujours par le
positionnement périphérique de l’ancienne capitale Iaşi par rapport à Bucarest.
Sur un autre plan, les moldaves se plaignaient de toucher une retraite inférieure à
celle des valaques. Dans une des premières études roumaines sur les
fonctionnaires, à neuf ans de l’union sous un seul prince des deux Principautés,
l’auteur affirmait que : « tous savent que les Roumains au-delà du Milcov
1
Funcţionarul, XVII, no 684, 18 février 1896, p. 1.
2
Idem, XVII, no 716, 27 octobre 1896, p. 3.
3
Revista Funcţionarilor rămaşi în disponibilitate, I, no 1, 1er mai 1896, p. 1.
162 ANDREI FLORIN SORA
[Moldavie] … touchent un droit de pension plus grand que les Roumains d'en
deçà du Milcov [Valachie] »1.
En 1867, huit ans après la réalisation de l’union de facto de la Moldavie et
de la Valachie, l’office statistique qui fonctionnait auprès du ministère de
l’Intérieur a demandé pour chaque département du pays la liste du personnel
employé par le ministère originaire d’une région historique différente de celle où
il exerçait son métier2. Cette requête visait seulement le personnel territorial du
ministère de l’Intérieur. En Valachie il y avait seulement six fonctionnaires
d’origine moldave, dont quatre dans le département de Braila. En Moldavie,
hormis les départements du sud de la Bessarabie, on comptait 14 fonctionnaires
originaires du sud de la rivière de Milcov (la rivière qui séparait les deux
anciennes principautés), y compris un directeur de préfecture. La surprise nous est
fournie par le sud de la Bessarabie et notamment par le département d’Ismail.
Malheureusement on n’a pas pris en compte également les fonctionnaires
originaires de l’ouest de Prut, mais seulement ceux de la Valachie. La liste pour le
département d’Ismail, qui paraît être rédigée en 1869, mentionnait 19
fonctionnaires originaires de Valachie, qui occupaient des postes de décision
comme directeur de préfecture (Nae Murgăşanu, de Craiova), sept policiers, cinq
agents de Douane3. Pour un autre département de l’ancien Boudjak sont
enregistrés seulement deux fonctionnaires provenant de Valachie : le préfet
Gheorghe Lehliu, et le « contrôleur »4.
Un rapport de 1869, adressé au ministère de l’Intérieur et rédigé par C. I.
Poteca, préfet du département d’Ismail, nous présente les difficultés de
l’administration roumaine dans des régions où les Roumains étaient minoritaires.
Le préfet soulignait que la grande majorité de la population du département était
« d’origine étrangère, ne connaît pas la langue du pays et pour ce motif
l’application des lois est difficile »5. Pour C. I. Poteca l’une des solutions
envisagées était l’instruction publique : l’arrivée en grand nombre des instituteurs
roumains, qui connaissent, de préférence, la langue russe6. Parce que dans ces
pays « le sentiment roumain est très faible », le préfet concluait que, « pour
familiariser ces populations étrangères avec la langue et les coutumes,
premièrement il faut que tous les fonctionnaires, du plus haut au plus petit, et dans
toutes les branches, soient choisis parmi les meilleurs Roumains, des hommes de
bonne foi, intelligents et honnêtes. Ils doivent être portés par une seule idée :
attirer au profit du gouvernement les sympathies et l’amour des habitants de ces
1
D. Marco, Funcţiunile şi soarta funcţionarului, Iaşi, 1868, p. 21.
2
ANIC, fonds Direcţia generală a Statisticii (430), ds. 1006/1867, f. 2.
3
Ibidem, f. 34 r.,v.
4
Ibidem, f. 11.
5
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2602), ds. 211/1869, f. 4 r.
6
Ibidem.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 163
pays »1. La problématique ainsi que les solutions proposées par le préfet Poteca
seront reprises ultérieurement quand d’autres territoires allaient intégrer la
Roumanie. Il s’agit notamment des provinces où les Roumains étaient en minorité
et où il n’y avait pas une forte élite roumaine. Ce fut le cas pour la Dobroudja du
Nord en 1878, pour la Dobroudja du Sud en 1913, pour la Bessarabie en 1918 et,
à un autre niveau, des futurs départements de la Transylvanie : Ciuc, Odorhei Trei
Scaune.
L’expansion des regăţeni après 1918
La Roumanie moderne s’est créée par plusieurs unions, intégrations et
pertes des territoires habités par les Roumains. À l’exception de l’union de la
Valachie avec la Moldavie toutes les autres unions pour fonder l’État Roumain
ont été perçues plus au moins comme des gains territoriaux du Vieux Royaume.
Avec l’exception notable de l’essai de décentralisation au carrefour des années
1930, la Roumanie surprend par une inégalité géographique ou plutôt territoriale
de la fonction publique. Les années 1860 ont apporté certaines critiques des
moldaves contre Bucarest, c'est-à-dire contre les valaques. La Grande Union de
1918 a vu croître la pression des individus du Vieux Royaume pour accéder à des
dignités publiques dans les nouvelles provinces. Les autochtones de ces provinces,
les élites non roumaines - écartées du pouvoir politique mais ayant encore une
forte influence économique, culturelle et même démographique – mais aussi les
élites locales roumaines, qui se considéraient en droit d’occuper les positions
administratives et politiques locales se sont sentis dépouillés et volés par Bucarest
et les « regăţeni ». L’étude de l’origine géographique des membres du corps
préfectoral montrera les évolutions de ce problème et la prudence qu’on doit avoir
quand on prend au mot les pensées des Transylvains surtout qui ont critiqué
l’« invasion » moldo-valaque des fonctions publiques des nouvelles provinces. Il
semble que durant l’entière période mais d’une façon variable, Bucarest et par lui
le Vieux Royaume ont joué plutôt le rôle d’interface et d’agent de redistribution
des fonctionnaires administratifs. Après 1918 la force de pénétration des individus
du Vieux Royaume a été inversement proportionnelle avec la force de l’élite
locale et des connexions qu’elle avait déjà établies avec Bucarest, noyau central
de l’administration, de l’économie, de la haute société, etc. Le fait qu’en
Transylvanie l’élite roumaine locale avait occupé des positions privilégiées a
découlé aussi des relations personnelles établies, antérieures à l’année 1918, ainsi
que du lobbying fait avant et après 1918 par l’émigration transylvaine dans le
Vieux Royaume.
Pourtant, dans l’administration centrale de Bucarest, les Roumains
originaires du Vieux Royaume sont majoritaires. Par exemple, à la Haute Cour
des comptes, vingt-trois ans après la réalisation de la Grande Union, le personnel
est originaire notamment du Vieux Royaume, plus de la Valachie que de la
1
Ibidem.
164 ANDREI FLORIN SORA
1
Paraschiva Câncea, Mişcarea pentru emanciparea femeii în România, Bucarest, Editura Politică,
1976, p. 11.
2
MO, no 94, 20 avril 1932, p. 2656.
3
La première femme issue du cycle supérieur en Roumanie a été Maria Zaharescu, diplômée en
1884 de Lettres et Philosophie à l’Université de Bucarest. Une année plus tard, Maria Cuţarida est
devenue la première femme docteur en médecine, titre obtenu en France, et la première femme
médecin en Roumanie. P. Câncea, op. cit., p. 36.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 165
1
Jean-Benoît Albertini, Réforme administrative et réforme de l’État en France. Thèmes et
variations de l’esprit de réforme de 1815 à nos jours, Paris, Economica, 2000, p. 28 ; D. Gardey,
La dactylographe et l'expéditionnaire, Histoires des employés de bureau, 1890-1930, Paris, Belin,
2002, p. 70.
2
P. Câncea, op. cit., p. 49.
166 ANDREI FLORIN SORA
femmes dans les bureaux se reflète dans l’imaginaire des contemporains par la
présence inhabituelle d’un bouquet de fleurs1, trait qui se trouve également dans
les notes de ceux qui avaient décrit la vie de bureau en Roumanie. Dans un récit
de l’entre-deux-guerres qui porte sur le refus d’un chef de bureau d’avoir des
subordonnés femmes, l’entrée des femmes dans la vie administrative est
accompagnée de la présence des fleurs au lieu de travail : des fleurs que la femme
fonctionnaire reçoit, qu’elle achète ou qu’elle offre au chef sévère2.
Dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, pour des certaines
fonctions il était difficile de trouver du personnel instruit, employé conformément
aux conditions d’admission et qui accepte un salaire insignifiant. En outre, dans
l’administration centrale beaucoup de fonctionnaires étaient des étudiants, fait qui
limitait leur temps de travail. Dans les postes inférieurs de l’administration
centrale3, qui n’offraient pas la possibilité d’obtenir d’autres avantages, y compris
les profits illicites4, le déficit de fonctionnaires était assez important. Une solution
pour remplir ce déficit était d’employer des étudiants, mais cela présentait
plusieurs désavantages : les congés d’études, leur départ après la fin des études
pour un meilleur poste, etc. Une autre possibilité était d’employer de jeunes
femmes éduquées.
Dans son étude Sociologie des fonctionnaires, Jean-François Kesler
souligne que la féminisation de la fonction publique « correspond au
développement de l’État providence et de ses missions d’enseignement et de
santé, les tâches régaliennes de l’État-gendarme étant considérées comme
d’essence masculine. Cette féminisation de la fonction publique correspond aussi
à sa dévalorisation. La prolétarisation engendre la féminisation. C’est un
phénomène général … Les hommes abandonnent les emplois publics, de moins en
moins prestigieux et de moins en moins payés ; ils sont remplacés par les
femmes. »5 En Roumanie on doit tenir aussi compte du vivier de femmes ayant
fini au moins le cycle primaire et pour lesquelles être employé dans les services de
l’État était une chance non négligeable. Il s’agissait d’une option alternative
d’emploie supérieure à celle de femme de ménage, cuisinière, etc. Pendant le
Vieux Royaume la pénétration des femmes dans les services publics a été limitée
par la condition requise au futur fonctionnaire de satisfaire la loi sur le
recrutement et de jouir des droits politiques et civils.
1
D. Gardey, op. cit., p. 54.
2
Adrian Pascu, « Anti-feministul », in Domnul şef ... (schiţe din viaţa funcţionarilor), Editura
Adevărul, [1933], p. 26-40.
3
Dans les services de l’administration locale, les salaires étaient d’habitude moins importants que
ceux de l’administration centrale.
4
Par exemple, un poste inférieur comme celui de gardien (concierge) auprès des bureaux des
ministres ou des hauts fonctionnaires de l’administration centrale était mal payé, mais très
profitable du fait des pourboires.
5
Jean-François Kesler, Sociologie des fonctionnaires, Paris, Presses Universitaires de France,
1980, p. 22-23.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 167
1
La loi de 1882 a décidé que les candidats ne pouvaient entrer dans le corps télégraphe-postal que
s’ils avaient le diplôme de baccalauréat, La loi de 1882 sur l’organisation du corps télégraphe-
postal, art. 13, apud C. N. Minescu, op. cit., p. 391.
2
Azilul Elena Doamna était une école internat créée en 1861 à l’initiative de Carol Davilla, effort
soutenu par Elena Cuza. Cette école était destinée à l’éducation des jeunes filles orphelines,
auxquelles se sont ajoutées des filles provenant des familles pauvres. À partir des années 1870,
dans cette école on enseignait des cours de tissage, aux machines de tissage modernes, cours
complétés par d’autres visant d’autres métiers. En 1879 les ateliers de cet établissement ont
constitué une école professionnelle, à laquelle en 1881 s’est ajoutée une École normale, où
pendant un cours de six mois on formait des institutrices. En 1885, cet établissement a intégré le
ministère des Cultes et de l’Instruction publique.
3
Loi de 1882 sur l’organisation du corps télégraphe-postal, art. 9, apud C. N. Minescu, op. cit., p.
390.
4
Ibidem, p. 391
5
Loi de 1892 sur l’organisation du corps télégraphe-postal, art. 14, C. N. Minescu, op. cit., p. 454.
454.
6
Ibidem, p. 455.
7
Ibidem, p. 452.
8
Ibidem, p. 511.
168 ANDREI FLORIN SORA
1
P. Negulescu, op. cit., p. 157.
2
Statistique des professions …, p. 36.
3
Calypso Botez, « Drepturile femeii în Constituţia viitoare », in Constituţia României în
dezbaterea contemporanilor, conférence du 22 janvier 1922, Bucarest, Humanitas, 1990 [1923],
p. 128.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 169
Nacu par lequel on accordait des droits civils complets aux femmes1. En 1919,
une commission parlementaire avait rédigé un projet de loi électorale qui a
accordé des droits de vote aux femmes2. Ce projet n’a pas été adopté.
Après la fin de la grande conflagration mondiale, dans beaucoup de pays,
les femmes ont vu s’améliorer leur statut social et professionnel. En Roumanie, la
loi appelée à tort du « suffrage universel » ne les a pas incluses dans la vie
politique et les lois administratives de 1925 et de 1929 leur accordaient une
participation limitée3. Par contre, dans la définition du fonctionnaire dans le Statut
de 1923 les législateurs roumains mentionnaient que l’accès à la fonction publique
ne tenait pas compte du sexe. La forte pénétration des femmes dans
l’administration, même si encore dans des fonctions subordonnées, a connu un
essor considérable dans l’entre-deux-guerres, même s’il y avait encore des espaces
bureaucratiques où la présence des femmes était un sujet tabou, même dans les
petites fonctions. En 1925, le ministère de la Justice n’a pas accepté qu’un poste
d’adjoint de greffier IIIe classe – donc une petite fonction - au Tribunal de
Timişoara soit occupé par une femme, même si toutes les conditions
d’admissibilité étaient accomplies, y compris l’avis favorable de la Commission
pour les nominations et l’avancement4. L’appel en Justice, à la Haute Cour de
cassation, a donné raison à la fonctionnaire. Il est sûr que de nombreuses autres
femmes dans des situations pareilles n’ont pas réagi de cette façon, faute de
moyens financiers ou par méconnaissance de leurs droits.
Les droits que les femmes ont acquis par le Statut de 1923 et par d’autres
textes législatifs, ainsi que les droits acquis hardiment et jour après jour dans la
vie quotidienne, dans les bureaux, étaient menacés par la survivance d’une
mentalité masculine et patriarcale, visible aussi pendant les périodes de crise
économique. Ça a été le cas pour la Grande crise économique à la charnière des
années 1920 et 1930, quand en Roumanie, en suivant l’exemple donné par
d’autres pays, une des solutions envisagées pour contribuer à la sortie de crise a
1
Ibidem, p. 126.
2
Ibidem.
3
La loi d’unification administrative de 1925 prévoyait l’élection des femmes seulement dans les
conseils des communes urbaines. Cette stipulation est restée très limitée en pratique. Par la loi sur
l’administration locale de 1929, les femmes ont reçu le droit de voter et d’être élues à condition de
remplir une des conditions suivantes (en plus des conditions générales): avoir été fonctionnaire
d’État, département ou commune ; avoir au moins fini le cycle inférieur, veuve de guerre, décorée
pour l’activité pendant la guerre, ayant participé dans le comité directeur dans les sociétés pour les
droits des femmes reconnues par la Justice. En 1929, plusieurs femmes ont accédé à la fonction de
conseiller, trois femmes à celle de maire et une femme, Maria Pop - la première femme
parlementaire (sénatrice) en 1938 -, comme adjoint de maire dans une grande ville, à Craiova. Cf.
Ghizela Cozma, Femeile şi politica în România. Evoluţia dreptului de vot în perioada interbelică,
Cluj-Napoca, Presa universitară Clujeană, 2002, p. 105.
4
J. H. Vermeulen, Statutul funcţionarilor publici, p. 154-155.
170 ANDREI FLORIN SORA
été d’imposer des mesures restrictives concernant les femmes. Un projet de loi de
1932 prévoyait le licenciement des femmes fonctionnaires mariées avec des
« budgétaires »1.
Dans l’opinion d’un des défenseurs de la femme fonctionnaire, les motifs
qui pouvaient faire que leur travail soit préféré à celui des hommes étaient : la
ténacité, l’exactitude et la modestie, « leur envie de distractions éphémères est
moins habituelle chez les femmes que chez les hommes, l’habitude de fumer et de
boire est presque nulle »2. I. M. Dragomirescu dépeint d’une manière
journalistique la supériorité des femmes fonctionnaires, présentation qui nous
introduit dans le monde des bureaux ; pour lui les fonctions domestiques des
femmes étaient des atouts pour le service public : « les diverses occupations
ménagères de la femme ne l’emportent pas sur l’accomplissement de ses
obligations de travail, bureaucratiques, et leur discipline est une preuve … »3. La
femme fonctionnaire n’était pas exemptée des difficultés : elle devait « tenir à
distance son chef libidineux et pervers » ou tenir compte « des problèmes de sa
famille »4.
Une enquête réalisée au milieu des années 1930 sur un échantillon de 3528
jeunes filles, auquel pour une meilleure approche comparative, on a ajouté 407
garçons, est une source assez singulière qui nous aide à mieux comprendre
l’attrait des sujets filles pour la fonction publique. L’échantillon des filles
interviewées comprenait tous les niveaux de l’enseignement élémentaire et
secondaire5, de l’âge de 10 ans à 25 ans, les classes sociales les plus variées y
étant représentées6. Les questions posées aux sujets qui nous intéressent le plus
visaient le choix d’une profession7. Si à la réponse sur l’« occupation plaisante »
seulement quatre filles sur 3.528 ont déclaré souhaiter « être dactylographe,
fonctionnaire » et aucun garçon, parmi les activités déplaisantes « la vie de
bureau, de fonctionnaire, travailler à la commande dans des activités qui
n’entraient pas dans leur sphère d’intérêt » recueillaient 153 réponses parmi les
1
Ghizela Cosma, « Aspecte privind mişcarea feministă din România în perioada interbelică. Anii
’30 », in Ghizela Cosma, Virgiliu Țârău (dir.), Condiţia femeii în România în secolul al XIX-lea.
Studii de caz, Cluj-Napoca, Presa universitară Clujeană, 2002, p. 87.
2
I. M. Dragomirescu, Funcţionarul public (Perseverenţă şi devotament), deuxième édition,
Bucarest, 1930, p. 28.
3
Ibidem, p. 30.
4
Ibidem, p. 32.
5
« Enseignement complémentaire, écoles professionnelles, lycées de filles, écoles-pensions,
écoles commerciales, écoles normales, écoles de ménages, écoles auxiliaires, école pour les
mendiantes ».
6
Caterina Popovici, Aspiraţiile fetelor. Studiu de psiho-pedagogie feminină pe baza unei anchete
făcută în învăţământul supra-primar şi secundar-teoretic şi practic din România, 1937, p. 3-4.
7
Ibidem, p. 2.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 171
1
Ibidem, p. 126-127.
2
Ibidem, p. 143.
3
Sur le territoire qui après la Première Guerre mondiale constituera la Roumanie, la fondation
d’organisations créées par les femmes fonctionnaires pour défendre leurs propres intérêts date de
la fin du XIXe. Ainsi, en Hongrie dès 1896 fonctionnait l’Union nationale des femmes
fonctionnaires (Nőtiszviselők Orszagos Egyesülete) qui entretenait des liens étroits avec l’Union
des féministes avec laquelle elle a fusionné en 1919. Voir Lőnhárt Tamás, Asociaţiile femeilor
maghiare din Transilvania în prima jumătate a secolului XX, in Ghizela Cosma, Virgiliu Țârău
(dir.), op. cit., p. 65-66.
4
G. Cosma, Aspecte …, p. 88-89.
Chapitre V
1
I. M. Dragomirescu, Funcţionarul public (Perseverenţă şi devotament), deuxième édition,
Bucarest, 1930, p. 5-6.
2
C. Z. Popazolu, Funcţionarismul public sub raportul profesional, administrativ şi social
naţional, Bucarest, 1922, p. 18.
3
Ibidem, p. 16.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 173
1
Sur ce sujet voir notamment Gheorghe Platon, Alexandru-Florin Platon, Boierimea din Moldova
în secolul al XIX-lea. Context european, evoluţie socială şi politică (Date statistice şi observaţii
istorice), Bucarest, Editura Academiei Române, 1995.
2
ANIC, fonds Organizaţiile profesionale ale salariaţilor P.T.T. din România (2958), ds. 5, r. 467,
c. 677.
174 ANDREI FLORIN SORA
1
Marie-Bénédicte Vincent, Serviteurs de l’État : les élites administratives en Prusse de 1871 à
1933, [Paris], Belin, 2006, p. 139.
2
Alexandru Vasilescu, A doua armată a ţării, fapte şi observaţii, Bucarest, 1916.
3
ANIC, fonds Organizaţiile profesionale ale salariaţilor P.T.T. din România (2958), ds. 9, r. 467,
c. 708.
4
Par exemple, l’Association des retraités du département et de la ville de Brasov était dirigée en
1937 par un ancien préfet de police et un ancien juge, ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia
generală a Poliţiei (2350), ds. 59/1937, f. 19 r.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 175
l’avantage obtenu par un corps voisin pour le réclamer à son tour »1. Ce
phénomène s’est manifesté également en fonction de la province : les
fonctionnaires demandaient des droits ou des privilèges obtenus auparavant par
leurs collègues d’une autre région de la Roumanie. Cette règle a été appliquée
notamment dans la Roumanie des années 1918-1925, quand il existait de grandes
disparités entre les territoires intégrés suite à la Grande Guerre et le Vieux
Royaume. On peut même parler de la jalousie des fonctionnaires des nouvelles
provinces envers les regăţeni. Ainsi, à l’occasion d’un congrès des retraités et des
fonctionnaires publics, tenu à Cernăuţi en 1931 et rassemblant plus de 1000
personnes de Bucovine, une personnalité locale, le professeur Grigore
Grigorovici, socialiste, affirmait : « Chez nous, en Bucovine, les fonctionnaires
ont comme seule source de survie le salaire, tandis que dans le Vieux Royaume
beaucoup de fonctionnaires possèdent de grandes fortunes. »2 Grigore Grigorovici
demandait le licenciement des fonctionnaires riches, donc de ceux du Vieux
Royaume. On ne doit pas douter du fait qu’il s’agit ici d’un discours
démagogique, dans le but d’obtenir le soutien électoral des fonctionnaires, autant
que d’une aversion à l’égard plutôt des regăţeni que des riches.
Le processus de cristallisation du corps des fonctionnaires publics prendra
consistance dans l’entre-deux-guerres et sera marqué par l’effort des associations
(de fonctionnaires) de constituer un front commun pour obtenir plus de droits. Les
débats de l’après-guerre dans le Parlement et dans la presse sur le statut des
fonctionnaires publics, ainsi que la loi de 1923 ont conduit à l’effacement des
rivalités et des clivages entre les différentes catégories de fonctionnaires. L’unité
des fonctionnaires opérée par le Statut a été préfigurée par leur effort antérieur de
convaincre l’opinion publique et les politiciens de la nécessité d’une telle loi. Au
lendemain de la Grande Guerre on observe l’essor des articles et des projets de loi
sur le futur statut des fonctionnaires publics. Plusieurs de ces projets ont été
rédigés par les organisations professionnelles des fonctionnaires. Dans un projet
de loi du Statut rédigé à l’occasion d’un congrès général des fonctionnaires on
affirmait ceci : « refuser aux fonctionnaires un statut qui les protège de
l’arbitraire, nier leur droit d’avoir une organisation corporative et de contrôler les
actes du pouvoir public dans les affaires qui les concernent, ce serait les priver des
droits civiques et publics. » 3
1
Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide, Lille,
Presses Universitaires de Lille, 1989, p. 224.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia generală a Poliţiei, (2349), ds. 16/1924, vol. II, f. 24 v.
3
Congresul general al tuturor funcţionarilor publici din zilele de 18 şi 19 iulie 1920, Bucarest,
Curierul Judiciar, [1920], p. 5. ANIC, fonds Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din
România (2959), ds. 3, r. 393, c. 13.
176 ANDREI FLORIN SORA
Certains articles de ces journaux ont fini par glorifier les actes des gouvernements
et les « grands du jour ». De l’autre côté, ils ont essayé aussi d’accomplir, au
moins en partie, leur mission de porte-parole des mécontentements des
fonctionnaires, en exposant notamment les manques législatifs.
Par presse contestataire on comprend notamment les périodiques proches
des cercles socialistes et même communistes. Il s’agit surtout de périodiques qui
ont une durée de vie limitée et des buts précis. L’influence des idées d’extrême
gauche ainsi que de celles d’extrême droite, les mouvements contestataires des
ouvriers et des employés, l’importance grandissante et le poids numérique des
membres des syndicats et d’autres formes d’association des salariés publics ont
conduit vers une plus forte valorisation de la force et de l’importance de la presse
écrite pour et par les fonctionnaires publics.
D’habitude, les premiers numéros contiennent un article-programme.
Ainsi, celui de la Revue des fonctionnaires licenciés a été énoncé dans le
deuxième numéro sous le chapeau « Que voulons-nous?» : « Nous voulons ne
plus être licenciés pour le motif ou pour le soupçon de ne pas partager une
certaine idée politique […] nous voulons défendre la classe des fonctionnaires
honnêtes contre leurs persécuteurs, nous voulons des lois pour la stabilité dans
toutes les fonctions, dans l’intérêt d’une meilleure administration, nous voulons
démasquer et blâmer ceux qui frappent les fonctionnaires compétents. »1 Étaient
envisagés également les méthodes « de la lutte » et les principes de la revue :
« Nous allons lutter avec la plume pour montrer et pour fouetter ceux qui nous ont
méprisé sans vergogne, qui nous ont remplacé avec les plus incapables
misérables, nous allons lutter avec la parole […] nous allons lutter avec le vote, et
nous n’allons pas reculer devant les difficultés futures. Nous sommes conscients
de nos droits et nous avons bien compris notre devoir. »2
Dans le numéro de présentation de la revue, avec le chapeau (Administraţia
Publică), dans l’article intitulé toujours « Que voulons-nous ? », on exprimait
l’objectif de la publication : « être l’organisme des intérêts des fonctionnaires
administratifs », améliorer leur statut par l’éducation, par l’assimilation des
connaissances nécessaires pour une profession, «être l’arme la plus efficace dans la
lutte pour l’existence, c’est par cela que nous devons commencer »3.
Parmi les publications indépendantes des fonctionnaires, l’hebdomadaire
Funcţionarul, paru entre 1883 et 1905, a eu une très longue existence et il n’a pas
été sans influence dans le milieu administratif4. Son sous-titre était
1
Revista Funcţionarilor remaşi în disponibilitate, I, no 2, 15 mai 1896, p. 1.
2
Ibidem.
3
Administraţia Publică, I, numéro programme, 10 juin 1903, p. 1.
4
Malheureusement, nous ne disposons pas d’informations sur le nombre des abonnés, voire sur le
nombre des exemplaires éditées. On peut mesurer l’influence de ce journal seulement par sa
publication régulière, ses débats avec la presse centrale (ses articles sont parfois commentés dans
diverses publications), les échos des leurs lecteurs (publiées dans la revue), mais ce dernier aspect
n’est pas toujours fiable. On ne sait pas si les recettes couvraient les frais, et si non, quel était
l’apport personnel de Theodor Jerebie, le directeur et le proprietaire du journal.
178 ANDREI FLORIN SORA
1
Funcţionarul Public, I, no 1, 27 août 1883, p. 1.
2
Dans le numéro de novembre 1925, donc dans la sixième année de fonctionnement, nous avons
trouvé mentionné pour la première fois le comité de rédaction, la revue étant dirigée par Teodor C.
Marinescu, directeur général de la direction du personnel et par les directeurs Ion C. Nicolau et
Vasile C. Nicolau, tous travaillant au ministère de l’Intérieur.
3
Revista Funcţionarilor Publici, VIII, no 1-2, 1933, p. 3.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 179
1
« Les Roumains ont le droit de s’associer, en se conformant aux lois qui règlent l’exercice de ce
droit », « Constituţiunea din 1866 », art. 27, Constituţiile române ..., p. 40.
2
Jean-Benoît Albertini, Réforme administrative et réforme de l’État en France. Thèmes et
variations de l’esprit de réforme de 1815 à nos jours, Paris, Economica, 2000, p. 28.
3
Marcel Pinet (dir.), Histoire de la fonction publique en France, tome III, Les XIXe et XXe siècles,
rédigé par Michel Chabin, René Bidouze, Jean-Noël Lallement, Serge Salon, Paris, Nouvelle
Librairie de France, 1993, p. 109-110.
180 ANDREI FLORIN SORA
1
Jeanne Siwek-Pouydesseau donne la définition suivante du syndicalisme: « le mouvement qui a
abouti à la constitution de groupements de défense des intérêts professionnels, en liaison ou en
parallèle avec le mouvement ouvrier – le terme ouvrier devant être pris dans son sens le plus large,
qui finit par rejoindre la notion de travailleur salarié ». J. Siwek-Pouydesseau, op.cit., p. 9.
2
Statutele Societăţei funcţionarilor publici din judetul Vâlcea sub numele de Concordia fondată în
anul 1895, Râmnicu Vâlcea, 1895, p. 5.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 181
1
Statutele societăţii Corpul didactic din România cu cinci anexe, Bucarest, 1879, p. 8-9.
182 ANDREI FLORIN SORA
1
Revista Funcţionarilor Publici, IX, no 1-2, 1934, p. 5.
2
Codul general al României, vol. VII, supplément III, Bucarest, 1910, p. 59-60.
3
Nous avons rencontré des déclarations des employés dans le corps des sergents de la ville de
Turnu Severin, ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (330), ds.
4/1911, passim.
4
ANIC, fonds Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 133, f. 7, r.
393, c. 807.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 183
de fonder des syndicats était également accordé aux professions libérales et à tous
les travailleurs [lucrători], salariés de l’État, des départements, des communes et
d’autres services publics. En ce qui concerne les fonctionnaires publics, on
mentionnait que les conditions demandées pour exercer le droit d’association
professionnelle des fonctionnaires publics devaient être précisées dans la future
loi sur le statut des fonctionnaires1. Le Statut de 1923 (par le chapitre VII, les
articles 24-32, de la loi sur le statut et les articles 53-66 du Règlement), adoptée
peu de temps après les grèves des fonctionnaires, a tracé les nouvelles normes, en
s’efforçant de maintenir le contrôle de l’État et limitant leur activité politique2. Le
droit d’association des fonctionnaires publics a été reconnu et garanti à condition
que ces formes de rassemblement aient des objectifs culturels, économiques et la
défense des intérêts professionnels3. Les associations des fonctionnaires publics
ne pouvaient ni discuter, ni prendre de résolutions à caractère politique4.
À la radicalisation politique, visible partout en Europe au lendemain de la
Grande Guerre, se sont ajoutées les demandes formulées par les fonctionnaires
roumains des nouvelles provinces intégrées en 1918, qui auparavant jouissaient
d’un statut social et professionnel supérieur aux fonctionnaires du Vieux
Royaume. En bénéficiant de capacités intellectuelles et souvent du soutien des
hommes politiques de la Transylvanie, les fonctionnaires roumains ont su
s’organiser très rapidement et établir des liens avec les organisations
professionnelles du Vieux Royaume. En Transylvanie et en Bucovine, les
fonctionnaires roumains qui avaient été actifs antérieurement dans
l’administration hongroise et autrichienne constituaient un groupe réduit, mais
assez homogène. Les liaisons antérieures, une culture administrative et une
formation intellectuelle différentes ainsi que l’opposition vis-à-vis des
fonctionnaires du Vieux Royaume ont joué un rôle important dans la fondation de
journaux et organisations.
Dès l’instauration de l’administration roumaine en Transylvanie, les
notaires communaux et les autres fonctionnaires roumains se sont organisés dans
des associations départementales et régionales. L’un des premiers organismes
unitaires des fonctionnaires roumains dans les territoires nouveaux a été la
Réunion des notaires communaux et d’arrondissement de Transylvanie, Banat et
des régions hongroises attachées. Celle-ci fonctionnait déjà en 1921 et a changé
son nom et son rapport géographique en devenant l’Union générale des notaires
communaux et d’arrondissement de Roumanie. Cette association comptait
également des fonctionnaires appartenant aux minorités ethniques. À la suite de
l’assemblée générale du 4 avril 1922, son présidium comprenait trois Hongrois sur
11 individus, dont un vice-président, alors que dans le conseil d’administration il
1
Ibidem, art. 3, p. 603.
2
Revista Funcţionarilor Publici, VI, 1931, no 11-12, p. 15.
3
Loi du 19 juin 1923, art. 24, in Statutul …, p. 8.
4
Ibidem, art. 26, p. 9.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 185
1
« Proiectul de statut al funcţionarilor », in Congresul general al tuturor funcţionarilor publici din
zilele de 18 şi 19 iulie 1920, Bucarest, [1920], p. 12. Cette brochure se trouve aux ANIC, fonds
Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 3, r. 393.
2
« Télégramme à sa Majesté le Roi de la Roumanie », in Congresul general al tuturor funcţionarilor
publici din zilele de 18 şi 19 iulie 1920, Bucarest, Editura Curierul Judiciar, 1920, p. [44].
3
Le Congrès devait se tenir dans le centre de Bucarest, dans une grande salle (Eforie).
L’intervention de la police a provoqué le changement de la location avec la salle de la société
186 ANDREI FLORIN SORA
les grèves des fonctionnaires pendant l’été 19221 et en avril 1923 restèrent
limitées, elles ont eu un impact inférieur à ce qui s’est passé dans les pays
occidentaux dans la même période.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, une autre organisation
s’est efforcée de représenter les intérêts de tous les fonctionnaires publics :
l’Union générale des fonctionnaires, ayant son siège à Cluj2, devenue peu de
temps après l’Union générale des fonctionnaires et des retraités publics. Au-delà
de son nom, cette organisation, à l’instar des autres (l’Union des fonctionnaires
publics3), ne représentait, dans les années 1920, que les intérêts d’une minorité de
fonctionnaires. En 1922, à la direction de l’Union des fonctionnaires publics
étaient deux fonctionnaires appartenant aux minorités ethniques : Armin
Grunwald comme président et Alexandru Hirsch, président administrateur4.
Dans les années 1920 se sont développées également les organisations des
retraités. Il y avait le Cercle des retraités (Cercul pensionarilor), reconnu comme
personne morale en 1929, mais fonctionnant depuis 19025, l’Association solidaire
des retraités civils (Asociaţia solidară a pensionarilor civili)6, la Société centrale
des retraités publics (Societatea centrală a pensionarilor publici din ţară)7.
Les objectifs étaient presque les mêmes pour toutes les organisations des
fonctionnaires. Au-delà de cette effusion de mouvements associatifs des
fonctionnaires et des retraités, les années 1920 n’ont pas apporté la constitution
des véritables unions ou fédérations des salariés publics. Plus d’une décennie
après, pour expliquer l’insuccès des grèves des fonctionnaires de 1923, ainsi que
« Locomotiva » des cheminots, devenue dans les années 1920-1930 le lieu favori de rassemblent
des fonctionnaires, notamment dans le cas des mouvements antigouvernementaux.
1
À l’occasion des grèves déroulées pendant l’été 1922, Nicolae Schina, considéré instigateur
contre l’ordre public, a été licencié de la fonction publique.
2
Statutele Uniunei Funcţionarilor din România, [1922]. Cette brochure se trouve aux ANIC,
fonds Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 3.
3
Cette organisation était forte en Transylvanie, ayant comme membres non seulement des Roumains,
mais également des minoritaires. Nous avons trouvé des fiches d’inscription dans l’organisation,
probablement de 1927, rédigées dans les langues roumaine, hongroise et allemande. ANIC, fonds
Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 34, r. 393, c. 184.
4
Statutele Uniunei Funcţionarilor din România, [1922], p. 10.
5
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia generală a Poliţiei (2349), ds. 16/1924, vol. I, f.
114.
6
Dans les années 1920 à la tête de cette organisation était Gheorghe A. Drăghici, ancien procureur
général de Cour d’appel.
7
Un document interne issu de la direction de cette société (Présentation de la société, le 1er janvier
- le 31 décembre 1930) nous indique le chiffre de 1804 sociétaires en 1929 et 1020 en 1930. Cette
chute du nombre de sociétaires a eu comme principale cause la sécession de la section de Cernăuţi.
À la fin de l’année 1930 la structure de cette organisation rassemblant les retraités était la
suivante : le centre principal à Bucarest et des sections à Brăila, Călăraşi, Caracal, Câmpulung,
Ismail. Voir Dare de seama de la 1 ianuarie 1930 la 31 decembrie 1930, prezentată la adunarea
generală convocată la 1 sau 8 martie 1931, Bucarest, 1931, p. 3, ANIC, fonds Sindicatul
funcţionarilor de toate categoriile din România, (2959) ds. 16/1924, vol. I, f. 172 r.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 187
des grèves des ouvriers de 1920 et 1921, le mémoire de 1936, dont nous avons eu
l’occasion de parler, mettait en cause « le manque de dirigeants clairvoyants et
capables », « l’entrée dans une période de stabilité provisoire et relative » et même
une « défection » des chefs1. Le texte suggère qu’à partir de 1923, jusqu’à la crise
économique, seules les organisations des fonctionnaires qui n’avaient pas pris part
à la grève ont survécu 2.
Dès le début du XXe siècle, le personnel de la Société des Chemins de fer
a attiré l’attention des organes de Sûreté de l’État. Pour les autres sociétés, la
modalité d’organisation des cheminots était un bon exemple à poursuivre, alors
que pour l’État, elle était perçue comme une atteinte à sa sûreté. La grande partie
des salariés de la Société des Chemins de fer étaient encadrés dans la catégorie de
fonctionnaires publics, mais ils n’ont jamais formé un corps unitaire. Cette
diversité des salariés et des services administratifs représentait à une échelle
réduite le corps des fonctionnaires publics et de l’administration de la Roumanie
moderne. Une première tentative de rassemblement des fonctionnaires de la
Société des Chemins de fer s’est produite en 1919 par la constitution de l’Union
des Syndicats des ouvriers de Chemins de fer. La Fédération des associations et
des syndicats professionnels de la Société des Chemins de fer s’est constituée en
1930 par l’union de neuf associations3 du personnel de la Société des Chemins de
fer. Un acte, dit constitutif de cette fédération des cheminots, établi en mai 19324,
contient le nom et la profession des membres des organismes directeurs. Parmi les
quinze membres du comité et les neufs suppléants, à l’exception de deux
personnes (un médecin et un avocat) on comptait de petits et quelques moyens
fonctionnaires. Le président de la Fédération était Constantin Carcali (Carcalli)
avocat, ancien chef du service contentieux des Chemins de Fer, qui, on le
suppose, devait jouer un rôle d’interface avec le gouvernement. Il est intéressant
de noter que Constantin Carcali était un militant socialiste de longue date, même
membre du Parti Communiste Roumain et à partir de 1930 membre d’une loge
franc-maçonne5.
À la fin des années 1920, les mécontentements des membres de ces
associations envers leurs dirigeants se sont accrus. On critiquait l’assujettissement
à l’autorité étatique, le manque d’unité parmi les fonctionnaires. Dans cette
période s’est constituée l’Association générale des fonctionnaires publics (AGFP)
formée d’anciens membres des autres organisations. Elle allait devenir plus tard
1
Idem, ds. 133, f. 8, r. 393, c. 807-808.
2
Ibidem, f. 8, c. 808.
3
ANIC, fonds Federaţia asociaţiilor şi sindicatelor profesionale C.F.R. (2987), r. 471, l’acte
constitutif du 5 décembre 1930, ds. 1 (c. 263-264), le statut dans le ds. 2 (c. 267- 271)
4
Même si cet acte constitutif date de 1932 la Fédération était plus ancienne, Idem, ds. 6, r. 471, c.
294-c. 303.
5
Horia Nestorescu-Bălceşti, Enciclopedia ilustrată a Francmasoneriei din România, Bucarest,
PHOBOS, 2005, vol. I, p. 222.
188 ANDREI FLORIN SORA
ministre, était membre à partir de 1927 du Parti National Paysan1 et l’une des
figures politiques de la Bucovine, cette réunion n’a pas échappé à la police locale.
Le « président des retraités du pays entier », le général Gheorghe Mărdărescu, à la
retraite depuis le 1er octobre 1930, ancien ministre de la Guerre (1922-1926)2, qui
avait à cette époque-là des velléités politiques y était présent également. Si le
général Mărdărescu avait demandé que les « retraités publics ou militaires
reçoivent la pension de retraite en devise forte et l’augmentation du montant des
indemnisations de retraite en même temps et proportion avec celles des salaires »,
les sociétaires, en contrepartie, ont exprimé leur volonté d’obtenir pour lui une
place dans le conseil de la ville de Cernăuţi3. Cette réunion montre à la fois
l’importance des fonctionnaires et des retraités comme réservoir électoral et leur
appétit, et notamment celui de leurs dirigeants, pour obtenir des postes politiques.
L’une des possibilités des fonctionnaires et des retraités d’obtenir des
droits et des privilèges était de mener leur lutte sur le plan local ou d’envisager
des droits en faveur d’une minorité. Ainsi à la suite d’une réunion des
fonctionnaires de Chişinău, organisée le 15 juin 1925 par l’Association des
fonctionnaires publics, les autorités locales sont intervenues auprès des boulangers
afin de vendre du pain à prix préférentiel (32 lei le pain de deux kilos au lieu de
44 lei le pain de 1700 grammes)4, à la coopérative des fonctionnaires, qui le
distribue ensuite aux salarié publics.
Plusieurs dossiers conservés dans les Archives départementales de Brasov
nous aident à saisir l’activité d’une association locale des fonctionnaires publics,
filiale départementale d’une organisation nationale. Il s’agit de l’Association des
fonctionnaires administratifs du département de Brasov. Nous avons trouvé une
partie des procès-verbaux des séances de l’association5. Une première remarque
est que cette association, reconnue par les autorités centrales et locales, constituait
une autre forme de contrôle de la part de l’État. Les séances de l’association se
tenaient dans les locaux administratifs (à la Préfecture, dans la salle de séance de
la délégation du Conseil départemental), avant ou après le travail. Sa
subordination indirecte à la Préfecture était renforcée par le fait que le président
de l’association (ou à différentes périodes son président honorifique) était le plus
important fonctionnaire dans la Préfecture après le préfet et le sous-préfet : Ioan
Podea, secrétaire de la Préfecture6. Il apparaît que la principale tâche de cette
1
Ion Mamina, Ion Scurtu, Guverne şi guvernanţi (1916-1938), Bucarest, Silex, 1996, p. 227.
2
Ibidem, p. 205.
3
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia generală a Poliţiei (2349), ds. 16/1924, vol. I, f. 182
r.
4
Ibidem, f. 107 v.
5
AJBv, fonds Prefectura Braşov. Serviciul administrativ, ds. 2/1935, passim.
6
La biographie d’Ion Podea est assez spectaculaire : émigré aux États Unis en tant que prêtre
missionnaire, suspecté de détournement de fonds, il revient après 1918 dans sa région natale, dans
le département de Brasov, où il a commencé une carrière dans la fonction publique, à la Préfecture.
Après 1944, il devient membre du Parti Communiste et il occupe plusieurs dignités publiques à
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 191
Brasov (devenue la ville de Staline) et dans la région Staline, y compris celle de secrétaire chargé
des problèmes culturels pour la région Staline. Il est l’auteur de plusieurs études historiques et
ethnographiques.
1
AJBv, fonds Prefectura Braşov. Serviciul administrativ, ds. 2/1935, f. 9.
2
Societatea Funcţionarilor Publici, 24 ani de activitate, 1 iulie 1882-31 decembrie 1905,
Bucarest, 1906, p. 4-5.
3
Statutele Societăţei Funcţionarilor Publici autorisată prin Înalt Decret Regal no 25, 8 iunie 1885,
Bucarest, 1885, p. 6.
192 ANDREI FLORIN SORA
à la dernière page. Nous pouvons ainsi nous faire une opinion sur le type de maladies traités : il y
avait des docteurs pour les maladies internes, génito-urinaires, gynécologie, ORL aussi une femme
médecin pour les enfants.
1
Revista Funcţionarilor Publici, VII, no 9-10, 1932, couverture II.
2
C. A. Negulescu, op. cit., p. 6.
194 ANDREI FLORIN SORA
1
De nos jours une fédération syndicale rassemble les organisations d’un même secteur d’activité
(par exemple l’éducation), alors que la confédération désigne une organisation nationale
regroupant des fédérations.
2
Un tel rassemblement avait été envisagé quelques années avant sous le nom de la Fédération des
sociétés et des associations des fonctionnaires.
3
La FGF rassemblait les suivantes organisations : des associations de employés de la SCFR – les
Chemins de fer roumains (l’Association générale professionnelle du personnel du personnel de la
SCFR « Unirea » ; l’Association professionnelle des fonctionnaires titrés et bacheliers de la
SCFR ; « Tracţiunea », association professionnelle des mécaniciens, des chefs des dépôts de
locomotives et des contrôleurs ; « Cercul focarilor », association professionnelle de la SCFR;
« Mişcarea », association professionnelle du personnel de mouvement de la SCFR ; « Staţia » ;
l’Association professionnelle des maîtres des ateliers de la SCFR ; l’Association professionnelle
du personnel du matériel roulant ; l’Association professionnelle « Nivel-Metru » de la SCFR ; la
Société « Expresul » CFR), l’Association de l’entier personnel des PTT (Asociaţia întregului
personal al PTT) ; l’Association des fonctionnaires « Cadre auxiliaire » ; l’Association générale
des fonctionnaires administratifs d’Ardeal et de Banat ; l’Union générale des notaires
communaux ; l’Association générale des fonctionnaires publics de Bessarabie ; la Société centrale
des fonctionnaires publics de Bucovine ; l’Association des fonctionnaires publics licenciés en droit
« Cernăuţi » ; l’Association générale des femmes fonctionnaires publics de Roumanie ;
l’Association générale du personnel sanitaire auxiliaire titré de Roumanie et la Société des
fonctionnaires publics de la Mairie de Bucarest. Cette liste est tirée de l’ouvrage de C. A.
Negulescu, op. cit., p. 11.
4
L’Association du personnel inférieur forestier, l’Association du personnel inférieur des voies (les
piqueurs et les cantonniers), la Fédération des conducteurs techniques ; l’Association des
fonctionnaires de la Coopération ; l’Association du personnel auxiliaire vétérinaire ; l’Union des
fonctionnaires communaux avec le siège à Cernăuţi, l’Association des « maîtres » civils de
l’armée ; l’Association des dactylographes publiques ; l’Association générale des fonctionnaires
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 195
des Chemins de fer ont fondé leur propre fédération, mais qui a conservé de
bonnes relations avec la FGF1. En 1936, de la Fédération des associations et des
syndicats des Chemins de fer2 comptait environ 20.000 membres, d’un total de
85.000 personnes à qui elle s’adressait3. Comme associations partenaires de la
FGF, le Mémoire de 1936 identifiait la Fédération des Chemins de fer,
l’Association des instituteurs, l’Association du clergé orthodoxe roumain et
comme association opposée, celle des fonctionnaires administratifs ayant des
titres universitaires4.
Lors des élections législatives de juin 1931, un des représentants des
fonctionnaires Nicolae Schina, a été élu député indépendant dans le département
d’Ilfov. D. V. Țoni, dirigeant de l’Association des instituteurs a été élu aussi
député en 1931, dans le département de Covurlui, de la part de l’Union Nationale.
D. V Țoni était habitué avec le mandat de parlementaire obtenu lors des élections
de 1922, de 1925 ou de 1927. Quelques années plus tard, un proche de la direction
considérait la présence de Nicolae Schina dans le Parlement un « succès moral,
[mais qui] n’a pas apporté à la Fédération et aux fonctionnaires l’avantage
attendu »5.
L’opinion de l’auteur du mémoire de 1936 (le dossier 133) selon lequel
« la masse des fonctionnaires administratifs et des agents n’a pas eu
d’organisations professionnelles »6 est fausse, mais sert d’argument pour montrer
la nécessité en 1936 d’une organisation militante. Il considère ensuite que la
Fédération ne gardait pas le contact avec les masses7. D’autres affirmations contre
les dirigeants faites dans cet exposé étaient de simples allégations, par exemple
l’idée que les chefs de la Fédération « se sont démasqués pour leur activité de
mettre la masse des fonctionnaires au service d’un coup d’État dictatorial »8.
du ministère des Finance, le services extérieurs, l’Association des préteurs ; etc. Voir ANIC, fonds
Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 133, f. 13, r. 393.
1
C. A. Negulescu, op. cit., p. 17.
2
La Fédération des Chemins de fer était composée par les associations et les syndicats du
personnel travaillant à la SCFR. Auparavant, ceux-ci avaient été organisés dans plusieurs
associations, des rassemblements en fonction de leur emploi et position dans cette grande
entreprise publique. Il y avait ainsi : les associations des fonctionnaires administratifs, des
médecins, des employés du trafic ferroviaire (impiegaţii de mişcare), du personnel d’entretien, des
mécaniciens, des chauffeurs des chaudières (fochişti) et des syndicats des ouvriers. La Fédération
de la SCFR était coordonnée par un comité central et par le congrès, composé par les présidents et
les délégués de tous les comités des cheminots, ANIC, fonds Sindicatul funcţionarilor de toate
categoriile din România (2959), ds. 133, f. 9, r; 393, c. 809.
3
Ibidem.
4
Ibidem, f. 14, c. 821.
5
C. A. Negulescu, op. cit., p. 15.
6
ANIC, fonds Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 133, f. 8, r.
393, c. 808.
7
Ibidem, f. 15, c. 822.
8
Ibidem, f. 16, c. 823.
196 ANDREI FLORIN SORA
1
J. Siwek-Pouydesseau, op.cit., p. 112.
2
« La motion du congrès général des fonctionnaires publics », congrès tenu à Bucarest le 6, 7 et 8
décembre 1935, Bucarest, [1936]. Cette brochure se trouve aux ANIC, fonds Sindicatul
funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 117.
3
Ibidem, p. 4-5.
4
Le Statut de 1923 n’incluait pas ces deux catégories de salariés publics dans le corps des
fonctionnaires publics.
5
« La motion du congrès général des fonctionnaires publics », [1936], p. 1.
6
Ibidem.
7
ANIC, fonds Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 132, r. 393, c.
c. 775-794.
198 ANDREI FLORIN SORA
1
Idem, ds. 141 r. 394, c. 40.
2
Ibidem, c. 39.
3
Idem, ds. 130, r. 393, c. 768.
4
Idem, ds. 141 r. 394, c. 41.
5
C. A. Negulescu, op. cit., p. 36.
6
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia generală a Poliţiei (2350), ds. 207/1937, f. 28.
7
C. A. Negulescu, op. cit., p. 38.
8
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia generală a Poliţiei (2350), ds. 207/1937, f. 76.
9
ANIC, fonds Sindicatul funcţionarilor de toate categoriile din România (2959), ds. 141 r. 394,
c. 40.
10
Ibidem.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 199
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia generală a Poliţiei (2350), ds. 207/1937, f. 164.
2
Statutele Societatei functionarilor publici din judetul Vâlcea …, 1895, p. 3.
3
Ibidem.
4
« Proectul Statutului Societatei Funcţionarilor Comunali », in Administraţia Publică, III, no 9, 15
15 janvier 1906, p. 2.
5
ANIC, fonds Organizaţiile profesionale ale salariaţilor P.T.T. din România (2958), ds. 1, r. 467,
c. 651- 652.
200 ANDREI FLORIN SORA
couverture d’une brochure sur la Société générale des retraités publics - étaient
présentés les buts de la Banque des Salariés Publics : prêter aux salariés et aux
retraités publics dans les meilleures conditions pour ceux-ci, ainsi que leur offrir
des assurances-vie, ainsi que sur les risques et les biens1.
Un autre exemple est donné par la création en 1929 dans la ville
universitaire de Cluj d’un foyer destiné aux filles des salariés publics, institution
fondée par l’Association des fonctionnaires administratifs de Transylvanie. Cet
établissement, dirigé par un comité composé de fonctionnaires (deux sous-préfets,
deux préteurs, deux notaires communaux), devait offrir une sorte de garantie
morale aux quarante filles des fonctionnaires administratifs, étudiantes à
l’Université, à l’académie commerciale ou au Conservatoire de Cluj, en assurant
pour une somme inférieure aux autres résidences universitaires et foyers, de
bonnes conditions et « le soin paternel »2.
Les rapports des organisations de fonctionnaires et de retraités du service
public avec le pouvoir (le gouvernement ou les pouvoirs locaux) ne touchent pas
seulement l’accomplissement de demandes générales. Le soutien politique de ces
organisations pouvait s’obtenir, nous l’avons vu, par la promesse de postes, même
dans le Parlement, ou par des donations accordées à ses organisations et
l’exemption d’impôts. Par exemple, en 1937, la mairie de la ville de Ploieşti a
accordé à la filiale locale du Blocul Pensionarilor un terrain de 812 mètres carrés,
afin de construire un foyer3.
Parfois, le statut des associations des fonctionnaires mentionnait des signes
d’identification de leurs membres : des symboles graphiques, des insignes, des
devises (« Tous pour un et Dieu pour tous »4), des drapeaux. Les sociétaires de
l’Association générale des fonctionnaires du Ministère des Finances, Les Services
Extérieurs) avaient le droit de porter un insigne – la Croix bleue avec le chiffre de
sa Majesté Royale Carol II, la Couronne Royale et les initiales de l’organisation5.
Les statuts de ces associations pouvaient inclure des règles de conduite à
l’intérieur de la société. Ainsi, dans le projet de statut de 1919 de l’Association du
personnel entier des PTT, parmi les devoirs de ses membres on demandait de
« mépriser le parti pris sous n’importe quelle forme et la délation, la jalousie et
autres tares sociales et professionnelles »6.
La presse et les associations de fonctionnaires, qui organisaient des fêtes
ou d’autres types d’activités, ont contribué à la cristallisation d’un esprit de
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia generală a Poliţiei (2349), ds. 16/1924, vol. I, f. 176 v.
2
Revista administrativă, IX, no 13-14, 1er aout 1930, p. [169], note.
3
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia Generală a Poliţiei (2350), ds. 59/1937, f. 52.
4
Statutele Societatei « Peleşul » şi « Vârful cu dor » a Micilor Funcţionari, 1896, p. 3.
5
Statutele Asociaţiei Generale a Funcţionarilor din Ministerul de Finanţe Serviciile Exterioare,
Bucarest, 1937, p. 9.
6
ANIC, fonds Organizaţiile profesionale ale salariaţilor P.T.T. din România (2958), ds. 1, r. 467,
c. 652.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 201
1
« L’ordre du jour du Congrès de l’Association générale des préteurs de la Roumanie, 1930:
1. Discours d’inauguration du Congrès.
2. L’état et le fonctionnement de l’Association des préteurs (rapporteur le premier préteur
Marin N. Paţac).
3. Proposition concernant la modification du statut.
4. Compléter le comité dirigeant.
5. La discussion sur le Budget.
6. Les attributions du préteur et la réorganisation de l’arrondissement.
7. Le statut moral et financier du préteur, en comparaison avec d’autres « chefs des
autorités ».
8. Le notaire au niveau de l’administration rurale.
9. Différents sujets d’ordre administratif.
10. La lecture des éventuelles études.
11. Des propositions.
(AJBv, fonds Prefectura Făgăraş. Biroul subprefectului, ds. 139/1930, f. 5).
2
« Le changement radical du système administratif exige un nouveau système de sauvegarde des
nos intérêts professionnels et spécifiques.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 203
Nous voulons défendre ces intérêts d’une manière efficace et intense, et en accord parfait avec
d’autres catégories de fonctionnaires ; nous voulons travailler afin de promouvoir les intérêts
professionnels, chaque fonctionnaire doit devenir un modèle.
Ayant le sentiment du devoir de servir correctement les intérêts des malheureux, et en poursuivant
notre conscience, l’association des préteurs doit trouver les meilleures modalités et la force morale
de combattre les ennuis et les injustices.
Il est nécessaire que les prime-préteurs, les préteurs et les secrétaires d’arrondissement sachent ce
que notre association doit réaliser.
En conclusion, personne ne doit s’absenter de cette séance, parce que le futur de notre institution
est en jeu, et même notre existence. (AJBv, fonds Prefectura Făgăraş. Biroul subprefectului, ds.
139/1930, f. 5).
204 ANDREI FLORIN SORA
1
Theodor Jerebie, Funcţionarii. Studiu Administrativ, Bucarest, 1892, p. 57.
2
Ibidem, p. 6-7.
3
Ibidem, p. 9.
4
George Alexianu, « Statutul funcţionarilor publici. Stabilitate şi inamovibilitate », in Revista de
Drept Public, no 4/1926, p. 519 ou la même citation dans le Statutul funcţionarilor publici,
Bucarest, Cultura Naţională, 1926, p. 5.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 205
publique a joué aussi le rôle d’une sorte de récompense accordée par les partis
politiques à leurs fidèles.
Parallèlement au processus de rationalisation de l’administration, devenu
visible notamment à partir des années 1860, le porte-parole et même les
fonctionnaires publics eux-mêmes ont saisi les avantages qui pouvaient être tirés
d’un mouvement politique qui défende leurs intérêts. À la veille de la Grande
Guerre, la stabilité dans la fonction était encore une vive demande, mais les
fonctionnaires se sont appropriés d’autres moyens qui leur ont permis la
survivance dans l’administration : l’éducation, une bonne connaissance des
réalités locales, l’insertion dans des réseaux d’influence. La politisation de
l’administration ne signifiait pas seulement l’éventuelle perte de la fonction au
moment où le parti était renvoyé du gouvernement. Elle pouvait constituer
également une chance pour obtenir un poste ou un avancement autrement
impossible soit en remplaçant un fonctionnaire licencié, soit par la nomination
dans des postes devenus vacants par mise à la retraite ou avancement, soit enfin
par un poste nouvellement créé.
La nature du système politique (le suffrage censitaire, l’alternative au
pouvoir, le fort clientélisme au niveau local) et la jeunesse du mouvement des
fonctionnaires ont fait que pendant le Vieux Royaume ceux-ci n’ont pas constitué
leurs propres organisations politiques. D’autre part, aucune formation politique
n’a réussi ou n’a assez essayé d’approcher, d’une manière très visible, les
fonctionnaires.
Dans l’entre-deux-guerres, le suffrage universel, la dégradation du statut
social des fonctionnaires et la croissance de l’autonomie dans les rapports avec les
supérieurs ont conduit vers une plus grande prise de conscience par les
fonctionnaires de leur force et de leur poids numérique. Si les fonctionnaires
publics n’avaient pas le droit d’être élus dans une fonction élective, ce n’était pas
le cas pour les anciens fonctionnaires, dans leur grande majorité des retraités.
Dans le contexte de la croissance des manifestations et des mouvements
des fonctionnaires et sous l’impact du suffrage universel, au début des années
1920, on assiste à l’intensification des efforts visant à la création d’une formation
politique qui défende les « serviteurs de l’État » de l’arbitraire des chefs, des lois
énoncées et même de la politisation de l’administration. Ces mouvements
politiques reposaient sur un fondement assez solide : les associations des
fonctionnaires publics, dont les représentants étaient ou avaient été membres des
sociétés des fonctionnaires. D’après nos sources, le premier essai des
fonctionnaires pour faire élire parmi eux de futurs députés qui défendent leurs
intérêts dans le Parlement roumain date de 1921, à Chişinău1. Un tel
1
Funcţionarul, Chişinău, V, no 11, 22 mai 1926, p. 1.
206 ANDREI FLORIN SORA
1
Dans les années 1930, N. Schina a détenu la fonction de président de l’Association générale de
retraités, anciens fonctionnaires publics
2
Funcţionarul, Chişinău, V, 15 mai 1926, no 10, p. 3.
3
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia Generală a Poliţiei (2350), ds. 59/1937, f. 68 r.
4
Ibidem, f. 69 v.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 207
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia Generală a Poliţiei (2350), ds. 207/1937, f. 166-
167.
2
Ibidem, f. 164.
3
Ce banquet a été organisé dans le restaurant de la coopérative des fonctionnaires et des retraités
du service public.
4
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia Generală a Poliţiei (2350), ds. 207/1937, f. 176.
208 ANDREI FLORIN SORA
fonctionnaire public soit élu sans perdre sa qualité de fonctionnaire, pendant son
mandat il devait être considéré en congé1.
Dans le Parlement roumain de 1939, les partis politiques (dissous) ont été
remplacés par les catégories professionnelles. En théorie, personne ne représentait
les agents administratifs (les fonctionnaires publics de l’administration centrale et
des pouvoirs locaux). Néanmoins, Nicolae Schina s’est fait élire à Bucarest
comme député, représentant la catégorie « occupations intellectuelles »2 et
plusieurs représentants des salariés publics ont été élus au Sénat (D. V. Țoni,
Teodor Iacobescu, Mihai Carp, Grigore Orăşanu, etc.)3.
1
Ibidem.
2
Lista nominală a deputaţilor aleşi la 1 iunie 1939 cu arătarea profesiunii, stării civile şi a
domiciliului, 1939, p. 24.
3
Lista nominală a domnilor senatori cu arătarea categoriei, stării civile, profesiunii. Sesiunea 7
iunie, 1939.
Deuxième partie
loi sur d’autres institutions étatiques ou par des décrets-lois qui leur ont accordé
des devoirs précis (le décret-loi du 21 avril 18671, les lois sur les contrats
agricoles du 28 mars 1872) et surtout les textes législatifs sur l’organisation des
communes et des départements.
En ce qui concerne l’exemple et les emprunts belges, nous rappelons que
la Constitution belge de 1831 a servi de source juridique au Principautés
Roumaines/Roumanie pour le projet de constitution de 1859 et pour la
Constitution de 1866 ; l’administration locale belge n’était pas inconnue aux
acteurs politiques roumains. Le principe d’autonomie locale et la structure de
l’administration étaient mentionnés dans la constitution de 1831 qui avait
consacré la division de la Belgique en neuf provinces et « l’autonomie des
provinces et des communes, en leur reconnaissant une vie propre et une
administration jusqu’à un certain point indépendante du gouvernement »2. Les
représentants du pouvoir central au niveau local, le gouverneur provincial et le
commissaire d’arrondissement, tous les deux nommés par le Roi, avaient moins
de prérogatives et d’autorité que les préfets et les sous-préfets français, ce qui est
un des aspects ayant éloigné les législateurs roumains du modèle belge.
L’administration locale roumaine a été édifiée en réalisant une symbiose entre
l’administration française et son homologue belge, qui, peu de temps après, s’est
estompée dans la faveur de la première.
Le choix et la préservation du modèle français ne s’expliquent pas
seulement par sa modernité en comparaison avec les anciennes réglementations
législatives roumaines sur l’administration locale, par le prestige de la France ou
par une certaine efficacité de ces institutions en France, mais aussi par le fait que
jusqu’à la loi de 1929, au-delà des buts déclarés, tous les gouvernements roumains
ont voulu centraliser le pouvoir pour mieux contrôler et mieux gouverner. La
législation sur l’administration publique française et notamment le régime des
agents du pouvoir central et leur contrôle sur le niveau local répondaient au mieux
à la volonté des hommes politiques et des politiciens roumains de bâtir un État
unifié et fort.
1
Par la loi du 21 avril 1867 les sous-préfets et les policiers ont reçu d’une manière provisoire des
attributions de juges de paix, notamment le droit de juger des affaires civiles. Cette loi, en vigueur
jusqu’en 1879, contredisait le principe de séparation des pouvoirs énoncé clairement par la
Constitution de 1866. Les sous-préfets ont accumulé la fonction de juge de paix suite aux manques
financiers nécessaires à la création de justices de paix, comme le prévoyait la loi judiciaire du 9
juillet 1865 (Ioan M. Bujoreanu, Colecţiune de legiuirile României vechi şi nuoi cîte s-au
promulgat pene la finele anului 1870, Bucarest, 1873, p. 799).
2
Eugène Bernimolin, Les institutions provinciales et communales en Belgique. Traité théorique et
pratique de la législation provinciale et communale. Ainsi que des lois électorales qui s’y
rattachent, Bruxelles, 1891-1892, tome premier, p. 74.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 215
1
En ce qui concerne l’Olténie sous domination autrichienne, voir Şerban Papacostea, Oltenia sub
stăpânire românească, Bucarest, Editura Enciclopedică, 1998 [1971].
2
Si au début tous membres de ce conseil étaient des boyards roumains, graduellement cette
instance va se germaniser. En 1726, trois membres sur cinq, y inclus le président étaient allemands
(Manuel Guţan, Istoria administraţiei publice româneşti, deuxième édition, Bucarest, Hamangiu,
2006 [2005], p. 92).
3
Ibidem.
4
Au début, le nom de judeţ a été employé pour désigner l’agent du prince régnant dans une
contrée, et cette division administrative a pris à son tour ce nom.
5
En 1732 à la tête des judeţe, le vornic roumain a été doublé par un (fonctionnaire) allemand, M.
Guţan, Istoria administraţiei publice româneşti, p. 92.
6
Un arrondissement était composé de plusieurs villages, chacun dirigé par un pârcălab ou vătaf,
nommés au début par les propriétaires terriens, et quelque temps après directement par les autorités
autrichiennes.
216 ANDREI FLORIN SORA
1
Au XVIIIe siècle il existait des dignités publiques liées à une fonction exercée ou pas ; les
fonctionnaires sans emplois bénéficiaient du titre conféré par une ancienne fonction.
2
Les divisions territoriales (judeţe et ţinuturi) sont attestées dès la fin du XIVe siècle et surtout à
partir du XVe siècle, sans qu’elles soient des entités précises. Au début, le nom de judeţ désignait
l’agent du prince dans une région. Pour plus d’informations voir Paul Negulescu, « Istoricul
judeţelor din România », in Revista de Drept Public, XVII, no 1-2/1942, p. 82-105.
3
Ovidiu Sachelarie et Nicolae Stoicescu (dir.), Instituţiile feudale în Ţările Române, Bucarest,
Editura Academiei R.S.R., 1988, p. 238.
4
Le mot zapciu est emprunté à la langue turque (zaptyie), alors que le mot vătaf est d’origine slave
slave (de l’ucrainien vataha et du polonais wataha). Le mot ispravnic est lui aussi d’origine slave,
russe. Voir Manuela Saramandu, Terminologia juridic-administrativă românească în perioada
1780-1850, thèse de doctorat, Université de Bucarest, 1986, p. 44, 49-50.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 217
nom de la rivière ou des montagnes. Pour Negulescu ce constat s’expliquait par le fait qu’en
Valachie la création des judeţe a été antérieure aux villes ; par contre, en Moldavie les villes
étaient plus vieilles que les ţinuturi. P. Negulescu, op. cit., p. 88-89.
1
Les villes avaient personnalité juridique.
2
Adrian Macovei, « Organizarea administrativ-teritorială a Moldovei între anii 1832-1862 » (II),
in Anuarul Institutului de Istorie şi Arheologie ‘A. D. Xenopol’, XX, 1983, p. 173.
3
En 1851, une autre loi a changé la modalité de nomination des chefs d’arrondissement en
Valachie, selon laquelle ils étaient nommés par le gouvernement parmi quatre candidats proposés
par les propriétaires des terres, locaux.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 219
1
Manuel Guţan, Istoria administraţiei publice locale în statul român modern, Bucarest, All Beck,
2005, p. 29.
2
Un tel ordre a été donné au Conseil administratif par le général Kiseleff le 16 juillet 1831, qui a
dû envoyer des agents pour mettre en ordre et organiser les chancelleries des districts, y compris
les registres administratifs. M. Guţan, Istoria administraţiei publice româneşti, p. 156.
3
Ibidem, p. 157.
4
Ibidem.
220 ANDREI FLORIN SORA
1
Idem, Istoria administraţiei publice locale …, p. 32.
2
Adrian Macovei, op. cit. (III), in Anuarul Institutului de Istorie şi Arheologie ‘A. D. Xenopol’,
XXI, 1984, p. 210-211.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 221
1
M. Guţan, Istoria administraţiei publice locale …, p. 52.
2
Le choix du gouvernement roumain de désigner autrement le chef d’arrondissement dans la
Dobroudja peut paraît étrange et l’explication n’en est pas évidente. Nous considérons que par la
dénomination d’administrateur, les autorités roumaines voulaient exprimer leur attention à l’égard
de cette nouvelle province, tout en soulignant, d’autre part, son statut particulier dans l’État
roumain.
222 ANDREI FLORIN SORA
1
Loi du 1er avril 1905.
2
La dénomination de pretor tire son origine du latin (praetorius) où elle désignait la plus haute
fonction dans l’armée après celle de consul, ainsi qu’un haut magistrat élu. En Transylvanie, le
(proto) pretor est la traduction roumaine du chef de cercle administratif (föszalgabiró) sous le
régime hongrois. Il est intéressant de noter que le mot pretor dans l’espace roumain n’a survécu
que dans la République de Moldavie (l’ancienne Bessarabie) où il désigne le chef de
l’administration des arrondissements (sectoare) de la capitale Chişinău. Les pretori de la ville de
Chişinău sont des fonctionnaires publics, nommés par le Conseil de la ville, sur proposition du
maire ; ils sont les représentants du maire dans l’arrondissement.
3
Décret no 697 du 1861, in Colecţiune de legiuirile României …, p. 803.
4
« Le directeur de préfecture a le devoir d’observer le degré de discipline de ses adjoints et de tous
les employés de la chancellerie de la Préfecture, et pour n’importe quelle désobéissance de la règle
ou non accomplissement de leurs devoirs, le directeur expose au préfet ses constats et si la
situation ne s’améliore pas il présente au préfet un rapport par écrit, et si dans ce cas non plus le
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 223
à bien les devoirs du préfet dans son absence du chef-lieu du district ou en cas de
maladie. La fonction de directeur de préfecture était semblable à celle du
secrétaire général de préfecture en France. La création de cette nouvelle fonction
et l’étude de l’activité des préfets et des demandes faites par les ministres de
l’Intérieur de l’époque nous révèlent que les devoirs et même le statut des
membres de l’administration préfectorale ont été occidentalisés par l’adoption et
surtout l’adaptation du modèle français dans l’espace roumain. Ce phénomène a
été mis en place par la modification de la législation et par les administrateurs (les
ministres de l’Intérieur et certains membres de l’administration préfectorale).
Même si jusqu’en 1892, la Roumanie n’a pas connu de loi sur
l’organisation du ministère de l’Intérieur ou de lois qui se penchent exclusivement
sur la fonction de préfet et de sous-préfet, certains des devoirs de ces « serviteurs
de l’État » étaient esquissés dans d’autres actes législatifs et circulaires
ministérielles. Les attributions, les devoirs et même la conduite des agents du
pouvoir central ont été mieux précisés dans des circulaires du Premier ministre
Mihail Kogălniceanu1. Ainsi, en ce qui concerne notre étude de cas, dans une
lettre de janvier 1860, le Premier ministre de la Moldavie demandait aux préfets
de nommer comme dans les préfectures, les sous-préfectures et la police des
fonctionnaires ayant au moins une formation gymnasiale2.
Deux des lois qui ont réduit la nécessité d’une codification spéciale des
attributions des préfets et des sous-préfets ont été La loi des communes rurales et
urbaines (le décret no 394)3 et la Loi des conseils départementaux (le décret no
399), toutes les deux promulguées le 31 mars/12 avril 1864 et parues dans le
Moniteur officiel le 2/14 avril 1864, sous un gouvernement dirigé par Mihail
Kogălniceanu4.
préfet ne prend pas des mesures, le directeur peut rapporter au Ministère en lui présentant les abus
en question ». Colecţiune de legiuirile României …, p. 803-804.
1
De tels écrits administratifs de l’époque de Cuza peuvent être consultés dans l’ouvrage de Vasile
C. Nicolau, Priviri asupra vechii organizări a Moldovei, Bârlad, [1913], p. 243-251.
2
Cf. Nicolae Corivan, « Mihail Kogalniceanu şi organizarea administrativă a Moldovei în prima
sa guvernare din timpul domniei lui Alexandru Ioan Cuza », in Studii şi articole de istorie, vol.
XII, 1968, p. 96.
3
La loi des communes rurales et urbaines de 1864 ne décrivait que la relation administrative entre
les agents du gouvernement et l’administration locale représentée par les maires et les conseils
communaux. Les membres du conseil d’une commune rurale devaient présenter leur démission au
sous-préfet et ceux d’une ville au préfet (art. 52). Le sous-préfet était un agent de médiation entre
les conseils des communes rurales et le Comité directoire (art. 70), Lege pentru comunele urbane
şi rurale a Principateloru-Unite Române, Bucarest, 1865.
4
Ces lois visant l’administration départementale et respectivement rurale avaient comme
fondement les projets de loi du 20 novembre/2 décembre 1861 et du 11/23 juin 1862, issus de la
Commission centrale.
224 ANDREI FLORIN SORA
1
La personnalité juridique du département sera expressément reconnue dans la loi sur
l’organisation des autorités administratives extérieures du ministère de l’Intérieur de 1892, et
ensuite par la loi des conseils départementaux du 31 mai/12 avril 1894.
2
M. Guţan, Istoria administraţiei publice locale …, p. 129.
3
Dans le cas de la loi communale, son principal artisan M. Kogălniceanu avait indiqué très
clairement l’influence belge, Ibidem, p. 98-99.
4
Ibidem, p. 98.
5
L’élection pour le conseil départemental se réalisait sur la base du suffrage censitaire, en
respectant les conditions de la loi électorale du 2/14 juillet 1864, mais les électeurs de chaque
arrondissement étaient rassemblés cette fois-ci dans un seul collège électoral. Le nombre de
membres du conseil départemental a eu l’évolution suivante : par la loi de 1864 deux conseillers
pour chaque arrondissement leur nombre variant ainsi de 2 (pour le département d’Ismail) à 14
(pour les départements de Dolj Argeş, Iaşi, Râmnicu-Sărat, Prahova, Mehedinţi, Vâlcea,
Dâmboviţa), se fixant ultérieurement pour chaque département à 12 (1872), 24 (1883), 18 (1894),
élues sur quatre ans et demi, et renouvelés tous les deux ans.
6
M. Guţan, Istoria administraţiei publice locale …, p. 85.
7
L’institution du Comité permanent a été transformée suite à la loi de 1894 en Délégation
départementale.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 225
1
La loi communale de 1864 a eu elle aussi une grande importance dans le processus de
développement institutionnel de la Roumanie : elle donnait la personnalité juridique aux
communes, créant les prémisses pour un régime d’autonomie locale dans un État moderne.
2
Loi du 2 avril 1864 sur les conseils départementaux, in Colecţiune de legiuirile României …, p.
866-876.
3
En France, ce problème a engendré de nombreux débats et modifications de lois qui ont limité le
pouvoir du préfet, notamment la loi du 10 août 1871, changements qui pourtant n’ont pas
influencé le statut de leurs homologues roumains.
226 ANDREI FLORIN SORA
1
Règlement d’application de la loi sur les conseils départementaux, le 1/13 avril 1872, in
Appendice la Colecţiunea de legiuirile României Vechi şi nuoi, cîte s-au promulgatu de la 1
ianuarie anulu 1871 până la 1 ianuarie 1875 şi în continuare, Bucarest, 1875, p. 53.
2
Ibidem.
3
Christodul Suliotis, Elemente de drept constituţional, Bucarest, 1881, p. 66.
4
Loi sur les communes urbaines et rurales, décret du 5 avril 1874, promulgué le 9 avril 1874, in
Appendice ..., p. 149-151.
5
Dans la loi de 1864, le maire des communes rurales était choisi parmi les électeurs en même
temps que les membres du Conseil. La nomination du maire devait être approuvée seulement par
le préfet. Dans les villes, le maire était nommé par le prince parmi les trois conseillers qui avaient
obtenu les meilleurs résultats à l’élection.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 227
La loi libérale du 1/13 mars 1883 sur les conseils départementaux a mis fin
à l’ambiguïté existant au niveau départemental, en renforçant la décentralisation
administrative: à la tête du Comité permanent il y avait un président, désigné par
le prince régnant parmi les membres du Conseil, chargé, à la place du préfet, de
l’exécution des décisions du Conseil et du Comité. Le préfet restait commissaire
du gouvernement auprès du Conseil, mais son obligation principale était d’assister
le président.
Dans un des premiers traités de droit administratif roumains, outre les
attributions administratives et d’agent de police judiciaire, George D. Bildirescu
en rappelait une autre qui paraissait avoir échappé aux autres juristes de l’époque :
il s’agit des attributions du préfet dans l’ordre judiciaire, en ce qui concernait la
composition des listes de jurés et des listes de membres de la Chambre de
commerce1. Ainsi, dans cette « fonction », le préfet devait juger les contestations
relatives à l’inscription sur les listes en vue de la constitution des Chambres de
commerce, conformément aux articles 8 et 9 de la loi du 2 octobre 1864, de même
qu’il devait se prononcer sur les contestations visant les listes des jurés,
conformément à l’article 268 du Code de procédure pénale, qui lui donnait le droit
de juger cette question en première instance2.
Un texte législatif important qui n’a pas encore fait l’objet d’une recherche
juridique ou historique est la loi du 21 avril 1867, par laquelle les sous-préfets et
les policiers recevaient temporairement des attributions de juges de paix3,
notamment le droit de juger des affaires civiles. Cette attribution a été maintenue
jusqu’en 1879. Il est inutile de souligner que la loi du 21 avril 1867 contredisait le
principe de la séparation des pouvoirs, introduit dans les Pays Roumains avec les
Règlements organiques, un principe bien valorisé dans la Constitution de 1866.
Les essais d’organisation du ministère de l’Intérieur et surtout
d’administration territoriale, promues par Mihail Kogălniceanu, ont été continués
après 1866, mais de nombreux projets de loi et débats dans le Parlement ne se sont
pas concrétisés avant 1892. Comme dans la France de la même période ou dans
d’autres pays européens, la réorganisation de l’administration territoriale a été un
thème majeur de débat dans l’opinion publique et au sein des forces politiques.
Dans la période 1866-1892, les premiers ministres Ion Ghica, C. A. Rosetti,
Theodor Rosetti, le général George Manu (1890)4 ont initié des projets de
réformes concernant les administrations centrale et locale5.
1
George D. Bildirescu, Elemente de drept public şi administrativ, Craiova, 1895, p. 59.
2
Ibidem, p. 59.
3
On rappelle que les agents de l’administration centrale dans l’arrondissement détenaient des
compétences judiciaires bien avant 1867, accordées par Procedura condicii criminale (La
procédure criminelle) du prince Barbu Stirbey ou par la Code de procédure pénale de 1864.
4
M. Guţan, Istoria administraţiei publice locale …, p. 150-151.
5
Pendant cette période, parallèlement au processus officiel de rédaction des projets de loi, nous
signalons aussi des projets de réforme rédigés par des notabilités locales, politiciens, juristes, une
pratique qui existait depuis la première moitié du XIXe siècle. Parmi ces essais on trouve le
228 ANDREI FLORIN SORA
Ion Ghica n’a pas détenu longtemps la fonction de chef du Conseil des
ministres de la Roumanie, fait qui ne l’a pas empêché d’être l’auteur de plusieurs
initiatives législatives ayant comme but la fondation d’un appareil étatique
moderne. Pendant le gouvernement de Ghica, du 15/27 juillet 1866 au 28
février/12 mars 1867, on a rédigé un projet de loi concernant le ministère de
l’Intérieur, un texte moderne dans sa conception et ses buts, par lequel on
établissait les fonctions et la structure de ce ministère1 et les attributions des
fonctionnaires publics. Ce projet n’abordait pas les conditions d’admissibilité ou
les sanctions appliquées aux fonctionnaires en cas d’infractions ou désobéissance
à la loi. En revanche, on accordait plus d’attention à la fonction de préfet, de sous-
préfet et de directeur de préfecture et à d’autres fonctions publiques. Le projet ne
précisait pas, mais ne niait pas non plus le double rôle du préfet (agent du
gouvernement et chef des autorités locales), en présentant d’une manière très
claire les nombreuses attributions du préfet dans sa qualité d’agent du pouvoir
exécutif - l’agent de tous les ministres et le gardien de tous les services publics.
Les attributions du préfet touchaient toutes les sphères de la vie publique
(art. 16-31): la police et l’ordre public, la salubrité et la propreté, l’administration
des biens des fonds publics, l’application de la loi, la moralité publique, le
développement de l’industrie et du commerce, la tutelle sur les Églises et les
prêtres. Ce projet contenait beaucoup d’éléments de modernité, dont l’article qui
mentionne que les décisions du préfet étaient obligatoires, mais qu’il était, d’autre
part, responsable de ses actes. Nous considérons que les initiateurs de ce projet
prévoyaient la bureaucratisation excessive du pays et la nécessité de nommer dans
cette fonction des hommes forts avec un champ d’action et de pouvoir étendus.
Ainsi, un article qui a été effacé précisait que: « toutes les questions d’ordre
administratif prévues par les lois sont résolues par le préfet sans qu’il fasse appel
au ministre. »2
mémoire du général Theodor Balş envoyé en 1867 au Conseil des ministres et à Carol I. Écrit en
français, le texte plaidait pour une plus grande indépendance dans l’administration locale, pour ce
que de nos jours on appelle déconcentration administrative. L’auteur se demandait comment il
était possible d’abandonner la Moldavie à la discrétion des préfets, des sous-préfets, des maires et
des tribunaux judiciaires, en proposant comme solution un gouverneur pour cette région. Mémoire
sur l’administration actuelle de la Moldavie, ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia
administrativă (2601), ds. 397/1867, passim.
1
Dans ce projet, le ministère de l’Intérieur était organisé en deux services et plusieurs directions :
le service central (la direction générale administrative – deux directions, la direction du service
sanitaire central, la direction du Télégraphe et de la Poste, la direction générale des prisons) et le
service extérieur (les préfectures, les sous-préfectures, la préfecture de la police de Bucarest, la
police des villes, auxquelles s’ajoutaient les établissements pénitentiaires et les centres de travaux
forcés et correctionnels et les services locaux du télégraphe et de la poste), ANIC, fonds Ministerul
de Interne. Divizia administrativă (2601), ds. 396/1867, f. 3 v.–4 r.
2
Ibidem, f. 6 v. – 8 v.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 229
1
Ibidem, f. 8 v.
2
Ibidem, f. 8 v., 18 r.
3
Idem, (2602), ds. 299/1871, f. 11 r.
4
D’autres projets sur l’organisation du ministère de l’Intérieur ont été débattus en 1868, 1871,
1874, 1878.
5
DAD, no 74, 11 mars 1882, séance du 10 mars 1882, p. 1190.
230 ANDREI FLORIN SORA
1
MO, no 169, 1/13 novembre 1892, p. 4905-4908.
2
Les attributions du préfet et du sous-préfet de maintenir l’ordre et la sûreté publique se sont
multipliées à la suite de la promulgation de la loi du 1er septembre 1893 sur la gendarmerie rurale.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 231
1
M. Guţan, Istoria administraţiei publice locale …, p. 157.
2
Ibidem, p. 158.
3
Ibidem, p. 198.
232 ANDREI FLORIN SORA
ce qui concerne les communes rurales, la loi de 1904 précisait très explicitement
que les maires exerçaient leurs attributions policières sous le contrôle des préfets.
La fonction de directeur de préfecture était décrite en quatre articles
seulement (Loi du 1er novembre 1892, art. 26-28, art. 48). Ce fonctionnaire était le
chef de la chancellerie de la Préfecture et il devait remplacer le préfet en cas
d’absence de celui-ci1. À la différence des textes des lois antérieures, ce
fonctionnaire cessait d’être simultanément le chef de la chancellerie de la
Préfecture et le secrétaire du Comité permanent. Par la loi sur les conseils
départementaux de 1894, le caractère fort centralisateur opéré par les
conservateurs est aussi visible par le droit que le directeur de préfecture,
jusqu’alors seulement agent du gouvernement, prenait, sous l’artifice de la
délégation, en cas d’indisponibilité du préfet et dans les responsabilités de celui-ci
dans les affaires locales du département.
Les articles concernant la fonction de sous-préfet occupaient un espace
plus grand. En principe, le sous-préfet préserve son rôle d’exécution, mais dans
les cas de force majeure il pouvait prendre des mesures qu’il considérait utiles. Il
avait l’obligation de prendre des mesures garantissant la sûreté générale de son
arrondissement, la protection et la police des foires, des locaux publics et des
routes, l’intervention contre les rébellions, « les réunions séditieuses ou
bruyantes » ou contre d’autres événements qui auraient pu menacer l’ordre public.
A cette fin, il avait le droit d’ordonner l’intervention de la force armée cantonnée
dans son arrondissement. Comme officier de police et comme auxiliaire du
ministère public, le sous-préfet recevait des fonctions policières et judiciaires2 :
d’arrêter les personnes qui tombaient sous l’incidence du Code pénal et de
collaborer avec le tribunal. Comme le préfet, au niveau de son arrondissement, le
sous-préfet devait prendre des mesures en cas de calamités naturelles, et il avait le
droit d’inspecter les hôpitaux, les prisons, les institutions de bienfaisance, etc. Il
était en contact et à la disposition des agents techniques chargés de la construction
ou de l’entretien des routes. Le sous-préfet devait accomplir tous les ordres et les
instructions qu’il avait reçus de la part du préfet, pour l’application des lois et
l’exécution des mesures propres à l’administration, il devait informer le préfet sur
toutes les activités qui avaient eu lieu dans son arrondissement, préfet auquel il
présentait d’ailleurs des rapports mensuels.
1
Les devoirs incombant aux trois catégories d’agents de l’État dans le département ont été plus
explicitement présentés dans le Règlement d’application de cette loi (MO, no 171, 3/15 novembre
1892, p. 5033-5038).
2
Les attributions qu’avaient le sous-préfet de maintenir l’ordre et le contrôle qu’il exerçait sur les
communes rurales au nom de l’autorité centrale se sont renforcées avec la Loi de la gendarmerie
rurale du 1er septembre 1893. La gendarmerie rurale dépendait du ministère de l’Intérieur, du
ministère de la Guerre et du ministère de la Justice. À cette époque-là, au niveau de
l’arrondissement, les unités de la gendarmerie étaient subordonnées au sous-préfet.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 233
1
DAD, no 24, 31 mars 1892, séance du 20 mars 1892, p. 278.
2
Si le préfet était considéré comme haut fonctionnaire, dans le cas du directeur et du sous-préfet
on appliquait l’article 25 de la loi sur l’administration centrale du ministère de l’Intérieur par
lequel les fonctionnaires rétribués avec plus de 200 lei par mois étaient nommés par décret royal
(MO, 19 avril/1er mai 1892, p. 412).
3
Il nous semble utile de noter qu’en Roumanie, le département (judeţ) a fait l’objet sinon de
demandes de suppression au moins de rénovation, visant essentiellement la création d’unités
administratives plus grandes, les régions. De grandes juristes de l’entre-deux-guerres comme
Anibal Teodorescu considéraient le judeţ « en grande partie comme une création artificielle » (A.
Teodorescu, « Viitoarea organizare administrativă a României », in Constituţia României în
dezbaterea contemporanilor, Bucarest, Humanitas, 1990 [1923], p. 416).
4
Sur la question de la suppression des sous-préfets en France : Vida Azimi, « De la suppression
des préfets. Chronique d’une mort ajournée », in Marc Olivier Baruch et Vincent Duclert (dir.),
234 ANDREI FLORIN SORA
1
MO, no 26, le 1/14 mai 1904, p. 985-1009.
2
L’inspecteur communal ne pouvait pas occuper d’autre fonction publique et il n’avait pas le droit
d’exercer une autre profession ; on lui interdisait de pratiquer des activités commerciales, d’être
membre des conseils d’administration ou d’être censeur des sociétés commerciales, industrielles,
agricoles ou financières.
236 ANDREI FLORIN SORA
1
À ce sujet voir Philip Gabriel Eidelberg, The Great Romanian Peasant Revolt of 1907. Origins of
a Modern Jacquerie, Leiden, 1974.
2
MO, no 22, 29 avril 1908, p. 934.
3
La loi de 1908 disposait que les administrateurs ayant passé au moins quatre ans dans le poste
appartenaient à la première classe.
4
MO, no 22, 29 avril, 1908, p. 934.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 237
1
Contrairement à la pratique ancienne du Vieux Royaume, en 1925 on a réglementé dans une
seule loi tant l’organisation administrative du département que celles des communes rurales et
urbaines. MO, no 128, 14 juin 1925, p. 6850-6893.
2
Erast Diti Tarangul, Curs de drept administrativ, Cluj, 1947, p. 107.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 239
1
DAD, no 106, 27 juin 1925, séance du 2 mai 1925, p. 3016.
240 ANDREI FLORIN SORA
1
MO, no 128, 14 juin 1925, p. 6850-6893.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 241
mentionnait que les préfets qui avaient détenu cette fonction pendant plus d’un an
n’étaient plus obligés d’être diplômés d’une université (art. 330). Par la loi de
1929, la fonction de préfet était ouverte aussi aux anciens députés et sénateurs
élus au moins dans trois législatures, sans qu’ils aient besoin d’autres conditions
(Loi du 3 août 1929, art. 269). Les incompatibilités de la fonction de préfet sont
restées celles d’avant 19161. Pourtant, dans ces cas il existait aussi la possibilité
d’obtenir la dérogation : le même article 331 accordait au Conseil supérieur
administratif la liberté d’annuler les éventuelles incompatibilités constatées2.
Pour une administration plus efficace au niveau du département et de
l’arrondissement, les législateurs roumains ont envisagé une relation plus étroite
entre les divers services, fonctionnaires et institutions locales. Dans ce but, par la
loi de 1925, le préfet devait organiser des réunions au moins une fois par an, dans
le chef-lieu de l’arrondissement, avec les maires, les notaires et les autres autorités
locales : le médecin-chef, le vétérinaire, l’ingénieur de département, etc. (Loi du
14 juin 1925, art. 343). À son tour, le préteur devait organiser de telles réunions
au moins une fois tous les deux mois (art. 365). Dans ces séances il fallait discuter
la modalité d’application des lois, les problèmes locaux, etc. Dans les lois
ultérieures, ces réunions administratives se sont institutionnalisées : on parle de la
Commission administrative (1929), titre changé en 1936 en celui de Conseil de la
préfecture.
réaliser les charges imposées par la loi, mais ses actes, avant d’être rendus publics
- et devenir ainsi applicables -, devaient être communiqués par l’intermédiaire des
Directorats ministériels au ministère de l’Intérieur (Loi du 3 août 1929, art. 280).
Un aspect novateur de la loi, mais qui limitait le pouvoir du préfet, était l’article
275 qui obligeait ce dernier à donner son concours pour mener à bien les décisions
du conseil et de son comité exécutif, la délégation du Conseil départemental.
Le préfet est resté le délégué du gouvernement dans le département et le
principal fonctionnaire politique. Il était responsable de la publication et la mise
en pratique des lois et des règlements généraux (art. 274), il surveillait toutes les
administrations du département etc. Le Parti National-Paysan n’a pas réussi
pourtant, ou plutôt ne l’a pas voulu, à déposséder le préfet de la fonction de chef
de la police du département.
Le président de la Délégation départementale est devenu un organe
exécutif, et il devait être distinct de la personne du préfet (l’agent du
gouvernement), comme il était prévu dans les lois antérieures. Le nouveau
responsable du département présidait le Conseil départemental, avec toutes les
attributions découlant de cette dignité, il était également le chef des services
administratifs départementaux, ayant le droit d’établir le champ d’activité des
fonctionnaires administratifs départementaux et le droit d’employer et de licencier
le personnel inférieur de l’administration au niveau du département (art. 256)1. La
fonction de préfet ne perdait pas trop son attraction, notamment par le rôle que le
préfet continuait de jouer dans l’organisation des élections parlementaires.
Néanmoins, au début de l’application de cette loi, plusieurs préfets ont manifesté
leur désir de démissionner de cette fonction et de déposer leur candidature comme
président du Conseil départemental. Ce fut le cas du préfet de Soroca, Gheorghe
Lupaşcu2. Une autre demande de candidature fut celle du premier préteur de
l’arrondissement de Făgăraş, Ion Şiandru3. Aucun des deux ne remplissait la
condition d’être licencié en droit ; en conséquence, ils demandèrent et ils obtinrent
une dispense de la part du ministère de l’Intérieur pour devenir présidents du
Conseil départemental (donc de la Délégation départementale).
Par la loi du 3 août 1929, le chef d’arrondissement, qui change alors
encore une fois son nom en celui de premier préteur (prim-pretor), était
subordonné autant au préfet qu’au président de la Délégation départementale. Il
était nommé par le ministre de l’Intérieur, à la suite du rapport du Directorat,
parmi les candidats déclarés réussis au concours d’admission. Il était aidé dans
l’administration de son arrondissement par un ou plusieurs préteurs (art. 285).
L’accès à la fonction de premier préteur était conditionné par le diplôme d’une
1
On peut observer des ressemblances de cette loi avec la législation hongroise (la distinction entre
le foispán et l’alispán) ainsi qu’avec la loi libérale de 1883, dans le Vieux Royaume.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Direcţia Administraţiei şi Finanţelor locale (1375), ds.
84/1930, f. 31.
3
Idem, ds. 42/1931, f. 9.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 243
Faculté de droit et une expérience d’au moins trois ans de travail effectif dans
l’administration de l’État, du département ou de la commune (art. 286). Il gardait
ses attributions: de surveillance et de contrôle dans les communes de son
arrondissement, chef de la police et auxiliaire de la police judiciaire.
La fonction de sous-préfet était supprimée, mais la majeure partie de ses
attributions étaient transférées à un nouveau fonctionnaire, le secrétaire général du
département, qui était également secrétaire des séances du Conseil départemental
et de la délégation du Conseil. Comme conditions d’admissibilité il lui était
demandé un certificat de capacité, exigible de tout fonctionnaire public, un titre
universitaire, de préférence le diplôme de droit et d’avoir occupé pour une période
d’au moins trois ans la fonction de « chef de service » ; il était nommé par le
Conseil départemental, par scrutin secret et à la majorité absolue des membres
(art. 260). Au milieu des années 1930, en 1935, la fonction d’adjoint du préfet et
de chef de la chancellerie de la Préfecture revenait à son ancien nom, celui de
directeur de préfecture, mais seulement jusqu’en mai 1936, quand, une fois de
plus, ce fonctionnaire a été appelé sous le nom de sous-préfet.
1
Legea administrativă şi regulamentul de aplicare a legii administrative, Bucarest, 1937.
2
À première vue, le processus de déconcentration administrative, par la création de centres de
pouvoir dans chaque département, était évident, mais cette loi avait pourtant un caractère
centralisateur.
244 ANDREI FLORIN SORA
dans les affaires judiciaires (Loi du 27 mars 1936, art. 86). Le préfet était aidé par
un conseil de préfecture, présidé par le préfet et composé des chefs des autorités
administratives locales (art. 91-95). À la différence des lois antérieures, le préfet
recevait de nouvelles tâches. Une de ses attributions visait, d’une manière précise,
les devoirs du préfet en ce qui concerne la défense du département et le
fonctionnement de l’administration pendant un conflit armé. Le préfet devait être
en liaison permanente avec chaque ministère, concernant des questions
spécifiques, et il avait l’obligation d’inspecter au moins deux fois par an le
fonctionnement des services territoriaux des ministères (à l’exception des services
des ministères de la Justice et la Guerre), rédigeant des rapports où il présentait
ses constats, mais également des mesures visant à améliorer le fonctionnement des
services (art. 85). Le même article 85 rappelait que le préfet devait être informé de
toute inspection qui avait lieu dans son département, sauf les directions
territoriales de la Justice et de la Guerre ; dans le cas où c’était le préfet même qui
l’avait demandé, il avait le droit d’assister à l’inspection et de mentionner ses
constats dans le procès-verbal.
La loi du 27 mars 1936 a créé des commissions départementales de
défense passive, présidées par le préfet, qui « dirige et contrôle la rédaction et
l’application des plans de défense du département et des communes, il coordonne
les mesures de défense passive … conjointement avec les autorités militaires ; il
propose pour le budget des sommes qu’il trouve nécessaires pour acheter le
matériel militaire de défense … il contrôle l’activité de distribution à la population
de moyens de protection, sous les ordres du ministère de l’Intérieur … » (art. 85).
Cette loi faisait la lumière dans la législation sur les institutions locales du
département : le conseil départemental et son organe exécutif, la Délégation
permanente. La Délégation permanente était composée de cinq membres,
rapporteurs, choisis par chaque commission1 du Conseil parmi ses membres2 (art.
77). La présidence du comité revenait à l’un de ces rapporteurs et non pas au
préfet, mais la présence du préfet ou de son remplaçant aux séances du Conseil
départemental ou de la délégation – qui se tenaient toutes les deux à la Préfecture -
était obligatoire (art. 78, art. 82). Le système des conseillers élus et de droit s’est
maintenu. Parmi les conseillers de droit devait figurer le dernier préfet, en
fonction pendant au moins six mois, qui bénéficiait de droit de vote délibératif
(art. 75). On remarque ainsi que la fonction de préfet assure, au moins pour une
période de temps, le maintien parmi les personnes influentes, les élites du
1
Les commissions étaient : la commission administrative, financière et de contrôle ; des travaux
publics ; économique ; des cultes et de l’enseignement ; sanitaire et d’assistance sociale (Loi du 27
mars 1936, art. 77).
2
La règle était d’avoir parmi les cinq membres de la Commission permanente au moins un
représentant des partis politiques de la minorité.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 245
département. On peut voir également dans cette tactique un nouvel essai de la part
du gouvernement d’intervenir dans les affaires des instances d’autonomie locale.
Par la loi de 1936, pour accomplir les responsabilités de suppléer le préfet
et de diriger les services administratifs de la préfecture a été réintroduite la
fonction de sous-préfet. Hormis ces attributions mentionnées dans les lois
antérieures (notamment de 1925), la loi du 27 mars 1936 soulignait très
clairement que le sous-préfet était fonctionnaire d’État, payé par le budget d’État
(art. 96) et que « en l’absence du préfet, le sous-préfet est en droit de le
remplacer », mais le ministère de l’Intérieur pouvait néanmoins déléguer comme
préfet un autre fonctionnaire (art. 98). Par cette dernière addition le gouvernement
libéral voulait être sûr que le pouvoir ne lui échappe pas, les sous-préfets et les
chefs d’arrondissement étant des fonctionnaires stables.
En ce qui concerne le chef d’arrondissement, pour être nommé dans cette
fonction il était obligatoire d’avoir un stage d’au moins trois ans comme secrétaire
de la Préture ou de notaire communal, mais on prévoyait que les licenciés en droit
qui avaient réussi l’examen de préteur avant la promulgation de cette loi puissent
être nommés directement dans cette fonction (art. 118). L’inamovibilité des agents
centraux de l’arrondissement, perçue dès la fin du XIXe siècle comme une
condition obligatoire pour une administration publique moderne, est devenue par
la loi du 27 mars 1936, au moins en théorie, un fait accompli. On mentionnait que
le préteur, dont l’ancienneté était supérieure à cinq ans dans la fonction, pouvait
demander une inspection de la commission des nominations et promotions du
ministère de l’Intérieur. S’il recevait l’avis favorable de cette commission le
préteur devenait inamovible (art. 122). D’autre part, la stabilité des préteurs est
sortie renforcée : ceux devenus stables – comme le prévoyait la loi de 1929 - ne
pouvaient plus être transférés d’office que seulement suite au rapport bien motivé
du préfet (art 124). Par la loi de 1936, tous les chefs d’arrondissement en fonction
étaient stables, ce qui annulait l’article de la loi de 1929 qui n’accordait la stabilité
qu’après un an de fonction et avec l’avis favorable du Conseil supérieur
administratif.
Dans la question de la stabilité et des mutations administratives, le sous-
préfet bénéficiait des mêmes droits que le préteur. Les sous-préfets devaient être
recrutés parmi les préteurs inamovibles et diplômés et ils étaient nommés par
décret royal, à la suite de la recommandation du ministère de l’Intérieur, « les
actuels directeurs de préfecture pouvaient être nommés sous-préfets s’ils étaient
munis d’un diplôme d’études supérieures ou s’ils étaient des anciens officiers
actifs, au moins capitaines, sans leur exiger dans ce cas-ci les conditions prévues
par cet article (art. 117).
La loi du 27 mars 1936 prévoyait que les chefs d’arrondissement aient
droit à un logement de fonction, à l’éclairage, au chauffage et à un aide de
246 ANDREI FLORIN SORA
transport (art. 119). Pour toute fraude découverte dans son arrondissement au
détriment d’un service public, le préteur, en plus de son traitement, avait le droit
de toucher une prime de minimum 5% des montants récupérés par les
administrations publiques (art. 121).
L’habitude de nommer comme préfets d’anciens militaires est l’un des traits de
l’administration territoriale roumaine et elle a plusieurs causes : l’armée était un
réservoir des grandes capacités intellectuelles, la grande majorité des hauts
officiers jouissaient d’une bonne origine sociale, la carrière des armes donnait du
prestige, préséance, garantie politique et, pourquoi pas, comme l’avait bien
observé Marie-Bénédicte Vincent un gage de bonne santé1. La militarisation des
élites administratives n’est pas présente seulement dans le cas roumain, elle est
très forte aussi dans le cas de la Prusse avec laquelle on peut facilement établir
plusieurs analogies. Ainsi, tout comme en Roumanie, en Prusse : « L’armée étant
considérée comme le premier pilier de la monarchie, la qualité d’officier de
réserve sert surtout de garantie politique. Le serment de fidélité des fonctionnaires
est calqué sur celui des officiers qui place l’individu dans un rapport d’obéissance
directe au souverain. Les fonctionnaires ayant obtenu la qualité d’officier avant
l’entrée dans l’administration n’ont ensuite plus à apporter la preuve de leur
loyalisme.»2
Dans la loi administrative de 1938, le Conseil de préfecture n’était pas
mentionné, il cessait de fonctionner.
Le préteur était considéré lui aussi fonctionnaire de carrière. Il préservait
ses attributions qui découlaient de sa fonction de représentant du gouvernement
dans l’arrondissement et du chef de la police. On remarque que, à la suite de la loi
de 1938, le pouvoir effectif du préteur s’est sensiblement renforcé, puisqu’on lui
accordait le concours de tous les services de l’État, et aussi des administrations
locales.
En 1929 les anciens sous-préfets sont devenus préteurs, secrétaires de
conseils départementaux et beaucoup d’entre eux ont été assimilés dans les
directorats ministériels dans des postes semblables, conformément à leur grade.
Le rétablissement de cette fonction, sous le nom de directeur de préfecture changé
encore une fois en celui de sous-préfet, ainsi que la création d’une fonction
nouvelle, celle de secrétaire de préfecture ont mis pour quelque temps fin à ce
bouleversement au niveau de l’administration territoriale. Dans la loi
administrative de 1938, la fonction de sous-préfet était supprimée, fait qui, comme
à la fin des années 1920, n’a pas conduit au licenciement des titulaires de ce poste.
Ils bénéficiaient de stabilité. Pour qu’ils bénéficient encore de droits salariaux, le
budget d’État a créé 71 nouveaux postes de préteurs, dotés du même salaire que
celui qu’ils percevaient comme sous-préfets, « ces salaires, étant considérés
comme des droits personnels, ne seront payés qu’aux titulaires, et en cas de
vacance, ils seront considérés comme des postes de préteurs de première classe,
1
Marie-Bénédicte Vincent, Serviteurs de l’État : les élites administratives en Prusse de 1871 à
1933, [Paris], Belin, 2006, p. 76.
2
Ibidem, p. 76-77.
248 ANDREI FLORIN SORA
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I, (754), minute avec numéro d’enregistrement, ds.
12/1939, f. 32.
2
Ibidem, f. 14 r.
Chapitre VII
1
C. Z. Popazolu (directeur du service vétérinaire dans le cadre du ministère de l’Agriculture et des
Domaines), Funcţionarismul public sub raportul profesional, administrativ şi social-naţional,
extrait de la revue Démocratie, Bucarest, 1922, p. 36.
250 ANDREI FLORIN SORA
1
Le nombre de communes dans un arrondissement variait entre 30 et presque une centaine.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 251
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I (754), ds. 309/1934, f. 2.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia comunală (318), ds. 566/1866, f. 113 r. v., f. 119-122
r. v.
3
Almanahul administrativ ilustrat pe anul 1905, deuxième édition, Bucarest, Editura Revistei
„Administraţia Publică”, 1904, p. 141.
4
Sur ce sujet voir le rapport confidentiel du préfet de Dolj adressé au ministre de l’Intérieur I. I. C.
Brătianu, AJD, fonds Prefectura judeţului Dolj, ds. 13/1907, f. 75.
252 ANDREI FLORIN SORA
1
Le dossier personnel de Vasilescu (une seule feuille cartonnée), AJBv, fonds Prefectura judeţului
Braşov. Serviciul administrativ, ds. 1/1923, f. 70.
2
Le dossier personnel de Vasilescu, Idem, ds. 4/1928, f. 2 r, v. – 5r., v.
3
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (320), ds. 6/1884, f. 108 r., v.,
109 r., v.
4
Ibidem, f. 110 et f. 113.
5
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2601), ds.77/1867, f. 131 r.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 253
1
« Loi visant à charger provisoirement les sous-préfets et les policiers avec des attributions de
juges de paix », Décret du 21 avril 1867.
art. 1 Jusqu’à la nomination des juges de paix, les sous-préfets et, dans les villes, les policiers ont
la compétence d’exercer leur attributions, en jugeant sans ou avec appel au tribunal, conformément
aux lois en vigueur, civiles ou pénales.
art. 2 Pour Bucarest et Iaşi, on va créer des justices de paix, conformément à la loi, et ayant accès
aux fonds des tribunaux policiers qui restent supprimés.
(Colecţiune de legiuirile României vechi şi nuoi cîte s-au promulgat pene la finele anului 1870,
Bucarest, 1873, p. 799).
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2602), ds. 131/1875, f. 1 r., v., 2 r.,
v., 10 r.
3
Idem, (2601, 2602), ds. 399/1867, ds. 76/1872, ds. 131/1875.
254 ANDREI FLORIN SORA
1
Idem, (2601), ds. 399/1867, f. 4.
2
Ibidem, f. 6.
3
Ibidem, f. 82
4
Minute, Ibidem, f. 5.
5
Ibidem, f. 26, f. 33.
6
Ibidem, f. 35.
7
On donne comme exemple la lettre d’un sous-préfet dans le département de Buzău: « les travaux
de la chancellerie de la Sous-préfecture sont surchargés parce que dans cet arrondissement il y a
beaucoup de paysans moşneni qui ont possédé auparavant des terres en commun et il y a entre eux
de nombreux procès sur des questions de propriété ou pour dettes ». Ibidem, f. 33.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 255
1
Idem (2602), ds. 131/1875, f. 29.
2
Idem, ds. 76/1872, f. 7 r., v.
3
Une telle plainte fut par exemple portée contre le sous-préfet de l’arrondissement de Topologul,
Ibidem, f. 10, 11.
256 ANDREI FLORIN SORA
1
Minute avec numéro d’enregistrement, ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia
administrativă (2601), ds. 77/1867, f. 1.
2
Ibidem, f. 1 v.
3
Voir la lettre du préfet de Tecuci, Mihail Buzdugan, Ibidem, f. 16.
4
Nous ne disposons pas de données statistiques, mais la majorité des préfets étaient originaires ou
avaient des propriétés dans le département où ils exerçaient cette fonction.
5
Gr. Holban préfet du département de Dorohoi du 19/31 janvier 1871 au 14/26 juin 1872.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 259
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia comunală (318), ds. 105/1871, le rapport no 19 de
14/16 septembre 1871, f. 16-19.
2
Grigore Chiriţă, Organizarea instituţiilor moderne ale statului român (1856-1866), Bucarest,
Editura Academiei Române, 1999, p. 96-97.
3
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia comunală (318), ds. 132/1874, f. 16-19.
4
Vasile Lascăr, Discursuri politice, vol. I, Bucarest, 1912, p. 554-555.
260 ANDREI FLORIN SORA
jugées injustes1. À la fin de l’année 1871, à la suite d’une avalanche de lettres des
communautés paysannes du département de Dolj (anciens paysans corvéables, des
serfs) et des avertissements de la part des fonctionnaires administratifs de la
région, le Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Lascăr Catargiu, demanda au
préfet de veiller aux engagements agricoles des propriétaires envers des anciens
serfs ; dans le cas contraire de prendre les mesures nécessaires : rédiger des
procès-verbaux et les passer au Tribunal2. À son tour, le préfet de Dolj envoya des
ordres similaires aux sous-préfets3, ordres qui dévoilaient la connaissance exacte
de la situation dans son département et la véracité des plaintes des paysans
adressées au ministre de l’Intérieur.
Nous avons rencontré des situations relativement nombreuses où les sous-
préfets accomplissaient leurs devoirs, en respectant la loi et en tenant compte
aussi des intérêts des paysans. Le travail de Gheorghe Cristea sur les contrats
agricoles entre 1862-1888 nous fournit des exemples de tels sous-préfets qui
avaient découvert des faux dans les contrats agricoles au profit des fermiers, faits
par ces derniers ou par les autorités communales (le maire ou l’adjoint du maire).
Cette pratique très habituelle, était simple : les paysans, illettrés pour la plupart,
acceptaient de signer ces documents sans connaître leur contenu. Dans le
département de Mehedinţi, le fermier Constantin Scafeşi fit signer par 168
habitants de la commune de Cujmir un contrat qui mettait les signataires dans la
condition de « quasi-esclaves »4. Ainsi, le contrat stipulait que les paysans avaient
déjà été payés (sans l’être réellement) et qu’ils garantissaient le contrat avec leurs
propres biens. Le rapport du sous-préfet mit au jour l’injustice de ces contrats
agricoles et la complicité dans l’affaire de l’adjoint du maire de la commune.
Néanmoins, les quelques prises de position contre les grands propriétaires terriens
n’ont amélioré que très peu les conditions matérielles des paysans pauvres. Les
actions visant à défendre et à donner raison aux paysans avaient été entreprises par
les sous-préfets avec beaucoup de prudence. Il est intéressant d’observer que le
langage utilisé par les sous-préfets pour décrire les conflits entre propriétaires et
paysans, même là où la loi donnait raison aux derniers, était soigneusement choisi.
Dans une lettre adressée au préfet, le sous-préfet de l’arrondissement Amaradia-
Ocolu du département de Dolj présenta la demande d’un propriétaire que la Sous-
préfecture imposât aux paysans de travailler ses terres à la suite des obligations
établies quatre ans auparavant5. Le sous-préfet mentionna le fait que la loi ne
prévoyait pas l’exécution par les paysans de contrats signés quatre ans auparavant,
1
Voir le rapport du préfet et du sous-préfet concernant les réclamations des paysans de Giubegeni
contre le fermier de la propriété de Salcuta, AJD, fonds Prefectura judeţului Dolj, ds. 96/1870, f.
1, 2, 4.
2
Idem, ds. 284/1871, f. 2.
3
Ibidem, minute, f. 3.
4
G. Cristea, op. cit., p. 113.
5
AJD, fonds Prefectura judeţului Dolj, ds. 173/1888, f. 111.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 261
avaient pour causes l’insuffisance de la terre qui leur était accordée et les
injustices produites par les contrats agricoles. Si certains paysans ou même des
communautés rurales entières ne respectaient pas les engagements des contrats
agricoles, et parfois même sans que ces contrats soient explicites concernant
différents travaux, le fermier présentait au conseil de la commune ses
mécontentements. La commune, par ses fonctionnaires (maire, adjoint de maire,
« gendarme » etc.) devait convaincre les signataires de la convention de respecter
les engagements. Si les paysans refusaient d’honorer ces contrats, le conseil
communal demandait le soutien du sous-préfet qui était obligé d’envoyer des
compagnies de soldats pour les forcer de travailler ou pour les poursuivre.
Les préfets étaient en étroite communication avec le ministère de
l’Intérieur qui envoyait des télégrammes pour appeler leur attention sur les
éventuels périls dont les plus fréquents étaient les révoltes paysannes. En 1888, la
Roumanie fut le théâtre des plus importantes révoltes paysannes jusqu’à ce
moment-là. Quelques jours après les premiers signes de la révolte, le Premier
ministre envoya aux préfets cette information et l’ordre d’empêcher que la révolte
paysanne se propage (télégramme no 4492 du 31 mars 1888)1. Le préfet de Dolj
transmit aux sous-préfets le contenu de ce télégramme presque mot à mot2. Les
adresses du ministère de l’Intérieur contenaient des conseils pour l’action de
répression des émeutes : « des personnes malveillantes invitent les habitants de
certains villages à se révolter sous différents prétextes. Vous devez donner donc
les ordres les plus sévères pour les poursuivre et les arrêter … »3. Les préfets
envoyèrent ces ordres aux sous-préfets qui avaient l’obligation de faire des
inspections et de rédiger des rapports concernant l’état de leur arrondissement. Par
exemple, dans un rapport rédigé le 12 avril 1888, le sous-préfet de
l’arrondissement de Balta déclarait au préfet que dans sa circonscription
administrative « le calme parmi les habitants est tout à fait satisfaisant, il n’y a
aucune agitation », qu’il avait communiqué aux maires les recommandations du
Ministère et il promettait de tenir au courant le préfet sur la situation dans sa
circonscription4. À la fin d’avril et au début de mai, par plusieurs lettres adressées
au préfet, le commandement du Ier Corps d’Armée informa ce dernier des émeutes
qui avaient gagné quelques villages de l’arrondissement de Balta et que le sous-
préfet et son adjoint étaient introuvables5. À son tour, le sous-préfet envoya au
préfet une lettre par laquelle il l’informait que les mouvements paysans de son
arrondissement n’étaient pas tout à fait des révoltes, mais plutôt des incidents très
habituels dans les villages, surtout pendant les Pâques. Pour ces raisons, il
1
Idem, ds. 112/1888, f. 5 r., v.
2
Ibidem, f. 6 r., v.
3
Ibidem, f. 9 r., v.
4
Ibidem, f. 14.
5
Ibidem, f. 45 r. v., 48 r. v., 53, 54 , 73, 78.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 263
1
Ibidem, f. 4.
2
Ibidem, f. 2.
3
Ibidem, f. 6.
4
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2601), ds.77/1867, f. 317 r.
5
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (330), ds. 81/1912, f. 4-5 r. v.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 265
1
Au début du XXe siècle, le nombre d’appareils téléphoniques a augmenté et les locaux
administratifs en ont installé. Par exemple, la sous-préfecture de Filipeşti demanda et obtint, en
1908, la création d’un poste de téléphoniste – camériste, rétribué avec 60 lei par mois, AJP, fonds
Pretura Filipeşti, ds. 60, f. 65.
2
Idem, ds. 274, f. 78.
3
Ibidem, f. 21.
266 ANDREI FLORIN SORA
en Moldavie – furent payés trois mois à l’avance1. On ne devait pas créer un vide
administratif, il fallait faire montre d’une autorité reconnue qui s’interpose entre
les conquérants et les citoyens roumains. Constantin Kiriţescu, contemporain avec
ces événements et auteur d’une monographie sur la Roumanie dans la Première
Guerre mondiale dépeint l’agitation parmi les fonctionnaires de l’administration
centrale pour quitter Bucarest : « Pendant toute la journée les ministères ont été la
scène de combats acharnés. On visait l’inscription sur la liste de ceux qui devaient
partir avec le gouvernement en Moldavie. Les ministres étaient harcelés,
implorés … le départ des autorités donnait parfois l’impression de la fuite d’une
minorité de privilégiés et l’abandon de la majorité»2. Beaucoup d’agents de l’État
se sont réfugiés en Moldavie, quittant leur travail sans l’autorisation des
supérieurs.
Dans le territoire occupé, excepté la Dobroudja, l’administration roumaine
a survécu. Avant son départ pour Iaşi, le gouvernement laissa l’administration du
pays entre les mains de Lupu Kostaki, membre du Conseil supérieur administratif,
récemment nommé secrétaire général du ministère de l’Intérieur. Lupu Kostaki
(Costaki), ancien préfet tant sous les conservateurs que sous les libéraux et ancien
secrétaire général du ministère de l’Intérieur, était un proche du conservateur-
junimiste P. P. Carp, son « ami et chef politique »3. D’autres institutions centrales
roumaines ont continué de fonctionner dans le territoire occupé : le ministère des
Finances, le ministère des Domaines, le ministère de la Justice, le ministère de
l’Instruction publique et des Cultes, le ministère des Travaux publics et la
Préfecture de Police de Bucarest4. À la tête de ces institutions, comme gérants, ont
été nommés des Roumains germanophiles. Leur pouvoir de décision était assez
limité : tout ordre des autorités roumaines devait être contresigné par un officier
des Puissances centrales, délégué auprès ces institutions5. La communication entre
les différents échelons administratifs c’est avérée difficile, faute du
fonctionnement à paramètres normaux de la Poste, du service de télégraphe, de la
Société des Chemins de fer6.
En ce qui concerne le régime d’administration locale dans le territoire
occupé, celle-ci était subordonnée à l’administration militaire des armées de la
Triple Alliance. On peut distinguer plusieurs degrés et régimes d’occupation
militaire : le territoire de l’administration militaire, spécifique pour la plus grande
partie occupée ; une autre zone, à proximité du théâtre d’opérations (dans les
1
Constantin Kiriţescu, Istoria războiului pentru întregirea României, vol. I, Bucarest, Editura
Ştiinţifică şi Enciclopedică, 1989 [1922], p. 555.
2
Ibidem.
3
Bibliothèque de l’Académie Roumaine (BAR), Département des Manuscrits (Mss.), Lupu C.
Kostaki, Memoriile unui trădător, 1850-1919, (A 1825), p. 55.
4
Emil Răcilă, « Organizarea militaro-administrativă a teritoriului românesc vremelnic ocupat
(1916-1918) », Revista de istorie, tom 31, no 10, oct. 1978, p. 1846.
5
C. Kiriţescu, vol. II, p. 280.
6
Ibidem, p. 265.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 267
1
E. Răcilă, p. 1840.
2
C. Kiriţescu, op. cit., vol. II, p. 279.
3
Ibidem.
4
E. Răcilă, op. cit., p. 1840.
5
Ibidem.
6
L’ordonnance no 88 du Commandement Militaire, du 23 avril 1917 in V. Scânteie, Decrete şi
decizii publicate în „Monitorul oficial” până la ocupaţiunea germană, de la 7 iulie 1916 până la
20 noiembrie 1916 şi ordonanţe cari complectează, modifică sau aprobă unele din aceste decrete
şi decizii, vol I, Bucarest, Editura Brănişteanu, 1917, p. 108.
268 ANDREI FLORIN SORA
1
Retenons comme exemples : la nomination de Valeriu Iancovescu comme policier de première
classe à Constanţa ou de Gheorghe Gologan comme directeur de première classe de la police de
Bazargic, MO, 19 septembre 1917,
p. 1486.
2
Le rapport de Nicolae Marinescu, ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei
centrale (330), ds. 101/1920, f. 114.
3
L’ordonnance no 21 du Commandement Militaire, V. Scânteie, op. cit., p. 166-168.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 269
menée par l’administration centrale suite aux réclamations faites contre lui par le
chef de la section de gendarmes d’Urziceni. Marinescu bénéficia du soutien du
préfet1. L’enquête donna raison à Nicolae Marinescu : il fut blanchi des
accusations d’avoir aidé l’occupant et d’avoir mal administré son arrondissement2.
Il est intéressant de mentionner que Ioan C. Filitti et Nicolae Marinescu avaient
indiqué comme « patron » du département un fermier et propriétaire local, Paul
Teodoru, proche de l’homme politique germanophile Alexandru Marghiloman. Le
but de Paul Teodoru était d’imposer ses proches dans les postes de direction de
l’administration locale ; pour se maintenir au poste, les agents du département de
Ialomiţa ne devaient pas entrer en conflit avec celui-ci. Nous pouvons ainsi
supposer que les réseaux d’influence et d’amitié et les rapports de clientèle sont
plus forts dans des périodes de crise, comme a été le cas pour l’occupation
militaire de la Valachie pendant la Première Guerre mondiale.
Au lendemain de la Grande guerre, les Roumains ont jeté le blâme sur
ceux qui avaient occupé des fonctions publiques entre décembre 1916 et octobre
1918 dans le territoire administré par les Puissances centrales. Maintes fois, à
juste titre. Néanmoins, le nombre des condamnations reste réduit, nous ne
pouvons pas parler d’une véritable épuration de l’appareil administratif. Il s’agit
plutôt de quelques cas très connus, voire évidents, et des préfets nommés en
Valachie par le gouvernement Marghiloman. Et pourtant, cette accusation pouvait
constituer un bon argument pour éloigner un indésirable, mais dans ce cas aussi le
processus était assez lent. Ainsi, un administrateur d’arrondissement, dans le
département de Dolj, accusé d’avoir recueilli des signatures pendant l’occupation
pour le renversement du roi Ferdinand3 ne fut destitué qu’en 1921 à la suite des
abus répétés et à la demande de son préfet de le déférer à la justice4.
De l’autre part, les fonctionnaires restés en Valachie pendant l’occupation
de la Triple Alliance ont accusé de lâcheté ceux qui ont choisi de fuir en 1916,
pour rentrer deux ans plus tard en héros5, même si c’étaient eux qui avaient laissé
le pays à la discrétion de l’ennemi.
1
Le rapport du préfet sur cette affaire, Ibidem, f. 109.
2
Nous avons poursuivi la carrière de ce fonctionnaire : il est resté chef d’arrondissement dans le
département de Ialomiţa ayant de la part de ses supérieurs de très bons qualificatifs. Voir le rapport
du préfet de Ialomiţa visant l’activité de N. Marinescu dans sa qualité de chef d’arrondissement de
Feteşti. Idem, (331), ds. 52/1921, f. 1 r., v., 2.
3
Idem, ds. 494/1921, f. 1.
4
Ibidem, f. 102 r., v., 103.
5
Rapport de Nicolae Marinescu, Idem, ds. 101/1920, f. 115.
Chapitre VIII
L’entrée dans le corps préfectoral
C. I. Stoicescu,
député, discours à la Chambre des députés, 18921
Quel impact peut avoir sur la carrière de quelqu’un son origine sociale et
géographique, sa formation intellectuelle et son premier emploi, dans un pays où
se constituait un appareil étatique autant qu’une sphère publique modernes ?
Le travail sur deux échantillons de préfets, un pour le Vieux Royaume et
l’autre pour la Grande Roumanie, ainsi que l’étude des chefs d’arrondissement
et des directeurs de préfecture/sous-préfets de 1893, 1897, 1914, 1938 nous ont
permis de dépasser l’analyse qualitative et de ne pas limiter notre recherche à
quelques exemples. Le nombre très grand de sujets et la pénurie d’informations2
en ce qui concerne l’origine sociale nous empêchent d’entreprendre une analyse
qualitative exhaustive. Notamment dans le cas des préfets d’avant 1916, le nom de
famille, l’origine géographique – au XIXe siècle beaucoup d’entre eux étaient nés
sur la propriété de leur parents –, la formation scolaire – l’université où ils avaient
étudié, la première fonction dans l’administration représentent autant d’indices qui
nous aident à déterminer l’origine et les stratégies sociales des membres du corps
préfectoral.
1
DAD, no 48, 23 mai 1892, séance du 8 mai 1892, p. 684.
2
Dès le début de notre recherche nous avons été surpris de constater le silence historiographique
sur des personnalités qui autrefois détenaient les hautes fonctions publiques. La pauvreté des
informations d’archives sur le personnel préfectoral a été suppléée par des fiches biographiques
que nous avons trouvées dans les annuaires du ministère de l’Intérieur, dans les dictionnaires, dans
les monographies locales, etc.
272 ANDREI FLORIN SORA
1
On saisit l’essai du pouvoir princier de mieux centraliser, mais aussi de s’enrichir, dans un pays
où les boyards étaient exclus du payement des impôts.
2
Les descendants des grands boyards entraient dans la catégorie de neamuri, parents, (ils ne
payaient aucun impôt) et ceux des boyards de seconde classe dans la catégorie de mazili (ils
payaient un impôt spécial).
3
Gheorghe Platon, Alexandru-Florin Platon, Boierimea din Moldova în secolul al XIX-lea.
Context european, evoluţie socială şi politică (Date statistice şi observaţii istorice), Bucarest,
Editura Academiei Române, 1995, p. 89.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 273
avons pu constater que non seulement la plupart des préfets, mais aussi de
nombreux sous-préfets et directeurs de préfecture faisaient partie de la classe des
boyards1. La fonction publique était une modalité d’ascension sociale ou au moins
de maintien du prestige.
Être préfet pouvait constituer pour un notable local un moyen d’obtenir
plus de légitimité à un niveau plus haut: à l’intérieur de son parti et au niveau
national. Sous le Vieux Royaume, les préfets nommés par le pouvoir central sans
avoir de liens avec leur département (par des propriétés agricoles, des liens de
parenté, ou par leurs fonctions antérieures) n’apparaissent en général que dans des
moments critiques, au niveau national ou régional. Au fur et à mesure, les fils des
boyards sont motivés dans leurs demandes de fonctions publiques par des raisons
différentes. Nombreuses ont été les situations où ils n’ont pas réussi à bien garder
leur statut social et leur niveau de vie ; ils se trouvaient d’un coup dans la situation
de rechercher un revenu stable, auquel s’ajoutaient d’habitude les bénéfices
illégaux de la fonction. Si on prend comme étude comparative le cas de la
Hongrie, on voit bien que la fonction publique fut un débouché surtout pour la
petite noblesse2. En Roumanie, le manque d’études d’histoire sociale sur ces
problèmes nous empêche d’avancer des chiffres concernant ces phénomènes, mais
les exemples sont assez nombreux ; en ce qui concerne les préfets, on observe que
leur famille, surtout pendant le Vieux Royaume, était très liée au département et
possédait de grandes propriétés agricoles.
La fonction de préfet offrait de la légitimité et de la préséance3. À côté
d’une bourgeoisie urbaine, orientée vers les domaines économiques, vit le jour
une bourgeoisie de dignitaires qui jouissait de la prospérité matérielle, sans avoir
en même temps un pouvoir économique réel4. En plus, « la composition humaine
de la bureaucratie se modifie nettement en faveur des parvenus, des gens qui
n’appartenaient pas à l’aristocratie »5. À ce processus n’échappe pas l’institution
préfectorale, même s’il se montre plus évident dans le cas des chefs
d’arrondissement et des directeurs de préfecture. En ce qui concerne les préfets on
observe un phénomène intéressant : l’entrée dans cette fonction s’est produite
dans le cas des « parvenus », ayant déjà fait preuve de leurs qualités politiques ou
administratives dans des fonctions autres que la dignité préfectorale.
1
Il ne manque pas d’exemples de fils de grands boyards et de familles très puissantes qui ont
choisi d’être nommés dans ces fonctions subalternes (directeur de préfecture, sous-préfet) pour y
acquérir de l’expérience et pour élargir par contact direct le cercle de leurs connaissances, pour
arriver dans d’autres dignités publiques.
2
Gyorgy Ranki, « Le développement de la bourgeoisie hongroise de la fin du XVIIIe siècle au
début du XXe siècle », in Jürgen Kocka (dir.), Les bourgeoisies européennes au XIXe siècle, Paris,
Belin, 1996, p. 131-149.
3
Il faut tenir compte du fait qu’à la campagne le fonctionnaire et son arsenal symbolique influence
beaucoup une paysannerie qui doit rester soumise.
4
Sorin Alexandrescu, Privind înapoi modernitatea, Bucarest, Univers, 1999, p.102.
5
Ibidem.
274 ANDREI FLORIN SORA
1
Eftimie Popovici, préfet de Bălţi (1922-1923) et président de la Fédération des Banques
populaires dans le même département ; Simion Rus, préfet de Someş en 1926; Petre Corneanu,
préfet de Caraş en 1927, directeur de la banque locale Oraviţiana (à partir de 1912); Cornel
Corneanu, préfet de Severin (1927-1928); Nicolae Popescu-Răducan, préfet de Prahova (1919) et
de Olt (1933-1936); Constantin Vasile Negrescu, préfet de Dolj en 1927; Alexandru Aciu, préfet
de Sălaj, de 1928 à 1931; Liviu Dan, préfet de Cluj en 1932.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 275
1
Armand Călinescu, Discursuri parlamentare, vol. I, 1926-1933, séance de la Chambre des
députés du 3 juillet 1931, Bucarest, Fundaţia Culturală „Magazin Istoric”, Editura Quadimpex
SRL, 1993, p. 149.
276 ANDREI FLORIN SORA
1
Nous rappelons parmi ceux-ci Remus Opreanu, Luca Ionescu - un proche du dirigeant
conservateur G. G. Cantacuzino, Emanoil Culoglu, Paul Stătescu.
2
Alexandru Macedonski, directeur de préfecture à Silistra, avait détenu antérieurement les
fonctions de sous-préfet de l’arrondissement de Bolgrad et administrateur de Sulina et du Delta du
Danube. Alexandru Macedonski est entré en conflit autant avec ses supérieurs qu’avec la
population locale.
3
Ion Cămărăşescu, Radu Mandrea, E. Melidon. C’est le cas d’Ion Cămărăşescu, conservateur, qui
après la dissolution de ce parti au début des années 1920 a changé régulièrement de parti: Parti du
Peuple, Parti National Roumain, Parti Démocrate, Parti National Démocrate. Même s’il était le fils
d’un très grand propriétaire terrien de Bărăgan et lui-même avait dans les années 1920 des terrains
au nord du Danube, le département où il a exercé la fonction de préfet, Durostor, va devenir son
fief électoral et politique ; de cette manière son poids au niveau local est devenu plus grand.
Constantin Angelescu procéda d’une manière semblable en 1926, profitant de sa fonction de préfet
à Caliacra.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 277
Après 1918, dans le sud de la Dobroudja on a nommé comme préfets des roumains
nationalistes, liés à cette province par adoption2 ou même par naissance3.
Dans la Grande Roumanie, le nombre des préfets nommés à plusieurs
reprises dans différents départements est sensiblement plus faible qu’il n’était dans
le Vieux Royaume. Si dans le Vieux Royaume le statut social assurait l’accès à la
fonction publique, dans la Grande Roumanie la situation se renverse : la fonction
publique est devenue une voie pour la promotion sociale. La fonction de préfet était
convoitée par les potentats locaux, modalité pour eux de préserver leur influence à
l’intérieur du parti. En outre, le nombre de factions politiques arrivées au pouvoir et
de défections politiques a été plus grand après 1918.
La Bessarabie a été un territoire perçu par tous les gouvernements comme
difficile à administrer ; ses départements ont été maintes fois placés sous l’état de
siège, fait qui a influencé radicalement le régime d’administration de cette région.
La Bessarabie représente un cas extrême d’administration pour l’État roumain.
Les élites politiques locales n’ont pas réussi à opposer de la résistance au pouvoir
central de Bucarest, comme ce fut le cas en Transylvanie4 où la pénétration des
regăteni – les gens du Vieux Royaume – dans la vie administrative de la province
est restée assez limitée. En Transylvanie, « Bucarest » n’a même pas réussi à
imposer la nomination ou le transfert des regăţeni dans les fonctions subalternes
de chef d’arrondissement. Nous avons rencontré dans nos archives un cas assez
inhabituel : le préfet d’un département de la Bessarabie (Soroca), où le maintien
de l’ordre était considéré comme assez difficile, a utilisé comme argument pour
écarter un chef d’arrondissement, le fait qu’il était originaire de ce département et
que « il a plusieurs liens de parenté et d’amitié, attirant la suspicion sur ses
différents actes administratifs »5.
Les rapports de soumission entre le centre et la périphérie et les services
réciproques qu’ils se rendaient sont des aspects qu’à ce stade de notre parcours de
recherche il nous est difficile d’évaluer et de quantifier. Pour illustrer ces aspects,
on va se référer à un cas précis : en décembre 1919, quelques jours après sa
nomination par le Conseil dirigeant, par l’intermédiaire des Roumains de la
Transylvanie, le gouvernement de Bucarest demanda au préfet de Bihor, Nicolae
Zigre, de déposer sa démission. Le gouvernement voulait mettre dans cette
1
George Georgescu, Victor Bilciurescu.
2
Par exemple Taşcu Pucerea, préfet de Durostor de 1922 à 1926 et E. Melidon, préfet de Durostor
entre 1928 et 1931. Melidon était originaire de Bucarest, diplômé de la Faculté de droit de
Bucarest, il a participé à la campagne de 1913 contre la Bulgarie et à la prise de Silistra.
3
Alex Tarcinus, préfet de Durostor en 1932, est né ici.
4
De nombreux hommes politiques roumains de Transylvanie avaient exercé la profession d’avocat
même à Vienne et à Budapest, et la plupart des préteurs, des sous-préfets avaient détenu de petites
ou de moyennes fonctions au niveau local sous l’administration hongroise. Si on observe le
recensement hongrois de 1900, les Roumains occupaient 10.025 fonctions publiques, dans leur
grande majorité de petites fonctions (Ladislas Makkai, Histoire de la Transylvanie, ouvrage édité
par l’Institut Paul Teleki, Budapest, Presses Universitaires de France, Paris, 1946, p. 329).
5
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (332), ds. 4/1931, f. 104 v.
278 ANDREI FLORIN SORA
1
ANIC, fonds Nicolae Zigre (1722), ds. 16, f. 1.
2
Jeanne Siwek-Pouydesseau, Le corps préfectoral sous la Troisième et sous la Quatrième
République, Paris, Armand Colin, 1969, p. 30.
3
Ljubinka Trgovcevic, « La science européenne et les élites balkaniques: considérations
statistiques sur les étudiants des pays balkaniques dans les universités allemandes et françaises au
XIXe siècle », in Balkanologie, vol. IV, no 1, septembre 2000, p. 132.
4
Voir Laurenţiu Vlad, « Români la Universitatea Liberă din Bruxelles. Titularii unui doctorat în
ştiinţe politice şi administrative (1885-1899) », in Romanian Political Science Review, vol. VI, no
3, 2006, p. 635-640.
5
Voir Victor Karady, « La migration internationale d’étudiants en Europe, 1890-1940 », in Actes
de la Recherche en Sciences Sociales, no 145, décembre 2002, p. 55-56.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 279
1904, et notamment en 1908, était assez élevé1. Par la loi de 1925, le sous-préfet
(l’ancien directeur de préfecture) devait être diplômé en Droit ou avoir terminé
une école administrative, qui n’existait pas encore2 et avoir été, pendant au moins
cinq ans, chef d’arrondissement (art. 353). Le candidat à la fonction de préteur (le
chef d’arrondissement) devait détenir le diplôme de la même école administrative
et avoir fonctionné pendant cinq ans comme notaire stable avec titre académique
(art. 361). Une décennie plus tard, par la loi administrative de 1936 ; une telle
institution, mais non pas celle imaginée en 19253, a été créée : le Centre
d’instruction technique administrative des fonctionnaires publics (Centrul de
pregătire tehnică administrativă a funcţionarilor publici). Il est intéressant de
noter que les stagiaires ne pouvaient appartenir qu’au ministère de l’Intérieur.
Dans l’entre-deux-guerres on assiste à une professionnalisation accrue des
chefs d’arrondissement. Le préteur et le sous-préfet (l’ancien directeur de
préfecture) devaient posséder un diplôme d’études supérieures dans le domaine
juridique ou administratif et une expérience d’au moins cinq ans, comme chef
d’arrondissement pour le premier et comme « notaire communal »4 inamovible
avec titre académique pour le deuxième. Si dans l’entre-deux-guerres le prestige
lié au statut social et professionnel est nettement inférieur à celui de la fin du XIXe
siècle, parallèlement, les conditions d’admission et les possibilités d’aboutir à la
1
Si au début du XXe siècle les sous-préfets sans diplôme affirmaient leur légitimité par la bonne
connaissance de l’arrondissement, après la Première Guerre mondiale les gens entrés dans le corps
après 1904 et 1908 se valorisaient par rapport aux candidats jeunes par la même qualité. Les chefs
d’arrondissement de la génération 1900 ont développé même un certain esprit de corps qui reposait
sur la crainte du renouveau administratif, des études universitaires de Droit, faites dans presque le
même temps, des âges proches et notamment des intérêts financiers communs.
2
En ce qui concerne ces nouvelles conditions il faut dire qu’elles n’étaient pas réalisables en 1925
simplement parce que il n’existait pas à ce moment-là en Roumanie un tel centre d’instruction
administrative. On décida donc que ce manque serait suppléé par le diplôme d’une faculté de Droit
ou des Sciences d’État.
3
Un équivalent a été créé quelques années plus tard : l’École de documentation et de sciences
administratives, également une initiative privée, fondée par Paul Negulescu et qui fonctionnait
auprès l’Institut des sciences administratives. Les établissements étatiques des sciences
administratives sont apparus dans les années 1930 : l’École d’instruction professionnelle
administrative (Şcoala Specială de pregătire profesională administrativă) et le Centre
d’instruction technique administrative des fonctionnaires publics (Centrul de pregatire tehnică
administrativă a funcţionarilor publici).
4
Dans le Vieux Royaume, la fonction de notaire communal (secretaire - scriitor - de 1864 à 1887,
notaire de 1887 à 1904, secretaire communal de 1904 à 1908, notaire communal à partir de 1908)
n’était pas identique avec son correspondant de Transylvanie. À partir de 1908, le notaire
communal roumain n’est plus seulement secrétaire de Mairie, il devient aussi agent de l’autorité
centrale dans la commune rurale. Par la loi de 1925, le notaire communal était chargé de
« l’application des lois, des règlements d’administration publique, des ordonnances … issues du
pouvoir exécutif, ainsi que de l’exécution des mesures de sûreté générale et de police »; il était
désigné comme chef de la police administrative de la commune et officier de police judiciaire,
auxiliaire du Parquet. Également, le notaire diplômé avait le droit de rédiger des actes sans
caractère juridique. (MO, no 128, 14 juin 1925, p. 6849, art. 366).
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 281
Abréviations
D.p.= directeur de préfecture
C.a.= chef d’arrondissement/sous-préfet/inspecteur communal/premier préteur
1
Les directeurs de préfecture et les chefs d’arrondissement avaient presque le même profil
intellectuel ; un grand nombre des directeurs de préfectures étaient recrutés parmi les chefs
d’arrondissement.
2
Plusieurs sujets ont été repartis dans plus d’une catégorie, pour cette raison le calcul ne donne pas
toujours 100 %.
3
Notamment dans le cas de l’Annuaire du ministère de l’Intérieur de 1893, les chefs
d’arrondissement et les directeurs de préfecture, qui avaient un niveau d’éducation inférieur n’ont
pas voulu faire savoir cet aspect. Ils craignaient que dans leur cas aussi on appliquera les
conditions d’admission imposées par la loi de 1892. On pense que ce manque n’est pas dû à un
oubli, mais c’est un acte conscient. Beaucoup de ceux qui n’ont donné en 1893 aucune information
sur leur degré d’instruction l’ont fait dans les annuaires suivants.
4
Dans l’Annuaire de 1914, à la rubrique niveau d’instruction, Vasile N. Nicolescu, chef
d’arrondissement, a mis : « autodidacte ».
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 283
1
« Règlement du 31 mars 1926 concernant le fonctionemment de l’École supérieure des sciences
d’État », Codul General Român, vol.XV-XVI, p 232-238.
2
Dix-sept personnes ont affirmé qu’elles avaient fini leurs études à la Faculté de droit de Bucarest
et deux seulement à l’Université de Iaşi, cinq à la Faculté de droit à Paris et un à Turin. Les sous-
préfets munis d’un titre de docteur en droit étaient au nombre de quatre (à Liège, à Gand et à
Leipzig).
284 ANDREI FLORIN SORA
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (332), ds. 463/1928, f. 1 v., r.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 285
vice notaire). En outre, dans le cas des nominations dans cette fonction dans les
années 1930, ceux qui avaient fini une école de notaires étaient peu nombreux.
Quand on analyse le profil intellectuel des chefs d’arrondissement et des
directeurs de préfecture on doit également tenir compte de ceux qui avaient suivi
les cours des institutions de sciences administratives : l’École supérieure des
sciences d’État, l’École supérieure des sciences administratives, qui fonctionnait
auprès l’Institut des sciences administratives, le Centre de formation technique
administrative des fonctionnaires publics. Si ces établissements ont été reconnus
par l’État roumain, leurs diplômes n’équivalaient pas toujours au diplôme de
maîtrise (licenţă) de l’enseignement supérieur roumain d’État ou étranger.
Des conditions d’admission appliquées pendant plus de deux décennies, un
bon profil scolaire des agents de l’État provenant de la Transylvanie et de la
Bucovine, la forte augmentation du nombre d’étudiants, une concurrence ardue ont
fait que dans les années 1930 les nouveaux préteurs étaient pour l’essentiel des
diplômés. En janvier 1935 au concours pour entrer dans le corps de premiers
préteurs se sont inscrites 119 personnes. Parmi celles-ci on trouvait des candidats
qui avaient terminé deux ou même trois facultés. À part les études de droit, les
institutions supérieures des sciences administratives, l’école de notaires, les
aspirants avaient suivi des formations en lettres et en philosophie, et même en
théologie.
Si on prend l’Annuaire du ministère de l’Intérieur de 1938, en ce qui
concerne le niveau d’études on observe les différences entre le niveau de formation
scolaire des sous-préfets et celui des chefs d’arrondissement. Parmi les 71 sous-
préfets de 1938 deux n’avaient pas de diplôme d’études supérieures, auxquels
s’ajoutait un qui avait fait l’école militaire, Dimitrie Menciu à Trei Scaune. Donc
96% des sous-préfets avaient un diplôme d’études supérieures et 23% le doctorat
(neuf individus docteurs en droit, quatre en sciences politiques, trois en sciences
d’État). Parmi les sous-préfets titulaires d’un diplôme de docteur, quinze étaient en
fonction en Transylvanie et un en Bucovine ; aucun sous-préfet du Vieux Royaume
ou de Bessarabie n’était docteur. Parmi les chefs d’arrondissement de 1938
seulement 4% d’entre eux possédaient le titre de docteur.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 287
Abréviations
M.= Maîtrise Ec. M.= École militaire
D.= Doctorat Autre d.e.s.= Autre diplôme d’études supérieures
S.a.= Sciences administratives Autre D.= Autre diplôme de Doctorat
S.p.= Sciences politiques Sans d.e.s.= Sans diplôme d’études supérieures
L’analyse par province historique du niveau d’études suivi par les chefs
d’arrondissement nous offre quelques surprises. Nous observons que le
pourcentage de titulaires d’un diplôme universitaire est plus bas dans les deux
départements de Dobroudja du Nord (Tulcea et Constanţa), sous administration
roumaine à partir de 1878, qu’en Bessarabie. 45% des chefs d’arrondissement (22
sur 494) de Bessarabie avaient le diplôme de la Faculté de droit (de Iaşi, de
Bucarest, de Cluj, etc.) ce qui en théorie ne confirme pas totalement la thèse que
le gouvernement de Bucarest n’accordait pas d’importance à l’administration
locale de cette province, en y envoyant des fonctionnaires peu instruits. Pourtant,
cette « attention » était récente : plus de deux tiers des chefs d’arrondissement de
Bessarabie diplômés de la Faculté de droit avaient été nommés dans cette fonction
après 1934 : une partie d’entre eux après une longue carrière dans des fonctions
inférieures dans le Vieux Royaume. D’autres chefs d’arrondissement de
Bessarabie licenciés étaient assez jeunes : après l’accomplissement de
l’ancienneté comme notaire (les cinq ans demandés par la loi) ils avaient été
promus dans la fonction de chefs d’arrondissement. Une autre observation est que
la densité des préteurs diplômés en Droit est plus grande dans les départements
1
En Bucovine seulement deux chefs d’arrondissement sur 16 n’étaient pas titulaires d’un diplôme
de la Faculté de droit. Un d’entre eux avait pourtant achevé le Droit, mais il n’avait pas soutenu
l’examen de maîtrise (licence).
2
Transylvanie, y compris le Banat, Maramureş et Partium.
3
Six individus sur 162 chefs d’arrondissement de Transylvanie ont suivi la Faculté de droit, mais
n’ont pas soutenu l’examen de maîtrise (licence). La même situation se rencontre pour encore deux
préteurs inscrits en Théologie.
4
Le hongrois Sygismund Bagya, chef d’arrondissement dans le département de Soroca, avait
terminé le Droit, mais il n’avait pas soutenu l’examen de maîtrise (licenţă).
288 ANDREI FLORIN SORA
Les préfets
Jusqu’à la loi du juin 1925, l’accès à la fonction de préfet n’était pas
conditionné par l’ancienneté dans la fonction publique ou par un niveau minimum
d’études. On doit rappeler que le préfet était un haut fonctionnaire, membre à ce
titre de l’élite politique du pays. Nous avons réalisé une étude statistique sur les
préfets en fonction entre octobre 1895 et février 1901 et pour ceux en fonction
entre mars 1926 et juin 1932.
Dans le cas des préfets de 1895 à 1901, 70% d’entre eux avaient accompli
des études supérieures, même si ce n’était pas une condition d’accès à la
fonction ; on estime que les études n’étaient pas perçues comme la plus
importante qualité requise. En outre, plus de 91% des préfets diplômés avaient
suivi des études de droit. Un troisième constat est le nombre important d’individus
qui avaient étudié à l’étranger dans des centres universitaires prestigieux, ou au
moins, dans de grands lycées ou écoles privées. Plus d’une moitié des préfets de
cet échantillon, qui avaient suivi des études de droit, avaient soutenu leur maîtrise
et (ou) leur doctorat dans des pays occidentaux : 24 à Paris, parmi lesquels au
moins trois docteurs, deux titulaires de doctorat à Gand (l’un d’entre eux avait fini
la Faculté de droit de Paris), un docteur à Leipzig et encore un diplômé de la
Faculté de droit de Genève, et l’autre de la Faculté de droit d’Aix la Chapelle.
11% (10 individus) de notre échantillon étaient titulaires d’un doctorat en droit,
deux en sciences administratives et un en philosophie. Pour Lucian Nastasă « la
filière des études supérieures dans l’Europe occidentale, a joué donc après 1860 le
premier rôle dans la formation des élites universitaires roumaines, et pas
seulement. On peut estimer que la grande majorité des ministres, des membres des
cabinets ministériels et d’autres hauts fonctionnaires est passée par cette filière
tout au long de la période 1860-1944. »1
Les études des préfets, 1895-1901
% (certains sujets
Etudes ont suivi plusieurs
filières)
Droit (maîtrise et doctorat) 64
Sciences administratives et politiques (maîtrise et doctorat) 2
Médecine 2
Autres institutions supérieures (doctorat en philosophie et 4
pédagogie, agronomie, sciences physiques et chimiques,
Études universitaires inachevées 2
École militaire 5
École d’agriculture, industrie, sciences économiques, avec diplôme 3
Bacheliers 9
Lycée 9
Gymnase 2
École primaire, cours particuliers 2
1
Apud V. Karady, op. cit., p. 19.
290 ANDREI FLORIN SORA
supérieures. Si on analyse les préfets pour lesquels nous avons des réponses, 76%
d’entre eux avaient au moins un diplôme d’études supérieures ou d’une école
militaire (16%), d’habitude d’une école d’officiers. Même s’il ne s’agit pas d’un
pourcentage exact, au moins 62% des préfets titulaires de mars 1926 à juin 1932
avaient un diplôme d’études supérieures (ou plusieurs) ou de l’école militaire
d’officiers, ce qui répondait aux conditions d’études pour obtenir ce poste.
La majorité des préfets – sur lesquels nous avons des données – avaient
terminé une faculté de droit (64%), suivi par ceux qui avaient terminé Philosophie
et Lettres (7%). Les préfets médecins sont encore présents, mais le nombre de
ceux qui avaient aussi une formation humaniste (Lettres, Philosophie) a monté.
On peut trouver des préfets qui ont terminé la Théologie (5%), et quelques-uns
d’entre eux, notamment parmi les gréco-catholiques, ont exercé le métier de
prêtre. En Bessarabie, l’administration centrale du ministère de l’Intérieur a mis
dans une moindre mesure l’accent sur le degré d’instruction des fonctionnaires
que sur leur autorité (d’officiers à la retraite ou en fonction, nommés alors comme
délégués). Le nombre de membres de l’administration préfectorale qui possèdent
un doctorat, de préférence en droit, est assez élevé et a tendance à monter encore
par rapport au Vieux Royaume.
Les préfets de Transylvanie surprennent par trois caractéristiques. Ils ont été
plus stables dans la fonction que leurs homologues du Vieux Royaume. Ils
comptent un pourcentage élevé d’avocats et de docteurs, en sciences juridiques,
suivis à grande distance par les docteurs en théologie et sciences humaines. Dans les
provinces de l’ancien Empire austro-hongrois, la formation scolaire a été influencée
aussi par le réseau d’écoles secondaires classiques même s’il s’agissait de régions
économiquement en retard1. La formation scolaire des préfets de Transylvanie est
saisissable dès les débuts de l’administration roumaine. Ainsi, une année après
l’établissement de l’administration roumaine en Transylvanie, parmi les 24 préfets
on en comptait un seul qui n’avait pas le titre de docteur2 ; parmi les quinze
hommes qui ont détenu la fonction de préfet – y compris les délégués en fonction –
dans le département d’Alba, entre 1919 et février 1938, douze étaient docteurs ;
pour le département de Cluj, de 1919 à 1937, sur treize préfets, neuf étaient
docteurs, pour le département de Brasov sur seize préfets, quatre étaient titulaires du
diplôme de docteur, quatre étaient médecins et deux pharmaciens.
Si on considère les préfets de la période 1926-1932, on observe que 29%
des sujets sur les études desquels nous avons disposé des informations étaient
titulaires d’un diplôme de doctorat: en droit et en sciences politiques et
administratives (25%, surtout en Droit), en sciences humaines (4%). Même si on
considère qu’aucun préfet sur qui nous n’avons pas réussi à recueillir informations
1
V. Karady, op. cit., p. 50.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (330), ds. 187/1920, f. 6 r., v.
292 ANDREI FLORIN SORA
1
Christophe Charle, Les élites de la République (1880-1900), Paris, Fayard, 1987, p. 110.
2
Ibidem.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 293
Espaces de recrutement
Pour la période 1866-1940 nous avons observé que, d’habitude, les préfets
étaient des personnalités du département. Jusqu’au début des années 1920, la
grande majorité des préfets sont de grands ou de moyens propriétaires terriens,
d’anciens magistrats et membres des professions libres (avocats, médecins), mais
qui possédaient aussi des terres. Détenir de grandes propriétés agricoles prouvait
en quelque sorte l’appartenance à l’élite. En général, l’espace de recrutement de la
1
Voir L. Trgovcevic, op. cit., p. 136-137.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 155/1921, f. 3.
3
Luc Rouban, Les préfets de la République 1870-1997, Cahier du CEVIPOF, no 26, 2000, p. 25.
294 ANDREI FLORIN SORA
fonction de préfet était celle de l’élite au niveau local, y compris des gens qui
n’étaient pas originaires de ce département, mais que leur profession ou leur
activité antérieure avait mis en contact avec celle-ci.
La nomination comme préfet, à partir de la fonction subordonnée de
directeur de préfecture n’était pas une exception. Il ne s’agissait pas seulement
d’une continuité ou de la reconnaissance des qualités professionnelles, mais aussi
de la préservation de l’influence au niveau local d’un certain groupe d’intérêts. En
1920, peu de temps après la mise au point du système administratif d’après la
guerre, le directeur de préfecture du département de Prahova demanda au ministre
de l’Intérieur, sous la menace de sa démission, la fonction de préfet. Il motiva
cette demande par ses qualités et son ancienneté dans l’administration et surtout,
sa participation aux deux guerres. Il eut le courage de dire : « je crois que ceux qui
ont lutté sur le front, pendant la guerre ont le droit à la justice »1. À leur tour, les
fonctions de chef d’arrondissement et de directeur de préfecture attiraient l’élite
locale moyenne.
Fonction %
Petit fonctionnaire (copiste, correcteur dans l’administration) 16
Moyen fonctionnaire dans l’administration centrale 6
Cadre didactique, inspecteur des écoles (professeur de gymnase – 1, de 5
lycée – 1, inspecteur – 2)
Magistrat, avocat de l’État 34
Fonctionnaire dans le ministère de la Justice – adjoint de greffier, 3
greffier
Sous-préfet 10
Préfet 17
Médecin 2
Maire de commune rurale 1
Membre dans les Conseils départementaux 2
Député 1
Haut fonctionnaire (commissaire royal) 1
Autres fonctions moyennes dans l’administration (officier de police, 2
secrétaire du Conseil départemental)
importance et leur attractivité aux yeux des candidats du fait qu’elles mettent leur
possesseur en contact direct avec les électeurs et permettent d’établir des liaisons
avec eux et de se rendre réciproquement des services.
Le problème n’était pas seulement d’accéder au Parlement pendant le
gouvernement de son parti, mais aussi d’obtenir un mandat pendant l’opposition,
réussite qui pesait lourd dans sa carrière politique et même ministérielle
ultérieure1.
Fonction %
Maire de ville 18
Magistrat – toujours avant 56
Membre dans le Conseil départemental 12,5
Parlementaire (député et sénateur) 20
1
L’obtention du mandat de député dans l’Opposition lui assurait le prestige, la visibilité et au
niveau local une certaine supériorité devant ses collègues de parti.
296 ANDREI FLORIN SORA
1
Maria Georgescu, Cadets Roumains à Saint-Cyr, Bucarest, Editura Militară, 2002, p. 225-226.
Sur Mihail Laptev on n’y trouve que des informations durant son encadrement dans l’armée.
2
Ibidem, p. 226.
3
Dans ce demi-siècle l’origine sociale des officiers supérieurs s’est modifiée : ceux issus de
grandes familles nobles ont été surclassés par des jeunes très doués issus de la petite et de la
moyenne bourgeoisie, fils de militaires, de petits et moyens fonctionnaires publics, etc.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 297
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I, (754), ds. 5/1938, f. 2.
2
Ibidem.
3
Ibidem, f. 19 r., v.
4
Par exemple Alexandru Procopovici, Victor Motogna, Gheorghe Sofronie. Ils furent nommés
dans les villes où ils exercèrent leur profession.
5
Zaharia Boilă, Traian Tino, Dumitru Iov.
298 ANDREI FLORIN SORA
roumaines1. Le prêtre n’était pas seulement un relais entre les croyants et Dieu,
mais également entre la communauté et le Pouvoir. Dans les deux confessions, les
prêtres jouissaient de beaucoup de prestige conféré non seulement par leur activité
professionnelle, mais aussi en raison de leurs qualités intellectuelles et de leur
activisme politique. De nombreux membres de la classe politique de Transylvanie
d’avant ou d’après 1918 étaient recrutés parmi les prêtres, ou, au moins, étaient
nés dans des familles de prêtres. On rencontre également quelques préfets prêtres
en Bessarabie, faute d’une élite intellectuelle puissante.
Pour quelles raisons choisit-on la fonction de chef d’arrondissement?
Avant 1908, les jeunes issus des grandes familles de boyards choisissaient cette
fonction afin d’acquérir de l’expérience2 et même plus de visibilité publique,
avant leur promotion dans de hautes fonctions publiques. Il y avait aussi des
jeunes notables, qui jouissaient de pouvoir au niveau local pour obtenir la fonction
de chef d’arrondissement, mais qui n’avaient pas suffisamment d’influence et de
force financière, pour avancer rapidement dans l’administration3. Étant nommés
dans la fonction publique à 22-26 ans directement comme chefs d’arrondissement,
titrés et non titrés, la carrière leur semblait ouverte, mais ils avaient un handicap
par rapport à d’autres mieux situés dans le champ relationnel. À partir du XXe
siècle la tendance est d’acquérir une fonction qui assure un traitement, une retraite
et un logement.
Même si en théorie, le droit de nommer les agents du pouvoir central au
niveau local revenait au ministre de l’Intérieur, avant 1918 le préfet était celui qui
imposait d’habitude ses favoris, une décision prise au niveau local, tradition qui
s’affermit dans le temps, venant en contradiction avec deux processus
complémentaires : la centralisation et la bureaucratisation du pays. Une fois
nommés dans la fonction, les préfets préféraient travailler avec des gens qu’ils
connaissaient bien.
1
Liviu Maior, Habsburgii şi românii. De la loialitate dinastică la identitate naţională, Bucarest,
Editura Enciclopedică, 2006, p. 183.
2
Citons comme exemples le prince Dimitrie Moruzzi, le prince Sebastian Moruzi.
3
Alexandru A. Blancfort fut nommé à la tête de l’arrondissement de Bistrita, le département de
Neamţ en avril 1892, à l’âge de 22 ans, sans avoir un titre universitaire ni même le baccalauréat.
En 1899, après presque huit ans sans interruptions, sous tous les gouvernements comme sous-
préfet, ayant passé entre-temps le baccalauréat, il fut nommé directeur de la préfecture de Neamţ,
fonction qu’il occupa seulement pendant des gouvernements conservateurs, jusqu’en 1913, quand
il a été nommé directeur de préfecture à Silistra et à Durostor dans le nouveau territoire acquis par
la Roumanie. Cette mutation à Silistra paraît à première vue comme une rétrogradation.
Néanmoins, hormis le fait qu’elle demandait plus d’efforts financiers, dans la trajectoire de sa
carrière cette fonction pouvait lui offrir la nomination comme préfet, dans une région où on ne
pouvait pas encore parler d’une élite politique roumaine et où l’État avait besoin dans
l’administration d’éléments fidèles.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 299
Abréviations
D.p.= directeur de préfecture
C.a.= chef d’arrondissement/sous-préfet/inspecteur communal
Dans une note officielle du 17 octobre 1931 adressée aux préfets il était
précisé qu’à l’avenir ceux-ci devaient renoncer à faire des propositions de
mutation de leurs subordonnés sauf s’ils avaient des raisons bien fondées.
L’administration centrale exprimait l’exercice de son pouvoir à tous les niveaux
de la vie administrative : « Nous trouvons qu’il n’est pas du tout dans l’intérêt du
travail de déplacer des fonctionnaires qui connaissent la situation locale et de les
remplacer par des nouveaux, étrangers à la localité, qui seraient peu de temps
après, à leur tour, envoyés dans un autre coin du pays, surtout au moment où ils
auraient commencé à bien connaître la région »1. En outre, une autre raison était le
besoin de l’État bureaucratique de faire des économies budgétaires, en évitant de
verser des indemnités de mutation.
La nécessité d’être entouré d’un personnel compétent et fidèle a gardé son
importance aussi dans l’entre-deux-guerres quand le sous-préfet (et son
remplaçant – le secrétaire de préfecture de 1931 à 1936) assumait une grande
partie des attributions du préfet, souvent à cause du manque d’intérêt de ce dernier
à administrer. Ainsi, après 1918, il était normal de voir comment le nouveau
préfet demandait et obtenait – sans aucune réserve – le transfert du directeur de
préfecture/sous-préfet dans un poste de chef d’arrondissement dans le même
département ou n’importe où il y avait un poste vacant. L’intéressé devait donner
son accord pour ce changement. Malgré tout il y ait des refus, mais le résultat
final dépendait de la durée en fonction du préfet.
Nous avons rencontré des situations où le préfet démissionné, pour des
raisons diverses, faisait auprès le ministre des recommandations pour sa propre
succession. Parfois, les nominations de préfets étaient faites sans avoir même la
confirmation du candidat proposé ; pour cette raison il existe de nombreux cas de
préfets en fonction pour quelques jours seulement. À divers niveaux formels –
directement par le ministre de l’Intérieur – ou informels, la personne proposée
était consultée pour savoir si elle acceptait le poste. Sinon, en fonction de son
poids au niveau local et de l’attractivité de la fonction, il était demandé à qui il
apporterait son soutien.
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (332), ds. 7/1931, f. 16.
Première fonction publique (hors armée active) des sous-préfets et des chefs
d’arrondissement de 1938 (%)
1
Un certain colonel Buniş demandait au ministre de l’Intérieur Ion Mihalache d’approuver la
nomination de son frère dans la fonction de premier préteur au nom du fait qu’ils se sont connus
sur le front dans la Première Guerre mondiale. ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia
administraţiei centrale (332), ds. 3/1931, f. 112.
302 ANDREI FLORIN SORA
Abréviations
Préf.= préfet
D.p.= directeur de préfecture/sous-préfet (en 1938)
C.a.= chef d’arrondissement/sous-préfet/inspecteur communal/préteur
1
Theodor Văcărescu, Iorgu Dumitrescu, Ilariu Isvoranu, Dimitrie P. Moruzi, de très jeunes préfets,
sont nommés en fonction en 1866 à Prahova, en 1867 à Râmnicu Sărat, en 1871 à Mehedinţi, en
1876 à Dorohoi.
2
Sergiu Dimitriu, Din trecut, Iaşi, Institutul European, 2006, p. 49.
3
Pour 1938 on n’a pas pu recueillir des données sur la date de naissance des préfets, suite à
l’absence des biographies des préfets dans l’Annuaire de 1938 du ministère de l’Intérieur. En
outre, à partir de février 1938 ont été installés comme préfets délégués de hauts officiers. On
suppose que l’âge moyen des préfets militaires était supérieur à 50 ans.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 303
1
Sur la personnalité d’Elie Câmpeanu voir l’ouvrage collectif dirigé par Grigore Ploeşteanu et
Dimitrie Poptămaş, Elie Câmpeanu, omul şi faptele sale, Târgu-Mureş, Fundaţia Culturală „Vasile
Netea”, 1999.
2
L’influence de la famille Emandi a été très forte dans le département de Tutova ; le fils de
George Emandi fut à son tour préfet de Tutova sous deux gouvernements conservateurs, entre
1899-1900 et décembre 1904 – mai 1905. Ainsi, en Tutova, de 1892 à 1905, la famille Emandi a
exercé la fonction de préfet sous tous les gouvernements conservateurs.
3
Anuarul Ministerului de Interne pe 15 aprilie 1893, Bucarest, p. 298.
304 ANDREI FLORIN SORA
À première vue, nous ne pouvons pas établir une corrélation entre l’âge du
préfet et le poids du parti au pouvoir dans le département. Néanmoins, nous avons
observé que dans les départements où l’organisation politique locale était forte,
son président était aussi un homme puissant dans le Parti, ayant ainsi plus
facilement l’accès à la prise de décisions, préférant choisir pour la fonction de
préfet un de ses collaborateurs, jeune le plus souvent, à la différence des
départements où une influence limitée au niveau local déterminait la nomination
comme préfet du chef local du parti ou la prise en charge du pouvoir par
l’administration centrale du Ministère. Le choix d’un jeune nouveau pouvait
également constituer une tactique de la faction dirigeante sur le plan local du parti
de gouvernement, afin d’éviter que cette importante fonction publique soit confiée
à un adversaire de son parti politique et, en même temps, affin de s’assurer le
contrôle. Dans ses mémoires, Sergiu Dimitriu explique comment il a été nommé
préfet de Tighina à l’âge de 25 ans, sans qu’il ait de forts liens antérieurs avec ce
département. Ainsi, il mentionne qu’en décembre 1922, après moins d’un an de
gouvernement libéral, il fut contacté par les parlementaires de ce département qui
lui proposèrent la fonction de préfet, mécontents du fait qu’ils ne collaboraient pas
avec le préfet en fonction, Alexandru Văleanu1. Sergiu Dimitriu fut nommé dans
ce poste suite aux luttes pour le pouvoir à l’intérieur de l’organisation locale du
PNL. En outre, le nouveau préfet était un proche d’Ion Inculeţ, homme politique
de Bessarabie, à cette époque-là ministre secrétaire d’État (du 19 janvier 1922 au
29 mars 1926). Dimitriu est resté dans la fonction de préfet pendant deux ans, il a
été remplacé par l’ancien préfet, Alexandru Văleanu.
Dans le Vieux Royaume, les chefs d’arrondissement et directeurs de
préfecture âgés de 222 à 30 ans étaient eux aussi relativement nombreux, et ce trait
s’est maintenu jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, pour connaître un
recul dans les années 1930. Le renouvellement du corps dans la première décennie
du XXe siècle et la nomination de diplômés en Droit a produit l’augmentation du
nombre de jeunes dans la fonction. Si avant 1904 il y avait beaucoup de cas de
nomination de jeunes, cette situation reposait surtout sur l’influence de leur
famille dans la région et sur des réseaux clientélistes. Après cette date, les jeunes
sont devenus les possesseurs d’une autre qualité essentielle : le diplôme de droit.
À cette situation s’ajoute la diminution de la concurrence de la part des anciens
candidats à cette fonction, les propriétaires agricoles moyens et les fermiers.
1
S. Dimitriu, op. cit., p. 48.
2
Iov Titorof, né en mars 1854, suppléant de sous-préfet à Cahul-Prut, de janvier 1873 à avril 1876,
et sous-préfet de l’arrondissement d’Ismail en mars 1877 (les deux dans le département de
Bolgrad), est nommé sous-préfet en 1877, à l’âge de 22 ans. ANIC, fonds Ministerul de Interne.
Divizia administrativă (2602), ds. 255/1877, f. 50 v.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 305
d’une nouvelle génération de jeunes en quête d’un emploi public, même moins
bien rétribué, a généré une vive inquiétude dans la génération de 1900-1916.
Notamment dans le cas des chefs d’arrondissement et des directeurs de
préfecture, nous avons rencontré des carrières administratives qui s'étendent sur
plusieurs décennies. Un tel cas nous a été fourni par la requête du préfet du
département de Roman auprès du ministère de l’Intérieur en 1867, afin de
demander la mise à la retraite d’un de ses sous-préfets qui travaillait dans
l’administration depuis 1816, donc depuis plus de 50 ans1.
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2601), ds.77/1867, f. 130 v.
Troisième partie
1
Curierul Administrativ, I, no 11, 1er janvier 1908, p. 162.
2
Voir notamment l’ouvrage de Sorin Radu, Electoratul din România în anii democraţiei
parlamentare (1919-1937), Iaşi, Institutul European, 2004. D’autres études où l’on trouve de
nombreuses informations sur l’immixtion de l’administration préfectorale dans le processus des
élections ainsi que dans la vie politique sont : Hans-Christian Maner, Parlamentarismul în
România, 1930-1940, Bucarest, Editura Enciclopedică, 2004 ; Ion Zainea, Aurel Lazăr (1872-
1930), viaţa şi activitatea, Cluj, Presa universitară Clujeană, étude axée sur le département de
Bihor dans les années 1920 et 1930.
3
Stelu Şerban, Elite, partide şi spectru politic în România interbelică, Bucarest, Paideia, 2006.
4
Marcel Ivan, Evoluţia partidelor noastre politice, 1919-1932. Studiu comparativ al rezultatelor
oficiale ale alegerilor pentru Camera Deputaţilor din anii 1919-1932, Sibiu, 1933.
5
Matei Dogan, Analiza statistică a ‘democraţiei parlamentare’ din România, Bucarest, 1946.
310 ANDREI FLORIN SORA
1
À ceci s’ajoutait l’obligation du préfet de répondre aux demandes et même aux réquisitoires
d’autres institutions et ministères, notamment du ministère de la Justice et du ministère de la
Guerre.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I (754), ds. 59/1936, f. 118.
3
Sergiu Dimitriu, Din trecut, Iaşi, Institutul European, 2006, p. 48.
4
La notion de « dot du gouvernement » en Roumanie a été définie dans les années 1930 et 1940
par Marcel Ivan et Matei Dogan. En résumé, cette dot englobait les votes accordés aux partis de
gouvernement, ceux qui organisaient les élections législatives : des votes donnés par les citoyens
qui ne soutenaient aucun parti, mais qui étaient obligés par la loi de voter, sous la sanction d'une
amende en cas de non vote, et des votes obtenus par le gouvernement par des moyens arbitraires,
même illégaux. Cf. M. Dogan, op. cit., p. 25-45 ; cf. M. Ivan, op. cit., p. 28-31.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 311
devait faire attention à ne pas mécontenter ses bienfaiteurs. N’oublions pas qu’à
l’intérieur d’un parti politique il y avait aussi des dissensions et des factions. Les
formules par lesquelles on donnait sa démission pouvaient être brèves ou
accompagnées d'une présentation des réalisations dans cette fonction1.
Beaucoup d’hommes politiques ont alterné la fonction de préfet avec celle
de député. On trouve même des situations où le préfet a renoncé à cette dignité
pour déposer sa candidature pour le Parlement, le cas inverse étant aussi possible.
Ainsi, le préfet de Suceava, George G. Ghiţescu (octobre 1895-mars 1896) qui
avait surveillé ou plutôt avait organisé les élections législatives, donnait sa
démission quelques mois plus tard pour faire place à Gheorghe Softa, le député
élu dans son département au premier collège. La place de député est devenue
vacante, la loi prévoyant des élections partielles et le candidat du gouvernement,
élu, fut l’ancien préfet.
Un autre moyen d’acquérir le soutien des collègues de son parti politique,
de bénéficier de l’appui des fonctionnaires publics, ou au moins de leur
bienveillance, ainsi que de se faire connaître parmi la population locale était de
donner sa démission de la fonction de préfet quelques semaines avant les élections
pour déposer ensuit son candidature. De mars 1926 à juin 1932 quatre partis
politiques ou alliances politiques se sont succédés et quatre élections législatives
ont été organisées, chacune par un gouvernement différent (le Parti du Peuple en
mai 1926, le PNL en juin-juillet 1927, le PNT en décembre 1928, un
gouvernement d’« union nationale » en juin 1931). Durant cette période, plusieurs
personnes ont dû choisir entre la fonction de parlementaire et celle de préfet. Nous
avons remarqué que cette pratique est spécifique plutôt aux gouvernements dirigés
par Alexandru Averescu et par Nicolae Iorga. Sous le premier de ces
gouvernements huit préfets ont donné leur démission et ont obtenu un mandat de
député, dont cinq dans le département où ils avaient été préfets. Sous le
gouvernement d’Union Nationale, sept personnes ont donné leur démission de la
fonction de préfet et aux élections de juin 1931 ont été élus députés, dont deux
dans le département où ils avaient détenu le poste de préfet. Cette situation peut
être perçue comme un signe de la faiblesse des partis politiques au pouvoir de
1926 à 1927 (le Parti du Peuple) ou de 1931 à 1932 (l’Union Nationale de Nicolae
Iorga et de Constantin Argetoianu). Nous pouvons même parler d'une pénurie des
personnalités de ces deux partis politiques. Par contre, aucun député élu aux
élections législatives de juillet 1927 ou à celles de décembre 1928 n’était préfet
1
Une formule de présenter sa démission est celle de Nicolae Comşa préfet du département et de la
ville de Sibiu:
« Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur de mettre à votre disposition le poste que je détiens depuis le 1er janvier 1919
comme préfet du département, et à partir du 1er mai 1921 comme préfet de la ville-municipe
Sibiu. »
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 472/1922, f. 4.
312 ANDREI FLORIN SORA
légitimait de point de vue politique. Dans une lettre officielle adressée au ministre
de l’Intérieur, par laquelle il dénonçait son supérieur, Răuceanu signait sous sa
double qualité de sous-préfet et de chef de l’organisation locale de PNL1.
Quelques mois plus tard, Răuceanu allait être nommé enfin préfet, gardant cette
dignité pendant plus de trois ans.
Tout au long de la période étudiée, si l’on exclut les préfets délégués, le
réservoir de recrutement dans la fonction de préfet était, dans une proportion très
élevée la direction de l’organisation locale de parti ou les membres de premier
plan de celle-ci. D’habitude, le ministre de l’Intérieur et les dirigeants du parti de
gouvernement se mettaient d’accord pour le choix avec les leaders locaux.
Ainsi, en s’appuyant sur les listes de membres des directions
départementales des organisations locales du Parti du Peuple de l’année 19252, on
peut facilement saisir que beaucoup de préfets du gouvernement Averescu de
1926 à 1927 avaient des liens antérieurs avec le département où ils ont été
nommés et que les fonctions détenues dans le parti étaient un argument important
pour être nommé dans cette fonction. En incluant également les préfets délégués,
le pourcentage de préfets membres de la direction de l’organisation
départementale et des organismes centraux du Parti du Peuple était de plus de
50%. Ainsi 12% des futurs préfets du gouvernement 1926-1927 ont été
présidents3 d’un comité départemental, 13% vice-présidents, 8% secrétaires
généraux, 1% caissiers, 17% membres d’un comité départemental. Un autre futur
préfet, celui de Dâmboviţa, Iancu Anastasescu, était en 1925 vice-président du
bureau national ; sept futurs préfets étaient membres du Comité exécutif central
du Parti. On rappelle qu’en 1925, le Parti du Peuple n’avait pas encore des
organisations locales dans tous les départements de la Roumanie et que pour la
Bucovine et le Pays des Sicules il y avait une organisation régionale.
Il n’était pas inhabituel que la direction centrale du parti demande à son
organisation locale de faire des recommandations pour cette haute dignité
publique. Cette demande était faite aussi en se servant de l’appareil administratif.
Ainsi, au début de l’année 1922, suite au changement du gouvernement, le bureau
du nouveau ministre de l’Intérieur, le général Văitoianu, envoya un télégramme à
George Șerban, président de l’organisation locale du PNL dans le département de
Tulcea, ancien préfet ; on lui demandait d’accepter la dignité de préfet, sinon « de
recommander la personne qui doit être nommée »4. Le choix de George Șerban
1
Ibidem.
2
Anuarul Partidului Poporului pe anul 1925, Bucarest, [1925].
3
Pour 1% de cas – un individu - la dignité de président de l’organisation départementale ne
coïncide pas avec le département ou il a exercé la fonction de préfet
4
Minute du 24 janvier 1922, avec numéro d’enregistrement, ANIC, fonds Ministerul de Interne.
Divizia administraţiei centrale (331), ds. 476/1922, f. 18.
314 ANDREI FLORIN SORA
qui doit être prise afin de combattre l’opposition dans le département de Ialomiţa
serait que notre parti fonde une banque avec un capital de quelques millions. Nous
avons ici la Banque des Paysans, par l’intermédiaire de laquelle les paysans se
procurent des outillages agricoles, dont les vendeurs font propagande au profit du
Parti Paysan »1.
À deux exceptions près, pour la période 1866-1940 il est difficile de parler
dans le cas roumain d’une épuration des préfets pour des raisons politiques, tout
d’abord parce qu’ils étaient des fonctionnaires politiques et ils se légitimaient
comme tels. Les exceptions à cette règle ou plutôt les cas particuliers sont liés au
changement de régime survenu en 1866, pour le premier cas, et en automne 1918,
pour le deuxième cas, notamment pour les préfets civils de Valachie nommés par
le gouvernement Marghiloman.
En règle générale, le nouveau gouvernement n’avait pas besoin de
licencier les préfets nommés auparavant par un autre parti politique, parce que
ceux-ci donnaient eux-mêmes leur démission au moment où la chute du
gouvernement devenait effective. On considérait comme obligatoire que ces
fonctionnaires politiques donnent leur démission immédiatement après le
changement de pouvoir, même s’il était évident que le nouveau gouvernement ne
manquerait pas de les licencier et de nommer à leurs places des personnes
dévouées au nouveau pouvoir. Ainsi le préfet de Tulcea C. Constantinescu envoya
en janvier 1922 au Ministère le télégramme suivant : « Le cabinet décidant sa
démission, veuillez agréer ma démission, le jour même de sa révocation »2. Ce
phénomène est appelé par le futur Premier ministre Gheorghe Tătărescu « le
système des démissions collectives » : « le ministre, le préfet demandent et
obtiennent la démission écrite de leurs subordonnés comme gage de leur fidélité à
l’égard du gouvernement »3. Nous pouvons même considérer qu’il s’agit aussi de
pratiques liées au clientélisme politique4. Dans les années 1920 et 1930, dans le
langage administratif on parlait de « démission collective des préfets »/« demisia
în bloc a prefecţilor », survenue au moment du changement de gouvernement.
En analysant les listes de préfets on saisit deux traits. Premièrement,
beaucoup de personnes ont été préfets, d’habitude dans le même département,
1
Ibidem, f. 5 r.
2
Idem, ds. 476/1922, f. 16.
3
Gheorghe Tătărescu, Le régime électoral et parlementaire en Roumanie, thèse de doctorat, Paris,
Université de Paris, Faculté de Droit, 1912, p. 49.
4
Jean-Louis Briquet, auteur de plusieurs études sur des pratiques telles la corruption et le
clientélisme donne la définition suivante : « la notion de clientélisme sert à désigner des liens
personnalisés entre des individus appartenant à des groupes sociaux disposant de ressources
matérielles et symboliques de valeur très inégale, reposant sur des échanges durables de biens et de
services, généralement conçus comme des obligations morales unissant un patron et les clients qui
en dépendent. », Jean-Louis Briquet, « La politique clientélaire. Clientélisme et processus
politiques », in Jean-Louis Briquet et Frédéric Sawicki, Le clientélisme politique dans les sociétés
contemporaines », Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 7.
316 ANDREI FLORIN SORA
1
M. Opriţescu, op. cit., p. 200.
318 ANDREI FLORIN SORA
Ligue Vlad Țepeş, qui a donné au moins deux préfets : son président Grigore N.
Filipescu, préfet d’Ilfov et Toma Metaxa, préfet de Trei Scaune, Ilfov et Fălciu.
En ce qui concerne la carrière ultérieure des préfets de N. Iorga, seul un d’entre
eux allait être nommé une nouvelle fois préfet par la suite.
Si l’on se réfère à la stabilité dans le poste, on observe peu de différences
entre ces quatre gouvernements : le Parti du Peuple a fait 106 nominations, le
PNL 114 nominations, l’Union Nationale 97 nominations. Chacune de ces forces
politiques a été au gouvernement pour une période allant de quatorze à dix-sept
mois. Un chiffre semblable de nominations dans la fonction de préfet, comme
titulaire ou délégué, s’observe également dans le cas du gouvernement national
paysan, 108 nominations, mais pour une période plus longue – au pouvoir pour
deux ans et demi.
L’une des conclusions de cette analyse est que pendant les gouvernements
du PNL et du PNT, la force politique de ces partis est bien visible dans la
nomination dans la fonction de préfet de membres ou de sympathisants de longue
date de ces partis. Dans le cas de PNL et du Parti du Peuple, qui avaient une
expérience antérieure de gouvernement, on observe leur choix de nommer
d’anciens préfets, d’habitude dans le même département. Cette stratégie sera
reprise en 1932 par le PNT. La composition politique et la carrière antérieure des
préfets du gouvernement Iorga reflète en bonne partie la faiblesse du
gouvernement, autant que l’absence de cadres disposant d’expérience dans les
affaires départementales. Le gouvernement Iorga surprend par l’hétérogénéité de
ses choix : des hommes nouveaux autant que des notables locaux, des partisans de
Nicolae Iorga ainsi que des sympathisants ou anciens membres d’autres partis
politiques.
Dans les années 1930, l’influence de Carol II s’est accrue, le roi préférant
des hommes nouveaux, non attachés aux partis politiques. La loi de 1938 a
institutionnalisé le préfet comme fonctionnaire de carrière, mais cette démarche
n’a jamais été mise en pratique. Carol II, l’artisan de cette loi, a nommé seulement
des militaires comme préfets délégués. Une fois mis à l’écart les préfets issus de
la politique et après leur remplacement par des militaires, en théorie moins
sensibles aux affinités politiques, le nouveau régime a commencé à éliminer les
alternatives politiques1 ; l’appartenance au parti unique, Frontul Renaşterii
Naţionale (le Front de la Renaissance Nationale) est devenue, comme en Italie et
1
Parallèlement avec l’interdiction des partis politiques les fonctionnaires publics (le décret loi no
870, MO, no 39, 17 février 1938) ont dû confirmer s’ils ont été membres d’un parti politique et de
présenter leur démission de l’organisation politique, même si en fait les partis politiques étaient
déjà interdits. La crainte de perdre la fonction, et donc le traitement, était grande parmi les chefs
d’arrondissement.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 319
en Allemagne, mais à une échelle plus réduite, une qualité souhaitable pour
travailler dans l'administration1.
1
Dans ses mémoires Theodor Văcărescu décrit sa nomination comme préfet de Prahova et sa
mission d’escorter Alexandru Ioan Cuza à la frontière, De la Principatele Unite la Regat, in Ioan
Lăcustă (éd.), De la o Unire la alta. Memorie sau memorialişti, 1859-1918, Bucarest, Albatros,
2005, p. 66-84.
2
Ibidem, p. 66.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 321
Ialomiţa (Nicolae Hagi Moscu, septembre 1865 – juin 1866), Gorj (Tache
Ștefănescu avril 1864 – juillet 1866), Argeş (Dani[i]l Chiriţescu, septembre 1865
– septembre 1866), Vâlcea (Ghiţă Golescu, août 1862 – novembre 1866), Olt
(Constantin Manu, août 1863 – juillet 1867).
On peut facilement observer que, dans trois semaines, tous les préfets de
Moldavie, sans compter le sud de la Bessarabie, ont été changés. En Valachie le
renouvellement du corps s’est fait selon des motifs stratégiques, notamment dans
les départements de Prahova, d’Ilfov, de Dolj, de Braila. Dans ces départements il
y avait de grandes agglomérations urbaines. Une autre remarque est que, à la
différence de la période ultérieure, les préfets de Cuza n’ont pas donné
immédiatement leur démission, fait qui, dans notre opinion, signifie qu’ils
voulaient rester dans cette fonction.
La grande partie de gens nommés dans cette dignité étaient des ennemis
déclarés de l’ancien régime et (ou) des participants au coup d’État du 11 février
1866. L’un d’entre eux, Gheorghe Lecca, officier qui avait participé à l’arrestation
d’Alexandru Ioan Cuza et avait forcé le prince à signer l’acte d’abdication, fut
nommé préfet de Bacau, département où sa famille détenait des propriétés. Les
auteurs du renversement du pouvoir ont préféré en général nommer dans la dignité
préfectorale des hommes disposant de prestige dans leur département, issus de
grandes familles boyardes ayant un ancrage fort dans ces départements. Nous
observons également qu’il s’agit de nominations pour de brèves périodes, allant
jusqu’à quelques mois. On ne peut parler de démissions collectives liées au
changement du gouvernement. Celui qui est resté le plus dans cette fonction fut
Grigore Cozadini, préfet de Suceava de février 1866 à août 1866. Seulement pour
le département de Iaşi, entre le 15/27 février et le 15/27 juin 1866, inclus, pendant
quatre mois, quatre personnes furent appelées à diriger les affaires de cette
préfecture importante : Vasile Pogor, Ștefan Golescu, Dimitrie Cozadini1, Grigore
Sturdza ; les trois premiers allaient devenir ministres ultérieurement.
Tous ces constats font comprendre que les préfets nommés pendant la
Lieutenance et le premier gouvernement d’Ion Ghica ont été envisagés comme des
solutions temporaires : des personnalités connues et appréciées dans les
départements où elles ont été nommées. Exceptant les préfets des trois
départements de la Bessarabie sur lesquels nous n’avons pas de données sûres, six
des 25 préfets nommés dans la période 11/23 février – 11/23 mai 1866 (nous
avons considéré seulement la première nomination faite dans un département)
étaient d’anciens préfets de la période 1859 – février 1866. Nous avons identifié
même un cas particulier : Eugeniu Ghica, préfet de Bacău (septembre 1865 –
février 1866) était transféré le 14/26 février dans le département voisin de Neamţ
(février – juin 1866).
1
Dimitrie Cozadini et son frère Grigore (préfet de Suceava, de février 1866 à août 1868) étaient
cousins de premier degré de l’ancien prince régnant Alexandru Ioan Cuza.
322 ANDREI FLORIN SORA
1
Gheorghe Iacob, « Strategia dezvoltării României de la Independenţă la Marea Unire », in Cum
s-a înfăptuit România modernă, Iaşi, 1993, p. 165-166.
324 ANDREI FLORIN SORA
1
DAD, no 21, 6 février 1896, séance du 31 janvier 1894, p. 189.
2
24% des sous-préfets en fonction au 1er avril 1893 ont exercé cette fonction également pendant le
gouvernement libéral de 1876-1888.
3
Voir Mattei Dogan, « Dansul electoral în România interbelică », in Revista de cercetări sociale, 2
(4)/1995, p. 3-23.
326 ANDREI FLORIN SORA
1
S. Radu, op. cit., 52-53.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (330), ds. 4/1920, f. 1.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 327
On prendra les mesures les plus sévères contre ceux qui ne tiendront pas
compte de cette règle (Stop) Pendant la future campagne électorale on accordera
l’entière liberté de propagande à tous les partis politiques impliqués, on prendra
seulement les mesures que la loi permet, contre tous ceux qui, abusant des libertés
constitutionnelles, attaqueront de vive voix ou par écrit l’ordre social et la sécurité
de l’État»1.
Ces ordres très clairs, issus de deux gouvernements différents peuvent
donner l’impression que la classe politique roumaine fit des efforts pour
dépolitiser l’administration et même démocratiser la société. Il pourrait être
question d’un simple acte déclaratif sans valeur réelle, par lequel on voulait
assurer l’intégrité du gouvernement. La principale motivation de cette démarche
est bien différente : le gouverneur espérait ainsi limiter le pouvoir des libéraux.
Les partis politiques qui avaient formé les deux gouvernements ne jouissaient pas
encore de beaucoup d’influence dans toutes les régions de la Grande Roumanie.
Deuxièmement, l’administration dans le Vieux Royaume et même en Bessarabie –
où on voit déjà s’affermir le pouvoir des regăteni – était perçue comme plus
proche des libéraux. Ces directives étaient un message clair que le gouvernement
ne tolérerait aucun soutien des fonctionnaires (préfets, chefs d’arrondissement,
notaires, maires, policiers et gendarmes) aux partis d’opposition. Il faut souligner
aussi que le fonctionnaire local dépendait plus des notables locaux que de
l’administration centrale par le fait que le préfet restait un fonctionnaire politique.
Le premier gouvernement Vaida Voevod n’a pas eu l’occasion d’organiser
des élections législatives, de sorte qu’on voit l’écart entre objectif et réalité dans le
cas du gouvernement Averescu (mars 1920 – décembre 1921). L’interdiction
d’immixtion des fonctionnaires dans la vie politique ne semble pas s’appliquer
aux partisans du parti de gouvernement. Un tel exemple est celui du préfet
Dimitrie Cioc, « averescan », qui dans son département à Vlaşca usait de son
autorité pour accroître les chances du Parti du Peuple de gagner les élections. La
plainte faite contre le préfet auprès du ministère de la Justice par un notable local,
C. Mirto, ancien magistrat2 et les articles des journaux prouvant la même chose
n’ont pas trouvé d’écho au ministère de l’Intérieur. Un plus grand bruit fut
provoqué par l’arrestation en mai 1920 d’Ion Inculeţ, l’ancien président de
l’Assemblée nationale qui avait décidé l’union de la Bessarabie avec la Grande
Roumanie. Lors de la campagne électorale Inculeţ fut arrêté à Comrat
(Bessarabie) par les gendarmes. Cette affaire, qui a provoqué le mécontentement
de l’opposition, fut perçue par les hommes politiques des nouvelles provinces
unies avec le Vieux Royaume comme une nouvelle manifestation de
l’autoritarisme de Bucarest. On note seulement qu’à la demande officielle du
ministre de l’Intérieur d’informations sur cette accusation, le préfet de Tighina nia
1
Ibidem, f. 14.
2
Idem, ds. 47/1920, f. 8.
328 ANDREI FLORIN SORA
1
Idem, ds. 84/1920, f. 2, f. 5.
2
Idem, ds. 101/1920, f. 64.
3
Ibidem, f. 82.
4
Ioan Stanomir, Libertate, lege şi drept. O istorie a constituţionalismului românesc, Iaşi, Polirom,
2005, p. 113.
5
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I (754), ds. 8/1935, f. 163 r.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 329
contre l’opposition, notamment pendant les élections ; elle fut utilisée par tous les
gouvernements de l’entre-deux-guerres1.
En 1938, le roi Carol II a fait appel à l’armée afin de s’assurer le contrôle
total du pays. Le contrôle de l’administration locale par l’intermédiaire de la
nomination d’officiers d’active ou de réserve dans la fonction de préfet n’était pas
une idée récente du Roi. Dans ses mémoires, Nicolae Iorga mentionne, dès 1931,
le désir de Carol II de faire nommer par le gouvernement d’union nationale, dirigé
par Iorga, des préfets officiers de réserve ; le débat avait porté, à ce moment-là,
sur N. Măicănescu, pour le poste de préfet du département d’Arad et M. Bastache,
proposé comme préfet de Vaslui2. Nous avons compté onze officiers, préfets en
poste le 24 avril 1931, parmi lesquels il y avait aussi le gendre du Premier
ministre Nicolae Iorga, le lieutenant colonel D. Chirescu, préfet du département
de Storojineţ. En novembre 1937, à l’occasion de la formation d’un nouveau
gouvernement, Constantin Argetoianu indiquait comme conditions imposées par
le Roi à Ion Mihalache, appelé à former le nouveau gouvernement, « des garanties
de sûreté contre certains courants politiques, l’avis préalable du Roi pour les
nominations des préfets d’Ardeal et pour les candidats de cette province »3.
Finalement, la formation du gouvernement et l’organisation des élections
législatives furent confiées au Premier ministre sortant, Gheorghe Tătărescu.
Pour la période mars 1926 – juin 1932, environ 12% des préfets titulaires
(auquel s’ajoute un pourcentage identique si nous envisageons également les
délégués) étaient des officiers à la retraite ou en activité, cette « qualité » étant
mentionnée dans le décret de nomination. Pour la période janvier 1919 – février
1938, le pourcentage des officiers devenus préfets ou délégués comme préfets est
supérieur à ce chiffre, il est d’au moins 15%.
Le régime autoritaire instauré par Carol II en 1938, avec toutes ses
conséquences, a signifié pour l’administration locale le renforcement du contrôle
exercé par Bucarest, par l’intermédiaire des organismes qui, aux termes de la loi
administrative, devaient assurer la décentralisation. La création des provinces
dirigées par des gouverneurs, résidents royaux (rezidenţi regali), n’a fait
qu’accentuer la tutelle administrative du centre. Si à la tête des provinces ont été
mises des personnalités civiles, anciens membres des partis supprimés et des
intellectuels, à la tête des préfectures se trouvaient exclusivement de hauts
1
Sur l’immixtion des préfets militaires dans les élections et la vie politique locale, avec l’aide de
la gendarmerie, voir les débats du 29 janvier 1926, et surtout le discours d’Armand Călinescu sur
le département d’Argeş. Armand Călinescu, Discursuri parlamentare, vol. I, 1926-1933, Bucarest,
Fundaţia Culturală „Magazin Istoric”, Editura Quadimpex SRL, 1993, p. 8-27.
2
Nicolae Iorga, Memorii, vol. VI, Încercarea guvernării peste partide, note du 18 avril 1931,
Bucarest, 1939, p. 87.
3
Constantin Argetoianu, Însemnări zilnice, vol. III (1er juillet – 31 décembre 1937), édition établie
par Stelian Neagoe, Bucarest, Machiavelli, 2001, note du 14 novembre 1937, p. 224-225.
330 ANDREI FLORIN SORA
1
Ibidem, vol. IV (1er janvier – 30 juin 1938), note du 7 avril 1938, p. 220.
2
Le cas de Mihail Lascăr (1889-1959), général à partir de 1939, est assez exceptionnel. Décoré par
les Allemands, très apprécié par l’État Major roumain, il fut fait prisonnier à Stalingrad par
l’Armée Rouge. En captivité il accepta d’être le commandant et de participer à la constitution
d’une des deux unités de volontaires roumains (des militaires faits prisonniers en URSS), qui
luttèrent aux côtés de l’Armée Rouge contre l’Allemagne et ses alliés, y compris la Roumanie.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 331
Sous le gouvernement communiste dirigé par Petru Groza, le général Lascăr fut nommé ministre
de la Défense nationale, de 1946 à 1947.
1
Après la défaite des légionnaires ont été nommés comme préfets 48 militaires: 37 colonels et 11
lieutenants-colonels. Cf. Dinu C. Giurescu, România în al doilea război mondial (1939-1945),
Bucarest, ALL, 1999, p. 62.
2
M. Guţan, Istoria administraţiei publice locale în statul român modern, Bucarest, All Beck,
2005, p. 372.
332 ANDREI FLORIN SORA
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. II (755), ds. 21/1939, f. 1.
2
Idem, ds. 20/1939, f. 1 r.
3
Soulignement de l’auteur, N. Ottescu, dans le rapport.
4
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. II (755), ds. 20/1939, f. 1 v.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 333
pouvait déterminer aussi la perte du poste de préfet. Dans une lettre officielle du
général Argeşeanu, ministre de la Défense nationale, adressée au ministre de
l’Intérieur, on recommandait de nommer à la place du colonel Paul Florescu,
préfet du département de Romanaţi, mis à la retraite de l’armée, le colonel Ioan P.
Dănescu, commandant du régiment 2 « Călăraşi » cantonné à Caracal1.
Le contexte politique interne instable a déterminé le gouvernement et les
hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur à repenser la tutelle administrative
et le rôle des inspections faites dans le territoire par les agents administratifs. Les
visites dans le pays du Carol II et des membres du gouvernement occupaient une
place importante dans la propagande qui avait pour but de montrer la loyauté du
peuple envers la personne du Roi et de montrer la force de l’État-Nation roumain.
Toutefois, la tâche difficile d’apaiser la population ainsi que de renseigner
l’administration centrale sur l’état des choses et l’état d’esprit des citoyens
roumains revenait aux fonctionnaires locaux. En première ligne se trouvaient les
préteurs.
La croissance de l’inquiétude du gouvernement ne s’est pas concrétisée
seulement par des décisions visant le renforcement de la puissance militaire de la
Roumanie ou par un contrôle plus strict des organes de sûreté à l’adresse de tous
ceux qui étaient censés mettre en péril l’État. Dans cette période, les missions du
chef d’arrondissement se sont diversifiées et son poids dans le système
administratif local s’est accru. Le régime de Carol II s’est appuyé sur les anciens
chefs d’arrondissements et directeurs de préfecture, il y a eu peu d’entrées et de
sorties dans ces fonctions. En outre, dans le cas de ces fonctionnaires on ne
constate pas de militarisation. Il ne s’agit pas non plus d’une épuration : dans leur
grande majorité les chefs d’arrondissement et les directeurs de préfecture se sont
inscrits dans le parti de gouvernement. D’autre part, les préfets et le gouvernement
de Bucarest étaient plus attentifs en ce qui concernait l’accomplissement des
devoirs de ces fonctionnaires et leur ralliement au nouveau régime. Dans les
derniers mois de l’année 1939, on a demandé aux préteurs de faire plus d’efforts
dans l’accomplissement de leurs attributions visant la tutelle administrative des
communes rurales. Le préteur était obligé de faire, au moins deux fois par an, des
inspections dans chaque commune rurale. Plus qu’auparavant, ces inspections
étaient considérées par Bucarest comme un devoir important et supposaient des
règles très claires. On saisit bien que l’administration centrale du ministère de
l’Intérieur voulait que son autorité devienne visible dans tous les coins du pays. Il
était souhaitable que pendant l’inspection le préteur soit accompagné par les
médecins de la circonscription, par l’ingénieur agronome, le sous-inspecteur de
l’instruction publique, le sous-ingénieur du service public. Ces fonctionnaires
1
Idem, p. I (754), ds. 5/1938, f. 15-16.
334 ANDREI FLORIN SORA
1
Idem, p. II (755), ds. 597/1939, f. 19.
2
Ibidem.
Chapitre X
1
Mariana Hausleitner, Die Rumänisierung der Bukowina: Die Durchsetzung des
Nationalstaatlichen Anspruchs Grossrumäniens 1918-1944, München, R. Oldenbourg Verlag,
2001.
2
Dietmar Müller, Staatsbürger auf Widerruf. Juden und Muslime als Alteritätspartner im
rumänischen und serbischen Nationscode. Ethnonationale Staatsbürgerschaftskonzeptionen, 1878-
1941, Wiesbaden 2005.
3
Lucian Nastasă, Suveranii Universităţilor româneşti. Mecanisme de selecţie şi promovare a elitei
intelectuale. I Profesorii Facultăţilor de Filosofie şi Litere (1864-1948), Cluj-Napoca, Limes,
2007, voir notamment le sous-chapitre Imposibila alteritate (L’impossible altérité), p. 446-459.
4
Adrian Liviu Ivan, Stat, majoritate şi minoritate naţională în România (1919-1933). Cazul
maghiarilor şi germanilor din Transilvania, Cluj-Napoca, EIKON, 2006.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 337
1
Lucian Nastasă et Levente Salat (dir.), Maghiarii din România şi etica minoritară (1920-1940),
Cluj-Napoca, Centre des Ressources sur la diversité culturelle, 2003.
2
« Constituţia din 1923 », in Ioan Muraru, Gheorghe Iancu, Mona-Lisa Pucheanu, Corneliu-Liviu
Popescu, Constituţiile române – Texte. Note. Prezentare comparativă, Regia Autonomă
„Monitorul Oficial”, Bucarest, 1993, p. 72.
3
Jean Popovici, « Admiterea naturalizaţilor în funcţiuni », in Revista de Drept Public, XV, 1940,
no 1-2, p. 156.
338 ANDREI FLORIN SORA
1
Anuarul general al Presei române pe anul 1907, Bucarest, 1906, p. 137-138.
2
Par exemple, un rapport d’août 1920 de la direction de Sûreté générale de Bucovine rappelait que
l’adjoint du préfet (le directeur de préfecture) du département de Văscăuţi était ukrainien. ANIC,
fonds Direcţia Generală a Poliţiei (2349), ds. 2/1920, f. 206 v.
3
Ecoul, Arad, XIII, no 1631, 31 janvier 1938, p. 4.
340 ANDREI FLORIN SORA
1
Ibidem, p. 1.
2
Curentul du 30 août 1937, apud ANIC, fonds Direcţia Generală a Poliţiei (2350), ds. 228/1937,
f. 1.
3
Ibidem.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 341
affronter les premiers l’ennemi seraient des « minoritaires », appartenant qui plus
est à l’ « espèce » la plus dangereuse1. Ce dossier d’archives prouve que les
autorités de Bucarest, y compris la Sûreté générale, n’avaient pas pris
connaissance ou plutôt n’avaient pas attaché d’importance à la nationalité du
préfet de Storojinet. Bucarest a demandé « des investigations discrètes et un
rapport détaillé sur le passé » du préfet2. La réponse du chef régional de la Sûreté
générale est parvenue plus de deux semaines après :
« Monsieur Arthur Apati, mentionné dans le journal, le préfet du
département de Storojineţ, est le fils d’Iosef Apati, d’origine hongroise et religion
catholique, ancien fonctionnaire à la Préfecture de Storojineţ, et de Rose Salzman,
de religion juive, passé au catholicisme…
En 1919, M. Arthur Apati a épousé la fille de Manastirski, fonctionnaire
au tribunal, d’origine roumaine de Suceava-Bucovine et de religion orthodoxe.
En 1921, Arthur Apati et son fils sont passés à l’orthodoxie.
Notre enquête a prouvé que, dans son entière activité comme préfet du
département de Storojineţ, M. Arthur Apati a montré qu’il est un bon roumain, en
exerçant son activité au milieu de la population ukrainienne, majoritaire dans ce
département ; il a soutenu et a encouragé la cause des Roumains, comme un vrai
roumain. »3
Il faut mentionner que A. Apati, de profession avocat était préfet de
Storojinet, depuis novembre 1933. Ce rapport, rédigé ou au moins signé par
quelqu’un qui connaissait probablement le préfet, était très favorable à Arthur
Apati (Apathy). L’inspecteur régional de la Sûreté générale présente ce qu’il
considérait comme la principale qualité d’un préfet dans une région habitée par
des ukrainiens : même s’il était né hongrois et catholique, il était un bon roumain.
Prenant en considération la condition requise des fonctionnaires de l’État
de connaître parfaitement la langue roumaine, dans les années 1930 la stabilité des
chefs d’arrondissement appartenant aux minorités ethniques est devenue
problématique ; quelques-uns d’entre eux ont été même évincés. Les citoyens
non-roumains ont été mis à l’écart non seulement parce que la population
d’origine roumaine et les autorités étatiques doutaient de leur loyauté à exercer
des attributions de police, de sûreté ou d’ordre militaire, mais aussi pour des
raisons plus pointues comme le manque de soutien politique et la convoitise des
postes par les Roumains.
Il y a beaucoup d’exemples qui nous font penser que les autorités étatiques
manifestaient envers les fonctionnaires minoritaires et notamment les Hongrois –
on exclut de cette analyse les Juifs –, une attitude méfiante, sans qu’on puisse
pour autant parler d’épuration. Nous avons trouvé des circulaires ministérielles,
des articles de lois concernant les minorités ethniques et confessionnelles, mais
1
Ibidem.
2
ANIC, fonds Direcţia Generală a Poliţiei (2350), ds. 228/1937, f. 1.
3
Ibidem, f. 5 r., v.
342 ANDREI FLORIN SORA
villes de l’Ardeal il est nécessaire que l’État appuie l’église orthodoxe, pour
pouvoir mener la lutte de roumanisation des villes d’Ardeal »1.
1
Ibidem, f. 3 v.
2
Idem (332), ds. 282/1928, f. 4 r.
3
Le règlement du 23 novembre 1923 visant l’application de la loi du 19 juin 1923, Statutul ..., art.
31, p. 30.
4
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (332), ds. 282/1928, f. 4 v.
5
Ibidem, f. 14.
344 ANDREI FLORIN SORA
1
Le décret II du Conseil dirigeant spécifiait que la langue parlée dans l’administration transylvaine
était le roumain qui devait être appris en une année. Le décret II, publié dans Gazeta oficială du
14/27 janvier 1919, art. 9, repris in Aurel Galea, Formarea şi activitatea Consiliului Dirigent al
Transilvaniei, Banatului şi ţinuturilor româneşti din Ungaria (2 decembrie 1918 – 10 aprilie
1920), Târgu-Mureş, Tipomur, 1996, p. 448.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (330), ds. 158/1920, f. 213 r.
3
Idem (332), ds. 576/1927, f. 9.
4
Ibidem, f. 12.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 345
provoqué d’habitude par les élites locales roumaines – ou s’ils n’ont pas été
conduits à poser leur démission avant la mise en application du Statut du 19 juin
1923, les fonctionnaires appartenant aux minorités ethniques ont conservé sans
trop de difficulté leurs postes. Au milieu des années 1930, le fait de ne pas
maîtriser la langue roumaine est devenue une raison suffisante pour perdre la
qualité de fonctionnaire stable, ce qui exposait au licenciement. Les petites
fonctions et les fonctions techniques n’en ont pas été trop touchées.
À partir de 1934, les contrôles sur le niveau de connaissance de la langue
roumaine parmi les minoritaires semblent s’affermir. Ce changement n’est pas dû
aux autorités locales, mais à la préoccupation des organes centraux de l’État
d’avoir un personnel loyal et au-delà de tout soupçon. Dans une note officielle
portant le cachet « strictement confidentiel » expédiée par la direction de
l’administration de l’État du ministère de l’Intérieur les préfets étaient informés
d’une série de mesures contre les fonctionnaires minoritaires, mesures qui
conformément à ce document avaient été demandées par l’État Majeur de
l’Armée. À la date du rapport de l’État Majeur, son chef était le général Ion
Antonescu (du 1er décembre 1933 au 11 décembre 1934), futur dirigeant du pays
pendant la Deuxième Guerre mondiale (de septembre 1940 à août 1944), connu
comme un nationaliste. Néanmoins, il est sûr que le gouvernement libéral ne serait
pas contre une telle décision, qui en réalité n’était pas un ordre venant de l’État
Majeur de l’Armée.
Nous citons intégralement la circulaire ministérielle (no 9845 du 5
septembre 1935), signée par le sous-secrétaire d’État, Dimitrie Iuca :
« Monsieur le Préfet,
J’ai l’honneur de vous informer :
Par le rapport no 12/1934, du délégué de l’État Major de l’Armée auprès
de ce Ministère, il vous a été demandé de prendre des mesures concernant les
fonctionnaires d’Ardeal, de Bucovine, de Bessarabie et de Dobroudja, vu que, par
rapport aux fonctionnaires roumains, tout particulièrement aux fonctionnaires
supérieurs, le pourcentage de ceux-ci est trop élevé et peut nuire aux intérêts de la
Nation.
Dans ce but, à l’occasion de la réunion avec le ministère de l’Instruction
publique, les préfets ont été convoqués également à une conférence au ministère
de l’Intérieur, pour discuter sur la situation des fonctionnaires minoritaires.
Comme résultat de ces discussions, nous vous demandons de prendre les
mesures suivantes, précisément dans le haut intérêt de la défense nationale :
I. Dans l’administration de la préfecture et du municipe on ne fera à partir
de maintenant aucune nomination de fonctionnaires appartenant aux minorités
II. On ne fera aucun avancement des fonctionnaires minoritaires.
III. Jusqu’au 10 septembre prochain on organisera un examen de langue
roumaine pour tous les fonctionnaires minoritaires, la commission sera formée
de :
346 ANDREI FLORIN SORA
1
Circulaire ministérielle, ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I (754), f. 1, ds. 291/1934, f. 1 r.,
v.
2
Télégramme du préfet de Cahul, Ibidem, f. 7.
3
Ibidem, f. 18.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 347
1
Ibidem, f. 180 v.
2
Ibidem, f. 101 – 105 r., v.
3
AJBv, fonds Prefectura judeţului Braşov. Serviciul administrativ, ds. 16/1938, f. 7-8 r., v.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 349
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 476/1922, f. 54-55.
2
Conformément au recensement de 1930 la répartition ethnique dans la Transylvanie historique
(sauf Crişana, Maramures et Banat) était la suivante : 57,6 % Roumains, 29,1 % Hongrois, 7,9 %
Allemands, Enciclopedia României, vol. I, Bucarest, 1938.
350 ANDREI FLORIN SORA
1922, parmi ceux accusés par Răuceanu de faire partie de la camarilla du préfet
figurait le préteur Stupariu accusé d’être « pro-hongrois » et donc coupable de
trahison envers sa patrie1. Dix mois plus tard, le conflit entre ces deux anciens
amis, Neamţu et Stupariu, avait pris de l’ampleur : on faisait des accusations
réciproques, y compris celle d’être trop proche des Hongrois. Les représailles et
les accusations contre Stupariu étaient faites par un nouveau sous-préfet, mais
l’auteur était assurément le préfet. L’adresse du sous-préfet au Ministère accordait
beaucoup de place à des reproches faits par deux habitants (Mihail Lazlo et Pavel
Gyorfas), qui dénonçaient le fait que Stupariu, premier préteur de Cristur, « avait
chanté l’hymne hongrois, avait des amitiés étroites avec les chauvinistes hongrois
de Cristur et à l’occasion de la réforme et dans d’autres situations avait soutenu
les intérêts des Hongrois au détriment des intérêts des Roumains »2. À son tour, le
préfet Neamţu fut critiqué par le chef de la Sûreté locale, à cause de ses
sympathies pro-hongroises : « Le préfet passe trop de temps avec les Hongrois, ils
participent ensemble aux fêtes dans plusieurs locaux publics, en chantant des
chansons hongroises, parmi lesquelles figure également l’Hymne National
Hongrois »3. Quelques mois plus tard le chef de la Sûreté retira sa déposition
contre le préfet4. En ce qui concerne le conflit qui opposa le préfet Valer Neamţu
au premier préteur Stupariu5, l’administration de Bucarest mit fin en licenciant ce
dernier, remplacé dans le poste de chef d’arrondissement, suite à la
recommandation du préfet, par le Hongrois Iosif Lengyel6.
Ce n’est pas par hasard si, dans le département de Trei Scaune, Toma
Metaxa a été nommé comme préfet (avril-septembre 1931), alors qu’il était un
membre important du mouvement d’extrême droite la Ligue « Vlad Țepes » (Vlad
l’Empaleur).
Quelques années plus tard, sous un gouvernement libéral dans le même
département Trei Scaune, le nouveau préfet utilisait l’argument nationaliste pour
écarter un directeur de préfecture. Ainsi, V. Menciu, un proche du préfet, a été
nommé par la volonté de celui-ci comme directeur de préfecture délégué à la place
d’Iosif Pop. Mais peu de temps après, celui-ci retrouva son poste, sur décision de
l’administration centrale, prise contre l’avis du préfet. Le préfet se servit ainsi
d’un argument très important à cette époque-là : Iosif Pop, premier préteur de
l’arrondissement Gheorghieni « par son attitude anti-roumaine déterminée par des
liens de parenté anciens, ne nous a pas satisfaits dans l’exercice de ses
responsabilités », en ajoutant même que « par son attitude il a été jusqu’à
saboté des actes administratifs, de sorte que son maintien comme directeur produit
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 198/1922, f. 2 r.
2
Idem, ds. 687/1922, f. 7 v.
3
Ibidem, f. 9 v.
4
Ibidem, f. 14.
5
Ibidem, f. 11.
6
Ibidem, f. 13 v.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 351
une situation impossible dans une région minoritaire hongroise où nous avons
autant d’intérêts nationaux roumains»1. Finalement, « le pro hongrois » Iosif Pop
a été transféré à Șimleul Silvaniei.
L’argument nationaliste compte dans la nomination des agents du pouvoir
central au niveau local, mais à notre avis l’État roumain n’a commencé à l’utiliser
d’une manière organisée et bien ciblée contre ses fonctionnaires minoritaires qu’à
la fin des années 1930. Des dérapages existent durant l’entre-deux-guerres mais
ils sont provoqués plutôt par des intérêts personnels. Le nationalisme est devenu
ainsi un argument pour écarter d’une administration déterminée, voire du service
public dans son ensemble, des gens incommodes. Dans une note – non signée,
adressée au ministre de l’Intérieur, probablement par le préfet de Caraş – était
demandé le transfert du premier préteur Milutinovici – un serbe – et à sa place le
signataire proposait quelqu’un «ayant des sentiments roumains qui fait la politique
roumaine, et non pas une de parti, parce que Milutinovici fait tout sauf politique
roumaine»2.
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I (754), ds. 8/1935, f. 97 r.
2
Ibidem, f. 95.
3
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 691/1922, f. 3 r.,
v.-5 r.
4
Copie, Ibidem, f. 7.
352 ANDREI FLORIN SORA
1
Ibidem, f. 13.
2
Revista Funcţionarilor Publici, IX, no 3-4, 1934, p. 7.
354 ANDREI FLORIN SORA
1
N. Ghiulea, Organizarea Statului. Mijloace şi metode noui ..., Bucarest, 1935, p. 125.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 355
nationalisme dans l’administration allait être amplifié par deux facteurs : l’un à
caractère local dû à la lutte pour des fonctions et au fait que le nombre de
minoritaires appartenant à des réseaux d’influence a beaucoup diminué, et le
deuxième dû à une politique d’État qui projetait sur les minorités ethniques
l’accusation que leurs membres étaient des agents de l’ennemi extérieur : de
l’URSS, de l’Hongrie, de la Bulgarie, etc.
Le discours officiel public visant la limitation de la présence des minorités
ethniques dans l’administration ne s’est pas concrétisé avant septembre 1940.
Néanmoins, notamment dans les années 1930 nous avons rencontré plusieurs
exemples où les autorités centrales et locales ont essayé de mettre en place une
politique excluant les minorités ethniques de toute fonction publique.
Ainsi par exemple, dans une note confidentielle du 15 février 1937
adressée par la direction de l’administration d’État au préfet de Durostor1 on
trouve un bon exemple de mise en pratique des artifices légaux pour mener une
politique de roumanisation de la fonction publique dans ce département. On ne
doit pas oublier que dans le sud de Dobroudja le nationalisme bulgare était très
fort, les actes de terrorisme contre l’État roumain étant à l’ordre du jour2.
Conformément à cette note, le ministère de l’Instruction avait informé celui de
l’Intérieur que parmi les fonctionnaires administratifs du département de Durostor
il y avait des individus de nationalité bulgare nommés dans la fonction publique
sur la base des études faites en Bulgarie, mais non reconnues par l’État roumain,
ou sur la base de certificats délivrés par des écoles secondaires bulgares de Silistra
ou d’autres écoles qui n’ouvraient pas le droit à une carrière publique. Les
autorités de Bucarest demandaient que le préfet fît des recherches pour découvrir
les fonctionnaires concernés et prendre les mesures prévues, donc leur
licenciement.
À la fin des années 1930, des mesures contre les minorités ethniques et
confessionnelles ont été prises dans plusieurs pays européens. La législation
roumaine est devenue elle aussi plus restrictive, mais la réduction de ces droits
s’est faite en respectant au moins une certaine légalité. La Constitution de 1938
prévoyait que les futurs ministres soient des citoyens roumains, au moins de trois
générations ; toutefois les anciens ministres étaient exemptés de cette règle3. Une
autre loi importante, qui nous permet de comprendre la mentalité des dirigeants de
1
Minute avec numéro d’enregistrement, ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I (754), ds.
99/1937, f. 6.
2
Pour plus d’informations voir l’étude d’Alberto Basciani, Un conflitto balcanico. La contesa fra
Bulgaria e Romania in Dobrugia del Sud, 1918-1940, Cosenza, Edizioni Periferia, 2001. Même si
l’auteur considère le sud de la Dobroudja comme un territoire bulgare et accuse les autorités
roumaines de trop d’injustices envers la population bulgare, le chercheur italien réussit à bien
appréhender l’ampleur et la force du mouvement des comitadji dans l’entre-deux-guerres dans le
Quadrilatère, menace effective à la sûreté de la Roumanie.
3
« Constituţia din 1938 », art. 67, in Constituţiile României…, p. 109.
356 ANDREI FLORIN SORA
l’époque, est la loi du 20 janvier 1939, modifiée le 26 juillet 1939, qui portait sur
« l’obtention et la perte de la nationalité roumaine », par laquelle on réglait les
procédures de naturalisation, qui devaient durer cinq ans. La période de cinq ans
devait devenir un « stage de civisme » pendant lequel le naturalisé devait montrer
des preuves de sa fidélité. On interdisait au naturalisé le droit d’être nommé dans
une fonction élective, même s’il s’agissait de la fonction de membre dans les
conseils locaux. L’interdiction était également valable en ce qui concernait le droit
de vote1. Les prescriptions prévues par la loi du 20 janvier 1939 touchaient aussi
la fonction d’avocat, considérée comme faisant partie des « fonctions
professionnelles »2. La loi du 20 janvier 1939 interdisait aux Roumains naturalisés
d’être nommés dans de hautes fonctions publiques (ministre, sous-secrétaire
d’État et des fonctions équivalentes). Une autre loi dont l'application pouvait avoir
des répercussions sur les fonctionnaires minoritaires, mais qui, à notre avis, fut
conçue surtout pour lutter contre les adversaires politiques du régime autoritaire
de Carol II, a été le décret-loi du 4 mars 1938 sur la suspension de l’inamovibilité
et de la stabilité des fonctionnaires publics et de l’inamovibilité des magistrats,
décision mentionnée aussi dans la Constitution3. En outre, les commissions de
discipline – organismes censés appliquer les sanctions contre les fonctionnaires –
étaient dissoutes, leurs missions étant confiées à l’autorité disposant du pouvoir de
nomination (le Roi, le ministre, le préfet, etc.). Avec ces mesures, l’indépendance
des fonctionnaires se trouvait largement réduite.
Le régime autoritaire de Carol II des années 1938-1940, à la faveur de la
crainte d’une invasion étrangère, ne s’est pas limité à la radicalisation des
politiques étatiques uniquement contre la communauté juive, mais ainsi contre
d’autres minorités ethniques et confessionnelles et même contre des Roumains,
mais qui appartenaient aux cultes néo-protestants, connus plutôt sous les
appellations adeptes de sectes ou pocăiţi (repentis). Comme toujours, le premier
espace qui devait être épuré des éléments nocifs à l’État était l’administration. Un
document qui montre cette véritable politique d’État contre ses propres citoyens
est une lettre confidentielle signée par le préfet de Braşov, le colonel Tocineanu,
adressée aux chefs d’arrondissement et aux maires, par laquelle il demandait le
licenciement des fonctionnaires adeptes des sectes. On suppose que cet ordre était
une recommandation de l’administration centrale, et qu’il a été appliqué
1
Jean Popovici, « Admiterea naturalizaţilor români în funcţiuni publice (Restricţiunile din noua
legislaţie) », in Revista de Drept Public, XV, no 1-2/1940, p. 164.
2
Jean Popovici trouve que l’interdiction frappant les naturalisées qui ne pouvaient devenir avocats
que seulement cinq ans après la date d’obtention de la citoyenneté, avait comme modèle la loi
française du 19 juillet 1934. Le juriste Popovici désirait que cette interdiction s’applique aussi dans
le cas des médecins, en donnant comme exemple une autre loi française, celle du 26 juillet 1935.
(J. Popovici, op. cit., p. 171).
3
Codul general al României, vol. XXVI, p. I, Bucarest, 1938, p. 205-206.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 357
1
AJBv, fonds Pretura Feldioara, ds. 3/1938, f. 19.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. II (755), ds. 119/1940, f. 1.
358 ANDREI FLORIN SORA
1
Ibidem, f. 5 r., v.
2
Idem, ds. 28/1940, f. 110.
3
Ibidem.
4
Idem, ds. 97/1940, f. 102 r., v.
5
Ibidem, f. 127 r., v.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 359
1
Ibidem.
2
Ibidem.
3
Idem, ds. 98/1940.
360 ANDREI FLORIN SORA
1
Christophe Charle, « Micro-histoire sociale et macro-histoire sociale. Quelques réflexions sur les
effets des changements de méthode depuis quinze ans en histoire sociale », in Christophe Charle
(dir.), Histoire sociale, histoire globale ?, Actes du colloque des 27-28 janvier 1989, Paris,
Fondation de la Maison des sciences de l’homme, 1993, p. 55.
362 ANDREI FLORIN SORA
ou dans la carrière politique. Elle permettait enfin d’obtenir plus de prestige sur le
plan local, afin de se faire élire parlementaire ou même maire d’une ville
importante. Pour les anciens magistrats et les officiers de réserve, la carrière
préfectorale était un bon choix s’ils voulaient préparer leur entrée dans la vie
politique au niveau national. À l’intérieur du parti politique et au niveau local, la
fonction préfectorale offrait beaucoup de prestige et de puissance, liée au rôle joué
par les préfets dans le processus électoral et à leur poids dans l’élection des
candidats du gouvernement.
En fonction de l’origine sociale et des fonctions antérieures nous avons
identifié plusieurs types de préfets.
Avant 1916, la majorité des préfets étaient de grands notables influents au
niveau local qui jouissaient aussi de la reconnaissance au sein de la haute société
nationale1, mais qui, en général, à l’intérieur de leur parti politique ne faisaient
pas, à ce moment-là, partie du corps dirigeant. Néanmoins, beaucoup de membres
importants des partis politiques avaient exercé antérieurement la fonction de
préfet.
Un deuxième type de préfet est celui du jeune homme issu des grandes
familles de propriétaires terriens de la région, en général avec un niveau
d’instruction élevé. Notamment pour ceux-ci, la fonction de préfet devait servir de
tremplin pour, au moins, le mandat de député, ou bien pour acquérir, à un certain
moment, une fonction plus haute ou même participer à un cabinet ministériel.
Un troisième type, qui ne cesse de croître est formé d’individus issus de
familles de petits et moyens commerçants, de petits industriels, ou de petits
propriétaires terriens y compris la paysannerie riche. Dans leur cas, la fonction
préfectorale signifiait un grand pas en avant et on l’obtenait après de longs efforts.
Dans ce cas-ci on identifie au moins deux catégories : celle d’abord des préfets
promus après une longue carrière administrative dans des fonctions subordonnées
(directeur de préfecture, chef d’arrondissement) – on parle donc d’une promotion
interne ; d’autre part les individus qui jouissent d’une grande visibilité et prestige.
La dignité préfectorale constitue un pas en avant également pour les agents issus
de la magistrature, de l’armée ou d’autres métiers (les médecins, les professeurs
ou les directeurs de lycée, les avocats, les journalistes, et, dans l’entre-deux-
guerres, les prêtres). Nous pouvons identifier un troisième groupe : les hommes
politiques locaux qui exercent différents métiers et pour qui la fonction de préfet
est la meilleure opportunité pour faire leur entrée autant dans l’administration que
dans la vie politique nationale.
Ensuite, le quatrième type que nous avons identifié sont ceux qu’on peut
nommer les déplacés, des gens choisis depuis Bucarest – le ministère de
l’Intérieur et (ou) les principaux dirigeants du parti au pouvoir.
1
Un aspect qui doit être mieux mis en relation avec notre objet d’étude est le poids des notables
locaux dans la politique intérieure et le schéma organisationnel des partis politiques.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 363
à janvier 1914. Grigore et Dimitrie Cozadini étaient les cousins de premier degré
de l’ancien prince régnant, Alexandru Ioan Cuza, fait qui n’a pas empêché le
nouveau pouvoir de les nommer dans la fonction de préfets.
Une autre situation, plus complexe, vise la tentative de certaines familles
de conserver leur influence dans le département, sans tenir compte du parti
politique au pouvoir. Un cas intéressant, mais non singulier, est celui de la famille
Lecca de Bacău qui a donné à ce département plusieurs préfets. Gheorghe Lecca,
futur ministre de la Justice, a été préfet de Bacău de 1867 à 1868, son fils Caton,
préfet de police de Bucarest et préfet de Bacău, de 1901 à 1904. Les deux fils de
Dimitrie Lecca, ancien ministre et frère de Gheorghe Lecca, ont été à leur tour
préfets de Bacău : Iunius (1895-1897, 1899) et Dimitrie Lecca (1904). En outre,
Iunius a épousé sa cousine Maria, fille de Gheorghe Lecca, mais leur mariage ne
résistera pas. Maria se remariera avec le futur préfet Panait Cantilli et Iunius avec
l’ex-épouse de son cousin, l’ancien préfet Caton Lecca, Elena Sideri1. Dans le
département de Bacău, l’alternance des libéraux et des conservateurs au
gouvernement fut perturbée par la nomination comme préfet de la part des
conservateurs du beau-fils du général Lecca, Panait Cantilli2.
La parenté avec un homme puissant était un facteur politique très
important, qui assurait un avantage de plus sur les autres candidats aux fonctions
publiques. Ils bénéficiaient ainsi plus facilement du soutien politique des membres
du parti au pouvoir afin d’accéder dans une haute dignité publique. Les cas
présentés ci-dessus montrent que le mariage qu’un demandeur d’emploi public ou
un fonctionnaire réalisait, pouvait influencer sa carrière dans l’administration ou
dans la politique. Hormis les réseaux d’influence qu’il pouvait générer, il ne faut
pas négliger l’importance du mariage comme facteur positif de montée dans la
carrière. Premièrement, pour la société conservatrice de l’époque, le mariage était
une preuve de la respectabilité du fonctionnaire, notamment dans le cas de
membres du corps préfectoral. Le mariage aide à l’autorité du fonctionnaire3.
Deuxièmement la dignité préfectorale, ainsi que celles de chef d’arrondissement et
directeur de préfecture réclamaient une forte présence publique dans la société
locale : participer et organiser des bals et des banquets, faire partie des comités
des sociétés de bienfaisance, participer à la collecte des fonds pour aider les
déshérités.
L’influence de la famille Brătianu dans la vie politique de la Roumanie est
bien visible dans les stratégies matrimoniales des futurs préfets. Plusieurs préfets
ont eu des liaisons matrimoniales avec cette famille. Elena Furduescu, nièce d’une
1
Mihai Sorin Rădulescu, Elita liberală românească 1866-1900, Bucarest, ALL, 1998, p. 86-88.
2
Panait Gheorghe Cantilli (1866-1956), originaire de la Valachie, marié avec Maria, la fille du
libéral moldave Gheorghe Lecca, était le fils d’un ancien Garde des Sceaux, Gheorghe Cantilli et
neveu du grand commerçant de Ploieşti Panaiot Hagi Hristu Cantilli.
3
Marie-Bénédicte Vincent, Serviteurs de l’État : les élites administratives en Prusse de 1871 à
1933, [Paris], Belin, 2006, p. 152.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 365
sœur de I. C. Brătianu, s’est mariée avec Petre Slăvescu, préfet d’Olt, Dolj, Putna
et Tulcea. Ilie I. Niculescu-Dorobanţu, préfet d’Ilfov avant et après la Première
Guerre mondiale, a épousé la fille de I. C. Brătianu, devenant aussi le beau-frère
du nouveau chef de file des libéraux, Ion I. C. Brătianu. Masinca une des nièces
de sœur du même I. I. C. Brătianu a été mariée deux fois avec deux préfets de
Muscel : la première fois avec Petre Pârâianu (préfet de 1879 à 1881) et la
deuxième fois avec Constantin N. Nicolau1 (préfet de 1877 à 1879 et de 1896 à
1899). D’autres préfets ont épousé des filles de grands hommes politiques
roumains : ainsi Gheorghe Beldiman, préfet d’Ilfov et de Fălciu a pris comme
épouse Lucia, fille du Mihail Kogalniceanu.
Les liens de parenté avec les supérieurs directs n’étaient pas toujours une
qualité ou un motif de promotion effective. Au début de l’année 1922, à Tulcea,
peu de temps après sa nomination, le nouveau préfet demandait le limogeage du
directeur de préfecture qui était son beau-frère, les deux hommes ayant épousé
deux sœurs. La loi ne permettant plus au préfet d’écarter de l’administration
départementale un chef d’arrondissement ou un directeur de préfecture sans
motifs bien fondés, il fit nommer son beau-frère dans l’arrondissement le plus
difficile, dans le Delta du Danube. Peu de temps après, le préfet demanda au
Ministère au moins sa mise à l’écart du département, en raison de l’absence de
capacités administratives de l’intéressé. Le préfet écrivait au ministre : « vous me
donnerez une grande aide si vous le transférez dans un autre département sans me
demander un rapport écrit »2. À son tour, l’ancien directeur de préfecture se
défendit en mettant en avant le fait que son supérieur agissait ainsi pour des motifs
personnels : l’épouse du préfet avait perdu un héritage au profit de sa propre
épouse. Il ajouta à son explication un certificat médical, qui attestait
l’impossibilité de travailler pour un certain temps3. Cet exemple nous révèle
l’évolution des pratiques administratives et même de la stabilité de la fonction. En
plus, même si le conflit n’était pas d’ordre administratif, les deux protagonistes
ont utilisé la loi pour se défendre ou accuser l’autre.
Jusqu’en 1867 la fortune était une condition légale pour accéder à la
fonction de sous-préfet. Considérant le fait que les chefs d’arrondissement (sous-
préfets) avaient des attributions qui les mettaient en contact direct avec l’argent
public, tout agent nommé dans ses fonctions devait déposer une garantie
hypothécaire. Jusqu’à la mise en application de la loi de 1867 sur l’organisation
du service de la perception de taxes, les sous-préfets avaient pour rôle de collecter
des taxes, des amendes et de les verser à la « Caisse générale » du département :
« les contraventions que les habitants des villages doivent acquitter suite à la
décision du Tribunal », « les sommes d’argent versées pour l’abonnement au
1
Le même Constantin N. Nicolau avait été marié auparavant avec une fille issue d’un premier
mariage du général Alexandru Cernat.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 476/1922, f. 169 v.
3
Ibidem, f. 187.
366 ANDREI FLORIN SORA
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia Administrativă (2602), ds. 84/1868, f. 12 r., v.
2
Ibidem, f. 10.
3
Ibidem, f. 6.
4
Idem, ds. 299/1871, f. 66 v.
5
Idem (2601), ds. 566/1866, f. 5.
6
Il faut tenir compte de fait qu’à la campagne le fonctionnaire et son arsenal symbolique influence
beaucoup une paysannerie qui doit rester soumise.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 367
commencent à être plus recrutés parmi les chefs d’arrondissement. Parmi les chefs
d’arrondissement des vagues de 1904 et 1908, titulaires du diplôme de droit, il y
avait peu qui avaient fini leurs études à l’étranger, beaucoup moins qu’avant. Les
fils de moyens et même de grands propriétaires terriens se sont orientés vers
d’autres carrières : ils commençaient surtout à exercer le métier d’avocat
immédiatement après l’obtention du diplôme de droit et, parallèlement ils étaient
très actifs dans les organisations politiques locales, en espérant ainsi se faire plus
facilement observés et obtenir par la suite des mandats parlementaires ou même
être nommés préfets.
Les dignités préfectorales, et à certaines époques même celle de chef
d’arrondissement, demandaient au candidat de posséder non seulement un cercle
d’amis pour accéder à ces fonctions, mais aussi des ressources financières. En
étudiant les échanges de lettres entre l’administration centrale de Bucarest et ses
agents administratifs territoriaux, nous avons observé que dans le dernier tiers du
XIXe siècle ceux-ci étaient encore assez peu préoccupés de la question du salaire,
même s’il ne couvrait pas toutes leurs dépenses. En revanche, dans l’entre-deux-
guerres il y a beaucoup de chefs d’arrondissement et de directeurs de préfecture
qui se plaignent au Ministère de leurs problèmes financiers et des dépenses liées à
leur poste qui n’étaient pas couvertes par l’État. Des demandes comme celle faite
en 1866 par Toma Cirişianu, sous-préfet de l’arrondissement de Târgşor, dans le
département de Prahova par laquelle « souhaitant venir en aide au Trésor Public »
il renonçait pendant un mois à son salaire1, démarche qui n’est pas singulière à
l’époque, n’apparaissent plus dans l’entre deux-guerres. Le niveau de cherté de la
région/ville où les préteurs étaient envoyés à leurs postes est devenu dans les
années 1920-1930 un facteur pris en compte autant par le fonctionnaire concerné
que par ses supérieurs. Parmi les régions considérées comme chères figuraient
Giurgiu et Sulina. En 1922, pour la fonction de chef d’arrondissement de Sulina,
le préfet de Tulcea demanda expressément au Ministère2 la nomination d’une
personne qui détienne une fortune personnelle, qui lui assure là-bas un train de vie
en conformité avec sa fonction. Celle-ci l’obligeait en effet à être en contact avec
la Commission du Danube, étant la première autorité roumaine que rencontraient
les étrangers qui descendaient à Sulina.
Dans des lettres ponctuelles ou dans des fiches d’évaluation, les préfets ou
les inspecteurs généraux administratifs affirmaient leur méfiance quant au fait que
leurs subordonnés étaient capables d’assurer la préséance et l’étiquette de la
dignité de chef d’arrondissement ou de directeur de préfecture3.
1
Ibidem, f. 254.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 476/1922, f. 169 v.
3
Voila la description d’un de ses administrateurs faite par le préfet de Muscel en 1911, dans les
premières fiches qualificatives sur l’activité des chefs d’arrondissement :
« Bon fonctionnaire. Il a beaucoup d’expérience, intelligent. Il accomplit très bien ses devoirs.
368 ANDREI FLORIN SORA
Il pourrait faire plus s’il s’appuyait sur une bonne situation matérielle, et ainsi il ne gaspillerait pas
son énergie …
… Il a une bonne conduite et il sait maintenir son prestige et s’imposer»
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 9/1911, f. 8.
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne p. I, (754), ds. 7/1937, 13 r., v.
2
Idem, ds. 5/1938, f. 15.
3
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 476/1922, f. 169 v.
4
Idem (332), ds. 4/1931, f. 104 v.
5
Idem, ds. 5/1931, f. 52.
6
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2602), ds. 274/1879, f. 44, 48.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 369
1
Idem, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (320), ds. 16/1890, f. 46.
2
Ibidem, f. 47.
3
Idem (324), ds. 789/1895, f. 21
4
Ibidem, f. 24, f. 27.
370 ANDREI FLORIN SORA
1
Sur l’activité administrative et politique de Remus Opreanu voir l’article de Gheorghe
Dumitraşcu, « Aspecte ale situaţiei Dobrogei în perioada noiembrie 1878–mai 1883. Activitatea
primului prefect de Constanţa, Remus N. Opreanu », in Anuarul Institutului de istorie şi
arheologie ‘A. D. Xenopol’, vol. XVIII, 1981, p. 293-304.
2
ANIC, fonds Elefterescu (1532), ds. 14, passim.
3
Anuarul Ministerului de Interne pe anul 1900, Bucarest, 1900, p. 226.
4
ANIC, fonds Elefterescu (1532), ds. 2, f. 2 r, v.
5
Anuarul Ministerului de Interne pe anul 1900, Bucarest, 1900, p. 226.
6
ANIC, fonds Kogălniceanu (1700), ds. 29, f. 3.
372 ANDREI FLORIN SORA
et des notaires est devenu plus sévère. Un moyen pour les chefs d’arrondissement
de se soustraire à cette obligation consistait à signer d’anciens procès verbaux, sans
un contrôle préalable, ou de demander aux notaires de venir à la sous-préfecture
avec le registre de la mairie, afin d’obtenir la signature qui prouvait que la visite a
été faite. Après 1904 le nombre de dénonciations contre les chefs d’arrondissement
qui n’effectuaient pas ce devoir a diminué. Les rapports devaient spécifier le jour de
l’inspection, le motif de la visite, les observations, les mesures prises pour rendre le
service administratif plus efficace1.
Si dans le cas du préfet la décision de licenciement, prise par le
gouvernement, avait comme principale cause la perte du soutien du parti politique
au pouvoir, et dans les années 1930, du soutien du roi Carol II, à partir de 1904 le
chef d’arrondissement ne pouvait pas être licencié arbitrairement. En ce qui
concerne les directeurs de préfecture, le changement de gouvernement ou
seulement l’arrivée d’un nouveau préfet conduisait d’habitude à sa rétrogradation
dans la fonction de chef d’arrondissement ou de chef de bureau de la Préfecture.
Dans la première décennie du XXe siècle, les directeurs de préfecture sont
devenus eux aussi plus stables, le changement de gouvernement ne provoquant
plus leur licenciement, même si l’alternance au pouvoir pouvait conduire à une
alternance dans les fonctions de chef d’arrondissement et de directeur de
préfecture.
La procédure d’évaluation de l’activité du chef d’arrondissement par
l’administration centrale du ministère de l’Intérieur n’était pas très compliquée : le
préfet avait l’obligation d’inspecter périodiquement les arrondissements de son
département ou à la demande du ministre de l’Intérieur. Des inspections
périodiques étaient faites aussi par les inspecteurs administratifs du ministère et,
exceptionnellement, par le ministre de l’Intérieur lui-même.
En ce qui concerne les dénonciations contre l’activité ou la conduite des
chefs d’arrondissement, elles sont nombreuses et diverses dans leur contenu.
D’habitude, ces pétitions avaient comme expéditeur les communautés de paysans
– rarement un seul paysan rédige une telle lettre –, les notabilités des communes
rurales (le maire, le prêtre, le notaire, les membres du conseil communal), les
fonctionnaires inférieures de la sous-préfecture et même les fermiers. La plupart
des plaintes contre le chef d’arrondissement pendant le Vieux Royaume étaient
déposées au début de sa fonction ou au début d’un nouveau gouvernement.
Il est évident qu’il y avait des mécontentements entre les sous-préfets et
les grands propriétaires fonciers ou leurs fermiers, mais ces réclamants n’ont pas
considéré toujours nécessaire de rédiger des plaintes, des lettres officielles. Ils
avaient la possibilité de résoudre ces conflits par l’intermédiaire du préfet ou avec
le soutien des personnes influentes de Bucarest et d’obtenir ainsi le licenciement
ou le transfert des fonctionnaires non désirés.
1
AJP, fonds Pretura Filipeşti, ds. 60, f. 14, f. 22, f. 24, f. 25.
374 ANDREI FLORIN SORA
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administrativă (2602), ds. 274/1871, f. 44, f. 48.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 375
1
Ibidem, f. 90.
2
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 476/1922, f. 89.
3
DAD, no 21, 6 février 1896, séance du 31 janvier 1896, le discours de Constantin Dobrescu-
Argeş, p. 1896.
4
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (320), ds. 16/1890, f. 161.
376 ANDREI FLORIN SORA
1
Ibidem.
2
Ibidem, f. 183.
3
Idem, (321), ds. 480/1892, f. 2.
4
Ibidem, f. 6 v.
5
Ibidem, f. 6 r.
6
Ibidem, f. 8.
7
Ibidem, f. 15-25 v. r.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 377
on constate que le nombre de plaintes faites par les préfets et les directeurs de
préfecture/sous-préfets contre les chefs d’arrondissement augmente. Aux acquis
législatifs inaugurés par la loi de 1904, continués et élargis par les lois
administratives ultérieures (de 1908, 1925) et le statut de 1923, s’est ajouté une
visible lenteur de l’administration centrale et des organes judiciaires à poursuivre
les fonctionnaires corrompus. Les chefs d’arrondissement et les sous-préfets qui
considéraient que leur poste était menacé par une enquête qui pouvait mener à une
poursuite judiciaire disposaient d’une possibilité en plus : se retirer
volontairement, à condition que leur ancienneté et leur âge leur permettent de
demander leur mise à la retraite sous le motif de mauvaise santé. Au début de
l’année 1926, Ioan Bindea, premier préteur dans l’arrondissement de Somes, fut
mis en garde par la Direction du personnel du ministère de l’Intérieur et sommé de
solliciter ses droits à retraite, suite à sa mise en disponibilité pour « déficience
grave pendant le service »1. Un autre cas est celui d’Ioan Binder : à la fin des
années 1930 on retrouve Binder dans la fonction de chef d’arrondissement de
Medias, mais dans les années 1920 il était chef du service financier de la
préfecture de Somes-Dej. Dans cette fonction, en 1925, il fut trouvé coupable par
le préfet et par l’inspection demandée par le Ministère de « négligence, non
exécution des ordres des supérieurs, préjudices causés à l’État, aux communes et à
des personnes »2. Binder essaya de limiter les conséquences de ce licenciement,
en demandant et obtenant sa mise à la retraite pour le motif de mauvaise santé :
les certificats médicaux prouvaient qu’il souffrait de l’« obésité du cœur ».
La mise à la retraite pour des motifs de santé n’excluait pas, le moment
venu, un éventuel retour dans l’administration. Ce moment pouvait être l’arrivée
dans des positions de pouvoir des amis, des parents, etc. ou, tout simplement, le
changement de gouvernement ou de la direction de l’administration locale.
L’arrivée au pouvoir en novembre 1928 du PNT a été perçue par beaucoup
d’habitants de Transylvanie comme une grande opportunité de se faire admettre
ou d’avancer en fonction dans l’administration centrale à Bucarest, ou simplement
dans l’administration locale de cette province. La constitution d’un gouvernement
PNT n’a pas constitué un espoir seulement pour les Roumains de Transylvanie,
mais aussi pour les minoritaires, qui pensaient que leurs chances augmentaient si
l’administration centrale avait une culture administrative proche de la leur et avec
laquelle ils pouvaient se lier d’amitié. C’est peut-être la manière de penser des
anciens fonctionnaires qui espéraient une intégration. Ce fut le cas pour le
Hongrois Bedő Béla qui, onze jours après la formation du gouvernement PNT, en
novembre 1928, demanda au Premier ministre Iuliu Maniu – et non pas au
ministre de l’Intérieur, Vaida Voevod, comme il aurait dû faire normalement –
d’être réintégré dans son ancienne profession : celle de (premier) préteur. Cette
1
Idem, (332), ds. 185/1927, f. 1.
2
Ibidem, f. 5.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 381
demande était expliquée par le fait que la maladie pour laquelle il avait été mis à
la retraite en 1923 (« douleur aux yeux ») était traitée. Il n’oubliait pas de se
plaindre du montant de sa retraite. Il indiquait même l’arrondissement souhaité,
Ocna Mureşului, et les motifs pour son choix : « je possède une petite propriété à
Ocna Mureşului, ainsi je peux l’administrer de suite et je sais que le préteur en
fonction veut être muté. »1
1
Ibidem, f. 42.
2
Loi du 25 mars 1908 sur la gendarmerie rurale, Codul general al României, vol. IV, Bucarest,
[1908], p. 398-410.
382 ANDREI FLORIN SORA
seulement des paysans, des commerçants, mais aussi des notables locaux. En
1929, même le préfet du département de Neamţ, Gheorghe Isăcescu, a été victime
des brigands : sa voiture a été arrêtée accidentellement sur une voie publique et il
a été pillé de 200.000 lei1.
Les bonnes relations avec la gendarmerie influençaient le fonctionnement
de l’administration et étaient souhaitées par le préfet, afin que son activité soit
appréciée par les habitants du département. L’arrestation des plus connus brigands
attirait l’attention de la presse et améliorait son image publique. Dans un entretien
réalisé plusieurs décennies plus tard, le professeur Virgil Tempeanu, ancien préfet
de Baia/Fălticeni (de 1919 à 1920 et de 1931 à 1932) n’oubliait pas de souligner
l’importance pour son activité dans cette fonction d’avoir bénéficié du soutien
d’un « collaborateur loyal », le chef de l’unité de gendarmes2. Il y a de cas où les
préfets ont fait des interventions auprès de l’administration centrale du ministère
de l’Intérieur afin de maintenir dans le poste de commandant de gendarmes du
département des personnes qui avaient prouvé leurs compétences dans cette
fonction3. Tout en invoquant la croissance du nombre de brigands, au début des
années 1920 il y a eu également beaucoup de sollicitations de la part des préfets
d’augmenter le nombre de gendarmes et même de maintenir dans leur
département des unités militaires4.
Les préfets, dans leur grande partie des notables locaux avec des intérêts
politiques et économiques dans le département et en quête de maintenir leur
prestige et leur poids, ont essayé d’avoir de bons contacts et relations avec les
magistrats, qui étaient inamovibles. La fonction détenue a entraîné maintes fois
les préfets à intervenir dans l’acte de justice, et même à chercher à imposer leurs
favoris dans le poste de magistrat.
Dans une lettre officielle de février 1934, de la direction du personnel du
ministère de la Justice, ayant le cachet « confidentiel », on dénonçait au ministère
de l’Intérieur les immixtions des préfets dans des questions pour lesquelles ils
n’avaient aucune compétence : « dans les dernières années il est devenu habituel
que messieurs les préfets interviennent auprès du ministère de la Justice, parfois
par des télégrammes ouverts, des fois par des télégrammes chiffrés … veuillez
informer les préfets de renoncer à donner des indications au ministère de la Justice
sur la nomination des magistrats ou des fonctionnaires judiciaires. »5
1
Universul, XLVII, no 183, 11 août 1929, p. 1.
2
Vasile G. Popa, Convorbiri cu Virgil Tempeanu sau elogiul spiritualităţii Germaniei, Bucarest,
Editura Grai şi Suflet-Cultura Naţională, 1998, p. 195.
3
Voir la demande du préfet de Brăila ou celle du préfet de Tulcea, ANIC, fonds Ministerul de
Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 536/1923, f. 9, f. 12.
4
Ibidem, f. 26 r., v., f. 53.
5
ANIC, fonds Ministerul de Interne, p. I (754), ds. 265/1934, f. 1 r., v.
384 ANDREI FLORIN SORA
Les préfets disposaient eux aussi de moyens pour montrer aux magistrats
leur puissance et leur poids dans l’administration, mais il s’agissait plutôt de
manifestations où on mettait en question le prestige des magistrats. Ainsi, pendant
les visites, officielles ou non, des membres de la famille royale ou du Premier
ministre, le préfet était celui qui arrêtait la liste des personnes participant aux
cérémonies de réception. Par exemple en 1926, à l’occasion de la visite de la reine
Maria dans le département d’Odorhei, le préfet interdit aux membres du tribunal
local d’être présents à la cérémonie de réception, même si leur présence était
obligatoire, étant données leurs fonctions1 .
L’opposition entre les fonctionnaires centraux et ceux de l’administration
locale, situés sur le même niveau hiérarchique constitue un trait qui n’échappe pas
non plus aux facteurs décisionnels de l’époque. La seule solution envisagée a
consisté à réaliser une grille salariale commune à toutes les fonctions. Ce type de
mesures prises dans les années 1920 n’a pas mis fin à l’animosité des
fonctionnaires territoriaux à l’encontre de l’administration centrale. Il n’était pas
question seulement de salaires, mais les notaires, les chefs d’arrondissement et
même les préfets dans leur relation avec les inspecteurs généraux administratifs
commencent à demander plus d’autonomie, en se légitimant comme ceux qui
connaissaient le mieux les réalités locales.
Un mémoire adressée au ministre de l’Intérieur par le sous-préfet de Gorj,
Emil Haiducescu, montre les aléas d’une carrière qui n’est pas unique. Ce
fonctionnaire faisait partie de la jeune génération de diplômés en droit qui avaient
été nommés chefs d’arrondissement dans les années 1900. En 1938 il y avait
encore 25 chefs d’arrondissement et sous-préfets (5% du nombre total de ces
fonctionnaires) qui en 1908 étaient inspecteurs communaux (chefs
d’arrondissement), donc qui avaient une ancienneté de plusieurs décennies dans
l’administration locale (et non seulement dans ces fonctions). On donne la parole
à Emil Haiducescu, fonctionnaire stable et en fin de carrière :
« … [J’ai] 31 ans d’ancienneté dans l’administration et le grade de
directeur de première classe ….
Entre l’administration centrale et les services extérieurs il a toujours existé
une lutte sur la question des avancements et c’est la seule raison par laquelle on
peut expliquer les avancements trop tardifs pour les fonctionnaires de
l’administration locale …
Dans une loi future il sera souhaitable que tout fonctionnaire avance dans
l’administration centrale seulement s’il a fait un stage dans l’administration
locale ; c’est la seule possibilité pour avoir une administration idéale … »2.
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 161/1926, f. 3 r., v.
2
Idem, ds. 5/1938, f. 7 r., v.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 385
1
Anuarul Ministerului de Interne pe 1914, Bucarest, 1914, p. 208.
388 ANDREI FLORIN SORA
En tenant compte du fait que tous les autres préfets de Bucovine ont été
décorés de la Steaua României, au grade d’officier, de même que d’autres
personnes de cette région, le soussigné se considère offensé, pour le motif qu’il a
été mis derrière des gens qui dans des moments difficiles ont montré leur
opportunisme et se sont positionnés, en plus, contre la Roumanité …
Étant donné cette situation, j’ai présenté à Monsieur le Ministre I. Nistor,
qui connaît très bien mon activité et les difficultés de toute ma famille, moi qui ai
refusé tout aide de l’État autrichien, qui ai dû partir en exil de 1916 à 1919 et qui
ai souffert des persécutions inimaginables, d’effacer mon nom du tableau des
décorés ; je ne peux pas figurer derrière ceux qui avant-hier – et aujourd’hui en
secret – étaient considérés comme des ennemis, simplement parce que le Bucarest
a pris la place de la Vienne et de Berlin »1.
Il est important de noter que cette lettre officielle, qui pouvait très
facilement être vue comme un affront, n’a pas conduit à une mise à l’écart
politique de Dimitrie Cojocaru, qui maintint sa fonction jusqu’à la chute du
gouvernement libéral, parti qui continua de le nommer dans ce poste également en
1927 et en 1933.
Avant 1939 – quand l’uniforme du Front de la Renaissance Nationale
devint obligatoire pour les fonctionnaires publics – les membres du corps
préfectoral n’étaient obligés de porter aucun autre costume ou signes distinctifs
que la cocarde tricolore pendant les cérémonies. Néanmoins, leur autorité et leur
fonction devait également se montrer par l’habit. En parlant du vêtement comme
fait social, Nicole Pellegrin a remarqué que « le vêtement est le meilleur des
révélateurs du fonctionnement social, le plus parlant peut-être puisque c’est à la
fois un bien matériel, un investissement et un langage, et que sous ces trois formes
il possède sa propre temporalité »2. On suppose que le vêtement d’un individu
devenu préfet ne se modifiait pas trop, la nomination dans ce poste étant en soi-
même une preuve de comportement exemplaire dans la société et du fait que son
titulaire savait user des signes du prestige.
De l’autre côté, dans le cas des chefs d’arrondissement et même pour les
directeurs de préfecture, pour arriver à un plus haut niveau sur l’échelle sociale et
implicitement dans la carrière, la fonction occupée devait aider à devenir un bon
exemple d’intégration dans la vie locale. Dans ces conditions le vêtement devait
assurer autant le respect de ses égaux et de la part des subordonnés, tout en évitant
de dépasser son budget et certaines limites financières, plus évidentes durant
l’entre-deux-guerres, période qui marque tant une fonctionnarisation qu’une
paupérisation accentuées.
1
ANIC, fonds Ministerul de Interne. Divizia administraţiei centrale (331), ds. 190/1923, f. 2.
2
Nicole Pellegrin, « Le vêtement comme fait social total », in Christophe Charle (dir.), Histoire
sociale, histoire globale …, p. 82.
Conclusions
politiques en leur offrant des emplois. Mais, par l’adaptation, voir l’imitation du
modèle institutionnel et législatif français, par l’imposition des lois novatrices,
l’élite politique roumaine témoigne d’une volonté de changement.
La nécessité d’une étude comparative centrée sur les titulaires d’une
fonction qui se ressemble, sur des catégories professionnelles d’un même système
partageant le devoir de la fonction, nous a dirigé à choisir les membres de
l’administration préfectorale : c’est aussi un sujet peu étudié dans
l’historiographie roumaine. Des études biographiques et hagiographiques jusqu’à
des analyses bien construites et très complexes menées en France et en Italie,
l’historiographie sur l’administration préfectorale et son personnel est bien riche
et s’inscrit dans des directions de recherche plus larges comme l’histoire des
élites, des institutions étatiques ou des régimes politiques. Entre les préfets
roumains et leurs subordonnés, les directeurs de préfecture, et les chefs
d’arrondissement, il n’y avait pas que des rapports de subordination, il y
avait aussi des interdépendances, des interactions et des contacts au-delà de la
fonction publique. En outre, on assiste à des passages d’un groupe à un autre
accompagnés d’une montée dans la hiérarchie sociale.
Dans un État centralisateur comme ce fut le cas de l’État roumain, la
fonction de préfet avait une importance particulière. Le préfet avait une double
qualité : agent du gouvernement et chef de l’administration locale décentralisée.
L’intérêt du gouvernement était de confier cette fonction à des personnes fidèles
au parti politique au pouvoir, prêts à servir leurs demandes officielles ou d’autres
requêtes. Ce problème était au cœur de la nomination des préfets et acquiert un
caractère plus particulier après la Première Guerre mondiale. Dans le Vieux
Royaume, les hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur n’étaient pas assez
forts et manquaient de moyens pour imposer leurs candidats, alors qu’au niveau
local c’étaient les notables qui réclamaient ce poste. Il s’agissait aussi d’un
échange, on concédait à plus d’autonomie locale pour se voir accéder à une
fonction publique plus haute.
Avant 1925, l’absence d’une procédure d’admission à la fonction de préfet
a suscité de nombreux débats. Le préfet était censé ne pas être soumis à des
critères d’admissibilité parce que « c’est un poste de confiance inconditionnée et
nous ne pouvons pas limiter cette confiance par certaines conditions
d’admissibilité imposées à l’individu qui bénéficie de la confiance du ministre ;
par conséquent, nous ne demandons aucune condition d’admissibilité »1. De cette
manière, les fidèles du parti et les notables du département pouvaient aisément
accéder à ces postes. Néanmoins, pour toute la période étudiée, les préfets avaient
une formation scolaire supérieure aux autres catégories de fonctionnaires :
nombreux sont ceux qui ont obtenu leurs diplômes à l’étranger, et il y en a qui
sont docteurs en sciences juridiques ou en sciences administratives. Dans l’entre-
1
DAD, no 48, 23 mai 1892, la séance du 18 mai 1892, p. 683.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 391
faire vite afin d’éviter qu’un autre membre du parti politique ne demande le poste.
La grande partie des préfets (titulaires) ont fait de la politique au niveau local.
L’attribution officielle, celle de veiller au bon déroulement des élections et
le devoir, non officiel mais figurant parmi les obligations de parti, d’assurer la
victoire des candidats gouvernementaux, faisaient du préfet un personnage
important au niveau local – la possibilité de favoriser certains candidats, même à
l’intérieur de son groupe politique – et national. Le chef de file de l’organisation
locale se considérait en droit de donner son avis non seulement sur la nomination
des petits ou des moyens fonctionnaires, mais aussi sur la haute fonction de préfet.
Nous avons vu que cette dignité était une sorte de prix pour le chef de
l’organisation locale du parti qui maintes fois la refusait pour se contenter de
rester/devenir parlementaire ou tout simplement parce qu'il ne lui apportait pas un
grand prestige. Néanmoins, la nomination dans ce poste signifiait souvent acquérir
un plus de prestige, mais aussi la consolidation de l’influence exercée, des
contacts plus étroits avec le ministre de l’Intérieur, avec des personnalités
politiques, et même avec la famille royale.
En comparaison avec le Vieux Royaume, la Roumanie de l’entre-deux-
guerres est plus hétérogène du point de vue de l’élite du pays et de son origine
sociale. Un aspect intéressant est qu’une grande partie des préfets ont puisé leur
légitimité politique dans des métiers qui leur conféraient du prestige : avocat,
professeur ou même directeur de lycée dans le département, professeur des
universités, prêtre, haut officier. Après la Première Guerre mondiale, les
distinctions qui séparaient les préfets des chefs d’arrondissement se sont
multipliées, mais il existe toujours des enchaînements et des affinités pour tous les
membres de l’administration préfectorale, liés à des intérêts politiques ou de
carrière.
Le processus de modernisation de l’appareil bureaucratique et la
préfiguration de l’administration au sens wébérien du terme n’ont pas réussi à
mettre en cause l’ingérence du politique dans les affaires publiques. Les fraudes
électorales sont déterminées aussi par ces pratiques qui faisaient voir les creux de
la législation en vigueur. On est ici à la limite de l’effet pervers d’une
administration mise au service du parti au pouvoir. Même si au sujet de la
politisation de l’administration la situation est restée presque identique, il y a une
nette distinction entre le Vieux Royaume et la Grande Roumanie. Si avant 1916 le
fonctionnaire public, en tant qu’agent du parti au pouvoir, accomplissait ses
attributions au service de celui qui l’avait promu, pendant l’entre-deux-guerres, à
l’exception du préfet, le chef d’arrondissement, le directeur de préfecture et les
autres fonctionnaires ne sont plus qu’une roue dans cet engrenage en
accomplissant des attributions au service de celui qui était au pouvoir.
Annexes
Les Rois de la Roumanie
Carol I de Hohenzollern-Sigmaringen, 10/22 mai 1866 – 27 septembre/10 octobre
1914 (jusqu’en 1879 prince régnant, de 1879 à 1881, altesse royale, roi de la Roumanie à
partir de 1881)
Ferdinand, 10 octobre 1914 – 20 juillet 1927
Mihai, 20 juillet 1927 – 8 juin 1930, régence royale
Carol II, 8 juin 1930 – 6 septembre 1940
Mihai, 6 septembre 1940 – 30 décembre 1947
1
D’après le calendrier julien, employé en Roumanie jusqu’en avril 1919.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 395
Source : Statutul funcţionarilor publici (Lege şi regulament), din 19 iulie 1923 cu toate
legile modificatoare (1923-1937), troisième édition, Bucarest, 1937 [1926], p. 3-7.
398 ANDREI FLORIN SORA
Le chef d’arrondissement
XVIIIe siècle : vătaf de plai et zapciu en Valachie; ocolaş en Moldavie
1831-1832: sub-cârmuitor en Valachie; privighetor de ocoale en Moldavie
Les années 1850 : sub-administrator.
À partir des années 1860 : subprefect
1901: subprefect et revizor comunal
1902: subprefect
1904: inspector comunal
1908: administrator de plasă
1918: administrator de plasă dans le Vieux Royaume, dans le Quadrilatère et en
Bessarabie; prim-pretor en Transylvanie
1925: pretor
1929: prim-pretor
1936: pretor
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 399
19. La constitution à Lehliu, par la banque populaire, d’une société pour assurer
le bétail.
20. Nous avons soutenu, aux réunions culturelles dans la langue du peuple, 36
conférences rurales, qui vont être publiées.
21. La composition d’un mémoire adressé au ministère de l’Industrie et du
Commerce sur la question du commerce rural, ouvrage couronné avec 100 lei, prix reçu
en 1910 avec autres trois ouvrages.
Source : Lettre adressée au ministre de l’Intérieur par Nicolae Al. Ioan, licencié
en droit, ancien administrateur d’arrondissement définitif cl. I. ANIC, fonds Ministerul de
Interne. Divizia administraţiei centrale (330), ds. 81/1912, f. 4-5 r. v.
Repères chronologiques
1877
9/21 mai 1877 : la Chambre des députés proclame l’Indépendance de la Roumanie ;
les forces roumaines se joignent à l’armée russe pour lutter contre l’armée ottomane.
1878
19 février/3 mars 1878 : le traité de paix de San-Stefano entre la Turquie et la Russie.
1/13 juin-1/13 juillet : congrès international de Berlin. Par le traité de Berlin
l’indépendance de la Roumanie était reconnue, ainsi que la conquête du nord de la
Dobroudja. En contre partie, la Roumanie cédait à la Russie le sud de la Bessarabie.
Projet de loi sur l’organisation des communes rurales et urbaines de 1878, C. A.
Rosetti ministre de l’Intérieur.
1879
9/21 mars 1879 : loi sur les justices de paix.
2/14 mai 1879 : loi sur la responsabilité ministérielle.
13/25 octobre 1879 : loi de révision de l’article 7 de la Constitution de 1866, qui
prévoit comme condition pour l’obtention de la citoyenneté roumaine l’appartenance à la
religion chrétienne.
1880
Février 1880 : création du Parti Conservateur.
9/21 mars 1880 : loi sur l’organisation de la Dobroudja, modifiée en 1886 et en
1913.
11/23 avril 1880 : création de la Société des Chemins de fer Roumains.
17/29 avril 1880 : création de la Banque Nationale de la Roumanie.
1881
14/26 mars 1881 : le Parlement roumain vote une loi selon laquelle la Roumanie
devient royaume, Carol I est proclamé roi.
1882
Novembre 1882 : nouvelle loi communale.
1883
1/13 mars 1883 : loi sur les conseils départementaux.
18/30 octobre 1883 : la Roumanie signe en secret un Traité d’alliance avec
l’Autriche-Hongrie ; au même jour l’Allemagne adhère elle aussi à ce traité. La
Roumanie devient membre de la Triple Alliance.
1884
9/21 juin 1884 : loi électorale, modifiée en 1895, 1897, 1903, 1904, 1907, 1911,
1912, 1913, 1914. Par la loi du juin 1884 les électeurs étaient divisés en trois collèges
pour la Chambre des députés et en deux collèges pour le Sénat.
10/22 juin 1884 : loi sur la création des Domaines de la Couronne.
L’inauguration de la première ligne téléphonique en Roumanie qui fonctionnait
entre le ministère de l’Intérieur et le Palais de la Poste.
1886
30 mars/11 avril 1886 : loi sur l’organisation judiciaire de Dobroudja, annulée par la
loi sur l’organisation judiciaire de 1909.
15/27 juin 1886 : loi sur l’élection des conseils communaux, modifiée en 1903 et en
1905.
1887
7/19 mai 1887 : loi des communes rurales et urbaines.
Adoption du Code commercial, inspiré du code italien.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 405
1888
En Valachie (mars-avril 1888) et en Moldavie (avril-juin 1888) l’État se confronte
avec de fortes révoltes paysannes contre les grands et les moyens propriétaires agraires.
Les paysans s’élèvent également contre la loi sur les contrats agricoles et la corruption
des autorités locales.
Projet de loi sur l’organisation des communes rurales et urbaines de 1888, Theodor
Rosetti ministre de l’Intérieur.
1890
Mai 1890 : loi sur le droit à la retraite des fonctionnaires civils et ecclésiastiques.
1/13 juillet 1890 : loi concernant le cumul des fonctions publiques, loi modifiée le 4
juillet 1891 (des dérogations à la loi concernant le cumul).
1/13 septembre 1890 : loi sur l’organisation judiciaire.
Projet de loi sur l’organisation des communes rurales de 1890, le général Manu
ministre de l’Intérieur.
1892
19/31 avril 1892 : loi sur l’administration centrale du ministère de l’Intérieur,
modifiée le 30 avril 1895.
1/13 novembre 1892 : loi sur l’organisation de l’administration extérieure du
ministère de l’Intérieur, modifiée en 1895, 1896 et 1904.
3/15 novembre 1892 : règlement d’application des lois sur le ministère de
l’Intérieur.
1/13 mai 1892 : loi sur l’organisation du corps télégraphe-postal.
1893
29 mai/10 juin 1893: loi sur le clergé.
4/16 juillet 1893 : « loi du maximum », sur les taxes et les contributions des
communes rurales et urbaines.
1/13 septembre 1893 : loi sur la création de la Gendarmerie rurale.
1894
31 mai/12 juin 1894: loi sur les conseils départementaux.
31 juillet/12 août 1894 : loi sur l’organisation des communes urbaines, modifiée en
1900, 1905, 1908.
1895
29 janvier/10 février 1895 : loi sur la Cour des comptes.
19/31 mars 1895 : règlement sur la comptabilité du département.
21 avril/3 mai 1895: loi sur les mines. Cette loi établissait le droit de l’État sur les
richesses du sous-sol, à l’exception du pétrole et de l’ozochérite. Selon cette loi et le
règlement pour son application, l’État avait le droit de trouver un concessionnaire pour
les richesses du sous-sol, ce fait avait permis d’attirer de capital étranger en Roumanie.
1896
30 avril/12 mai 1896: loi de l’enseignement primaire. La durée de l’instruction
primaire était de cinq ans dans les écoles rurales et quatre ans dans les écoles du milieu
urbain.
1897
6/18 mars 1897 : loi qui déclare le dimanche jour férié.
406 ANDREI FLORIN SORA
1898
23 mars/4 avril 1898: loi de l’enseignement secondaire et supérieur. L’enseignement
secondaire était organisé sur huit ans, divisés en deux cycles : inférieur et supérieur.
1899
Projet de loi sur l’organisation des communes rurales et urbaines.
1900
14/27 mars 1900 : Code de procédure civile, modifié en mai 1900, en 1904, 1905,
1907 et en 1909.
Projet de loi sur l’organisation des communes rurales et urbaines de 1900.
1902
23 février/8 mars 1902: loi générale sur les pensions de retraite, modifiée en 1904,
1906 et en 1907.
5/18 mars 1902: loi des métiers.
1903
1/14 avril 1903: loi sur l’organisation de la police générale de l’État, modifiée en
1905 et 1914.
20 juin/3 juillet 1903 : règlement sur le service des agents auxiliaires de la police
générale de l’État.
1904
1/14 Mai 1904 : loi sur l’organisation des communes rurales et les modifications du
1/14 Avril 1905.
29 juin 1904/12 juillet 1904 : loi sur le service sanitaire.
14/27 septembre 1904 : règlement sur l’organisation du service policier dans les
villes.
1905
1/14 juillet 1916 : loi du sur l’organisation des Douanes, modifiée en 1912 et en
1916.
Mai 1905 : loi du contentieux administratif.
1907
De février à avril 1907, la Roumanie est confrontée à une grande révolte paysanne
qui commence en Moldavie et atteint une grande partie du Royaume.
1908
23 décembre 1907/5 janvier 1908 : l’adoption d’une nouvelle loi sur les contrats
agricoles, conséquence de la révolte paysanne ; cette loi donnait plus de droits aux
paysans et aux travailleurs agricoles.
25 mars/8 avril 1908 : loi sur la création de la Direction de police et de la Sûreté de
l’État.
29 mars /12 avril 1908 : loi sur l’organisation des communes rurales et
l’administration des arrondissements, en vigueur jusqu’en 1925 et modifiée en 1909,
1910, 1911, 1912, 1913.
17/30 mars 1908 : loi sur l’organisation de l’Armée, en vigueur jusqu’en 1913.
1909
24 mars/6 avril 1909 : loi sur l’organisation judiciaire, loi modifiée le 27 avril/10
mai 1911, 14/27 mars 1912, 11/24 avril 1913.
19 avril 1909/1er mai : loi selon laquelle on accorde des droits civiles et politiques
aux habitants des départements de Constanţa et de Tulcea, modifiée au 14/27 avril 1910.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 407
1910
20 décembre/2 janvier 1910 : loi sur les syndicats et les associations professionnelles
des fonctionnaires publics.
1912
En octobre 1912 éclate la première guerre balkanique, opposant la Grèce, la
Bulgarie, la Serbie et le Monténégro à l’Empire ottoman. La guerre prend fin en mai 1913
par la défaite de l’armée turque.
1913
8/21 mai 1913 : loi sur l’organisation de l’armée, en vigueur jusqu’en 1924.
En juin 1913 éclate la deuxième guerre Balkanique qui oppose la Bulgarie à la
Grèce, à la Serbie, au Monténégro, à la Turquie et à partir de 27 juin/10 juillet à la
Roumanie. Quelques semaines après le début des combats, la Bulgarie demande la paix.
La Conférence de Paix a eu lieu à Bucarest, de 16/29 juillet à 28 juillet/10 août 1913.
Suite au traité de Paix de Bucarest, la Roumanie a annexé le sud de la Dobroudja
(Quadrilatère), ancien territoire de la Bulgarie.
1914
1/14 avril 1914 : loi sur l’organisation judiciaire dans la nouvelle Dobroudja
Suite au début de la Première Guerre mondiale, le 21 juillet/3 août la Roumanie
proclame sa neutralité.
27 septembre/10 octobre : Carol I, le roi de la Roumanie, meurt à l’âge de 75 ans.
Son neveu Ferdinand I devient roi de la Roumanie (28 septembre/11 octobre 1914).
1916
4/17 août 1916 : le gouvernement roumain signe le traité de l’Alliance avec les pays
de l’Entente, l’entrée de la Roumanie dans la guerre devrait permettre à la Roumanie
l’intégration des territoires de l’Autriche-Hongrie, habités par des Roumains.
14/27 août 1916 : l’État roumain déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie. Les armées
roumaines entrent en Transylvanie.
17/30 août 1916 : l’Allemagne déclare la guerre à la Roumanie ; la Bulgarie et la
Turquie le feront deux jours plus tard.
Septembre-octobre 1916 : l’offensive des armées de l’Autriche-Hongrie et de
l’Allemagne, le retrait de l’armée roumaine de Transylvanie et de Dobroudja.
20 novembre/3 décembre 1916 le gouvernement I. I. C. Brătianu et la famille royale
quittent Bucarest pour Iaşi. L’armée, le Parlement, et beaucoup de réfugiés s’installent à
Iaşi.
23 novembre/6 décembre 1916 : la ville de Bucarest est occupée par les armées des
Puissances centrales. Le front s’est stabilisé au sud de la Moldavie et dans les Carpates
Orientales. Le gouvernement roumain obtient le contrôle de la Moldavie.
1917
Juillet-Août 1917 : les grandes batailles de Mărăşti, Mărăşeşti et Oituz. Les armées
roumaines et russes résistent à une forte offensive des armées de la Triple Alliance.
22 novembre/5 décembre 1917 : l’armistice de Brest-Litovsk entre la Russie
bolchevique et les Puissances centrales.
26 novembre/9 décembre 1917 : la Roumanie signe à Focşani un armistice avec les
Puissances centrales.
2/15 décembre 1917 : proclamation d’une République Fédérative Démocratique
Moldave en Bessarabie.
408 ANDREI FLORIN SORA
1918
24 janvier/6 février 1918 : proclamation de l’indépendance de la
République Moldave.
18 février/3 mars 1918 : la paix de Brest-Litovsk, entre la Russie et l’Allemagne.
27 mars/9 avril 1918 : L’Assemblée Nationale de la Bessarabie, Sfatul Țării vote
l’union avec la Roumanie.
24 avril/7 mai 1918 : suite au Traité de Paix de Buftea (près de Bucarest) la
Roumanie signait la paix avec les Puissances centrales. Ce traité n’a pas été ratifié par le
roi Ferdinand. La Roumanie cède à la Bulgarie la Dobroudja, elle accepte des
rectifications territoriales à la frontière des Carpates au profit de l’Autriche-Hongrie
(environ 5.600 km2). En outre, par ce traité la Roumanie entrait dans un état de
dépendance politique et économique envers l’Allemagne.
18/31 octobre 1918 : la constitution en Transylvanie d’un Conseil national roumain.
27 octobre/9 novembre 1918 : la Roumanie entre de nouveau en guerre aux côtés
des Alliés.
15/28 novembre 1918 : l’union de la Bucovine avec la Roumanie.
18 novembre/1er décembre 1918 : à Alba Iulia une grande assemblée nationale
décide l’union de la Transylvanie avec la Roumanie.
1919
5/18 mars 1919 : décret loi sur l’adoption du calendrier grégorien remplaçant celui
julien à partir du 1er avril 1919 devenu 14 avril 1919.
Septembre 1919 : création de l’Université de Cluj
29 décembre 1919 : le Parlement roumain vote les lois de ratification de l’union de
la Roumanie avec la Transylvanie, la Bucovine et la Bessarabie.
1920
4 avril 1920 : loi qui dissout les organismes régionaux locaux des provinces
intégrées en 1918 à l’État roumain.
1921
26 mai 1921: loi des associations professionnelles.
17 juillet 1921 : loi sur la réforme agraire dans le Vieux Royaume.
30 juillet 1921 : loi sur la réforme agraire en Transylvanie et en Banat.
Projet de loi initié par le ministre de l’Intérieur C. Argetoianu qui visait
l’organisation administrative de la Roumanie.
1923
29 mars 1923 : l’adoption d’une nouvelle Constitution.
19 Juin 1923 : loi sur le Statut des fonctionnaires publics.
23 Novembre 1923: règlement sur le Statut des fonctionnaires publics.
1924
6 février 1924 : loi sur les personnes morales.
24 février 1924 : loi sur l’obtention et la perte de la nationalité roumaine.
23 juin 1923 : loi sur l’organisation de l’armée.
4 juillet 1924 : loi des mines.
26 juillet 1924 : loi sur l’enseignement primaire.
19 décembre 1924 : loi visant le combat des infractions contre l’ordre public.
1925
15 avril 1925 : loi générale sur les pensions de retraite.
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 409
13 Novembre 1934 : décret-loi ratifié par la loi de 18 Avril 1935) sur l’hiérarchie
des fonctions et sur l’organisation des services et des administrations publiques.
1936
27 mars 1936 : adoption d’une nouvelle loi administrative, modifiée le 6 avril et le 8
mai 1936.
Projet de loi sur le statut des fonctionnaires publics.
1937
17 mars 1937: adoption d’un nouveau Code pénal et de procédure pénale.
1938
10 février 1938 : coup d’État, le début du régime autoritaire de Carol II.
17 février 1938 : interdiction des partis politiques.
24 février 1938 : référendum qui approuve la nouvelle Constitution.
28 février 1938 : publication de la nouvelle Constitution
Mars 1938 : suppression de tous les partis politiques.
14 août 1938 : loi administrative.
19 août 1938 : loi sur l’organisation de la justice, l’inamovibilité des magistrats est
annulée.
11 octobre 1938 : création par décret-royal des bresle, des associations des
travailleurs, des fonctionnaires et des employés qui devaient remplacés les syndicats.
15 décembre 1938 : création du Front de la Renaissance Nationale, le seul parti
politique reconnu.
1939
20 janvier 1939 : loi, modifiée le 26 juillet 1939, concernant « l’obtention et la perte
de la nationalité roumaine » selon laquelle les procédures de naturalisation devaient durer
cinq ans.
15 mars 1939 : suite à l’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne, l’État
roumain décrète la mobilisation partielle de son armée.
9 mai 1939 : une nouvelle loi électorale qui limite le suffrage universel.
21 septembre 1939 : le Premier ministre Armand Călinescu est assassiné par les
membres de la Garde de Fer.
1940
8 juin 1940 : adoption d’une nouvelle loi sur le Statut des fonctionnaires publics,
appelée Codul funcţionarilor publici.
26 juin 1940 : l’URSS adresse un ultimatum au gouvernement roumain pour céder la
Bessarabie et la Bucovine du Nord. La Roumanie accepte les conditions au 27 juin.
30 août 1940 : le « Diktat de Vienne » contraint la Roumanie à abandonné une
grande partie de la Transylvanie au profit de la Hongrie.
4 septembre 1940 : le général Ion Antonescu devient premier ministre
6 septembre 1940 : l’abdication du roi Carol II en faveur de son fils Mihai.
7 septembre 1940 : l’accord de Craiova, la Roumanie cède à la Bulgarie la
Dobroudja du Sud.
16 septembre 1940 : la Roumanie devient « État national légionnaire ».
21 septembre 1940 : décret du général Antonescu sur l’administration territoriale,
retour à la loi de 1936.
Bibliographie
I. SOURCES
Fonds personnels
Fonds Mihail Berceanu, vol I, inv. 608. Dossiers: I/12, I, 16, II/9, III/4, VI/36.
Fonds Elefterescu, familial, inv. 1532. Dossiers: 2, 3, 11 14, 23, 34.
Fonds Gheorghian V., inv. 1754. Dossiers: 2, 8.
Fonds Dumitru Iov, inv. 1636. Dossiers : 1.
Fonds Mihail et Vasile Kogalniceanu, inv. 1700. Dossiers : 29, 48, 58.
Fonds Iunin I. Lecca, inv. 1701. Dossiers : 1, 2, 3, 4.
Fonds Toma Metaxa, inv. 1640. Dossiers : 2, 4, 17, 18.
Fonds Panopol, inv. 1667. Dossiers : 2, 13, 27.
Fonds Zigre, inv. 1722. Dossiers : 16, 17, 18.
Fonds Colecţii personale (inv. 1875) : Sevastiţa Cămărăşescu (ds. 1) et fonds
Genealogii de familie (ds. 1).
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 413
2. Archives départementales
Archives départementales de Brasov
Prefectura judeţului Braşov. Serviciul administrativ (Fonds Préfecture du
département de Braşov. Service administratif). Dossiers : 1/1923, 4/1928, 2/1929,
5/1929, 2/1932, 2/1935, 2/1938, 16/1938, 18/1938, 44/1939, 57/1940-1942.
Prefectura judeţului Făgăraş. Serviciul administrativ - Subprefectul (Fonds
Préfecture du département de Făgăraş. Service administratif - sous-préfet). Dossiers:
1/1921, 40/1923, 92/1926, 139/1930, 567/1935.
Prefectura judeţului Făgăraş. Cabinetul Prefectului (Fonds Préfecture du
département de Făgăraş - cabinet du préfet). Dossiers: 4/1938, 312/1938.
Pretura plăşii Feldioara (Fonds Préture de l’arrondissement de Feldioara).
Dossiers : 2/1938, 3/1938, 29/1939, 31/1939.
1
Je remercie Nicolae Mihai pour l’aide accordée dans les fonds des Archives départementales de
Dolj.
414 ANDREI FLORIN SORA
I. B. Annuaires et Presse1
Administraţia publică, Bucarest, 1903-1906.
Administraţia română2, Cluj, Lugoj, Bucarest, 1921-1924.
Almanahul administrativ ilustrat, 1905-1906.
Anuar 1941. Înalta Curte de Conturi, Bucarest, 1941.
Anuar Parlamentar, 15 iunie 1931, Bucarest, 1932.
Anuarul funcţionarilor de Stat ai Ministerului de Interne pe anul 1923, Bucarest,
1923.
Anuarul funcţionarilor din administraţia centrală şi exterioară a Ministerului,
aprilie 1938, Bucarest, 1938.
Anuarul Ministerului de Interne, Bucarest, 1893-1901, 1904, 1914.
Anuarul Ministerului de Justiţie, Bucarest, 1899-1900.
Anuarul oficial al Ministerului Instrucţiunii şi al Cultelor, Bucarest, 1898/1899,
1902/1903, 1910, 1912.
Anuarul general al Presei române pe anul 1907, Bucarest, 1906.
Anuarul personalului administrativ pe anul 1943. Ministerul Culturii Naţionale şi
al Cultelor, Bucarest, 1944.
Anuarul statistic al României, 1904, Bucarest, 1904.
Buletinul Societăţii funcţionarilor publici, Bucarest, 1887-1889, 1892, 1903, 1915.
Buletinul Statistic al României/Bulletin Statistique de la Roumanie, 1909-1910.
Calea ferată, Bucarest, 1897-1899.
Calendarul funcţionarilor, Ploieşti, 1916.
Curierul administrativ, Bucarest, 1907-1916.
Desbaterile Adunarii Deputaţilor3, 1882, 1892-1896, 1904-1908, 1922-1925, 1929
Desbaterile Senatului4, 1892-1896, 1922, 1925.
Ecoul, Arad, janvier 1938.
Funcţionarul public, les noms ultérieurs ont été Funcţionarul et Funcţionarul.
Interesele funcţionarilor, Bucarest, 1883-1905.
Funcţionarul, Chişinău, 1926.
Gazeta Ilustrată, Bucarest, 1913.
1
En ce qui concerne les annuaires qui ont eu une apparition limitée à un numéro, nous avons
choisi de les indiquer dans cette rubrique, à l’exception de l’Annuaire du Parti du Peuple (Anuarul
Partidului Poporului pe anul 1925). Il faut tenir compte du fait que le but de leur direction était
une apparition périodique. La grande partie de ces annuaires représente une source précieuse pour
notre démarche biographique.
2
Le chapeau initial de la revue Administraţia română, parue à Cluj était « organul Reuniunei
notarilor comunali şi cercuali din Transilvania, Banat şi părţile ungurene alipite » pour y devenir
ulterieurement « organul asociaţiei notarilor comunali din România » et son siège transféré à
Bucarest.
3
Cette publication est parue sous les titres suivants : Desbateri Parlamentare. Adunarea
Deputaţilor, Desbaterile Corpurilor Legiuitoare et à partir de 1922 Desbaterile Adunarii
Nationale Constituante a Deputaţilor.
4
Cette publication est parue sous ces titres: Desbateri Parlamentare. Senatul României,
Desbaterile Adunarii Nationale Constituante a Senatului (à partir de 1922).
SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 415
I. C. Sources édites
Recueils de documents
DIMITRESCO Victor, Réclamations des anciens fonctionnaires hongrois contre l’État
roumain. Devant le tribunal arbitral mixte roumano-hongrois de Paris. Débats sur
la compétence, plaidoirie de Victor Dimitresco, avocat de l’État roumain, Bucarest,
Monitorul oficial si Imprimeriile statului, 1934.
MURGESCU Bogdan, MURGESCU Mirela-Luminiţa, BUCUR Ion, SORA Andrei
Florin, Curtea de Conturi a României, 1864-2004. Culegere de documente,
Bucarest, 2004.
NASTASĂ Lucian, SALAT Levente (dir.), Maghiarii din România şi etica minoritară
(1920-1940), Cluj, Centre des ressources sur la diversité culturelle, 2003.
SCURTU Ioan, BOAR Liviu (dir.), Minorităţile naţionale din România, Bucarest,
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SCURTU Ioan, DORDEA Ioan (dir.), Minorităţile naţionale din România, 1925-1931:
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ȚINEGHE Cristina (dir.), Problema transilvană reflectată în notele prezentate de
delegaţia maghiară la Conferinţa de Pace de la Paris (1920), Editura Centrul de
Studii pentru Resurse Româneşti, [s.l.], [200-].
Législation
ALBU Emanuel, De la Înalta Curte de Casaţie la Curtea Supremă de Justiţie. O istorie a
legilor de organizare şi funcţionare, 1861-2001, Bucarest, Monitorul oficial, 2001.
ALEXIANU George, Statutul funcţionarilor publici (Lege şi regulament), din 19 iulie
1923 cu toate legile modificatoare (1923-1937), troisième édition, Bucarest, 1937
[1926].
1
Dans la période étudiée le nom du journal officiel de l’État roumain a connu plusieurs
changements : Monitorulu: jurnalu oficialu alu Principateloru Unite (1862-1874), à partir de 1875
Monitorul oficial al României, nom changé en 1886 en Monitorul oficial: Regatul Romaniei. À
partir de 1928, il est paru en deux parties. Sauf indication contraire, pour la période d’après 1928
nous avons utilisé seulement la première partie du journal officiel de l’État roumain.
416 ANDREI FLORIN SORA
Œuvres littéraires
CARAGIALE Ion Luca, O scrisoare pierdută, Galati, Porto Franco, 1993. En français la
traduction d’Eugen Ionesco et Monica Lovinescu, Une nuit orageuse, M’sieur
Leonida face à la réaction, Une lettre perdue, Paris, L’Arche, 1994.
CARAGIALE Ion Luca, Momente şi schiţe, édition de A. Rosetti, Șerban Cioculescu et
Liviu Călin, Bucarest, Eminescu, 1985.
15 anni din viaţa unui funcţionar modest, Bucarest, 1875.
MORUZI Dumitru C., Înstrăinaţii. Studiu social în formă de roman (1854-1907),
Bucarest, 1912 [1910].
PASCU Adrian, Domnul şef ... (schiţe din viaţa funcţionarilor), Bucarest, Editura
Adevărul, [1933].
PETRESCU Cezar, Comoara regelui Dromichet, Bucarest, Cugetarea, 1946.
REBREANU Liviu, Răscoala, Bucarest, Adevărul, 1932.
ZAMFIRESCU Duiliu, « Subprefectul », in Nuvele, édition d’Alexandru Săndulescu,
Bucarest, Minerva, 1988, p. 106-130.
418 ANDREI FLORIN SORA
COSMA Aurel junior, Bănăţeni de altă dată, vol. I, 42 de figure bănăţene, Timişoara,
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Dicţionarul general al literaturii române, vol. 1-6, Bucarest, Univers Enciclopedic, 2004-
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Dicţionarul literaturii române de la origini pâna la 1900, Bucarest, Editura Academiei
R.S.R., 1979.
Enciclopedia României, vol. I-II, Bucarest, 1938-1940.
EREMIA George G., Albumul Partidului Conservator din România, Bucarest, 1912.
Figuri politice şi administrative din epoca consolidării, Bucarest, 1924.
FRUNZESCU Dimitrie, Dicţionaru statisticu alu României, Bucarest, 1872.
GHEORGHIU D., Theodor Dornescu în activitatea sa de primar al urbei Piatra şi
prefect al judeţului Neamţ, Piatra Neamţ, 1905.
GHIĂCIOIU P., Nomenclatura judeţelor, Bucarest, 1913.
IONIȚOIU Cicerone (dir.), Victimele terorii comuniste: arestaţi, torturaţi, întemniţaţi,
ucişi, vol. 1-9, Bucarest, Maşina de Scris, 2000-2007.
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SERVIR L’ÉTAT ROUMAIN. LE CORPS PRÉFECTORAL, 1866-1940 435
Résumé
Construire un État-nation roumain, c’est aussi l’édification obligée d’un
système législatif et institutionnel européen moderne. La production/reproduction
de cet édifice étatique se révèle à travers un examen de l’évolution sociale et
professionnelle des fonctionnaires publics au cours de la période 1866-1940. Par
leurs attributions et devoirs, leur fonction représentative et leur position sociale
valorisée, les fonctionnaires ont joué un rôle d’agents et de garants de la
modernisation, tout en étant eux-mêmes sujets du processus.
Si la première partie de cette recherche est une analyse de l’institution de
l’État, des fonctionnaires publics et de leurs traits généraux, la deuxième partie
saisit les principaux agents de l’État dans le territoire. Le fonctionnement de
l’État, les pratiques législatives et administratives, les modalités de constitution
des groupes socioprofessionnels sont étudiés à partir des agents du pouvoir central
au niveau local : préfets, directeurs de préfecture et chefs d’arrondissement.
L’analyse de l’administration locale permet d’appréhender la complexité
du fonctionnement étatique à grande échelle. En effet, cette recherche se propose
d’apporter une contribution à l’étude de l’histoire politique en examinant aussi
bien le niveau local que les interactions entre le centre et la périphérie. Jusqu’où la
théorie de l’État centralisateur, responsable de toutes les décisions, peut-elle rester
valide ?
Mots clés : Roumanie, XIXème-XXème siècles, fonctionnaires publics,
administration, modernisation institutionnelle, corps préfectoral