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Le Catholicisme évangélique
Disciples, toujours
Pour l'Église catholique, le prêtre est un vase d'argile contenant un grand trésor
surnaturel. Le prêtre est un alter Christus, un autre Christ. L'ordination au presbytérat
ne change pas seulement un homme en ce qu'il est capable de faire, mais surtout en
ce qu'il est. En effet, ce que font les prêtres catholiques est entièrement dépendant
de ce qu'ils sont. Le prêtre catholique porte le Christ dans le monde, et introduit des
hommes et des femmes de ce monde dans l'amitié avec le Christ par la célébration
des sacrements, par l'enseignement et la prédication, et par l'exercice pastoral de la
charité et de la gouvernance. Ces activités-là sont typiquement presbytérales. Le
prêtre catholique peut les exercer parce qu'il a reçu une configuration particulière au
Christ. La réalité fondamentale du presbytérat est d'ordre sacramentel, et non d'ordre
juridique.
Observons que cette vérité de foi catholique aide à reconnaître l'une des racines de
la crise des abus. Elle éclaire également le problème du cléricalisme, par lequel
l'ordination est perçue comme l'entrée dans une caste où le ministère de charité et
de service est vécu comme un ministère de domination. Si un prêtre ne croit pas que
son sacerdoce rend présent au monde le sacerdoce éternel et salvifique de
Jésus-Christ, alors, dans certaines circonstances culturelles ou institutionnelles (ou
les deux), ses ambitions personnelles risqueront de l'emporter sur ses meilleures
intentions pastorales. Ainsi, une vie initialement offerte au Christ et à l'Église peut se
dénaturer et devenir une vie où le ministère devient un moyen de séduction et de
domination.
Le prêtre doit donc avant tout être un disciple, radicalement converti au Seigneur
Jésus-Christ. Au fil de sa vie, sa conversion doit bien évidemment s'approfondir. Un
homme doit être profondément converti au Christ, vivre en amitié avec lui et avoir
montré un minimum d'aptitude à entraîner les autres dans cette amitié avant qu'il
puisse être considéré comme un candidat au sacerdoce diocésain. Cette exigence
n'était pas évidente dans le catholicisme issu de la Contre-Réforme. Même au XXIe
siècle, malgré le catholicisme évangélique émergeant, elle n'est pas toujours bien
intégrée. Dans les meilleurs de nos séminaires, les étudiants apprennent plus de
choses à propos de l'Église qu'à propos de l'amitié avec Jésus. Pareillement, les
meilleurs diocèses vérifient plus spontanément les aptitudes psychologiques d'un
candidat au séminaire que ses aptitudes à être un disciple missionnaire. Ceci est en
train de changer, mais pas assez vite. À moins qu'un homme ne soit un disciple
chrétien radicalement converti, il ne saurait porter au monde, par le biais de son
ministère, la vérité de « Dieu [qui] a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique,
pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle» (Jn 3,
16).
L'aptitude confirmée des candidats au sacerdoce à attirer d'autres personnes dans
l'amitié avec le Seigneur Jésus doit jaillir de leur propre conversion au Christ. Pour le
catholicisme issu de la Contre-Réforme, les “prêtres missionnaires“ étaient ceux
envoyés aux quatre coins du monde pour convertir les païens. Pour le catholicisme
évangélique du XXIe siècle et au-delà, tout prêtre catholique doit être missionnaire.
Toute terre est une terre de mission, et tous les païens, non-baptisés ou baptisés,
doivent recevoir l'appel à une radicale conversion de vie. Un homme qui se pose la
question du sacerdoce sans comprendre cela (en considérant le presbytérat
seulement comme une carrière avec quelques exigences particulières, tel le célibat)
devrait réfléchir à deux fois, et apprendre à devenir un disciple plus évangélique,
avant de présenter sa candidature.
Célibat et obéissance
La radicale conversion doit donc être une condition de l'accueil dans les ordres dans
le catholicisme évangélique. C'est elle justement qui permet au prêtre d'engager sa
vie dans un célibat perçu comme un signe de contradiction. De ce point de vue, les
prêtres catholiques évangéliques diffèrent des autres catholiques évangéliques
(pour ne pas parler des autres contemporains de la postmodernité). Seulement, cette
différence n'est ni une fin en elle-même, ni une originalité d'une caste. Il s'agit d'une
différence qui vise la conversion du monde, pour qu'il accueille l'Évangile et découvre
la vérité sur lui-même.
La réforme radicale du presbytérat catholique appellera un approfondissement plutôt
qu'un affaiblissement du lien entre célibat et ministère des prêtres.
Les appels à l'abolition de l'engagement au célibat comme condition d'accès à
l'ordination dans le catholicisme de rite latin ont marqué le déclin du catholicisme de
la Contre-Réforme dans la période postconciliaire. Le catholicisme évangélique, lui,
reconnaît dans le célibat des prêtres un aspect essentiel du défi contre-culturel que
l'Église doit lancer au monde postmoderne en lui annonçant l'Évangile. Une vie
ouvertement disposée à dépendre entièrement de Dieu est l'un des signaux par
lesquels le catholicisme défie le nombrilisme du monde postmoderne. Le célibat
témoigne que le chemin vers la bonté humaine se trouve dans le don de soi, et non
dans l'outrecuidance. Vécu dans l'honnêteté et le bonheur, le célibat des prêtres est
un signe puissant dans la culture de l'Ego impérial et autonome.
Le même genre de dynamisme évangélique devra inspirer l'obéissance sacerdotale
dans le catholicisme évangélique de ce siècle et de ceux à venir. Le système clérical
issu de la Contre-Réforme avait tendance à comprendre le célibat comme une
condition d'accès à une caste, et l'obéissance à l'égard des vérités de foi et de la
volonté de l'évêque comme les mœurs spécifiques de cette caste. Dans le
catholicisme évangélique, le premier critère d'authentique réforme catholique est le
critère de la vérité. Ainsi, dans une culture postmoderne qui conçoit la vérité comme
une chimère et l'obéissance comme un asservissement, l'obéissance du prêtre
catholique à l'égard des vérités de foi et de la discipline de l'Église (que manifeste la
volonté de l'évêque local) témoigne de la conviction contre-culturelle et évangélique
que la vérité nous engage et nous libère à la fois. Libéré par son obéissance à la
vérité, le prêtre catholique est particulièrement bien placé pour guider les autres vers
la puissance libératrice de la vérité.
Si les prêtres doivent être les meneurs de la Nouvelle Évangélisation, leurs instituts
de formation (théologique, surtout) doivent présenter l'annonce que le christianisme
propose au monde - celle de la venue de Dieu dans le monde, par le biais d'Israël et
de l'Église - non pas comme une option parmi d'autres dans le supermarché des
propositions religieuses, mais comme la vérité au sujet de la condition humaines. Il
ne s'agit pas d'une vérité pour les seuls catholiques ou les seuls chrétiens, mais
d'une vérité qui demande, par sa nature, à être partagée avec tous. Si cette
conviction est convenablement formée et développée, elle n'isolera jamais le prêtre
d'autres vérités, qu'apportent la littérature, les sciences, la philosophie, les arts ou les
autres traditions religieuses. Elle lui permettra de comprendre et d'annoncer au
monde que toutes les vérités, quelles que soient leurs sources, pointent en dernière
instance vers l'unique vérité: le Fils de Dieu le Père, qui dit qu'il est « le chemin, la
vérité et la vie » (Jn 14, 6).
La formation théologique dans les séminaires catholiques évangéliques du XXIe
siècle aura une autre armature intellectuelle que les cursus théologiques
universitaires. Dans les facultés, l'approche critique (et parfois déconstructiviste) de
la grande tradition de foi chrétienne est souvent la norme. Les prêtres catholiques
évangéliques doivent connaître la foi avant de la soumettre aux outils d'analyse
critique. Beaucoup de séminaires proposent, à raison, un travail approfondi sur Le
Catéchisme de l'Église catholique, avant d'aborder la théologie. Ce travail permet aux
séminaristes de se fonder sur toute la symphonie de la vérité catholique dans son
ensemble, avant d'en étudier les composantes. La formation théologique et biblique
du premier cycle de séminaire doit se construire sur ces fondamentaux, une fois que
les étudiants ont acquis une connaissance suffisante de l'enseignement de l'Église et
de ses sources. La théologie enseignée dans les séminaires du XXIe siècle devra
habituer les séminaristes à la pratique du sentire cum Ecclesia, c'est-à-dire à une
pensée avec l'Église comme fondement d'une pensée critique sur la manière de
comprendre, prêcher et enseigner le contenu de la foi.
La formation intellectuelle dans les séminaires catholiques évangéliques portera une
attention particulière à l'apologétique, c'est-à-dire à la défense des vérités de
l'Évangile face aux prétentions de la culture ambiante. L'apologétique catholique
évangélique ne vise pas tant à l'emporter dans les débats qu'à disposer à la
conversion. L'emporter dans les débats peut contribuer à cette conversion, mais c'est
la rencontre même avec le Christ que l'apologiste catholique évangélique cherche à
favoriser.
Une faculté catholique aura bien fait son travail quand les hommes qu'elle prépare à
l'ordination presbytérale comprennent que la théologie et les études bibliques sont
des disciplines intellectuelles professionnelles, et savent passer de la théologie à
l'apologétique et à la prédication - toujours dans le but d'appeler les hommes à
l'amitié avec le Seigneur Jésus.
La présence liturgique
Par leur vocation particulière, les prêtres catholiques partagent un lien unique qui, au
fil des siècles, a donné une forme spécifique de fraternité. Ce sens de la fraternité et
d'appartenance à un « ordre » particulier au sein du sacrement de l'ordre est différent
des amitiés qui peuvent lier d'autres personnes de même carrière professionnelle.
S'il existe un phénomène analogue, il faudra le chercher dans l'armée, parmi les
officiers - mais même là, l'analogie est boiteuse, en raison du célibat des prêtres
catholiques de rite latin.
La fraternité est compromise quand un prêtre devient l'objet du désir sexuel d'un
autre prêtre, et c'est l'une des raisons pour lesquelles une « identité» homosexuelle
profondément enracinée est incompatible avec le presbytérat catholique. Ces
dernières décennies, les désordres homosexuels ont lourdement pesé sur les
presbytériums diocésains et les congrégations d'hommes consacrés. Il est essentiel
pour la réforme catholique évangélique de l'ordre des prêtres de gérer et de résoudre
les problèmes liés aux désordres sexuels, qu'ils soient de nature homosexuelle ou
hétérosexuelle. Le témoignage du célibat choisi pour le Royaume est gravement
compromis par ces affaires, qu'il s'agisse d'activités homosexuelles ou de
concubinage (un problème majeur dans l'Église de l'hémisphère sud).
Dans l'hémisphère nord, le défi majeur pour la réforme évangélique de l'ordre des
prêtres est probablement le cléricalisme : le presbytérat conçu comme une caste ou,
plus vulgairement, comme un cartel religieux, auquel on accède par des rites
initiatiques qui confèrent un statut nouveau et supérieur. Les initiés s'identifient alors
à « l'Église », plutôt que de se considérer comme des ministres et des serviteurs
d'une communauté dont tous les membres sont appelés à la sainteté et à la mission.
L'expression classique de ce genre de cléricalisme est la question que posa au XIXe
siècle l'évêque William Ullathorne à John Henry Newman: «Qui sont donc les laïcs?»
«Eh bien, répondit le grand théologien, sans eux, l'Église aurait piètre allure. »
L'interlocuteur de Newman était peut-être un cas extrême, mais le problème du
cléricalisme (indissociable du problème de l'ambition cléricale) a la vie dure. Si le
catholicisme évangélique est l'Église de l'appel universel à la sainteté proclamée par
le concile Vatican II, il est essentiel de le résoudre.
La difficulté du cléricalisme présente aussi un enjeu théologique. C'est la façon dont
un homme comprendra son sacerdoce qui le soustraira ou l'exposera aux aspects
les plus néfastes du cléricalisme : prétention, ambition, jalousie à l'égard de
confrères qui réussissent mieux leur « carrière », incapacité d'être à la fois chef et
frère pour du peuple qui lui est confié. La théologie du sacerdoce qu'enseignent les
séminaires est donc un facteur crucial dans la construction d'une véritable fraternité
sacerdotale, où les prêtres du diocèse se voient comme des compagnons dans le
collège presbytéral, avec et sous l'évêque, au service de tout le peuple de Dieu.
Le cléricalisme, compris comme l'identification de « l'Église » à une caste
sacerdotale, est un grand obstacle à l'épanouissement du catholicisme évangélique.
Un antidote peut être trouvé dans l'exemple du pape Jean-Paul II. Karol Wojtyla a été
un prêtre pour les prêtres. Il a été une source d'inspiration pour d'innombrables
prêtres et séminaristes. Cela ne l'a pas empêché de compter beaucoup de laïcs
parmi ses amis: des hommes et des femmes qu'il avait connus à l'époque où il était
aumônier d'étudiants, et qui lui sont restés proches jusqu'à la fin de sa vie. Il n'y avait
aucune confusion d'identité ni de rôle dans son réseau amical; lui était prêtre, ses
amis ne l'étaient pas. Plus fondamentalement, ils étaient tous des disciples qui
avaient compris que leurs dons - intellectuels, sportifs, artistiques ou autres -
devaient être partagés avec d'autres. Par cette mise en commun des dons entre un
prêtre et ses amis laïcs, tous ont pu devenir des disciples de plus en plus fidèles.
C'est un exemple à suivre partout dans l'Église.
Signes de contradiction