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COLLEGE DE FRANCE - CNRS

CENTRE DE RECHERCHE D’HISTOIRE


ET CIVILISATION DE BYZANCE

MONOGRAPHIES 43

RICHESSE ET CROISSANCE
AU MOYEN AGE.
ORIENT ET OCCIDENT

édité par

Dominique BARTHELEMY et Jean-Marie MARTIN

ACHCByz
52, rue du Cardinal Lemoine — 75005 Paris
www.achcbyz.com
2014
LA SIBERIA DELLIMPERO.
NOTES SUR LECONOMIE
DE LA PROVINCE BYZANTINE DE SICILE.

Vivien PRIGENT

Il me faut d’abord justifier I’étrange titre qui précéde, car, a priori et tout grand
chasseur qu ils soient l’un et l’autre, on n’associe pas spontanément Derzou Ouzala
et le Guépard. Mais l’affirmation selon laquelle la Sicile fut «la Siberia dell’Im-
pero» apparait sous la plume de I’un des premiers savants 4 avoir étudié la Sicile
byzantine, le grand orientaliste Michele Amari!. Bien entendu pour l’auteur de la
Storia dei Musulmani di Sicilia, ce jagement renvoie 2 |’image d’une zone de relé-
gation, terre de confins dominée par un lointain pouvoir, impérialiste tout autant
qu’impérial2, Cette image surannée et fortement marquée par les idéaux du Risor-
gimento ne résiste pas 4 un examen des sources, mais si on peut l’abandonner sans
remords sur le plan de l’histoire politique, paradoxalement il n’est pas impossible de
récupérer la formulation dans le domaine de l’histoire économique. Car, en effet,
qwest-ce que la Russie d’aujourd’ hui sinon Moscou vivant des ressources de Ia loin-
taine Sibérie? Or, il fut un temps ot Ia Sicile fut certainement un poumon écono-
mique essentiel pour Constantinople‘. Et c’est 4 l’examen de cette phase de prospé-

1, M. AMARI, Storia dei Musulmani di Sicilia, 3¢ éd., Florence 2002, p. 187. Voir A. NEE,
Michele Amari ou l’histoire inventée de la Sicile islamique: réflexions sur la Storia dei Musulmani
di Sicilia, dans Maghreb-Italie, des passeurs médiévaux a Vorientalisme moderne (xue-milieu
x1X* siécle), B. GREVIN (éd.), Rome 2010, p. 285-306 (CEFR, 439).
2. S. COSENTINO, La percezione della storia bizantina nella medievistica italiana tra Otto-
cento e secondo dopoguerra: alcune testimonianze, Studi Medievali 39, 1998, p. 889-909.
3. A. NEF et V. PRIGENT, Repenser I’histoire de la Sicile prénormande, Storica 35-36, 2006,
p- 9-63.
4. Cette réalité commence pénétrer la vulgate, comme en témoigne la place attribuée Al’ile
dans la récente synthése offerte par L. BRUBAKER et J. HALDON, Byzantium in the iconoclast era
¢. 680-850: a history, Cambridge 2011.

Richesse et croissance au Moyen Age. Orient et Occident, édité par Dominique BARTHELEMY et
Jean-Marie MarTIN (Centre de recherche d’ Histoire et Civilisation de Byzance, Monographies 43)
?
Paris 2014.
32 VIVIEN PRIGENT

rité, disons du milieu du vie au milieu du vue siécle, que je voudrais m/attacher au-
jourd’ hui, en offrant en quelque sorte une courte synthése des travaux que j ai menés
durant ces dix derniéres années. La Sicile, en effet, présente un cas unique au cours
de la premiére des deux grandes crises du Moyen age mentionnees en introduction.
Il me faudrait bien évidemment commencer en entonnant la complainte du
manque de sources et du caractére hypothétique de bien des conclusions. Pourtant,
pour le trés haut Moyen Age, l’ile offre 4 l’étude un matériel nettement plus abon-
dant et divers, textes, céramiques®, monnaies’, sceaux®, que toute autre province de
l’empire. Le véritable probléme est moins la quantité de données disponibles que sa
répartition extrémement inégale dans le temps. De fait, seules les sources numisma-
tiques demeurent constamment utilisables car l’ile bénéficie jusque dans la seconde
moitié du 1x¢ siécle d’une économie monétaire trés développée?.

5. Pour la premiére phase de la domination byzantine c’est sans conteste le registrum de Grégoire
le Grand (Registrum Epistularum sancti Gregorii Magni, D. NorBERG [éd.], Corpus Christianorum,
series latina, CXL et CXLA, Turnhout 1982 [dorénavant Registrum]) quia servi a toute une gamme
d’études sur les thémes les plus divers. Pour les chroniques, citons les bréves mais utiles synthéses de
S. Caruso, La Sicilia nelle fonti storiografiche bizantine (1x-x1 sec.), dans EYNAEZXMOZ, Studi in
honore di Rosario Anastasi, Catane 1994, I, p. 41-87 et In., La Sicilia nelle fonti storiografiche bizan-
tine, dans Sicilia e Italia suburbicavia tra v e vin secolo. Atti del convegno di studi (Catania, 24-27 ot-
tobre 1989), S. PRICOCO, FE. R1zz0 NERVO et T. SARDELLA (€d.), Soveria Mannelli 1991, p. 99-1285
Vhagiographie sicilienne a son manuel: D. Mora, Percorsi dell agiografia. Societa e cultura nella
Sicilia tardoantica e bizantina, Catane 2003 (Testi e studi di storia antica, 4).
6. La bibliographie est ici aussi trés vaste, citons L. ARCIFA, Nuove ipotesi a partire dalla
rilettura dei dati archeologici: la Sicilia orientale, dans La Sicile, de Byzance 4 l’Islam, A. NEF et
V. PricEnt (éd.), Paris 2010, p. 15-49 et F. ARDIZZONE, Nuove ipotesi a partire dalla rilettura
dei dati archeologici: la Sicilia occidentale, ibid., p. 50-76.
7. L’étude classique demeure ici C. Morrisson, La Sicile byzantine: une lueur dans les siécles
obscurs, Quaderni ticinesi di numismatica e antichita classiche 27,1998, p. 307-334. Présentation synthé-
tique dans C. MorRISSON et V. PRIGENT, La monetazione in Sicilia nell’eta bizantina, dans Le zecche
italiane fino all’unita, L. TRAVAINI (éd.), Rome 2011, p. 427-4345 D. Castrizio, La circolazione
monetale nelle Sicilia romea, dans NEF-PRIGENT (éd.), La Sicile (cité n. 6), p. 77-943 G. GUZZETTA,
La circolazione monetaria in Sicilia dal 1v al vutt secolo d. C., Bollettino di Numismatica 25, 1995,
p- 7-30. On trouvera plus bas des éléments supplémentaires sur tel ou tel point.
8. Présentation d’ensemble de l’apport de cette source dans V. LAURENT, Une source peu
étudiée de l’histoire de la Sicile au haut Moyen Age: La sigillographie byzantine, dans Byzantino-
Sicula, Palerme 1966 (Quaderni dell’Istituto Siciliano di Studi Bizantini e Neoellenici, 2), p. 22-
50 et NEE-PRIGENT, Repenser l’histoire (cité n. 3), p. 23-26; j’ai illustré l’intérét de cette source
pour la période obscure du milieu du vue siécle dans V. PRIGENT, La Sicile de Constant IL:
Vapport des sources sigillographiques, dans NEF-PRIGENT (éd.), La Sicile (cité n. 6), p. 157-187.
9. V.PRIGENT, La circulation monétaire en Sicile (vie-vise siécle), dans E. ZANINI (éd.), The
insular system of Early Byzantine Mediterranean, Oxford, 2013 (British Archeological Report),
p. 139-160, suivi de Ip., Monnaie et circulation monétaire en Sicile du début du vite siécle a
Pavénement de la domination musulmane, dans L’héritage byzantin en Italie (vure-xur siecle), II,
Les cadres juridiques et sociaux et les institutions publiques, J-M. MARTIN, A. PETERS-CUSTOT
et V. PriGENT (éd.), Rome 2012 (CEFR, 461), p. 541-576.

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LA SIBERIA DELL’ IMPERO 33

Tel quel, le matériel documentaire disponible permet de retracer une histoire


économique de |’ile marquée par une étroite dépendance vis-a-vis de la conjoncture
internationale, tant économique que politique. En effet, les productions siciliennes
alimentent un circuit dont le moteur n’est que trés partiellement commercial et l’ile
entre dans le Moyen Age comme un rouage essentiel des grandes infrastructures
annonaires publiques!°,

Quelques mots d’abord des cadres ruraux et urbains de la production. La pros-


périté de la Sicile repose évidemment sur sa production agricole et c’est le grand
domaine qui joue ici le premier réle!!. Cette forme d’exploitation des campagnes
a connu d’importantes évolutions 4 la fin de l’Antiquité en réponse au détourne-
ment vers Constantinople des flux de I’annone romaine. En réponse 4 cette ré-
volution, les grandes familles sénatoriales romaines réorganisent leurs propriétés
situées sur un axe Rome-Afrique, via la Campanie et la Sicile, afin de répondre
aux nouveaux besoins de Urbs!2. Les propriétés siciliennes, appelées massae,
qui naissent de l’accrétion des fundi antérieurs, se distinguent de leurs homologues
péninsulaires en premier lieu par leur taille. En effet, les chiffres de revenus que
nous possédons pour quelques domaines, en moyenne 780 solidi, indiquent des
tailles moyennes presque trois fois supérieures, si l’on admet que les cultures asso-
ciées y sont de méme types!3,

10. Sur cette question, V. PRIGENT, Le réle des provinces d’Occident dans l’approvisionne-
ment de Constantinople (618-717). Témoignages numismatiques et sigillographiques, MEFRM,
118/2, 2006, p. 269-299.
11. On citera évidemment ici les trés importantes études de Domenico Vera, entre au-
tres D, VERA, Massa fundorum. Forme della grande proprieta e poteri della citta in Italia fra
Costantino e Gregorio Magno, MEFRA, 111-2, 1999, p. 991-1025; ID., Simmaco e le sue pro-
prieta: struttura e funzionamento di un patrimonio aristocratico del quarto secolo d. C., dans
Colloque Genevois sur Symmaque, a l'occasion du mille six centiéme anniversaire du conflit de
Vautel de la Victoire, F. PAscHouD (éd.), Paris 1986, p. 231-276 et ID., Aristocrazia romana ed
economie provinciali nell’ Italia tardoantica: il caso siciliano, Quaderni catanesi di studi clas-
sici e medievali 10, 1988, p. 114-172; j'ai néanmoins exprimé mon désaccord sur certains points
(notamment la perpétuation des modéles d’exploitation tardo-antiques, j’y reviendrai plus
avant) dans deux études: A. NEF et V. PRIGENT, Contréle et exploitation des campagnes en
Sicile: le r6le du grand domaine et son évolution du vie siécle au x1‘ siécle, dans Late Antiquity
and early Islam: Continuity and Change in the Mediterranean and Arabia. 1. Authority and
control in the countryside, P. SIjPEJSTEIN (éd.), Leyde, 4 paraitre et V. PRIGENT. Le grand
domaine sicilien 4 ’aube du Moyen Age, dans L*héritage byzantin en Italie (vire-xur siécle),
UL. Habitat et structures agraires, J..M. Martin, A. PETERS-CusToT et V. PRIGENT (éd.),
Rome (CEFR), a paraitre.
12. Voir les analyses développées dans Vera, Aristocrazia romana ed economie provinciali
(cité n. 11),
13. VERA, Massa fundorum (cité n. 11) p. 1000.
34 VIVIEN PRIGENT

Ce fait bien connu demande a mon sens a étre relativisé. En effet, ces énormes
blocs correspondent pour l’essentiel aux éléments de base du patrimoine de Rome,
tels que décrits dans le Liber pontificalis'4. Or, il est possible d’approcher, méme
grossiérement, par un autre biais la taille moyenne des exploitations pour une
époque plus tardive!>. Si l’on compare le produit du patrimoine sicilien de l’Eglise
de Rome au début du vue siécle au nombre des domaines qui le constituent au
début du vir siécle, on obtient un revenu moyen six fois inférieur!®. A cété des
gargantuesques massae détachées de la res privata impériale coexistent donc des
exploitations plus conformes 4 ce que l’on trouve dans les autres régions de l’empire.
Se refléte ici l’évolution du statut social des donateurs. Si les premiéres donations
proviennent de l’empereur, la pratique s’étend a des strates de plus en plus humbles,
avec des concessions de plus en plus réduites. Quoi qu’il en soit, |’accumulation
de ces unités améne 4 la constitution de blocs patrimoniaux tout a fait extraordi-
naires. A cété des 400 domaines que le pape posséde dans Vile, l’archevéque de
Ravenne y dispose de biens dont le revenu dépasse 30 000 solidi. A eux deux, ces
deux possessores ecclésiastiques prélévent en Sicile, « hors-taxes », quelque chose
comme 40 000 piéces d’or. Cela représente plus d’un million et demi de deniers, a
comparer avec les deux millions frappés annuellement a Melle, le plus gros atelier du
monde carolingien. Quant aux terres publiques, leur abondance légitimait aux yeux
du législateur qu’il puisse qualifier la Sicile de « quasi-pécule » du prince”.

14. Sur ce texte complexe, voir notamment, D. VERA, Osservazioni economiche sulla vita
Sylvestri nel Liber pontificalis, dans Consuetudinis Amor. Fragments d’histoire romaine (11*-v¥' siécles)
offerts a Jean-Pierre Callu, F. CHAUSSON et E. Wo FF (éd.), Rome 2003 (Saggi di storia antica, 19),
P. 419-430.
15. Je m’y suis essayé dans V. PRIGENT, La Sicile byzantine (v1-x¢ siecle), thése de docto-
rat, Université de la Sorbonne, Paris 2006, p. 397-408. Bien entendu, on ne peut aller au-dela de
ordre de grandeur.
16. Théophane le Confesseur, dans un passage bien connu de sa chronographie (THEOPHANE
LE CONFESSEUR, Chronographie, C. DE Boor (éd.), -II, Leipzig 1883, I, p. 410), mentionne un
revenu de 25 000 solidi, qu il convient de considérer comme « hors-taxe ». Celle-ci semble avoir
représenté une somme équivalente, ce qui indiquerait un revenu brut de l’ordre de 50 000 piéces
d’or. Sur ce passage fameux, V. PRIGENT, Un confesseur de mauvaise foi. Notes sur les exactions
financiéres de |’empereur Léon III en Italie du Sud, dans L économie de I’Italie byzantine (Sofia,
aotit 2011), S. COSENTINO (éd.), Cahiers de recherches méditvales et humanistes, 2014, 4 paraitre.
Je signale que nos connaissances pourraient étre remises profondément en cause par l’étude en
cours de Salvatore Cosentino, qui propose de recevoir une branche de la tradition manuscrite de
Théophane donnant des revenus considérablement plus élevés. Je suis sceptique pour des ques-
tions de cohérence globale de |’échelle de l’économie. Vers Goo, le pape Grégoire le Grand in-
dique que les biens de Rome se composent de 400 unités agricoles (Registrum, Il, 50; sur ce point,
V. Reccuta, Gregorio Magno e la societa agricola, Rome 1978 (Verba seniorum, n. s., 8), p. 16.
17. Selon la formulation employée dans la novelle par laquelle Justinien fixa les normes
administratives en vigueur en Sicile; voir sur ce texte N. TaMassiA, La novella giustinianea
« De Praetore Siciliae », Studio storico e giuridico, dans Centenario della nascita di Michele
LA SIBERIA DELL’IMPERO 35

Sous domination byzantine, l’exploitation de ces vastes unités me semble


connaitre d’importantes évolutions. La principale, car elle permit sans doute les
autres, fut la reconnaissance de la personnalité fiscale de la massa, c’est-a-dire sa
capacité 4 servir de base a l’enregistrement fiscal des contribuables'8. A la fin de
l’Antiquité, seuls les fundi qui constituent la massa possédaient cette personnalité
fiscale!°. Or ce point établit des restrictions dans la capacité du propriétaire 4 orga-
niser l’exploitation, car le déploiement de la main d’ceuvre est restreint par les lois
qui obligent 4 une adéquation aussi stricte que possible entre lieu d’enregistrement
et lieu de travail?°, Le déplacement de l’enregistrement fiscal du fundus & la massa
permet donc d’orchestrer la production 4 une tout autre échelle. On comprend au
mieux dans ce cadre légal nouveau l’affirmation d’un centre domanial unique de la
massa, centre qui rassemble les instruments de production et le bétail et surtout qui
tire son nom, conduma, de la force de travail qui y vit regroupée2!. Je ne crois donc
pas qu'il faille voir une simple coincidence dans le fait que le village, au témoignage
de l’archéologie, s’affirme précisément alors comme la forme dominante de I’ habi-
tat rural dans ile: dans bien des cas, il doit s’identifier A la conduma?2. En outre,

Amari, Scritti di filologia e storia araba, di geografia, storia, diritto delle Sicilia medievale; stu-
di bizantini e giudaici relativi all’ Italia meridionale nel medio evo ; documenti sulle relazioni fra
Sli stati italiani ed il Levante, \-I, Palerme 1910, réimpr. Palerme 1990, II, p. 304-331: p. 331 et
V. PrIGENT, La Sicile byzantine, entre papes et empereurs (6¢™e-8m sidcle), dans Zwischen Ideal
und Wirklichkeit: Herrschaft auf Sizilien von der Antike bis zur Frithen Neuzeit, D. ENGELS,
L. Geis et M. Kiev (éd.), Stuttgart 2009, p. 202-207.
18. NEF-PRIGENT, Contréle et exploitation (cité n.11). La source fondamentale est
Registrum, I, 42 et IX, 129, qui expose clairement que l’enregistrement des dépendants des do-
maines pontificaux s’effectue vers 600 au niveau de la massa et non de ses éléments constitutifs.
19. VERA, Massa fundorum (cité n. 11), p. 1011.
20. Pour la nature du colonat, voir les mises au point vigoureuses de J.-M. CARRIE, Colonato
del Basso-Impero: la resistenza del mito, dans Terre, proprietari e contadini dell ‘impero romano
dall affito agrario al colonato tardoantico, E. Lo Cascio (éd.), Rome 1997, P- 75-150, qui enfonce
le clou de Ib., Un roman des origines: les généalogies du « colonat du bas-empire », Opus, 2,
1983, p. 205-251; également, J. BANayi, Lavoratori liberi e residenza coatta: il colonato romano in
prospettiva storica, dans Lo Cascio (éd), Terre, proprietari e contadini (cité n. 20), p. 253-280,
qui s’intéresse a la question sous l’angle des rapports de force effectifs entre propriétaires et colons
et non sous celui des statuts socioéconomiques. Egalement stimulante en ce sens, la réponse de
T. Brass, Late Antiquity as Early Capitalism ?, Journal of Peasant Studies 32/1, 2005, p. 118-150.
21. PRIGENT, Le grand domaine sicilien a l’aube du Moyen Age (cité n. 11).
22. Ce phénoméne est général en Orient (voir la bibliographie offerte dans C. MORRISSON
et J.-P. Soprnt, The Sixth-Century Economy, dans Economic History of Byzantium from
the Seventh through the Fifteenth Century, A. Latou (éd.), 3 vol., Washington DC 2002
(Dumbarton Oaks Studies, 39), I, p. 171-220: p. 178-179 et les études dans Les villages dans
L’Empire byzantin,J. Lzrort, C. MoRRISSON et J.-P. SODINI (éd.), Paris 2005 (Réalités byzan-
tines, 11), qui mettent en valeur ’importance des différences régionales. Pour la Sicile méme,
citons A. Messina, Il popolamento rurale nell’area iblea in eta bizantina, dans Byzantino-
Sicula IV, Palerme 2002 (Quaderni dell’Istituto Siciliano di Studi Bizantini e Neoellenici, 15)
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36 VIVIEN PRIGENT

la nature méme de la force de travail semble alors évoluer. En effet, le registre de Gré-
goire le Grand permet de repérer la mise en place de stratégies de controle de la main
d’ceuvre par la dette qui indique un réle essentiel du salariat?3. Le fameux colon
tardo-antique, lié a la terre, nest pas absent du registre4, mais semble jouer un rdle
mineur dans l’exploitation du patrimoine romain. Ici, la situation démographique
particuliére de la Sicile qui bénéficie des flux de réfugiés africains, italiens, balka-
niques et, dans une bien moindre mesure, orientaux joue sans doute un réle déter-
minant. I faut done, je crois, renoncer 4 |’image traditionnelle de l’exploitation du
grand domaine, telle que présentée par Lellia Cracco Ruggini ou Domenico Vera”.

p- 167-172; In., La fattoria bizantina di contrada Costa nel Ragusano, dans Byzantino-Sicula
II. Miscellanea di scritti in memoria di Bruno Lavagnini, Palerme 2000 (Quaderni dell’ Istitu-
to Siciliano di Studi Bizantini e Neoellenici, 14), p. 213-215; A. Messina et G. DI STEFANO,
I villaggi bizantini degli Iblei (Sicilia), dans I° Congresso Nazionale di Archeologia Medievale,
Florence 1997, p. 116-117; A. MOLINARI et I. NeRt, Dall’et tardo-imperiale al x11 secolo: i
risultati delle ricognizioni di superficie nel territorio di Calatafimi/Segesta (1995-1999), dans
La Sicile islamique: question de méthode et renouvellement récent des problématiques, A. NEF
(éd.), MEFRM, 116, 2004-1, p. 109-127; A. MOLINARI, Le campagne siciliane tra il periodo
bizantino e quello arabo, dans Acculturazione e mutamenti, Prospettive nell archeologia me-
dievale del Mediterraneo, VI Ciclo di Lezioni sulla ricerca applicata in archeologia (Certosa di
Pontignano [SI| — Museo di Montelupo [FI], 1-5 mars 1993), E. BOLDRINI et R. FRANCOVICH
(éd.), Florence 1995, p. 223-239; EAD., Il popolamento rurale in Sicilia tra v e x11 secolo: alcuni
spunti di riflessione, dans La Storia dell ‘alto medioevo italiano (v1-x secolo) alla luce dell Archeo-
logia Medievale (Siena, 1994), R. FRANCOVICH et G. Nov (éd.), Florence 1994 (Biblioteca di
Archeologia Medievale, 11), p. 361-377; G. CASTELLANA, II casale di Caliata presso Montevago,
dans Dagli Scavi di Montevago e di Rocca di Entella: un contributo di conoscenze per la storia dei
Musulmani della Valle del Belice dal x al xuu1 secolo, atti del convegno nazionale (Montevago 1990),
G. CasTELLana (éd.), Agrigente 1992, p. 37-38. Dans la Calabre voisine, G. Noré, Economie
et société dans la Calabre byzantine, Journal des savants, juillet-décembre 2000, p. 209-280:
p. 238-239, souligne a la méme époque une tendance 4 la concentration de I’habitat et p. 254, le
développement des villages.
23. NEF-PRIGENT, Contréle et exploitation des campagnes (cité n. 11). Pour simplifier, on
observe deux systémes de préts: le premier est géré par le recteur, responsable général du patri-
moine, et permet aux exploitants de faire face 4 leurs obligations fiscales sans étre inquiétés; le
second est de la responsabilité du responsable de chaque unité d’exploitation et doit assurer que
les exploitants ne partent travailler ailleurs.
24, In’apparait toutefois que lorsque son statut juridique particulier entre en ligne de compte.
25. Notamment L. Cracco RuceainI, La Sicilia fra Roma e Bisanzio, dans Storia della
Sicilia, R. ROMEO (dir.), III, Naples 1980, p. 1-96, qui demeure la pierre angulaire des études
entreprises depuis sur la Sicile. De D. Vera, outre les titres cités plus haut, voir D. VERA, Forme
del lavoro rurale: aspetti della trasformazione dell’ Europa romana fra tarda antichita e alto me-
dioevo, Settimane di Studio delCentro Italiano di Studi sull‘Alto Medioevo, 44, 1997, p. 293-342 et
Ip., Forme e funzione della rendita fondiaria nella tarda antichita, dans Societa romana e impero
tardo-antico, I, Istituzioni, ceti, economie, A. GIARDINA (éd.), Rome-Bari 1986, p. 367-448. Ces
études, pour excellentes qu’elles soient, me semblent faire trop peu de cas de l’impact de |’inté-
gration a l’empire et des bouleversements que connait |’ Italie au vi‘ siécle.
LA SIBERIA DELL’IMPERO 37

Elle repose trop largement sur un modéle tardo-antique dont les fondements ont
été remis en cause par la reconquéte byzantine. Inséré dans une économie fortement
monétaris¢e, le grand domaine sicilien d’époque byzantine dispose des moyens
légaux et humains de s’organiser 4 une échelle différente pour accroftre sa producti-
vité alors méme que la demande extérieure croit suite aux difficultés que connaissent
les régions environnantes. De facon générale, les propri¢taires traditionnels du sol
sicilien (I’ Etat, les Eglises italiennes, |’aristocratie romaine) connaissent tous aux VI°
et vile siécles des difficultés telles que l’on comprend aisément que les biens siciliens,
seuls intacts pour les deux derniéres catégories et de plus en plus essentiels pour
l’ Etat, aient été exploités avec une rigueur nouvelle,
Le second pilier de la production sicilienne est bien entendu le réseau urbain,
lieu de Ia production artisanale. De facon générale, il est important de souligner
que la prospérité des villes de Sicile demeure trés longtemps inaltérée. On constate
ainsi de nouvelles fondations épiscopales, en rupture nette avec ce que l’on observe
partout ailleurs dans l’empire et notamment en Italie du Sud. En effet, au cours des
VIIe et Vili siécles, apparaissent les évéchés de Termini, Cefali, Trapani et Alesa,
alors que seul le sitge d’Agrigente semble un temps disparaitre, fusionnant sans
doute avec celui de Triocala. Méme chose dans la Calabre, alors rattachée a l’ile,
avec Santa Severina, Amantea et Rossano. Ce n’est pas avant la fin du 1x° siécle que
le réseau épiscopal et urbain traditionnel commence 4 se déliter?7. En outre certaines
magistratures urbaines survivent bien plus longtemps qu’ailleurs, comme |’atteste ce
sceau du pater poléés de Syracuse, postérieur d’un bon siécle a la disparition de cette
fonction dans le reste de l’empire?8. Cette prospérité urbaine tient sans doute large-

26. Pour!’ Eglise de Rome, il suffit de citer Pélage I* qui affirme que son Eglise ne vit plus que du
revenu des iles (PELactus I, Epistolae, P. M. Gasso et C. M. BATTLE [éd.], Montserrat 1956, 85).
L’impact économique de la perte des patrimoines siciliens illustre bien cette dépendance nou-
velle (V. PRIGENT, Les empereurs isauriens et la confiscation des patrimoines pontificaux d’ Italie
du Sud, MEFRM, 116-2, 2004, p. 557-594). Quant aux sénateurs romains, ils disparaissent corps
et biens (qu’il suffise de citer ici l’ceuvre classique de T.S. Brown, Gentlemen and Officers:
Imperial Administration and Aristocratic Power in Byzantine Italy A. D. 554-900, Rome 1984,
p. 21-34, l’un de ces livres que tout historien aurait envie d’avoir écrit), sans doute en partie en
raison des difficultés qu’ils rencontrent pour se transférer 4 Constantinople, en laissant exposer
leurs derniers patrimoines en Occident (PRIGENT, La Sicile byzantine, entre papes et empereurs
[cit. n. 17], p. 219-220) ; pour I’ Eat, la crise frappe au vue sitcle, mais le Registrum révele déa la
pression que ses agents exercent sur les biens des aristocrates siciliens : PRIGENT, La Sicile byzan-
tine (cité n. 15), p. 285-293.
27. Synthése de ces phénoménes dans V. PRIGENT, L’évolution du réseau épiscopal sicilien
(viiie-x¢ siécle), dans L’islamisation de la Sicile, A. NEF (éd.), Bari 2014, p. 89-102.
28. Cette piéce a éré éditée pour la premiére fois dans LAURENT, Une source peu étudiée
(cité n. 8), p. 35. Pour l’évolution tardive de la fonction, A. LANIADO, Recherches sur les notables
municipaux dans l’empire protobyzantin, Paris 2002 (Monographies du Centre d’histoire et de
civilisation de Byzance, 13), p. 211.
38 VIVIEN PRIGENT

ment al’afflux en Sicile de l’aristocratie italienne puis orientale fuyant les invasions.
On a depuis longtemps mis en exergue le trés grand nombre de sénateurs présents
dans la correspondance sicilienne de Grégoire le Grand2. Toutefois, le nombre en
soi ne signifie pas grand-chose puisqu’un bon quart des lettres du pontife concerne
la Sicile: la simple logique arithmétique veut que l’on y trouve davantage de séna-
teurs qu’ailleurs. Une meilleure méthode que le strict décompte me semble résider
dans l’examen de la composition interne du corps des sénateurs. Quel est le poids
respectif des différents échelons du sénat? Est-il semblable en Italie et en Sicile?
Cette approche fournit en effet une réponse trés claire 4 la question de la qualité de
l’aristocratie sicilienne3°. Dans la péninsule italienne, la répartition est la suivante:
20 % d’attestations de clarissimi, 45 % de magnifici, 25 % de gloriosi et 10 % de titu-
laires des dignités supérieures. En Sicile, les deux premiéres classes ne représentent
qu’un tiers de l’échantillon, les gloriosi la moitié et les dignités supérieures 17 %.
Les chiffres bruts sont moins importants ici que les rapports de proportions. Le
poids respectif des échelons inférieurs et supérieurs s’inverse nettement de part et
d’autre du détroit de Messine, 2/3-1/3 en Italie, 1/3-2/3 en Sicile. ILy a ainsi une dif-
férence qualitative nette entre les aristocraties sicilienne et péninsulaire. C’est cette
différence structurelle et non le nombre absolu de mentions qui refléte un repli des
élites vers le sud, car les sénateurs ne résident normalement pas en Sicile 4 ’époque
précédente. A I’époque suivante (vii*-rx¢ siécles), le matériel sigillographique
confirme la bonne tenue de I’aristocratie insulaire : une centaine de sceaux indiquent
une dignité élevée dont un tiers atteignant ou dépassant le rang de protospathaire
(ou, selon les époques, hypatos), marquant l’accés a la strate supérieure des digni-
taires. En outre, on ne percoit pas de différence de statut entre les simples aristo-
crates, dont les bulles ne mentionnent pas de charges publiques, et les hauts fonc-
tionnaires de l’administration provinciale3!. On doit donc rejeter |’ idée d’une socié-
té de type colonial, « un mondo che viveva tutto in funzione dell’organismo statale
di Costantinopoli, i cui burocrati e alti ufficiali sfruttavano da parassiti l’economia
e la societa isolane »32,

29. Voir notamment l’usage que fait du registrum, BROWN, Gentlemen and Officers (cité n.
26), p. 23.
30. I ne saurait étre question ici de donner les références de chaque lettre, mais les données
sont aisément accessibles en croisant les index du Registrum et les notices de la Prosopographie
Chrétienne du Bas-Empire, 2,1, Italie, Ch. et L. Prerri (éd.), Rome 1999 (dorénavant PCBE).
31. Ce qui précéde est l’objet d’une étude détaillée dans PRIGENT, La Sicile byzantine (cité
n. 15), p. 308-315. J’ai affecté une valeur chiffrée aux différents titres afin de comparer le statut
social moyen des simples dignitaires (un peu supérieure 4 10) et celui des titulaires des hautes
_ fonctions thématiques. Cette valeur est décroissante pour pallier les variations du nombre de
dignités selon les époques. On obtient un rang moyen un peu supérieur 4 10 pour dignitaires
simples contre 9,68 pout les ducs de Calabre, 10,8 pour les tourmarques, 11,62 pour les protono-
taires, 12,16 pour les chartulaires et 9,12 pour les diocétes, 9,12.
32. Cracco Rucert, La Sicilia fra Roma e Bisanzio (cité n. 25), p. 48.
LA SIBERIA DELL’IMPERO 39

La présence de cette aristocratie, rapidement relayée par l’arrivée des Orientaux,


explique sans doute que la principale activité artisanale sur laquelle nous sommes ren-
seignés soit l’orfévrerie qui a laissé des traces tant archéologiques (cent deux piéces,
soit 43 % du total des trouvailles italiennes)33, que littéraires, avec notamment le ro-
man des origines de la ville de Taormine conservé dans la Vie de saint Pancrace qui at-
tribue la prospérité de Ja ville a la maitrise de l’alchimie#4. D’autres sources littéraires
mentionnent en outre les coupes de bronze siciliennes35 et d’énormes bassins de
bronze doré de 800 livres ramenés de ses campagnes balkaniques par Constantin V*.
Cet artisanat repose notamment sur |’existence de mines d’or, précisément dans
l’arriére-pays de Taormine?’.
L’activité artisanale et commerciale semble avoir maintenu assez longtemps
le modéle tardo-antique des corps de métier reconnus par |’ Etat en vertu de leurs
prérogatives fiscales. Deux indices iraient en ce sens. Tout d’abord, on connait le
fameux passage du Liber pontificalis mentionnant au milieu du vir siécle les capita
exigibles des habitatores des villes de Sicile38. Ces taxes indépendantes de la pro-
priété fonciére concernaient directement les artisans et leur paiement et perception
relevaient des corps de métier3°. Or une lettre du pape Honorius mentionne en-

33. I, BALDINI LippoLis, L oreficeria nell’impero di Costantinopoli tra 1v e vit secolo, Bari
1999, p. 270-271. Le méme auteur recense cinquante-quatre pi¢ces de Chypre, soixante-dix
d’Egypte et quarante de Syrie.
34. Motta, Percorsi (cité n. 5), p. 233-236; E. ANGIO, La Vita di Tauro dall’anonima Vita di
San Pancrazio di Taormina, Sileno, 20, 1994, p. 117-143, spécialement p. 137
35. AGNELLUS VON RAVENNA. Liber Pontificalis, Cl. NAUERTH (Ed. et trad.), Fribourg-
Bale-Vienne-Barcelone-Rome-New York 1996 (Fontes christiani, 21/1), 82, p. 334, |. 23-24.
36. NIKEPHOROS PATRIARCH OF CONSTANTINODLE, Short history,C. MANGO (éd. et trad.),
Dumbarton Oaks, Washington DC 1990 (Corpus Fontium Historiae Byzantinae, 13), 76, p. 151.
37. Les Monts Péloritains, en arri¢re de Taormine, constituent l’unique zone de Sicile pré-
sentant une réelle richesse minitre (R. M. ALBANESE PROCELLI, Produzione metallurgica di
eta protostorica nella Sicilia centro-occidentale, dans Atti delle Quarte Giornate Internazionali
di Studi sul‘Area Elima [Erice, 1-4 décembre 2000], A. CorretT1 [éd.], Pise 2003, p. 11-28,
spécialement p. 18). Les géographes musulmans citent aussi les gisements du nord-est de I’fle.
Edrisi cite expressément la mine d’or de Taormine (La géographie d’Idrisi, P. A. JAuBERT [trad.],
Amsterdam 1975, p. 82). Le Kitab al-Mustarik de Yak’ tt attribue a Ja Sicile des mines d’or,
d’argent, de cuivre, de plomb et de mercure et la présence de l’alun, de I’antimoine, du vitriol,
du fer (M. AMaRI, Biblioteca arabo-sicula, testi, reéd. 1982, XI, p. 201-203). Il se démarque en cette
occasion des sources antiques et affirme que les Rtims désignent !’Etna du nom de Montagne de
Vor (ibid., p. 206) et évoque précisément la figure du roi Tauros, personnage de la Vie de saint
Pancrace de Taormine (ibid., p. 204-205). Ces données sont confirmées par les études géologiques
contemporaines (B. BALDANZA et M. Triscarl, Le miniere dei Monti Peloritani, Messine 1987
(Biblioteca dell’Archivio storico messinese, 8 — Analecta, 2).
38. Liber Pontificalis, L. DUCHESNE (éd.), I-II, Paris 1886-1892, 78, 4, p. 344
39. Sur ce point, J.-M. Carri, Les associations professionnelles 4 Pépoque tardive: entre mu-
nus et convivialité, dans « Humana sapit ». Etudes dantiquité tardive offertes a Lellia Cracco Ruggini,
J.-M. Carré et R. Lizzi Testa (éd.), Paris 2002 (Bibliotheque de !’antiquité tardive, 3), p. 309-332.
40 VIVIEN PRIGENT

core, dans les années 630, le curator de la corporation des prostituées de Syracuse*?.
En outre, certains sceaux siciliens du vir, voire du début du rx siécle, permettent
d’envisager que ces organisations professionnelles aient pu survivre jusqu’a ces dates
avancées. En effet, les sceaux d’artisans sont si rares que l’on a proposé de voir dans
leurs possesseurs les chefs des corps de métier mentionnés dans la légende. Méme si
l’on rejette cette hypothése, on est face 4 des individus sufisamment riches et socia-
lement éminents pour se doter de leur propre sceau 4 une époque ot, dans l’empire,
cet usage tend 4 se restreindre a l’administration et aux dignitaires palatins*".
La collection Paolo Orsi comprend ainsi le sceau inédit d’Anastase, matkellarios.
Conservé a Syracuse, il date de la premiére moitié du viii siécle*. On connait éga-
lement quelques bulles liées 4 l’industrie textile. Citons ici, de la premiére moitié
du vir siécle, la bulle d’un a sabanis’, c’est-4-dire un spécialiste des tissus de lin
de luxe pour la chambre impériale“4. Titré Aypatos et spatharocandidar, il s’agissait
d’un personnage de premier plan et il y a de fortes chances que nous soyons en face
du responsable d’ateliers impériaux. Or une inscription funéraire de la région de
Sofiana mentionne déja au Iv¢ siécle un fabricant de o&Pavov, c’est-a-dire de véte-
ments de lin‘, Le titulaire du sceau nous renvoie également a la figure du dinatarius
Pierre, originaire d’Alexandrie, mort 4 Palerme sous Maurice“ et que j’identifierais
4 un individu installé 4 demeure dans I’ile, plutét qu’a un négociant de passage*?.
En aval de notre témoignage, la Calabre connaissait également cette activité, le lin

40. P. E. Ker, Italia Pontificia. X. Calabria-Insulae, par W. Holtzmann et D. Girgensohn,


Zurich 1975, n° 60, p. 314-315.
41. Sur ce point, V. PRIGENT, L’usage du sceau de plomb dans les régions italiennes de
tradition byzantine au haut moyen Age, dans L’héritage byzantin en Italie (vure-xur siécle), I,
La fabrique documentaire, J.-M. MARTIN, A. PETERS-CusTOT et V. PRIGENT (éd.), Rome 2011
(CEFR, 449), p. 207-240: p. 223-224.
42, N° d’inventaire 6904. J’en ai donné I’édition dans V. PRIGENT, Catalogue des sceaux
byzantins conservés aupreés du « Museo archeologico regionale Paolo Orsi» de Syracuse, Mémoire
de I’Ecole francaise de Rome présenté a PAIBL en mai 2007, n° 4. Pour I’anecdote, je signale
qu’une autre bulle de cet individu a été lue sakellarios, erreur propulsant notre honnéte boucher 4
la téte de l’administration des finances impériales (V. LAURENT, Le corpus des sceaux de lempire
byzantin, U1, L’administration centrale, Paris 1981, n° 746).
43. G. MANGANARO, Sigilli diplomatici bizantini in Sicilia, Jahrbuch fir Numismatik
und Geldgeschichte 53-54, 2003/2004, n° 27, avec mes remarques dans Studies in Byzantine
Sigillography, 10, 2010, p. 123-129.
44, J.-C. CHEYNET, Sceaux byzantins du musée de Seldjuk, Revue numismatique, n. s. 6, 41,
1999, n° 7.
45. J.B. CURBERA, LoPavasg and Eotopiwtiis: New Nouns in -&c, Zeitschrift fiir Papyro-
logie und Epigraphik 108, 1995, p. 101-102.
46. Corpus Inscriptionum Latinarum, X, 7330 = L. Bivona, Iscrizioni latine lapidarie del
museo di Palermo, Palerme 1970 (Sikelika, 5), p. 54 n. 37.
47. V. PRIGENT, Palermo in the Eastern Roman Empire, dans Medieval Palermo, A. NEF
(éd.), Brill (Medieval handbook), P- 33-35.
LA SIBERIA DELL’ IMPERO 4l

étant cultivé sur le littoral de Scalea au x¢ siécle*8 et les documents de la Geniza


révélent que I’ fle importait de grandes quantités de lin d’ Egypte pour alimenter son
industrie textile au si¢cle suivant®.
L’activité textile s’étendait d’ailleurs sans doute a la soie. Les plus anciennes at-
testations documentaires de cette production en Sicile proviennent de la Geniza du
Caire et ne remontent qu’au début du xr siécle. Toutefois, l'un des plus importants
centres de production est alors Demenna, dont le nom s’attache a un type parti-
culier de soierie®°. Si l’on considére que cette ville est au coeur de la zone demeurée
chrétienne jusqu’a la fin du x¢ siécle, il est donc peu probable que cet artisanat y ait
été développé sous impulsion musulmane. De méme, des couvre-chefs féminins de
soie qualifiés de mandil rim seraient des productions siciliennes et cet adjectif n’au-
rait guére de sens si cette production n’avait pas de rapport direct ou hérité avec les
populations chrétiennes>!. Le nord-est de l’ile est en outre directement au contact
de la Calabre, importante zone productrice de feuilles de mtirier dés le xe siécle au
moins, Si l’on s’intéresse aux informations plus labiles qu’offrent les « siécles obs-
curs », on notera que deés le viie siécle des vétements de type « syrien », c’est-a-
dire a priori de la soie, semblent déja produits sur le patrimoine sicilien de Ravenne.
Dans un épisode fameux, le diacre en charge des biens de cette Eglise expédie en
effet des pelles arietum rubricatas et iacintinas casulas et pluviales syrias exornatas>3.

48. G. Noy#, Economic et société (cité n. 22), p. 220 et surtout J.-M. MARTIN et G. Noy,
Les facades maritimes de |’Italie du Sud: défense et mise en valeur, dans Castrum 7. Zones cotiéres
littorales dans le monde Méditerranéen au moyen age : défense, peuplement, mise en valeur (actes du
colloque international, Rome, 23-26 octobre 1996), J.-M. Martin (éd.), Rome-Madrid, 2001,
(Collection de la Casa de Velazquez, série arch¢ologique, 76; CEFR, 105), p. 467-512: p. 474.
49. S. D. Gorre, Sicily and Southern Italy in the Cairo Geniza Documents, Archivio
Storico per la Sicilia Orientale, 67, 1971, p. 9-33: p. 11 et 14.
50. Ibid., p. 12 et p. 31-33.
51. Ibid., p. 14.
52. L’étude classique, malgré des conclusions économiques pour le moins étonnantes, de-
meure A. GUILLOU, La soie du catépanat d’ Italie, TM, 6, 1974, p. 69-84. Voir D. CasTRizi0, Il
rapporto tra setae tari nella Calabria bizantina, normannae sveva, Rivista Italiana di Numismatica
96, 1994-1995, p. 220-228,
53. AGNELLUS VON Ravenna, Liber pontificalis Ecclesiae Ravennatis (cité n. 35), 111, p. 414,
1. 20-21. Bien entendu, ces produits pourraient avoir été disponibles dans Vile par le biais des
importations et le diacre les avoir achetés. Toutefois, il est notable que tous les autres biens men-
tionnés dans ce passage semblent bien avoir été produits i situ. Pour ne prendre qu’un exemple,
les peaux teintes en rouge constituaient des productions de grand luxe que l’on trouve mention-
nées au début du régne de Léon III dans les traités entre l’empire et les Bulgares comme objet de
transaction (N. OIKONOMIDES, Tribute or Trade ? The Byzantine Bulgarian Treaty of 716, dans
Studies on the Slavo-Byzantine and West-European Middle Ages. In Memoriam Ivan Dujéev, Sofia
1988 [Studia Slavico-Byzantina et Mediaevalia Europensia, 1], p. 121-136.). Or l’essentiel de ces
échanges entre les deux Etats advenait 4 Més¢mbria et des fouilles effectuées 4 Syracuse ont mis
jour un sceau des basilika kommerkia de cette ville, que son éditeur date des années 736/7 ou 738/09,
42 VIVIEN PRIGENT

C’est dans ce cadre général qu’il convient de replacer les sceaux du viii siécle du ves-
tioprate Anastase, conservé 4 Palerme*4, ou encore de l’holoséricoprates Théophane,
conservé 4 Syracuse55. A ma connaissance, les deux sceaux siciliens de titulaires de
métiers de la soie sont les seuls 4 avoir été trouvés en province. Deux sceaux sont
peu de chose, mais il faut garder 4 l’esprit que l’on ne connait en tout et pour tout
qu’une demi-dizaine de bulles de ce type, dont plusieurs pourraient d’ailleurs avoir
appartenu 4 notre Anastase®. En dehors méme des indices directs, rappelons que la
sériciculture se développe dans l’empire alors que la Sicile, qui jouit du climat ad hoc,
est non seulement la seule province raisonnablement stire, point essentiel pour un
investissement a long terme, mais encore qu'elle dispose de vastes terres publiques
gérées par le cwbiculum impérial, premier consommateur et producteur de soie de
empire. Enfin, il faut tenir compte de l’immigration syrienne susceptible d’avoir
fourni la main-d’ceuvre spécialisée. J’insiste un peu lourdement sur ces maigres don-
nées car Michael McCormick a fait de la grande disponibilité 4 Rome de la soie un
indice important d’échanges avec |’ Orient5”. Or, il existe une possibilité réelle que
ces tissus aient été produits en Sicile. Je note que le tableau de McCormick relevant
les donations de soie fléchit aprés 775, alors méme que la papauté s’enrichit des lar-
gesses carolingiennes, ce qui semble paradoxal. En revanche, nous sommes bien au
lendemain de la perte des patrimoines siciliens>s.
J’en conclus avec les industries liées aux textiles en mentionnant une derniére
piéce qu’il est également possible de relier aux deux autres produits mentionnés
dans la description des envois siciliens 4 Ravenne, les pelles arietum rubricatas et
iacintinas casulas. Le musée Mandralisca de Cefali conserve en effet le sceau inédit

c’est-a-dire des années ot les clauses du traité sont toujours en vigueur (G. GuZZETTA, Note in
margine ai dati di rinvenimenti di sigilli plumbei a Reggio ¢ a Siracusa, dans Calabria bizantina:
testimonianzed arte estrutturedi territori, P. ARTHUR etal. [éd.], Reggio de Calabre 1991, p. 65-67;
E. KistinGER et W. SEIBT, Sigilli bizantini di Sicilia. Addenda e Corrigenda a pubblicazioni
recenti, Archivio Storico Messinese 75, 1998, p. 13-14). Pout les activités de teinture, voir plus bas.
54. Musée Antonino Salinas, 38222. La piéce est inédite; elle associe un monogramme d’in-
vocation cruciforme classique au droit 4 la légende de revers Avaotasio Beott(o)xpatn.
55. Sceaudu Musée Paolo Orsi de Syracuse, n° 23380, dont j’ai donné|’édition dans PRIGENT,
Catalogue des sceaux byzantins (cité n. 42), n° 32. La piéce est mentionnée dans LAURENT, Une
source peu étudiée (cité n. 8), p. 36. A ma connaissance, le seul autre holoséricoprate attesté en
Italie byzantine apparait dans les papyrus de Ravenne, PCBE, II, Georges 2, p. 912-913.
56. LAURENT, L’administration centrale (cité n. 42), n° 656 et 657 sont les sceaux d’Anastase;
on peut citer encore le vestioprate Constantin, 659 (Nicéphore, 660, vécut au xII¢ siécle).
57. M. McCormick, Origins of the European Economy. Communications and Commerce,
A. D. 300-900, Cambridge 2001, p. 719-726 et la double figure 24.1. Sur ce point également le
recueil de témoignages offert par A. GUILLOU, Rome, centre de transit des produits de luxe
d’Orient au Haut Moyen Age, Zograf, 10, 1979, p. 17-21.
58. McCormick, Origins (cité n. 57), p. 722, fig. 24.1 et pour la date de la perte des patri-
moines siciliens, PRIGENT, Les empereurs isauriens (cité n. 26).
LA SIBERIA DELL’ IMPERO 43

du diacre Jean, qui occupa en 696/7 le poste d’archonte du blattion, c’est-a-dire de


responsable des ateliers impériaux de teinture a la pourpre®. Il est particuli¢rement
intéressant de noter qu’une partie importante des piéces de la collection Mandra-
lisca provient de Lipari, puisque cette ile était connue comme l’une des grandes
sources d’alun dans I’Antiquité®. Doit-on voir en ce sceau le signe d’une survie
des activités de teinture sicilienne attestée par le bapheion syracusain cité dans la
Notitia Dignitatum® ?
J’en termine avec les bulles li¢es aux métiers en citant un unicum, la bulle de
Nicétas le trés admirable nauklére, conservée 4 Syracuse®. A ma connaissance,
cette piéce nous fournit la premiére attestation du terme de naukleére sur un sceau
d’époque byzantine. On remarquera en outre l’usage archaisant d’un prédicat tom-
bé en désuétude depuis l’Antiquité tardive. Ce sceau nous laisse donc entrevoir une
classe d’armateurs d’une certaine surface sociale, active vers 800. A une date proche,
un document gaétan de 839 mentionne également un Leo nauclerius, filio Basilii
comiti, membre de |’élite localeS3. On pourrait rapprocher Nicétas des groupes de
marchands que la Vie de saint Philippe d‘Agire met en scéne en Sicile®4. Mettant en
commun leur capital selon des modalités proches de celles spécifiées dans la Loi
des Rhodiens, ils rassemblent un capital pour le moins conséquent de 2 300 nomis-
mata®. La Vie précise qu’ils viennent acheter du blé et Agire se trouve d’ailleurs
dans une riche zone céréaliére. Leur capital permettrait d’acheter plus de trois cent
cinquante tonnes de grain (sans compter les cotits de transports et taxes etc.)%,

59. Musée Mandralisca de Cefalt, n° 1715. Le personnage est déja connu par une piéce
paralléle conservée 4 Berlin de provenance malheureusement inconnue: C. SoDE et P. SPECK,
Byzantinische Bleisiegel in Berlin, I, Bonn 1997 (Poikila Byzantina, 14), n° 186.
60. R.J. A. Witson, Sicily under the Roman Empire. The Archeology of a Roman Province,
35 B.C.— AD 35, Warminster 1990, p. 237.
61. R. DELMAIRE, Largesses sacrées et Res Privata. L’Aerarium imperial et son administration
du 1v° au VI siécle, Rome 1989 (CEFR, 121), p. 462.
62. Nikita 16 Pavpoacrotét@ vavkAnp@, Musée archéologique Paolo Orsi, n° d’inventaire
4820; PRIGENT, Catalogue des sceaux byzantins (cité n. 42), n° 76.
63. Codex diplomaticus Caietanus, 2 vol., Montecassino 1888-1891, I, n° V, p. 10.
64. C. Pasint, Vita di S. Filippo dAgiva attribuita al monaco Eusebio. Introduzione, edizione
critica, traduzione e note (Orientalia Christiana Analecta, 214), Rome 1981; ID., Osservazioni sul
dossier agiografico ed innografico di san Filippo di Agira, dans Storia della Sicilia e tradizione
agiografica nella tarda antichita, Atti del Convegno di Studi (Catane, 20-22 mai 1986), Catane
1988, p. 173-208.
65. Passage analysé dans A. LArou, Exchange and Trade, Seventh-Twelfth Centuries, dans
Laiou (éd.), Economic history (cité n. 22), p. 711.
66. En comptant 12 modioi au nomisma et un modios thalassios de 12,8 kg. Je prends ici un prix
cité déja standard a l’époque protobyzantine et encore sous Basile Ie, donc & peu prés al’époque
de rédaction de la Vie: J.-C]. CHEYNET et C. MoRRISSON, Prices and Wages in the Byzantine
World, dans Latou (éd.), Economic history (cité n. 22), p. 815-878 : p. 822.
44 VIVIEN PRIGENT

Le corps des marchands actifs en Sicile aux vire-1x¢ siécles semble avoir été non
seulement dynamique, mais trés divers. Le Registrum de Grégoire le Grand fait
ainsi connaitre de simples capitaines‘7, des armateurs indépendants financés par des
consortia de créanciers au sein desquels se trouvaient des ecclésiastiques®’, et des mat-
chands commendati de l’Eglise romaine, sans doute impliqués dans la commerciali-
sation des surplus agricoles des patrimoines®. Si les marchands de la Vie de Philippe
dAgire viennent d’Anatolie, la Vie de saint Pancrace de Taormine (premiére moitié du
vue siécle7°) met en scéne des pragmateutai siciliens commergant entre Sicile et Syrie
et leur cargaison retrace leur itinéraire: tissus d’Asie, huile de Créte, vins sans doute
de Nysa, en Carie7!, Les Orientaux installés 4 demeure dans l’ile apparaissent nom-
breux: sans nous attarder sur les attestations épigraphiques protobyzantines7?, citons
4 titre d’exemples, outre le /inatarius alexandrin Pierre, déja évoqué, lami de Procope
de Césarée73 ou le Syrien Cosmas’4, Les marchands juifs devaient étre particuliére-
ment actifs car la communauté juive de Palerme dispose de plusieurs hételleries pour
recevoir ses coreligionnaires’5, On croise encore dans les sources du vu siécle les re-
présentants des autorités civiles et ecclésiastiques de grandes villes d’Orient, Thessa-
lonique”® et Alexandrie”’, venus négocier le blé sicilien. La fréquentation des marchés
siciliens par des Orientaux transparait également du trésor de I’épave de Gruissan,

67. Le terme apparait 4 propos d’un capitaine de navire accusé par les actionarii publici de
Palerme d’avoir enlevé un esclave d’ Etat: Registrum, IX, 145.
68. Registrum, IX, 40.
69. Registrum, I, 42; sur ce type de marchands en Occident, McCormick, Origins (cité
n. 57), p. 1.
70. Je retiens l’opinion de C. SrattMan, The Life of St. Pancratius of Taormina, D. Phil. Diss.,
Balliol College, Oxford, 1986, plutdt que celle d’A. Acconcia Lonco, La data della Vita di S.
Pancrazio di Taormina (BHG 1410), Bollettino della Badia greca di Grottaferrata 55, 2002, p. 37-42.
71. Latou, Exchange and Trade (cité n. 65), p. 708.
72. A. AVRAMEA, Mort loin de la patrie. L’apport des inscriptions paléochrétiennes, dans
Epigrafia Medievale Greca e Latina. Ideologia e Funzione, Atti del seminario di Erice (12-18 settembre
1991), G. CAVALLO et C. MANGO (éd.), Spoléte, 1995, p. 1-65: p. 58-59, n° 369-372 et probablement
n° 376, attestent des Syriens; n° 375, un Ephésien, n° 377, un Lycien. Egalement, JG, XIV, 117, qui men-
tionne un citoyen de Makra Kémé, proche de Sidon, et un individu originaire de oppupedy, évéché
de Phénicie, prés de l’actuelle Haifa, d’aprés D. FEIssEL, Remarques de toponymie syrienne d’aprés
des inscriptions grecques chrétiennes trouvées hors de Syrie, Syria 59, 1982, p. 319-341, p- 339-341.
73. Ce Palestinien installé 4 Syracuse commercait également avec l’Afrique (PRocoprtus,
History of the Wars, H.B. Dewinc [éd. et trad.], London 1916-1928 [Loeb Classical Library],
IIL, 14, 7-8, p. 126-128).
74. Registrum, Ul, 55 et IV, 43.
75. PRIGENT, Palermo (cité n. 47), p. 31.
76. Pour la date, P. LEMERLE, Les plus anciens recueils des miracles de saint Démétrius, Paris
1979 (Le monde byzantin, 8), p. 79.
77. LEONTIOS DE NEapvoLts, Vie de Syméon le Fou et Vie de Jean de Chypre, A.J. FESTUGIERE
et L. RUDEN (éd.), Paris 1974 (Institut frangais d’archéologie de Beyrouth, Bibliothéque archéo-
logique et historique, 95), p. 255-637, XI, 1. 74-77, p. 359; trad. p. 459-460.
LA SIBERIA DELL’ IMPERO 45

dans lequel se méle a un large échantillon de monnaies orientales un groupe de mon-


naies siciliennes’8, Dés la fin du vise siécle, les Vénitiens sont actifs dans la région79
et au IX¢ siécle encore des navires grecs font, le long de la Tyrrhénienne, le commerce
d’esclaves qui ont toutes les chances de venir de Sicile-Calabre®°. Il me semble que
cette activité devrait étre mise en relation avec |’affirmation d’ Ibn Khordadhbeh se-
lon laquelle I’ ile de Favignana (face 4 Trapani), soumise aux Rams, était un haut lieu
des opérations de castration des esclaves blancs®!.
Les vise et viii¢ siécles semblent d’ailleurs avoir été une époque propice au déve-
loppement de I’activité des marchands siciliens. Tout d’abord, le Liber pontificalis
mentionne sous Constant II une obligation appelée zauticatio amenant les insu-
laires 4 convoyer vers Constantinople le produit de ventes forcées de denrées agri-
coles82, Ces voyages permettaient bien évidemment une activité commerciale privée
en paralléle. Le second point qu’il me semble important de souligner est l’extraor-
dinaire contraste entre les deux dépéts de la Crypta Balbi 4 Rome, dépéts reflétant
pourtant la consommation de la méme zone tout au plus 4 une vingtaine d’années
d’intervalle. De l'un a l’autre, les importations, non seulement chutent drastique-
ment, mais n’ont plus rien 4 voir dans leur nature83, Or, je ne peux comprendre
une évolution aussi rapide en dehors d’un événement traumatique qu’il faut bien
identifier, pour des raisons de chronologie, avec la chute de Carthage. Etant donné
le poids des produits siculo-calabrais dans les dépéts*, il faut admettre que ce sont

78. Voir le tableau récapitulatif fourni par C. MoRRISSON, Publication du trésor des mon-
naies qui ont été trouvées 4 Gruissan, Archeonautica, 3, 1981, p. 35-52, spécialement p. 49.
79. LEON III, Epistulae, K. Hamre (éd.), MGH, Epistulae V. Epistolae Merovingici et Karo-
lini aevi, Berlin, 1899, n° 6.
80. Analyse de la lettre de Jean VIII, dans McCormick, Origins (cité n. 57), p. 948, n° 625.
81. AMARI, Biblioteca Arabo-sicula (cité n. 37), IL, p. 667 et n. 3.
82. Voir mon analyse de ce chapitre dans PRIGENT, Le réle des provinces d’Occident
(cité n.10) ; contra C. ZUCKERMAN, Learning from the Ennemy and more: Studies in “Dark
Centuries” Byzantium, Millenium 1, 2006, p. 79-135, qui y voit une forme de corvée militaire
pour l’armement de la flotte impériale.
83. Confronter L. Sacui, Il deposito della Crypta Balbi: una testimonianza imprevedibile
sulla Roma del VII secolo ?, dans La ceramica in Italia: VI-VII, Atti del convegno in onore di
J. W. Hayes (Rome, 11-13 mai 1995), L. Sacui (éd.), Florence 1998 (Biblioteca di archeologia
medievale, 14), p. 305-330 et D. ROMEI, Produzione e circolazione dei manufatti ceramici a Roma
nell’altomedioevo, dans Roma dall ‘antichita al medioevo I. Contesti tardoantichi e altomedievali,
L. Paroxi et L. VENDITTELLI (éd.), Rome 2004, p. 278-311.
84. Ala Crypta Balbi, pour la fin du vir siécle, les poids relatifs des grandes zones de produc-
tion sont: Afrique du Nord, 51%; Egée-Levant, 28 % (prédominance nette du Moyen-Orient) ;
Italie du Sud, 16 % (voir les graphiques offerts par SAGUI, Il deposito della Crypta Balbi [cité
n. 83], p. 324). Le poids des importations africaines doit étre relativisé car il s’agit pour l’essen-
tiel de petits spatheia et les volumes importés ne sont pas a la hauteur du nombre d’exemplaires
des conteneurs. Sur |’Aventin (S. FonTANA, M. Munz1, V. BEoLcHINI, I. DE Luca, F. DEL
Veccui0, Un contesto di vii secolo dall’Aventino, dans Roma dall’antichita al medioevo I,
46 VIVIEN PRIGENT

initialement surtout les marchands africains qui assurent le fret jusqu’s Rome. L’ef-
facement de ces marchands pourrait bien avoir favorisé leurs concurrents siciliens.
L’activité productive prend place dans le cadre d’une économie fortement mone-
tarisée que je ne détaillerai pas ici. Pour donner un cadre quantitatif général, je me
contente de signaler que les résultats préliminaires d’une étude de coins portant sur la
quantification de la production de |’atelier de Syracuse indiquent que l’atelier sicilien
frappait vers 700 une quantité de solidi dont la valeur représentait 60 % environ de
celle de la production de l’atelier central de Constantinople®>. Ce qui est vrai pour
Vor Pest aussi pour le bronze: les quantités de bronze injectées annuellement dans le
circuit monétaire demeurent toujours trés importantes avec des pics extrémement
impressionnants jusqu’a la seconde moitié du rx° siécle86, En bref, la Sicile ne connait
pas la crise de l’économie monétaire dont on a défendu V’existence dans le reste de
l’empire, mais qu’il me semble devoir falloir relativiser dans une forte mesure’.
Les monnaies offrent par ailleurs l’occasion de dépasser le tableau impressionniste
qu’offrent des réseaux commerciaux siciliens les sources littéraires®*. Pour nous, elles
sont méme plus importantes que les céramiques, puisque leur témoignage perdure
tout au long du haut Moyen Age jusqu’a la fermeture de |’atelier sicilien vers 900®.
Lorsque l’on s’intéresse 4 la diffusion des monnaies siciliennes, le principal obs-
tacle auquel on se heurte peut étre caractérisé en citant le titre d’une communica-
tion relative a la diffusion de la monnaie de Constantinople: « routes politiques ou
routes économiques ? »%, On peut illustrer ce dilemme par le cas de la présence de
nombreuses monnaies de Sicile en Crimée, 4 Cherson (vingt-cing exemplaires de

L. Parout-L. VenpirTeLtt [éd.], p. 544-568, p.546 et 555-559), un contexte du milieu du


vur siécle confirme la méme place, 16 % d’importations sud-italiennes (Afrique du Nord, 51%;
Moyen-Orient, 28%). Cette « part de marché » atteint presque la moitié si l’on ne prend en
compte que les amphores vinaires.
85. Je parle ici de valeur plutét que de nombre de coins ou de piéces car il faut tenir compte
de la dévaluation qui frappe alors la monnaie sicilienne.
86. V. PRIGENT, Monnaie et circulation monétaire en Sicile du début du viii siécle a |’avé-
nement de la domination musulmane, dans L’héritage byzantin en Italie (vure-xur siécle), U,
Les cadres juridiques et sociaux et les institutions publiques, J.-M. MARTIN, A. CUSTOT-PETERS
et V. PRiGENT (éd.), Rome, 2012 (CEFR), p. 541-576.
87. V. PRIGENT, The Mobilisation of Fiscal Resources in the Byzantine Empire (Eighth to
Eleventh Centuries), dans Diverging Paths ? The Shapes of Power and Institutions in Medieval
Christendom and Islam, J. Hupson et A. RopRiGUEZ (éd), Leyde 2014, a paraitre.
88. La documentation est trés dispersée, mais l’on peut faire fond sur deux riches listes,
Morrissow, La Sicile byzantine (cité n. 7) et l’appendice 3 de McCormick, Origins (cité n. 57).
89. D. CasTrizio, I ripostigli di Via Giulia (RC) e del kastron di Calanna e la zecca bizan-
tina di Reggio sotto Basilio Ie Leone VI, Revue numismatique 155, 2000, p. 209-219.
90. C. Morrisson, La diffusion des monnaies de Constantinople: routes commerciales
ou routes politiques ?, dans Constantinople and its Hinterland, C. Manco et G. Dacron (éd.),
Aldershot 1995 (Society for the Promotion of Byzantine Studies, Publications, 3), P- 77-90.
LA SIBERIA DELL’IMPERO 47

Léon V et un de Michel II). On a voulu en faire le signe de relations économiques


entre I’ile et la Mer Noire, mais un examen attentif de ces monnaies indique plutét
une arrivée groupée vers 820, puisqu’elles furent émises majoritairement au nom de
lempereur Léon V. Or au début du régne de Michel IL la flotte sicilienne se por-
ta au secours de cet empereur, assiégé dans sa capitale par 'usurpateur Thomas le
Slave%, Il est donc plus que probable que I’essentiel des monnaies arrivérent autour
de la Mer Noire dans ce contexte, méme si l’on ne peut préciser ce que la Crimée
fournit 4 cette occasion (ravitaillement? mercenaires ?). De méme, on reléve une
concentration de monnaies siciliennes 4 Athénes dans les années 640-700, c’est-
a-dire précisément durant la période au cours de laquelle une méme unité militaire,
les Carabisiens, assurait la protection de I’ile et de la Gréce®.
Au-dela de cette question générale, divers problémes spécifiques se posent qui
génent |’étude. Tout d’abord, il existe un lien entre valeur des espéces et rayon de
diffusion, les monnaies de forte valeur « voyageant » plus loin que les petites déno-
minations. Or, jusqu’a une date fort avancée dans le vir siécle, la Sicile ne frappa
que des pitces de faible valeur®. Pour l’or, nous sommes confrontés au probléme
de la dévaluation du zomisma de Sicile qui joue contre sa thésaurisation?”. Enfin,
interpréter les trouvailles nécessite d’avoir une idée des quantités émises, car trois
monnaies rarissimes de Philippicus, par exemple, n’ont pas le méme sens que trois
exemplaires des énormes frappes de Léon V.

91. I. V. SoxoLova, Les monnaies siciliennes du 1x¢ siécle des fouilles de Chersonése, dans
Atti del Convegno internazionale di numismatica (Rome, 1961), II, Rome 1965, p. 565-570.
92. A. GuILLOU, La Sicile byzantine: état des recherches, Byzantinische Forschungen, 5,
1977, p. 95-145: p.127; l’hypothése de Sokolova (SoxoLova, Les monnaies siciliennes [cité
n. 91], p. 569-570) qui veut y voir des monnaies apportées en Crimée par des moines iconodoules
est pour le moins étonnante. Pour quelle raison auraient-ils été porteurs de monnaies siciliennes ?
93. P. LEMERLE, Thomas le Slave, TM, 1, 1965, p. 255-297; pour le réle de la Sicile,
V. PRIGENT, La carriére du tourmarque Euphémios, Basileus des Romains, dans Histoire et
culture dans I’Italie byzantine, A. JACOB, J.-M. Martin, G. Noyé (éd.), Rome 2006 (CEFR,
363), Pp. 279-317.
94. Voir les listes de trouvailles dans Morrisson, La Sicile byzantine (cité n. 7).
95. Pour les Caravisiens, S. COSENTINO, Constans II and the Byzantine Navy, Byzantinische
Zeitschrift, 100, 2007, p. 77-603 et C. ZUCKERMAN, Learning from the Ennemy (cité n. 82) ; sur
leur réle en Sicile, V. PRIGENT, Notes sur |’évolution de |’administration byzantine en Adriatique
(vime-1x¢ siécle), MEFRM, 120/2, 2008, p. 393-417.
96. On peut lillustrer par ce constat: entre 578 et 610, l’ile produit prés des trois quarts des
nouvelles monnaies entrant en circulation, mais celles-ci représentent moins de 50 % de la valeur
totale: V. PRIGENT, La circulation monétaire (cité n. 9)
97. C. MorrIssoN, J..N. BARRANDON et J. PorriEr, Nouvelles recherches sur |’ histoire
monétaire byzantine: évolution comparée de la monnaie d’or 4 Constantinople et dans les pro-
vinces d’Afrique et de Sicile, Jahrbuch der Osterreichischen Byzantinistik, 33, 1983, p. 267-286
et PRIGENT, Un confesseur de mauvaise foi (cité n. 16).
98. Morrisson, La Sicile byzantine (cité n. 7), p. 331, pl. 4.
48 VIVIEN PRIGENT

Néanmoins, la carte des trouvailles de monnaies siciliennes est particulitrement


assez
riche®8, Je me contenterai de dire ici quelques mots de deux routes de diffusion
Bordeaux
étonnantes. Tout d’abord, les trouvailles de Gruissan, Puylaroque, Luzech,
jalonnent un itinéraire reliant la Méditerranée a V’Atlantique le long de « isthme
aquitain >. Il se prolonge jusqu’en Angleterre. Le temoignage des monnaies siciliennes
est ici corroboré par celui des monnaies de Carthage”. Cet itinéraire est intéressant
car il recoupe celui de la diffusion du culte de saint Pancrace de Taormine, marqué
par l’envoi de reliques du saint 4 l’évéque Palladius de Saintes a la fin du vie siécle et
la consécration au méme martyr de la premitre église fondée par Augustin de Can-
terbury!0, Le débouché de cet axe aquitain correspond d’ailleurs au lieu du naufrage
de I’épave de Gruissan déja évoquée. La Gascogne et la Britannia sont évoquées dans
deux autres textes hagiographiques siciliens, la Vie de Cyr, Alphion et Philadelphe' et
la Vie de saint Grégoire d-Agrigente'. Ces indices renvoient a une fréquentation d’une
est
route menant a la Grande Bretagne. Or, comme on l’a vu plus haut, saint Pancrace
le patron d’une ville sicilienne qui identifiait sa prospérité a la maitrise de l’art des mé-
taux. Tout ceci évoque donc évidemment un itinéraire commercial le long de la route
de ’étain et l’on rappellera que vers 620 encore la Vie de saint Jean lauménier, pa-
triarche d’Alexandrie, évoque un marchand gallodromos, spécialisé dans le commerce
avec la Gaule, et décrit une opération commerciale visant 4 se procurer de l’étain1°°.
Le deuxiéme axe étonnant est celui reliant la Sicile au triangle compris entre
la Syrie et Chypre, aux vit-vure siécles!°4, Non seulement les monnaies siciliennes
atteignaient |’Orient, mais l’ile tyrrhénienne a restitué quelques monnaies arabo-

99. C. Morrisson, L'atelier de Carthage et la diffusion de la monnaie frappée dans


P’Afrique vandale et byzantine (439-695), Antiquité Tardive, 11-2, 2003, p. 65-85.
100. L. Cracco Ruccint, Roma alla confluenza di due tradizione agiografiche. Pancrazio
martire “urbano” e Pancrazio vescovo-martire di Taormina, Rivista di Storia e Letteratura
Religiosa, 28-1, 1992, p. 35-54.
101. Martyre d’Alphion, Philadelphe et Cyrin, dans F. HaLKin, Six inédits d ‘hagiologie byzan-
tine, Bruxelles 1987 (Subsidia hagiographica, 74), p. 64; la Brittania apparait seulement dans la
version longue traduite en latin au xvi‘ siécle et seule publige intégralement, 44.SS., Maii, UL, 544.
102. A. BERGER, Leontios presbyteros von Rom, Das Leben des heiligen Gregorios von Agrigent,
Berlin 1994 (Berliner Byzantinische Arbeiten, 60), 85, p. 245, 1. 10.
103. Surce passage, M. MUNDELL Manco, Beyond the Amphora: Non-Ceramic Evidence for
Late
Late Antique Industry and Trade, dans Economy and Exchange in the East Mediterranean during
Antiquity. Proceedings of a Conference at Somerville College, Oxford, 29 May, 1999, S. KINGSLEY et
M. Decker (éd.), Oxford 1999, p. 87-106: p. 95. Réserves exprimées par R. ALSTON, Writing the
130.
Economic History for the Late Antique East: a Review, Ancient West and East 3-1, 2004, p.
104. Sur les relations économiques assez complexes dans le triangle correspondant a la
sur les
zone de production des LRi, voir M. TouMA, Quelques témoignages de la céramique
échanges syro-chypriotes a la période byzantine, dans La céramique byzantine et proto-islamique
en Syrie-Jordanie (1v--viur' siécles apr. J.-C.) : actes du colloque tenu a Amman (3-5 décembre 1994),
E, VILLENEUVE et P. M. WaTson (éd.), Beyrouth 2001 (IFAPO, Bibliotheque archéologique et
historique, 159), p. 49-58.
LA SIBERIA DELL’IMPERO 49

byzantines. Celles-ci furent frappées 4 Homs et Damas, c’est-a-dire au contact des


zones ot l’on retrouve l’essentiel des monnaies siciliennes parvenues en Orient!®©,
Mais au-dela de ces quelques piéces, les liens entre Sicile et Syrie du Nord semblent
confirmés par un étrange phénoméne numismatique. Au début des années 660,
les provinces de Syrie-Palestine cessérent d’étre réguli¢rement approvisionnées en
numeéraire de bronze constantinopolitain!, Sont émises alors les monnaies du type
« Umayyad Imperial Image » (bilingues mais portant encore l’image de |’empe-
reur). Or, l’un des types reprend fidélement le modéle des premiers folleis syracu-
sains de Constantin IV1°7, Qu’une émission sicilienne ait pu s’imposer comme pro-
totype pour un monnayage d’imitation de Syrie du Nord donne une dimension
nouvelle au témoignage crois¢ des monnaies arabo-byzantines conservées en Sicile
et des folleis siciliens mis 4 jour en Orient.
Venons-en a présent aux monnaies circulant en Sicile méme!®8, Sous Justin II, la
ventilation des monnaies est trés prononcée, puisqu’aucun atelier ne dépasse 15 % des
exemplaires recensés. Les monnaies de Constantinople (14%) se situent sur un pied
d’égalité avec celles de Catane (14%), Cyzique (15%), Antioche (12 %), Carthage
(12 %)109 et Rome (15 %). Orient et Occident contribuent dans une proportion stric-
tement égale pour le nombre de monnaies. Néanmoins, les espéces orientales repré-
sentent 73 % de la valeur, car l’atelier local ne frappe que de petites espéces!!®.
Pour la période courant de 578 4 602, on note |’essor considérable des productions
de Vatelier local (73 %) et la part des monnaies orientales semble considérablement
réduite: 21%, dont 8 % pour les monnaies de la capitale. Toutefois |’ image change si
lon s’intéresse a la valeur des espéces: l’ile n’assure alors en fait que 46 % de l’appro-
visionnement. En outre, l’importance des monnaies orientales face a celles frappées
en Occident (hors Sicile) apparait clairement: 46% contre 8%. L'atelier local vise
donc a compléter les apports en grosses dénominations venues de l’extérieur, pour
lessentiel de l’Orient. Ce point est trés important 4 mon sens, car la double nature

105. Voir le chapitre consacré aux monnaies byzantines par Daniele CasTrizio dans
M. CaccaMo CALTABIANO, Roma e Bisanzio, Normanni e Spagnoli. Monete a Messina nella
Collezione B. Baldanza, Messine 1994, n° 115, 116, 117.
106. S. ALBUM et T. Goopwn, Sylloge of Islamic Coins in the Ashmolean Museum, vol. 1:
The Pre-Reform Coinage of the Early Islamic Period, Ashmolean Museum, Oxford 2002, p. 78-93.
107. A. Oppy, Constantine IV as a prototype for Early Islamic Coins, The 12% Seventh
Century Syrian Numismatic Round Table, Gonville and Caius College, Cambridge, 4-5 avril
2009, Cambridge 2010, p. 95-109; N. SCHINDEL et W. Haun, Imitations of Sicilian Folles of
Constantine IV from Bilad al-Sham, Israel Numismatic Journal 17, 2009-10, p. 213-232.
108. Ce qui suit est basé sur un recensement aussi exhaustif que possible des monnaies byzan-
tines de bronze trouvées en Sicile, un échantillon d’environ 1700 piéces. On trouvera une analyse
plus détaillée des données britvement citées ici dans PRIGENT, La circulation monétaire (cité n. 9).
109. Toutefois, pour Carthage, voir ci-dessous.
110. Voir le tableau synoptique offert par W. HAHN, Moneta Imperii Byzantini, 1-3, Vienne
1973-1981, vol. IL, planche 2, n° 83-84.
50 VIVIEN PRIGENT

de l’économie sicilienne s’y refléte. Nous savons pertinemment (notamment par les
céramiques et par le registre de Grégoire le Grand) que Vile a des relations écono-
miques étroites avec |’ Italie et notamment avec Rome et Ravenne. Celles-ci pourtant
sont presque invisibles du point de vue monétaire. On semble avoir d’une part une
économie commerciale axée sur |’ Orient et qui se refléte dans les espéces en circula-
tion, et de l’autre des transferts de richesses basés sur la propriété du sol et la levée des
rentes en nature ou en or, qui n’intéressent pas la circulation du bronze. La Crypta
Balbi offre ici un témoignage particuliérement net: abondance d’amphores du dé-
troit de Sicile et 4 peine 2 % de monnaies insulaires!!.
Sous le régne d’Héraclius, l’écrasante majorité du numéraire mis en circulation
est constituée de vieilles monnaies du vie si¢cle contremarquées entre 618/9 et 629,
envoyées depuis Constantinople. De fait, la capitale assure 77 % de l’approvisionne-
ment en monnaies pour 88% de la valeur. La logique du phénoméne est 4 recher-
cher dans le souci de trouver en Sicile une alternative au blé de la vallée du Nil: les
monnaies contremarquées sont utilisées trés exactement durant les dix ans de l’oc-
cupation perse de l’Egypte!!2. Dans les dix derniéres années du régne, ainsi qu’au
tout début du suivant, on constate que l’atelier de Constantinople frappe méme
directement des monnaies concues d’emblée pour étre envoyées en Sicile, trés cer-
tainement avec les flottes chargées d’aller chercher le blé nécessaire 4 la capitale"5.
Le contraste est donc saisissant avec le régne de Constant II, puisque les mon-
naies frappées en Sicile assurent 4 présent 93 % de la valeur de l’approvisionnement
(77 % des monnaies)!14, La fermeture du circuit monétaire sicilien, un phénoméne
également observable en Afrique ou dans la région de Ravenne!!5, advient de fagon
brutale, le changement s’opérant en quelques années au début des années 650116.
Les régnes suivants ne remirent plus en cause cette évolution. La rupture découle en
grande partie de modifications métrologiques et j’aimerais mettre en valeur briéve-
ment cet aspect des choses.

111. Voir les données dans A. ROVELLI, Aspetti numismatici e stratigrafici a Roma tra tardo
antico et medioevo: una sintesi sui dati della Crypta Balbi a Roma, Actes du XIe Congres interna-
tional de numismatique (Bruxelles, 1991), T. HACKENS et G. MoucuartEe (€d.), II, Louvain-la-
Neuve, 1993, p. 385-392.
112. PrIGENT, Le réle des provinces d’Occident (cité n. 10)
113. PRIGENT, La circulation monétaire (cité n. 9), p. 10-11. Constantinople contremarque
une partie des monnaies de bronze qu’elle produit afin de les envoyer en Sicile ; il est notable que
les cing officines participent a ce travail, alors qu’il aurait été plus simple de l’attribuer 4 l'une
d’elles. Il me semble que l’explication doit étre recherchée dans la nécessité de produire rapide-
ment les quantités décrétées avant que le mare closum n’empéche de les envoyer en Sicile.
114. PRIGENT, La circulation monétaire (cité n. 9), p. 9 et fig. 4.
115. C. MorrIsson, Survivance de l’économie monétaire 4 Byzance (vie-rx¢ siécle), dans
O1 oxotetvoi adves tov BuCavtiov (7o¢§ 9o¢ a.), E. KoUNTOURA-GALAKE (éd.), Athénes
2001, p. 383 et 385.
116. PriGENT, La circulation monétaire (cité n. 9), p. 9-14.
LA SIBERIA DELL’ IMPERO 51

En effet, la métrologie me semble un indice important et trop souvent négligé


des réseaux d’échanges. Un point essentiel tient au fait que la modification métro-
logique reléve d'une décision délibérée des autorités. Ainsi, alors que l’examen
des lieux d’émission des monnaies en circulation nous renseigne sur la réalité des
échanges, la métrologie peut nous informer sur les politiques publiques visant 4
influer sur cette méme réalité. En outre, méme lorsque, au témoignage des trou-
vailles, des zones monétaires exclusives semblent se constituer, la métrologie permet
d’apprécier les éventuels efforts de l’Etat pour assurer la cohésion des circuits moné-
taires, ou simplement financiers, a |’échelle de ’empire. Or l’ importance reconnue
éventuellement a cette cohésion est également importante pour estimer l’ampleur
des flux commerciaux susceptibles d’avoir existé.
Si l’on reprend les diverses étapes présentées ici, on peut aisément mettre en
valeur l’importance de la métrologie. Ainsi, le r¢gne de Justin I, dont on a vu qu'il
marquait une diversification maximale de l’approvisionnement monétaire, corres-
pond précisément a une phase d’unification de la métrologie des différents ateliers
de l’empire!!”. A l’inverse, sous Maurice, Papport des monnaies orientales repré-
sente six fois celui des ateliers occidentaux. Or dés le début du régne, les autori-
tés impériales remettent en cause l’unité métrologique et décident que les frappes
siciliennes suivront la métrologie orientale et non plus, comme cela avait été le cas
sous Justinien, celle en vigueur en Italie!!8, L’Etat fait donc le choix trés clair de
stimuler les échanges avec le bassin occidental de la Méditerranée, une option dont
l’importance n’a pas besoin d’étre soulignée. Vers 620, la métrologie des monnaies
siciliennes est de nouveau modifiée. Cette fois, elle ne correspond plus 4 aucune
des normes alors appliquées par les différents ateliers impériaux. Mais la réforme
s’explique par la décision déja évoquée des autorités de dépenser en Sicile ses stocks
de vieilles monnaies du vr‘ siécle. Les petites espéces émises en Sicile voient leur
métrologie modifi¢e précisément pour assurer leur compatibilité avec les vieilles
monnaies!!9, De nouveau, |’ Etat joue de la métrologie pour fluidifier les échanges,
cette fois spécifiquement entre |’fle et la capitale. On repére des politiques similaires
méme apres que I’ile semble dépendre entiérement de ses propres productions mo-
nétaires. Il en va ainsi des premieres frappes de bronze de Constant II. Cet empereur
rouvre l’atelier monétaire insulaire aprés presque quinze ans de dépendance exclu-
sive de l’ile vis-a-vis de Constantinople. De nouveau, la chronologie oblige a établir

117. Sur ces questions, HAHN, Moneta Imperii Byzantini (cité n. 109), U, p. 14-17. L’Afrique
fit peut-étre exception. De facon plus générale, les évolutions métrologiques sont résumées utile-
ment dans C. Morrisson, V. Popovié et V. IvVANISEVIC, Les trésors monétaires des Balkans et
d Asie Mineure (491-713), Paris 2006 (Réalités byzantines, 13), tableau 2.
118. Les productions siciliennes de Maurice adoptent le pied monétaire de 1/96¢ de livre qui
correspond a un follis d’1/24¢ de livre, une norme métrologique qui n’est plus appliquée que dans
les ateliers de la Propontide, Constantinople, Cyzique et Nicomédie.
119. PRIGENT, Le rdle des provinces d’ Occident (cité n. 10).
52 VIVIEN PRIGENT

un lien avec la perte de l’Egypte, cette fois passée aux Arabes!20, On constate initia-
lement une hésitation sur l'utilisation d’une marque d’atelier spécifique 4 la Sicile.
Le régne s’ouvre avec des frappes réalisées a Constantinople pour la Sicile, dans la
continuité de la politique du régne précédent. Ces monnaies sont marquées SC™!.
Dés 643, Pile produit ses propres bronzes et ceux-ci sont dépourvus de marque d’ate-
lier!22, Ce n’est que dans un troisiéme temps que le sigle SC ou SCL réapparait sur
les bronzes de Catane!23, Or la logique, derriére ces « hésitations », est selon moi
métrologique. En effet, les deux séries portant une marque d’atelier présentent une
métrologie distincte des monnaies de Constantinople, méme la premiére, pourtant
également produite dans la capitale orientale!24, En revanche, la série intermédiaire
qui se dispense du sigle est frappée selon le standard en vigueur 4 Constantinople!»
Le point est intéressant car l’ensemble fait systéme: la perte de I’Egypte rétablit
importance du blé sicilien et I’on voit alors, d’une part, rouvrir l’atelier local et,
d’autre part, les autorités restaurer la parité métrologique entre espéeces siciliennes
et constantinopolitaines. C’est l’éclatement de ce systéme avec introduction de
la troisitme émission, vers 651, qui explique la mise en place de la zone monétaire
autonome sicilienne déja évoquée. La rupture de l’harmonie métrologique déter-
mine la disparition des monnaies de la capitale. La raison de ce choix n’est pas claire :
personnellement, je pense nécessaire de la chercher dans la différence de valeur du
bronze entre Orient et Occident. A priori, décider de modifier simultanément mé-
trologie et aspects visuels des monnaies n’a de sens que si les autorités souhaitent
maintenir la parité du nombre de folleis au solidus, c’est-a-dire l’échange au compte,
malgré des valeurs différentes du bronze. Cette priorité peut déconcerter, mais le
rapport du /ollis au solidus est également un instrument comptable et donc fiscal et
nous verrons ultérieurement |’ importance de ce genre de problématique. Je souligne
enfin que durant les années de résidence de l’empereur en Sicile, les métrologies des
folleis de Constantinople et de Sicile se rapprochent 4 nouveau nettement, bien que
larrivée de la cour n’ait pas entrainé un afflux de monnaies de bronze orientales.
Dans les décennies qui suivent, on repére une remarquable continuité de ce souci
d’étalonner de diverses facons la monnaie sicilienne sur celle de la capitale. Ainsi, sous

120. PRIGENT, La circulation monétaire (cité n. 9), p. 11.


121. Haun, Moneta Imperii Byzantini (cité n. 109°, III, n° 204.
122. Ibid., I, n° 205-206.
123. Ibid., II, n° 207-210.
124, Les premiéres monnaies de Constantinople du régne de Constant II suivent le pied
monétaire de 54 4 la livre, tandis que les espéces frappées dans la capitale adoptent la norme mé-
trologique de Go 4 la livre. La troisiéme série, introduite en 651, présente des poids nettement
supérieurs (de l’ordre de 20 %) et l’écart se creuse encore dans la décennie suivante lorsque le pied
monétaire de 72 4 la livre est adopté en Orient.
125. Leur poids moyen est de 4,79 g contre 4,82 pour les monnaies constantinopolitaines
contemporaines.
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Constantin IV, on voit apparaitre 4 Constantinople une pratique nouvelle: apposer


deux marques de valeur sur les monnaies. Ainsi, un demi-follis vaut-il simultanément
40 et 20 nummi. On a expliqué ce phénoméne par le fait que les monnaies de Constan-
tin IV auraient valu le double de celles de son pére, d’oti la nécessité d’indiquer le taux de
change sur les nouvelles monnaies. Or l’argument est difficilement recevable, puisque
le follis de Constantin IV vaut au moins quatre fois celui de Constant II et sans doute
beaucoup plus. Si l’on doit donc rejeter I’ hypothése d’une indication de change entre
types monétaires successifs, il faut bien se rabattre sur une indication de change entre
monnaies d’ateliers différents. Or, 4 l’époque, seul l’atelier de Sicile frappe une monnaie
dontla valeur métallique est deux fois moindre que celle de son homologue constantino-
politain, 4 valeur nominale égale. Ainsi, aussi étrange que cela puisse paraitre, la double
indication de valeur semble devoir s’interpréter comme une indication de change entre
les deux grands ateliers impériaux du temps, Constantinople et la Sicile!26,
Ala fin du vir siécle, ces mécanismes complexes commencent méme A affecter la
monnaie d’or. Dés le début de son régne, l’empereur Justinien II décida de modifier
la métrologie du solidus sicilien, mettant fin 4 plus de trois siécles d’intangibilité de
la monnaie d’or. Le sou d’or sicilien est dés lors frappé au poids de 22 carats et non
plus 24 comme en Orient!27, On s’est longtemps interrogé sur cette décision pour
laquelle je propose l’explication suivante. La Sicile reléve d’un double espace écono-
mique, italien et oriental. Or, dans la péninsule, la monnaie impériale commence a
étre dévaluée. Si le poids des solidi de Ravenne et de Rome demeure de 24 carats, leur
poids de fin diminue, ce qui pose un probléme de parité avec les espéces siciliennes!28,
ce d’autant plus que les transferts de fonds, ne serait-ce que par l’intermédiaire des
rentes des domaines ecclésiastiques sont trés importants. La solution la plus simple
serait évidemment de dévaluer de la méme fagon la monnaie sicilienne. Mais dans ce
cas, le probléme se pose des échanges avec |’Orient. La diminution du poids a 22 ca-
rats sans altération de l’alliage permet de résoudre ce double probléme: d’une part, le
poids de fin du nomisma sicilien de 22 carats demeure identique a celui des monnaies
italiennes de 24 carats d’alliage altéré, de l’autre, la qualité maintenue de l’alliage per-
met des transferts de fonds aisés avec |’ Orient, dans un sens ou dans |’autre, puisque
les monnaies de méme alliage peuvent étre refrappées sans aucune cotiteuse procédure
de raffinage. La logique de la réforme réside donc ici dans la facilité d’utilisation d’un

126. Je résume ici les conclusions de V. PRIGENT, Nouvelle hypothése 4 propos des monnaies de
bronze 4 double marque de valeur de l’empereur Constantin IV, dans Puer Apuliae. Mélanges en I’hon-
neur de Jean-Marie Martin, E.Cuozzo, V. DEROCHE, A. PETERS-CusTOT et V. PRIGENT (éd.), 2
vol., Paris, 2008 (Centre d’ histoire et de civilisation de Byzance, Monographies, 30), II, p. 637-654.
127. Hawn, Moneta Imperii Byzantini (cité n. 109), UI, p. 167-168.
128. Pour les étapes de ce processus, MORRISSON-BARRANDON-PorriEr, Nouvelles re-
cherches (cité n. 97) et W. A. Oppy, The Debasement of the provincial byzantine gold coinage
from the Seventh to the Ninth Century, dans Studies in Early Byzantine Gold Coinage, W. HAHN
et W.E. Mercar (éd.), New York 1988 (Numismatic Studies, 17), p. 135-142.
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alliage identique dans les deux ateliers principaux et donc dans la possibilité, perdue
entre I’Italie et Constantinople, de transferts de fonds aisés. Evidemment, le pendant
de cette conclusion est que l’absence de découvertes de monnaies d’or de Constanti-
nople en Sicile et vice-versa n’a aucune signification puisque le systeme postule une
refrappe du métal, Les extraordinaires quantités de monnaies que l’atelier de Sicile
frappe autour de |’an 700 s’expliquent mieux dans ce cadre. J’en termine avec Pexa-
men des manipulations métrologiques, mises en ceuvre pour maintenir une fluidicé
maximale entre les systémes monétaires sicilien et constantinopolitain, en abordant
briévement la réforme de Léon III. Les surabondantes frappes siciliennes du début
du vue siécle, justifiées par la montée du péril musulman aprés la chute de Carthage,
provoquent une dévaluation violente partout en Occident. Toutefois, alors que le pro-
cessus s’accélére et débouche A terme sur la fin des frappes d’or en Italie, en Sicile,
l’empereur parvient & stabiliser le solidus sur de nouvelles bases métrologiques: poids
de 3,84 g et 83 % d’or. Je ne m’arréte pas ici aux conditions de ce rétablissement et 4 son
lien éventuel avec la crise politique en Italie. Ce qui m’importe est que ces caractéris-
tiques ne sont pas prises au hasard: elles établissent un systéme de change aussi aisé
que possible avec |’ Orient. En effet, le cumul d’un solidus et un trémisse d’or sicilien
offre le méme poids de fin qu’un solidus de Constantinople. On comprend ici égale-
ment sans peine pourquoi la Sicile, a la différence de la capitale, continue a frapper des
trémisses!29. Mais aussi astucieux que soit le systéme, la décision de l’empereur marque
une rupture nette avec l’ambition de Justinien II. En effet, il n’est dés lors plus possible
de procéder a des refrappes pures et simples des espéces transitant entre |’Orient et
l’Occident. Plutdt que les transferts physiques de métal monétaire, le systéme a donc
une finalité comptable, fiscale. Je m’arréte ici mais on retrouve au Ix¢ sitcle lors de la
seconde dévaluation une stratégie identique. Au-dela, méme, la genése de l’apparition
du fameux tari reléve d’une logique similaire de jeu sur les paramétres métrologiques
pour assurer la compatibilité des systemes monétaires juxtaposés!30,
De ce qui précéde ressort, je l’espére, P intérét des questions métrologiques pour
bien saisir les stratégies mises en place par |’ Etat impérial pour ancrer la Sicile a!’ Orient
et plus particuliérement 4 Constantinople. Ces stratégies ne sont toutefois pas uni-
voques: certaines visent a assurer la fluidité des échanges commerciaux, ainsi l’ harmo-
nisation de la métrologie du bronze entre Orient et Occident sous Maurice ou le sys-
teme de double marque de valeur; d’autres se donnent pour objectif de minimiser les
cotits de transferts d’or entre ateliers, c’est le cas de la réforme de Justinien II; d’autres,
enfin, doivent répondre 4 un souci comptable, qu’il s’agisse des manipulations de la
meétrologie du bronze sous Constant II ou du nouveau solidus sicilien de Léon III.

129. J’ai décrit ce systéme, son adaptation au IX¢ siécle, et son reflet dans les sources litté-
raires dans PRIGENT, Monnaie et circulation monétaire (cité n. 86), p. 404-409 et PRIGENT,
Un confesseur de mauvaise foi (cité n. 16).
130. PRIGENT, Monnaie et circulation monétaire (cité n. 86), p. 410-414.
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Pour conclure, la Sicile présente le cas exceptionnel d’une province qui traverse
sans heurts la grave crise du vii siécle, présentant tout au contraire tous les signes
d’une expansion économique: essor démographique, fondation d’évéchés, dyna-
misme de l’industrie de luxe avec maintien des cadres institutionnels de production
tardo-antique, restructuration des grandes unités agricoles et affirmation d’une éco-
nomie monétaire étonnamment complexe dont les autorités impériales se soucient
constamment d’assurer la meilleure articulation possible avec celle de Constanti-
nople. Pourtant, cette prospérité s’essouffle dans la seconde moitié du vue siécle et
les premiers signes de crise sont antérieurs 41’ invasion musulmane qui y répond plus
qu'elle ne la provoque. Au-dela de l impact de la peste de 743, cette crise est 4 mon
sens largement déterminée par la perte des marchés traditionnels de I’tle: Constan-
tinople, dont la population n’a plus rien de comparable, a rétabli dés le milieu du
vu‘ siécle son contréle sur les deux greniers qui assurent dorénavant son approvi-
sionnement, la Thrace et la Bithynie; parallélement, en Occident, la rupture avec
Rome et la conquéte de Ravenne prive litle de deux débouchés essentiels. Paradoxa-
lement, l’expulsion des papes de Rome de Sicile, si elle renforce le contréle politique
impérial sur |’tle a certainement contribué 4 en affaiblir l'économie.

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