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George Weigel

Le Catholicisme évangélique

Chapitre 6 : La réforme catholique évangélique du presbytérat

On trouve des dizaines de milliers de prêtres catholiques fidèles dans le monde.


Parmi eux, ceux qui ont pris Jean-Paul II pour modèle vivent leur sacerdoce comme
une aventure évangélique. Leur ministère se définit comme l'invitation aux hommes
et aux femmes de ce temps à entrer dans une profonde amitié avec Jésus-Christ par
le moyen de la parole et des sacrements. Ils perçoivent leur ministère comme le
prolongement du ministère sacerdotal du Seigneur lui-même. Ces prêtres seront à
leur tour des modèles pour ceux qui entreront dans les séminaires du XXIe siècle,
quand se développera la réforme catholique évangélique de l'ordre des prêtres.
S'il est vrai que la semence de cette réforme germe partout dans l'Église, il est tout
aussi vrai que les cinquante dernières années ont été très éprouvantes pour l'ordre
des prêtres et pour les prêtres eux-mêmes. Il y a eu plus de départs du ministère au
cours des années qui ont immédiatement suivi le concile Vatican II qu'à d'autres
périodes comparables depuis la Réforme protestante. Dès que cette hémorragie
s'est arrêtée, les révélations des cas d'abus sexuel commis par des prêtres sur des
mineurs commençaient à faire les gros titres dans les journaux. Dans certains pays,
comme l'Irlande et le Canada, ces crimes ont été systématiquement dissimulés. Les
cadres religieux et diocésains minimisaient ou détournaient le témoignage des
victimes, et protégeaient les auteurs des crimes. Bien évidemment, d'autres facteurs
étaient en jeu dans la crise des abus. Certains hommes, qui n'auraient jamais dû être
ordonnés, étaient passés par les mailles du filet des séminaires qui, au cours des
années 70 et 80, se référaient plus volontiers à la psychologie, à la psychiatrie qu'à la
théologie morale et sacramentelle pour gérer les personnalités dérangées et les
fautes graves. Cette confiance aveugle faite aux arts thérapeutiques caractérisait
souvent les évêques confrontés à des cas d'abus. Dans tous les cas, une chose est
certaine : les malfaiteurs étaient des hommes qui avaient trahi leur propre vocation
de prêtre.
L'infidélité et le péché sont à la racine du phénomène des abus sexuels commis par
des prêtres. Dès lors et à l'inverse, la fidélité et l'approfondissement de la conversion
au Christ sont les caractéristiques essentielles de toute réforme authentique de
l'ordre des prêtres dans l'Église catholique. Cette réforme ne saurait s'inspirer du
ministère dans les communautés protestantes.
La question du sacerdoce ou du presbytérat catholique ne se réduit pas aux affaires
d'abus sexuels, que les médias ont tendance à déformer et à exagérer. Le
catholicisme évangélique reconnaît que la fidélité d'une très grande majorité des
prêtres catholiques représente d'ores et déjà une prémisse pour la réforme future.
Cependant, au début de ce XXIe siècle, beaucoup de prêtres catholiques vivent
encore selon un modèle d'Église issu de la Contre-Réforme, en Occident surtout, et
selon un modèle de ministère correspondant, où le presbytérat est une sorte de
corporation professionnelle religieuse. Ils croient avec une réelle conviction aux
vérités du Credo qu'ils proclament tous les dimanches avec leurs fidèles, mais leurs
vies sont plus remplies de « management » que d'Évangile. Ils parlent plus
spontanément de « l'Eglise » que du « Seigneur Jésus ». Malgré leur dévouement par
ailleurs authentique, à l'horizon de leur imagination se dessinent davantage des
projets de carrière que des projets plus vocationnels. Néanmoins, la fidélité de ces
prêtres, répétons-le, est un ressort pour une authentique réforme catholique
évangélique. Les prêtres qui vivent déjà selon le modèle catholique évangélique
peuvent bénéficier de ce que ces prêtres-là ont appris : la patience ; l'esprit de service
à l'égard des personnes incomplètement converties qui peuplent les paroisses ;
l'importance, pour la vie spirituelle, de la constance et de la stabilité, mais aussi de
l'aventure et de l'audace. Rien ne nous autorise à mépriser ces prêtres qui vivent
selon les modèles issus de la Contre-Réforme ; au contraire, ils méritent toute notre
appréciation. Mais il n'y a pas de doute que ce modèle est en fin de course. Il n'y a
pas de doute non plus qu'une compréhension erronée de ce modèle a trop souvent
joué dans les cas d'abus sexuels, comme dans l'apparente incapacité des évêques
de gérer ces affaires. L'ancien modèle issu de la Contre-Réforme est inadapté aux
tâches de la Nouvelle Évangélisation ; celle-ci ne pourra avancer si le prêtre reste
perçu comme un homme simplement « habilité à certains actes ecclésiaux ».
Selon Le Catéchisme de l'Eglise catholique, le prêtre n'est pas un fonctionnaire
religieux, mais un homme qui, par son ordination, partage d'une manière spécifique
le sacerdoce éternel de Jésus-Christ, le seul véritable médiateur. Si les prêtres du
catholicisme évangélique du XXIe siècle doivent vivre de cette vérité, une réforme de
la formation, de l'autocompréhension et de la vie des prêtres est indispensable.

Disciples, toujours

Pour l'Église catholique, le prêtre est un vase d'argile contenant un grand trésor
surnaturel. Le prêtre est un alter Christus, un autre Christ. L'ordination au presbytérat
ne change pas seulement un homme en ce qu'il est capable de faire, mais surtout en
ce qu'il est. En effet, ce que font les prêtres catholiques est entièrement dépendant
de ce qu'ils sont. Le prêtre catholique porte le Christ dans le monde, et introduit des
hommes et des femmes de ce monde dans l'amitié avec le Christ par la célébration
des sacrements, par l'enseignement et la prédication, et par l'exercice pastoral de la
charité et de la gouvernance. Ces activités-là sont typiquement presbytérales. Le
prêtre catholique peut les exercer parce qu'il a reçu une configuration particulière au
Christ. La réalité fondamentale du presbytérat est d'ordre sacramentel, et non d'ordre
juridique.
Observons que cette vérité de foi catholique aide à reconnaître l'une des racines de
la crise des abus. Elle éclaire également le problème du cléricalisme, par lequel
l'ordination est perçue comme l'entrée dans une caste où le ministère de charité et
de service est vécu comme un ministère de domination. Si un prêtre ne croit pas que
son sacerdoce rend présent au monde le sacerdoce éternel et salvifique de
Jésus-Christ, alors, dans certaines circonstances culturelles ou institutionnelles (ou
les deux), ses ambitions personnelles risqueront de l'emporter sur ses meilleures
intentions pastorales. Ainsi, une vie initialement offerte au Christ et à l'Église peut se
dénaturer et devenir une vie où le ministère devient un moyen de séduction et de
domination.
Le prêtre doit donc avant tout être un disciple, radicalement converti au Seigneur
Jésus-Christ. Au fil de sa vie, sa conversion doit bien évidemment s'approfondir. Un
homme doit être profondément converti au Christ, vivre en amitié avec lui et avoir
montré un minimum d'aptitude à entraîner les autres dans cette amitié avant qu'il
puisse être considéré comme un candidat au sacerdoce diocésain. Cette exigence
n'était pas évidente dans le catholicisme issu de la Contre-Réforme. Même au XXIe
siècle, malgré le catholicisme évangélique émergeant, elle n'est pas toujours bien
intégrée. Dans les meilleurs de nos séminaires, les étudiants apprennent plus de
choses à propos de l'Église qu'à propos de l'amitié avec Jésus. Pareillement, les
meilleurs diocèses vérifient plus spontanément les aptitudes psychologiques d'un
candidat au séminaire que ses aptitudes à être un disciple missionnaire. Ceci est en
train de changer, mais pas assez vite. À moins qu'un homme ne soit un disciple
chrétien radicalement converti, il ne saurait porter au monde, par le biais de son
ministère, la vérité de « Dieu [qui] a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique,
pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais ait la vie éternelle» (Jn 3,
16).
L'aptitude confirmée des candidats au sacerdoce à attirer d'autres personnes dans
l'amitié avec le Seigneur Jésus doit jaillir de leur propre conversion au Christ. Pour le
catholicisme issu de la Contre-Réforme, les “prêtres missionnaires“ étaient ceux
envoyés aux quatre coins du monde pour convertir les païens. Pour le catholicisme
évangélique du XXIe siècle et au-delà, tout prêtre catholique doit être missionnaire.
Toute terre est une terre de mission, et tous les païens, non-baptisés ou baptisés,
doivent recevoir l'appel à une radicale conversion de vie. Un homme qui se pose la
question du sacerdoce sans comprendre cela (en considérant le presbytérat
seulement comme une carrière avec quelques exigences particulières, tel le célibat)
devrait réfléchir à deux fois, et apprendre à devenir un disciple plus évangélique,
avant de présenter sa candidature.

Célibat et obéissance
La radicale conversion doit donc être une condition de l'accueil dans les ordres dans
le catholicisme évangélique. C'est elle justement qui permet au prêtre d'engager sa
vie dans un célibat perçu comme un signe de contradiction. De ce point de vue, les
prêtres catholiques évangéliques diffèrent des autres catholiques évangéliques
(pour ne pas parler des autres contemporains de la postmodernité). Seulement, cette
différence n'est ni une fin en elle-même, ni une originalité d'une caste. Il s'agit d'une
différence qui vise la conversion du monde, pour qu'il accueille l'Évangile et découvre
la vérité sur lui-même.
La réforme radicale du presbytérat catholique appellera un approfondissement plutôt
qu'un affaiblissement du lien entre célibat et ministère des prêtres.
Les appels à l'abolition de l'engagement au célibat comme condition d'accès à
l'ordination dans le catholicisme de rite latin ont marqué le déclin du catholicisme de
la Contre-Réforme dans la période postconciliaire. Le catholicisme évangélique, lui,
reconnaît dans le célibat des prêtres un aspect essentiel du défi contre-culturel que
l'Église doit lancer au monde postmoderne en lui annonçant l'Évangile. Une vie
ouvertement disposée à dépendre entièrement de Dieu est l'un des signaux par
lesquels le catholicisme défie le nombrilisme du monde postmoderne. Le célibat
témoigne que le chemin vers la bonté humaine se trouve dans le don de soi, et non
dans l'outrecuidance. Vécu dans l'honnêteté et le bonheur, le célibat des prêtres est
un signe puissant dans la culture de l'Ego impérial et autonome.
Le même genre de dynamisme évangélique devra inspirer l'obéissance sacerdotale
dans le catholicisme évangélique de ce siècle et de ceux à venir. Le système clérical
issu de la Contre-Réforme avait tendance à comprendre le célibat comme une
condition d'accès à une caste, et l'obéissance à l'égard des vérités de foi et de la
volonté de l'évêque comme les mœurs spécifiques de cette caste. Dans le
catholicisme évangélique, le premier critère d'authentique réforme catholique est le
critère de la vérité. Ainsi, dans une culture postmoderne qui conçoit la vérité comme
une chimère et l'obéissance comme un asservissement, l'obéissance du prêtre
catholique à l'égard des vérités de foi et de la discipline de l'Église (que manifeste la
volonté de l'évêque local) témoigne de la conviction contre-culturelle et évangélique
que la vérité nous engage et nous libère à la fois. Libéré par son obéissance à la
vérité, le prêtre catholique est particulièrement bien placé pour guider les autres vers
la puissance libératrice de la vérité.

La formation au séminaire, la théologie et l'apologétique

Si les prêtres doivent être les meneurs de la Nouvelle Évangélisation, leurs instituts
de formation (théologique, surtout) doivent présenter l'annonce que le christianisme
propose au monde - celle de la venue de Dieu dans le monde, par le biais d'Israël et
de l'Église - non pas comme une option parmi d'autres dans le supermarché des
propositions religieuses, mais comme la vérité au sujet de la condition humaines. Il
ne s'agit pas d'une vérité pour les seuls catholiques ou les seuls chrétiens, mais
d'une vérité qui demande, par sa nature, à être partagée avec tous. Si cette
conviction est convenablement formée et développée, elle n'isolera jamais le prêtre
d'autres vérités, qu'apportent la littérature, les sciences, la philosophie, les arts ou les
autres traditions religieuses. Elle lui permettra de comprendre et d'annoncer au
monde que toutes les vérités, quelles que soient leurs sources, pointent en dernière
instance vers l'unique vérité: le Fils de Dieu le Père, qui dit qu'il est « le chemin, la
vérité et la vie » (Jn 14, 6).
La formation théologique dans les séminaires catholiques évangéliques du XXIe
siècle aura une autre armature intellectuelle que les cursus théologiques
universitaires. Dans les facultés, l'approche critique (et parfois déconstructiviste) de
la grande tradition de foi chrétienne est souvent la norme. Les prêtres catholiques
évangéliques doivent connaître la foi avant de la soumettre aux outils d'analyse
critique. Beaucoup de séminaires proposent, à raison, un travail approfondi sur Le
Catéchisme de l'Église catholique, avant d'aborder la théologie. Ce travail permet aux
séminaristes de se fonder sur toute la symphonie de la vérité catholique dans son
ensemble, avant d'en étudier les composantes. La formation théologique et biblique
du premier cycle de séminaire doit se construire sur ces fondamentaux, une fois que
les étudiants ont acquis une connaissance suffisante de l'enseignement de l'Église et
de ses sources. La théologie enseignée dans les séminaires du XXIe siècle devra
habituer les séminaristes à la pratique du sentire cum Ecclesia, c'est-à-dire à une
pensée avec l'Église comme fondement d'une pensée critique sur la manière de
comprendre, prêcher et enseigner le contenu de la foi.
La formation intellectuelle dans les séminaires catholiques évangéliques portera une
attention particulière à l'apologétique, c'est-à-dire à la défense des vérités de
l'Évangile face aux prétentions de la culture ambiante. L'apologétique catholique
évangélique ne vise pas tant à l'emporter dans les débats qu'à disposer à la
conversion. L'emporter dans les débats peut contribuer à cette conversion, mais c'est
la rencontre même avec le Christ que l'apologiste catholique évangélique cherche à
favoriser.
Une faculté catholique aura bien fait son travail quand les hommes qu'elle prépare à
l'ordination presbytérale comprennent que la théologie et les études bibliques sont
des disciplines intellectuelles professionnelles, et savent passer de la théologie à
l'apologétique et à la prédication - toujours dans le but d'appeler les hommes à
l'amitié avec le Seigneur Jésus.

L'importance d'une bonne prédication

Un jour, dans un moment de grande candeur, probablement mêlé de dépit, le pape


Benoît XVI a dit à d'autres évêques que les origines divines de l'Église étaient bien
prouvées par le fait que le peuple de Dieu était toujours fidèle à l'Église malgré la
piteuse qualité des homélies qu'il supporte, dimanche après dimanche. Les soucis
de ce maître-prédicateur au sujet du niveau de la prédication dans l'Église catholique
rejoignent ceux de l'un de ses plus illustres prédécesseurs, saint Grégoire le Grand
(VI° siècle), qui disait, dans sa Règle pastorale : « Tout prêtre entreprend la mission
de la prédication, et marche en criant devant le terrible juge qui vient. Mais si un
prêtre ne sait pas prêcher, quel genre de cri ce héraut muet pourrait-il bien pousser ?
» Ici, ce sont des papes qui parlent, mais beaucoup de fidèles laïcs se retrouveront
dans leurs propos. Pour ces hommes et ces femmes en grand nombre, les homélies
sont des mauvais quarts d'heure à passer plutôt qu'une aide à l'approfondissement
de leur conversion ou une invitation à vivre plus intensément leurs responsabilités
évangéliques.
Il semble qu'il y ait trois raisons pour expliquer cet état de fait. La première concerne
les séminaires et les facultés, qui enseignent trop souvent une approche
déconstructiviste de la Bible, et favorisent une méthode historico-critique qui tend à
en fragmenter les contenus. Le résultat de cette approche et de cette méthode est
que les morceaux et fragments de la Bible apparaissent comme des prélèvements
par biopsie plutôt que comme la parole vivante de Dieu. Une prédication qui s'inspire
uniquement de la méthode historico-critique aura l'une ou l'autre conséquence
possibles : soit le prédicateur ne prêchera plus la Bible (trop complexe pour les
esprits des non-initiés) et lui substituera des recommandations thérapeutiques pour
une vie heureuse, soit il prêchera la critique historique et fera de son auditoire une
compagnie de pathologistes d'un texte mort.
La solution n'est pas dans un retour à une sorte de fondamentalisme biblique.
Comme le disait le pape Benoît XVI dans l'introduction du deuxième tome de sa
trilogie Jésus de Nazareth, le prédicateur et l'exégète catholique du XXIe siècle se
serviront volontiers des résultats de deux siècles d'études historico-critiques de la
Bible, mais développeront ensuite une méthode et un style de prédication qui
remettent en valeur l'unité de la Bible. Le prédicateur catholique évangélique
enrichira ses homélies des renseignements qu'il peut tirer des études
historico-critiques, sur les temps et les lieux où Jésus a vécu, sur les personnages
que Jésus a rencontrés, et sur les divers enjeux qui ont donné forme aux quatre
évangiles. Il veillera toutefois à présenter les textes qu'il proclame et commente
comme ce qu'ils sont : la parole de Dieu. Par elle, Dieu invite son peuple à le
rencontrer et à porter la Bonne Nouvelle dans le monde, pour attirer d'autres
personnes vers le Christ.
Un autre problème pour les prédicateurs catholiques du XXIe siècle vient des
programmes de formation à la prédication qui existent pour les séminaristes comme
pour les prêtres. Ces programmes insistent trop sur certaines “astuces” censées
améliorer les homélies : petites histoires, allusions à la culture «pop», drôleries, etc.
Trop souvent, ils ne les améliorent pas. Le prédicateur catholique de l'avenir devra
redécouvrir l'importance de l'exposé proprement homilétique, qui requiert l'étude
soigneuse des textes bibliques utilisés en liturgie, par le biais de solides
commentaires bibliques (Ceux-ci sont souvent rédigés par des chercheurs
protestants. La reviviscence de l'interprétation biblique est l'une des entreprises
œcuméniques majeures du XXIe siècle.). Les prédicateurs catholiques évangéliques
trouveront un trésor d'exposés homilétiques dans La Liturgie des Heures. L'office des
lectures est rempli d'homélies des Pères de l'Église, qui se sont inspirés de la façon
dont le Seigneur lui-même expliquait les textes bibliques dans ses discours et
enseignements. Les pasteurs catholiques évangéliques qui prêchent dans ce style
sont bien écoutés par leurs communautés, qui trop longtemps ont été malheureuses,
ou même catastrophées, par les tentatives “innovantes” de leurs prêtres.
Une troisième cause de la mauvaise prédication est le peu d'attention que donnent
les séminaires et les programmes de formation permanente au développement de
l'art de la prédication. Le pape Benoît XVI et bien d'autres pasteurs que l'histoire a
connus n'étaient pas des grands prédicateurs par hasard. La prédication est un art, et
exige un savoir-faire. Ce dernier doit être développé au cours des années de
formation au séminaire et affiné par une formation permanente. La formation à la
prédication a trop longtemps été négligée, et devra être remise en valeur.
L'homilétique ne doit pas être un cours optionnel dans les séminaires. La prédication
est au cœur de la formation au ministère, comme l'une de ses facettes où la théorie
(théologie et études bibliques) rencontre la pratique (la prédication).

La présence liturgique

Une autre facette de la formation des prêtres où la contemplation de la vérité


théologique croise la pratique ministérielle est la préparation à la célébration de la
sainte liturgie. Ici encore, l'idée de ce qu'est la liturgie nous aidera à comprendre ce
que fait le prêtre quand il la célèbre.
Si l'on comprend la liturgie surtout comme une œuvre de l'Église - c'est-à-dire
quelque chose que nous créons -, alors le prêtre agit comme celui qui « préside» une
« assemblée », dans laquelle sa personnalité deviendra facilement l'élément le plus
important. Si, en revanche, la liturgie est comprise en termes catholiques
évangéliques, c'est-à-dire essentiellement comme une action du Christ, dont le
sacerdoce éternel est rendu présent par le ministère liturgique des évêques et des
prêtres, alors le prêtre agit comme celui qui célèbre les saints mystères, et qui
conduit le peuple de Dieu dans une expérience de la liturgie des anges et des saints
devant le trône de la grâce. Sa personnalité n'est dès lors pas une part essentielle de
l'acte cultuel, sinon pendant l'homélie - et même là, ses qualités d'orateur resteront
subordonnées à la proclamation et l'explication de la parole de Dieu.
Les nouvelles traductions liturgiques seront utiles pour la réforme évangélique du
ministère liturgique des prêtres catholiques. Toutefois, une réforme plus profonde de
la présence liturgique des prêtres catholiques doit venir de la conviction intérieure,
d'abord acquise au séminaire, et entretenue ensuite par les évêques, que le prêtre est
le serviteur de la liturgie. Il n'en est pas le maître, et ne doit jamais considérer la
liturgie comme une occasion de s'exprimer lui-même, aussi charmante ou
séduisante que soit sa personnalité. La mission du prêtre dans la sainte liturgie est
de disposer le peuple une profonde expérience de la présence du Christ et, par le
Christ, de la très sainte Trinité. Il ne s'agit pas de conduire les autres vers sa propre
personne. Par sa tenue digne en liturgie, le prêtre conduit son peuple dans une
célébration également digne des saints mystères et dispose ainsi les baptisés à
exercer leur propre sacerdoce dans le culte.

Fraternité sacerdotale et cléricalisme

Par leur vocation particulière, les prêtres catholiques partagent un lien unique qui, au
fil des siècles, a donné une forme spécifique de fraternité. Ce sens de la fraternité et
d'appartenance à un « ordre » particulier au sein du sacrement de l'ordre est différent
des amitiés qui peuvent lier d'autres personnes de même carrière professionnelle.
S'il existe un phénomène analogue, il faudra le chercher dans l'armée, parmi les
officiers - mais même là, l'analogie est boiteuse, en raison du célibat des prêtres
catholiques de rite latin.
La fraternité est compromise quand un prêtre devient l'objet du désir sexuel d'un
autre prêtre, et c'est l'une des raisons pour lesquelles une « identité» homosexuelle
profondément enracinée est incompatible avec le presbytérat catholique. Ces
dernières décennies, les désordres homosexuels ont lourdement pesé sur les
presbytériums diocésains et les congrégations d'hommes consacrés. Il est essentiel
pour la réforme catholique évangélique de l'ordre des prêtres de gérer et de résoudre
les problèmes liés aux désordres sexuels, qu'ils soient de nature homosexuelle ou
hétérosexuelle. Le témoignage du célibat choisi pour le Royaume est gravement
compromis par ces affaires, qu'il s'agisse d'activités homosexuelles ou de
concubinage (un problème majeur dans l'Église de l'hémisphère sud).
Dans l'hémisphère nord, le défi majeur pour la réforme évangélique de l'ordre des
prêtres est probablement le cléricalisme : le presbytérat conçu comme une caste ou,
plus vulgairement, comme un cartel religieux, auquel on accède par des rites
initiatiques qui confèrent un statut nouveau et supérieur. Les initiés s'identifient alors
à « l'Église », plutôt que de se considérer comme des ministres et des serviteurs
d'une communauté dont tous les membres sont appelés à la sainteté et à la mission.
L'expression classique de ce genre de cléricalisme est la question que posa au XIXe
siècle l'évêque William Ullathorne à John Henry Newman: «Qui sont donc les laïcs?»
«Eh bien, répondit le grand théologien, sans eux, l'Église aurait piètre allure. »
L'interlocuteur de Newman était peut-être un cas extrême, mais le problème du
cléricalisme (indissociable du problème de l'ambition cléricale) a la vie dure. Si le
catholicisme évangélique est l'Église de l'appel universel à la sainteté proclamée par
le concile Vatican II, il est essentiel de le résoudre.
La difficulté du cléricalisme présente aussi un enjeu théologique. C'est la façon dont
un homme comprendra son sacerdoce qui le soustraira ou l'exposera aux aspects
les plus néfastes du cléricalisme : prétention, ambition, jalousie à l'égard de
confrères qui réussissent mieux leur « carrière », incapacité d'être à la fois chef et
frère pour du peuple qui lui est confié. La théologie du sacerdoce qu'enseignent les
séminaires est donc un facteur crucial dans la construction d'une véritable fraternité
sacerdotale, où les prêtres du diocèse se voient comme des compagnons dans le
collège presbytéral, avec et sous l'évêque, au service de tout le peuple de Dieu.
Le cléricalisme, compris comme l'identification de « l'Église » à une caste
sacerdotale, est un grand obstacle à l'épanouissement du catholicisme évangélique.
Un antidote peut être trouvé dans l'exemple du pape Jean-Paul II. Karol Wojtyla a été
un prêtre pour les prêtres. Il a été une source d'inspiration pour d'innombrables
prêtres et séminaristes. Cela ne l'a pas empêché de compter beaucoup de laïcs
parmi ses amis: des hommes et des femmes qu'il avait connus à l'époque où il était
aumônier d'étudiants, et qui lui sont restés proches jusqu'à la fin de sa vie. Il n'y avait
aucune confusion d'identité ni de rôle dans son réseau amical; lui était prêtre, ses
amis ne l'étaient pas. Plus fondamentalement, ils étaient tous des disciples qui
avaient compris que leurs dons - intellectuels, sportifs, artistiques ou autres -
devaient être partagés avec d'autres. Par cette mise en commun des dons entre un
prêtre et ses amis laïcs, tous ont pu devenir des disciples de plus en plus fidèles.
C'est un exemple à suivre partout dans l'Église.

Gérer les crises

Comme n'importe quel autre chrétien, le prêtre catholique évangélique connaîtra de


temps en temps des crises spirituelles. Une crise peut devenir grave au point de
poser la question de rester ou non dans le ministère. Si la crise est grave à ce point,
la première question à se poser n'est pas « Pourquoi suis-je devenu prêtre ? », mais «
Pourquoi suis-je chrétien, disciple du Seigneur Jésus ? Pourquoi suis-je catholique ?
»
Quand un accompagnateur spirituel, un autre prêtre ou un évêque pose ces
questions avec simplicité et charité à un prêtre désorienté, le brouillard de confusion
se dissipe souvent. Ensuite, la crise peut être regardée en face, et être traitée pour ce
qu'elle est : une crise de la foi. Même si la cause immédiate d'une « crise de vocation
» est souvent un laisser-aller moral, cette crise est avant tout une crise de l'identité
chrétienne de disciple. Elle est souvent aussi une interrogation spécifique de
l'identité catholique. Savoir traiter ce genre de questions est la prémisse d'une
croissance et d'une guérison spirituelles requises pour rétablir une vie de disciple et
un ministère fructueux.

Signes de contradiction

Les prêtres catholiques évangéliques du XXIe siècle seront nécessairement des


signes de contradiction. Les prêtres sont “mis à part” du monde par leur promesse
de célibat - mais ils sont mis à part du monde pour le bien du monde. Ils vivent dans
une condition particulière la réalité d'un Évangile qui s'oppose au monde pour le salut
du monde. Ce caractère contradictoire de la vie sacerdotale ne relève ni de
l'originalité ni du caprice. Il est inclus dans la nature du sacerdoce catholique. Dans
une ambiance culturelle christianophobe et spirituellement blasée, les contradictions
et les tensions provoquées par le témoignage du sacerdoce chrétien seront d'autant
plus aiguës. Le monde postmoderne croit que la voie royale du bonheur passe par
l'affirmation de soi, alors que le prêtre catholique incarne une vérité évangélique:
l'homme s'épanouit dans le don de soi. Le monde postmoderne célèbre l'Ego
autonome et impérial; le prêtre évangélique vit la vie d'un homme obéissant,
ecclésial, donné aux autres.
Cette vie comme signe de contradiction contient aussi un paradoxe - mais un
paradoxe évangélique et salvifique. Par le renoncement à la communion conjugale et
à la paternité physique, la vie du prêtre rappelle paradoxalement à un monde confus
et unisexe que ce sont là des biens véritables. Pareillement, sa paternité spirituelle
est un signe qui contredit le matérialisme du monde développé.
Les prêtres catholiques évangéliques ont compris qu'en enseignant les vérités de la
foi, en célébrant avec respect les sacrements et en conduisant leur communauté
avec douceur et justice, ils donnent aux hommes et aux femmes de l'Église les
principaux moyens pour devenir des saints, et accomplir ainsi leur vocation humaine
et chrétienne. Comme le disait C.S. Lewis, les saints sont des personnes capables
d'être toujours à l'aise avec Dieu. C'est ce que Dieu a voulu pour l'humanité depuis le
commencement. C'est pour cela que le Fils de Dieu est entré dans l'histoire comme
le sommet de la révélation du Dieu qui a parlé dans la Loi et par les prophètes.
C'est pour cela que le Fils a offert sa vie en obéissance à la volonté du Père. C'est
pour cela également que l'Esprit Saint est descendu sur les apôtres, leur donnant
tout ce qui leur était nécessaire pour la mission, et demeurant avec eux (et avec
toute l'Église) jusqu'à la fin des temps et jusqu'aux limites du monde. C'est une
histoire de sainteté - l'histoire de la grâce qui fait les saints.
Les prêtres catholiques sont là pour faire des saints ; ils sont des instruments de
Dieu, qui est la véritable source de toute sainteté. Icônes du sacerdoce éternel de
Jésus-Christ, ils vivent d'une vocation particulière dans la communion de l'Église.
Ceux parmi eux qui interprètent leur vocation en matière de vie évangélique et de
sainteté vivront de la vérité splendide qu'ils ont reçue à l'ordination, et feront avancer
la réforme en profondeur de l'Église qu'est le catholicisme évangélique.

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