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Université Thomas SANKARA Année académique 2020-2021

UFR/ SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION

COURS DE DROIT CONSTITUTIONNEL

Chargé du cours :

Yabré Gilbert ZONGO

~1~
PLAN DU COURS

TITRE I : L’ETAT...................................................................................................................5

CHAPITRE I : LA DEFINITION DE L’ETAT......................................................................6

Section I : Les éléments constitutifs de l’Etat.....................................................................6

§ I : La population............................................................................................................7

§ II : Le territoire..............................................................................................................7

§ III : Le pouvoir politique...............................................................................................8

Section II : Les attributs juridiques de l’Etat.....................................................................10

§ I : La personnalité juridique de l’Etat.........................................................................10

§ II : La souveraineté de l’Etat.......................................................................................11

CHAPITRE II : LES FORMES DE L’ETAT.......................................................................13

Section I : L’Etat unitaire..................................................................................................13

§ I : Approche notionnelle de l’Etat unitaire.................................................................13

§ II : Les modalités d’organisations de l’Etat unitaire...................................................14

Section II : L’Etat composé...............................................................................................15

§ I : La confédération d’Etats.........................................................................................15

§ II : La fédération d’Etats.............................................................................................16

TITRE II : LA CONSTITUTION.........................................................................................19

CHAPITRE I : LA NOTION DE CONSTITUTION............................................................20

Section I : La compréhension de la Constitution...............................................................20

§ I : Les critères de définition de la Constitution...........................................................20

~2~
§ II : Les typologies constitutionnelles..........................................................................21

Section II : L’exercice du pouvoir constituant..................................................................23

§ I : Le pouvoir constituant originaire...........................................................................23

§ II : Le pouvoir constituant dérivé ou institué..............................................................24

CHAPITRE II : LE CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE DES LOIS....................27

Section I : La notion du contrôle de constitutionnalité......................................................27

§ I : L’origine du contrôle de constitutionnalité............................................................27

§ II : La justification du contrôle de constitutionnalité des lois.....................................28

Section II : Les mécanismes du contrôle...........................................................................29

§ I : Le contrôle par voie d’action..................................................................................29

§ II : Le contrôle par voie d’exception...........................................................................30

TITRE III : L’ORGANISATION CONSTITUTIONNELLE DU POUVOIR D’ETAT. 34

CHAPITRE I : LA SEPARATION DES POUVOIRS.........................................................35

Section I : La théorie de la séparation des pouvoirs..........................................................35

§ I : L’exposé de la théorie de la séparation des pouvoirs.............................................35

§ II : L’organisation des pouvoirs..................................................................................36

Section II : L’expression du principe de la séparation des pouvoirs.................................37

§ I : La règle de la spécialisation...................................................................................38

§ II : La règle de l’indépendance...................................................................................38

CHAPITRE II : LES REGIMES POLITIQUES...................................................................40

Section I : Les régimes classiques de séparation des pouvoirs..........................................40

~3~
§ I : La séparation souple des pouvoirs : Le régime parlementaire...............................40

§ II : La séparation rigide des pouvoirs : Le régime présidentiel..................................42

Section II : Les régimes mixtes.........................................................................................43

§ I : Le régime semi présidentiel....................................................................................44

§ II : Le régime semi parlementaire...............................................................................45

~4~
TITRE I : L’ETAT

~5~
CHAPITRE I : LA DEFINITION DE L’ETAT

L’Etat est une création historique relativement récente. Il est apparu à la charnière du
Moyen Age et de la Renaissance. La plupart des grands Etats européens se sont constitués
entre le 15 è siècle et le 18è siècle. Toutefois, ce n'est qu'au 19 et au 20 è siècle que l'Etat tel
qu'on le conçoit actuellement est devenu un modèle pour toutes les sociétés politiques
organisées.
Sujet donc de prédilection du droit constitutionnel, l’Etat est aujourd’hui une réalité
aisément perceptible. L’Etat du fait de son abstraction est intouchable, mais sa présence est
sensible et même incontestable dans la vie de tous les jours. Avant d’aller plus loin dans
l’analyse, un détour exégétique du mot Etat nous semble nécessaire.
Dans une dimension large, l’Etat désigne une collectivité humaine géographiquement
localisée et politiquement organisée, ayant généralement pour support sociologique une
Nation. Dans ce sens, on dira que le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Sénégal………
constituent des Etats.
Dans une dimension restreinte, l’Etat indique, au sein d’une société politique
organisée, les pouvoirs publics, c'est-à-dire les gouvernants par opposition aux gouvernés. Au
sein de ces pouvoirs publics, il peut également s’identifier au pouvoir central par rapport à ces
démembrements que sont les collectivités locales. Il est courant d’entendre parler, par
exemple, de la tutelle de l’Etat sur les régions ou encore sur les communes.
L’Etat apparait donc comme un phénomène empreint d’une certaine complexité, dont
la compréhension commande que l’on l’appréhende, non seulement, sous l’angle de ses
éléments constitutifs (Section I) mais aussi sous l’angle de ses attributs juridiques (Section
II)

~6~
Section I : Les éléments constitutifs de l’Etat

Toute société humaine ne forme pas un Etat. Son existence est subordonnée à des
éléments dont la réunion est obligatoire. A défaut, on ne saurait parler d’Etat. Il s’agit, entre
autres, de la population (§ I), du territoire (§ II), et du pouvoir d’Etat (§ III)

§ I : La population

L’Etat est, avant tout, une communauté humaine, un groupe social. Il ne peut y avoir
d’Etat sans une population qui y réside de façon permanente, de même qu’un Etat disparait si
toute sa population disparait ou émigre. La population, c’est l’ensemble des individus
composant une société humaine. Elle apparaît comme une donnée démographique,
statistique1. En clair, la population est une collectivité humaine vivant sur un territoire
déterminé. Elle est composée d'hommes et de femmes à des étapes diverses de leur vie :
enfance, adolescence, maturité, vieillesse.
Au Burkina Faso, la population peut être entendue comme l'ensemble des personnes
physiques vivant de façon permanente sur le territoire étatique sur lesquelles l'Etat exerce sa
souveraineté personnelle. Les étrangers, c'est-à-dire les personnes physiques vivant sur le
territoire national qui ne sont pas rattachées à l’Etat par un lien de nationalité, n'entrent pas
dans la détermination de l'élément humain constitutif de l'Etat . Ils restent néanmoins soumis à
la souveraineté plénière et exclusive de l'Etat, qui a pour obligation de les fournir une
protection.
Il n’existe pas non plus de facteur minimal en deçà duquel, on ne saurait parler de
population. Le droit international ne prévoit aucun seuil minimal exigible pour fonder
valablement un Etat. Une population est nécessaire pour qu'il y ait un Etat quel qu'en soit le
nombre. Tous les Etats sont égaux en droit international, abstraction faite du facteur nombre.
Mais il reste qu’une population importante reste tout de même un facteur de puissance dans
les relations internationales. La Chine, dont la population frise aujourd’hui le milliard
d’habitants, est un exemple parlant de ce point de vu. La population est perçue donc, à tout

1
Augustin LOADA et Luc Marius IBRIGA, Droit constitutionnel et institutions politiques, Collection précis de
droit burkinabè, PADEG, mars 2007 p 48
~7~
point de vu, comme un élément essentiel dans la définition de l’Etat. Mais qu’en est-il du
territoire ?

§ II : Le territoire

A coté de la population, il y a le territoire qui situe l’Etat dans l’espace et délimite la


sphère d’exercice de ses compétences matérielles. Le territoire est perçu comme étant l’espace
à l’intérieur duquel l’Etat exerce la plénitude de sa souveraineté. C’est un phénomène
essentiellement spatial. Il n'y a pas d'Etat sans territoire. De même l'Etat qui perd son territoire
n'est plus un Etat. N'importe quel territoire suffit, les micro-Etats sont juridiquement des Etats
à part entière. En droit, il n'y a pas d'exigence de surface minimale. L'étendue du territoire
n'est pas déterminante même si elle a politiquement une influence décisive sur la puissance de
l'Etat. Le territoire de l’Etat peut être terrestre, maritime et aérien.

Le territoire terrestre concerne le sol sur lequel est établie la population. Pour la
détermination de ses frontières, l'Etat peut s'appuyer non seulement sur des données
naturelles, tels que les lacs, les fleuves, les montagnes ou encore la mer, mais aussi sur des
références artificielles, qui peuvent être établies par accord, par une décision de justice, ou
encore à l’aide de lignes artificielles comme les parallèles, en témoigne le 38è parallèle
séparant les deux Corées.

Le territoire maritime comprend les eaux intérieures, qui correspondent aux eaux qui
baignent sur les côtes de l’Etat comme les ports, la mer territoriale, constituée par la zone
maritime adjacente aux eaux intérieures sur laquelle s'étend la souveraineté de l'Etat. Les
limites de la mer territoriale étant fixées par les Etats sur une zone allant de 12 à 200 milles
marins. L'Etat côtier y exerce des compétences exclusives tant au point de vue économique
(pêche, exploitation des ressources minérales) qu'en matière de police (navigation, douane,
santé publique).

Le territoire aérien concerne également l'espace aérien qui surplombe les territoires
terrestres et ses eaux territoriales adjacentes en dehors de l'espace extra-atmosphérique, c'est-à
dire jusqu'à l'altitude à laquelle l'Etat peut se défendre.

~8~
§ III : Le pouvoir politique

Le pouvoir politique peut être défini comme le pouvoir de prévision, d’impulsion, de


décision et de coordination qui appartient à l’appareil dirigeant du pays. Le pouvoir d’Etat
apparait comme ce qui permet aux gouvernants, d’exprimer et de conduire la politique
nationale. Il est le fruit d’un processus d’évolution, qui a terme, aura permis d’aboutir a un
pouvoir beaucoup plus démocratique. D’un pouvoir à l’origine diffus, en passant par le
pouvoir personnel, l’on aboutit à un pouvoir institutionnalisé.
Le pouvoir diffus correspond à la forme primitive du pouvoir antérieur à l'apparition
des formes organisationnelles des sociétés humaines. Le pouvoir diffus n'était pas confié à un
titulaire physiquement identifié mais était dispersé dans la communauté. Tout le monde
commande et obéit en même temps. Invisible, le pouvoir était néanmoins présent en ce que
des mécanismes de sanction existaient. Ils pouvaient être déclenchés automatiquement en cas
de violation à travers la réprobation, l’exclusion sociale.
Relativement au pouvoir personnel ou individuel, il repose sur des rapports personnels
entre le souverain et ses sujets. Le pouvoir s'incarne dans la personne de son détenteur
respecté pour ses vertus personnelles notamment sa force physique, son prestige naturel, sa
puissance matérielle ou occulte. Le pouvoir personnel doit être distingué du pouvoir
personnalisé. La personnalisation du pouvoir est un phénomène qu'on retrouve dans les
démocraties contemporaines qui trouve son fondement dans la concentration du pouvoir entre
les mains d'une seule autorité institutionnelle.
Quand au pouvoir institutionnalisé, il correspond à la forme moderne du pouvoir, il est
dissocié de la personne de son détenteur pour se reporter sur une entité abstraite qui lui sert de
support. Le pouvoir existe en lui-même, indépendamment de ses agents. Il se déploie
conformément à des règles générales, impersonnelles et objectives qui déterminent son mode
d'acquisition et ses conditions d'exercice.
Le pouvoir d’Etat implique non seulement une relation de commandement et
d’obéissance, mais il suppose aussi un pouvoir essentiellement civil et laïc.
La relation de commandement met en exergue la possibilité qu’à l’Etat de prescrire
unilatéralement des normes de conduite à l’intention des gouvernés qui sont tenus de s’y plier.
Tout contrevenant s’expose à des sanctions, c’est en cela que l’on affirme que l’Etat à le
monopole de la contrainte physique légitime. Le commandement a pour contrepartie
l'obéissance des gouvernés qui est conditionnée par la légitimité du pouvoir. Cela suppose

~9~
préalablement que les autorités dépositaires du pouvoir de commandement soient élues par les
citoyens. On dit donc de l’Etat qu’il dispose d’un pouvoir normatif, c’est-à dire, la faculté qui
lui est conféré de légiférer pour ses citoyens, et d’un pouvoir de coercition, impliquant la
capacité qu’à l’Etat de susciter l’obéissance des citoyens aux textes qu’il édicte, de faire
exécuter ses décisions, en recourant au besoin par la force.
Le caractère civil du pouvoir résulte du fait qu’il soit exclusivement exercé par un
personnel civil. Cela suppose une séparation nette entre les autorités civiles et les autorités
militaires dont la fonction est essentiellement orientée vers la défense du pays. Mieux, les
autorités militaires sont subordonnées au pouvoir civil, c’est pourquoi d’ailleurs le Chef de
l’Etat, autorité civile dépositaire du pouvoir d’Etat, est considéré comme le chef suprême des
armées dans la plupart des Etats démocratiques.
La laïcité du pouvoir renvoie au fait que l’Etat n’est ni religieux ni antireligieux. Il doit
observer une certaine neutralité vis-à-vis des confessions religieuses. L’Etat, garant de
l’intérêt général, ne devraient donc pas s’interférer dans des sphères religieuses tant leur
activité ne porte pas atteinte à l’ordre public.

Section II : Les attributs juridiques de l’Etat

L’Etat, du fait de sa pérennité, a des attributs juridiques qui favoriseraient son action
au plan à la fois national et international. Il s’agit, entre autres, de la personnalité juridique (§
I), et de la souveraineté (§ II).

§ I : La personnalité juridique de l’Etat

La personnalité juridique est une qualité qui s'attache aux personnes physiques et
morales. Elle leur confère la capacité d'être des titulaires de droits et d'obligations qui leur
permettent de participer au commerce juridique en prenant des actes, en détenant un
patrimoine composé de biens propres, en gérant un budget ou encore la possibilité d’ester en
justice.
La personnalité juridique, qui est une synonymie de la personnalité morale, permet
d’ériger l’Etat en de centre droits et de responsabilités susceptibles de s'obliger ou de se voir
~ 10 ~
traduire en justice. Il est doté d'une vie propre et indépendante des volontés individuelles de
tous ses membres. On lui reconnaît ainsi une capacité juridique lui conférant le pouvoir de
d'agir au nom de la collectivité et donc de participer au même titre qu'une personne physique
au commerce juridique. Cette personnalité juridique lui permet, ainsi, de prendre en charge de
façon permanente les intérêts de la nation. La personnalité juridique de l'Etat découle de
l'institutionnalisation du pouvoir. L'Etat, personne juridique, ne doit pas être confondu avec
ses autorités qui l'incarnent. Les autorités étatiques ne sont pas propriétaires des fonctions qui
leur sont confiées mais en sont les délégataires car elles les exercent au nom et pour le compte
de l'Etat.
Le fait que la personnalité de l’Etat ne se confonde pas avec celle de ses dirigeants
entraîne un certain nombre de conséquences :
-Les responsables de l’Etat sont simplement investis de leurs fonctions ; ils n’en sont
donc pas les propriétaires. Par conséquent, elles peuvent leur être retirées au profit d’autres
individus.
- Les décisions prises par les autorités étatiques sont réputées prises par l’Etat
personne morale et non par les individus ;
- Le patrimoine des gouvernants ne doit pas être confondu avec celui de l’Etat
- L’Etat ayant une existence juridique comparable à celle d’une personne physique
dotée de la capacité juridique, l'Etat peut posséder des biens, contracter des dettes, gérer des
services, entretenir une armée, une police, des tribunaux. Pour faire face à ses charges
financières, il dispose de ressources qu'il tire de ses impôts.
- Il existe une continuité de l’institution au-delà des changements qui peuvent affecter
le personnel dirigeant. En clair, l'Etat survit aussi bien à ses dirigeants éphémères qu'aux
générations qui se succèdent. Les changements qui surviennent dans sa composition ou sa
direction n'affectent ni l’existence, ni la durée des décisions de l’Etat. Par exemple, les lois de
l’Assemblée Nationale ou les actes pris par l’exécutif (Le Président de la République ou les
ministres) survivent aux gouvernants qui en ont pris l'initiative. Aussi, la continuité de l'Etat
est assurée même si le chef d'Etat en fonction n'est plus reconduit à la magistrature suprême ;
il reste en place jusqu'à l'investiture de son successeur.
La personnalité juridique n’est pas un attribut propre à l’Etat. Même les personnes
morales de droit public telles que les collectivités territoriales décentralisées, les
établissements publics, ou les personnes morales de droit privé, telles que les sociétés, les

~ 11 ~
associations ont une personnalité juridique. Mais il n’en va de même pour ce qui est de la
souveraineté qui est une attribution exclusive à l’Etat.

§ II : La souveraineté de l’Etat.

La souveraineté est une caractéristique essentielle de l'Etat. Certains auteurs y voient


un critère d’existence même de l’Etat. Jellinek notamment, caractérisant la souveraineté, fait
ressortir le fait que seul l’Etat à la compétence de sa compétence. Laferrière, pour sa part,
perçoit la souveraineté comme un pouvoir de droit initial, inconditionnel et suprême. Il
indique par là que l'Etat ne tient son pouvoir que de lui même, qu'il est fondé sur le droit et
qu'il n'a pas d'égal, ne relève d'aucun autre et ne reconnait aucun pouvoir qui lui soit supérieur
ou concurrent.
La souveraineté, entant qu’attribut essentiel de l’Etat, doit être examinée sous deux
angles, celle interne d’une part et celle externe d’autre part.
La souveraineté interne est celle tournée vers la communauté nationale. Elle s’exerce à
l’intérieur du territoire national. Dans sa sphère territoriale, l'Etat jouit d'une supériorité
absolue non seulement sur les individus, mais aussi sur les groupements publics ou privés
vivant à l'intérieur de son territoire. On dit qu'il est investi de la puissance publique qui lui
donne le pouvoir d'imposer sa volonté à tous ses citoyens. C’est sur ce fondement, d’ailleurs,
que l’on peut établir la distinction entre l’Etat des autres collectivités territoriales, en ce que,
seul l’Etat à la faculté de s’organiser comme bon lui semble et d’organiser, en même temps,
les collectivités territoriales qui lui sont subordonnées. En clair, la souveraineté est une
construction institutionnelle, un « pouvoir ultime », c’est-à-dire un « pouvoir qui ne saurait
être contraint, ni par plus grand, ni par plus petit, ni par égale de soi » 2. C’est la souveraineté,
justement, qui permet à l’Etat de poser des normes sans se soucier d'autres règles extérieures à
lui. Il détermine lui-même ses propres compétences et ses propres règles fondamentales. Il
fonde et délimite l'ordre juridique national. Il se donne sa propre Constitution, détermine
librement sa forme d'organisation politique.
L’aspect externe de la souveraineté est celui tourné vers la société internationale. La
souveraineté externe se traduit par un affranchissement de toute forme de domination dans le
commerce juridique international. Elle ne signifie pas, cependant, que l’Etat, du fait de sa

2
Bertrand BADIE et als., Table ronde : la fin des souverainetés ?, in Revue politique et parlementaire n° 1012,
Mai-Juin 2001.
~ 12 ~
souveraineté, doit se soustraire aux règles de droit international. De la souveraineté externe,
nait deux principes fondamentaux caractéristiques des relations internationales. Il s’agit de
l’égalité entre les Etats, qui proclame l’égalité juridique entre les Etats en droits et en devoirs,
et le principe de non ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat.

CHAPITRE II : LES FORMES DE L’ETAT

On distingue deux formes de l’Etat. Il s’agit d’une part de l’Etat unitaire (Section I) et
d’autre part des Etats composés (Section II).

Section I : L’Etat unitaire

On examinera successivement la notion d’Etat unitaire (§ I) et ses modalités


d’organisation (§ II)

§ I : Approche notionnelle de l’Etat unitaire

La structure unitaire est la forme la plus répandue d’Etat. La plupart des Etats, le
Burkina Faso, le Mali, le Sénégal, la France, sont organisés selon le modèle unitaire. L’Etat
unitaire, affirme Georges BURDEAU, est celui «qui ne possède qu’un seul centre
d’impulsion politique et gouvernementale. Le pouvoir politique dans la totalité de ses
attributs et de ses fonctions, y relève d’un titulaire unique qui est la personne juridique Etat.
Tous les individus placés sous la souveraineté de celui-ci obéissent à une seule et même
autorité, vivent sous le même régime constitutionnel et sont régis par les mêmes lois »3. Ici,
l’espace territorial est considéré comme un tout indifférencié, uniforme, sur lequel se déploie
l’autorité étatique, grâce à des relais périphériques intégrés dans la structure bureaucratique ou

3
J. ZILLER, Administrations comparées. Les systèmes politico-administratifs de l’Europe des Douze, Paris,
Montchrestien, 1993, p. 83.
~ 13 ~
seulement associés à la gestion locale. Dans l’Etat unitaire, les citoyens sont soumis au même
et unique pouvoir. Un parlement unique légifère pour l’ensemble des citoyens, qui sont
soumis à l’autorité d’un seul gouvernement et d’un droit unitaire. Dans sa facture idéal-
typique, l’Etat unitaire est un Etat-nation qui est parvenu, grâce au déploiement d’une
puissante machine administrative, à détruire définitivement toutes les allégeances locales et à
imposer sa loi4. La France a constitué pendant longtemps, l’archétype de l’Etat unitaire. Ce
modèle a été repris par les Etats africains francophones. Ainsi, la Constitution burkinabè en
son article 31 dispose que « le Burkina Faso est un Etat démocratique, unitaire et laïc. Le
Faso est la forme républicaine de l’Etat ». Dans l’Etat unitaire, il y a une sorte de simplicité
organisationnelle dans la mesure où l’Etat ne dispose donc qu’une seule organisation
juridique et politique. Il transmet sa volonté uniformément sur tout son territoire et sur toute
sa population qui est soumise à un même et unique pouvoir. Maintenant qu’en est-il de ses
modalités d’organisations ?

§ II : Les modalités d’organisations de l’Etat unitaire

L'Etat unitaire connaît des divisions territoriales qui apparaissent comme autant de
relais entre la population et le pouvoir central. La construction juridique de son espace
administratif peut alors emprunter des formes variables. Elle peut s’opérer soit par la
décentralisation soit par la déconcentration.
La déconcentration est un simple assouplissement de la centralisation. Elle consiste à
faire exercer des attributions de l’Etat par des autorités nommées par lui et réparties dans des
circonscriptions administratives (régions, provinces et départements) à travers le territoire.
Les fonctionnaires ou agents nommés dans ces circonscriptions exécutent les ordres du
pouvoir central et prennent des décisions sous son contrôle. Ces agents font partie d’une
hiérarchie et sont soumis au contrôle de leurs supérieurs, de sorte qu’ils ne participent en rien
à la création des normes et aux prises de décisions. Ils sont sous la responsabilité de leurs
supérieurs hiérarchiques qui peuvent les démettre à tout moment. La déconcentration
implique enfin un redéploiement des agents et des moyens administratifs en faveur des
services et localités les moins pourvus afin de remédier au phénomène de la concentration qui
caractérise trop souvent les administrations africaines.

4
B. BADIE et P. BIRNBAUM, Sociologie de l’Etat, Paris, Grasset, 1979, pp. 172 et s
~ 14 ~
La décentralisation consiste à transférer la gestion des affaires locales à des
collectivités autonomes et élues. Elle a pour objet d’associer les administrés de façon plus
étroite à la gestion des affaires publiques. Dans la décentralisation, l'Etat n'est plus la seule
personne publique. Au contraire il cohabite avec d'autres personnes publiques infra-étatiques
qui sont autant de centres de décisions et d'appareils autonomes. Elle peut s’opérer sur une
base territoriale ou technique. Elle est territoriale lorsqu’elle s’opère sur une base
géographique. Elle consiste à individualiser une collectivité humaine circonscrite sur une
portion du territoire nationale et à lui confier la gestion des affaires locales. Elle aboutit à la
création de collectivités locales qui sont des personnes publiques à caractère territoriales. Au
Burkina Faso, conformément au code général des collectivités territoriales, les collectivités
territoriales décentralisées sont la région et la commune qui peut être urbaine ou rurale. La
décentralisation technique ou verticale est également appelée décentralisation par services
s'opère sur une base fonctionnelle. Elle consiste à détacher un service ou un ensemble de
services spécialisés de l'Etat et à confier leur gestion à un établissement public qui est une
personne publique spécialisée. A cet titre, L’Université Ouaga II constitue un exemple de
décentralisation technique en ce sens qu’elle est un établissement public jouissant d'une
autonomie juridique et financière, contrairement aux lycées et aux écoles primaires qui sont
des structures déconcentrées de l'Etat. Les attributions conférées aux autorités décentralisées
sont fixées par la loi et non par la Constitution, qui reconnaît seulement le principe de la libre
administration des collectivités locales. En conséquence, le législateur peut par le vote d’une
loi, modifier les attributions des autorités locales. Par ailleurs, l’exercice des attributions des
collectivités locales est soumis à un contrôle de tutelle, beaucoup moins contraignant que le
contrôle hiérarchique qui s’exerce dans le cadre de la déconcentration.

Section II : L’Etat composé

De nos jours l'Etat composé peut emprunter deux formes différentes : la confédération
(§ I) et la fédération (§ II).

§ I : La confédération d’Etats

~ 15 ~
Il a existé dans l'histoire des Etats beaucoup de confédérations 5. La Confédération n'est
pas un Etat, ni même une véritable union d'Etats. Elle est une association d'Etats au sens du
droit international au sein de laquelle les Etats membres acceptent d'harmoniser leurs
politiques en coopérant dans un certain nombre de domaines, tout en conservant, à titre
principal, leur souveraineté. En effet, la Confédération n'est pas un Etat. On peut parler de
confédération d'Etats mais non d'Etat confédéral car cette organisation ne tend pas à créer une
volonté étatique supérieure, ni une personnalité internationale, mais seulement un moyen
d'exercer en commun la volonté propre de chacun des Etats confédérés.
L'acte constitutif de la Confédération réside dans un traité, un pacte international alors
qu'un Etat (unitaire ou fédéral) est fondé par une Constitution. Dans la confédération les
individualités étatiques sont parfaitement respectées. Rien ne peut être imposé à un Etat
contre son gré. Au demeurant un Etat est théoriquement libre de se retirer de la Confédération,
ce qui n'est pas le cas des Etats fédérés. La Confédération n'est pas une simple alliance. Elle
peut disposer d'une organisation exécutive ou législative qui se réunit périodiquement pour
traiter des affaires communes prévues par le pacte. Mais il ne s'agit pas d'une organisation de
nature étatique investie d'une souveraineté.
En général, les représentants de l’Etat se réunissent dans une conférence qui élabore à
l’unanimité en principe, des décisions qui sont supposées prises par les Etats. Mais celles-ci
ne peuvent être appliquées sur le territoire d’un Etat qu’avec l’accord dudit Etat. Chaque Etat
conserve donc la plénitude de sa personnalité et de sa souveraineté. La confédération apparaît
comme une forme d'organisation transitoire. Elle est relativement instable en ce sens qu'elle
évolue vers la fédération ou la dissolution.

§ II : La fédération d’Etats

L’Etat fédéral est une association d’Etats indépendants qui renoncent à leur
souveraineté internationale pour créer une sorte de super-Etat doté de compétences
déterminées par une Constitution, tout en laissant subsister les Etats membres fédérés amputés
de ces compétences. Pour la plupart des théoriciens du fédéralisme, l’Etat fédéré constitue «
5
Voir par exemple:
- la confédération des Etats-Unis de l'Amérique du Nord de 1778 à 1787 date de sa transformation en fédération.
- la Confédération Helvétique du 15 è siècle jusqu'en 1848, époque à laquelle elle fut transformée en un Etat
fédéral par la Constitution Suisse du 12 Septembre 1848. La Suisse conserve encore officiellement le titre de
"Confédération", mais reste un Etat fédéral.
- la Confédération Sénégambienne de 1981 à 1989 où elle s'est dissoute.
~ 16 ~
une collectivité territoriale autonome dont les droits sont particulièrement protégés par, d’une
part, l’existence d’une Constitution propre (la Constitution de l’Etat fédéré) et, d’autre part,
l’exercice d’une ‘fonction constituante subordonnée’, la participation au pouvoir constituant
fédéral »6. L’Etat fédéral peut être comparé à un Etat unitaire qui pousse à un haut degré le
processus de décentralisation. Cependant, l’Etat fédéral se distingue de l’Etat unitaire par la
coexistence de deux ordres juridiques, celui de la fédération et celui des Etats membres. A la
différence des collectivités décentralisées, les Etats fédérés bénéficient d’une autonomie et
d’attributions beaucoup plus importantes qui ne peuvent être modifiées sans leur accord. De
plus, ils participent à la gestion du pouvoir central
On distingue généralement deux modes de constitution d’un Etat fédéral :
- le fédéralisme par association ou par agrégation, qui tend à réunir des entités ou des
Etats, non pas pour les fondre dans le moule de l'uniformité, mais pour instituer un équilibre
entre l'unité et la diversité. C’est l’hypothèse classique, et l’exemple type est celui des États-
Unis d’Amérique ;
- le fédéralisme par dissociation ou par désagrégation, qui consiste pour un Etat
unitaire à se transformer en Etat fédéral ; ici, l’Etat unitaire se désagrège sous la pression de
minorités ou sous la pression d’une menace externe.

L’acte fondateur d’un Etat fédéral est une Constitution, à la différence de la


confédération qui est créée par traité. Dans la Constitution, les Etats qui s’associent pour créer
la fédération (Etats fédérés) aménagent et distribuent le pouvoir et les compétences entre eux
et l’union, c’est-à-dire l’Etat central.
La fédération repose sur la reconnaissance de principe des attributions étatiques aux
entités fédérées. Elle s'articule ainsi autour de principes organisateurs fondamentaux: le
principe de l'autonomie et le principe de la participation.
L'autonomie est garantie par le statut constitutionnel des Etats fédérés qui restent
largement maîtres de leur destin constitutionnel. Ils participent es qualité à la fondation de
l'Etat central. A cet égard, ils partagent la souveraineté dès l'origine et cette autonomie
continue durant la vie de l'Etat fédéral puisque toute révision de la charte fondamentale
implique leur accord. Chaque Etat a sa propre Constitution qui est distincte de la Constitution
de l'Etat fédéral, dispose de compétences législatives, judiciaires, exécutives, d'un drapeau et
d'un hymne distincts de ceux de la fédération.

6
Eric MAULIN, La théorie de l’Etat de Carré de Malberg, Paris, PUF, Léviathan, 2003, p. 38.
~ 17 ~
L'autonomie est également fonctionnelle. Les Etats fédérés jouissent d'une autonomie
politique respectée par la fédération. Ils ont la liberté de rédiger leur Constitution comme ils
l'entendent sauf à respecter les prescriptions imposées par la Constitution fédérale. Ils peuvent
voter des lois, les exécuter et disposer de juridictions propres; à la différence des collectivités
locales qui ne peuvent voter des normes législatives.
Le principe de participation implique que les Etats fédérés concourent à la vie de la
fédération qui est une création volontaire des entités fédérées. Ils sont parties prenantes de la
fédération. En effet, ils ont pris part à la fondation et continuent à donner vie à l'Etat fédéral.
La participation est le "volet démocratique" de l'Etat fédéral. Concrètement, cela se
matérialise par l’institution d’un parlement bicaméral, d’une part, la Chambre des
représentants qui représente la population dans son ensemble, chaque Etat fédéré élisant un
nombre de représentants proportionnel à sa population, et d’autre part, le Sénat composé d’un
nombre égal de représentant de chaque Etat fédéré.
L’Etat fédéral se caractérise, également, par la superposition de deux ordres juridiques,
celui de la fédération et celui des Etats fédérés. Ainsi, les citoyens doivent obéir non
seulement aux lois de leur Etat d’origine, mais aussi aux lois fédérales. Dans un tel système, il
n’est pas exclu qu’il y ait des contradictions entre les deux ordres juridiques. C’est pourquoi
dans les Etats fédéraux, il existe une Cour suprême chargée, entre autres, de résoudre “ les
conflits de lois dans l’espace. C’est la loi d'arbitrage.

~ 18 ~
TITRE II : LA CONSTITUTION

Tous les Etats modernes qui se réclament de l’idéologie démocratique disposent d’une
Constitution. Celle-ci présente à la fois une triple valeur symbolique, philosophique et
juridique. La Constitution revêt d’abord une signification symbolique dans la mesure où elle
constitue un symbole, le plus souvent l’acte fondateur d’un Etat, ou d’un nouveau régime
politique qui veut marquer la rupture avec l’ordre précédent et la projection vers l’avenir. Elle
revêt ensuite une signification philosophique en ce sens que se doter d’une Constitution, c’est
admettre que, le pouvoir n’est pas illimité, mais soumis à certaines exigences. Enfin, la
Constitution revêt une signification juridique en ce sens qu’elle apparaît comme un ensemble
de normes juridiques cohérentes organisant le pouvoir, prescrivant certaines formes ou
procédures juridiques et garantissant les droits fondamentaux des citoyens.
La Constitution est considérée comme la charte fondamentale déterminant en quelque
sorte le statut du pouvoir politique dans l'Etat. Elle a une valeur juridique primordiale car elle
crée un système de règles organisant le pouvoir, l'obligeant à respecter certaines formes, à
utiliser des procédures convenues prévoyant la participation des citoyens au choix des
gouvernants ou à l'élaboration de certaines décisions. On le voit, son objet spécifique est
d'organiser les pouvoirs publics et d'aménager les rapports qu'ils entretiennent entre eux d'une
part et avec les gouvernés d'autre part.

~ 19 ~
En tant que base juridique de l'action de l'Etat, nous nous intéresserons d’une part à la
notion de Constitution (Chapitre I) et d’autre part du contrôle de constitutionnalité (Chapitre
II).

CHAPITRE I : LA NOTION DE CONSTITUTION

Nous nous intéresserons d’une part à la compréhension de la Constitution (Section I)


et du pouvoir constituant (Section II) d’autre part.

Section I : La compréhension de la Constitution

La Constitution est le code du pouvoir de l'Etat. Elle détermine les règles du jeu
politique en organisant les modalités de dévolution et d'exercice du pouvoir politique dans
l'Etat. Elle limite le pouvoir des gouvernants en réglementant "l'usage" face aux citoyens. Il
est possible de cerner la Constitution en s'attachant à un certain nombre de critères de
définition (§ I) et en procédant à une typologie des Constitutions (§ II).

§ I : Les critères de définition de la Constitution

La Constitution peut être définie par rapport à son objet ou à son régime juridique. A
la première approche correspond le critère matériel et à la seconde le critère formel.
La définition matérielle de la Constitution prend en considération son objet ou son
contenu. Dans cette optique, la Constitution se définit comme l'ensemble des dispositions

~ 20 ~
relatives à la dévolution, à l’exercice du pouvoir politique, à l'organisation et au
fonctionnement des institutions et aux libertés des citoyens. La conception matérielle de la
Constitution rend compte de la diversité des règles d’aménagement du pouvoir politique. Mais
cette approche à l’inconvénient d’être extensive et imprécise. Il en est ainsi dans la mesure où
elle range dans la Constitution des aspects aussi variés que l’organisation de l’Etat ou des
pouvoirs publics, leurs attributions et rapports, les droits de l’Homme et les libertés. La limite
de la conception matérielle vient donc de la pluralité et de l'ambiguïté des règles
constitutionnelles qui sont d'inégale importance. Il est difficile, au sein de ce bloc, de
distinguer les règles fondamentales des règles accessoires. En outre, si l’on s’en tient à
l’aspect purement matériel, la frontière entre la Constitution, la loi organique, le règlement est
dans certains cas flou. En effet, tous ces actes contiennent non seulement des dispositions
générales et impersonnelles mais ils organisent aussi, dans une certaine mesure le
fonctionnement des institutions.
La conception formelle est le point de vue traditionnel des juristes positivistes. Elle
correspond à la conception française de la Constitution. Elle considère la Constitution comme
un document juridique qui porte ce nom, aisément identifiable, donc facile à reconnaître,
disposant d'une valeur suprême dans un Etat considéré. Le doyen Hans KELSEN, faisant
référence à la supériorité de la Constitution, parle de grund norm. Le critère formel fait appel
à la compétence, la procédure juridique d'élaboration ainsi qu'au mode d'expression de la
Constitution. La Constitution est donc un document élaboré et révisé selon des règles
solennelles de procédure et en conformité avec des règles spéciales de compétence.
Autrement dit, la Constitution formelle comprend l’ensemble des règles, quel que soit leur
objet, qui sont énoncées dans la forme constitutionnelle : elles sont en général contenues dans
un document spécial, mais surtout, elles ont une valeur supérieure à celle de toutes les autres
normes positives et ne peuvent être modifiées que conformément à une procédure spéciale,
plus difficile à mettre en œuvre que celle qui permet de modifier une autre norme, par
exemple une loi ordinaire.

§ II : Les typologies constitutionnelles

Les constitutions sont relativement différenciées. On peut procéder à une classification


des constitutions en se fondant sur leur forme ou leur degré de rigidité.

~ 21 ~
En se fondant sur la forme, on peut distinguer deux types de Constitutions : Il s’agit de
la Constitution écrite et de la Constitution coutumière.

La Constitution écrite est la forme la plus moderne de la Constitution. Les premières


Constitutions écrites modernes sont apparues en Amérique 7 puis en Europe8. La Constitution
écrite peut être définie comme un document déterminant le statut du pouvoir politique de
l'Etat, élaboré selon des procédures juridiques spéciales et adopté ou modifié selon des formes
solennelles. La Constitution écrite à l’avantage de présenter avec précision les règles
constitutionnelles. Elle offre des garanties de certitude et de protection contre l'arbitraire.
Historiquement fixer les institutions politiques dans un texte écrit et solennel était avant tout
un moyen de limiter les prérogatives du pouvoir existant. La règle écrite est plus claire. Elle
est généralement dépourvue d'incertitudes ou d'ambiguïtés, facile à prouver et présente
l'avantage d'être permanente et intangible tant qu'elle n'a pas été formellement abrogée ou
modifiée.

La Constitution coutumière, contrairement à la Constitution écrite, n'est pas l'œuvre d'un


organe spécial soumis à une procédure particulière mais de la coutume qui est considérée
comme un ensemble de pratiques ayant une valeur d'obligation juridique. La coutume pour
être considérée comme telle devra respecter un certain nombre de règles. Il s’agit entre autres,
de la constance, la continuité et le consensus. La constitution coutumière pourrait donc être
définie comme étant « l’ensemble des règles coutumières relatives, pour un pays donné, à la
dévolution et à l’exercice du pouvoir. Ces règles coutumières reposent sur la répétition, sans
discontinuité véritable et pendant une certaine durée, de précédents recueillant un très large
consensus, pour ne pas dire l’assentiment général »9. Mais il est à noter que les Constitutions
coutumières ont pratiquement disparu, les Etats modernes reposant dans leur grande majorité
sur des constitutions écrites.
En se fondant également sur le degré de rigidité, on peut relever deux types de
Constitutions. Il s’agit de la Constitution souple et de la Constitution rigide.
On dit d'une Constitution qu'elle est souple lorsque sa procédure de révision est facile à mettre
en œuvre. Elle est révisable selon une procédure qui ne se différencie pas de la procédure
législative ordinaire. La Constitution souple permet un réajustement sans ruptures ni cassures
du système constitutionnel à la culture politique évolutive. Elle présente néanmoins
7
Il y a la Constitution de Virginie en 1776, la Constitution fédérale des Etats-Unis en 1787
8
En France et en Pologne en 1791. Lire à ce sujet, Augustin LOADA et Luc Marius IBRIGA, Droit
constitutionnel et institutions politiques, Op cit, p 96.
9
Pierre PACTET, Institutions politiques et Droit constitutionnel, Paris, Armand Colin, 14è éd, 1995, p 67.
~ 22 ~
l'inconvénient de laisser le destin de l'Etat entre les mains d'une majorité parlementaire qui
peut transformer comme elle l'entend les règles du jeu politique. Par contre, une constitution
rigide est celle dont la procédure de révision est plus difficile à mettre en œuvre parce que
obéissant à des formes et procédures particulières différentes de celles requises par une loi
ordinaire. Inspirée par les soucis de démocratie et de légalité, la rigidité vise à placer les
règles et principes fondamentaux du régime politique hors d’une majorité parlementaire qui
les manipulerait selon son bon vouloir. La plupart des Constitutions africaines sont classées
dans ce registre de Constitutions rigides et c’est tant mieux pour la démocratie. Même, s’il ne
faudrait pas perdre de vue que la pratique ne laisse pas percevoir une telle réalité tant les
modifications des constitutions, provoquant parfois même des crises politiques 10, sont
monnaie courante dans nos Etats.

Section II : L’exercice du pouvoir constituant

L'exercice du pouvoir constituant pose le problème de l'organe chargé d'adopter une


Constitution pour la première fois et celui qui est appelé à la modifier ultérieurement. Ces
deux organes sont d'essence différente.
L'organe qui détermine et fixe les règles constitutionnelles initiales qui sont à la base
de la fondation de l'Etat ou du régime est appelé pouvoir constituant originaire (§ I). L'organe
qui modifie une Constitution déjà en vigueur selon les règles posées par celle-ci est appelé
pouvoir constituant dérivé ou pouvoir constituant institué (§ II).

§ I : Le pouvoir constituant originaire

Le pouvoir constituant originaire est un pouvoir initial et inconditionné. Ce pouvoir est


qualifié d’originaire en ce sens qu’il intervient dans un contexte où il n’existe pas encore de
Constitution, soit parce qu’il s’agit d’un nouvel Etat créé à la suite d’une décolonisation, soit
parce que la Constitution en vigueur a été suspendue ou abrogée à la suite d’une guerre, d’une
révolution ou d’un coup d’Etat. Ainsi, au Burkina Faso, après une décennie de régimes
d’exception, le président Blaise COMPAORE, alors président du Front populaire au pouvoir
depuis le coup d’Etat du 15 octobre 1987, a mis en place une commission chargée de rédiger

10
L’exemple burkinabè de fin octobre 2014, pour ne citer que celui là, en est une illustration de cette réalité.
~ 23 ~
une nouvelle Constitution, qui sera adoptée par référendum le 2 juin 1991. Mais l’élaboration
d’une nouvelle Constitution peut se justifier aussi par la volonté de rupture totale avec un
passé marqué par un régime constitutionnel jugé illégitime.

La mise en œuvre du pouvoir constituant originaire peut s’effectuer selon des procédés
démocratiques ou non démocratiques.

Dans les sociétés non démocratiques, le pouvoir en place, le plus souvent issu de la
force, s’efforce de déterminer la composition de l’organe chargé de l’élaboration de la
Constitution de façon à exercer une certaine emprise sur cet organe, dans la perspective
d’imposer sa vision de l’ordre constitutionnel à venir. Dans cette optique, la Constitution est
élaborée selon le bon plaisir du prince ou du pouvoir en place, généralement sans
l’intervention du peuple ou des forces politiques les plus représentatives. L’une des
illustrations de ces modes autoritaires d’établissement des Constitutions est sans conteste
l’octroi, procédé unilatéral qui exclut toute forme d’intervention du peuple ou de ses
représentants. Le pouvoir constituant originaire peut, cependant, être plus ou moins partagé
entre d’une part le prince ou le pouvoir en place et d’autre part le peuple ou ses représentants.
Dans ce cas, la Constitution peut être le fruit d’une négociation avec un pouvoir en place.
Certains procédés autoritaires peuvent revêtir des apparences démocratiques. C’est le cas
lorsqu’il est fait appel au peuple pour ratifier par référendum une Constitution ou élaborée en
dehors de lui ou de ses représentants.

S’agissant des procédés démocratiques d’élaboration de la Constitution, cela se


matérialise par l’intervention du peuple ou de ses représentants siégeant dans une assemblée
constituante. Ces représentants peuvent être issus des « forces vives de la nation » comme ce
fut le cas au Bénin avec l’élaboration de la Constitution du 11 décembre 1990 ou, mieux
encore, être directement élus par le peuple, comme ce fut le cas pour la Constitution fédérale
des Etats-Unis en 1787 ou, plus proche de nous, pour la Constitution de l’Afrique du Sud en
1994. L’assemblée constituante peut avoir pour mandat exclusif l’élaboration d’une
Constitution. Le gouvernement en place peut cependant lui confier d’autres missions, comme
par exemple jouer en même temps le rôle d’une assemblée parlementaire. Ainsi, le peuple
souverain, en désignant les membres de l’assemblée constituante, peut orienter le contenu de
la Constitution, plutôt que d’être mis devant le fait accompli. Le procédé est encore plus
démocratique lorsque le peuple intervient non seulement en amont mais aussi en aval du
processus d’établissement de la Constitution, c’est-à-dire lorsque les procédés de l’assemblée
~ 24 ~
constituante et du référendum constituant sont combinés. C’est le cas lorsque le projet de
Constitution élaboré par l’assemblée constituante élue est soumis à la sanction du peuple par
référendum. Qu’en est –il maintenant du pouvoir constituant dérivé ?

§ II : Le pouvoir constituant dérivé ou institué

La révision constitutionnelle pose des problèmes techniques qui comportent souvent


des incidences politiques. Techniquement, elle vise à corriger les lacunes de la Constitution
ou à répondre à un besoin de changement exprimé par le régime politique. Dans une
perspective strictement juridique, la révision constitutionnelle pose le problème de la réforme
prévue et organisée par la Constitution elle-même qui en pose le principe et aménage ses
mécanismes. La révision constitutionnelle est l'œuvre du pouvoir constituant dérivé qui est un
pouvoir institué, conditionné et limité. C’est un organe désigné par la Constitution pour
modifier éventuellement le texte constitutionnel. Les techniques de révision constitutionnelle
s’apparentent à une procédure législative dont les conditions de validité ont été compliquées
ou renforcées. Ces techniques qui tendent à « rigidifier » les Constitutions visent
principalement à favoriser la réunion d’un large consensus politique autour de la révision du
texte constitutionnel.
Au Burkina Faso, l’initiative de la révision de la Constitution appartient
concurremment au président du Faso, aux membres de l’Assemblée nationale à la majorité, au
peuple lorsqu’une fraction d’au moins trente mille (30 000) personnes ayant le droit de vote,
introduit devant l’Assemblée nationale une pétition constituant une proposition rédigée et
signée11. Le projet de révision est, dans tous les cas, soumis au préalable à l'appréciation de
l'Assemblée nationale12. Le projet de texte est ensuite soumis au référendum. Il est réputé
avoir été adopté dès lors qu’il obtient la majorité des suffrages exprimés. Le président du Faso
procède alors à sa promulgation dans les conditions fixées par la Constitution 13. Toutefois, le
projet de révision est adopté sans recours au référendum s’il est approuvé à la majorité des
trois quarts (3/4) des membres de l’Assemblée nationale14.

11
Article 161 de la Constitution.
12
Article 163 de la Constitution
13
Article 48 de la Constitution
14
Article 164 de la Constitution
~ 25 ~
Contrairement au pouvoir constituant originaire qui dispose d’une souveraineté, le
pouvoir constituant dérivé comporte des limites. Elles concernent les principes fondamentaux
qui constituent le socle de l'Etat ou du régime politique. Il s’agit, entre autres, de la forme
républicaine de l’Etat, de l’intégrité du territoire, du système multipartite. La révision de
Constitution intervenu en Novembre 2015 a élargi ces principes en y ajoutant celui de la
limitation du nombre de mandats présidentiels. Ces principes intangibles de la Constitution
sont ceux a travers lesquels l’Etat de droit s’exprime. Il sied donc de limiter la manipulation
de ces principes par le Constituant à travers une sorte de garde fous en sanctionnant au besoin
les éventuelles transgressions. D’ailleurs, au Burkina Faso, le constituant a expressément
chargé le Conseil constitutionnel de veiller au respect de la procédure de révision de la
Constitution15. Ce qui implique la possibilité d’une censure si la révision n’est pas conforme à
la Constitution. Toute constitution prévoit des garde-fous destinées à la protéger contre toute
dérive émanant des gouvernants. Toutefois la sanction la plus efficace des violations de la
Constitution est celle prononcée par le juge constitutionnel à la suite d'un contrôle de
constitutionnalité.

15
Article 154 de la Constitution.
~ 26 ~
CHAPITRE II : LE CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE DES LOIS

L'affirmation de la supériorité de la Constitution, professé par le doyen Hans


KELSEN, est sans portée pratique si elle n'est pas assortie de mécanismes permettant de
sanctionner la non conformité des lois à la norme fondamentale. Le contrôle de la
constitutionnalité des lois est une technique de garantie de la suprématie de la Constitution. Il
trouve son expression dans la mise en place d'un système efficace de contrôle de la
conformité des règles subordonnées à la norme suprême. Nous examinerons successivement
la notion (Section I), et les mécanismes du contrôle de constitutionnalité (Section II).

Section I : La notion du contrôle de constitutionnalité

La notion du contrôle de constitutionnalité devra être analysée non seulement sous


l’angle de l’origine du contrôle (§ I) mais aussi l’angle des mécanismes du contrôle de
constitutionnalité (§ II).

§ I : L’origine du contrôle de constitutionnalité

Le contrôle de la constitutionnalité est né aux Etats-Unis et ne s'est imposé que


tardivement en Europe. Le contrôle de la constitutionnalité des lois est une œuvre prétorienne.
En effet, la Constitution de Philadelphie de 1787 n'avait pas formellement consacré le droit
pour les tribunaux de vérifier la constitutionnalité des lois. Il fut admis par la Cour suprême

~ 27 ~
des Etats-Unis dans l'arrêt Marbury c/ Madison rendu sous les auspices du Chief Justice John
Marshall. Cette suprématie trouve son fondement dans l'alternative formulée par le Chief
Justice Marshal16 :
- ou bien la Constitution est la norme supérieure et souveraine dans l'ordre juridique
interne. Elle ne peut alors être modifiée ou affectée par une loi ordinaire;
- ou bien, la constitution est située au même niveau que les actes législatifs proprement
dits. Elle peut être modifiée ou affectée à tout moment par le législateur.
Se fondant sur la place du juge dans l'ordonnancement des organes du pouvoir d'Etat,
Marshall devait choisir la première alternative en considérant que le juge a pour mission
d'appliquer le droit et, en cas de contrariété, entre deux normes de faire prévaloir la norme
supérieure sur la norme inférieure. En conséquence, en cas de conflit entre la Constitution et
un acte de la législature, il est de son devoir de faire prévaloir la première en écartant la
seconde qui ne saurait être une règle effective obligeant les cours et tribunaux. L'affirmation
de la primauté de la Constitution devient ainsi primordiale dans un Etat de droit où tout
commence et finit par la Constitution sans laquelle il n'y a point de salut pour les autres
branches du droit. La Constitution est la charte que s'est donnée, souverainement et
solennellement la Nation. Elle est la source de la légitimité des gouvernants qui ne peuvent
valablement s'exprimer que dans les formes et conditions qu'elle a déterminées. La volonté du
souverain s'exprime à travers la Constitution qui définit ses droits, ses libertés ainsi que les
principes de l'organisation des pouvoirs institués. La subordination de la volonté des
représentants à celle des constituants rend le contrôle non seulement légitime mais plus que
nécessaire. Ce contrôle est particulièrement indispensable dans les régimes fonctionnant selon
la logique majoritaire. En effet, les lois étant votées par la majorité politique qui contrôle le
Parlement et le gouvernement, celle-ci pourra légiférer et pratiquement tout faire sans contrôle
ni sanction. Il peut même en toute impunité méconnaître la constitution. Avec le contrôle de
constitutionnalité, la minorité parlementaire pourra alors déplacer le débat du terrain politique
de l'hémicycle au terrain juridique. L'opposition parlementaire pourra ainsi demander au juge
constitutionnel de trancher le différend qui l'oppose à la majorité.

§ II : La justification du contrôle de constitutionnalité des lois

16
Président de la Cour Suprême des Etats-Unis de 1801 à 1835, le Chief Justice Marshall fut considéré comme
"le second fondateur de la Constitution.
~ 28 ~
En droit positif, le contrôle de constitutionnalité peut se justifier par le fait qu’il existe une
hiérarchie des normes qui doit être respectée. Si on part du principe que la Constitution « est
la loi suprême du pays », on peut en déduire que toute loi qui ne lui est pas conforme doit être
déclarée nulle. Par conséquent, le législateur, le gouvernement, les juges, tout comme les
autres pouvoirs publics, et mêmes les particuliers demeurent liés par la Constitution. Enfin, si
on conçoit que ce n’est pas la volonté populaire qui est contrôlée en tant que telle mais celle
des gouvernants ou représentants, et la conformité de celle-ci avec la Constitution, le contrôle
de constitutionnalité est parfaitement admissible, puisqu’il s’agit pour un pouvoir constitué (le
juge constitutionnel) de rappeler les autres pouvoirs constitués au respect de la Constitution.
Mais la légitimité du principe de constitutionnalité se fonde également sur des exigences
démocratiques. En effet, l’Etat de droit n’est pas l’Etat de n’importe quel droit, mais celui
d’un droit sous-tendu par les principes et les valeurs de la démocratie pluraliste. Aussi, la
légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois ne doit-elle pas s’apprécier seulement d’un
point de vue formel. Elle doit s'apprécier aussi par rapport aux valeurs démocratiques. Face au
risque que les représentants s’approprient la souveraineté et mettent en œuvre des lois
contraires aux droits fondamentaux de l’homme, qu’il s’agisse des droits civils ou politiques,
économiques, sociaux et culturels, le juge constitutionnel apparaît comme un rempart et un
recours contre l’oppression du peuple par ses représentants ou du peuple contre lui-même. La
démocratie n’est pas la dictature de la majorité sur la minorité. Le pluralisme, les droits des
individus, les droits des minorités, ceux de l’opposition, la sincérité et la libre expression du
suffrage doivent aussi être garantis dans une démocratie. Ce qui n’est pas souvent le cas dans
certains régimes où le fait majoritaire l’emporte sur d’autres considérations. Si on veut établir
des contrepoids à une trop forte majorité souveraine, pallier l’inefficacité parlementaire et
avoir une Constitution efficace, il faut contrôler l’élaboration des lois. Et pour être efficace, le
contrôle doit être confié à des juges indépendants et ouvert aux citoyens ordinaires. C’est
donc tout l’intérêt d’un contrôle de constitutionnalité.

Section II : Les mécanismes du contrôle

La constitutionnalité d'une loi peut faire l'objet d'un recours par voie d'action (§ I) ou
par voie d'exception (§ II).

~ 29 ~
§ I : Le contrôle par voie d’action

Le contrôle par voie d'action, qui a cours en France, s'avère être un bon produit
d'exportation car il a été repris dans les pays de l'Europe post-communiste ou d'Afrique
pluraliste. Il permet de saisir directement le juge de la constitutionnalité d'une requête aux fins
de lui faire vérifier la conformité d'une loi à la constitution. Son avantage est de réduire au
minimum la période d'incertitude des lois adoptées par le législateur. Au Burkina Faso, le
contrôle de constitutionnalité est prévu par la Constitution de 1991. Mais les modalités de
saisine du Conseil constitutionnel diffèrent selon qu’il s’agit de loi organique et de règlement
de l’Assemblée nationale d’une part ou de traité international et de loi ordinaire d’autre part.
Concernant les lois organiques et les règlements de l’Assemblée nationale, la saisine est
automatique et obligatoire17. Par contre, pour ce qui est des lois ordinaires les ordonnances et
les traités la saisine est facultative et elle appartient 18, référence faite à l’article 157 de la
Constitution :
- au Président du Faso ;
- au Premier ministre ;
- au Président de l’Assemblée nationale ;
- à 1/3 des membres de l’Assemblée nationale.
La modification de la Constitution intervenue en novembre a également élargie la saisine du
Conseil constitutionnel aux citoyens ordinaires19. Dans ce sens, le Conseil constitutionnel doit
être saisi avant la promulgation de la loi ou la ratification du traité. Le contrôle par voie
d'action est un véritable procès intenté à l'encontre d'une loi dont il est demandé
l'anéantissement pour inconstitutionnalité. L'objet principal du recours est l'annulation la loi.
Ce contrôle est abstrait dans la mesure où il porte sur la conformité de la loi aux normes qui
composent le bloc de la Constitutionnalité. En dépit de ses difficultés pratiques, le contrôle
par voie d'action à le mérite d'aboutir à une situation claire, la loi inconstitutionnelle est
éliminée de l'ordre juridique.

17
Article 155 al.1er de la Constitution.
18
Article 155 al.2 de la Constitution.
19
Voir Art 157 al 2 de la loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 portant révision de la
Constitution : « (…) tout citoyen peut saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit
directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le
concerne devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel qui doit
intervenir dans un délai maximum de trente jours à compter de sa saisine ».
~ 30 ~
§ II : Le contrôle par voie d’exception

Le contrôle par voie d'exception est né aux Etats-Unis de façon tout à fait prétorienne.
Il a été ensuite formellement repris par plusieurs Constitutions, notamment celles du Sénégal
du Canada, du Brésil, de l'Argentine et du Japon. Lié à l'opération juridictionnelle courante, ce
système de contrôle s'articule autour de mécanismes et débouche sur des conséquences
spécifiques. La voie d'exception est un procédé défensif qui présente les caractéristiques d'être
un contrôle a posteriori, incident, concret, largement ouvert et décentralisé.
Le contrôle a posteriori renvoie au fait que contrôle par voie d'exception intervient
après la promulgation de la loi. Il ne tend pas à empêcher la mise en vigueur d'une loi
inconstitutionnelle, mais à s'opposer à son application dans un cas d'espèce et peut-être pour
l'avenir. Dans son principe ce type de contrôle remet en cause une loi déjà intégrée dans
l'ordre juridique.
Le caractère incident postule l’idée selon laquelle contrôle par voie d'exception ne
pose pas à titre principal la question de la constitutionnalité de la loi. Celle-ci n'est soulevée
qu'incidemment à l'occasion d'un procès et à titre de défense, c'est-à-dire d'exception soulevée
par l'un des plaideurs. Ce type de contrôle permet à une partie à un procès en cours d'instance
d'exciper l'inconstitutionnalité de la loi sur laquelle s'appuie la partie adverse. L'exception
d'inconstitutionnalité se présente comme un incident de procédure. Elle n'est pas "un procès
fait à la loi" mais en quelque sorte comme "un procès dans le procès".
Le caractère concret renferme l’idée selon laquelle contrôle par voie d'action est
pratiquement posé à l'occasion d'un procès au cours duquel l'un des plaideurs s'oppose à une
loi qui sert de fondement au litige. Si l'exception est soulevée, le juge, saisi au fond, est alors
appelé à se prononcer sur la régularité constitutionnelle de la loi. Il devra surseoir à statuer,
c'est-à-dire suspendre le cours du procès et se prononcer d'abord sur la constitutionnalité de la
loi en question. S'il considère la loi constitutionnelle, le procès reprend sur le fond et la loi
pourra éventuellement être appliquée. Si elle est jugée inconstitutionnelle, elle est écartée du
procès.
L'exception se présente comme un moyen de défense offert aux citoyens. Il n'est donc
pas nécessaire que cette possibilité soit prévue par les textes. La saisine sera largement
ouverte afin de permettre à tout justiciable poursuivi devant un juge de soulever l'exception
s'il estime qu'on veut lui appliquer une loi inconstitutionnelle. Ce contrôle garantit
effectivement la protection des droits de tous les citoyens car l'inconstitutionnalité d'une loi

~ 31 ~
peut être invoquée à tout moment, quelle que soit son ancienneté. L'exception
d'inconstitutionnalité peut emprunter deux formes procédurales différentes : préjudicielle ou
préalable.
La question préjudicielle qui a cours en Allemagne, en Italie et au Burkina Faso
implique l'existence d'un juge constitutionnel. L'exception soulevée devant le juge ordinaire
au cours d'un procès l'oblige à surseoir, à saisir le juge chargé de la constitutionnalité des lois
et à attendre sa réponse pour appliquer ou écarter la loi litigieuse.
La question préalable est un exemple américain qui repose sur l'idée que le juge du
fond est juge de l'exception. En d'autres termes si au cours d'un procès une partie soulève
devant le juge l'exception d'inconstitutionnalité, ce dernier devra, avant de juger le conflit au
fond, apprécier la constitutionnalité de la loi qui sert d'argument à la partie adverse. Si la loi
est conforme à la constitution il l'applique; le cas échéant il l'écarte et tranche le différend sur
d'autres bases.
La voie d'exception n'aboutit pas à une annulation de la loi inconstitutionnelle mais à
sa neutralisation. La décision d'inconstitutionnalité est simplement revêtue de l'autorité de la
chose relative. Dans l'éventualité de son inconstitutionnalité, la loi n'est pas annulée mais
écartée du différend. La décision rendue ne vaut pas erga omnes mais son application est
simplement écartée dans le litige considéré. Elle ne vaut que les parties concernées par le
procès, le juge statuant inter partes. La loi inconstitutionnelle ne disparaît pas mais subsiste
dans l'ordonnancement juridique. Elle est simplement gelée ou neutralisée pour le cas
d'espèce. Dans l'avenir, elle est susceptible d'être appliquée ou servir de base à un autre litige.
Les justiciables devront soulever chaque fois l'exception d'inconstitutionnalité pour faire
écarter son application.
La déclaration d'inconstitutionnalité rendue dans le cadre du contrôle par voie
d'exception est revêtue de l'autorité relative de la chose jugée. Elle ne vaut que pour le procès
en cause et non pour les litiges ultérieurs résultant de la loi écartée. Laissé à l'initiative des
plaideurs et de leurs conseils qui devront toujours l'invoquer, le contrôle par voie d'exception
présente un caractère aléatoire. Qui plus est, il peut déboucher sur une contrariété de
jurisprudences dans la mesure où soulevé devant un autre juge, ce dernier n'est pas
théoriquement lié par la décision du juge antérieur. Il peut en résulter une insécurité
permanente des relations juridiques. Au Burkina Faso, le contrôle par voie d’exception est
prévu par la Constitution20 mais aussi par la loi organique portant organisation et
20
Voir Art 157 al 2 de la loi constitutionnelle n°072-2015/CNT du 05 novembre 2015 portant révision de la
Constitution.
~ 32 ~
fonctionnement du Conseil constitutionnel qui en son article 25 qui dispose que :
«Lorsqu’une exception d’inconstitutionnalité est soulevée par un justiciable devant une
juridiction, quelle qu’elle soit, celle-ci est tenue de surseoir à statuer et de saisir le Conseil
constitutionnel qui doit se prononcer sur la constitutionnalité du texte en litige dans le délai
d’un mois qui court à compter de sa saisine par la juridiction concernée ».
L'efficacité du contrôle de la constitutionnalité des lois dépend pour une large part de
la quantité et de la qualité des normes auxquelles sont confrontées les lois litigieuses. Ces
normes de référence de la conformité d'une loi à la constitution constituent le bloc de la
constitutionnalité qui excède la constitution écrite proprement dite dans la mesure où il intègre
le préambule de la Constitution, les déclarations de droit, les principes à valeur
constitutionnelle ainsi que certains apports de la coutume. De nos jours, toutes ces normes ont
une même valeur que le texte de la Constitution dès lors qu'est prévu un contrôle de
constitutionnalité en garantissant le respect. Au Burkina Faso, le bloc de constitutionnalité est
constitué de la Constitution et de son préambule. Il s’agit là de la matière juridique sur la base
de laquelle le juge constitutionnel devra effectuer son contrôle de Constitutionnalité. Le bloc
de constitutionnalité s'identifie avec le corps même la constitution écrite. Celle-ci concerne
non seulement le texte lui-même, ce qui va de soi, mais aussi de les textes d'application de la
Constitution, notamment les lois organiques qui en sont le prolongement nécessaire. Ces
textes s'imposent au législatif et à l’exécutif.
Le contrôle de constitutionnalité peut revêtir une dimension formelle et de fond.
La Constitution pose souvent des règles de procédure déterminant les moyens d'action des
organes du pouvoir d'Etat et aménageant les rapports que ceux-ci entretiennent entre eux. Ces
règles sont relatives à l'agencement technique des pouvoirs tel par exemple le statut des
gouvernants, le domaine de compétence des pouvoirs législatif et exécutif, la procédure
d'élaboration des normes, etc. Le contrôle de la constitutionnalité des lois est alors purement
formel car se réduisant à la simple vérification de procédures constitutionnelles. Mais la
Constitution définit les règles du jeu politique en déterminant les rapports que les gouvernants
entretiennent avec les gouvernés. Elle proclame des droits fondamentaux que les citoyens
peuvent opposer à la puissance publique qui doit les prendre en considération dans l'exercice
du pouvoir politique. Le juge constitutionnel est alors amené non pas à veiller à la régulation
formelle du régime politique mais aussi à la protection des droits constitutionnels des
citoyens. Le contrôle de la constitutionnalité des lois prend une toute autre ampleur car il
constitue pour les citoyens une réelle garantie contre les abus d'une majorité gouvernante. Il

~ 33 ~
dépasse la répartition des compétences étatiques pour prendre en compte l'esprit de la
Constitution ainsi que les principes qui sous-tendent le régime tout entier.

TITRE III : L’ORGANISATION CONSTITUTIONNELLE DU POUVOIR D’ETAT

Le pouvoir démocratique qui trouve son fondement dans le corps social duquel émane
toute autorité, doit être organisé de sorte à éviter qu'il ne dérive en despotisme et qu'il soit plus
soucieux de la protection les libertés fondamentales. En proposant une technique
d'organisation politique dans lequel les fonctions sont séparées et confiées à des organes
distincts qui peuvent, le cas échéant, se contrecarrer ou s'annihiler, Montesquieu a légué à
l'histoire politique la théorie de la séparation des pouvoirs (Chapitre I) qui sous-tend, de nos
jours, toute l'organisation constitutionnelle des régimes politiques démocratiques (Chapitre
II).

~ 34 ~
CHAPITRE I : LA SEPARATION DES POUVOIRS

La séparation des pouvoirs est un des piliers fondamentaux du droit public en général
et une pierre angulaire du système constitutionnel libéral. Malgré des multiples interprétations
multiples et les critiques dont elle a été l'objet, la théorie de la séparation des pouvoirs
conserve toujours sa pertinence, plus de deux siècles après sa formulation et sa
systématisation.
Il s’agit donc dans le cadre de ce chapitre de procéder au décryptage de la théorie de la
séparation des pouvoirs d’une part (Section I) et de faire ressortir les mécanismes du principe
d’autre part (Section II)

Section I : La théorie de la séparation des pouvoirs

Il s’agira de faire dans un premier un exposé bref de la théorie dans un premier temps
(§ I) avant de nous appesantir sur l’organisation concrète des pouvoirs dans un second temps
(§ II).

§ I : L’exposé de la théorie de la séparation des pouvoirs

La séparation des pouvoirs est une inhérence de l'organisation sociétale. On la trouve à


un niveau biologique où on distingue chez la personne humaine, la tête et le bras. De même,
les tâches sociales sont spécialisées et confiées à des personnes différentes. Il n'est donc pas
surprenant que cette séparation des rôles se retrouvât également au niveau de l'Etat où l'on
distingue l'expression de la volonté à travers la faculté d'édicter des normes et l'action ou
l'exécution de la volonté du souverain.

~ 35 ~
Le livre XI, chapitre 6 intitulé "De la Constitution d'Angleterre" de l'Esprit des Lois
est l'épine dorsale de la théorie politique de Montesquieu en ce sens qu'il fait ressortir
clairement la finalité libertaire de la séparation des pouvoirs ainsi que l'organisation
constitutionnelle la mieux appropriée pour préserver les libertés fondamentales. En effet,
l’idée était de trouver des voies et moyens permettant d'éviter le despotisme et de garantir la
liberté politique qui est constamment menacée par le pouvoir que les libéraux considèrent
comme un danger permanent pour la liberté.
Partant du constat que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser,
Montesquieu propose une thérapie limitant le pouvoir pour en éviter les abus. Pour l'auteur de
l'Esprit des Lois, par la disposition des choses, il faut que "le pouvoir arrête le pouvoir".
La séparation des pouvoirs conduit à un système de gouvernement modéré reposant
sur une différenciation des fonctions qui sont confiées à des organes différents.

§ II : L’organisation des pouvoirs

Pour l'auteur de la séparation des pouvoirs, il y a dans chaque Etat, trois sortes de
pouvoir : la puissance législative, la puissance exécutrice des choses dont dépend le droit des
gens et la puissance exécutrice.
Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours,
et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou
reçoit des ambassadeurs, établit la sûreté, prévient les invasions.
Par la troisième, il punit les crimes ou tranche les différends opposant les particuliers.
On appellera cette dernière la puissance de juger, et l'autre simplement la puissance exécutrice
de l'Etat.
Tout serait perdu si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles,
ou du peuple, exerçait ces trois pouvoirs : celui de faire des lois, celui d'exécuter des
résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.
Aussi, n'y a-t-il point de liberté si dans la même personne ou dans le même corps la
puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, parce qu'on peut craindre que le
même monarque ou le même Sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter
tyranniquement. De même, la liberté est une chimère si la puissance de juger n'est pas séparée
de la puissance législative et de la puissance exécutrice. Si elle était jointe à la puissance
législative, le pouvoir sur la vie et sur la liberté des citoyens serait arbitraire ; car le juge serait
~ 36 ~
législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un
oppresseur.
La séparation des pouvoirs d’abord par l’existence d’un pouvoir législatif qui a, entre
autres pour mission, le vote de la loi, le consentement de l’impôt et le contrôle de l’action
gouvernementale. Ensuite, il y a le pouvoir le pouvoir exécutif incarné par le Chef de l’Etat et
le gouvernement, dont le rôle est de déterminer et conduire la politique de la nation. Enfin, il
y a le pouvoir judiciaire incarné par les juges. La séparation des pouvoirs ne postule pas
cependant un isolement des pouvoirs. Il doit exister une certaine forme de collaboration des
pouvoirs qui suppose une certaine égalité entre eux, mais celle-ci n’est pas totale. Pour
Montesquieu, le pouvoir législatif, élu directement en général par le peuple, est supérieur aux
deux autres. Mais pour éviter que cette suprématie ne conduise à des dérives, il est nécessaire
de donner au gouvernement et aux juges des moyens de défense de leur indépendance. Dans
les faits, aucun régime politique ne met en pratique de façon dogmatique la séparation des
pouvoirs. Mieux, ceux-ci ne restent pas cantonnés dans le domaine qui leur est assigné. Ce qui
conduira des auteurs à dénoncer le mythe de la séparation des pouvoirs. En effet, comme
l’écrit Charles Eisenmann, « … le régime constitutionnel décrit dans l’esprit des lois n’est
point un régime de séparation des autorités étatiques… Des trois autorités, deux – le
parlement et le gouvernement – ne sont ni maîtresses d’une fonction, ni spécialisées dans une
seule fonction ; la troisième – les tribunaux -, si elle n’intervient dans l’exercice que d’une
seule fonction, ne l’exerce pas sans partage ». Ainsi, dans de nombreux pays, le
gouvernement empiète sur les attributions du parlement, grâce à son pouvoir réglementaire,
qui lui permet de poser aussi des règles générales et impersonnelles. De plus, le parlement
peut déléguer au gouvernement, pour un certain temps, le pouvoir de prendre des ordonnances
dans des matières relevant de sa compétence. Le Parlement n’a donc pas le monopole
législatif. Il doit aussi compter avec le gouvernement qui est aussi législateur, puisqu’il peut
prendre des décisions de portée générale dans le cadre de son pouvoir réglementaire (décrets,
arrêtés). Par ailleurs, le peuple peut lui-même se voir attribuer un pouvoir d’initiative
législative ou adopter des lois par la voie du référendum.

Section II : L’expression du principe de la séparation des pouvoirs

La réflexion fondamentale de Montesquieu tourne autour de la mise en place de


structures et d'un système de gouvernement le mieux à même de garantir la liberté dans sa
~ 37 ~
dimension individuelle. La séparation des pouvoirs érigée en principe d'organisation et
d'aménagement du pouvoir politique a été sa principale trouvaille. Pour l'auteur de "l'Esprit
des lois", en divisant le Pouvoir et en le répartissant entre des organes séparés et
indépendants, on l'affaiblit globalement car les trois organes concurrents et équilibrés se
neutralisent mutuellement au grand bénéfice des citoyens. Ce principe de la séparation des
pouvoirs a été érigé en véritable dogme constitutionnel de l'idéologie libérale dont il est
devenu son credo (70). Pour les révolutionnaires de 1789, aucune forme d'organisation
juridique n'est démocratiquement recevable si elle ne se conforme pas aux principes de la
séparation des pouvoirs. Un texte ne peut accéder à la dignité de Constitution que si, au
préalable, la séparation des pouvoirs est déterminée sinon il ne pourra jamais être considéré
une constitution au sens libéral du terme, même s'il l'est au sens littéral.
Dans son contenu, ce principe épouse, selon la doctrine traditionnelle, deux règles
distinctes dont la combinaison est de nature à conduire à la finalité libertaire de cette théorie:
la règle de la spécialisation (§ I) et le règle de l'indépendance (§ II)

§ I : La règle de la spécialisation

La règle de la spécialisation part de la relation entre la fonction et l'organe: la première


est une activité prise en charge par la seconde. L'Etat fait la loi, il l'exécute et il tranche les
litiges. Il résulte de l'activité de l'Etat trois fonctions primordiales : les fonctions législative,
exécutive et judiciaire, assurées par trois autorités ou organes spécialisés chacun dans
l'exercice de l'une des fonctions.
Cette règle signifie, dans l'absolu, que chaque organe de l'Etat est spécialisé dans
l'exercice d'une fonction. Il ne devra exercer que cette seule fonction, mais devra l'exercer
entièrement. Toutes les lois doivent être l'œuvre du législatif et tous les actes matériels
d'exécution l'œuvre de l'exécutif et tous les actes de règlement des différends l'œuvre du
judiciaire. En conséquence, chaque organe devra s'abstenir de s'ingérer dans l'exercice des
fonctions assignées à un autre organe.

§ II : La règle de l’indépendance

La séparation n'est pas seulement fonctionnelle mais aussi et surtout organique dans la
mesure où les trois fonctions séparées sont confiées à trois pouvoirs (légiférer, exécuter et
~ 38 ~
juger) exercés par des organes différents et distincts les uns des autres. Chaque organe ne peut
agir que sur lui-même et n'a aucun moyen d'action dans le domaine d'intervention de l'autre.
L'exécutif n'intervient pas dans l'exercice de la fonction législative, il ne dispose pas d'un droit
d'entrée dans les assemblées et ne peut dissoudre le Parlement. De son côté, le législatif ne
dispose d'aucune prérogative vis-à-vis de l'exécutif; il ne participe pas au choix de ses
membres ou à la détermination de la politique nationale et ne peut mettre fin à l'existence
juridique du gouvernement. Il en résulte une indépendance existentielle de chaque organe.
Mais ces principes, comme rappelé, précédemment ne doit pas occulter le fait qu’il
existe une certaine forme de collaboration entre les pouvoirs. D’ailleurs, Charles
EISENMANN a rénové l'interprétation du principe de la séparation des pouvoirs dans l'œuvre
de Montesquieu. Pour ce classique du droit public français, le cloisonnement ou le
cantonnement qui ressort d'une lecture rapide de l'Esprit des lois, ne recoupe pas la vision que
Montesquieu avait de la séparation des pouvoirs. Au contraire, une lecture attentive de l'Esprit
des Lois montre que dans la séparation des pouvoirs, telle qu'elle est conçue par Montesquieu,
il n'est nullement question d'un cloisonnement ou d'un cantonnement rigide, organique et
fonctionnel des pouvoirs mais d'une simple distinction des tâches complétée par une
collaboration qui s'établit entre eux.
Loin d'un isolement des pouvoirs, le Père de la séparation des pouvoirs semble plutôt
envisager une collaboration, ou tout au moins, des interférences entre les pouvoirs qui doivent
"aller de concert", c'est-à-dire collaborer, tant est si bien que la séparation des pouvoirs est en
réalité souple et non rigide. Dans la construction de Montesquieu, la séparation des pouvoirs
est parfaitement compatible avec la collaboration entre des organes séparés, telle par exemple,
celle qui existe souvent entre l’Assemblée nationale et le pouvoir exécutif dans l'exercice de
la fonction législative, à travers notamment, l’initiative des lois (partagée entre l’exécutif et le
parlement ainsi que la promulgation).
Du reste, dans les démocraties contemporaines, en lieu et place d'une séparation des
pouvoirs, on assiste à une véritable concentration des pouvoirs qui, malgré tout, ne débouche
pas sur un système de gouvernement tyrannique. Au contraire, cette concentration des
pouvoirs est démocratique du fait du renouvellement périodique du mandat des gouvernants
suite à des élections transparentes, du contrôle de la légalité des actes des gouvernants et du
poids de l'opinion publique qui est, de plus en plus, prise en compte dans la gestion du
pouvoir politique.

~ 39 ~
La séparation des pouvoirs a une valeur heuristique indéniable car elle permet de
distinguer les différents régimes politiques.

CHAPITRE II : LES REGIMES POLITIQUES

Le régime est souvent confondu avec le système, alors que les réalités scientifiques
couvertes par ces concepts sont fort différentes. Le système relève de la science politique
alors que le régime est un concept inventé par le droit constitutionnel.
Le système est un ensemble cohérent composé d'éléments qui sont en interaction entre
eux, si bien que tout changement affectant un de ces éléments se répercute sur les autres et sur
le tout. Le système politique renvoie aux interférences entre les structures composant
l'appareil d'Etat, les forces politiques, les systèmes de croyances et de valeurs en vue de la
conquête ou la conservation du pouvoir qui permet l'allocation de choses de valeur ou la
production de décisions impératives pour leurs destinataires.
Le régime politique est un ensemble ordonné d'institutions et d'organes organisés par
un droit positif sous-tendu par des valeurs officiellement consacrées organisant le cadre
d'action d'un pouvoir légitime. Le régime politique est voulu et organisé tel que par le droit
alors que le système est subi, imposé.
La doctrine constitutionnelle et politique distingue, d’une part, les régimes classiques
de séparation des pouvoirs (Section I) et, d’autre part, les régimes intermédiaires de
séparation des pouvoirs (Section II)

Section I : Les régimes classiques de séparation des pouvoirs

Traditionnellement, on concevait deux modalités de séparation des pouvoirs : la


séparation souple des pouvoirs (§ I) qui est mise en œuvre par le régime parlementaire et la
séparation rigide (§ II) des pouvoirs dont l’exemple type est le cas du régime présidentiel.
~ 40 ~
§ I : La séparation souple des pouvoirs : Le régime parlementaire

Le régime parlementaire est, de nos jours, la forme d'organisation du pouvoir politique


la plus répandue dans les démocraties libérales. Cette forme d'organisation du pouvoir n'est
pas homogène car ses applications diffèrent d'un environnement sociopolitique à un autre et,
de surcroît, ce régime évolue constamment. Il peut être défini de manière opératoire comme
un régime à base de séparation souple des pouvoirs sous-tendue par des interférences qui
traduisent une collaboration des pouvoirs. Cette collaboration des pouvoirs est assortie de
moyens permettant à chacun des pouvoirs de sanctionner l'autre pouvoir. Ces moyens
d'actions réciproques sont la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement
d'une part, et le droit de dissolution d'autre part.
La responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement ou, à tout le moins,
devant la chambre élue au suffrage universel est la règle d'or du régime parlementaire, à tel
point que, pour certains auteurs, elle est "l'élément essentiel qui caractérise le régime
parlementaire". La responsabilité politique peut être engagée sur l'initiative du parlement par
le biais de la motion de censure ou bien de l'exécutif qui peut solliciter la confiance des élus
de la nation.
La motion de censure est une procédure parlementaire par laquelle les députés
prennent l'initiative de désavouer publiquement le gouvernement et de le sanctionner en,
conséquence, en lui retirant leur confiance. Si la motion est adoptée, le chef du gouvernement
devra remettre sa démission au chef de l'Etat. En raison de sa gravité, la motion de censure est
enserrée dans un formalisme rigoureux rendant difficile son adoption (signature par un
nombre bien défini de députés, observation d'un délai de réflexion, adoption à une majorité
absolue des membres composant l'assemblée).
La question de confiance est une initiative du gouvernement qui sollicite la confiance
de l'assemblée sur sa politique générale, son programme, un texte. La confiance peut être
demandée par l'exécutif pour mieux ressouder sa majorité. Le rejet de la question de
confiance entraîne la démission du gouvernement. La question de confiance constitue dans
ces conditions un moyen de pression considérable du gouvernement sur le Parlement.
La dissolution est un acte de gouvernement par lequel le chef de l'Etat, de sa propre
initiative ou sur demande du gouvernement, révoque prématurément le mandat des députés.
Elle abrège la durée de la législature. Le droit de dissolution est considéré comme une des
~ 41 ~
pièces maîtresses du régime parlementaire. Elle s'analyse comme la contrepartie du droit de
l'Assemblée de renverser les ministres car, sans elle, le cabinet se trouve pratiquement
désarmé en face d'un Parlement qui peut le renverser à sa guise. La dissolution permet de
sauvegarder l'indépendance de l'exécutif et, en conséquence, l'équilibre des pouvoirs. Elle
permet en dernière instance aux électeurs de trancher les conflits opposant l'exécutif et le
législatif. Le régime parlementaire peut être moniste ou dualiste. Cette distinction se fonde sur
la localisation du pouvoir de décision qui peut procéder d'une source ou bien être réparti entre
deux pôles de décision.
Dans le cadre du régime parlementaire moniste, le pouvoir procède d'une source
unique qui est le parlement. Le chef de l'Etat ne joue qu'un rôle effacé puisque le cabinet ne
peut compter que sur l'autorité que lui vaut la confiance de l'Assemblée.
Le régime parlementaire est dit dualiste lorsque le pouvoir procède de deux sources
qui sont d'une part l'autorité du chef de l'Etat et, d'autre part, la puissance issue de la
représentation nationale. Il repose donc sur ces deux centres d'impulsion de la vie politique.
Historiquement, le régime parlementaire dualiste correspond au régime parlementaire
classique qui avait réussi à combiner les deux pouvoirs par l'entremise du cabinet qui en était
le trait d'union. Le cabinet doit bénéficier à la fois de la confiance des chambres et de l'appui
du chef de l'Etat qui jouit encore de prérogatives importantes qui lui permettent d'intervenir
effectivement dans le fonctionnement du système. Il dispose plus spécialement d'un droit de
révocation des ministres ainsi assujettis à une double responsabilité devant les chambres et
devant le chef de l'Etat et d'un droit de dissolution discrétionnaire.

§ II : La séparation rigide des pouvoirs : Le régime présidentiel

Contrairement au régime parlementaire qui est le résultat d'une évolution historique, le


régime présidentiel est une construction des pères-fondateurs de la Constitution des Etats-
Unis d'Amérique adoptée par la Convention de Philadelphie du 17 septembre 178721.
Le régime présidentiel est caractérisé par une séparation rigide des pouvoirs exécutif et
législatif. L'exécutif du régime présidentiel procède du seul Président de la République qui est
un représentant élu du peuple au même titre que les parlementaires. Les légitimités étant
égales et les niveaux de responsabilités les mêmes, il est dès lors tout à fait logique que le

21
La séparation des fonctions est l'un des piliers angulaires de la Constitution américaine de 1787, selon Marcel
PRELOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, 2e éd. Précis, Dalloz, 1961, p.89.
~ 42 ~
Président de la République incarne le pouvoir exécutif. Il n'est pas seulement chef de
l'exécutif mais il est l'exécutif à lui tout seul. Le Président de la République ne partage pas
l'exécutif. Le gouvernement, en tant qu'institution collégiale et solidaire n'existe pas dans un
régime présidentiel. S'il s'appuie sur un cabinet composé de ministres, ces derniers ne sont que
ses assistants qu'il choisit et révoque discrétionnairement. Il nomme aux hauts emplois civils
ou militaires, signe les décrets, négocie et signe les traités internationaux. Il détermine la
politique de la nation qu'il met en œuvre avec le soutien de son cabinet. Il est politiquement
irresponsable devant le Congrès sauf en cas d'impeachment qui est un mécanisme
d'engagement de la responsabilité pénale du Président de la République.
Dans le même ordre d'idées, le parlement indépendant de l'exécutif détient la plénitude
du pouvoir législatif qu'il exerce en l'absence de toute ingérence de l'exécutif. Ce dernier ne
dispose pas de l'initiative législative, il ne peut interférer dans le travail législatif. Au
demeurant, dans ce type de régime, l'incompatibilité entre le mandat parlementaire et la
fonction ministérielle est de rigueur. Le Parlement est le législatif et tout le législatif. Il vote
seul la loi et accorde à l'exécutif des moyens d'action grâce au vote du budget.
Dans un régime présidentiel orthodoxe, la séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le
législatif est poussé jusqu'à ses ultimes conséquences en raison de l'inexistence des moyens
d'action réciproques qui ont cours dans un régime parlementaire. Toutefois, l'indépendance
n'est pas absolue car des rapports sont souvent constitutionnellement organisés pour permettre
aux pouvoirs de mieux s'équilibrer. La Constitution envisage souvent des interférences entre
ces organes qui expriment la volonté du pouvoir politique. C'est ainsi que le Président de la
République peut s'opposer ou retarder l'adoption d'une loi à travers son droit veto (qui peut
être un veto exprès ou un veto de poche). De son côté, le Parlement est souvent investi d'un
pouvoir de ratification des nominations présidentielles et des traités internationaux négociés et
signés par le chef de l'exécutif. Enfin, notons que le Sénat est juge de l'impeachment du
Président de la République qui est mis en accusation par la Chambre des Représentants.

Section II : Les régimes mixtes

Le régime parlementaire et le régime présidentiel qui sont les deux catégories


classiques d'organisation des régimes politiques s'acclimatent difficilement hors de leur terre
d'érection. Les pays qui ont importé le régime parlementaire n'ont pu l'adapter à leur

~ 43 ~
environnement alors que le régime présidentiel exporté hors des Etats-Unis n'a produit que
des dictatures présidentielles civiles ou militaires.
Aussi, des formes extrêmes de régime ont-elles été adoptées pour donner naissance à
des formes intermédiaires ou mixtes dont l'origine peut historiquement être remontée au
régime allemand de Weimar de 1919 qui avait fait une greffe entre le régime parlementaire et
l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel. Actuellement, on retrouve ce modèle en
France, au Portugal, en Islande, Irlande, Autriche et Finlande. Cette option s'est amplifiée
notamment dans les nouvelles démocraties de l'Europe de l'Est et de l'Afrique au sud du
Sahara. Ces régimes sont qualifiés de "semi-présidentiels" ou "semi-parlementaires".

§ I : Le régime semi présidentiel

Le régime semi-présidentiel devrait apparaître comme étant un régime présidentiel en


moins. La rigueur de la séparation des pouvoirs est atténuée par l'introduction de mécanismes
du régime parlementaire (le gouvernement, la motion de censure, le droit de dissolution, etc).
Si le pouvoir exécutif fait l'objet d'un transfert de certaines prérogatives au Premier Ministre
qui est le chef du gouvernement, la primauté du Président de la République au sein de
l'exécutif est intacte. Le chef de l'Etat reste toujours le chef de l'exécutif. Le gouvernement, à
la différence de celui du régime parlementaire, n'est pas une institution de conception mais
une simple institution d'exécution, d'application et de concrétisation de la politique définie par
le Président de la République qui dispose d'un droit de vie et de mort politiques sur ses
membres.
A coté de ce régime semi présidentiel, il y a le présidentialisme dont la signification
demeure encore problématique en ce qu’il apparait comme étant une sorte de déformation
péjorative du régime présidentiel. Le présidentialisme trouve sa source dans la conjonction de
facteurs institutionnels et politiques. En effet, il se traduit par une hypertrophie du pouvoir du
Président de la République qui s'identifie à l'exécutif et dispose de ressources juridiques et
politiquement lui permettant d'intervenir et de prendre une part active au travail législatif qu'il
peut ainsi orienter grâce à des gadgets constitutionnels par lesquels il peut agir sur l'ordre du
jour, bloquer certaines initiatives du législateur, imposer ses projets et, s'il y a lieu, "punir"
l'Assemblée en prononçant sa dissolution, alors qu'il n'est pas responsable devant elle. Le
facteur politique de la prééminence présidentiel est le fait partisan car dans le présidentialisme
le chef de l'Etat est en même temps le chef du parti qui contrôle le fonctionnement de
~ 44 ~
l'assemblée parlementaire qui devient ainsi une institution non pas d'équilibre mais de
concrétisation des idéaux du président de la République.

§ II : Le régime semi parlementaire

Le régime semi-parlementaire peut être considéré comme un régime parlementaire en


moins, effacement du chef de l'Etat, effacement du pouvoir exécutif, qui est à la dévotion de
l'Assemblée nationale, qui est la source exclusive de tout pouvoir au sein du régime ou un
régime parlementaire en plus. Dans cette deuxième hypothèse, le régime se structure et
fonctionne selon la logique parlementaire à travers la détermination de la politique nationale
par le gouvernement sous la direction du chef du gouvernement qui est le véritable chef de
l'exécutif-.
Toutefois, des mécanismes inspirés du régime présidentiel ont été introduits afin de
mieux restaurer l'autorité du pouvoir exécutif par le renforcement des prérogatives du
Président de la République qui jouit d'une légitimé populaire et démocratique au même titre
que les parlementaires et dispose de pouvoirs propres distincts de ceux du gouvernement.

FIN DU COURS !

~ 45 ~

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