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DU MOYEN-ÂGE AU ROMANTISME

DU RÉCIT COURTOIS À LA POÉSIE ROMANTIQUE


LA LITTÉRATURE DU MOYEN-ÂGE1
I. LANGUE ET SOCIETE
UAA UAA 2 : Réduire, résumer, comparer, synthétiser
UAA 1 : Rechercher des informations et en garder la trace
Objectifs du - Savoir différencier et comparer un récit courtois et une poésie romantique
cours - Savoir synthétiser des documents relatifs à l'histoire et la société médiévale
Ressources - Prérequis : résumer un texte informatif
- La prise de notes
- Le cours sur la carte mentale
- Le présent cours (caractéristiques des récits courtois et de la poésie romantique)

1. DU LATIN AU FRANÇAIS2

 Au IXe siècle, les classes populaires ne comprennent plus le latin classique car le latin parlé a
beaucoup changé.
 Il évolue différemment suivant les pays et le premier texte en ancien français date de 842: ce
sont les Serments de Strasbourg, un texte d'alliance politique (► Texte A).
 Des chants religieux et des textes littéraires sont peu à peu écrits dans cette nouvelle langue qui
englobe en réalité une multitude de dialectes régionaux. On divise le territoire en deux espaces
selon le mot utilisé pour dire « oui » : « oc » dans le Sud, « oïl » dans le Nord.
 En 1539, l'ordonnance de Villers-Cotterêts impose le français, dialecte d'Île-de-France, comme
langue du droit et de l'administration : le territoire français commence son unification
linguistique.

Texte A Traduction : Pour l'amour de Dieu et pour le salut


Pro Deo amur et pro Christian poblo et nostro commun du peuple chrétien et le nôtre, à partir de ce
commun saluament, d'ist di in auant, in quant Deus jour, autant que Dieu m'en donne le savoir et le
sauir et podir me dunat, si saluarai eo cist meon fradre pouvoir, je soutiendrai mon frère Charles de mon aide
Karlo et in aiudha et in cadhuna casa [...] et en toute chose
Serments de Strasbourg, 842.

2. UNE SOCIETE HIERARCHISEE

La société était divisée en trois ordres :

– Les nobles (chevaliers, seigneurs, princes, rois), ceux qui


combattent et protègent (Bellatores)
– Le Clergé (hommes d'Eglise) qui prient (Oratores)
– Ceux qui travaillent (Laboratores : serfs, vilains/artisans,
commerçants, paysans)

1 Sur base du manuel du Livrescolaire.fr : Français Seconde


2 + Annexe : la langue médiévale

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3. L'UNIFICATION PROGRESSIVE AUTOUR DES ROIS CHRETIENS

 Le royaume se définit par son identité chrétienne à partir du baptême de Clovis en 496. Mais les
rois français sont souvent en opposition avec la papauté, car ils souhaitent contrôler le clergé du
royaume : c'est le gallicanisme. Les
chansons de geste entretiennent le
mythe de Charlemagne victorieux,
convertissant les Sarrasins, c'est-à-
dire les musulmans. Du XIe au
XIIIe siècle, les rois participent aux
croisades en Orient, qui se soldent
par des échecs cuisants.
 L'enjeu majeur de la royauté est de
fédérer autour d'elle les grands
seigneurs, qui ont le pouvoir sur
leur domaine. À l'extinction de la
lignée des Carolingiens, Hugues
Capet, comte de Paris, est élu roi.
Afin d'obtenir une légitimité face
aux autres seigneurs, il se fait sacrer
par le pape.

4. LE CLERGE, GERANT DU SAVOIR

 Les membres du clergé sont lettrés. Les prêtres parlent


et écrivent le latin, ce qui leur permet de connaître les
textes antiques et religieux.
 L'Église est la principale commanditaire des artistes : la
plu-part des oeuvres (littéraires, artistiques,
architecturales) sont religieuses.
 Pour enseigner l'histoire religieuse, l'Église recourt aux
images (vitraux, bibles illustrées, livres d'heures). C'est
le cas de ce livre d'heures ( Doc4) qui privilégie l'image
par rapport au texte.
 La première université ouvre ses portes à Paris au XIIIe
siècle. Le cursus des étudiants, de jeunes nobles,
comprend les sept arts libéraux : grammaire, dialectique
et rhétorique forment le Trivium, et arithmétique,
astronomie, géométrie et musique le Quadrivium. La théologie est l'aboutissement des études.

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LA LITTÉRATURE DU MOYEN-ÂGE3
II. LA LITTERATURE

Origine Le Terme issu d'une traduction du latin de la Renaissance, medium aevum


(« temps intermédiaire »), quand la réappropriation de l'Antiquité a conduit à
dévaloriser cet âge « moyen ». Depuis, les chercheurs ont redécouvert cette période
très riche.
Où En Europe. Cette période marque l'avènement de littératures en langues
romanes, vernaculaires (propres à une communauté, à un pays, par opposition au
latin).
Quand De la chute de l'Empire romain d'Occident (476) à la chute de l'Empire
romain d'Orient (1453) ou au débarquement des Européens en Amérique (1492). On
réunit dans cette période dix siècles d'histoire.

1. L'ART DU LIVRE : manuscrits et enluminures

 Le Ve siècle voit la première grande innovation du livre avec l'invention du


codex, livre formé de pages reliées et manuscrites (écrites à la main, comme
le montre l'étymologie latine de manus, « la main »). Jusqu'au Xlle siècle, ce
sont principalement les moines qui copient les manuscrits, à raison de
quelques feuillets par jour.
 Les images sont extrêmement importantes
car elles soulignent ou complètent le
message du texte, au sein d'une culture
dans laquelle le symbole est capital. Les
enluminures racontent parfois à elles
seules une petite histoire ci-contre ( ), elles
représentent le personnage principal du
Roman de la Rose qui s'endort, puis rêve
qu'il se chausse et pénètre dans un jardin.

3 Sur base du manuel du Livrescolaire.fr : Français Seconde

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2. DE L'ART ROMAN (X-XIIe siècles) A L'ART GOTHIQUE (XIII-XVe siècles)

3. L'ECRIT : LES TEXTES EN VERS

 Au Moyen Âge, la plupart des textes littéraires sont versifiés. Les trouvères et les troubadours
sont des artistes (la notion était cependant différente de celle d'aujourd'hui) qui chantaient,
racontaient ces récits:
◦ La littérature bourgeoise (« bourg » signifie « ville ») est celle destinée aux gens du peuple.
On s'y moque des nobles et du Clergé, l'humour est gras, simple, vulgaire parfois.
◦ Les chansons de geste sont destinées aux nobles, chevaliers et seigneurs. On y parle de
guerre, d'actes de bravoure, de combat contre les
Sarazins. Les récits sont violents, sanglants.
◦ La littérature courtoise est destinée aux nobles, aux
femmes notamment. On y parle d'amour pur, de loyauté
du chevalier envers sa dame, de magie, de dragon,
d'aventures...
◦ La littérature hagiographique regroupe les récits de vie de
Saints. On les chante lors des messes pour donner aux
croyants des modèles de martyrs, de chrétiens valeureux.

Dans son traité poétique, Eustache Deschamps distingue la musique artificielle, jouée avec des instruments, de la musique naturelle,
la poésie.
« L'autre musique est appelée naturelle, parce qu'elle ne peut pas être apprise, sauf si l'on s'y applique de son
propre courage, et c'est une musique obtenue par la bouche, qui déclame des paroles versifiées, parfois en lais,
parfois en ballades, d'autres fois en rondeaux [...]. Cette musique naturelle se produit par volonté amoureuse, à
la louange des dames, et d'autres manières, selon les connaissances de ceux qui s'appliquent à cette musique ».
Eustache Deschamps, L'Art de dictier, 1392, trad. du moyen français d'Éléonore de Beaumont, 2018.

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Evaluation sur la société médiévale

L'évaluation se fera en deux phases.

Tu vas d'abord élaborer le « squelette » d'une carte mentale qui réusmerait les informations données
dans les textes précédents. Pas besoin donc de rendre compte de toutes les informations essentielles
données, mais juste d'imaginer la structure de la carte (titre, sous-titres 1, sous-titres 2).
Tu ne te borneras pas à reprendre la structure du cours précédent. En effet, certains points abordés
sous des intitulés différents peuvent être rassemblés sous un même titre dans ta carte mentale.
À toi de repérer les différents aspects de la société médiévale abordé dans le cours et de distinguer les
différents sous-aspects.

Une fois que j'aurai corrigé ce squelette, tu pourras alors compléter ta carte mentale.

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LA LITTÉRATURE DU MOYEN-ÂGE4
III. FIN'AMOR ET RÉCIT COURTOIS

Dans un monde intellectuel et artistique dominé par le clergé, des laïcs (c'est-à-dire le peuple, qui
n'appartient pas au clergé) commencent à s'exprimer en langue romane pour proposer un nouveau
modèle de vie: la fin'amor, qui signifie « amour pur » en occitan.

Cet attrait des conteurs pour l'amour et la courtoisie arrive à point, puisque les chevaliers et les nobles
du 12e siècle connaissent une époque plutôt calme après les croisades et la vie de château, le plaisir des
grands repas et des divertissements légers sont à la mode.

• Les poèmes des troubadours et des trobairitz (les femmes troubadours) et les romans courtois
représentent des hommes nobles, souvent des chevaliers qui agissent selon le code d'honneur
des chevalier de l'époque : respecter sa religion, aider les plus faibles, protéger les dames, se
soumettre à leur seigneur, se battre avec honneur et courage pour les causes justes.
• Mais dans les récits courtois, les auteurs vont ajouter un peu de piment aux aventures des
chevaliers. Ceux-ci devront, en plus de combattre, se montrer dignes dans leurs actes d'une
dame qu'ils aiment. Cette dame doit être inaccessible ; souvent d'une condition sociale
supérieure à la leur, elle est généralement mariée. C'est elle qui dicte ses désirs et apprend la
patience à son jeune amant.
• Dans les romans courtois, l'initiation lente et douloureuse à l'amour peut parfois aboutir au
mariage. Le plus souvent cependant, l'amour reste platonique pour plusieurs raisons :
◦ La dame est mariée au seigneur ou au roi : le respect envers le seigneur est toujours plus
important.
◦ Le chevalier apprécie le jeu de séduction, il aime faire la cour. Une fois la dame dans les bras
et soumise, elle n'a plus d'attrait.
• Le roi, souvent, connaît l'amour entre sa dame et son chevalier. Mais il sait qu'il restera chaste et
sait aussi que tant que cet amour existera, le chevalier restera fidèle à sa Cour. La dame devient
donc un moyen d'assurer la loyauté des chevaliers.
• Au début du XVe siècle, Christine de Pizan met en garde les femmes contre les mensonges des
amants de la fin'amor, qui peuvent conduire la femme noble à tout perdre.
• Le Fin'Amor regroupe les récits où l'infidélité, les secrets, la séduction sont mis en avant. Le
roman courtois est une adptation du Fin'Amor, récit où la morale chrétienne est bien plus
respectée et où l'amour se vit dans le mariage.

4 Sur base du manuel du Livrescolaire.fr : Français Seconde

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Tristant et Iseut

Tristan est un chevalier qui fut élevé à la cour du roi Marc de Cornouailles car il est son neveu.
Tristan a pour mission de ramener la fille de la reine d’Irlande, Iseut, car elle est promise au roi Marc.
Sur le bateau qui le ramène en Angleterre, les deux jeunes gens boivent par erreur un philtre d’amour
préparé par la reine et destiné aux futurs époux. Voilà Tristan et Iseut unis à jamais par la passion.
Lorsque le roi Marc découvre leur secret, il les chasse dans la forêt où ils vivent dans un affreux
dénuement, aidés seulement par l’immense amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Un jour, le roi
Marc les surprend dans leur sommeil ; mais ils sont vêtus et l’épée de Tristan les sépare en signe de
pureté. Emu, le roi laisse à côté d’eux son épée et son anneau de noce. Touchés par la clémence de leur
seigneur, ils décident de se séparer : Iseut retourne au roi Marc et Tristan s’exile en Bretagne.

Il épouse une autre jeune fille du nom d’Iseut, mais son ancienne passion le dévore. Blessé au cours
d’un combat, il envoie un message à Iseut en la priant de venir le guérir. Si le vaisseau peut ramener
Iseut, il devra avoir une toile blanche, sinon ce sera une voile noire. Lorsque le bateau arrive avec Iseut,
la femme de Tristan, poussée par la jalousie, lui déclare faussement que la voile est noire. Tristan meurt
de désespoir ; il est bientôt rejoint par Yseut. Le roi Marc les enterre côte à côte. Du tombeau de
Tristan, une ronce jaillit et s’enfonce dans celui d’Yseut, montrant ainsi que l’amour est plus fort que la
mort.

Le chevalier à la charrette de Chrétien de Troyes


31 A un jor d'une Acenssion 31 Un jour de l'Ascension
32 Fu venuz de vers Carlion 32 Fut venu en provenance de Carlion
33 Li rois Artus et tenu ot 33 Le roi Artur afin de rassembler
34 Cort molt riche a Camaalot, 34 Une cour plénière à Camaalot--
35 Si riche com au jor estut. 35 Une cour digne d'un jour de grande fête.
36 Aprés mangier ne se remut 36 Après le repas le roi
37 Li rois d'antre ses conpaignons; 37 Ne délaissa point ses compagnons.
38 Molt ot en la sale barons, 38 La salle était remplie de barons,
39 Et s'i fu la reïne ensanble; 39 Et la reine était aussi de l'assemblée,
40 Si ot avoec li, ce me sanble, 40 Entourée, comme je crois,
41 Mainte bele dame cortoise, 41 De mainte et mainte belle et courtoise dame
42 Bien parlant an lengue françoise; 42 Parlant fort bien le français.
43 Et Kex qui ot servi as tables 43 Et Keu qui avait servi les gens à table
44 Manjoit avoec les conestables. 44 Mangeait avec les chambellans.
45 La ou Kex seoit au mangier, 45 Là précisément où il était attablé
46 A tant ez vos un chevalier 46 Parut un chevalier
47 Qui vint a cort molt acesmez, 47 Très soigné dans sa mise, qui venait à la cour
48 De totes ses armes armez. 48 Armé de pied en cap.
49 Li chevaliers a tel conroi 49 Le chevalier ainsi équipé
50 S'an vint jusque devant le roi 50 S'en vint jusque devant le roi,
51 La ou antre ses barons sist, 51 Assis au milieu de ses barons.
52 Nel salua pas, einz li dist: 52 Sans le moindre salut il lui dit:
53 «Rois Artus, j'ai en ma prison 53 Roi Artur, je tiens prisonniers,
54 De ta terre et de ta maison 54 De tes terres et de ta maisonnée
55 Chevaliers, dames et puceles, 55 Chevaliers, dames et demoiselles.
56 Mes ne t'an di pas les noveles 56 Mais je ne t'apporte pas de leurs nouvelles
57 Por ce que jes te vuelle randre; 57 Dans l'intention de te les rendre.
58 Einçois te voel dire et aprandre 58 Au contraire, je veux te dire et t'apprendre
59 Que tu n'as force ne avoir 59 Que tu n'as ni la force ni les moyens
60 Par quoi tu les puisses ravoir; 60 Pour les ravoir.
61 Et saches bien qu'ainsi morras 61 Sache bien que tu mourras
62 Que ja aidier ne lor porras.» 62 Avant de pouvoir jamais leur apporter de l'aide.

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63 Li rois respont qu'il li estuet 63 Le roi répond que force lui est
64 Sofrir, s'amander ne le puet, 64 De s'incliner s'il ne peut pas amender la situation,
65 Mes molt l'an poise duremant. 65 Mais son chagrin lui pèse bien fort.
66 Lors fet li chevaliers sanblant 66 Àlors le chevalier agit comme s'il voulait
67 Qu'aler s'an voelle, si s'an torne, 67 S'en aller: il fait demi-tour;
68 Devant le roi plus ne sojorne, 68 En s'éloignant du roi,
69 Et vient jusqu'a l'uis de la sale; 69 Il gagne la porte de la salle,
70 Mes les degrez mie n'avale, 70 Mais il ne descend point les marches;
71 Einçois s'areste et dit de la: 71 Il s'arrête d'abord et, de là, il proclame:
72 «Rois, s'a ta cort chevalier a 72 Roi, si à ta cour il se trouve un chevalier
73 Nes un an cui tu te fiasses 73 À qui tu accordes la confiance nécessaire
74 Que la reïne li osasses 74 Afin de lui assigner la mission
75 Baillier por mener an ce bois 75 De conduire la reine, en me suivant, dans ce bois
76 Aprés moi, la ou je m'an vois, 76 Où je me dirige,
77 Par un covant l'i atandrai 77 J'accepterai de l'y attendre.
78 Que les prisons toz te randrai 78 Je te rendrai tous les prisonniers
79 Qui sont an essil an ma terre 79 Qui sont exilés dans mes terres
80 Se il la puet vers moi conquerre 80 Si ce chevalier parvient à me vaincre
81 Et tant face qu'il l'an ramaint.» 81 Et à ramener la reine ici.
82 Ce oïrent el palés maint, 82 Beaucoup de gens du palais entendirent ces paroles,
83 S'an fu la cort tote estormie. 83 Et la cour s'en trouva toute ébranlée.
84 La novele en a Kex oïe, 84 Keu a eu vent de la nouvelle
85 Qui avoec les sergenz manjoit; 85 Alors qu'il mangeait avec les serveurs;
86 Le mangier leit, si vient tot droit 86 Il cesse de manger et s'en vient tout droit
87 Au roi, si li comance a dire 87 Au roi, et il commence à lui parler
88 Tot autresi come par ire: 88 En homme parfaitement indigné:
89 «Rois, servi t'ai molt longuemant 89 Roi, je t'ai longuement servi
90 Par boene foi et lëaumant; 90 De bonne foi et avec loyauté;
91 Or praing congié si m'an irai 91 À présent je prends congé de toi et m'en irai
92 Que ja mes ne te servirai; 92 De sorte que jamais plus je ne te servirai.
93 Je n'ai volenté ne talant 93 Je n'ai ni volonté ni désir
94 De toi servir d'ore en avant.» 94 De te servir désormais.
95 Au roi poise de ce qu'il ot, 95 Le roi s'afflige de ce qu'il entend,
96 Mes, quant respondre mialz li pot, 96 Mais quand il put répondre dignement,
97 Si li a dit eneslepas: 97 Il lui demanda sans la moindre hésitation:
98 «Est ce a certes ou a gas?» 98 Parlez-vous sérieusement ou plaisantez-vous?
99 Et Kex respont: «Biax sire rois, 99 Et Keu d'enchaîner: Beau sire roi,
100 Je n'ai or cure de gabois, 100 La plaisanterie ne m'intéresse guère en ce moment;
101 Einz praing congié trestot a certes; 101 J'ai bien la ferme intention de vous quitter.
102 Je ne vos quier autres dessertes 102 Je ne veux de vous aucune récompense
103 N'autre loier de mon servise; 103 Ni pour mes années de service, nulle indemnité;
104 Ensi m'est or volantez prise 104 Ma décision est sans appel:
105 Que je m'an aille sanz respit. 105 Je pars sans plus tarder.
106 --Est ce par ire ou par despit, 106 --Est-ce colère ou dépit, fait le roi,
107 Fet li rois, qu'aler an volez? 107 Qui vous pousse à partir?
108 Seneschax, si con vos solez, 108 Sénéchal, c'est ici votre place,
109 Soiez a cort, et sachiez bien 109 Restez donc à la cour, et sachez bien
110 Que je n'ai en cest monde rien 110 Qu'en ce monde, je n'ai rien
111 Que je por vostre remenance 111 Qu'afin de vous garder ici,
112 Ne vos doigne sanz demorance. 112 Je ne vous donne aussitôt.
113 --Sire, fet Kex, ce n'a mestier; 113 --Sire, fait Keu, c'est inutile;
114 Ne prandroie pas un sestier, 114 Je ne prendrai pas chaque jour
115 Chascun jor, d'or fin esmeré.» 115 Le cadeau d'un setier rempli d'or fin.
116 Ez vos le roi molt desperé; 116 Plein de désespoir,
117 Si est a la reïne alez. 117 Le roi s'est approché de la reine.
118 «Dame, fet il, vos ne savez 118 Dame, fait-il, vous ne savez pas
119 Del seneschal que il me quiert? 119 Ce que je dois faire selon le Sénéchal?
120 Congié demande et dit qu'il n'iert 120 Il réclame son congé, et il dit qu'il ne fera plus partie
121 A ma cort plus, ne sai por coi. 121 De ma cour--j'ignore pourquoi.
122 Ce qu'il ne vialt feire por moi 122 Ce qu'il se refuse à faire pour moi,

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123 Fera tost por vostre proiere; 123 Il s'empressera de le faire pour vous si vous l'en priez.
124 Alez a lui, ma dame chiere! 124 Allez à lui, ma dame chère!
125 Quant por moi remenoir ne daigne, 125 Puisqu'il ne daigne pour moi rester,
126 Proiez li que por vos remaigne 126 Suppliez-le de rester pour vous.
127 Et einz l'an cheez vos as piez, 127 Et, au besoin, jetez-vous à ses pieds,
128 Que ja mes ne seroie liez 128 Car je n'éprouverais plus aucune joie
129 Se sa conpaignie perdoie.» 129 S'il m'arrivait de perdre sa compagnie.
130 Li rois la reïne i anvoie 130 Sur ce, le roi envoie la reine
131 Au seneschal, et ele i va; 131 Auprès du sénéchal, et elle accepte de s'y rendre.
132 Avoec les autres le trova, 132 Elle le retrouva au milieu des autres,
133 Et quant ele vint devant lui, 133 Et lorsqu'elle parvient à le joindre,
134 Si li dit: «Kex, a grant enui 134 Elle lui dit: Un grand trouble
135 Me vient, ce sachiez a estros, 135 Me vient--n'en doutez point--
136 Ce qu'ai oï dire de vos. 136 De ce que j'ai entendu dire de vous.
137 L'an m'a conté, ce poise moi, 137 L'on m'a conté--c'est ce qui me désole--
138 Que partir vos volez del roi; 138 Que vous voulez quitter le roi.
139 Don vos vient, et de quel corage? 139 D'où vous vient cette intention, et quell courage !
140 Ne vos an tieng or mie a sage 140 Je ne vois plus en vous l'homme sage
141 Ne por cortois, si con ge suel; 141 Et courtois que j'y voyais autrefois;
142 Del remenoir proier vos vuel: 142 Je veux vous prier de rester:
143 Kex, remenez, je vos an pri. 143 Keu, restez ici, je vous en prie.
144 --Dame, fet il, vostre merci, 144 --Dame, fait-il, de grâce!
145 Mes je ne remanroie mie.» 145 Je ne demeurerai point.
146 Et la reïne encor l'an prie 146 Et la reine continue de le supplier,
147 Et tuit li chevalier a masse, 147 Ainsi que tous les chevaliers ensemble,
148 Et Kex li dit qu'ele se lasse 148 Et Keu lui dit qu'elle se fatigue inutilement
149 De chose qui rien ne li valt. 149 À vouloir faire l'impossible.
150 Et la reïne de si haut 150 Et de toute sa hauteur de reine,
151 Come ele estoit as piez li chiet. 151 Elle se laisse choir à ses pieds.
152 Kex li prie qu'ele se liet, 152 Keu la prie de se relever,
153 Mes ele dit que nel fera: 153 Mais elle refuse de le faire:
154 Ja mes ne s'an relevera 154 Plus jamais elle ne se relèvera
155 Tant qu'il otroit sa volenté. 155 À moins qu'il ne lui octroie ce qu'elle veut.
156 Lors li a Kex acreanté 156 Alors Keu lui a promis
157 Qu'il remandra, mes que li rois 157 De rester, à la condition que le roi
158 Otroit ce qu'il voldra ainçois, 158 Lui accorde par avance ce qu'il lui demandera,
159 Et ele meïsmes l'otroit. 159 Et qu'elle-même en fasse autant.
160 «Kex, fet ele, que que ce soit 160 Keu, fait-elle, n'importe quoi!
161 Et je et il l'otroierons; 161 Moi et lui nous vous l'accorderons.
162 Or an venez si li dirons 162 Venez donc, et nous lui dirons
163 Que vos estes einsi remés.» 163 Qu'ainsi vous acceptez de rester.
164 Avoec la reïne an va Kes, 164 Keu accompagne la reine
165 Si sont devant le roi venu. 165 Jusque devant le roi.
166 «Sire, je ai Keu retenu, 166 Sire, j'ai retenu Keu,
167 Fet la reïne, a grant travail; 167 Fait la reine, en me donnant bien du mal.
168 Mes par un covant le vos bail 168 Je le remets entre vos mains, en stipulant toutefois
169 Que vos feroiz ce qu'il dira.» 169 Que vous ferez ce qu'il dira.

1. Quelle difference, autre qu’orthographique, y a-t-il entre les termes « rois » (l. 33) et « roi » (l. 50) ?
2. Pourquoi le terme « venuz » de la ligne 32 se voit-il affable d’un « z » ?
3. Quelle difference, autre qu’orthographique, y a-t-il entre les termes « chevaliers » (l. 49), « chevaliers » (l. 55),
« chevalier » (l. 72) et « chevalier » (l. 147) ?
4. Trouve cinq termes qui, selon toi, laissent supposer l’inexistence de véritables règles orthographiques à
l’époque (orthographe phonétique).
5. « Kex » est le héros de ce récit… Quel est le cas régime de ce terme (à trouver dans le texte) ?
6. Trouvez un autre exemple que ceux donnés ici, d’un terme employé au cas régime ET au cas sujet dans ce
texte ?
7. Les terminaisons des indicatifs futur, présent et imparfait et du subjonctif présent sont-elles les mêmes
qu’aujourd’hui ? Quelles étaient-elles ?

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8. Dans les dernières lignes du texte, trouve deux termes dont on peut expliquer l’évolution par une règle
d’évolution connue ?
9. Trouve au moins un terme (deux si tu peux) révélant la prégnance du latin dans la langue française de
l’époque.
10. Trouve cinq termes prouvant également que cet ancien français a déjà quelques éléments lexicaux
(vocabulaire) qui se maintiendront jusqu’à la langue actuelle.

Le récit courtois (ou le Fin’amor)est un récit chanté, raconté aux nobles accompagnés de leur
dame. Les récits les plus connus sont ceux autour du Roi Arthur, de Merlin l’enchanteur, des
chevaliers de la Table ronde et la quête du Graal. Les caractéristiques principales sont :
• Amour (souvent platonique) entre un chevalier et une dame de plus haut rang social.
• Ecrit en vers
• Présence de merveilleux (monstres, dragons, magie, sorciers, etc.)
• Vision d’un amour apparemment idéal, demandant le sens du sacrifice, de la loyauté et du
courage.
• Mise en avant du code d'honneur du chevalier
• Lyrisme (expression des sentiments, les personnages parlent en « je » et font part de leurs
émotions et de leurs sentiments.
• Le chevalier se soumet à sa dame et va parfois jusqu’à accepter l’humiliation.
• Langue très imagée (avec figures de style, métaphores, etc.)
• La femme reste un noble objet (une récompense pour le chevalier, un moyen de garder la
loyauté de son chevalier pour le roi).
• On y critique l’amour hypocrite, les apparences, le manque d’honnêteté (bien que le
discours courtois sent parfois l’hypocrisie qu’il dénonce).
• Le chevalier doit réaliser plusieurs épreuves, réaliser plusieurs exploits pour avoir droit à
l’amour de sa dame.
• Opposition à l’image du chevalier des récits épiques qui se bat pour la gloire sur le champ
de bataille sans savoir qu’il est plus difficile encore de se battre pour l’amour.

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LA LITTÉRATURE DU MOYEN-ÂGE5
IV. ILLUSTRATION DES AUTRES GENRES MÉDIÉVAUX

 La littérature hagiographique

Les premiers textes sont souvent d’inspiration religieuse. Les auteurs en sont majoritairement des
moines copistes qui exaltent dans leur texte l’amour de Dieu et la foi. Les Vies de Saint sont ces textes
qui racontent la vie exemplaire de certains martyrs chrétiens qui, en consacrant leur existence à Dieu,
montrent l’exemple à suivre. Leurs auteurs n’hésitent pas à y mettre en scène de nombreux miracles.

1 Buona pulcella fut Eulalia. 15 Ell'ent adunet lo suon element :


Bel avret corps, bellezour anima. Melz sostendreiet les empedementz
Voldrent la veintre li Deo inimi, Qu'elle perdesse sa virginitét;
Voldrent la faire diaule servir. Por os furet morte a grand honestét.
5 Elle no'nt eskoltet les mals conselliers Enz enl fou lo getterent com arde tost.
Qu'elle Deo raneiet, chi maent sus en ciel, 20 Elle colpes non avret, por o nos coist.
Ne por or ned argent ne paramenz A czo nos voldret concreidre li rex pagiens.
Por manatce regiel ne preiement. Ad une spede li roveret tolir lo chieef.
Niule cose non la pouret omque pleier La domnizelle celle kose non contredist:
10 La polle sempre non amast lo Deo menestier. Volt lo seule lazsier, si ruovet Krist.
E por o fut presentede Maximiien, 25 In figure de colomb volat a ciel.
Chi rex eret a cels dis soure pagiens. Tuit oram que por nos degnet preier
Il li enortet, dont lei nonque chielt, Qued auuisset de nos Christus mercit
Qued elle fuiet lo nom chrest iien. Post la mort et a lui nos laist venir
Par souue clementia.

 La littérature épique

Dès le 11ème siècle apparaissent les premiers textes non religieux. Longs récits de prouesses
guerrières, ils plaisent à un public aristocratique dont la seule occupation est la guerre. Récités (la
transmission orale a été très large et bien antérieure à la transcription écrite) sur fond musical par des
trouvères, ils animent les repas des seigneurs.

Les chansons de geste sont des poèmes qui racontent les exploits (désignés sous le nom latin de
gesta) de héros du Moyen-Âge. Les événements historiques contés par les troubadours sont idéalisés par
la légende. La plupart de ces poèmes sont nés aux 11 e et 12e siècles mais les gestes racontées sont
accomplies par des chevaliers ou des rois ayant vécu deux ou trois siècles plus tôt, au temps de
Charlemagne.

Un exemple : la Chanson de Roland raconte l'histoire de Charlemagne (donc on se sert de faits


anciens) et de son neveu Roland qui se battent contre des païens en Espagne (on s'inspire du fait qu'au
11ème siècle les chevaliers partent en Croisades). L'épopée va continuer pendant tout le Moyen-Age
mais son public va s'élargir et devenir plus populaire. Les héros se modifient, le merveilleux prend une
place plus importante.

« Roland, mon ami, sonnez de votre cor. Charles l’entendra, lui qui traverse les défilés 6. Je
vous le garantis, les Français feront aussitôt demi-tour. – À Dieu ne plaise, réplique Roland,

5 Sur base du manuel du Livrescolaire.fr : Français Seconde


6 Les cols des Pyrénées

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que personne au monde dise jamais que j’ai sonné du cor pour des païens. Mes parents
n’encourront jamais ce reproche. Quand je serai au cœur de l’immense bataille et que je
frapperai des milliers de coups, vous verrez l’acier de Durendal 7 tout trempé de sang. Les
Français sont courageux, ils frapperont vaillamment ; jamais ceux d’Espagne ne seront
protégés de la mort. »

 La littérature bourgeoise

Dès le 13ème siècle apparaît un nouveau type de littérature issu des villes (bourgs). Le public est
populaire et l'inspiration totalement différente. Le but est le rire (souvent satirique, la littérature
bourgeoise se moque- des idéaux aristocratiques), par exemple : "les fabliaux".

Estula, Anonyme, première moitié du XIIIème siècle

Il y avait jadis deux frères qui n’avaient plus ni père ni mère ni aucun parent. L’amie qui était le plus souvent
avec eux, c’était la pauvreté, hélas, et il n’est pire compagnie que celle-là, pire tourment que sa présence obsédante. On ne
cesse pas d’avoir faim quand on a faim.

Tout près de chez eux habite un homme qu’on sait très riche. Eux sont pauvres, le riche est sot. Il a des choux
dans son jardin et des brebis dans son étable. C’est de ce côté-là qu’il leur faut aller pour trouver de quoi manger. Pauvreté
fait perdre la tête à plus d’un.

L’un prend un sac, l’autre un couteau. En route ! Le premier, aussitôt dans le jardin, arrache les choux. Le
second tracasse si bien la porte de la bergerie qu’il finit par l’ouvrir ; déjà il tâte les moutons pour choisir le plus gras.

Mais dans la maison les gens ne sont pas encore tout à fait couchés. Ils entendent la porte qui grince, et le fermier
dit à son fils : « Dis, fils, va donc voir s’il n’y a rien d’anormal, et appelle le chien. »

Ils avaient nommé leur chien « Estula » : c’est une idée comme une autre ! Heureusement pour les deux
apprentis larrons, le chien, ce soir-là, était allé à ses affaires… Le fils ouvre la porte qui donne sur la cour, il regarde, il
écoute, puis il crie : « Estula ! Estula ! »
Une voix lui répond aussitôt, du côté des moutons : « Oui, oui, je suis là ! »

La nuit est noire comme la suie et le fils a peur. Il rentre dans la grand-salle, bouleversé :
« Qu’est-ce que tu as, fils ?
- Estula m’a parlé, Estula…
- Qui ? notre chien ?
- Oui, notre chien.
- Tu es fou !
- Si. C’est vrai. Je vous le jure par la foi que je dois à ma mère 8. Allez voir si vous ne me croyez pas. Appelez-le, vous
l’entendrez !... »

Le fermier y va, il entre dans la cour, il appelle son chien : « Estula ! Estula ! »
Et naturellement le voleur, qui ne se doute toujours de rien, répond encore une fois : « Oui, oui, bien sûr ! »
Le fermier n’en croit pas ses oreilles : « Par tous les saints et par toutes les saintes, j’ai déjà entendu parler de bien des
choses étranges, mais comme celle-là, alors, jamais ! Va trouver tout de suite le curé et dis-lui ce qu’il y a. Ramène-le,
hein ! fais-lui prendre son étole9… L’eau bénite10 aussi, n’oublie pas. »

7 Nom donné à l’épée de Roland


8 Par la foi que je dois à ma mère = j’en fais le serment sur ma mère.
9 Etole = écharpe portée par les prêtres.
10 Eau bénite = elle est destinée à exorciser le chien soupçonné d’être possédé par le démon.

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Le fils court aussitôt à la maison du curé. Il court, il court ; il a peur… il arrive vite, et là non plus il n’attend
guère ; il ne reste pas à la porte, il entre tout de suite :
« On a besoin de vous, Messire. Il faut que vous veniez… »

Le curé a pris l’étole, il monte sur le dos du fils, et les voilà partis. Arrivés près de la ferme, pour aller plus vite,
ils coupent tout droit par le petit chemin qu’ont pris les deux affamés. Celui qui s’occupait des choux était encore dans le
jardin. Il voit la forme blanche du prêtre, et il croit que son frère lui apporte un mouton ou une brebis. Il demande tout
joyeux :

- Alors, tu l’as avec toi ?


- Oui, oui, répond le jeune homme, croyant que c’est son père qui a parlé.
- Vite alors, fait l’autre, flanque-le par terre. Mon couteau est bien aiguisé, je l’ai passé hier à la meule. On l’aura
bientôt égorgé. »

Le curé l’entend, il croit qu’il est trahi ; il saute sur ses pieds nus, mais il court vite quand même, il file ! Son
surplis11 s’accroche à un pieu, mais il le laisse ; il ne perd pas son temps à le décrocher…Et le coupeur de choux dans le
jardin est aussi ébahi12 que le curé qui détale dans le sentier. Tout de même il va prendre la chose blanche qu’il voit autour
du pieu, il s’aperçoit que c’est un surplis. Il n’y comprend plus rien du tout

A ce moment son frère sort de la bergerie avec un mouton sur le dos. Il va tout de suite le rejoindre, son sac
rempli de choux. Ils ont tous les deux les épaules lourdes !... Ils ne restent pas sur place, comme vous pensez, ils s’en
retournent chez eux. Lorsqu’ils y sont, celui qui a le surplis montre ce qu’il a trouvé. Tous deux rient et plaisantent de
bon cœur. Car la gaieté maintenant leur est rendue, qu’ils ne connaissaient plus depuis des mois.

En peu de temps Dieu travaille ! Tel rit le matin qui pleure le soir, tel est furieux le soir qui sera joyeux le
lendemain matin.

11 Surplis = fine chemise blanche portée parles prêtres au-dessus de la soutane.


12 Ebahi = étonné.

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LA LITTÉRATURE DU MOYEN-ÂGE
V. ANNEXE 1 : LA FEMME AU MOYEN-ÂGE

Une « femme » existait déjà au Moyen-Âge

Saviez-vous « qu’une femme » est une


journaliste-sportive-dirigeante politique
qui a obtenu 5 prix Nobel… ? La page –
parodique – de Wikipédia permet
d’attirer l’attention sur un phénomène
ultra-fréquent dans les médias :
l’invisibilisation des femmes, qui sont
moins souvent nommées que les hommes dans les titres des articles. Or il s’agit là d’une tendance
structurelle qu’on observe déjà dans la majorité des sources médiévales.
Femmes anonymes
Dans les chartes médiévales, en effet, il n’est pas rare de croiser des femmes qui ne sont pas nommées.
Elles sont fréquemment identifiées par rapport à un homme : elles sont « mère de Pierre », « femme de
Jean », « fille de Paul », etc. Mais leur prénom individuel n’a pas été conservé par le scribe ou le notaire,
alors même que souvent elles jouent un rôle important dans l’échange foncier ou économique dont
traite la charte.
Un exemple, parmi littéralement des milliers possibles, rapporté par le médiéviste François Rivière : à
Elbeuf, en 1470, un registre de justice seigneuriale évoque « la femme de Jehan de Parde » ; l’épouse
représente son mari en justice, mais son nom personnel n’est jamais cité.
Même bilan du côté des chroniques, où l’on croise des femmes qui jouent un rôle politique majeur,
mais dont aucune source ne donne jamais le nom. On peut prendre l’exemple de la fille d’Isaac
Comnène, dirigeant de Chypre à la fin du XIIe siècle. Cette princesse grecque est capturée par Richard
Cœur de Lion lors de sa conquête de l’île de Chypre, elle est envoyée en Occident, épouse Raymond VI,
comte de Toulouse, puis Thierry de Flandre, avant de revenir en 1204 en Orient pour réclamer aux
Lusignans son héritage, en vain, et trouve enfin refuge à la cour du roi arménien Lewon Ier, son oncle
maternel. En quinze ans, la jeune fille est ainsi apparue plusieurs fois au premier plan des jeux
politiques, a été mariée à plusieurs seigneurs majeurs de l’Occident médiéval, s’est battue juridiquement
contre le roi de Jérusalem, a été mentionnée par trois chroniques différentes… Mais aucune source ne
la nomme jamais : elle n’est connue que comme la « Damoiselle de Chypre ».

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Femmes invisibles
Evidemment, on trouverait facilement des centaines – voire des milliers – de femmes nommées dans
les sources, qu’elles soient reines, nonnes, marchandes, car les femmes jouent des rôles très divers au
Moyen Âge. Reste qu’on a bien là une tendance de fond. Dans les Lignages d’Outremer, une compilation
de la généalogie des principales familles nobles de l’Orient latin, cinquante filles de seigneurs restent
anonymes, contre seulement dix-huit fils – alors même que le texte mentionne moins de femmes et plus
d’hommes. En Italie du sud, Thierry Stasser note qu’environ 30 % des épouses, mères ou filles ne sont
jamais nommées. Dans ses sources, donc dans l’espace franc aux XIe-XIIe siècles, Dominique
Barthélémy insiste sur la présence « évanescente » des femmes, qui soit ne sont pas nommées, soit
changent de prénoms au gré des chroniqueurs, ce qui rend leur identification extrêmement complexe.
La proportion peut être encore plus forte : dans la Chronique de Morée, rédigée au XIVe siècle, seules dix
femmes sont nommées, contre plusieurs centaines d’hommes. Les femmes qui interviennent dans
l’action – et, là encore, pour des rôles essentiels : défendre un château, conclure un traité, etc. – sont
identifiées comme « la mère d’un tel » ou « l’épouse de tel seigneur », ou au mieux comme « les
princesses », « les dames », etc.
Cet anonymat généralisé a posé pas mal de problèmes aux historiens et a souvent poussé à inventer des
noms. C’est le cas par exemple de l’épouse arménienne de Baudouin Ier, roi de Jérusalem, prénommée
« Arda » par un éditeur italien du XVIIIe siècle, alors qu’aucune source médiévale ne cite jamais ce
nom. Idem pour l’épouse de Frédéric II, souvent identifiée comme « Yolande », alors que ce n’est pas
son nom…
Femmes effacées
Comment comprendre cet anonymat, cette invisibilisation ? Isabelle Ortega, commentant la Chronique
de Morée, note que le plus étonnant est qu’en l’occurrence le chroniqueur connaît forcément les prénoms
de ces femmes nobles. Il choisit donc (consciemment ou non) de ne pas les citer, preuve qu’il n’y
accorde aucune importance. Le rôle de la femme appartient à l’histoire ; pas son identité.
Difficile de ne pas voir ici certaines continuités avec des journalistes contemporains qui se contentent
d’écrire « une femme élue à la tête de tel pays » ou « une femme monte l’Everest ». Dans les deux cas,
on mentionne l’événement, l’acte, mais en gommant autant que possible l’actrice, qui n’est visiblement
pas digne d’être nommée.
Certains auteurs médiévaux vont même plus loin et n’hésitent pas à effacer complètement certaines
femmes, quitte ce faisant à réécrire carrément l’histoire. Ainsi, plusieurs versions de la continuation en
ancien français de Guillaume de Tyr gomment totalement le rôle-clé joué par Marie de Jérusalem, reine
de Jérusalem et épouse de Jean de Brienne, et décrivent une cérémonie de couronnement où seul son
époux reçoit la couronne. Ce qui est d’autant plus incompréhensible que c’est Marie l’héritière, Jean ne
devenant roi que grâce à son mariage avec elle : raconter le couronnement sans mentionner Marie, c’est
donc livrer un récit qui n’a aucun sens. Mais un récit qui permet de gommer la femme, pour ne mettre
en valeur que l’homme…
On comprend pourquoi de plus en plus de militantes féministes critiquent l’usage de ce « une femme »
générique dans les médias. Derrière, on devine une double violence : la violence concrète d’un média
qui choisit délibérément de ne pas citer le nom de la concernée, sous-entendant donc qu’on s’en
moque, que ce n’est pas digne d’être su, pas digne d’être retenu ; et la violence diffuse d’une société
encore largement patriarcale, qui ne cesse de murmurer que les accomplissements des femmes seront
toujours moins notables que ceux des hommes. Or, comme aujourd’hui, plus encore qu’au Moyen Âge,
« les femmes » (et pas une femme) sont partout : il est grand temps de prendre l’habitude de les
nommer systématiquement. Afin que les historiennes et historiens du futur n’aient pas à se demander,
comme le fait Thierry Stasser pour l’Italie du XIe siècle, « où sont les femmes » ?

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LA LITTÉRATURE DU MOYEN-ÂGE
VI. LA LANGUE AU MOYEN-ÂGE

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1 ANALYSE DE SAINT-EULALIE

Les copistes sont les moines chargés de recopier les manuscrits que
l’on leur remet. Leur tâche est fastidieuse et demande une bonne
culture générale et une très bonne connaissance de la langue et de
ses variétés.

C’est don dans les monastères que l’on recopiait les précieuses
œuvres. Le recopiage prenait énormément de temps. Une œuvre
originale donnait donc lieu à très peu de copies. Les livres étaient
rares, chers et précieux. Cela explique pourquoi nous possédons
aujourd’hui très peu d’ouvrages médiévaux.

Aujourd’hui, la tâche des philologues est de lire, éditer (reconnaître les mots écrits et les recopier en
écriture moderne) de traduire et d’expliquer ces textes. Voyons si vous seriez de bons philologues.

1.1 Premiers textes

Dès la période classique, il y avait eu une disjonction entre le latin


écrit et le latin parlé, langue populaire qui correspondait à une
corruption de la langue savante et qui évolua rapidement à partir du
VIe siècle. Au IXe siècle, la distinction entre le latin ecclésiastique,
langue savante qui était une forme altérée du latin classique, et le
roman, issu du latin populaire, était effective.

Les premiers textes romans dont on dispose sont les Serments de


Strasbourg, prononcés en 842 par les héritiers de Charlemagne, et un
texte religieux, la Séquence de sainte Eulalie (881). La langue reflétée par
ces textes présentait désormais de profondes différences lexicales,
phonétiques et morphosyntaxiques avec le latin.

1.2 Le Manuscrit

Au début du Moyen Âge, en Europe, les livres étaient essentiellement écrits par des hommes d'Église
pour d'autres hommes d'Église et pour les souverains. La plupart étaient des extraits de la Bible, des
livres de commentaires ou de liturgie ainsi que des copies de textes classiques. Les livres étaient
laborieusement transcrits avec une plume d'oie par des moines scribes qui travaillaient dans le scriptorium
(« salle d'écriture » en latin) des monastères.

La Séquence de Saint Eulalie est le plus ancien poème religieux transposé en langue vulgaire. Elle était
destinée à être chantée lors de la liturgie du 12 février (jour de la Saint Eulalie). Elle conte l’histoire de
Eulalie, décédée en 304, à 14 ans, après avoir été torturée plutôt que de trahir sa foi. Les fidèles
prenaient ainsi connaissance de la vie et de la mort de cette martyre, modèle de dévotion…

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1.3 Transcription

Buona pulcella fut Eulalia. Ell'ent adunet lo suon element :


Bel avret corps, bellezour anima. Melz sostendreiet les empedementz
Voldrent la veintre li Deo inimi, Qu'elle perdesse sa virginitét;
Voldrent la faire diaule servir. Por os furet morte a grand honestét.
Elle no'nt eskoltet les mals conselliers Enz enl fou lo getterent com arde tost.
Qu'elle Deo raneiet, chi maent sus en ciel, Elle colpes non avret, por o nos coist.
Ne por or ned argent ne paramenz A czo nos voldret concreidre li rex pagiens.
Por manatce regiel ne preiement. Ad une spede li roveret tolir lo chieef.
Niule cose non la pouret omque pleier La domnizelle celle kose non contredist:
La polle sempre non amast lo Deo menestier. Volt lo seule lazsier, si ruovet Krist.
E por o fut presentede Maximiien, In figure de colomb volat a ciel.
Chi rex eret a cels dis soure pagiens. Tuit oram que por nos degnet preier
Il li enortet, dont lei nonque chielt, Qued auuisset de nos Christus mercit
Qued elle fuiet lo nom chrest iien. Post la mort et a lui nos laist venir

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Par souue clementia.

1.4 La traduction

1.5 La langue de Sainte Eulalie

Les premiers textes romans dont on dispose sont les Serments de Strasbourg, prononcés en 842 par les
héritiers de Charlemagne, et un texte religieux, la Séquence de sainte Eulalie (881). La langue reflétée par
ces textes présentait désormais de profondes différences lexicales, phonétiques et morphosyntaxiques
avec le latin.

1.6 A première vue

La langue dans laquelle est écrite ce texte est toujours imprégnée de latin, tout en présentant déjà des
indices laissant deviner un français plus moderne (cf texte). On constate également que les verbes
gardent leurs terminaisons latines qui seront celles du français moderne. Quelques indices nous font
penser justement que cette langue n’est pas encore stable, et que les règles qui la régissent ne sont pas
encore très claire (cf texte)…

1.7 Les cas

Vous n’êtes pas sans savoir que qu’une des particularités de


la langue latine était l’usage des cas et des déclinaisons. Si en
français contemporain, il reste fort peu de traces des ces cas,
l’ancien français gardait deux cas : le cas sujet et le cas
régime (cf texte).

1.8 Linguistique historique

Cette science étudie l’évolution des mots, du latin au français. Elle s’intéresse aux changements
progressifs qui ont mené de tel mot latin à tel autre français. L’analyse de certains mots (tels que caput,
calor, campus, cantator, canis, carus, cattu, caballu / castello, hospita, pasta / tropare, sapone, sapere,
ripa, papillione) mettent en évidence des mécanismes d’évolution très strictes. Par exemple :

• « Ca » en début de mot latin donne « Ch » en français. Canis > Chien ; Caballu > Cheval
• « Voyelle + S + consonne » en latin > en français, le « s » a disparu mais on en garde une trace
avec un accent circonflexe sur la voyelle. Castel > château ; Pasta > pâte
• « P ou B entre voyelle » en latin devient « v » en français. Sapone > savon
• Une voyelle forte en latin (e,o) se dipohtongue en français. Tropare > trouver ; pedes > Pied
• « a/e/o + L + S » devient au, eu, ou en français. Cabals > chevaux ; Cels> ceux ; Fols > fous

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