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Publications de l'École française

de Rome

Le christianisme en Scythie mineure à la lumière des dernières


découvertes archéologiques
Adrian Rădulescu, Virgil Lungu

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Rădulescu Adrian, Lungu Virgil. Le christianisme en Scythie mineure à la lumière des dernières découvertes archéologiques.
In: Actes du XIe congrès international d'archéologie chrétienne. Lyon, Vienne, Grenoble, Genève, Aoste, 21-28 septembre
1986. Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 2561-2615. (Publications de l'École française de Rome, 123);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_act_123_1_3624

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ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE


À LA LUMIÈRE DES DERNIÈRES DÉCOUVERTES
ARCHÉOLOGIQUES *

Phénomène historique et religieux d'une importance


extraordinaire, le christianisme a exercé une profonde influence sur la culture de la
Scythie Mineure à partir du VIe siècle mais surtout durant les siècles
suivants.
Les premières informations concernant les débuts du christianisme
chez les Daco-Romains sont fournies par les écrivains anciens Tertul-
lien1, Origène2, Eusèbe de Cesaree3, mais, naturellement, ces quelques
données ne peuvent être tenues pour sûres. En Scythie, que J. Zeiller4

* Liste des abréviations :


Acta Arch. = Acta Archaeologica, Budapest.
Arch. Hung. = Archaeologia Hungqrica, Budapest.
Arch. Ert. = Archaeologiai Ertesitò, Budapest.
A M Ν = Acta Musei Napocensis, Cluj-Napoca.
A R M S I = Academia Romàna. Memorale Sectiei Istorice.
Β Μ Ι = Buletinul Monumentelor Istorice, Bucarest.
Β Ο R = Biserica Ordodoxä Romàna. Buletinul oficial al patriarhiei romàne, Bucarest.
Dacia, n.s. = Dacia. Revue d'Archéologie et d'Histoire ancienne, Bucarest.
DID, II = R. Vulpe, I. Barnea, Din istoria Dobrogei, vol. II, Bucarest, 1968.
HAD = R. Vulpe, Histoire ancienne de la Dobroufja, Bucarest, 1938.
Materiale = Materiale s%i cercetäri arheologice, Bucarest.
R A C = Riviste di Archeologia Cristiana, Rome.
R I R = Rivista Istorica Romàna, Bucarest.
S C I V = Studii s%i cercetäri de istorie veche, Bucarest.

1 Adv. Iudaeos, dans Izvoare privind Istoiria României, 1, Bucarest, 1964, p. 640.
2 Dans Math., comment., série 39, ad. Math., 24, 9, dans Izvoare privind istoria
României, 1, Bucarest, 1964, p. 717.
3 Hist, eccl., Ill, 1, dans Fontes Historiae Daco-Romanae, 2, Bucarest, 1970, p. 15.
4 J. Zeiller, Les origines chrétiennes dans les provinces de l'Empire romain, Paris, 1918,
p. 28-30.
2562 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

identifie avec la Dobroudja, la parole de l'Evangile a été répandue


suivant la tradition par l'apôtre André et le souvenir de cet apostolat s'est
perpétué dans certaines croyances et chansons religieuses de la
Dobroudja5. En dépit de ces informations, qui essaient d'accréditer l'idée
de la pénétration du christianisme en Scythie Mineure dès les premiers
siècles de notre ère6, les recherches archéologiques n'ont pu apporter,
jusqu'à présent, la preuve de l'existence, en Dobroudja d'une
communauté chrétienne avant la grande persécution de Dioclétien des années
303-304 de notre ère. L'inscription grecque découverte à Constantza,
datée du IIIe siècle de notre ère et dont les vers constitueraient le
témoignage le plus ancien de l'existence du christianisme en
Dobroudja7 ne représente pas vraiment, elle non plus, une preuve en ce sens8.
Cette analyse critique inspire une série d'études de valeur9. Mais, elles
n'excluent pas cependant - surtout dans les ports de Scythie Mineure -
la possibilité de l'existence de prosélytes de la nouvelle religion pendant
la période antérieure au IVe siècle de notre ère. Les multiples liaisons
entre les villes du Pont-Euxin occidental et les régions de l'Orient (Asie
Mineure, Egypte, Syrie10) où le christianisme s'était répandu dès les
temps apostoliques sont bien connues.
La conversion de la population daco-romaine au christianisme a
représenté, comme on l'a déjà souligné11, un phénomène qui s'est
manifesté progressivement et qui ne peut s'expliquer par une politique de
conversion en masse imposée par certains chefs politiques, la nouvelle
religion étant prêchée par des missionnaires «non officiels» comme ce

5I. Rämureanu, BOR, XCII, 1974, nos 7-8, p. 957-979; St. Nicolae, De la Dunàre la
Mare, marturii istorice si monumente de aria crestina, Galatz, 1977, p. 24-25.
6 A. Velcu, Contribuai la studiul crestinismului daco-roman, secolele I-IV d.Ch.,
Bucarest, 1936, p. 20; I. Popescu-Spineni, Vechimea crestinismului la Romani, Bucarest, 1934;
contra, voir aussi C. Daicoviciu, Exista monumente creatine în Dacia traiana din secolele
II-III e.n.?, Dacica, Cluj, 1969, p. 505-516.
7 D. Russo, Istros, 1, 2, 1934, p. 157-158; I. Barnea, Dacia, n.s., 1, 1967, p. 276.
8 J. et L. Robert, Bull, epigr., REG, LXXII, 1959, p. 211.
9 V. Pârvan, Contribuai epigrafice la istoria crestinismului daco-roman, Bucarest,
1911; D.M. Pippidi, Contributii la istoria veche a Romaniei, Bucarest, 1967, p. 481-486;
497-517; Idem, Studii de istoire a religiilor antice, Bucarest, 1969, p. 286; Em. Condurachi,
BOR, LV, 1937, p. 353; I. Barnea, Dacia, n.s., 12, 1968, p. 417 sqq.
10 Idem, Pontica, 5, 1972, p. 251 sqq.
11 M. Macrea, Viata în Dacia Romana, Bucarest, 1969, p. 478-479; I. Barnea, Les
monuments paléochrétiens de Roumanie, Roma, 1977, p. 23-24.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2563

fut le cas de la Scythie Mineure. Ce phénomène fut facilité, également,


par les contacts intenses et permanents qu'a eus la population des deux
rives du Danube.
Mieux, il semble que la vie religieuse de la Scythie Mineure n'a pas
été exempte de certains conflits qui se sont manifestés pendant la
période de transition du paganisme au monothéisme chrétien. Par
exemple, pour nous référer exclusivement à la métropole tornitane, la
découverte faite en 1962, d'un dépôt de sculptures votives, constitué de
24 pièces, peut s'expliquer par les antagonismes et les luttes religieuses
se manifestant à Tomis à cette époque-là12. La période de transition
entre paganisme et christianisme a été marquée par le développement,
dans toute la Dobroudja, des cultes «à mystères»13, qui ont joué un rôle
«fertilisant» dans le processus de compréhension et de propagation de
la nouvelle religion.
L'existence de chrétiens ou de communautés chrétiennes en Dacie
ou en Scythie Mineure représente, comme le disait le grand savant
Vasile Pârvan, «une nécessité logique-objective»14, même si jusqu'à
présent la présence de monuments chrétiens des IIe-IIIe siècles de notre
ère a été contestée, controversée15 ou admise16.

12 V. Canarache, A. Aricescu, V. Barbu, A. Rädulescu, Tezaurul de sculpturi de la


Tomis, Bucarest, 1963, p. 11 sq.; G. Bordenache, Studi Clasice, 6, 1964, p. 155-178; D. M.
Pippidi, op. cit., p. 307, suppose que «nous nous trouvons devant un épisode
caractéristique de guerre civile ».
13 Sur Isis et Harpocrate à Tomis, voir ibidem, p. 60-82 ; pour Chnoubis, voir la gemme
orphite de Tomi, cf. R. Ocheseanu, Pontica, 4, 1971, p. 303-308; pour Bes Pantheon, voir
d'abord Z. Covacef, C. Chera-Märgineanu, Pontica, 10, 1977, p. 181-202, avec la prise de
position de N. Vlassa, AMN, 17, 1980, p. 483-493.
14 V. Pârvan, op. cit., p. 74.
15 C. Daicoviciu, op. cit., p. 507-517.
16 N. Dänilä, BOR, nos 7-8, 1982, p. 737 : couvercle de vase (Vetel - dép. de Hunedoare)
avec l'image de la croix, daté dans la seconde moitié du IIIe siècle de notre ère; intaille en
cornaline représentant Jésus-Christ avec les 12 Apôtres, récemment datée du IIIe siècle de
notre ère; P. Diaconu, Pontica, 17, 1984, p. 165-166; pour la bibliographie et les
problèmes posés par ces objets voir Em. Popescu, Inscriptiile grecesti si latine din secoli IV-ΧΙΠ,
descoperite în Romania, Bucarest, 1976, p. 89-90.
2564 ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

mm

PlanOGRANDE
de--LIMITE
Tomis
LIMITE
CHRÉTIENNE
BASILIQUE
avec
♦♦♦♦TOMBEAUX
+ TOMBEAUX
EST-OUEST
POSSIBLE
--ENCEINTE
localisation
b-BOULEVARD
c-RUE
S.
α-BOULEVARD
•O.ENCEINTE
EXTENSION
RAISON
AU
DU DE
VIe
IVeDE
DUN.
ETSTABILIZÂRII
DES
S.
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LA
des
IV«
ABANDONNÉE
È.DE
SUD
PETITE
LEGENDE
CONSTRUCTIONS
NÉCROPOLE
nécropoles
ROMAINE
S.
DE
L'ENCEINTE
N.È.
1 DÉCEMBRE
DELABASILIQUE
N.È.
REPUBLIQUE
NÉCROPOLE
TARDIVE
AUet VIe
des
1918
EN
NOUVELLES
basiliques.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2565

Tomis (Constantza)

Les découvertes archéologiques fourniront peut-être des


arguments définitifs pour éclaircir le problème complexe des origines du
christianisme daco-romain. En ce sens, les fouilles de sauvetage
récemment entreprises dans le périmètre des nécropoles tomitanes ont
permis la fouille d'un grand nombre de tombeaux qu'on peut dater des
IIIe-VIIe siècles de notre ère. Ainsi, les deux lampes à huile découvertes
dans la métropole du Pont-Euxin occidental, Tomis, apportent-elles la
preuve de l'existence, dès le IIIe siècle de notre ère, de chrétiens,
autochtones ou plutôt venus de l'Orient, en grande partie convertis au
christianisme à cette époque-là. La première lampe présente, figurée
sur le disque, l'image de deux poissons superposés, symbole chrétien
dès les débuts de cette religion17. La lampe est datée, en fonction des
comparaisons18, de la typologie et du contexte archéologique, du
dernier quart du IIIe siècle de notre ère (fig. 1).
La plus intéressante au point de vue du problème qui nous
préoccupe est la lampe portant, trois fois imprimée sur le fond, la croix-
monogramme. A propos du monogramme du Christ, Sulzberger a
publié une minutieuse étude 19 d'où il ressort que le christogramme sous la
forme de la crux monogrammatica (P) apparaît peu avant la moitié du
IVe siècle de notre ère. La lampe de Tomi est datée, selon le contexte
archéologique20 où on l'a trouvée, du IIIe siècle de notre ère, au plus
tard peut-être vers la fin de ce siècle (fig. 2). Si les signes dont est mar-

17 L'image du poisson en tant que symbole chrétien apparaît sur divers objets, par
exemple sur une intaille en cornaline de Romula, datée de la fin du IIIe siècle de notre
ère; I. Barnea, Arta crestina în Romania, 1, Bucarest, 1979, p. 51, pi. 17/2; sur une boucle
d'un tombeau de Callatis, daté du IVe siècle de notre ère; C. Iconomu, Pontica, 2, 1969,
p. 105, fig. 124.
18 Idem, Opaite greco-romane, Constantza, 1967, p. 129, fig. 147, n° 660, daté de la fin
du IIIe siècle de notre ère ; S. Perlzweig, Lamps of the Roman period, vol. VII, Princeton,
New-Jersey, pi. 20, n° 945, datée dans la seconde moitié du IIIe siècle de notre ère et pi.
21, n° 946, datée de la fin du IIIe siècle -.
19 A. Sulzberger, Byzantion, 2, 1925; l'étude ne nous a pas été accessible mais voir C.
Daicoviciu, op. cit., p. 509, et les notes 15, 16.
20 C. Chera, V. Lungu, Pontica, 17, 1985, p. 123, pi. 5, T. 14.
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quée la lampe n'ont pas une signification païenne - mais nous ne leur
attribuons pas une telle signification - alors cet objet serait l'un des
premiers présentant le monogramme du Christ et, implicitement, une
preuve de l'existence des chrétiens à Tomis au IIIe siècle21.

6cm

Fig. 1-2 - Lampes de Tomis considérées comme chrétiennes.

21 La même forme de la croix-monogramme apparaît dans la petite église de Niculitel


(dép. de Tulcea) : I. Barnea, op. cit., p. 43, pi. 3/2; sur un vase en granit : Idem, Pontica,
10, 1977, p. 281, pi. 4/2; ce genre de croix se rencontre aussi au IVe siècle, à Histria : Em.
Popescu, op. cit., nos 127 et 128; à Släveni : voir D. Tudor, Oltenia romana, Bucarest, 1978,
p. 458, fig. 148/7; parmi les lampes à symboles chrétiens d'Ephèse se rencontrent aussi
des exemplaires ayant pour décor la croix-monogramme sur le disque ou au dos de la
lampe : voir Forschungen in Ephesos, veröffentlicht vom Österreichischen Archäologis-
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2567

La lampe portant les trois cruces monogrammaticae découverte dans une


des nécropoles tomitanes est très importante et présente un grand intérêt
surtout par sa datation, assez ancienne. Mais cet intérêt est augmenté par le fait
que les signes chrétiens dont est décorée la base de l'objet incitent également à
une interprétation relative au dogme chrétien de la consubstantialité, en ce
sens que les trois signes pourraient représenter la Trinité chrétienne : le Père,
le Fils et le Saint Esprit. Pour le IIIe siècle de notre ère, cette interprétation
pourrait être vraisemblable si l'on pense que le dogme de la Sainte Trinité était
déjà élaboré dès le début du Ier siècle22, quoique définitivement consacré au
Concile œcuménique de Constantinople tenu en 381. Dans la littérature
spécialisée, nous ne connaissons, du moins d'après nos recherches, qu'un seul cas dans
lequel la croix-monogramme apparaisse trois fois. Il s'agit d'une inscription de
Tropèa23, datée dans la première moitié du Ve siècle de notre ère. Au début et à
la fin du texte de l'inscription apparaissent les trois croix monogrammatiques.
Nous considérons que le nombre de trois de ces croix monogrammatiques,
autant sur la lampe de Tomi que dans l'inscription de Tropea, n'est pas sans
une certaine signification, en rapport justement avec le dogme de la Trinité. En
ce qui concerne notre pays, une analogie appropriée peut être la lampe de Gor-
nea datée au IIIe siècle, objet ayant sur le fond une crux monogrammatica (O.
Bozu, dans Banatica, 7, 1983, p. 227).

L'existence à Tomi d'une communauté chrétienne réunissant des


membres venus de régions christianisées, et des prosélytes issus des
rangs de la population locale, est prouvée, entre autres, par la
nécropole chrétienne datée des IVe- Ve siècles24, dont le terminus post quem est
le début du second quart du IVe siècle, donc immédiatement après
l'édit de Milan (313 de notre ère). A qui appartenaient ces tombeaux qui
apparaissent dans une nécropole typiquement chrétienne si bien
organisée? L'unique réponse logique est que les défunts étaient les
descendants immédiats de la population ayant vécu au siècle antérieur - ou,
peut-être même celle-ci -. Ces gens avaient été obligés d'observer une
totale discrétion quant à leur confession, récemment adoptée, à cause -

chen Institut. 4, p. 125, n° 457, Taf. IV et p. 158, n° 1451, Taf. X; de même, sur le fond
d'une jatte en céramique de Dinogetia, datée du début du Ve siècle de notre ère,
apparaissent sept croix monogrammes : voir Gh. Stefan, Dacia, 11-12, 1945-1947, fig. 4/1.
"Cf. Math., 28, 19.
23 A. Ferma, RAC, LX, 1984, p. 216, inscription n° 7.
24 V. Lungu, C. Chera, Pontica, 15, 1983, p. 175-201; Idem, Pontica, 16, 1984, p. 215-
230.
2568 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

comme nous l'avons déjà dit - de l'incompatibilité de celle-ci avec la


religion officielle. Il n'est pas nécessaire de rappeler à ce sujet la
grande persécution déclenchée par Dioclétien, qui a beaucoup affecté les
chrétiens de Scythie Mineure.
Les remarques faites sur la nécropole déjà mentionnée25 nous
permettent d'affirmer que celle-ci appartient à la première communauté
chrétienne. Une série d'arguments irréfutables - la majeure partie
résulte de manifestations de rites et de rituels chrétiens - confirment le
caractère chrétien de la nécropole en question, c'est-à-dire :

- l'orientation E-0 de tous les tombeaux;


- l'orientation identique des squelettes, plus précisément l'orientation
des pieds vers l'Est, selon la coutume chrétienne;
- la disposition des mains sur la poitrine ou sur l'abdomen, expression
du même rituel;
- la pauvreté ou, dans la plupart des cas, l'absence de mobilier funéraire
dans les tombeaux, conséquence de l'application des préceptes religieux
chrétiens ;
- Datation à une époque où le christianisme avait conquis une position
prédominante sur le plan religieux.

Mais la preuve la plus significative nous est offerte par la boucle


de ceinture en bronze à anneau et armature ovale, découverte dans un
tombeau de la nécropole chrétienne dont nous avons parlé. Cette pièce
retient particulièrement notre attention puisque, sur la plaque ovoïde
figure une invocation chrétienne en grec dont les caractères sont en
pointillé. L'inscription est contenue dans un cadre ovale double, incisé
lui aussi (fig. 3). Les recherches entreprises ne nous ont pas permis
d'identifier un second exemplaire portant une inscription comparable,
bien que le type de boucle soit bien connu. Des analogies existent avec
des exemplaires similaires de la nécropole romano-byzantine de Calla-
tis26, où ce genre de boucle, associée à d'autres éléments de mobilier, a
été daté entre 330 et 380. De telles boucles se rencontrent, également,
dans d'autres nécropoles romaines tardives, par exemple celles de Pan-

25 Ibidem, loc. cit.


26 C. Preda, Callatis. Necropola romano-bizantina, Bucarest, 1980, p. 143, pi. XV, T.
357.2; pi. XXXV, T. 364.2; pi. LXXVIII, T. 267.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2569

nonie, de Sagvar27 et Samodorpuszta28. La boucle trouvée dans le


complexe funéraire de la métropole tornitane peut être placée dans le
second ou le troisième quart du IVe siècle.

2cm.

Fig. 3 - Boucle de ceinture de Tomis à inscription chrétienne.

L'exécution de l'inscription sur l'armature de la boucle par la technique du


pointillé convient pour cette période, cette technique caractérisant aussi
d'autres boucles découvertes dans les tombeaux chrétiens des nécropoles du Pont-
Euxin occidental, Callatis29 et Tomis30.
L'inscription de la plaque est la suivante : ΚΥΡΙΕ BOHOICON. Du point de
vue grammatical, cette inscription comporte un impératif aoriste, à la
deuxième personne du singulier, ce qui se traduirait par : « Seigneur, aide-nous ! ».
L'emploi des caractères grecs confirme, comme dans d'autres textes chrétiens,
l'origine orientale du christianisme en Scythie Mineure où la tradition
hellénique s'est maintenue - autant à Tomis que dans les autres villes du Pont-Euxin
occidental - jusqu'à la fin de l'Antiquité31.
L'expression «Seigneur, aide-nous!» apparaît fréquemment dans les
inscriptions à caractère chrétien de Scythie Mineure dans la période romano-
byzantine et se trouve sur des murs d'enceintes, de menus objets tels que des

27 A. Sz. Burger, Ada Arch., 18, 1966, p. 215, fig. 108, T. 194/2 et p. 219, fig. 112/12, T.
233.
28Eadem, Arch. Eri., 101, 1974, p. 67, fig. 3, T. 16/33.
29 C. Preda, op. cit., p. 176, pi. XLV, 6; C. Iconomu, Pontica, 2, 1969, p. 105, fig. 24.
30 Ν. Chelutä-Georgescu, Pontica, 10, 1977, p. 254-260, pi. I, I-la; I. Barnea, Ana
crestina in Romania, 1, Bucarest, 1979, p. 234, pi. 99/1-2.
31 Cela ne veut nullement dire que l'on ne rencontre pas également d'inscriptions à
caractère chrétien écrites en latin; voir par exemple une lampe avec Jésus-Christ et les
douze apôtres, portant sur le disque l'inscription : Pacem meam do vobis (cf. Em. Popes-
cu, op. cit. p. 90-91).
2570 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

couvercles de vases, des vases, ainsi que sur certaines constructions funéraires.
C'est encore à Tomis qu'on trouve une invocation de ce type sur deux blocs
calcaires, respectivement du IVe et des Ve- VIe siècles de notre ère32. Des
expressions identiques ou similaires sont connues à Histria 33, dans la nécropole
chrétienne de CallatisÌA, ainsi qu'à Ulmetum35.
Si les inscriptions passées ici en revue ont une datation incertaine,
l'inscription incisée sur la boucle trouvée à Tomis est, en revanche, bien datée; elle
est antérieure à bien des inscriptions contenant l'expression mentionnée et que
nous avons déjà énumérées plus haut36.

Pour en revenir à la nécropole chrétienne du IVe siècle de Tomis,


nous croyons que quelques considérations s'imposent. En premier lieu
il faut souligner, une fois de plus, le caractère chrétien de la nécropole.
Les tombeaux occupent le terrain depuis la porte n° 3 du Port
(boulevard de la République) jusqu'à l'intersection du boulevard 1er Décembre
1918 avec la rue Stabilizärii et de là à l'Hôpital de la ville, dit «Hôpital
municipal» (voir le plan p. 2564). Leur fréquence ainsi que le grand
nombre de squelettes inhumés montrent l'importance de la nécropole.
Il convient de souligner le nombre de tombeaux à niche et vestibule qui
constituent une particularité de la nécropole chrétienne de Tomis, puisqu'ils ne
se retrouvent ni dans la nécropole de Callatis ni dans celle de Piatra-Frecätei.
Ce type de tombeau apparaît pour la première fois à Tomis dans la seconde
moitié du IIIe siècle de notre ère37 et se perpétue jusqu'au VIe siècle, où il

32 Ibidem, p. 42-43, n° 7, bloc (parallélipipède) en pierre, qui a fait partie de la


murail e d'enceinte de la cité de Tomis et porte une invocation Κύριε, ό Θεός, βοήθι πόλιν άνα-
νεουμένη(ν) - fin du Ve siècle-début du VIe siècle de notre ère, et p. 45, n° 10, bloc calcaire
inscrit daté du IVe siècle de notre ère : θυσ[ιαστήριον] χρηστι[αν]ών, κύ[ριε βοήθι ?].
^Ibidem, p. 158-159, n° 128, fragment de couvercle de jarre, daté des Ve-VIe siècle,
avec inscription fragmentaire (lecture proposée par I. Barnea) : [βοηθήσο]ν κ(ύρι)ε et
p. 156, n° 120, fragment de couvercle de vase avec l'inscription [Κ(ύριε) βοή]θη Ά[μην]
(Ve-VIe siècles).
34 C. Preda, op. cit., p. 82 et 110, T. 316 - à voûte et dromos - datée dans la première
moitié du Ve siècle de ; sur le mur sud du dromos figure l'inscription : Κύρ(ι)ε βοή(θ)ι!
35 V. Pârvan, Ulmetum, 2, p. 352-353, fig. 10 (dessin), ARMSI t. 36, 1913-1914,
couvercle en argile daté des Ve-VIe siècles de notre ère, portant l'inscription [Κύρ]ιε βοήθι!
36 A Odessos, dans la nécropole des VIIIe-IXe siècles de notre ère, anneau avec
l'inscription [Κύρ]ιε βοήθι! ; voir M. Mincev, Izvesttja- Varna, 12, 1961, p. 67-76, fig. 5, 7, 9; C.
Preda, op. cit., p. 19, note 8, établit pour certains tombeaux d'Odessos une datation un
peu antérieure, des Ve-VIe siècles de notre ère.
37 V. Barbu, SCIV, 22, 1971, 1, p. 53.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2571

devient plus complexe. Toujours dans la première nécropole chrétienne de


Tomis nous signalons un nouveau type de tombeau, à deux niches, orientées
l'une à l'Est et l'autre à l'Ouest par rapport au vestibule et qui représente, pour
la Dobroudja, un élément singulier dans le contexte des autres nécropoles de la
région. Nous pensons que ce type de tombeau constitue, à la fois
chronologiquement et techniquement, une étape intermédiaire entre les tombeaux à une
niche et vestibule et ceux à deux niches disposées en croix, qui ont déjà été
publiés tant pour Tomis39 que pour Callatis39 (fig. 4).
L'étude de l'origine du type de tombeau à vestibule et niche en Dobroudja
demeure extrêmement difficile au stade actuel des recherches mais on peut
accepter l'hypothèse selon laquelle l'introduction du type de tombeau en
question serait une conséquence de la pénétration de groupes ethniques venus
d'Orient40. En fait, Tomis avait une population extrêmement hétérogène, fait
mis en évidence, entre autres, par la variété des tombeaux.
Si, en ce qui concerne le IIIe siècle de notre ère, on peut affirmer que le
type de tombeau en question a été utilisé par un groupe ethno-culturel oriental,
au IVe siècle la situation change beaucoup puisque ce type se généralise et est
le seul représenté dans la première nécropole de Tomis, ne témoignant pas
nécessairement de l'arrivée d'autres vagues de population orientale mais
surtout de l'influence de cette population, puis de l'assimilation du type de
tombeau en question par la population locale de Tomis.

Les dimensions de la première nécropole chrétienne prouvent


l'existence d'une nombreuse communauté chrétienne à Tomis
immédiatement après la promulgation de l'édit de 313 qui venait confirmer de
jure l'existence de facto du christianisme dans la grande métropole du
Pont-Euxin occidental. L'existence d'une communauté de ce type et
d'autres sur le territoire de la Scythie impliquait nécessairement une
organisation hiérarchique de l'Eglise chrétienne dans cette province au
IVe siècle. Nous rappellerons seulement que l'église de Scythie Mineure
était dirigée par un évêque unique dont la résidence était à Tomis,
capitale de la province, fait confirmé par les indications des historiens de
l'Eglise Sozomène et Théodoret de Cyr41. Mais aux Ve-VIe siècles l'orga-

38 Ibidem, p. 53-54; N. Chelutä-Georgescu, Pontica, 7, 1974, p. 363-376.


39 C. Preda, op. cit., p. 20, fig. 5.
40 V. Barbu, Pontica, 10, 1977, p. 206; El. Bîrladeanu, Pontica, 10, 1977, p. 149.
41 Sozomène, 1st. Bic, VI, 212, dans Fontes Historiae Daco-Romanae, 2, Bucarest,
1970, p. 225; Théodoret de Cyr, 1st. bis., IV, 351, 1, dans Fontes. . ., p. 235.
2572 ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

nisation administrative de l'église de Scythie change, puisqu'on trouve


14 évêchés en Scythie, en dehors de Tomis*2.

M*

Fig. 4 - Tombeau à niches de Tomis dans la nécropole du IVe siècle.

42 Nous n'insistons pas sur ce problème vivement disputé, mais on renverra aux
études excellentes et riches de références de Em. Poescu, Dacia, n.s., 13, 1969, p. 403-415 et
Idem, Studii teologice, Π, 32, 1980, p. 590-605.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2573

La basilique érigée à Tomis à cette époque et découverte dans la


cour du lycée Mihai Eminescu43 est essentielle pour prouver
l'importance de la communauté chrétienne dans la Scythie du IVe siècle, qui
exigeait la construction d'édifices de culte. Il est certain qu'aux IVe- Ve
siècles, le rapport numérique entre les adeptes du paganisme et du
christianisme était favorable à la nouvelle religion qui s'imposera non
seulement aux autochtones mais aussi à toutes les ethnies allogènes
présentes dans la région. Comme soulignait le professeur Radu Vulpe,
«le facteur chrétien apparaît dans le processus de romanisation (situé)
à l'origine du peuple roumain avec un rôle tellement déterminant qu'il
revêt une importance égale à celle de notre romanité même. A juste
titre on peut parler de ces deux phénomènes comme de deux directions
historiques cardinales, comme des coordonnées magistrales de notre
ethnogénèse»44.

Dans la péninsule tornitane, on a fait rue Karl Marx une des plus
grandes découvertes d'archéologie chrétienne des dernières années. Il
s'agit d'un édifice grandiose de type basilical. La ruine a été
endommagée par les excavations pratiquées avec des engins mécaniques pour
creuser les fondations des nouveaux bâtiments. Les travaux ont détruit,
les murs sud et ouest de la basilique jusque sous le niveau du pavement
de briques; le mur nord, localisé probablement sous le niveau actuel de
la rue, n'a pas été dégagé. L'étude de l'édifice a commencé avec la
crypte découverte sous le pavement du sanctuaire.
La crypte, de forme rectangulaire, mesurait 1,52 m de long (côtés nord et
sud) sur 1,22 m de large (côtés est et ouest). La hauteur des quatre murs,
jusqu'à la limite de la voûte, atteignait 1,60 m, la hauteur maximum du plafond
voûte étant de 2,05 m. Une brèche accidentelle de la crypte du côté, ouest a mis
en évidence le mode de construction dans la couche d'argile, située à seulement
1,50 m du niveau d'utilisation antique. Les murs de la crypte, situés sous le
niveau de fondation de l'édifice, étaient réalisés en pierres liées au mortier,
alternant avec des rangées de briques, larges de 0,34 m, c'est-à-dire de
l'épaisseur des murs. Le mortier de couleur blanche, contenant beaucoup de chaux et

43 V. Canarache, Muzeul de arheologie din Constanta, 1967, p. 85; V. Barbu, Tomis,


orasul poetului exilât, Bucarest, 1972, p. 100-101.
44 R. Vulpe, De la Dunâre la Mare, märturii istorice si monumente de artà crespina,
Galatz, 1977, p. 21.
2574 ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

Fig. 5 - Crypte de la basilique de la rue Karl Marx à Tomis.


LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2575

Fig. 6 - Niche avec reliquaire et croix latine peinte dans la crypte.


2576 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

de la brique broyée, est caractéristique de la technique de construction des IVe-


VIe siècles.
Entre la cote 1,60 m et la cote 2,05 m, hauteur maximum de la chambre, se
situe le plafond voûté de la crypte, réalisé uniquement en briques carrées de
0,34 χ 0,34 m (sesquipedales). Les briques présentent des lignes diagonales,
tracées avec deux doigts dans la pâte encore molle. Ces diagonales ont contribué à
une meilleure consolidation du plafond voûté grâce à la pénétration du liant
(de la chaux avec un peu de brique broyée) à l'intérieur. Toute la chambre avait
les murs recouverts de mortier, dans la composition duquel prédominait la
chaux ce qui explique la couleur blanchâtre de la crypte au moment de la
découverte.
Nous précisons que la crypte est orientée (grand côté) selon l'axe E-O. Du
niveau du pavement de la basilique, on accédait à la crypte par un couloir de
0,70 m de largeur, pourvu de plusieurs marches. La longueur des dalles
calcaires dont étaient faites les marches varie entre 0,66 m et 0,70 m, pour une
hauteur de 0,22 à 0,25 m. L'infrastructure de l'escalier, qui constitue par ailleurs le
pavement de la crypte, est constituée par une strate épaisse de 0,30 m de
gravier et de chaux bien tassée sur l'argile vierge. Sur cette strate on a appliqué
une mince couche d'argile. Au moment de la découverte il restait encore quatre
marches de l'escalier d'accès à la crypte, d'une hauteur totale de 0,95 m. Les
autres marches, qui devaient monter jusqu'à la cote 1,95 m, où se trouvait le
pavement du sanctuaire, ont disparu. L'élément qui caractérise la crypte de
cette basilique est l'existence sur les murs est, ouest, nord et, probablement,
aussi sud, de niches placées au centre à 0,78 m au-dessus du niveau du sol (fig.
5). Il ne subsiste plus que la niche du mur est, haute de 0,57 m, et celle du nord,
haute de 0,56 m; celle du sud a disparu; probablement en même temps s'est
écroulé le mur qui existait de ce côté. La niche du mur est était close d'une
tuile, arrondie à la partie supérieure, pour qu'on puisse fermer complètement
la niche. Au-dessus de cette porte était peinte en rouge une croix latine aux
hastes longues de 0,30 m. (fig. 6). Après avoir retiré la tuile, on découvrit un
vase en verre, du type d'une gourde à deux anses; il s'agit d'un vase-reliquaire,
ressemblant aux «ampoules à eulogie» ou aux «eulogies de Saint Menas» et qui
conservait probablement de l'huile sacrée (fig. 7).

L'édifice basilical découvert dans la péninsule tornitane constitue


un témoignage irréfutable de l'intense vie spirituelle que connaît Tomis
aux Ve- VIe siècles, période où nous situons la construction,
correspondant à l'époque du triomphe du christianisme en Scythie Mineure.

Enfin, une dernière découverte à caractère chrétien de Tomis est


représentée par une seconde boucle à armature en forme de croix
découverte dans un tombeau d'une autre nécropole chrétienne, datée
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2577

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2578 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

des VIe-VIIe siècles45 (voir le plan p. 2564). La longueur de cette pièce


est de 4 cm. La croix présente des bras évasés dont les extrémités sont
légèrement concaves. Sur les bras de la croix figurent des petits
cercles, disposés toujours en forme de croix (fig. 8). Les recherches
entreprises nous ont permis d'identifier des exemplaires très semblables à
Orlea46, Bratei47 et en Crimée48.

Axiopolis

Parmi les découvertes récentes, le caveau d'Axiopolis (Cernavodä)49


s'avère être d'une importance extrême pour l'archéologie chrétienne.
Cette construction funéraire chrétienne consiste en une seule chambre
le long, de forme rectangulaire, dont côté est orienté E.-O.
Le caveau, à l'extérieur, mesure 4,07 m de longueur sur 2,60 m de largeur
et une hauteur de 2,30 m. L'accès à la chambre funéraire se fait directement,
par une ouverture pratiquée à l'Est, d'une hauteur de 0,97 m pour une largeur
de 0,73 m (fig. 9). L'intérieur du tombeau présente la même forme
rectangulaire que l'extérieur, ses dimensions étant de : 2,60 m pour le mur nord, 2,64 m
pour le mur sud, 2,11 m pour le mur ouest tandis que le mur est mesure
2,08 m.
Il existe sur le côté nord deux niches mesurant 0,25 χ 0,20 m. Ces niches
sont situées à 1 m au-dessus du niveau d'inhumation, la distance qui les sépare
étant de 1,50 m. Sur le mur intérieur oriental, au-dessus de l'entrée, il existe un
support triangulaire, ayant probablement servi pour une lampe à huile.
Comme matériau de construction on a utilisé la pierre calcaire50, non
taillée; comme liant on a employé du mortier (chaux hydraulique). N'étant pas
parementés, les murs extérieurs se trouvaient en contact direct avec la terre
vierge et la voûte était intégralement faite de briques. Le sol de la chambre

45 N. Georgescu-Chelutä, op. cit., p. 259, pi. II.


46 O. Toropu, Romanitatea tîrzie ci straromânii în Dacia Troiana sud-carpatica,
Craiova, 1976, p. 120-121.
47 1. Nestor, E. Zaharia, Materiale, 10, 1973, p. 198, fig. 3/5.
48 Sovietskaia Arheologhia, 1, 1971, p. 119, fig. 7/5.
49 Le monument, situé à environ 1 km de la cité romano-byzantine a'Axiopolis (Hi-
nog), a été étudié en 1980 par V. Lungu et A. Panaitescu. Le monument a été présenté,
pour la première fois, dans le cadre de la session scientifique de communications « Ponti-
ca» : Alt monument crestin la Axiopolis.
50 Voir A. Rädulescu, dans Pontica, 5, 1972, p. 177-200, étude générale pour toute la
Dobroudja romaine; pour une étude concernant spécialement l'exploitation de la carrière
de pierres a' Axiopolis (Cernavodä), voir Gr. Florescu, Analele Dobrogei, 17, 1936, p. 33.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2579

Fig. 9 - Caveau funéraire à'Axiopolis.

funéraire est fait de terre bien tassée et tout l'intérieur est enduit d'un mélange
de terre glaise et de paille sur lequel a été appliquée de la peinture rouge. Celle-
ci montre une alternance de croix et d'arbres de différentes dimensions. Par
exemple, sur le mur ouest figure une croix byzantine aux hastes élargies aux
extrémités, encadrée par deux arbres, un de chaque côté (fig. 10); sur le mur
du Sud sont représentés schématiquement trois arbres (fig. 12), la même
peinture se retrouvant sur le mur nord. Sur le mur oriental sont peints à l'intérieur,
de part et d'autre de l'entrée, une croix aux hastes pattées et un arbre (fig. 12-
13). A la base, à droite de l'entrée, on a peint encore une croix, simple. A
l'entrée du caveau sont peints, toujours en rouge, deux lettres : Ο et Y, une croix
pattée (très effacée) et un arbre, également mal conservé. A l'entrée, immédia-
2580 ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

Fig. 10 - Croix et arbres sur le coté ouest.

Fig. 1 1 - Arbres sur le coté sud.


LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2581

Fig. 12 - Croix et arbres dans l'angle nord-est.

Fig. 13 - Croix et arbres dans l'angle sud-est.


2582 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

tement à droite, revient le même motif de l'arbre situé dans un cadre de


couleur rouge et, à gauche, une autre croix, toujours dans un cadre rectangulaire.
Au-dessus est peinte la lettre Θ, représentant l'abréviation de Θ(εοΰ). De tels
monogrammes sont fréquents sur les inscriptions ou divers objets51 d'époque
romano-byzantine.
L'entrée du caveau était fermée par une plaque de chancel en calcaire,
mesurant 1,41 m de hauteur, 0,96 m de largeur et 0,12 m d'épaisseur. Sur une
des faces est sculptée une croix contenue dans un large cadre décoré de fauilles
d'acanthe sculptées (fig. 14). Le type de croix est assez bien connu pour le VIe
siècle, puisqu'on le rencontre aussi sur d'autres monuments d'art chrétien de
Scythie Mineure52. Sur la même face de la plaque ont été incisées différentes
lignes sans aucune signification (une série de triangles) ainsi qu'un sapin,
représentant le motif schématisé de l'Arbre de Vie53. Mais ces grafitti sont
postérieurs. Au verso de la plaque on peut observer encore une croix, réalisée en
creux avec de petits coups de burin.
Après l'enlèvement de la plaque qui bloquait l'entrée du caveau, on a
découvert à l'intérieur cinq squelettes orientés E-O, avec la tête à l'Est, dont,
paraît-il, deux d'hommes, deux de femmes et un d'enfant54. On a pu observer,
sur deux de ces squelettes (du côté sud), la position des mains placées sur la
poitrine; les autres squelettes étaient étendus sur le dos, sans qu'on puisse
préciser la position des mains par rapport au corps. Les trois squelettes prouvent
que la chambre funéraire était un caveau de famille et les inhumations ont été
faites successivement, sans que nous puissions préciser l'intervalle de temps les
séparant. Pour l'époque romaine tardive on connaît des caveaux familiaux ou
des tombeaux collectifs, sur tout le territoire de la Scythie Mineure, à Callatis 55,
Tomis56, Histria57 mais également dans certaines nécropoles de Pannonie58.

51 Em. Popescu, Inscriptiile . . ., 332; 44,2; 251 c.


52 1. Barnea, op. cit., 1, 1979, pi. 25/1; pi. 79/2; pi. 90; pi. 93/1.
53 Ce motif apparaît également sur d'autres objets d'art chrétien et est bien connu
parmi les symboles chrétiens : ibidem, p. 35, pi. 3 ; D. Gh. Teodoru, Teritoriul est-carpatic
în veacurile V-XIV e.n., Jassy, 1978, p. 195, fig. 36/4.
54 Pendant la nuit, les squelettes ont été bouleversés par des personnes malveillantes,
ce qui a rendu très difficile notre recherche.
55 C. Preda, Em. Popescu, P. Diaconu, Materiale, 8, 1962, p. 451-452; C. Diaconu, Gîa-
sul Bisericii, 23, 7-8, 1964, p. 712-723; C. Iconomu, op. cit., p. 85, T. 1 ; p. 87, T. 2, fig. 7; C.
Preda, op. cit., p. 23 : voir la table des matières.
56 V. Lungu, C. Chera, Pontica, 15, 1983 : voir la table des matières; Idem, Pontica, 16,
1984 : voir la table des matières; Idem, Pontica, 17, 1985 : voir la table des matières.
57 H. Nubar, SCIV, 22, 1971, 2, p. 203, T. 18, T. 23, T. 72.
58 A. Burger, Iannus Pannonius Museum, 1962, p. 116, fig. 10; Eadem, Acta Arch., 18,
1966, p. 132, fig. 76; E. Vayo, Alba Regia, 11, 1971, p. 109-119, fig. 10-11; E. Fülep, Arch.
Ert., 96, 1969, p. 20.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2583

Fig. 14 - Plaque de chancel fermant l'entrée du caveau a'Axiopolis.

A..r
Fig. 15 - Croix-pendentif. Fig. 16 - Grande boucle
d'oreille
Matériel en or.
d'Axiopolis. Fig. 17 d'oreille.
- Petite boucle
2584 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

Le mobilier funéraire se réduit presque exclusivement - à l'exception de


fragments d'une cassette en bois et d'un couteau - aux objets strictement
personnels que les défunts avaient portés pendant leur vie. Parmi ces objets
mentionnons, en premier lieu, la petite croix (2,6 χ 2,2 cm; 4,17 g) à monture
circulaire où est enchâssée une pierre, monture faite de feuilles d'or enroulées en
tubes avec une feuille soudée au bout (fig. 15). Ce bijou ne surprend pas et des
objets de ce type sont signalés dans la Dobroudja romano-byzanzine à Tomis59,
Histria60 et Callatis61. Toujours parmi les objets d'or on peut citer aussi deux
boucles d'oreille, trouvées chacune sur un squelette de femme, une plus grande
(d. 2,2 cm; p. 2,19 g) en fil d'or de diamètre inégal, à anneau fixe et aux
extrémités enroulées (fig. 16). Des analogies peuvent être établies avec les
exemplaires trouvés dans la nécropole chrétienne de Callatis62. La deuxième boucle
d'oreille est plus petite (d. 1,6 cm; p. 2,47 g), simple, et le système de fermeture
est réalisé par la jonction des deux extrémités, dont l'une est pointue et l'autre
présente un orifice (fig. 17). Les similitudes les plus évidentes se trouvent
toujours à Callatis6* et Tomis64 ainsi que dans la nécropole de Sagrav65, mais il
faut préciser que ces éléments de comparaison sont antérieurs de deux siècles
et présentent un autre système de fermeture.
Sur le squelette du côté sud du caveau, vers le milieu du corps, a été
trouvée une boucle en bronze, à anneau rectangulaire creusé pour l'ardillon. La
fixation est faite de deux lamelles de métal aux extrémités aplaties et
circulaires à l'emplacement du rivet (fig. 18). Les nécropoles d'Histria66 et Piatra-Fre-
cätei67 nous offrent les plus proches comparaisons, comme la boucle d'Histria,
datée du VIe siècle, et celle de Piatra-Frecätei, située entre la fin du VIe et le
début du VIIe siècle présentant des ressemblances jusqu'à l'identité avec
l'anneau de la boucle du caveau d'Axiopolis.

59 1. Barnea, op. cit., p. 230, pi. 97/1 : petite croix en or, datée des Ve- VIe siècles, de
forme similaire à celle d'Axiopolis.
60 Ibidem, p. 228, pi. 96, datée du VIe siècle de notre ère, moins semblable en ce qui
concerne la forme mais analogue pour la pierre enchâssée milieu.
61 Information de N. Chelu^ä-Georgescu et El. Bîrladeanu.
62 C. Preda, op. cit., p. 151, pi. XVII, T. 123.
63 Ibidem, p. 151, pi. XVII, T. 163, T. 104, T. 171, T. 248.
64 V. Lungu, C. Chera, Pontica, 15, 1983, pi. 3/8, T. 14.
65 A. Burger, Ada Arch., 18, 1966, fig. 103, T. 140/3.
66 P. Alexandrescu, Histria, 2, 1966, p. 228, pi. 102, XVI 9, 1.
67 P. Aurelian, Materiale, 8, 1962, p. 582, fig. 20/2 - l'auteur des fouilles de Piatra Fre-
cäfei tend à attribuer une datation plus tardive aux bronzes des tombeaux de la fig. 19
dont font aussi partie deux boucles, une d'elles étant très semblable à notre exemplaire
de Cernavodä - par comparaison avec des pièces similaires découvertes à Chatki et
datées dans la seconde moitié du VIIe siècle de notre ère -.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2585

De petites plaques en bois, de forme rectangulaire, présentent des


perforations aux angles (fig. 19). Elles étaient éparpillées, ce qui rend difficile la
restitution. On a pourtant réussi à établir une comparaison valable avec des
plaquettes similaires trouvées dans le tombeau n°59 de la nécropole callatienne68,
mais qui sont datées plus tôt (du deuxième tiers du IVe siècle) et qui sont
en os.

Fig. 18 - Boucle en bronze. Fig. 19 - Plaquettes de bois perforées.

Le couteau de fer (longueur 12 cm; largeur de la lame 2 cm) (fig. 20) a été
trouvé avec les restes fragmentaires de la cassette. Il faisait certainement partie
du contenu de la cassette, et était peut-être utilisé à des fins cosmétiques. Des
comparaisons, pour la forme et l'emploi, se rencontrent dans la nécropole de
Tîrgçor69 mais également dans des complexes appartenant à l'horizon culturel
Sîntana de Mures - Cerniahov70, datés du VIe siècle de notre ère. Pour ce
dernier siècle, la meilleure comparaison est fournie par le couteau découvert dans
un tombeau près de Topalu71.

68 C. Preda, op. cit., p. 83, pi. LVIII, 9-11.


69 Gh. Diaconu, Necropola din sec. III-IV, Tîrgusor, Bucarest, 1965, p. 89, pi. LIX, 5.
70 B. Mitrea, C. Preda, Nécropole din sec. IV e.n. în Muntenia, Bucarest, 1964, fig.
107/1, fig. 87/4.
71 Près de Topalu ont été fouillés quelques tombeaux tardifs, dont l'un contenait,
comme mobilier funéraire, un couteau similaire et une boucle datant certainement du
VIe siècle, (en cours de publication par V. Lungu et E. Mihail).
2586 ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

Un anneau en bronze (d. 2,5 cm) a été trouvé fixé aux restes des vêtements
de l'une des femmes enterrées dans le caveau. En dehors de ces objets, nous
mentionnerons encore les restes fragmentaires d'une cassette en bois dont les
angles sont renforcés par de la tôle) (fig. 21).

Fig. 20 - Couteau Fig. 21 - Eléments d'angles en tôle d'une cassette de bois.


en fer.

L'absence des monnaies nous incite à faire appel, pour établir la


chronologie de tout le monument chrétien, au mobilier funéraire ainsi qu'au style de la
peinture sur les murs intérieurs du caveau. Toute la peinture est caractérisée
par une facture tardive, typique du VIe siècle, tout comme la forme des croix
byzantines. On pourrait en dire autant des arbres peints sur les murs
intérieurs, exécutés d'une façon schématique et représentant, sans doute, le
paradis. En faveur de la datation mentionnée plaide aussi la petite croix en or avec
pierre enchâssée au centre. Mais une datation plus large nous est offert par la
boucle en bronze datable des VIe-VIIe siècles, comme le montrent les
comparaisons citées pour cet objet. Un élément de datation plus précise du monument
chrétien - vers la fin du VIe siècle - est fourni par la plaque de chancel qui
fermait l'entrée du caveau. La plaque ne peut avoir été placée là qu'à la suite
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2587

d'événements qui auraient pu avoir pour conséquence la destruction des églises


d'Axiopolis. Un pareil événement, capable d'affecter si gravement Axiopolis et
ses basiliques, pourrait être l'attaque dévastatrice des avaro-slaves en 587. C'est
seulement en de pareilles circonstances que les habitants d'Axiopolis ont pu
avoir recours à l'utilisation d'une plaque de chancel pour fermer l'entrée dans
le caveau. Nous avons donc là un terminus post quern pour dater tout le
monument chrétien. Mais le caveau peut avoir été construit avant l'événement
mentionné plus haut, et on ne saurait préciser l'intervalle entre les inhumations ou
la date de la dernière inhumation.

En conclusion, le complexe funéraire a'Axiopolis se place donc à la


fin du VIe siècle ou au début du VIIe.
L'ensemble de Cernavodä représente un type de site funéraire très
intéressant pour l'époque romaine tardive. Etant donné qu'il s'agit de
fouilles de sauvetage, on n'a pu établir si, à proximité immédiate, il
existait d'autres monuments funéraires identiques, ou d'autres
tombeaux constituant une éventuelle nécropole tardive a'Axiopolis.
En Dobroudja on connaît plusieurs tombeaux de type semblable
mais présentant des différences pour la technique et les matériaux de
construction. A Callatis12 sont signalés des tombeaux du type à caveau
voûté; la différence est que tous ont un couloir d'accès {dromos) à
marches, le matériel de construction étant exclusivement la pierre. De tels
caveaux sont représentés aussi dans les nécropoles de Tomis73 à partir
du IIe siècle et encore aux IIIe-IVe siècles. A côté de la pierre, on
utilisait également les briques comme dans le cas du tombeau de
Cernavodä. Une bonne comparaison peut être aussi établie avec le complexe
funéraire de Galatz où, comme matériaux de construction, ont été
employées la pierre et les briques, mais surtout avec le tombeau d'Os-
trov74. A Osenovo (département de Varna) a été découvert un caveau
pareil à celui à! Axiopolis, c'est-à-dire sur plan rectangulaire, voûté, bâti
en pierre, orienté selon l'axe E-O. Les murs sont peints et présentent

72 C. Iconomu, op. cit., p. 102-104, fig. 21-23, caveau daté du IVe siècle de n.è. ; C.
Preda, op. cit., p. 16-17, T. 78, 316, 388, datés dans la première moitié du Ve siècle de n.è.
73 V. Barbu, SCIV, 22, 1, 1971, p. 60, fig. 9, type XV : caveau à une seule chambre et à
l'intérieur enduit de crépi; p. 60, fig. 10, type XXI à chambre funéraire et dromos, daté
du IVe siècle par une monnaie de l'époque de Constantin.
74 C. Chera-Märgineanu, Pontica, 11, 1978, p. 138-141, daté dans la seconde moitié du
IIe siècle de notre ère.
2588 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

des scènes caractéristiques de l'art paléochrétien. Il est daté dans la


seconde moitié du IVe siècle de notre ère75.
Des comparaisons très étroites autant pour la technique de cons-
tructionne que pour les matériaux sont fournies aussi par les caveaux
d'époque romano-byzantine des nécropoles pannoniennes de Sagvar76,
Kesztlely77 et Intercisa78.
Ce type de tombeau n'est pas une invention de l'époque romano-byzantine
mais illustre la continuité d'une tradition, une dernière résurgence des
tombeaux du type «hypogée» macédonien, datant de l'époque hellénistique. Cette
continuité - avec quelques modifications dans la technique de construction -
est prouvée par le tombeau de Callatis79, daté des IVe-IIIe siècles avant notre
ère; par ceux de Tomis et d'Ostrov datables des IIe-IVe siècles de notre ère; de
nouveau par ceux de Callatis60 de la nécropole chrétienne, datables des IVe- Ve
siècles et, enfin, par le caveau de Cernavodä, daté au plus tard de la fin du VIe
siècle ou de la première moitié du VIIe siècle81.
En conclusion, nous pourrions dire que le type de tombeau-caveau d'Axio-
polis puise ses sources dans les tombeaux-hypogées, dont la tradition s'est
perpétuée à travers l'art romain, dans l'architecture funéraire chrétienne de
l'époque romano-byzantine. En ce sens on peut établir un parallèle justifié avec
l'évolution des basiliques chrétiennes qui ont, du moins pour le nom, une
origine hellénistique82, et qui empruntent certaines formes et éléments
d'architecture à des basiliques païennes aux fonctions diverses : juridiques, politiques,
commerciales ou même religieuses. En témoignent aussi les fouilles archéologiques
plus anciennes à'Histria, confirmant les ressemblances entre les basiliques
païennes et chrétiennes.

75 Al. Mincev, P. Georgiev, Actes du IIe Congrès international de Thracologie, II,


Bucarest, 1980, p. 411-423.
76 A. Sz. Burger, ActaArch., 18, 1966, pi. LXXXI, 1-3, T. 91 et pi. LXXXII, 2, 3, 5 datés
du IVe siècle de notre ère.
77 K. Sagi, Acta Arch., 12, 1960, p. 197-202, fig. 4, 8-9.
78 Idem, Arch. Hung., 33, 1954, p. 87; E. Sagi, I. Bona, Die Gräberfelder vom Intercisa,
Budapest, 1970, p. 48, T. 337, fig. 48.
79 C. Preda, Dacia, n.s., 6, 1962, p. 165, fig. 7.
80 C. Iconomu, op. cit., p. 102-104, fig. 21-23; C. Preda, Callatis. Necropola romano-
bizantina, Bucarest, 1980, p. 16-17, T. 78, 316, 388.
81 Récemment, à Hîrçova, ont été découverts quelques complexes funéraires
semblables à celui de Cernavodä (Axiopolis) datés dans la seconde moitié du IVe siècle de notre
ère.
82 Ch. Delvoye, Annuaire de l'Institut de Philologie et d'Histoire orientales et slaves, 18,
1954-1957, Bruxelles, p. 205-228.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2589

II est évident que les caveaux, aussi bien que les basiliques d'époque roma-
no-byzantine, en empruntant certains éléments et plans quasi similaires à ceux
des constructions hellénistiques et romaines, les ont adaptés au culte chrétien.
Par exemple, parmi les éléments communs aux tombeaux hypogées, aux
constructions funéraires romaines et aux constructions chrétiennes on citera la
chambre voûtée et le dromos. Le caveau de Cernavodä ne comporte pas de dro-
mos ce qui pourrait s'expliquer par l'insuffisance de la pierre de construction,
abondante par ailleurs à Callatis, où la nécropole chrétienne comporte bien des
tombeaux en ciste de pierres et également des caveaux massifs. Pour la période
des Ve-VIe siècles on ne connaît pas de tombeaux-caveaux, les types rencontrés
à cette époque-là étant à une niche, à deux niches83 et chambre d'accès
commune ou à chambres funéraires disposées en croix et dromos84, tous hypogées.

Par conséquent, Axiopolis apparaît non seulement comme un


véritable port sur le Danube ou comme la résidence d'unités militaires85,
mais également comme un important centre religieux chrétien de Scy-
thie Mineure, son nom figurant même sur la liste des évêchés de la
vince 86
Les fouilles archéologiques ont mis en évidence d'incontestables
preuves de l'existence du christianisme à Axiopolis dès le début du IVe
siècle. Ainsi la présence des chrétiens y est-elle clairement attestée par
une inscription découverte dans la basilique extra muros située devant
la porte nord de la cité, comprenant les noms de trois martyrs : Cyrille,
Chindeus et Dasius (Tasios), assassinés à Axiopolis, comme le relatent
les textes des Martyrologes, au cours des persécutions de Dioclétien, en
303-304 87. Le déclenchement de ces persécutions, au début du IVe
siècle, atteste l'existence de chrétiens à Axiopolis dès le IIIe siècle. Une
autre inscription, toujours d'Axiopolis, plus tardive, mentionne le goth
Gibastes et sa fille Anthusa*8, ce qui pourrait constituer une preuve du
fait que la localité aurait été, à cette époque-là, dépendante au point de

83 V. Lungu, C. Chera, op. cit., p. 183, pi. 1.


84 V. Barbu, StCl, 3, 1961, p. 209, fig. 4; Ν. Chelutä-Georgescu, Pontica, Ί, 1974, p. 363-
375.
85 A. Aricescu, Armata In Dobrogea romana, Bucarest, 1977, p. 112-113; D. Tudor,
Materiale, 2, 1956, p. 574, n°31.
86 I. Barnea, dans SCIV, 11, 1, 1960, p. 70; Idem. DID, 2, 1968, p. 458-459 mais voir
surtout Em. Popescu, Studii Teologice, IIe série, XXXII, nos 7-10, 1980.
87 1. Barnea, Dacia, n.s., I, 1957, p. 280, fig. 6, et à propos du martyr (Cyrille, voir
toute la discussion chez Idem, DID, 2, 1968, p. 380, note 65.
88 Ibidem, p. 459 et 462.
2590 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

vue religieux de l'évêque arien Auxentius89, successeur d'Ulfila90, et les


fouilles effectuées dans l'enceinte de la cité ont révélé un édifice qu'on
suppose être une basilique à baptistère, qui avait, en plus, une chapelle
funéraire91. A toutes ces preuves archéologiques concernant l'existence
du christianisme à Axiopolis, s'ajoute le caveau de Cernavoda qui
augmente le nombre des monuments chrétiens de la province, menant
même à une série de conclusions que nous nous permettons d'insérer
dans la présente étude. La découverte de Cernavoda témoigne de la
continuité de la présence des hommes à l'époque byzantine, infirmant,
par conséquent, les exagérations de Procope qui prétend que la Scythie
aurait été à cette époque-là un pays désert et abandonné. En réalité, la
Dobroudja bénéficie, au VIe siècle, d'une période de réelle prospérité,
d'essor économique et culturel, même si elle connaît quelques invasions
et attaques barbares : des Koutrigours, des Avares, des Bulgares et des
Slaves. Les constructions funéraires chrétiennes montrent aussi quelles
étaient les ressources d'une partie de la population locale aisée qui peut
faire construire des tombeaux durables, ceux-ci pouvant constituer - à
côté d'autres qu'on n'a pas encore identifiés - un fidèle reflet de la
prospérité de la ville, puis qu'on constate même des travaux de
réfection dans la ville durant le règne de l'empereur Justinien92.
Un problème qui attend son éclaircissement se pose à propos des
caractères ethniques des personnes inhumées93. Il est dans la logique
de l'histoire que seuls des autochtones, aient pu se faire bâtir, pour
l'éternité, de pareilles constructions funéraires; par conséquent, il est
exclu qu'il s'agisse de populations de passage et les Bulgares et les
Slaves ne recevront généralement «le baptême du Christ» que beaucoup
plus tard.
Une dernière conclusion s'impose : les morts inhumés dans le
caveau de Cernavoda n'étaient point des prosélytes mais des adeptes de

89 Iorgu Stoian, BOR, LVI, 1938, p. 329-345.


90 Sur la vie et la doctrine d'Ulfila, voir CE., BOR, XXII, 2, 1898, p. 121-152; Idem,
BOR, XXII, 3, 1898, p. 273-301; Idem, BOR, XXII, 4, 1898, p. 370-397; Idem, BOR, XXII,
6, 1989, p. 506-517.
91 1. Barnea, op. cit., p. 480; Idem, Les monuments. . ., p. 160.
92 A Axiopolis est assurée la construction, ex novo d'une fortification : A. Aricescu, op.
cit., p. 126; I. Barnea, DID, 2, 1968 p. 425.
93 L'analyse anthropologique fournira, sans doute, de nouvelles données en ce sens.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2591

longue date de la religion chrétienne, croyance transmise à travers les


siècles par les générations antérieures auxquelles ils étaient liés.
En conclusion il faut mettre en évidence le fait que cette
découverte représente, jusqu'à maintenant, le plus récent monument chrétien
découvert en Scythie Mineure, contribuant à une meilleure
connais ance de l'histoire de la Dobroudja, et constituant une véritable preuve de
continuité dans cette région.

A Callatis (Mangalia), un autre centre important du Pont-Euxin


occidental, sont apparus dernièrement plusieurs monuments chrétiens.
Les fouilles de sauvetage ont mis en évidence quelques importants
tombeaux à chambre voûtée et dromos. Nous allons présenter, dans ce qui
suit une de ces constructions funéraires94.
La construction a été découverte à 1,20 m sous le niveau actuel du sol et
consistait en une chambre rectangulaire, longue de 3,60 m, large de 2,30 m et
atteignant une hauteur de 2,18 m à la clef de voûte. Faite de petits blocs
calcaires, soigneusement façonnés, liés au mortier blanc avec traces de briques
broyées, la chambre funéraire présentait un plafond voûté crépi d'un liant
blanc-grisâtre de mauvaise qualité, contenant beaucoup de paille.
L'accès depuis le niveau antique du sol, situé à -1 m par rapport au niveau
actuel, se faisait par l'intermédiaire d'un couloir (dromos) de 3 m de long,
pourvu de cinq marches qui descendaient jusqu'à la cote de -2,20 m. L'entrée
dans la chambre funéraire se faisait par l'Est, la voie d'accès étant close par
une dalle calcaire. Le couloir d'accès est couvert de trois dalles en pierre. Au-
dessus de l'entrée ainsi que sur les murs latéraux du dromos sont peintes, en
rouge, des croix pattées présentant des hastes élargies aux bouts, une de
chaque côté. Au-dessus de la croix centrale figure une inscription en grec, peinte
en rouge également :
Κύριε βοήθε μου
κε λυτρώτε μου (fig. 22).

Dans les deux lignes, le pronom est transcrit par une ligature, on traduira :
«Seigneur, aidez-moi et lavez-moi!» (dans le sens de «sauvez-moi!»).
L'originalité de la chambre funéraire consiste dans la présence à la
hauteur de l'entrée, sur les murs est et ouest, de quatre loculi, contenant les
dernières inhumations, au nombre de neuf. Chaque mur de la chambre comportait,

94 Les fouilles de sauvetage qui ont mené à la découverte du tombeau hypogée ont été
dirigées par N. Chelu^ä-Georgescu qui nous a aimablement fourni toutes les données et
les informations, et que nous tenons à remercier ici.
2592 ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

Fig. 22 - Entrée du caveau de Callatis avec inscription grecque.

dans la zone centrale, une croix peinte en rouge. Sur le mur ouest, à 1,20 m
au-dessus du sol, toujours peinte en rouge, figure une autre inscription
grecque :
t ΟΥ ΦΟΒΗΘΟΟΜΕ ΚΑ
t Ι ΚΥΡΙΕ
t ΚΑ ΟΤΙ CY ΜΕΤΕΜΟΥ

Par conséquent: όΰ φοβηθήσομε κάτι κνριε t κα όΐς σνμετ' έμδυ «je n'aurai pas
peur, Seigneur, puisque vous (êtes) avec moi».
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2593

L'état du monument au moment de la découverte, confirmé par des traces


de réfection, visibles autant dans la chambre funéraire que dans le dromos,
indique au moins deux phases distinctes dans le déroulement des travaux. Il est
plus difficile de déterminer l'intervalle de temps qui sépare les deux phases
d'autant plus que la date du mobilier funéraire de la première phase est plus
incertaine que celle de l'inscription qui appartient à la seconde.
Pour la première phase on a relevé, aux quatre angles de la chambre
funéraire, la présence de 1 1 squelettes, rasemblés dans des fosses pratiquées dans le
pavement. Associés à ceux de l'angle sud-est on a découvert une
croix-reliquaire en or, avec au centre une pierre rouge.
Pour procéder aux inhumations de la deuxième phase on a rassemblé les
1 1 squelettes et on les a réinstallés aux quatre angles avec leur mobilier
funéraire; ensuite on a creusé dans le mur les huit niches de forme carrée où ont
été placées quatre poutres soutenant le plancher et, enfin, on a enduit la voûte
ainsi que les parties centrales des quatre murs sur lesquels ont été peintes des
croix et, surtout, a été tracée l'inscription faite avec de la couleur rouge. Le
mobilier funéraire trouvé auprès des défunts de la deuxième phase consiste
dans plusieurs fragments de vases en céramique d'usage domestique et un vase
cylindrique de bronze qui a pu servir comme petite veilleuse, d'autant plus que
sur un mur proche du vase on a pu observer des traces de fumée déposées sur
le crépi.
Un parallèle sommaire entre les écritures des deux inscriptions nous
montre qu'ils ont été tracés en même temps et par la même main.
Il existe un élément qui nous détermine à supposer qu'il y a eu aussi une
troisième phase d'inhumation : autour de la croix centrale de l'entrée dans le
dromos conduisant vers la chambre funéraire a été tracé, par incision un cercle
dans lequel s'inscrit cette croix. C'est sans doute lorsqu'on a incisé le cercle que
l'on a procédé à la dernière inhumation; après quoi on a fermé définitivement
aussi bien l'entrée dans le dromos que celle dans la chambre funéraire.

Le type de tombeau hypogée, bien attesté dans la nécropole roma-


no-byzantine de Callatis95, renforce l'idée d'une vie économique
florissante, d'une vie spirituelle intense et atteste également l'existence de
familles riches qui faisaient bâtir de tels monuments funéraires.

Sucidava (Izvoarele, département de Constantza).

A cause d'un glissement de terrain survenu au printemps de 1984,


dans la faille d'une rive du Danube, près de la localité de Izvoarele (Pîr-

95 C. Preda, Callatis. Necropola. . ., p. 16-17, fig. 4.


2594 ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

Fig. 23 - Cuillers du trésor de Sucidava (photographie).

joaia), dans la cité voisine, identifiée depuis longtemps comme l'antique


Sucidava, a été découvert un important trésor d'argent, composé de 17
pièces, réparties comme il suit : 6 petites cuillers, 6 bols, un broc de
dimensions relativement grandes, un autre, petit, à bec trilobé, une
patere, une passoire et un reliquaire. Nous allons présenter
succinctement chaque catégorie d'objets et faire quelques brèves considérations
historiques96.

1) Les cuillers (fig. 23).

A première vue, les six exemplaires semblent identiques mais une


observation plus attentive nous détermine à constater l'existence de différences pour

96 Le trésor d'argent de Sucùfova-Izvoarele a été amplement décrit, analysé et


interprété par A. Radulescu et Traian Cliante dans leur étude intitulée Tezaurul de la Sucida-
va-Izvoarele (jud. Constanta), sous presse dans Pontica, 19.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2595

les dimensions, le décor ou les inscriptions figurant sur certaines pièces. Toutes
les pièces présentent un cuilleron ovoïde allongé et des manches minces; de
section carrée elles sont décorées de cinq à huit cannelures longitudinales. Les
liaisons entre les cuillerons et les tiges se font par l'intermédiaire d'un orne-

—Φ

0 1 2 3 cm

Fig. 24-25 - Cuillers du trésor de Sucidava (dessins).


2596 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

ment, en forme de volute, sur lequel ont été réalisées, en pointillés, les
inscriptions BIKT, sur un exemplaire (fig. 24), ou NAZ, sur quatre pièces (fig. 25).
De telles pièces, nombreuses sur le territoire de l'Empire romano-byzantin,
apparaissant, le plus souvent, de façon isolée97, mais quelquefois elles entrent
dans la composition de dépôts d'argenterie, comme par exemple à Canoscio98
(Italie), Mildenhall " (Angleterre), Kaiseragst 10° (Suisse).
Sur le territoire de la Roumanie on connaît plusieurs exemplaires, la
plupart provenant de découvertes fortuites, telles les pièces découvertes à Dier-
na 101 et Botosani 102.
Les comparaisons plaident en faveur d'une datation dans la seconde motié
du IVe siècle de notre ère.
Quant aux inscriptions tracées sur les volutes de cinq exemplaires, elles
témoignent d'une pratique habituelle et répandue103. Dans notre cas,
l'inscription BIKT peut être facilement complétée pour donner l'anthroponyme
BIKT(op), probablement le nom du possesseur initial. Rappelons que ce nom,
également celui d'un propriétaire, a été trouvé sur des pièces semblables
découvertes à Rome104, Mayence105, Saint-Germain-en-Laye 106.
Dans le deuxième cas, l'inscription comprend seulement trois lettres qu'on
peut compléter pour obtenir le mot grec ΝΑΖ(αζ(ψεος), tiré de l'épithète de
Jésus, ce qui nous semble très probable, étant donnée la provenance orientale
des objets. Mais nous ne pouvons pas non plus exclure les formes latines
NAZ(arius), NAZ(arinus) ou NAZ(arianus) , noms proposés aussi pour compléter
une inscription de Tomis107; l'usage du latin est vraisemblable si l'inscription
été exécutée dans le milieu latin de Sucidava.

97 V. Miloicic, Bericht der Römisch-Germanischen Kommission, 49, 1968, p. 111-146.


98 E. Giovagnoli, RAC, 12, 1935, p. 313-328; Idem, // tesoro eucaristico di Canoscio,
Città di Castello, 1940.
99 I. W. Braisford, The Mildenhall Treasure : A Reconsideration, British Museum
Quarterly, XXXVII, 1973, p. 154-180; Idem, The Mindenhall Treasure, British Museum
Publications, London, 1977.
100 R. Laur-Belart, Der spätrömische Silberschatz von Kaiserangst, Aargau, Äugst,
1963.
101 D. Scherlock, Bericht der Römisch-Germanischen Kommission, 54, 1979, p. 203-
211.
102 L. A. Matzulewitsch, Pamiatniki Gosudarstvenogo Ermitaja, II, 6, 1926, p. 18.
103 V. Miloicic, op. cit., loc. cit. ; D. Scherlock, op. cit., loc. cit.
104 Sur l'exemplaire de Rome, le nom est écrit en caractères grecs, tout comme celui
de Swcicfova-Izvoarele, cf. Ibidem, p. 206.
105 V. Miloicic, op. cit., p. 146.
106 F. Cabrol, H. Leclerq, Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, tome 3, 2e
partie, Paris, 1914, col. 3176; V. Miloicic, op. cit., loc. cit.
107 Em. Popescu, Inscriptiile . . ., p. 76-77, n° 40.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2597

Puisque sur cinq des six petites cuillers qui entrent dans la composition de
notre trésor nous trouvons inscrits deux noms différents, nous sommes enclins
à croire qu'initialement, elles se seraient trouvées en possession de deux ou
plutôt de trois propriétaires, mais nous ne pouvons savoir si ceux-ci - même s'ils
étaient chrétiens - les ont employées pour l'Eucharistie ou comme de banals
couverts de table. L'inscription Φος que nous pensons pouvoir lire dans le cuil-
leron d'un des exemplaires, serait susceptible de constituer un indice
d'utilisation - et pas seulement de ce seul objet - pour l'eucharistie, comme on le
suggère dans la littérature spécialisée.

2) Les bols (fig. 26-32).

Sur les six exemplaires qui entrent dans la composition du trésor, quatre
ont une forme et des dimensions identiques: diam. : 16,5 cm; larg. : 17,3 cm.
(fig. 26-29). Le corps, travaillé par martelage et polissage, est
approximativement tronconique, légèrement arrondi vers la base, à fond plat, sur laquelle
était soudé un pied annulaire, relativement haut et évasé vers la base. Le
rebord plat, assez proéminent, a une circonférence arrondie, légèrement
surélevée, et descend ensuite presque parallèlement aux parois du vase. La coupe
présente, comme décor central, quatre cercles concentriques incisés. Le rebord
est décoré d'une bande de cannelures, disposées de façon radiale entre deux
lignes incisées; vers les bord apparaissent une succession de cannelures et de
moulures disposées de façon concentrique. Les quatre vases ont été marqués de
la même estampille appliquée au revers. L'estampille est de forme circulaire et
porte, au centre, une croix en relief et une inscription dont sont conservées les
lettres HC. ΧΙΟΥ (fig. 32, 1-4). Selon toute probabilité, l'inscription pourrait
être complétée HC[YJXIOY : «d'Esychios». Le nom au génitif pourrait indiquer
le fabricant du vase mais on ne saurait non plus exclure la possibilité que le
timbre en question ait été appliqué sur la feuille d'argent avant sa
transformation, comme une marque de la qualité du métal108.
Du point de vue de la forme, les quatre vases ressemblent beaucoup à
certains exemplaires du trésor de Kaiseraugst, daté du début de la seconde moitié
du IVe siècle109, tandis que le décor de cannelures disposées de façon radiale
apparaît sur le plat de Cesena, à la fin du même siècle110. Tenant compte de ces

108 L. Matzulewitsch, Byzantinische Antike, Berlin-Leipzig, 1929, p. 2.


109 L. Laur-Belart, op. cit., passim.
110 P. E. Arias, Annuario della Scuola Archeologica di Atena e della missione italiana in
Oriente, XXIV-XXVI (VIII-X), Rome, 1950, p. 343, fig. 1, 2.
2598 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

Fig. 26-29 - Les quatre bols identiques du trésor de Sucidava.

deux éléments de comparaison, et du fait que le type d'estampille appliqué sur


les quatre vases - du moins selon la bibliographie consultée jusqu'à présent111 -

111 Nous nous référons en particulier à L. Matzulewitsch, op. cit., passim, ainsi qu'à
certains ouvrages dans lesquels est publiée l'argenterie du VP siècle avec des pièces à
monogramme datant de la même période : N. Firatli, Akten des VII Internationalen Kon-
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2599

ne paraît pas être trop tardif, nous datons ces bols de Sucidave-lzvoarele de la
seconde moitié, éventuellement la fin du IVe siècle de notre ère.
Le cinquième bol (diam. : 21,5 cm et 8,7 cm de haut.) (fig. 30) est de
dimensions un peu plus grandes. Son corps est tronconique arrondi vers la base; le
fond est plat. Le rebord horizontal, largement débordant, présente sur son
extrémité une moulure pleine, légèrement surélevée. Le fond est décoré, dans
sa partie centrale, de trois cercles concentriques et le rebord, d'une bande de
cannelures disposées de façon radiale. L'extrémité de ces cannelures est
délimitée vers l'extérieur par une ligne pontillée. Le vase a été marqué, au revers,
d'une estampille de forme légèrement ellipsoïdale, contenant, dans sa partie
supérieure, écrit en relief, disposé en deux lignes, le nom EYC/EBIOY (fig. 32,5)
avec epsilon et sigma lunaires. Dans le registre inférieur a été figurée, toujours
en relief, une croix encadrée de deux petites étoiles à huit pointes. Puisque la
forme présente des différences minimes avec celle des quatre premiers bols et
que le décor est pratiquement identique, nous sommes enclins à croire que le
cinquième exemplaire peut être placé aussi du point de vue chronologique dans
la seconde moitié du IVe siècle. Evidemment, il n'est pas à exclure une certaine
différence chronologique pour la fabrication de cette pièce mais elle ne saurait
être trop importante. L'élément qui la différencie des autres pièces est
l'estampille qui, dans ce cas, indique un atelier.
Enfin, le sixième bol (diam. : 14,5 cm pour une hauteur de 5,7 cm) (fig. 31)
se distingue des autres tant par ses dimensions que par le décor. Il a un corps
en forme de tronc de cône, arrondi à la base et un fond plat. Le pied,
annulaire, relativement haut, est aussi tronconique et légèrement évasé. Le rebord
horizontal est très large et de profil courbe; il est décoré de trois cercles
concentriques incisés et d'une file de perles, réalisée par pressage. Trois cercles
concentriques dans la partie de la coupe complètent ce décor. Sur le bord
inférieur du pied a été tracée en pointillés l'inscription NAZ et au revers de la
coupe, a été tracé, maladroitement, le mot ZOH, «vie». Le vase ne porte pas
d'estampille.
L'inscription NAZ se complète, comme dans le cas des quatre cuillers
présentées plus haut, pour donner un anthroponyme comme ΝΑΖ(αρεως) ou
NAZ(arius), NAZ(arinus), NAZ(arianus) , déjà cités plus haut, indiquant
probablement le même possesseur. La graphie, différente de celle des cuillers, nous
incite à supposer soit une possible exécution du bol dans un autre atelier, soit
des inscriptions sur les deux catégories d'objets faites par des «mains»
différentes.

gresses für Christliche Archäologie, Trier, 1965, p. 523-525, fig. 4-6 et 11-12; T. Gherasimov,
Izvestiia na Archeologhiceskaia Institut, XIX, Sofia, 1967, p. 200-205; P.C. Finney, RAC,
LVIII, 1982, p. 383-407. Des ouvrages spécialisés sur ce sujet, par exemple Byzantine
Silver Stamps, ne nous ont pas été accessibles.
2600 ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

Fig. 30 - Grand bol à cannelures.

Bien que, par ses dimensions et son décor, ce sixième bol se distingue des
autres, sa forme n'est guère différente. La ligne de demi-sphères (ce qu'on
appelle «décor-perlé» constitue un des motifs le plus souvent rencontrés parmi
les ornements de l'époque. Révélateur est en ce sens le trésor de Mildenhall,
daté du IVe siècle, dont la plupart des pièces portent le décor mentionné. Un
exemplaire identique à celui de Sucidava, découvert en Syrie, avec des mon-
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2601

Fig. 31 - Bol à décor perlé.

naies de Gratien (375-382) et Valentinien (388-392) a été daté de la fin du IVe


siècle112. Enfin, à Alésia, le même type de bol à décor perlé apparaît dans un
contexte daté de la fin du IVe siècle - début du Ve siècle de notre ère113.

112 H. Schlunk, Kunst der Spätantike im Mittelmeerraum, Berlin, 1939, p. 38-39, n° 105,
pl. 26; le vase présente en pointillés, l'inscription : ABAAATOC COPATICEN.
113 J. Le Gall, Un service eucharistique au IVe siècle à Alésia, dans Mélanges J. Carcopi-
no, Paris, 1966, p. 613-628, fig. 3.
2602 ADRIAN RADULESCU ET VIRGIL LUNGU

Par analogie, il est très possible que l'exemplaire de Sucidava se place


entre la fin du IVe siècle et les premières années du Ve siècle de notre ère.
Pour les six bols, nous pouvons considérer qu'ils ont pu être produits à
partir du milieu du IVe siècle jusqu'à sa fin, peut-être même durant les
premières années du siècle suivant. Le fait que, sur les six exemplaires, cinq ont été
marqués de deux types d'estampille - le sixième n'étant pas estampillé - met en
évidence leur provenance de deux ateliers différents. Nous ne pouvons
connaître qu'un des possesseurs initiaux; nous ne pouvons pas non plus dire si à cette
époque-là les objets en question ont été employés comme de la simple vaisselle
ou ont pu être utilisés pour pratiques liturgiques spécifiques au culte chrétien.
Nous croyons qu'on leur a doné cette deuxième destination à une période plus
tardive où, par don ou par acquisition, ils sont devenus la propriété de l'Église,
dans notre cas celle de Suctdava114.

Fig. 32 - Estampilles des bols de Sucidava.

3) La grande oenochoé (n° d'inventaire 33717) (fig. 33).

Elle est exécutée toujours selon la technique du repoussé (dimensions :


hauteur: 27,5cm; diamètre: 15,7cm). La panse, sans décor, est piriforme et
plus large dans la partie supérieure. Le col, tronconique et haut, se termine par
un rebord évasé et recourbé. La base est légèrement élargie et concave. L'anse,

114 P. Diaconu, BOR, 81, 5-6, 1963, p. 546-548, fig. 1. Pour l'identification de la cité de
Sucidava comme centre episcopal, voir Em. Popescu, Studii Teologice, XXXII, 1980,
p. 590-605.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2603

Fig. 33-34 - Grande et petite œnochoés de Sucidava.

faite d'une épaisse feuille d'argent, présentant deux têtes de griffons aux
extrémités, a été décorée à la partie supérieure, par martelage, en forme de sarment
de vigne. Façonnée approximativement pour former un angle droit, décorée de
quatre cannelures longitudinales, elle descend presque verticalement.
L'extrémité inférieure, cordiforme, s'attache à la partie supérieure du vase. Le col est
décoré d'une succession de cannelures horizontales, disposées en trois
registres. L'objet n'est pas estampillé.
L'oenochoé de Sucidava-lzvoarele se rapproche, par ses dimensions et
forme, de celle qu'on a découvert à Water Newton, en Angleterre, qui est datée du
IVe siècle de notre ère115 mais s'en distingue par le décor. D'autre part, le
même type de vase - présentant une panse différente mais une anse semblable

115 K. S. Painter, RAC, LI, 1975, p. 333-345, fig. 4; Idem, The Water Newton Early
Christian Silver, Londres, 1977, p. 12-13, pi. 5.
2604 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

- se rencontre à Trêves116 et près d'Antioche, à Daphné-Harbie117, les deux


exemplaires étant placés au IVe siècle de notre ère; à Pietroasa la datation se
place plutôt dans la seconde moitié du IVe siècle, jusque vers l'an 400 de notre
ère118. Si l'on tient compte des ressemblances de forme, décor, exécution avec
les vases mentionnés, nous croyons que le broc de Sucidava-lzxoarele peut être
aussi attribué à la même période.

4) Le petite oenochoé trilobée et la patere.

Ils nous fournissent, dans le contexte du trésor de Sucidava, quelques


éclaircissements essentiels sur leur appartenance et sur la signification
économique de tout l'ensemble.
L'oenochoé (numéro d'inventaire 33714) (fig. 34) est haute de 10,6 cm pour
un diamètre maximum de 7,6 cm. Exécuté par martelage, l'objet est fait en tôle
d'argent. Le corps du vase, piriforme, atteint son diamètre maximum à la
partie supérieure. Le fond est plat. Le col, relativement haut et évasé, se termine
par une embouchure trilobée dont le bord s'élargit au-delà du col. L'anse, faite
d'une épaisse tôle d'argent, est légèrement surélevée et est attachée sous le
bord et à la partie supérieure de la panse. A partir de la base, le récipient est
décoré de trois bandes torsadées en relief disposées horizontalement, en
alternance avec deux champs d'hexagones en relief, disposés verticalement. Le col
du vase a été orné dans les espaces restant libres entre les lobes de motifs
géométriques et végétaux. L'anse, terminée à la base par un disque concave, porte,
tracé en pointillés, un rinceau de vigne très stylisé. Sur le fond du vase a été
imprimé un timbre rectangulaire, contenant une croix flanquée de deux petites
étoiles à huit pointes, toutes les deux exécutées en relief. Toujours en relief est
inscrit, au génitif, le nom ΚΩΟΤΑΝ/ΤΙΝΟΥ (fig. 32,6). A côté du timbre
apparaît très légèrement incisée la lettre Σ (?).

La patere (inventaire n° 33715) (fig. 35) a les dimension suivantes: 4,4cm


de hauteur, 21,6 cm de longueur; le diamètre de la coupe mesure 13 cm. La
coupe, exécutée par martelage, présente un ensemble ornemental fait d'un
champ de cannelures disposées de façon radiale. Le champ comporte au centre
un médaillon sur lequel ont été imprimés, par estampage, un cratère où deux

116 R. Schindler, Landesmuseum Trier. Führer durch die vorgeschichtliche und


römische Abteilung, p. 79, fig. 242; F. Baratte, Römisches Silbergeschirr in der gallischen und
germanischen Provinz, Stuttgart, 1984, p. 93, fig. 41.
117 M. C. Ross, Catalog of the Byzantine and Early Medieval Antiquities, The
Dumbarton Oaks Collection, I, Washington, 1962, p. I, pi. 1.
118 K. Horedt, AMN, 6, 1968, p. 549-552; R. Harhoiu, The Treasure from Pietroasa.
Romania, Oxford, 1977, p. 8-9, pi. 11.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2605

Fig. 35 - Patere de Sucidava.


2606 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

colombes viennent boire. Le pied annulaire du vase est tronconique et


légèrement évasé vers la base. Le manche, fait d'une épaisse feuille d'argent, est
soudé à la coupe au niveau du rebord, horizontal. A son extrémité, le manche est
légèrement évasé. Le décor est constitué du même rinceau de vigne stylisé,
encadré par une ligne de cannelures et de cercles tracés dans la masse du
métal. Au revers du manche a été appliquée une estampille identique à celle
imprimée sur le fond du petit broc trilobé (fig. 32,7). Au-dessus de l'estampille
a été incisée superficiellement la lettre Σ.
La ressemblance des motifs décoratifs, des proportions mais surtout le fait
que les deux vases portent des estampilles identiques démontrent qu'ils sont le
produit du même atelier, constituaent un ensemble et sont employés en même
temps. D'ailleurs une situation identique existe dans le cas du célèbre trésor de
Malaïa Perescepina119. En faisant un parallèle avec deux des pièces de ce
trésor, la patere (το χέρνιβον) et le broc (d ζέστης) composent l'ensemble (το χερνι-
βόξεστον), employé par les prélats pendant l'office liturgique120.
Le décor des deux vases comprend plusieurs éléments - colombes, cratère,
rinceau de vigne - largement répandus dans le répertoire des images
paléochrétiennes; c'est pourquoi une tentative de datation à partir de ces éléments
s'avère pratiquement impossible. Mais le type de timbre appliqué sur l'oeno-
choé et sur la patere est très proche, par ses éléments, des estampilles
appliquées sur les bols. Cette circonstance plaiderait pour la datation de l'ensemble
dans une période peut-être contemporaine de celle ou l'on a réalisé les bols ou
peut-être immédiatement postérieure à celle-ci.

5) La passoire (n° d'inventaire 33716) (fig. 36).

C'est une pièce de dimensions relativement grandes : longueur 16 cm;


longueur de la coupe 6,8 cm. (fig. 36). Le cuilleron ressemble à celui d'une cuiller
ordinaire. Le manche, en forme de feuille, a des contours dentelés et se
termine par un motif décoratif sphéroïde. Quatre perforations disposées
latéralement lui donnent l'aspect d'une feuille de vigne, stylisée. A l'intérieur de la
coupelle, il existe quelques symboles chrétiens joliment incisés : transversalement
est représenté un cratère où boivent deux paons, chacun se superposant à
l'image d'un poisson. La pièce ne porte pas de traces d'estampille. En
comparaison des cuilleurs, les passoires apparaissent en beaucoup plus petit nombre,
soit de façon isolée, soit dans le contexte de dépôts d'argenterie comprenant
des pièces de facture diverse121. Elles peuvent posséder une coupelle en demi-

119 L. Matzulewitsch, op. cit., p. 85.


™ Ibidem, p. 82, pi. 17-18, fig. 13-14; I. Barnea, op. cit., p. 225, fig. 83-84.
121 V. Miloicic, op. cit., p. 113.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2607

Fig. 36 - Passoire de Sucidava.

sphère et un long manche, comme on le voit dans les trésors de Water


Newton 122 ou Canoscio 123 ou une coupelle piriforme, sur le modèle du second exem-

122 K. S. Painter, op. cit., p. 338, fig. 6; Idem, The Water Newton Early Christian Silver,
London, 1977, p. 13, pi. 7.
l" E. Giovagnoli, RAC, 12, 1935, p. 315, fig. 2.
2608 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

plaire du trésor de Canoscio124. Ce dernier, daté des Ve- VP siècles de notre

acquise
ère125,
techniques
croyons
notre
Il est d'exécution
ère,
difficile
separ
que
rapproche
enl'Eglise,
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tenant
d'établir
etexemplaire
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de
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deSucidava-lzvoarele.
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culte.
forme,
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du
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siècle
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aNous
été
de

6) Le reliquaire (n° d'inventaire 33719) (fig. 37).

s'adapte
l'objet
2,8
c'estcm.
côtés
différentes
àC'est
una6,2
la base
L'attache,
coffret
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sont
6,6
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modelée
approximativement
cm.
: 6enχobjet
La
tôle
6,1
du
en hauteur
cm;
du
coffret
forme
d'argent,
trésor
à la(fig.
d'un
partie
atteint
de
parallélipipédique.
large
38).
Sucidava.
tronc
supérieure
5,5
Parcm.
de de
1,4
martelage,
pyramide,
Pièce
cm,
Leelles
couvercle
et
typiqument
Les
sont
travaillée
ladimensions
d'une
partie
légèrement
(6,5
hauteur
centrale
àchrétienne,
χla 6des
partie
6 cm)
de

Fig. 37-38 - Le reliquaire de Sucidava. Vues latérale et du couvercle.

124 Ibidem, loc. cit.


125 Ibidem, p. 321.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2609

supérieure en forme de volute, est fixée verticalement sur le coffret. La


hauteur totale de la pièce est de 7,6 cm. Les surfaces du coffret ainsi que les côtés
du couvercle présentent un décor incisé, comprenant des formes géométriques
et végétales typiques des débuts de l'art chrétien. Ce décor est inscrit, suivant
les circonstances, dans un cadre double, rectangulaire (sur chacun des quatre
côtés du coffret) ou trapézoïdal (sur le couvercle). Sur trois des quatre côtés, le
coffret et le couvercle portent le même décor. Mais sur la face antérieure de la
cassette, l'on constate des différences : sur la face antérieure du coffret est
représenté, à l'intérieur du cadre, un losange aux côtés légèrement courbes,
bordés par deux incisions; ce losange est placé entre des éléments décoratifs à
caractère végétal. A l'intérieur est inscrit le christogramme, dont la boucle du
rho est ouverte. Sur le côté correspondant du couvercle est figurée une croix
aux hastes légèrement pattées. Les côtés portent un décor identique, fait d'un
réseau de cercles sécants et croix stylisées. Enfin, sur la quatrième face le
décor est réparti en deux registres identiques, superposés, contenant chacun
quatre cadres rectangulaires, disposés verticalement; ils sont séparés par des
cannelures aplanies. A l'intérieur de chaque cadre il y a quatre ellipses
disposées en croix. Au revers du coffret a été figuré, un carré fair de cannelures.
Parmi les nombreux exemplaires de reliquaires découverts jusqu'à présent,
deux sont comparables, tant pour la forme que pour le décor, avec celui trouvé
à Sucidava.
Le premier d'entre deux, découvert en Bulgarie, provient d'un tombeau
daté du milieu du IVe siècle126; le deuxième vient d'Orient127 et est placé à la fin
du IVe siècle ou au début du Ve siècle.
Le fait que le reliquaire de Swcidûva-Izvoarele ressemble beaucoup pour la
forme mais surtout par son décor aux deux exemplaires mentionnés plus haut
nous indique qu'il s'apparente à un type répandu pendant la seconde moitié du
IVe siècle et au début du Ve siècle de notre ère.

Considéré dans son esemble, le trésor de Sucidava-lzvoareL· se


signale par la rareté des types d'objets et des exemplaires qui le
composent, et nous offre même, dans certains cas, des variantes nouvelles de
ces catégories. En observant attentivement chaque pièce, nous
remarquons l'existence de différences dans l'exécution ou dans la conception
du décor, dans l'estampillage ou le traitement des différentes
inscriptions. Les trois types d'estampilles appliquées sur cinq des six bols, sur
la patere et sur la petite oenochoé a bec trilobé attirent particulière-

126 H. Buschhausen, Die spätrömischen Metallscrinia und frühchristlichen Reliquarien,


Wien, 1971, p. 265, n° c 2.
"7 Ibidem, p. 270-271, n° c 4.
2610 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

ment l'attention, indiquant, croyons-nous, les noms de trois fabricants


différents. Quant aux ateliers où les objets ont été confectionnés,
d'après les études faites jusqu'à présent sur des trésors ou des pièces
d'argenterie découvertes isolément, datant des IVe-VIIe siècles et
portant, de toute évidence, l'empreinte du christianisme, nous acceptons
l'idée qu'ils appartiennent à la partie orientale de l'Empire, où l'activité
des artisans connaît, à partir du IVe siècle - et surtout durant les deux
siècles suivants - un développement sans précédent. Aux Ve- VIe siècles,
les ateliers d'Antioche jouissent d'une réputation extraordinaire128.
Mais ces ateliers ne sont point les seuls producteurs d'argenterie de
l'Orient chrétien. Une production de grande valeur artistique est
fournie par Alexandrie et, à plus forte raison, par Constantinople129. Les
maître de Palestine et, en particulier, ceux de Jérusalem sont célèbres
pour leurs reliquaires qu'ils décoraient d'une manière tout à fait
particulière130. Parallèlement, nous n'excluons pas l'existence d'ateliers dans
d'autres zones, par exemple dans le Pont-Euxin131. La présence de ce
grand nombre d'ateliers dans l'Empire d'Orient constitue, en elle-
même, la preuve d'un commerce florissant des objets d'argent qui se
répandront dans tout l'Empire, mais également au-delà de ses
frontières, échanges commerciaux auxquels les provinces danubiennes
participeront pleinement; une preuve éloquente en est fournie par les
découvertes de trésors, comme on en rencontre à Malaïa Perescepina, à Suci-
dava-ïzvoarele, à Dierna, à Sadovät (Bulgarie).
Une datation très précise du trésor de Sucidava-lzvoarele est
difficile puisque les objets en argent sont, en général, fabriqués en nombre
et en quantités limités par comparaison avec les autres, par exemple
ceux en terre cuite, pour lesquels on peut trouver assez facilement des
comparaisons. Certes, on peut constater l'existence, même parmi les
pièces en argent, de formes faites en grande série, ce qui est le cas des
cuillers à ornement de liaison en volute qu'on rencontre, à partir du
milieu du IVe siècle de notre ère, un peu partout à travers l'Europe.
Mais d'autres - tels les bols à décor perlé - sont produits, semble-t-il,
en séries assez limitées et d'autres, comme le reliquaire, peuvent même
être uniques.

128 L. Bréhier, Gazette des Beaux-Arts, 1, 1920, p. 173-176.


129 Ch. Diehl, Syria, II, 1921, p. 94; Idem, Manuel d'art byzantin, p. 284-299.
130 A. Grabar, L'âge d'or de Justinien, Paris, Gallimard, 1966, p. 313.
131 P. E. Arias, op. cit., p. 344.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 261 1

Pour cerner chronologiquement le mieux possible ce trésor, nous


avons examiné, en premier lieu, les similitudes existant entre ses
composantes et d'autres pièces, découvertes antérieurement, surtout pour
certains éléments de décor, par exemple le rebord perlé, le registre de
cannelures radiales, le rebord surélevé ou le manche soudé à angle
droit, que nous rencontrons souvent dans les trésors des IVe- Ve siècles
de notre ère. S'y ajoutent une série d'éléments puisés parmi les images
paléochrétiennes largement répandues à l'époque : la croix aux
extrémité patteés, le christogramme, le paon, le poisson, le cratère, le
rinceau de vigne ou différentes figures géométriques stylisées. Compte
tenu de tous ces éléments, la datation des pièces qui composent le
trésor de Sucidava dans la seconde moitié du IVe siècle et la première
moitié du Ve siècle nous paraît la plus raisonnable.
En ce qui concerne la destination des 17 pièces, il est clair que la
plupart trouvent leur équivalent dans d'autres trésors d'argenterie
découverts ailleurs, ce qui ne nous paraît pas fortuit. Considérés
séparément, pour la plupart, ces objets auraient pu être employés aussi à des
fins profanes. Mais envisagés ensemble, ils forment un tout qui revêt
une autre signification. Il est évident que certaines des pièces du trésor
de Sucidava-Izvoarele remplissent la même fonction que d'autres, plus
ou moins similaires, appartenant aux trésors de Malaïa Perescepina,
Canoscio, Water Newton, etc. En général on considère que l'existence
de pareils trésors se justifie par leur emploi dans les églises ou par les
communautés chrétiennes comme vaisselle au cours des agapes des
jours de fête, lors de la célébration du baptême ou de la communion.
L'association, dans le trésor, de catégories d'objets tels les bols, les
cuillers et une passoire, paraît être en concordance avec l'une des formes
d'administration de la communion. Le procédé appelé commixtio
consistait dans le mélange de petits morceaux de pain avec le vin dans
des calices, après quoi on les sortait à l'aide de la passoire et on les
déposait dans d'autres vases; ensuite, sans doute à l'aide des cuillers,
les fidèles recevaient l'eucharistie132. Certains objets, tels l'oenochoé et
le reliquaire, étaient destinés à conserver des liquides - de l'eau ou de
l'huil sacrée -; d'autres (l'ensemble Το χερνιβόξεστον) étaient employés
pour la purification. Que tout l'ensemble ait été utilisé à des fins
liturgiques est indubitable. Cet usage a dû connaître une grande extension à

132 V. Miloicic, op. cit., p. 130-131; E. Giovagnoli, op. cit., p. 315-316.


2612 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

partir de la fin du IVe siècle mais surtout au Ve siècle, lorsque le


christianisme c'est définitivement imposé, devenant déjà la religion officielle
de l'Empire.
Comment les objets sont entrés dans le patrimoine de l'Eglise, voilà
ce qui est plus difficile à établir. Quelques hypothèse s'imposent. Même
sur des catégories distinctes d'objets, il y a des cas où l'on rencontre le
même nom - celui du propriétaire -. C'est le cas des quatre cuillers et
du bol à décor perlé, objets sur lesquels est inscrit le nom de Nazarios.
Celui-ci, tout comme Victor, du reste, aurait pu les offrir, à un moment
donné, à l'Eglise. Mais, tout aussi bien, les deux personnages que nous
venons de mentionner et, peut-être, d'autres propriétaires d'une ou de
plusies pièces, auraient pu les vendre à l'Eglise. D'autre part nous
pourrions supposer que l'Eglise elle-même, assez puissante à un
moment donné, s'est permis d'acheter les objets nécessaires à la pratique
du culte directement chez les fabricants (cf. le cas des quatre bols aux
estampilles identiques, pièces dont la valeur assez élevée ne paraît pas
les désigner comme pouvant faire l'objet d'un don). Enfin, existe
également la possibilité - plus proche de la vérité, croyons-nous - que les
pièces en question soient entrées dans le patrimoine ecclésiastique
autant à la suite de dons faits par les plus aisés des fidèles que par
l'achat de certaines d'entre elles aux fabricants, en fonction des
nécessités de la pratique liturgique. Mais de quel rang est un établissement
religieux possédant un pareil trésor et quelle est son importance? Les
recherches de surface anciennes avalient eu pour résultat la découverte
de vestiges chrétiens d'un intérêt particulier. Le premier et le plus
grand est une basilique de dimensions relativement grandes
(25,5 χ 11,35 m), orientée E-O, à abside circulaire à l'Est. En l'absence
de recherches systématiques, elle a été datée assez approximativement
des IVe-VIe siècles de notre ère133. Les deux autres sont en fait des
calices en pierre, pièces liées directement à la pratique eucharistique, datés
du VIe siècle134. Bien que pour l'instant peu nombreuses, ces
découvertes, auxquelles s'ajoute donc la récente découverte que nous venons de
présenter, suggèrent l'image d'un puissant bastion du christianisme
situé à la frontière de l'Empire avec le monde barbare. De fait, la ville
se situe dans un milieu fortement christianisé. Elle se trouve très près

133 P. Diaconu, op. cit., p. 546-548 et fig. 1 ; I. Barnea, op. cit., p. 161, fig. 55/1.
134 V. Culicä, Pontica, 2, 1969, p. 368-370, fig. 3/1, 4; P. Diaconu, Pontica, 17, 1984,
p. 162, fig. 5.
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2613

d'Axiopolis, où Cyrille, Chindeus et Dasius135 ont souffert le martyre et


où, plus tard, l'un des 15 évêchés de Scythie Mineure136 aura son siège
mais aussi près de Durostorum, non loin de laquelle ont été martyrisés
Maximin, Dadas et Quintilien137 et où les évêques Auxentius, Jacobus,
Monophilus et Dulcissimus déploieront une prodigieuse activité138.
Ajoutons-y le Sait que les témoignages archéologiques sont doublés par
des documents écrits de l'Antiquité tardive nous offrant de précieux
renseignements sur l'organisation ecclésiastique aux Ve-VIe siècles.
L'un d'eux, la Notitia Episcopatum, mentionne, entre les évêchés placés
sous l'autorité du chef religieux de Marcianopolis , le nom de Σεκεδεπον,
représentant sans doute la transcription corrompue de l'éponyme Suci-
dava139. Il est difficile de préciser quand cet évêché a été organisé à
cause de l'imprécision des informations dont nous disposons. Pour une
époque antérieure (le IVe siècle), nous connaissons l'existence d'évêques
à Tomis140 ou Durostorum1*1, mais nous ne saurions avoir la certitude
d'une situation identique pour une ville beaucoup plus petite, telle Suci-
dava. D'autre part, dans son Histoire ecclésiastique, Sozomène,
évoquant la coutume que les églises de Scythie Mineure aient un seul évê-
que, précise qu'ailleurs, il y a des évêques même dans des villages142. Si
l'on tient compte du fait que cette information se réfère à la situation
existant durant la seconde moitié du IVe siècle, époque où Sucidava
était devenue une ville prospère, habitée par une communauté
chrétienne puissante, l'existence, dès cette période, d'un évêché devient
possible.
Un document particulièrement important, quoiqu'il ne fasse pas
allusion à une ville quelconque, est le texte de la loi de 480, promulguée
par l'empereur Zenon143. Son importance consiste justement dans le

135 1. Barnea Studii Teologice, 6, 1954, p. 107, n° 54.


136 A propos de la vie ecclésiastique en Scythie Mineure, voir Em. Popescu, Dacia,
n.s., 13, 1969, p. 403-415; Idem, Studii Teologice, Π, 32, 1980, p. 590-605.
137 R. Vulpe, I. Barnea, DID, II, p. 381.
138 R. Vulpe, HAD, p. 323; R. Vulpe, I. Barnea, op. cit., loc. cit.
139 Carl de Boor, Nachträge zu den Notitia Episcopatum, II, III, Zeitschrift für
Kirchengeschichte, 12, 1891, p. 531 sqq.
140 R. Vulpe, I. Barnea, op. cit., p. 457.
141 P. Diaconu, Pontica, 17, 1984, p. 158-159, fig. 1/2; I. Barnea, Les monuments. . .,
p. 161, fig. 55/1.
142 Sozomène, Kirchengeschichte VII, 19-32, herausgegeben von Joseph Bidez und
Günther Christian Hansen, Berlin, 1960, p. 330.
143 Codex Iustiniani, 1, 3, 35(36), edit. Königer, Berlin, 1954.
2614 ADRIAN RÄDULESCU ET VIRGIL LUNGU

fait qu'elle prévoit certaines conditions dont les cités doivent tenir
compte pour l'organisation des nouvelles circonscriptions
ecclésiastiques. Serait-ce le moment de la fondation d'un évêché à Sucidava?
Nous sommes enclins à répondre affirmativement. La découverte du
trésor d'argenterie le prouve : il ne pouvait appartenir qu'à une des
églises puissantes et riches de la ville, appuyée par une communauté
chrétienne bien constituée.
En conclusion, nous pouvons affirmer que le trésor de Sucidava-
Izvoarele représente le service eucharistique le plus complet découvert
jusqu'à présent sur le territoire de la Roumanie.

Niculitel

Dans le district de Tulcea, sur le territoire de l'ancienne cité de


Noviodunum (Isaccea), à 10 km environ vers le Sud, à la limite N.-E. du
village appelé Niculitel, les fouilles archéologiques commencées en
1971 (et continuées en 1973 et 1975) ont mis en évidence l'existence
d'une crypte avec tombes de martyrs (martyrion) qui se trouvait sous le
sanctuaire d'une église chrétienne, orientée 60° N.-N.-E. Les fouilles de
1971 n'ont exhumé que les fondations de l'abside semicirculaire et
celles d'un petit secteur du naos. Les fondations de l'église, larges de
0,92 m, sont faites de pierres liées au mortier mélangé avec des briques
broyées. L'abside a 6 m de largeur et le naos 12,30 m avec la nef
centrale large de 7,50 m et des bas-côtés larges de 2,40 m chacun. Les fouilles
archéologiques de 1975 ont amené la découverte de quelques autres
tronçons des fondations du naos et on permis de constater que la
basilique avait un narthex et un atrium. La longueur totale de l'édifice était
de 36 m, la largeur de 14 m. Le narthex avait une profondeur de
2,30 m. Le martyrion découvert sous le pavement de la basilique est très
important. C'est une construction de plan à peu près carré, dont
chaque côté mesure environ 3,50 m pour une hauteur de 2,25-2,30 m,
dominée par une coupole de 3 m de diamètre. Ce petit édifice est muni
du côté ouest d'une petite entrée, mais obturée par une dalle calcaire.
A l'intérieur du martyrion, sur le pavement de dalles calcaires, on a
trouvé un grand cercueil trapézoïdal (1,98 χ 1,40 m) contenant quatre
squelettes étendus sur le dos, sans aucun mobilier funéraire.
Sur le mur nord figurait l'inscription: MARTYPEC XPICTOY -
«les Martyrs du Christ» et, sur le mur sud, une autre inscription
mentionnant le nom des quatre martyrs: MAPTYPEC ZQTIKOC, ATTA-
AOC, KAMACIC, OIAIlîllOC. Tous les quatre sont mentionnés dans les
LE CHRISTIANISME EN SCYTHIE MINEURE 2615

textes des Martyrologes à Noviodunum, probablement durant le règne


de Dioclétien.
En 1973, les recherches ont permis de découvrir sous la chambre
contenant le cercueil des martyrs deux autres pièces plus profondes.
Dans celle de droite il y avait deux vases en terre cuite, le premier en
forme d'un tronc de cône, datable du IVe siècle, et le deuxième -
globulaire, à deux anses -, daté des Ve-VIe siècle de notre ère. A l'intérieur
des deux chambres ont été récupérés de menus fragments d'os
humains, mal conservés, ayant appartenu à deux hommes, âgés de 45 à 55
ans.
Toujours dans ces chambres se trouve, sur une dalle calcaire fixée
au mortier, une plaque de marbre portant l'inscription : Τωδε καί ώδε
ΐχώρ Μαρτύρων : «Ici et là (il y a) du sang de martyrs».
Cette découverte de Niculitel, de très grande importance, a été
présentée, au moment opportun, dans différentes publications
spécialisées144.

Enfin, toujours sur le territoire du département de Tulcea, ont été


découvertes plusieurs croix145, objets qui montrent la continuité et le
développement du christianisme roumain aux IXe-XIIIe siècles de notre
ère.

Adrian Rädulescu et Virgil Lungu

144 Bibliographie sélective: V. H. Baumann, Pontica, 5, 1972, p. 457-564; Idem, BMI,


41, II, 1972, p. 17-26; Idem, Dacia, n.s. 16, 1972, p. 189-202; I. Barnea, SCIV, 24, 1973,
p. 464-479; P. Diaconu, SCIV, 24, 1973, p. 633-641 ; V. H. Baumann, BOR, 94, 1976, p. 580-
586; Idem, De la Dunäre la Mare, märturii istorice si monumente de artà crestina, Galatz,
1977, p. 114-116; Em. Popescu, Inscriptiile . . ., p. 276-278; V. H. Baumann, AMN, 14, 1977,
p. 245-255; I. Barnea, Les monuments . . ., p. 91-93, 146-154; Idem, Aria crestina in
Romania, I, Bucarest, 1979, p. 8-9; p. 40, pi. 2; pi. 42, pi. 3.
145 Gh. Mänucu-Adamesteanu, Pence, 9, 1984, p. 243-246.

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