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1538 : un tournant pour l’émigration

balkanique vers les Principautés


de Valachie et de Moldavie

Lidia Cotovanu

La prise ottomane de la ville valaque de Buda fut transformée en beylerbeylik et


Brăila en 1538 constitua l’aboutissement en 1541, la Transylvanie, jusqu’alors dé-
d’une longue chaîne de conquêtes le long pendante de la couronne hongroise, de-
du Danube qui menèrent à l’encerclement vint une principauté autonome vassale de
de la Valachie et de la Moldavie par des la Porte. La Porte s’assura ainsi le contrôle
territoires directement administrés par des routes commerciales traversant la mer
les Ottomans. Les Ottomans franchirent Noire, les embouchures du Danube, les ré-
le Danube en deux étapes. Dans un pre- gions balkaniques et les Pays Roumains,
mier temps, ils s’emparèrent des embou- reliant l’Empire ottoman à l’Europe cen-
chures du Danube et annexèrent au vaste trale et à Venise 1.
territoire de leur empire la Dobroudja et les Suite à cet encerclement géostratégique, ac-
points fortifiés sur les deux rives du fleuve, compagné du renforcement des lieux for-
pour finalement sceller leurs conquêtes tifiés alentours, la Valachie et la Moldavie
dans le bassin pontique avec la prise des perdirent leur autonomie en matière de
ports jusqu’alors moldaves de Kilia et d’Ac- politique extérieure et d’entretien d’une
kermann (Cetatea-Albă), en 1484. Dans un armée locale. La prise de Brăila et de
second temps, Soliman le Magnifique vi- Tighina marqua la deuxième soumission
sa en direction de la Hongrie, en prenant des deux pays à la Porte (la Valachie ver-
Belgrade (1521) et Severin (1524), puis la sait déjà un tribut annuel depuis 1418 et
Hongrie centrale et méridionale suite à la Moldavie depuis 1456). Néanmoins,
la bataille de Mohács (1526). À l’Est, il ci- ceux-ci conservèrent leur autonomie po-
bla la Moldavie, en lui enlevant le Boudjak litico-administrative et judiciaire locale,
avec son point fortifié de Bender (Tighina) avec leur religion de rite orthodoxe et
en 1538. La même année, les forces otto- leurs coutumes 2 .
manes prirent donc Brăila et les villages
alentours, créant ainsi le kaza de Brăila,
où le Patriarcat de Constantinople ne tarda 1. Parmi la vaste bibliographie du sujet, voir
pas à instituer une métropole (l’équivalent Petre Ş. Năsturel, « Phases et alternatives de la conquête
ottomane de la Dobroudja au xve siècle » et « La conquête
d’un archevêché dans la juridiction épis- ottomane de Brăila et la création du siège métropolitain
copale orthodoxe), en l’occurrence celle de Proïlavon », in, Études d’histoire byzantine et post-
de Proïlavon, afin de s’assurer le contrôle byzantine, Emanuel Constantin Antoche, Lidia Cotovanu
direct de ce diocèse nouvellement annexé et Ionuţ-Alexandru Tudorie (dir.), Brăila, Istros, 2019,
à l’Empire ottoman. Bientôt, en 1540, la p. 35-41 et 409-427.
Hongrie avec son centre administratif à 2. Ion Matei, « Quelques problèmes concernant le régime
de la domination ottomane dans les Pays Roumains

Diasporas 40
Lidia Cotovanu

Les événements des années 1540 impo- effectifs militaires locaux 4 . Elle ouvrit éga-
sèrent aux princes valaques et moldaves lement la voie aux marchands chrétiens de
élus localement l’obligation de se faire l’Empire en direction des marchés de la
confirmer par la Porte, alors qu’ils étaient Valachie et de la Moldavie, ainsi que vers
de plus en plus fréquemment nommés par le commerce de transit reliant l’Empire
la Porte elle-même parmi la réserve de pré- aux centres commerciaux de Transylvanie
tendants qui foisonnaient dans la capitale (Braşov et Sibiu) et de Pologne (Lwòw tout
ottomane. Ainsi, les trônes des deux pays particulièrement). L’exportation de ma-
devinrent des objets de marchandage, ali- tières premières récoltées dans les Pays
mentant de la sorte le pouvoir des crédi- Roumains vers Venise était assurée elle
teurs et des riches archontes « grecs » de aussi par les grands marchands gréco-or-
Constantinople ainsi que des fonction- thodoxes et leurs associés, alors qu’une par-
naires ottomans de l’Empire. À l’heure de tie de leurs réseaux de commerce était im-
la « constantinopolisation » des élites chré- plantée dans la Cité des Doges 5. Les villes
tiennes de l’empire, celles des principau- valaques et moldaves regorgeaient de ces
tés cherchaient elles aussi à renforcer leurs marchands grands et petits, tous attachés
liens avec les milieux archontaux de la ca- à la langue grecque, au point de pousser
pitale ottomane, ces « intermédiaires de
pouvoir » (R. Păun) indispensables pour
accéder aux faveurs de la Porte 3.
Cette interdépendance croissante ouvrit
la voie aux représentants des élites gré-
co-orthodoxes de l’Empire vers l’appareil 4. Constantin Tofan, « Dregători ai Ţării Moldovei în
Evul Mediu. Vameşii (secolele xiv-xvii) », Memoria
de pouvoir valaque et moldave, et notam- Antiquitatis, vol. xxII, 2001, p. 511-529 ; Radu Păun, « Les
ment vers les offices impliquant la gestion grands officiers d’origine gréco-levantine en Moldavie au
des affaires étrangères, des ressources éco- xviie siècle. Offices, carrières et stratégies de pouvoir »,
nomiques publiques (douanes, salines, Revue des études sud-est européennes, vol. XLV, 2007,
impôts, etc.), des finances ou encore des nos 1-4, p. 153-195 ; Lidia Cotovanu, « Ηπειρώτες έμποροι
διαχειριστές των ηγεμονικών εισοδημάτων στη Βλαχία
και στη Μολδαβία (15ος-αρχές του 18ου αιώνα) »
[« Les marchands épirotes comme administrateurs des
(concernant particulièrement la Valachie) (I), (II) », revenus princiers en Valachie et en Moldavie (xve-début
Revue des études sud-est européennes, vol. x, 1972, nº 1, xviiie siècle) »], in A. Papadia-Lala et al. (eds), Ο Νέος
p. 66-81, et vol. xI, 1973, nº 1, p. 81-97 ; Mihai Maxim, Ελληνισμός : οι κόσμοι του και ο κόσμος. Αφιέρωμα
« L’Autonomie de la Moldavie et de la Valachie dans στην Όλγα Κατσιαρδή-Hering, Athènes, Evrasia, 2021,
les actes officiels de la Porte dans la seconde moitié du p. 209-226.
xvie siècle », Revue des études sud-est européennes, vol. xv, 5. Gheorghe Lazăr, Les marchands en Valachie,
1977, nº 2, p. 207-232 ; « Le statut de la Moldavie et de la xviie-xviiie siècles, Bucarest, Institutul Cultural Român,
Valachie à l’égard de la Porte ottomane dans la seconde 2006 ; Cristian Luca, Ţările Române şi Veneţia în
moitié du xvie siècle », Nouvelles études d’histoire, vol. vI, secolul al xvii-lea. Din relaţiile politico-diplomatice,
1980, nº 1, p. 237-250. comerciale şi culturale ale Ţării Româneşti şi ale Moldovei
3. Ioan Caproşu, O istorie a Moldovei prin relaţiile cu Serenissima, Bucarest, Éd. Enciclopedică, 2007 ;
de credit până la mijlocul secolului al xviii-lea, Iaşi, Mária Pakucs-Willcocks, Sibiu-Hermannstadt. Oriental
Universitea « Al. I. Cuza », 1989 ; Radu Păun, Pouvoirs, Trade in Sixteenth Century Transylvania, Cologne/
offices et patronage dans la Principauté de Moldavie au Weimar/Vienne, Böhlau Verlag, 2007, et « Marchands de
xviie siècle : l’aristocratie roumaine et la pénétration métier : “les Grecs” dans la Transylvanie du xviie siècle »,
gréco-levantine, Thèse de doctorat, Paris, EHESS, 2003 ; in Lora Taseva et Penka Danova (eds), South-East
Michał Wasiucionek, The Ottomans and Eastern Europe: Europe through the Centuries: Social History, Contacts
Borders and Political Patronage in the Early Modern of Languages and Cultures, Sofia, Bulgarian Academy of
World, Londres, I.B. Tauris, 2019. Sciences, 2021, p. 61-78.

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l’Arabe Paul d’Alep à affirmer qu’il put y des armées locales 8. S’y ajoutaient les do-
apprendre le grec 6. mestiques et toute sorte d’autres person-
Il s’agit là d’une nouvelle vague d’émi- nages (jardiniers, bergers, vignerons) em-
gration de faible rayon orientée vers la ployés par les maisons princières et la haute
Valachie et la Moldavie, s’ajoutant à la mo- noblesse, dont certains arrivaient en deux
bilité des ressortissants sud-slaves (des ou trois générations à pénétrer les strates
populations diverses attachées au slavon sociales plus aisées et à bâtir d’importants
comme langue d’Église) qui trouvèrent re- patrimoines fonciers, les offices et la terre
fuge et opportunités dans les deux pays de- constituant les principales sources de pou-
puis leur fondation au xive siècle. Grecs, voir et de richesse dans les Principautés 9.
Aroumains et Albanais s’y mêlèrent, des On recrutait également des importants ef-
« Rhomioi » en somme, pour la plupart fectifs agricoles « étrangers » – outre-Da-
originaires d’Épire, de Thessalie et de la nube le plus souvent – pour défricher les
Macédoine occidentale. En règle générale, espaces ruraux ou repeupler les villages dé-
les Constantinopolitains – aux origines sertés pour des raisons diverses : les colo-
géographiques hétérogènes – se rendaient nisateurs étaient souvent eux-mêmes des
quant à eux dans les Principautés dans la allogènes et des descendants d’allogènes,
suite des princes nommés par la Porte 7. l’acte de colonisation rebondissant sur des
Toutes les catégories sociales y étaient re- traditions de mobilité depuis la même ré-
présentées et il s’agissait pour l’essentiel de gion vers la même destination 10.
personnes qui se rendaient en Valachie et
en Moldavie pour y résider. Outre la clien-
tèle princière, les marchands ou encore
les artisans qui peuplaient les villes, l’on 8. Constantin Rezachevici, « Mercenarii în oştile
pouvait également envisager d’y faire car- româneşti în evul mediu », Studii. Revista de istorie,
rière dans les armes. Des milliers de stra- vol. xxxI, 1981, nº 1, p. 37-73 ; Andronikos Falangas,
diotes (pour la plupart des Albanais et des Présences grecques dans les Pays roumains (xive-xvie) : le
témoignage des sources narratives roumaines, Bucarest,
Serbes) servirent ainsi au fil des siècles les Omonia, 2009, p. 265-281 ; Claudiu Neagoe, Arnăuţii
princes de Valachie et de Moldavie et tant în Ţările Române (secolele xviii-xix), Bucarest, Éd. de
que gens de cour, valets d’armes et merce- l’Université de Bucarest, 2010 ; Lidia Cotovanu, « Despre
naires. De leurs rangs furent issus de nom- ctitorii arbănaşi ai bisericii Adormirea Maicii Domnului
breux généraux et commandants en chef din Călineştii Prahovei (1646) », in Mircea Ciubotaru
et Lucian-Valeriu Lefter (eds), Mihai Dim. Sturdza la
80 de ani. Omagiu, Iaşi, Universitea « Al. I. Cuza »,
2014, p. 659-701.
9. Ioan Sorin Iftimi, Doamnele şi domniţele în istoria
românilor. Curtea Doameni în Moldova şi Ţara
6. Paul d’Alep était le fils du patriarche d’Antioche Macaire Românească, Brăila, Istros, 2015 ; Lidia Cotovanu,
(1647-1672) ; ils ont visité ensemble les Pays Roumains de « Étapes générationnelles d’ascension sociale chez les
janvier 1653 à octobre 1658. Pour son récit de voyage et migrants balkaniques installés dans les Pays Roumains
la citation, voir Paul din Alep, Jurnal de călătorie. Siria, (xve-début du xviiie siècle) », in Mihai-Bogdan Atanasiu
Constantinopol, Moldova, Valahia şi Ţara Cazacilor, Éd. et Cristian Ploscaru (eds), Social and Administrative Elite
de Ioana Feodorov, Brăila, Istros, 2020, p. 269. in the Romanian Space (15th-19th Centuries), Constance,
7. Lidia Cotovanu, « L’émigration sud-danubienne Hartung-Gorre Publishers, 2021, p. 25-60.
vers la Valachie et la Moldavie et sa géographie 10. Lidia Cotovanu, « À la recherche de nouveaux
(xve-xviie siècles) : la potentialité heuristique d’un sujet contribuables : politiques publiques de colonisation
peu connu », Cahiers balkaniques, [en ligne], 2014, rurale avec des ‘‘étrangers’’ (Valachie et Moldavie,
nº 42, mis en ligne le 21 mai 2014. URL : http://journals. xive-xviie siècles) », Revue des études sud-est européennes,
openedition.org/ceb/4772 vol. LIII, 2015, nos 1-4, p. 33-69.

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Lidia Cotovanu

L’Église vint ajouter un important cha- la moitié des métoques, les plus grands,
pitre à ce continuum social s’étendant sur étaient situés dans les villes et à leurs alen-
les deux rives du Danube. Car plus l’Em- tours, à proximité donc des cours prin-
pire ottoman s’étendait vers le Danube, cières, des milieux négociants et des places
plus le Patriarcat de Constantinople élar- marchandes. Car les Patriarcats grecs et
gissait sa juridiction : à partir de la seconde les Saintes Montagnes (Athos et Sinaï) ap-
moitié du xive siècle, il rattachait ainsi les puyaient cette vaste entreprise économique
Églises serbes, bulgare, valaque et moldave sur les populations issues d’immigration
à son obédience 11. Cette dépendance cano- concentrées dans les milieux urbains et
nique des diocèses balkaniques et nord-da- sur leurs réseaux familiaux bâtis sur place.
nubiens au siège œcuménique se traduisit Ils tiraient d’importants revenus de deux
en pratique par les visites de plus en plus sources principales : les donations des fi-
nombreuses des patriarches grecs dans dèles locaux les plus fortunés et la rentabi-
ces contrées, par l’extension du réseau de lisation économique des patrimoines im-
stavropégies patriarcales en Roumélie et mobiliers des métoques. La possession par
jusque dans les Pays Roumains, ainsi que les Patriarcats grecs d’un si grand nombre
par la mobilité croissante des quêteurs grecs de métoques en Valachie et en Moldavie
jusqu’à Moscou. Les autres Patriarcats contribua d’une autre façon – que celles
d’Orient en profitèrent à leur tour, à l’ins- politiques et économiques – à l’intégration
tar du Mont-Athos, pour étendre leur ré- des deux pays au monde ottoman 13.
seau de métoques un peu partout dans l’es- Cette dense présence « grecque » qui fit ir-
pace balkanique et dans les îles de la mer ruption dans l’appareil de pouvoir, l’ar-
Égée. C’est à la suite de la prise de Brăila mée, le commerce et les monastères des
et de Bender qu’ils franchirent le Danube Pays Roumains, bénéficiant de la protec-
dans les années 1560. Entre 1565/8 et 1835, tion des autorités ottomanes, ne tarda pas
les Patriarcats de Constantinople, de
Jérusalem, d’Alexandrie et d’Antioche,
avec les grands monastères qui en dépen- près un quart des terres roumaines étaient administrées
par les moines grecs installés dans les métoques de
daient canoniquement, n’acquirent pas leurs monastères : Constantin C. Giurescu, « Suprafaţa
moins de 260 métoques (églises, monas- moşiilor mănăstireşti secularizate la 1863 », Studii.
tères et skytes) en Valachie et en Moldavie. Revista de istorie, vol. XII, 1959, nº 2, p. 149-157.
Les moines grecs s’y installèrent à de- 13. Lidia Cotovanu, « Aux débuts de la dédicace des
meure pour administrer sur place les patri- lieux de culte “roumains” envers le Mont-Athos (seconde
moitié du xvie siècle) : entreprise publique ou privée ? »,
moines immobiliers afférents 12 . À peu près
in, ΙΧ International Scientific Conference: “Mount Athos:
Spreading the Light to the Orthodox World: the Metochia”,
21-23 November 2014, Thessalonique, Αγιορειτική
11. La dépendance canonique des Métropoles de Valachie Εστία, 2015, p. 249-273 ; et « “Qu’on prie pour moi là-bas
et de Moldavie du siège œcuménique est confirmée et ici”. Donation religieuse et patriotisme local dans
par plusieurs berat des sultans dès les années 1460 : l’Orient orthodoxe (xvie-xviie siècles) », in Radu Păun
Elizabeth A. Zachariadou, Δέκα τουρκικά έγγραφα για (dir.), Histoire, mémoire et dévotion : regards croisés sur
την Μεγάλη Εκκλησία (1483-1567) [Dix documents turcs la construction des identités dans le monde orthodoxe
sur la Grande Église (1483-1567)], Athènes, Fondation aux époques byzantine et post-byzantine, Seyssel, La
nationale de la recherche, 1996, nº 1, p. 157 et nº 7, Pomme d’or, 2016, p. 207-255 ; « Migrants, villes,
p. 174) ; Phokion Kotzageorgis, “The Newly Found Oldest monastères, commerce. La concentration urbaine des
Patriarchal Berat”, Turkish Historical Review, vol. 11, métoques acquis par les Patriarcats grecs en Valachie et
2020, p. 1-27. en Moldavie », Études balkaniques, vol. LVIII, 2022, nº 2
12. Selon les calculs de C.C. Giurescu, au lendemain de « Pouvoir, société et commerce dans les villes des Balkans
la Sécularisation des biens monastiques de 1863, à peu ottomans », p. 58-118.

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à susciter le mécontentement de la classe des capitales et la paysannerie qui se frot-


politique locale, laquelle tenait à conser- taient quotidiennement aux « étrangers »
ver l’autonomie effective des deux pays face venus des quatre coins de la Roumélie 15.
aux structures de pouvoir séculier et ecclé- L’instauration du régime dit « phana-
siastique constantinopolitaines. Les pay- riote » au début du xviiie siècle ne fit que
sans et les valets d’armes n’aimaient pas ternir davantage l’image des « Grecs du
non plus les « Grecs », ces nouveaux sei- Phanar » dans l’imaginaire collectif des
gneurs qu’aux dires de Matthieu de Myres, Pays Roumains, alors que dans la vie de
higoumène du monastère valaque de Dealu tous les jours, Valaques, Moldaves, Grecs,
et lui-même un « Grec » de la Pogoniani Aroumains, Albanais, Bulgares et Serbes
épirote, ils estimaient avides de richesses 14 . faisaient des affaires ensemble, concluaient
L’influence ottomane qui pénétra profon- des mariages et développaient des solida-
dément en Valachie et en Moldavie à tra- rités fondées sur une large gamme d’inte-
vers les « Grecs constantinopolitains » divi- ractions sociales et de pratiques de socia-
sa la classe politique locale en agents fidèles bilité 16 . Le long métissage de la société des
à la Porte, car liés de multiples façons à la deux pays ne fut interrompu que par la nou-
capitale ottomane, et traditionalistes, qui velle ère du nationalisme et la fondation de
appuyaient leurs discours politiques sur la l’État-nation roumain, qui dut se légitimer
résistance contre ces agents d’une domina- par l’unité et l’homogénéité nationales.
tion étrangère. En Valachie et en Moldavie,
le xviie siècle tout entier fut marqué par des
« coups d’État » menés au nom de l’oppo- 15. Constantin Rezachevici, « Fenomene de criză social-
sition aux « Grecs constantinopolitains », politică în Ţara Românească în veacul al xvii-lea.
contre lesquels était aisé de rallier les foules Partea I : Prima jumătate a secolului al xviie-lea »,
Studii şi materiale de istorie medie, vol. IX, 1978,
p. 58-84 ; « Fenomene de criză social-politică în Ţara
14. Émile Legrand, Bibliothèque grecque vulgaire : II, Românească în veacul al xvii-lea. Partea a II-a : A doua
Paris, Maisonneuve, 1881, p. 246 ; Alfred Vincent, jumătate a secolului al xvii-lea », Studii şi materiale de
“Byzantium Regained? The History, Advice and Lament by istorie medie, vol. XIV, 1996, p. 85-117 ; Lidia Cotovanu,
Matthew of Myra”, Θησαυρίσματα, 28, 1998, p. 275-347 ; “‘Chasing away the Greeks…’: The Prince-State and
Lidia Cotovanu, « Οι πολλαπλές αναπαραστάσεις των the undesired foreigners (Moldavia and Wallachia,
„Ρωμαίων”/„Γραικών” στις Παραδουνάβιες Ηγεμονίες : end of the 16th – beginning of the 18th Century)”, in
η μαρτυρία του Ματθαίου Μυρέων (αρχές του 17ου Olga Katsiardi-Hering et Maria A. Stassinopoulou (eds),
αιώνα) » [Les représentations multiples des „Rhomées”/ Across the Danube: Southeastern Europeans and Their
„Grecs” dans les Pays Roumains : le témoignage Travelling Identities (17th-19th Centuries), Leyde-Boston,
de Matthieu de Myres (début du xviie siècle)], in Brill, 2016, p. 215-252.
Evangelos Karamanolakis, Οlga Katsiardi-Hering, 16. Lidia Vintilă, Changing Subjects, Moving Objects:
Katerina Nikolaou et Anastasia Papadia-Lala (dir.), Status, Mobility, and Social Transformation in
Έλλην, Ρωμηός, Γραικός : Συλλογικοί προσδιορισμοί και Southeastern Europe, 1700-1850, Leiden, Boston et
ταυτότητες, Athènes, Evrasia, 2018, p. 413-429. Paderborn, Brill et Schöningh, 2022.

Lidia Cotovanu est chercheur à l’Institut d’Histoire « N. Iorga » de l’Académie Roumaine.


Licence en Lettres classiques à l’Université « Al. I. Cuza » de Iaşi. Master en Histoire
balkanique médiévale à l’Université de Ioannina. Diplôme d’études approfondies en
Histoire à l’EHESS, Paris. Docteur en Histoire avec la Thèse Migrations et mutations
identitaires dans l’Europe du Sud-Est (vues de Valachie et de Moldavie, xive-xviie siècles),

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Lidia Cotovanu

EHESS, Paris, 2014, inédite. Publications : en collab. avec Raia Zaïmova (dir.), Études
balkaniques. Numéro spécial « Pouvoir, société et commerce dans les villes des Balkans
ottomans » (vol. LVIII, Sofia 2022, nos 2-3) ; en collab. avec Dorina Roşca (dir.), Republica
Moldova : 30 de ani în 30 de cuvinte (Chişinău, Cartier, coll. « Cartier istoric », 2022) ;
‘‘‘Chasing away the Greeks…’: The Prince-State and the undesired foreigners (Moldavia
and Wallachia, end of the 16th–beginning of the 18th Century)”, in Olga Katsiardi-
Hering et Maria A. Stassinopoulou (eds), Across the Danube: Southeastern Europeans and
Their Travelling Identities (17th-19th Centuries) (Leiden-Boston, Brill, 2016, p. 215-252).

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