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VIVIEN PRIGENT

L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB DANS LES RÉGIONS


ITALIENNES DE TRADITION BYZANTINE
AU HAUT MOYEN-ÂGE

L’usage du sceau constitue, on le sait, un aspect particulier de la


diplomatique, relevant du système d’authentification et de valida-
tion du document. L’une des formes les moins développées en
Occident est l’usage de la bulle métallique, qui y est largement
supplantée par le sceau de cire1. En revanche, l’usage massif de la
bulle est l’une des principales spécificités de la diplomatique byzan-
tine 2. Les quelques 60 à 70 000 sceaux conservés constituent d’ail-
leurs l’essentiel de la documentation diplomatique de l’empire
romain d’Orient pour le haut Moyen Âge 3. Ce caractère très

1
M. Pastoureau, Les sceaux, Turnhout, 1981 (Typologie des sources du Moyen
Âge occidental). Vocabulaire international de la sigillographie, Rome, 1990 (Minis-
tero per i beni culturali e ambientali. Pubblicazioni degli Archivi di stato, Sussidi,
3). On trouvera un beau panorama de l’emploi de la bulle de plomb en Occident
dans le volume de L. G. Klimanov, Vizantijskie otrazhenija v sfragistike : kollekt-
sija metalličeskikh pečatej VII-XX vekov N. P. Likhačeva v Zapadnoevropejskoj
sektsii Arkhiva SPb FIRI RAN, Saint-Pétersbourg, 1999 (Vizantijskaja biblioteka.
Issledovanija), qui reprend le matériel réuni par N. Likhačev en vue d’une exposi-
tion sur les traditions sigillographiques comparées au Moyen Âge. L’usage de la
cire n’était évidemment pas inconnu à Byzance, voir les remarques et la biblio-
graphie dans N. Oikonomidès, Quelques remarques sur le scellement à la cire des
actes impériaux byzantins (XIIIe-XVe s.), dans Zbornik Filozofskog Fakulteta, 14,
1979, p. 123-128. Pour la période tardive, voir le degré de détail dans la pratique
du scellement dans J. Darrouzès, Ekthésis Néa. Manuel des pittakia du XIVe siècle,
dans Revue des études byzantines, 27, 1969, p. 5-127.
2
N. Oikonomidès, Caratteri esterni degli atti, dans Corsi di studi dell’Univer-
sità degli studi di Bari, 5, 1980, p. 21-86 et Id., Byzantine lead seals, Washington
(DC), 1985. À tel point que le choix d’Otton II de se doter d’une matrice à plomb a
pu être interprété comme le reflet de l’influence byzantine à la cour de l’empereur
germanique : J. Shepard, A marriage too far? Maria Lekapena and Peter of
Bulgaria, dans A. Davids (éd.), The Empress Theophano. Byzantium and the West
at the turn of the first millennium, Cambridge, 1995, p. 123.
3
De façon générale, on peut se reporter à l’introduction de V. Laurent, Le
corpus des sceaux de l’empire byzantin, V, 1-3, L’Église, Paris, 1963-1972 et à
l’introduction au Corpus et plus récemment, à J.-Cl. Cheynet, Byzantine Seals,
dans D. Collon (éd.), 7.000 years of Seals, Londres, 1997, p. 107-123, Id., L’usage
des sceaux à Byzance, dans Res Orientales, 10, 1997, p. 23-40; également G. Vikan
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«byzantin» de la bulle amène donc naturellement à s’interroger sur


son usage dans les provinces italiennes de l’empire et sur la survie de
cette pratique par delà la perte du contrôle politique de Constanti-
nople sur la péninsule 4.
Pour la commodité de l’exposé, il faut évidemment distinguer
plusieurs zones 5. Toutefois, le critère de distinction le plus pertinent
me semble moins strictement géographique que chronologique. Il
faut en effet considérer séparément les zones échappant au contrôle
impérial lors de la crise du VIIIe siècle ou immédiatement après
(Exarchat, duché de Rome, duchés tyrrhéniens) et celles perdues au
XIe siècle (Pouille, Calabre). En effet, en dehors même de la diffé-
rence des contextes politiques et des modalités de la rupture avec
Byzance, les VIIe-VIIIe siècles d’une part et les XIe-XIIe de l’autre
renvoient à deux modèles quelque peu différents d’utilisation du
sceau de plomb à Byzance même 6.
Parmi les zones échappant à l’orbite impériale au cours du
VIIIe siècle, il faut en outre distinguer a priori les zones qui rejettent
la tutelle impériale au profit d’une autonomie plus ou moins large,
Rome ou les duchés de Naples et de Venise, de celles qu’une

et S. Bendall, Security in Byzantium : locking, sealing and weighting, Washington


(DC), 1980 (Byzantine Collection in Dumbarton Oaks, 2).
4
On rappellera pour mémoire que le projet initial d’un corpus général des
sceaux byzantins fut formulé par l’archéologue sicilien Antonino Salinas.
5
Je ne m’étends pas sur point, l’organisation globale du programme des
journées d’études dont est issu le présent volume en rend aisément compte.
6
Le tournant du XIe au XIIe siècle voit une claire réduction du nombre de
sceaux de plomb conservés par rapport à la période précédente, comme
l’illustrent les grands catalogues, tel celui de G. Zacos et A. Veglery, Byzantine
Lead Seals, Bâle, 1972 et G. Zacos, Byzantine Lead Seals, Berne, 1984, ou la série
des Catalogue of Byzantine seals at Dumbarton Oaks and in the Fogg Museum of
Art, I, Italy, North of the Balkans, North of the Black sea, J. Nesbitt et N. Oikono-
midès (éd.), Washington (DC), 1991; II, South of the Balkans, the Islands, South
of Asia Minor, J. Nesbitt et N. Oikonomidès (éd.), Washington (DC), 1993; III,
J. Nesbitt et N. Oikonomidès (éd.), Washington (DC), 1996; IV, The East,
J. Nesbitt et N. Oikonomidès (éd.), Washington (DC), 2001; V, The East (conti-
nued), Constantinople and Environs, Unknown Locations, Addenda, Uncertain
Readings, E. McGeer, J. Nesbitt et N. Oikonomidès (éd.), Washington (DC),
2005; VI, J. Nesbitt (éd.), Emperors, patriarchs of Constantinople, addenda,
Washington (DC), 2009. D’autre part, le poids des sceaux privés me semble
inférieur à basse époque, j’y reviens plus avant ici même. Enfin, les légendes
évoluent aussi nettement, qui mettent l’accent sur les liens de parenté et
reflètent le processus d’aristocratisation de la société. Cette primauté des liens
de sang sur les fonctions et dignités occupées au sein de l’État impérial peut
amener à une plus grande stabilité des matrices utilisées par un individu au
cours de sa vie, ce qui n’est pas sans impact sur notre capacité à étudier l’admi-
nistration, l’aristocratie et les rapports qu’elles entretiennent sous les
Comnènes.
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conquête violente arrache à Constantinople, comme l’Exarchat, ou


ultérieurement la Sicile. En effet, dans le premier cas, l’impact de la
rupture politique sur les pratiques de gouvernement et de gestion –
et plus encore sur leurs manifestations extérieures – peut s’avérer
presqu’insensible 7.
De même, pour les territoires perdus aux Xe-XIe siècles, il
convient de garder présent à l’esprit que la Sicile s’oppose nettement
aux zones continentales car une période de domination islamique
s’intercale entre la fin de la période byzantine et la conquête
normande 8. Le mode de gestion des territoires conquis par les
Normands est également fort différent. Le degré de centralisation
est en effet un facteur important pour la continuité de l’usage du
sceau de plomb de tradition byzantine, qui est avant tout un sceau
de fonctionnaire et un reflet du primat de l’écrit dans la pratique
administrative quotidienne 9.
Une journée d’études ultérieure me donnant l’occasion
d’aborder de façon spécifique le cas de l’Italie normande, j’ai décidé
de m’intéresser ici à la tradition de l’usage de la bulle dans les zones
ayant précocement échappé au contrôle de Byzance. Ce choix m’est
également dicté par le fait que l’on ne dispose pas sur la question
d’une quelconque tentative de synthèse similaire à celle offerte par
Arthur Engel pour la sigillographie normande10. Je m’intéresserai

7
On trouvera une mise au point sur ces questions, et l’importance du «faça-
disme» des États post-byzantins d’Italie, dans la publication de L’héritage
byzantin en Italie (VIIIe-XIIe siècle), III. Les institutions publiques, dans la Collec-
tion de l’École française de Rome.
8
Il n’en existe pas moins d’importantes continuités entre les deux domina-
tions (voir les contributions réunies dans A. Nef et V. Prigent [éd.], La Sicile de
Byzance à l’Islam, Paris, 2010 [De l’archéologie à l’histoire]), mais celles-ci ne
comprennent pas l’usage du sceau de plomb, même si certaines bulles privées du
IXe siècle pourraient avoir appartenu à des Grecs sous domination musulmane.
Pour le domaine strictement aghlabide, on ne connaît que de très rares bulles de
plomb au nom des émirs, que l’on a voulu mettre en relation avec le paiement de
la capitation, voir dans le volume cité A. Nef, La fiscalité en Sicile sous la domina-
tion islamique.
9
On a calculé que la chancellerie du roi de Sicile Roger II produisit environ
1500 actes sous ce règne. Une seule matrice de sceau aurait donc pu être utilisée
pour les sceller sans souffrir la moindre usure; à l’inverse, un stratège byzantin
peut nous avoir laissé des bulles attestant de l’utilisation de plus de dix matrices
sur quelques années, ce qui évoque une production documentaire tout à fait
considérable et oblige à admettre une organsiation décentralisée de la chancel-
lerie provinciale; j’ai abordé cette question dans V. Prigent, Production docu-
mentaire et centralisation des chancelleries provinciales : la question des doublets
de sceaux, à paraître dans Studies in byzantine sigillography, 11.
10
A. Engel, Recherches sur la numismatique et la sigillographie des Normands
de Sicile et d’Italie, Paris, 1882; voir également H. Enzensberger, Byzantinisches in
der Normannisch-Sizilischen Sphragistik, dans Cl. Ludwig (éd.), Siegel und Siegler,
Akten des 8. Internationalen Symposions für Byzantinische Sigillographie, Berlin,
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donc au problème de l’usage des bulles dans les provinces précoce-


ment perdues (duchés de Rome, de Venise, de Naples, Exarchat,
Sardaigne).

Le scellement au plomb dans les zones quittant l’orbite byzantine au


VIIIe siècle

En préambule, il faut souligner une première difficulté. Il est


extrêmement délicat de dater les sceaux italiens de façon très
précise et notamment les sceaux en caractères latins, ce type d’épi-
graphie demeurant mal connu malgré le beau travail récent d’Elena
Stepanova sur les sceaux latins de l’Ermitage et un article fonda-
mental de Nicolas Oikonomidès11.
L’une des difficultés à dater ces pièces découle de l’épigraphie
apparemment assez anarchique qu’on y observe12. Les légendes
latines font usage tant des capitales que de la semi-onciale ou d’une
imitation de la cursive (la distinction n’étant pas toujours aisée)13.
Les bulles sont même susceptibles de mêler allègrement les deux
types de lettrages (fig. 1)14 et la graphie peut varier entre deux
matrices ayant appartenu à un même individu15. Le phénomène
n’est toutefois pas spécifique au sceau puisqu’on l’observe dans les
documents de la chancellerie impériale de la fin de l’Antiquité16 et

2005, p. 83-93; j’ai ultérieurement à cette communication tenté un tour d’horizon


de la question de la sigillographie normande que l’on trouvera dans la publica-
tion du troisième séminaire du projet «l’héritage byzantin en Italie», mentionné
n. 7.
11
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi i greko-latinskimi nadpisjami VI-VIII
vv. iz sobranija Ermitaža, Saint-Pétersbourg, 2006 et Ead., Seals with Latin
Inscriptions in the Hermitage Collection, dans N. Oikonomides (dir.), Studies in
Byzantine Sigillography, 3, Washington (DC), 1993, p. 29-39; N. Oikonomidès,
L’épigraphie des bulles de plomb byzantines, dans G. Cavallo et C. Mango (éd.),
Epigrafia medievale greca e latina, ideologia e funzione, Atti del seminario di Erice,
12-18 settembre 1991, Spolète, 1995, p. 153-168, spécialement p. 157-162.
12
Il faut souligner l’intérêt de l’initiative prise par E. V Stepanova, Pečati s
latinskimi... cit., n. 11, qui livre un index de la graphie des différentes lettres,
posant les bases d’un outil de travail essentiel, semblable à celui fourni en appen-
dice par N. Oikonomidès, A collection of dated byzantine lead seals, Washington
(DC), 1986.
13
B. Bischoff, Latin Palaeography. Antiquity and the Middle Ages, Cambridge,
1990, p. 72-77.
14
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 28a-30-38.
15
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 4.
16
Le phénomène est observable sur les versions épigraphiques des édits
impériaux, les lapicides reproduisant aussi fidèlement que possible la calli-
graphie des scribes de la chancellerie (j’y reviens plus avant) : voir D. Feissel, Un
rescrit de Justinien découvert à Didymes (1er avril 533), dans Chiron, 34, 2004,
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 211

surtout dans l’épigraphie monétaire byzantine17, ainsi que sur les


sceaux impériaux produits par le même personnel que les coins
monétaires18. Sur les bulles, une même lettre peut le cas échéant
dans la même légende revêtir l’un puis l’autre style (fig. 2)19. Il est
donc délicat de caler précisément une datation sur ce critère.
La seule série à même de fournir une grille de datation est celle
des bulles pontificales, commodément réunies par C. Serafini 20, car
les rares bulles d’exarques sont en grec 21. Le risque est toutefois
sérieux que le statut très particulier des titulaires ait influé sur le
style épigraphique retenu. Enfin, le groupe de sceaux de plomb bien
datés provenant des riches dépôts de la Crypta Balbi, récemment
publiés par F. Marazzi, offre un petit corpus bien daté. Toutefois, il
convient ici de ne pas sous-évaluer le danger de la «résidualité», qui

p. 285-365 et Id., Les inscriptions latines dans l’Empire protobyzantin, dans


R. Harreither, Ph. Pergola, R. Pillinger et A. Pülz (dir.), Frühes Christentum zwis-
chen Rom und Konstantinopel, I, Acta Congressus Internationalis XIV Archaeolo-
giae Christianae, Vindobonae, 19-26. 9. 1999, Cité du Vatican, 2006 (Studi di
antichità cristiana, 62), p. 99-129 et 96-100.
17
Ainsi, le g et le n cursifs classiques pénètrent l’épigraphie monétaire sous
Justinien II; de façon générale, voir C. Morrisson, L’épigraphie des monnaies et
des sceaux à l’époque byzantine, dans D. Harlfinger et G. Prato (éd.), Paleografia e
codicologia greca, Atti del II Colloquio internazionale Berlino-Wolfenbüttel, 17-21
ottobre 1983, Alessandria, 1991, p. 251-274.
18
Pour les sceaux impériaux, Catalogue of Byzantine seals at Dumbarton
Oaks..., VI, cit., n. 6 et, pour un cas concret d’intervention des graveurs moné-
taires au-delà des sceaux strictement impériaux, V. Prigent, La Sicile de
Constant II : l’apport des sources sigillographiques, dans A. Nef et V. Prigent
(dir.), La Sicile byzantine... cit., n. 8, p. 161.
19
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 9.
20
C. Serafini, Le monete e le bolle plumbee pontifiche del Medagliere vati-
cano. I. Adeodato (615-618) – Pio V (1566-1572), Bologne, 1965. Récemment,
G. Manganaro, Sigilli diplomatici bizantini in Sicilia, dans Jahrbuch für Numis-
matik und Geldgeschichte, 53/54, 2003-2004, p. 73-90, a publié (no 22) le sceau
d’un pape Théodore d’un style tout à fait original présentant un monogramme
au droit. Ce dernier ne doit toutefois pas se développer en Romae mais en
Panormi. La bulle appartint donc à un évêque de Palerme et fait clairement
partie de la même série que celui de l’évêque Félix mis au jour durant les
fouilles de Carini (C. Greco, I. Garofano et F. Ardizzone, Nuove indagine archeo-
logiche nel territorio di Carini, dans Kokalos, 43-44, 1997-1998, II/1, p. 645-677,
p. 658 et pl. 166, fig. 1.). Ce personnage doit sans doute être identifié au signa-
taire des actes du concile du Latran de 649, ce qui permet de bien dater la bulle
(Concilium Lateranense a. 649 celebratum, R. Riedinger (éd.), Berlin, 1984 (Acta
Conciliorum Oecumenicorum, series secunda, volum primum), p. 4, l. 43,
71e rang).
21
Il n’existe pas de catalogue complet de ces bulles, mais on peut consulter
E. V. Stepanova, Pečati eksarchov Italii, dans Vizantija i Bliznij Vostok (pamjati
A. V. Bank), Sbornik naučnych trudov, Saint-Pétersbourg, 1994, p. 57-70.
212 VIVIEN PRIGENT

Fig. 1 – a, Sceau de Marianos, apo hypatôn (repris de E. V. Stepanova, Pečati s


latinskimi i greko-latinskimi nadpisjami VI-VII vv. iz sobranija Ermitaja, Saint-
Pétersbourg, 2006, n. 11, 28a); b, Sceau de Martinianos, illoustrios (Ibid., n. 11,
30); c, Sceau de Sergius, stratèlatès (Ibid., n. 11, 38).

Fig. 2 – Sceau de Georges, stratèlatès (Ibid., n. 11, 9).


L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 213

affecte les sceaux tout autant que les monnaies 22, d’autant plus que
nous sommes ici dans un contexte de dépotoir 23.
Hors d’Italie, la publication du matériel de Carthage permettrait
également d’avancer en identifiant plus clairement les caractéris-
tiques des bulles antérieures à l’an 700. Au sein de ce bullaire, les
sceaux des commerciaires d’Afrique, bien datés, parfois à l’année
près, par le recoupement des portraits impériaux et des marques
d’indictions, offrent a priori un excellent système d’étalonnage 24. Ma-
lheureusement, le projet de publication du bullaire africain est au
point mort 25. En conséquence, il est encore aventureux de vouloir
distinguer précisément les bulles des premières décennies de
l’époque post-byzantine, de celles des dernières décennies de la
domination impériale. L’étude de l’éventuelle rupture entraînée par
l’expulsion des autorités byzantines est donc a priori problématique.
Le petit lot de bulles bien datées du milieu du VIIe siècle mis au jour
dans l’insula des entrepôts de Caesarea Maritima ne peut guère nous
aider car seules deux bulles présentent une légende latine 26.
Certaines formules et thèmes iconographiques pourraient égale-

22
Voir, par exemple, le signalement présenté par B. Callegher, Sceaux byzan-
tins et vénitiens découverts aux environs de Venise, 6e série, 152, 1997, p. 411) de la
découverte conjointe d’un sceau du protospathaire Théophane daté du
VIIIe siècle et d’un follis anonyme des alentours de l’an 1000. À l’inverse, on ne
peut pas davantage utiliser comme t.a.q. la monnaie de Constantin IV associée de
même façon à la bulle d’un certain Maurice. Même s’il est certain que le décalage
chronologique ne peut être ici aussi important, la résidualité peut jouer dans un
sens comme dans l’autre et la chronologie relative des deux artefacts doit
demeurer ouverte. On peut aussi signaler la réutilisation d’un sceau de catépan
byzantin pour produire un faux acte du duc normand Roger Borsa, A. Engel,
Recherches... cit., n. 10, p. 82-84 : la planche permet clairement d’identifier le
propriétaire de la bulle (sur ce dernier : J.-F. Vannier, Familles byzantines : les
Argyroi [IXe-XIe siècles], Paris, 1975 [Byzantina Sorbonensia, 1], p. 44-46), malgré
l’attribution par Engel au fils de Robert Guiscard.
23
Sur ces problèmes voir les contributions réunies dans F. Guidobaldi et al.
(éd.), I Materiali residui nello scavo archeologico, Testi preliminari e atti della
tavola rotonda, Rome, 16 mars 1996, Rome, 1998 (Collection de l’École française de
Rome, 249) et notamment dans L. Saguì et A. Rovelli, Residualità, non residua-
lità, continuità di circolazione. Alcuni esempi dalla Crypta Balbi, p. 173-195.
24
C. Morrisson et W. Seibt, Sceaux de commerciaires byzantins du VIIe siècle
trouvés à Carthage, dans Revue numismatique, 24, 1982, p. 222-240.
25
Je dois reprendre ce chantier en collaboration avec C. Morrisson. Pour
une présentation rapide mais récente de ce matériel, J. Zographopoulos, Die
byzantinischen Bleisiegel aus Karthago, dans Studies in Byzantine Sigillography, 9,
2006, p. 81-88.
26
J. Nesbitt, Byzantine lead seals from the vicinity of the governor’s palace and
warehouses (CC and KK), dans K. G. Holum, J. Patrich et A. Raban (dir.),
Caesarea Papers 2, Herod’s temple, the provincial governor’s praetorium and grana-
ries, the later harbour, a gold coin hoard and other studies, Portsmouth (Rhode
Island), 1999 (Journal of Roman Archaeology, suppl. Series number, 35),
p. 129-135.
214 VIVIEN PRIGENT

ment nous aider. Il en va ainsi de doy¥lov th̃v Ueo¥tokoy qui ne me


semble pas antérieure au règne de Constant II et que l’on lit en
caractères latins sur le sceau de l’éparque Paul, conservé à l’Ermi-
tage 27. De même, sur certains sceaux d’évêques italiens, on trouve
une formule du type X servus sancti Y renvoyant au saint patron du
diocèse 28. Je ne connais pas d’usage équivalent en Orient où ces
formules, rarissimes, ne dénotent pas l’appartenance à l’épiscopat 29.
Dans le domaine iconographique, la diffusion du motif de l’aigle
essorante, clairement inspiré du scipio, le sceptre consulaire 30, me
semble devoir être liée à la dévaluation du titre de consul et à sa
diffusion de plus en plus large dans la société 31. En conséquence, les
sceaux à l’aigle pourraient indiquer une date relativement basse 32.
De même, les sceaux présentant une croix comme motif central du
droit ne me semblent pas pouvoir être antérieurs à l’apparition de ce
motif sur les bulles impériales. Or, après une très brève apparition
sous Tibère II, ce type ne réapparaît qu’avec les bulles de
Constantin IV postérieure à 680, avant de s’imposer sous les Icono-
clastes 33.
Il me semble toutefois possible de repérer quelques lignes de
force. E. Stepanova a publié récemment les sceaux latins de l’Ermi-

27
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 78.
28
Ainsi, Valerius, servus sancti Apollinaris (sceau du musée de Naples),
Damianus servus sancti Apollinaris (L. G. Klimanov, Vizantijskie otrazhenija v
sfragistike... cit., n. 1); Petrus, servus sancti Thomae (sceau du musée de Naples).
29
Voir G. Zacos et A. Veglery, Byzantine Lead Seals... cit., n. 5, no 1281A
doy¥lov toỹ aΩgı¥oy Ueodw¥roy. La formule doy¥lov th̃v aΩgı¥av Sofı¥av, attestée par un
unique sceau (ibidem, no 307), est de nature différente puisqu’il s’agit ici d’un
attribut divin, le propriétaire est sans doute un clerc de la Grande Église.
N. Oikonomidès, L’épigraphie des bulles de plomb... cit., n. 11, p. 163-165, envisage
que ces formules puissent marquer en Orient l’appartenance à une confrérie
pieuse.
30
I. Koltsida-Makrè, Byzantina molybdoboulla syllogès Ophanidè-Nikolaïdè,
nomismatikou mouseiou Athènôn, Athènes, 1996. Le type est nettement différent
des aigles visibles sur la petite série de sceaux en cristal de roche d’inspiration
sassanide qui nous sont parvenus : G. Vikan et S. Bendall, Security in Byzan-
tium... cit., n. 3, p. 21-22 et figure 46.
31
J. Haldon, Byzantium in the VIIth Century : the Transformation of a Culture,
Cambridge, 1997, p. 387-402; T. S. Brown, Gentlemen and Officers : Imperial
Administration and Aristocratic Power in Byzantine Italy A. D. 554-900, Rome,
1984, p. 21-37. Voir également pour la question de l’existence d’un consul de
Rome doté de véritables fonctions, J.-M. Sansterre, La date des formules 60-63 du
Liber Diurnus, dans Byzantion, 48, 1978, p. 226-243.
32
Le critère n’est évidemment pas absolu, voir J. Nesbitt, Byzantine lead
seals... cit., n. 26, no 26 et 27, qui présentent une aigle de ce type tout en n’étant
probablement pas postérieurs au milieu du VIIe siècle.
33
C. Morrisson et J. Nesbitt, An Unpublished Lead Seal of Tiberios II
Constantine (578-582), dans Revue numismatique, 165, 2009, p. 421-425; Cata-
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 215

tage 34. Il s’agit d’un corpus assez important de 145 pièces, le plus
important du genre actuellement disponible. En outre, l’auteur a
disposé également des archives de Likhačev dont la collection forme
le noyau dur des sceaux de l’Ermitage 35. Or ces archives indiquent
parfois l’origine des pièces. On peut ainsi certifier l’origine italienne
d’un petit groupe de bulles. On peut y ajouter les sceaux des indi-
vidus dont la titulature suffit à prouver l’origine italienne, par
exemple le préfet du prétoire d’Italie 36, l’évêque de telle ou telle cité
italienne 37, le pape 38. Il faut malheureusement retrancher certaines
bulles dont le témoignage n’est pas clair, par exemple celles qui ne
présentent que des monogrammes 39. On dispose à l’arrivée de vingt-
deux bulles d’Italie 40. Il n’y a, a priori, aucune raison pour que cet
échantillon réuni de façon aléatoire ne soit pas plus ou moins égale-
ment réparti du point de vue chronologique. Or, il semble que
l’usage des grandes capitales soient ici nettement plus courant que
dans l’ensemble du corpus des bulles latines. De façon générale, sur
117 sceaux utilisables pour l’enquête au sein de cette collection, on
peut estimer que 33% font usage des grandes capitales (de façon
exclusive ou à une lettre près), 20% des légendes sont mixtes et 46%
favorisent la cursive ou la semi-onciale. Or si l’on ne prend en consi-
dération que les «sceaux italiens», les grandes capitales représentent
86% du lot, 2,5 fois plus que sur l’ensemble du corpus. Avec
prudence, car l’échantillon est faible et rassemble essentiellement
des sceaux d’ecclésiastiques (9), on peut rappeler que les sceaux
latins de Sardaigne font tous usage des grandes capitales 41. À
l’inverse, le seul grand corpus local dont on dispose pour l’Orient,

logue of Byzantine seals at Dumbarton Oaks, VI... cit., n. 6, no 23.2. De façon plus
générale, I. Koltsida-Makrè, The Representation of the Cross on Byzantine Lead
Seals, dans N. Oikonomidès (dir.), Studies in Byzantine sigillography, 4,
Dumbarton Oaks, 1995, p. 43-51.
34
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11. D’autres pièces de la
même collection sont conservées en dehors de l’Ermitage et font l’objet de
L. G. Klimanov, Vizantijskie otrazhenija v sfragistike... cit., n. 1.
35
Sur ce grand collectionneur et ses sceaux, voir l’introduction de
N. P. Likhačev, Molivdovuly grečeskovo Vostoka, Moscou, 1991.
36
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 123.
37
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 114, Romain, évêque de
Tarente.
38
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 11.
39
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 75.
40
Bien évidemment, il faudrait étendre l’enquête à l’ensemble du matériel
italien, notamment au petit groupe des sceaux de Naples. Cela n’a pas été
possible dans le cadre de cette communication.
41
P. G. Spanu et R. Zucca, Sigilli bizantini della Sardhnı¥a, Rome, 2004
(Pubblicazioni del centro di studi interdisciplinari sulle province romane dell’U-
niversità degli studi di Sassari, 20).
216 VIVIEN PRIGENT

celui de Chypre 42, révèle que les sceaux latins ou bilingues, évidem-
ment très minoritaires (l’échantillon utilisable ne comprend que
35 sceaux), font usage dans 54% des cas de la cursive ou de la semi-
onciale et dans seulement 17% des cas les capitales 43.
Cette impression d’une spécificité des sceaux italiens pourrait
sortir renforcée d’un second calcul. Je m’intéresse ici au rapport
entre la langue et l’épigraphie. Certaines légendes libellées en latin
semblent en effet avoir appartenu à des locuteurs grecs. Je place
dans cette catégorie les sceaux dont les légendes latines sont de
simples translittérations et celles qui font usage de génitif en -U,
décalque phonétique du génitif grec 44. L’échantillon de l’Ermitage
utilisable est ici de 54 bulles, aucune ne provenant a priori d’Italie.
Or, lorsqu’un locuteur grec semble repérable derrière le possesseur
du sceau, la légende fait usage dans 68,5% des cas de la cursive ou
de la semi-onciale, dans seulement 5,5% des cas de la capitale; les
26% restant sont des légendes mixtes. De nouveau le témoignage du
bullaire de Chypre irait dans le même sens. Les sceaux latins trahis-
sant un possesseur grec font ici usage de la cursive dans 60% des cas
et n’ont recours de façon exclusive aux capitales que dans 13,6% des
cas. Les échantillons ne sont certes pas énormes, mais les variations
sont suffisamment considérables pour être significatives à cette
échelle. A priori donc, il semblerait que la cursive ou la semi-onciale
latine ait été plus familière aux locuteurs grecs d’Orient que l’écri-
ture capitale, un résultat déroutant au premier abord.
On peut avancer deux hypothèses pour expliquer ce résultat, qui
ne sont d’ailleurs pas mutuellement exclusives. La première
reconnaîtrait une spécificité géographique : la cursive et la semi-
onciale seraient utilisées en Orient davantage que les capitales. A
priori paradoxale, l’hypothèse n’est pas à écarter puisque le style
cursif est utilisé dans les inscriptions d’époque justinienne, ainsi que
par la plus tardive des inscriptions latines d’Orient bien datées, une

42
D. M. Metcalf, Byzantine lead seals from Cyprus, Nicosie, 2004 (Texts and
studies of the history of Cyprus, Cyprus research centre, 47).
43
Sur les sceaux latins en Orient, N. Oikonomidès, L’épigraphie des bulles de
plomb... cit., n. 11, p. 157-162.
44
D. Feissel, Écrire grec en alphabet latin : le cas des documents protobyzan-
tins, dans F. Bivile, J.-Cl. Decourt et G. Rougement (dir.), Bilinguisme gréco-latin
et épigraphie. Actes du colloque international, Lyon, 17-10 mai 2004, Lyon, 2008
(Collection de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 37. Série épigraphique et
historique, 6), p. 225-227. Je me demande si on ne peut pas également voir un
Grec derrière l’auteur de la dédicace d’une tour de défense à Ksar Lemsa sous le
règne de Maurice : donner au B la valeur phonétique du V, comme pour le b grec
n’est pas trop étonnant en Occident, mais la légende fait usage de K en lieu et
place du C et donne au D la valeur du Z, également comme pour le d grec :
J. Durliat, Les dédicaces d’ouvrages de défense dans l’Afrique byzantine, Rome,
1981 (Collection de l’École française de Rome, 49), p. 77-78.
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 217

constitution de Maurice gravée à Ephèse en 585 45. Le lapicide a ici


été jusqu’à reproduire les ligatures du ductus de l’écriture cursive
(fig. 3). Cette tendance à retenir la cursive ou la semi-onciale pour le
document officiel se retrouve également, moins prononcée, sur les
monnaies et les sceaux impériaux 46. En revanche, en Italie, les
inscriptions officielles demeurent en capitales 47. On notera enfin que
la cursive est également l’alphabet que l’on observe sur les papyrus
égyptiens, l’attestation la plus récente datant de 642 48. Les modèles
d’écriture que nous conserve cette documentation renvoient égale-
ment à cet alphabet, sous diverses formes dont celle effectivement
réservée aux procès-verbaux des plus hautes instances administra-
tives 49. On remarquera d’ailleurs que cet alphabet est susceptible

45
D. Feissel, Les inscriptions latines dans l’Empire protobyzantin... cit., n. 16,
p. 289-298. Dans D. Feissel, Un rescrit de Justinien... cit., n. 16, on constate égale-
ment l’utilisation de la cursive latine archaïsante, y compris pour des mots grecs,
pour l’intitulé. Également des emprunts à la cursive dans la semi-onciale utilisée
pour la datation et qui entend transposer la cursive de l’acte original.
46
C. Morrisson, L’épigraphie des monnaies et des sceaux... cit., n. 17.
47
N. Gray, The palaeography of Latin inscriptions in the eighth, ninth and tenth
centuries, dans Papers of the British School at Rome, n.s. 3, 16, 1948, p. 38-167,
notamment p. 47-48 pour Rome, des formes semi-onciales apparaissent unique-
ment dans l’inscription de la donation du notaire Grégoire à S. Maria in Cosmedin
datée des années 772-795. N. Gray y voit une rupture nette et l’introduction d’un
style «barbaric» tout en s’en étonnant dans la fondation d’un pape d’aussi bonne
romanité. Toutefois, ce type de lettrage se retrouve bien sur les sceaux latins qui
reflètent au mieux les pratiques de l’administration impériale. On ne s’étonnera
plus que le commanditaire ait précisément été un notaire. Également un D oncial
dans une inscription des SS. Quattro Coronati (ibidem, p. 85 no 56). Pour l’Exar-
chat, voir les remarques générales sur la période antérieure et les alphabets du
VIIIe siècle, ibid., p. 55-56. À Rimini, U oncial dans l’épitaphe du duc Martinus
(ibidem, p. 82 no 50) Pour le royaume lombard, deux formes de semi-onciale/
cursive dans une inscription de Ferentillo, 739. Je remercie Kalle Korhonen pour
ses indications bibliographiques. Pour la Sardaigne, voir la belle inscription du
tarif de Cagliari, J. Durliat, Taxes sur les entrées des marchandises dans la cité de
Carales – Cagliari à l’époque byzantine (582-602), dans Dumbarton Oaks Papers, 36,
1982, p. 1-14. Pour l’Afrique, J. Durliat, Écritures «écrites» et écritures épigra-
phiques : le dossier des inscriptions byzantines d’Afrique, dans Studi medievali,
3e série, 21, 1980, p. 19-46. Pour les styles cursifs en usage notamment dans les
graffitis, voir C. Carletti, Viatores ad martyres. Testimonianze scritte altomedievali
nelle catacombe romane, dans G. Cavallo et C. Mango (dir.), Epigrafia medievale
greca e latina, ideologia e funzione, Atti del seminario di Erice, 12-18 settembre 1991,
Spolète, 1995, p. 197-226.
48
J. M. Diethart et K. A. Worp, Notarsunterschriften im byzantinischen
Ägypten, Vienne, 1986 (Österreichische Nationalbibliothek. Papyrussammlung.
Mitteilungen aus der Papyrussammlung der Österreichischen Nationalbibliothek,
neue Serie, 16).
49
D. Feissel, Deux modèles de cursive latine dans l’ordre alphabétique grec,
dans F. A. J. Hoogendijk et B. P. Muhs (dir.), Sixty-five Papyrological Texts
presented to Klaas A. Worp, Leyde, 2008 (Papyrologica Lugduno-Batava, 33),
p. 53-64, le document date du premier quart du Ve siècle.
218 VIVIEN PRIGENT

Fig. 3 – Constitution promulguée en 585 par l’empereur Maurice,


inscription d’Éphèse (repris de D. Feissel, Les inscriptions latines
dans l’Empire protobyzantin... cit. n. 16).
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 219

d’apparaître sur les sceaux : le A très particulier 50 peut ainsi être


observé sur le sceau du spathaire Théodore de l’ancienne collection
Stroganov 51. En Orient, l’usage du latin semble intimement lié à la
volonté du possesseur de s’approprier le prestige lié à l’antique
langue de Rome. On retrouverait donc sur nos bulles le pendant
sigillographique de cette «épigraphie d’État» 52 bien définie par
Denis Feissel : «le fait d’écrire du grec en alphabet latin se présente
avant tout, au VIe siècle, comme un signe d’appartenance à l’appa-
reil d’État» 53. Cet usage constituerait le pendant oriental et protoby-
zantin du snobisme napolitain qui exigeait que les aristocrates
signent en grec au haut Moyen Âge 54. Dans un tel contexte, la préfé-
rence en Orient pour la cursive/semi-onciale, la seule forme d’écri-
ture latine régulièrement en usage dans ces régions, ne saurait
surprendre et il n’est donc pas impossible que, dans le processus
d’effacement de la connaissance du latin en Orient, la maîtrise de la
capitale ait été frappée en premier 55. On notera pour finir que les
quelques bulles de Caesarea Maritima présentant des caractères
latins ne font pas usage des capitales 56.

50
Semblable à une sorte de S coiffé d’une part à la façon du G de la cursive
récente.
51
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 110. Cet alphabet initia-
lement réservé à la chancellerie impériale semble avoir ensuite été employé dans
tous les services administratifs pour les datations, puis être passé dans les chan-
celleries ecclésiastiques : D. Feissel, Deux modèles de cursive latine... cit., n. 49,
p. 62-63 et J.-O. Tjäder, Die nichtliterarischen lateinischen Papyri Italiens aus der
Zeit 445-700, I-II, Stockholm, 1955-1982 (Skrifter Utgivna av Svenska Institutet i
Rom, 4o, 19/2. Acta Instituti Romani Regni Sueviae, series in 4o, 19/2), p. 352-358,
également J. O. Tjäder, Et ad latus. Il posto della datazione e della indicazione del
luogo negli scritti della cancelleria imperiale e nelle largizioni di enfiteusi degli arci-
vescovi ravennati, dans Studi Romagnoli, 24, 1973, p. 91-124.
52
D. Feissel, Les inscriptions latines dans l’Empire protobyzantin... cit., n. 16,
p. 101.
53
D. Feissel, Un rescrit de Justinien... cit., n. 16, p. 298. La connaissance de
cette langue de plus en plus ésotérique était en outre un élément du pouvoir de la
bureaucratie qui se réservait de fait l’accès à certains documents, à la façon des
clercs médiévaux accusés de monopoliser l’accès au Livre sacré : voir à ce sujet
C. M. Kelly, Later Roman bureaucracy : going through the files, dans
A. K. Bowman et G. Woolf, Literacy and power in the ancient world, Cambridge,
1994, p. 167-176. N. Oikonomidès, L’épigraphie des bulles de plomb... cit., n. 11,
p. 159; souligne également que dans le cas des sceaux bilingues, les fautes se
trouvent dans la version latine de la légende, signe de traductions du grec vers le
latin et non l’inverse.
54
J.-M. Martin, Hellénisme politique, hellénisme religieux et pseudo-hellé-
nisme à Naples (VIIe-XIIe siècles), dans Amtelokh¥pion, Studi di amici e colleghi in
onore di Vera von Falkenhausen, Nea Rhômè, 2, 2005, p. 59-78.
55
Sur ce sujet, en général, B. Rochette, Le latin dans le monde grec :
recherches sur la diffusion de la langue et des lettres latines dans les provinces hellé-
nophones de l’empire romain, Bruxelles, 1997 (Collection Latomus, 233).
56
J. Nesbitt, Byzantine lead seals... cit., n. 26, no 17 (le S initial est sans doute
220 VIVIEN PRIGENT

La seconde hypothèse met l’accent sur le critère chronologique.


Les sceaux cursifs seraient plus anciens que les sceaux en capitales
et le faible poids de ces derniers dans le bullaire chypriote s’expli-
querait en fait par un repli assez brutal vers le sceau à légende
grecque au cours du VIIe siècle, lorsque Héraclius généralisa l’usage
du grec jusque dans la titulature impériale 57. Cette décision prise par
Héraclius d’écarter définitivement le latin de l’administration aurait
pu provoquer une adoption plus généralisée de légendes grecques 58.
Si le critère de distinction entre capitales et cursive/semi-onciale est
chronologique, la prépondérance des deux derniers alphabets en
Orient pourrait indiquer une affirmation tardive, dans le cours du
VIIe siècle, des bulles en capitales, laquelle aurait nécessairement
concerné essentiellement l’Occident. La conséquence induite par
cette dernière hypothèse serait que l’usage du sceau de plomb se
serait développé tardivement en Italie, d’où la relative rareté des
sceaux en écriture cursive, par rapport aux sceaux en capitales, qui
seraient globalement postérieurs.
A priori, j’aurais tendance à retenir l’hypothèse chronologique,
au regard de la petite série des bulles à légendes latines de commer-
ciaires et sacellaires d’Afrique des règnes d’Héraclius et
Constant II. Celles-ci font en effet un usage exclusif des capitales.
Malheureusement, on repère, dans les légendes des sceaux du sacel-
laire Maurice, des années 660, l’usage d’un L dont la forme évoque
au premier abord le lambda grec et qui constitue une particularité
épigraphique africaine bien étudiée par J. Durliat 59. Il est donc
probable que ces bulles soient de production locale, donc occiden-
tale et l’on retomberait alors dans le dilemme consistant à choisir

une capitale, mais pourrait aussi être une forme abâtardie du S de la cursive
ancienne de chancellerie qui aurait été privée de la petite boucle qui la caracté-
rise), 19 (R capital, apparemment une erreur du graveur qui a initialement gravé
un rhô).
57
A. Kazhdan (dir.), The Oxford Dictionary of Byzantium, vol. 1-3, New York-
Oxford, 1991, s.v. Latin, p. 1183. Une première décision en ce sens avait été prise
par Justinien Ier, dont se lamente Jean Lydos : C. M. Kelly, Later Roman bureau-
cracy... cit., n. 53, p. 174. On ne peut tirer argument en faveur de cette hypothèse
de la disparition après 642 des souscriptions notariales en latin en Égypte,
puisque cette province sort précisément alors de l’orbite impériale suite à la
conquête musulmane.
58
Le sceau d’Eustratios, stratio(ticu) logothetu (G. Zacos et A. Veglery,
Byzantine Lead Seals... cit., n. 5, no 805; voir sur cette pièce, N. Oikonomidès,
L’épigraphie des bulles de plomb... cit., n. 11, p. 160), montre toutefois que
l’abandon du latin ne fut pas immédiat et l’on rappellera aussi que la dernière
souscription notariale latine d’Égypte est également légèrement postérieure à la
mort d’Héraclius (voir n. 48).
59
J. Durliat, La lettre L dans les inscriptions byzantines d’Afrique, dans Byzan-
tion, 49, 1979, p. 156-174.
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 221

entre critère géographique et chronologique. Personnellement, je


pencherai tout de même pour le critère chronologique, car ce détail
n’apparaît que sur les bulles de Maurice. Toutefois, il faudra
attendre une étude plus approfondie de l’épigraphie des sceaux afri-
cains pour sortir de ce dilemme : si les sceaux en cursive/semi-
onciale se révélaient globalement dominants, alors le témoignage
des bulles de commerciaires signalerait clairement une rupture
chronologique plus que géographique et cette leçon vaudrait sans
doute également pour l’Italie. L’examen des sceaux siciliens est ici
moins instructif en raison des liens particulièrement forts qui exis-
taient entre l’île et l’Orient byzantin et qui s’expriment notamment
dans le pourcentage extrêmement faible de sceaux en latin dans le
bullaire de l’île 60.
En parallèle au problème de la datation, on doit souligner un
second point : l’extrême rareté des sceaux de plomb de l’Italie pénin-
sulaire au haut Moyen Âge. Apparemment, seul le clergé romain en
faisait un usage assez large 61. Il faut certainement y voir le souci
d’imiter les pratiques de l’administration impériale et l’ampleur des
intérêts de la papauté dans la péninsule. Le pontife est en effet rapi-
dement le seul à traiter de problèmes autres que purement locaux 62.
De façon plus générale, les évêques semblent plus que les autres
membres de l’élite faire un usage plus ou moins régulier de la bulle
de plomb 63. Pour illustrer ce problème, on peut évoquer ici la ques-

60
Pour les VIe-VIIIe siècles, les sceaux latins ne représentent pas plus de 10%
de l’échantillon, contre un tiers environ en Afrique (même résultat en Sardaigne,
qui dépend de l’exarchat de Carthage, sur un échantillon toutefois restreint),
auquel il convient d’ajouter 10% de sceaux bilingues. À titre de comparaison, la
petite collection locale de Naples compte, sur 26 sceaux utilisables, deux tiers de
sceaux latins. Je note toutefois que deux sceaux du règne de Constant II mention-
nant en latin l’Opsikion, l’armée de manœuvre d’Orient, font usage de la semi-
onciale/cursive : V. Prigent, La Sicile de Constant II : l’apport des sources sigillo-
graphique, dans A. Nef et V. Prigent (dir.), La Sicile de Byzance à l’Islam... cit.,
n. 8, p. 167-168.
61
Outre les sceaux des papes on connaît bon nombre de sceaux de diacres,
sous-diacres ou prêtres. Parfois, leur appartenance au clergé romain est indiquée
par l’iconographie comme dans le cas du prêtre Siricius dont le sceau conservé à
Reggio Calabria présente un phénix accompagné d’une inscription reprenant un
modèle observable dans la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs.
62
Il suffit pour s’en persuader de parcourir la correspondance pontificale,
notamment Grégoire le Grand, Registrum Epistularum sancti Gregorii Magni,
D. Norberg (éd.), Turnhout, 1982 (Corpus Christianorum, series latina, 140 et
140 A).
63
En Sicile, les sceaux d’évêques sont les derniers à faire usage du latin,
signe clair d’allégeance à Rome : V. Prigent, La Sicile byzantine (VIe-Xe siècle),
doctorat de la Sorbonne, Paris, 2006, p. 205. Pour Ravenne, on peut citer les
sceaux de Damianus ou de Valerius, qui se disent tous deux servus Sancti Apolli-
naris, voir n. 28.
222 VIVIEN PRIGENT

tion du tribunat. Ce titre, on le sait, fut le marqueur privilégié des


aristocraties post-byzantines 64. Or, à ma connaissance, il n’est
attesté par aucune source sigillographique italienne. L’existence
d’ateliers monétaires à Ravenne comme à Rome permet pourtant
d’écarter d’emblée, dans les régions qui en dépendent, les considéra-
tions techniques liées à la difficulté de produire des boullotèria de
qualité 65.
En revanche, ce qu’il est à mon sens essentiel de souligner est
que le constat de la rareté des bulles de plomb est valable aussi bien
pour les siècles de domination impériale que pour l’époque posté-
rieure. Bien entendu, comme pour toutes les sources archéolo-
giques, il est évident que seule une infime fraction des sceaux nous
sont parvenus. Il n’en reste pas moins que le contraste est saisissant
dans les provinces occidentales entre d’une part la Sicile ou
l’Afrique, et dans une moindre mesure la Sardaigne – mais le
bullaire reflète ici largement une trouvaille groupée – et, de l’autre,
l’Italie péninsulaire. Le cas romain me semble assez clair : on
dispose maintenant d’un grand nombre de résultats de fouilles de
contextes du haut Moyen Âge, d’ampleur inégale mais assez bien
réparties sur l’ensemble du territoire de la ville 66. Or, seul le site
exceptionnel de la Crypta Balbi a livré une douzaine de bulles 67. On
peut citer également les fouilles entreprises à Naples dans le beau
contexte des VIe-VIIe siècles de Carminiello ai Mannesi qui n’ont mis
au jour aucune bulle 68. Le bullaire du musée archéologique de
Naples ne possède qu’une trentaine de bulles de cette époque 69. Les
fouilles de la Rimini du haut Moyen Âge n’ont livré que deux
bulles 70. Les belles fouilles de Sant’Antonino di Perti n’ont pas livré
d’artefact de ce type, alors même que cette fortification devait

64
Ibid., p. 302-308.
65
Sur les ateliers monétaires italiens, on consultera dorénavant de façon
commode, L. Travaini (dir.), Guida alle zecche italiane, Rome, 2010 (Supplemento
al Bollettino di numismatica), sous presse.
66
Voir notamment les études réunies dans L. Paroli et L. Vendittelli (dir.),
Roma dall’antichità al medioevo II, contesti tardoantichi e altomedievali, Rome,
2004.
67
F. Marazzi, Sigilli dai depositi di VII e VIII secolo dell’esedra della Crypta
Balbi, dans M. S. Arena et alii, (dir.), Roma dall’antichità al medioevo. Archeologia
e storia nel museo nazionale romano-Crypta Balbi, Milan, 2001, p. 257-263.
68
P. Arthur (dir.), Il complesso archeologico di Carminiello ai Mannesi,
Napoli (scavi 1983-1984), Galatina, 1994.
69
J.-P. Kirsch, Altchristiliche Bleisiegel des Museo Nazionale zu Neapel, dans
Römische Quartalschrift für christliche Altertumskunde und für Kirchengeschichte,
6, 1892, p. 310-338. J’en prépare la réédition, rendue délicate par l’état de dégra-
dation extrêmement avancée des bulles.
70
Communication personnelle de Claudio Negrelli.
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 223

accueillir des représentants du pouvoir impérial 71. Dans la région de


Venise, on dispose d’une synthèse offerte par B. Callegher qui
présente l’avantage d’enregistrer aussi précisément que possible les
contextes de découverte 72. Elle ne présente qu’une dizaine de pièces
dont seules cinq ont pu être produites localement à l’époque qui
nous intéresse 73. On évoquera enfin la figure de Guido Zattera,
conservateur du musée de Torcello. Ce savant s’intéressa personnel-
lement aux bulles byzantines, rassemblant une collection d’une
soixantaine de pièces 74. Or malgré la position institutionnelle idéale
pour le repérage des trouvailles locales qu’il occupait, cette collec-
tion rassemble presqu’uniquement des bulles achetées en Grèce et
en Turquie.
De façon plus générale, la simple absence de tradition acadé-
mique italienne dans le domaine de la sigillographie byzantine parle
d’elle-même 75. La rareté des attestations de sceaux de plomb dans les
régions de la Péninsule ici prises en considération aux VIIIe-
IXe siècles et au-delà ne marque donc pas une réelle rupture avec la
période byzantine. L’Italie péninsulaire semble ne pas avoir véri-
tablement adopté l’usage oriental du sceau de plomb, plutôt que
l’avoir abandonné au lendemain de la fin de la domination politique
de Byzance. C’est cette question de l’échec de la greffe de cet usage
oriental si caractéristique du monde byzantin qui me semble la
question la plus intéressante et la plus importante pour comprendre
la situation ultérieure. Il faut de nouveau souligner d’emblée un
point. On ne peut évacuer le problème en évoquant simplement une
«byzantinisation des usages» plus ou moins complète selon les
zones, les nuances étant liées au niveau local de développement
socio-économique, à la force plus ou moins grande de l’autorité
impériale ou au développement de la langue grecque. En effet, ce
genre d’argument est incapable d’expliquer pourquoi la Sardaigne,
pauvre, isolée et peu ou mal hellénisée, faisait apparemment un

71
T. Mannoni et G. Murialdo (dir.), S. Antonino : un insediamento fortificato
nella Liguria bizantina, Bordighera, 2001.
72
B. Callegher, Sceaux byzantins et vénitiens... cit., n. 22, p. 409-420. Voir
également Id., Sigilli bizantini del Museo Bottacin, dans Bollettino del Museo
Civico di Padova, 83, 1994, p. 169-177 et Id., Sigilli bizantini della Collezione Guido
Zattera, dans Bollettino del Museo Civico di Padova, 82, 1993 [1995], p. 391-402.
73
B. Callegher, Sceaux byzantins et vénitiens... cit., n. 22, no 1, 2, 4, 5, 10.
74
Id., Sigilli bizantini della Collezione Guido Zattera... cit., n. 72; voir égale-
ment, W. Dorigo, Bolle plumbee bizantine nella Venezia esarcale, dans Studi in
memoria di G. Bovini, I, Ravenne, 1989 (Biblioteca di Felix Ravenna, 6),
p. 223-235.
75
La figure d’Antonino Salinas ne fait pas réellement exception car la Sicile
présente, ici comme dans tant d’autres domaines, un visage totalement différent
de l’Italie péninsulaire.
224 VIVIEN PRIGENT

usage plus large des sceaux de plomb que la région de Ravenne,


siège de l’exarque et capitale de l’Italie byzantine.
La question revient en fait à essayer de comprendre pourquoi
l’usage du sceau de plomb s’est développé à Byzance. C’est en avan-
çant sur ce point que l’on peut espérer selon moi comprendre ce qui
s’est passé en Italie. Or, personne, à ma connaissance, ne s’est réelle-
ment intéressé à cette question que l’on ne peut écarter en invoquant
un simple changement de support, le passage du sceau de cire à la
bulle métallique : ce fait n’est pas une solution mais un aspect du
problème. D’ailleurs, les Byzantins n’ont jamais abandonné le sceau
de cire ou de terre glaise, comme en témoignent les matrices
coniques ou sigillaires qui nous parvenues 76. La question est donc
plus complexe.
On peut d’ores et déjà placer les origines du phénomène aux
VIe-VIIe siècles. Bien entendu, des bulles de plomb sont déjà connues
auparavant, notamment par des modèles impériaux, mais
demeurent trop rares pour avoir retenu l’attention et donné nais-
sance à une discipline spécialisée 77. Le modèle de la bulle byzantine
largement utilisée me semble avoir été celui des bulles de plomb
commerciales, seul type de matériel proche très largement attesté à
l’époque romaine, et dont la disparition correspond à peu de choses
près à l’apparition des bulles diplomatiques 78. On rappellera que les

76
Ainsi dans les Institutes (II.10.5) : «All the witnesses can seal a will with a
signet ring... and it is even permitted to impress a seal with a ring belonging to
another», cité par G. Vikan et S. Bendall, Security in Byzantium... cit., n. 3, p. 10,
qui renvoient également à la représentation du livre de l’Apocalypse encore scellé
sur les mosaïques ornant l’abside de S. Vitale de Ravenne. On peut y voir claire-
ment les sept sceaux correspondant au nombre requis de témoins pour valider un
testament. On trouvera dans le même volume, p. 16-20, des exemples d’anneaux
sigillaires et p. 20-23 des sceaux coniques, de tradition perse, ou de petits sceaux
bivalves pour cire. Également, D. M. Metcalf, Byzantine lead seals from Cyprus...
cit., n. 42, p. 492-497. Pour la cire, on citera le bel exemple d’une guérison
accomplie par l’application d’un cataplasme de cire fondue ayant auparavant
reçu l’empreinte d’un sceau portant l’effigie de saint Artemios (G. Vikan et
S. Bendall, Security in Byzantium... cit., n. 3, p. 14). L’usage de sceaux en terre
cuite est attesté en Égypte, au-delà même de la période byzantine : A.-K. Wassi-
liou et H. Harrauer, Siegel und Papyri. Das Siegelwesen in Ägypten von römischer
bis in früharabischen Zeit, Nilus, 4, Vienne, 1999, et nombreux exemples dans
F. Morelli, Documenti greci per la fiscalità e l’amministrazione dell’Egitto Arabo,
Vienne, 2001 (Corpus papyrorum Raineri Archiducis Austriae, 22, Griechische
Texte, 15).
77
Comme l’indique Vikan, «only a handful of lead sealing survive from
before the Sixth century» (G. Vikan et S. Bendall, Security in Byzantium... cit.,
n. 3, p. 25). La disparition des intailles de pierre intervient en bonne logique
simultanément (ibid., p. 19). D. M. Metcalf, Byzantine lead seals from Cyprus...
cit., n. 42, p. 32, semble être en faveur d’une date tardive, au VIIe siècle, pour le
réel essor. Je serais assez d’accord sur ce point comme on le verra plus avant.
78
M. Rostovtsew et M. Prou, Catalogue des plombs de l’Antiquité, du
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 225

matrices de ces dernières servaient d’ailleurs également à sceller des


ballots de marchandises 79.
Le second point intéressant me semble être le poids initial des
sceaux privés. En effet, un survol des grands corpus rend patent
qu’aux VIe-VIIe siècles la proportion de sceaux privés par rapport
aux sceaux officiels est nettement plus considérable qu’aux siècles
suivants 80. Dans son étude d’ensemble du bullaire chypriote,
D. M. Metcalf conclut au fait que même un individu privé utilisait
couramment plusieurs boullotèria au cours de sa vie, sans qu’une
éventuelle modification de légende intervienne, ce qui indique un
recours extrêmement régulier à sa matrice 81. Pour bien mesurer
l’importance de ce poids initial du sceau privé, il faut en outre
garder présent à l’esprit que ces bulles avaient a priori moins voca-
tion à une longue conservation que les bulles frappées par les fonc-
tionnaires. La mode du sceau de plomb ne naît donc probablement
pas au sein de la haute administration pour se diffuser ultérieure-
ment à tous les échelons de la société 82. Il est malheureusement

Moyen Âge et des temps modernes conservés au Département des médailles et


antiques de la Bibliothéque nationale, Paris, 1900, p. 7-9 et 28-29; les plombs
des militaires se rattachent à cet usage : ibid., p. 21-28; l’État se sert également
de ce type de marque mais celles-ci demeurent, à l’exception très particulière
des empereurs, impersonnelles : ibid., p. 10-12 (trois exceptions relevées); pour
d’autres types d’antécédents, voir également les tessères de plomb romaines :
M. Overbeck, Römische Bleimarken im Civiche raccolte numismatiche zu
Mailand/Tessere plumbee romane, Civiche raccolte numismatiche, Milan, 2001 et
Id., Römische Bleimarken in der Staatlichen Münzsammlung München : eine
Quelle zur Sozial- und Wirtschaftsgeschichte Roms, Munich, 1995.
79
Voir G. Vikan et S. Bendall, Security in Byzantium... cit., n. 3, p. 14; le cas
le plus clair est évidement celui des bulles de commerciaires qui présentent
encore l’empreinte du tissu ayant enveloppé les marchandises scellées : G. Zacos
et A. Veglery, Byzantine lead seals... cit., n. 5, no 135. Je ne peux suivre en
revanche V. Bulgakova, Archäologische Perspektive auf das byzantinische Siegel-
wesen, dans Ch. Stavrakos (éd.), 10th international Symposium of Byzantine Sigil-
lography, Ioannina, 1-3 October 2009, à paraître, lorsqu’elle propose de faire du
scellement de marchandises l’utilisation première des bulles byzantines.
80
La question est complexe car les dignitaires dépourvus de fonction sont
par bien des aspects des personnes privées. En outre, même un fonctionnaire
peut faire usage en parallèle de son sceau privé. Il n’en reste pas moins que la
proportion de sceaux privés m’apparaît nettement plus élevée à haute époque.
81
D. M. Metcalf, Byzantine lead seals from Cyprus... cit., n. 42, p. 18 :
«multiple boulloteria were the norm».
82
Ce sans méconnaître évidemment l’existence de bulles impériales à haute
époque, voir par exemple, M. Rostovtsew et M. Prou, Catalogue des plombs... cit.,
n. 78, p. 12-19 ou Catalogue of Byzantine seals at Dumbarton Oaks... cit, n. 6, VI,
no 1, 2; A.-K. Wassiliou et H. Winter, Ein neues Bleisiegel des Kaisers Markianos
(450-457) aus Flavia Solva (Steiermark), dans Mitteilungen Öst. Num. Ges., 40/5,
2000, p. 92-96.
226 VIVIEN PRIGENT

impossible de le démontrer mais je ne serais pas autrement étonné


si son usage régulier était d’abord né parmi les particuliers, ce qui
expliquerait d’ailleurs le lien initial avec les bulles de plomb
commerciales. Je soulignerai toutefois que l’on remarque moins ce
poids initial des sceaux privés au sein du bullaire italien où
dominent plus nettement les sceaux d’officiels. C’est, après le simple
aspect quantitatif, une autre différence importante entre les
bullaires d’Occident et d’Orient, mais qui reflèterait bien la diffusion
limitée de la bulle dans les cercles les plus soucieux de se conformer
aux usages orientaux, au sein desquels se recrutaient de façon privi-
légiée les fonctionnaires. Dernier point : le bullaire de haute époque
ne connaît pas d’exemple de sceau anonyme, assez fréquent ulté-
rieurement 83. A priori donc, la bulle byzantine ne me semble pas
avoir été conçue au premier chef pour fermer les correspondances.
Ceci étant posé, il est possible d’identifier un bouleversement
majeur de la société de l’Antiquité tardive, susceptible d’avoir promu
cet usage du sceau de plomb par les particuliers. De façon générale,
l’essor de la bulle correspond à l’époque de l’effacement des institu-
tions civiques. Il me semble particulièrement remarquable que les
titres typiques des magistratures civiques de l’Antiquité tardive
n’apparaissent pas dans le bullaire byzantin, à quelques très rares
exceptions près, généralement tardives, qui correspondent à des
situations locales particulières où certains titres se sont fossilisés et
apparaissent avec une simple valeur honorifique 84. La seule excep-
tion pourrait être le titre d’illoustrios, mais le terme recouvre peut-
être au VIIe siècle une évolution de la pagarchie vers une fonction
impériale et non plus une charge civique 85. La question est compli-
quée, je ne m’y attarde pas 86.
Je crois possible, dans ce cadre général, d’être plus précis en
mettant l’accent sur la disparition des curies. Jusqu’au VIe siècle,
cette vénérable institution civique se survit grâce aux efforts

83
Légende du type «De qui je suis le sceau, tu le sauras en lisant la lettre».
84
Voir par exemple, le patèr poleôs de Syracuse (V. Laurent, Une source peu
étudiée de l’histoire de la Sicile au haut Moyen Âge : La sigillographie byzantine,
dans Byzantino-Sicula, Palerme, 1966 [Quaderni dell’Istituto siciliano di studi
bizantini e neoellenici, 2], p. 35) ou ses homologues de Chersôn (Constantine
Porphyrogenitus, De Administrando Imperio, Gy. Moravcsik [éd.], R. J. H. Jenkins
[trad.], Washington [DC], 1967 [Dumbarton Oaks Texts, 1], 42, p. 184 et pour des
attestation sigillographiques Í. Aleksenko, Les relations entre Cherson et l’empire
d’après le témoignage des sceaux des archives de Cherson, dans Studies in Byzan-
tine Sigillography, 8, 2003, p. 82).
85
Le contrôle de la nomination échappe au gouverneur et revient au préfet
du prétoire au nom de l’empereur.
86
J. Gascou, La détention collégiale de l’autorité pagarchique dans l’Égypte
byzantine, dans Byzantion, 42, 1972, p. 69 n. 2; R. Mazza, Ricerche sul pagarca
nell’Egitto tardoantico e bizantino, dans Aegyptus, 75, 1/2, p. 169-242.
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 227

constants de l’État qui légifère pour éviter sa décadence pour des


raisons essentiellement fiscales. C’est au cours du VIe siècle que
l’effort de l’État se relâche et que les curies disparaissent en Orient 87.
Or, en liaison avec leurs responsabilités en matière de perception
fiscale, les curies étaient également responsables, depuis 366, de
l’enregistrement des transactions immobilières, ventes aussi bien que
donations, ou encore des contrats de mariages, selon la procédure de
l’insinuatio rapidement placée sous la responsabilité des defensores 88.
L’inscription des mutations foncières aux acta municipalia assurait la
validité de la transaction et, le point est capital, le transfert des obliga-
tions fiscales 89. La disparition des curies entraîne donc un bouleverse-
ment d’importance dans cet aspect essentiel de la vie économique.
L’état de délabrement du système dès le début du VIe siècle
transparaît dans la législation de Justinien. Les novelles 8 et 15

87
Sur le rôle de cette institution au Bas-empire, on se reportera désormais
de façon générale à la synthèse offerte par Ch. Wickham, Framing the Early
Middle Ages. Europe and the Mediterranean, 400-800, Oxford, 2005, p. 596-602 et
pour plus de détails, A. Laniado, Recherches sur les notables municipaux dans
l’Empire protobyzantin, Paris, 2002 (Travaux et mémoires du Centre de recherche
d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies, 13), sur la dimension fiscale,
notamment p. 71-87. Également, R. Alston, The City in Roman and Byzantine
Egypt, Londres-New York, 2002, p. 310-311. Pour la documentation papyrolo-
gique, on peut consulter H. Geremek, Sur la question des boulai dans les villes
égyptiennes aux Ve-VIIe siècles, dans Journal of Juridic Papyrology, 20, 1990,
p. 55-74 et la liste des attestations de bouleutai et politeuomenoi, compilée par
K. A. Worp, Bouleutai and Politeuomenoi in Later Byzantine Egypt Again, dans
Chroniques d’Égypte, 74, 1999, p. 124-132, qui invite (notamment p. 130) à ne pas
tenir pour acquise la synonymie des deux termes. Sur l’attestation tardive de la
boulè dans le codex fiscal hermopolite édité par J. Gascou, Un codex fiscal hermo-
polite (P. Sorb. II 69), Atlanta, 1994, p. 60, voir les remarques importantes de
Fikhman dans son compte-rendu paru dans Chroniques d’Égypte, 72, 1997,
p. 163-164. Également, J. H. W. G. Liebeschuetz, A Civic Finance in the Byzantine
Period : the Laws and Egypt, dans Byzantinische Zeitschrift, 89, 1996, p. 398-408,
p. 404 et notamment n. 117.
88
Voir sur ce point la communication de F. Santoni, I papiri di Ravenna :
Gesta municipalia e procedure di insinuazione, dans ce volume. Également,
H. Saradi-Mendelovici, L’enregistrement des actes privés (insinuatio) et la dispari-
tion des institutions municipales au VIe siècle, dans Cahiers des études anciennes,
21, 1988, p. 117-130. L’auteur place le début de cette pratique au IVe siècle, mais il
existe une bibliothèque des actes publics enregistrant également les contrats
privés en Égypte depuis l’époque d’Auguste, bien étudiée dans F. Lerouxel, Le
marché du crédit dans le monde romain d’après les documents de la pratique
(Égypte et Campanie), Doctorat de l’École des Hautes études en sciences sociales,
Paris, 2008. Sur le defensor, R. M. Frakes, Title Contra potentium iniurias : the
Defensor Civitatis and late Roman justice, Munich, 2001 (Münchener Beiträge zur
Papyrusforschung und antiken Rechtsgeschichte, 90).
89
Sur ce point, F. Santoni, I papiri di Ravenna... cit., p. 17 : que les bénéfi-
ciaires d’une vente ou d’une donation fiscalia tributa solvantur.
228 VIVIEN PRIGENT

réforment en effet la fonction du defensor civitatis en réaffirmant


son rôle dans la gestion des acta municipalia et en ordonnant la
construction d’un bâtiment ad hoc dans chaque ville car auparavant,
dénonce l’empereur, les titulaires gardaient les actes chez eux où ils
se perdaient ou s’abîmaient 90. Le préambule souligne qu’en consé-
quence depuis longtemps aucun enregistrement d’acte privé n’avait
lieu. La charge tournant annuellement au sein du corps des notables
locaux, on réalise effectivement le chaos qui devait régner dans cette
documentation passant allègrement de mains en mains ou s’éparpil-
lant entre titulaires successifs de la fonction de defensor. Dès 538,
l’empereur revient sur la question mais se contente cette fois de
recommander l’enregistrement des transactions aux archives
publiques 91. Ces tentatives de réaction révèlent bien la crise du
système de l’insinuatio. Les novelles contemporaines sur l’activité
des tabellions, qui mettent en exergue le rôle des témoins et la valeur
légale des mentions de la completio et de l’absolutio par le notaire,
révèlent également en creux la crise de l’enregistrement public dès
lors que l’insinuatio, selon les formules explicites d’une loi de Zénon,
était précisément censée rendre inutile la souscription des témoins
ou la comparatio litterarum 92. La tentative d’imposer pour la rédac-
tion des actes l’utilisation systématique, au moins dans la capitale,
d’un support particulier fourni exclusivement par l’État et identifié
par le prôtokollon relève de la même logique : tenter de pallier les
carences de l’enregistrement par la multiplication de caractéris-
tiques formelles destinées à entraver la production de faux ou tout
au moins la contestation des pièces authentiques 93. L’évolution
postérieure à la novelle imposant l’usage des prôtokolla ne peut donc
pas surprendre : les exemples tardifs que nous conservent les
papyrus adoptent un style de plus en plus alambiqué, ce que Jean
Gascou nomme «l’écriture perpendiculaire», qui en rend le
déchiffrement presque impossible 94. La «scrittura grande» raven-
nate en constitue le pendant occidental 95.

90
Voir la présentation de la novelle dans H. Leclerq, Defensor civitatis, dans
Dictionnaire d’Archéologie chrétienne et de liturgie, IV, col. 417-418.
91
H. Saradi-Mendelovici, L’enregistrement des actes privés... cit., n. 88,
p. 119.
92
H. Saradi-Mendelovici, L’enregistrement des actes privés... cit., n. 88,
p. 120; M. Amelotti et G. Costamagna, Alle origini del notariato italiano, Rome,
1975 [Studi storici sul notariato italiano, 2], p. 26 et M. Amelotti, Giustiniano e la
comparatio litterarum, dans Subcesiva Groningana, 4, 1990, p. 1-18.
93
J. Diethart, D. Feissel et J. Gascou, Les prôtokolla des papyrus byzantins
du Ve au VIIe siècle. Édition, prosopographie, diplomatique, dans Tyche, 9, 1994,
p. 9-40, pl. 2-7.
94
Ibid., p. 34.
95
J.-O Tjäder, La misteriosa «scrittura grande» di alcuni papiri ravennati e il
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 229

Dans ce contexte, les particuliers ne tardent donc pas à être


seuls responsables de leurs propres archives et il semble qu’il
n’existe plus en Orient de système public d’enregistrement des tran-
sactions privées en état de fonctionnement dès le milieu du
VIe siècle 96. Or ce phénomène est en Orient strictement contempo-
rain du développement de l’usage des sceaux de plomb. On
comprendrait mieux dans ce cadre que la richissime province
d’Égypte n’ait restitué aucun bullaire digne de ce nom : la tradition
urbaine antique survit ici avec une force toute particulière 97. Les
bulles semblent perçues comme un système de garantie efficace,
sans doute en raison de la difficulté technique de leur fabrication et
de l’impossibilité d’en reproduire l’empreinte par simple moulage 98.
Il faut d’ailleurs sans doute interpréter dans ce cadre la vogue
initiale des monogrammes complexes. Les sceaux des
VIe-VIIe siècles – et notamment les bulles privées – font en effet un
usage particulièrement abondant des monogrammes qui
compliquent évidemment la tâche d’éventuels faussaires 99. D’une
certaine façon, l’objectif est ici identique à celui de l’utilisation des

suo posto nella storia della corsiva latina e nella diplomatica romana e bizantina
dall’Egitto a Ravenna, dans Studi romagnoli, 3, 1952, p. 173-221; voir ici même
F. Santoni, I papiri di Ravenna... cit., p. 26 : à propos des difficultés à
comprendre cette écriture en 625, qui auraient amené à redoubler la mention de
la date dans une écriture plus usuelle, il faut rappeler que Justinien donnait ordre
en ce sens dès 537 : D. Feissel, Deux modèles de cursive latine... cit., n. 49,
p. 62-64.
96
L’Égypte pourrait faire exception par son système de demande de transfert
des responsabilités fiscales dans les «grands livres fiscaux», à propos desquels
voir J. Gascou, Un codex fiscal... cit., n. 87; le fait que dans les transactions,
l’absolutio échappe ici aux notaires pour demeurer de la responsabilité des
parties pourrait d’ailleurs s’expliquer en partie par cette particularité
(M. Amelotti et G. Costamagna, Alle origini del notariato italiano... cit., n. 92,
p. 35-36).
97
Ch. Wickham, Framing the Early Middle Ages... cit., n. 87, p. 600-601.
Plus généralement, R. Alston, The City in Roman and Byzantine Egypt,
Londres-New York, 2002, p. 309, sur le maintien des fonctions traditionnelles
de l’ekdikos jusqu’à l’époque arabe, et P. van Minnen, The other cities in Late
Roma Egypt, dans R. Bagnall, Egypt in the Byzantine World, Cambridge, 2007,
p. 207-225.
98
Il faut nécessairement disposer d’une matrice en métal pour espérer
imprimer le flanc de plomb.
99
On rappellera le jugement de G. Schlumberger, Sigillographie de l’empire
byzantin, Paris, 1884, p. 84 : «De très nombreux sceaux de l’époque la plus
ancienne, des VIe et VIIe siècles principalement, portent de simples mono-
grammes. Ils offrent en général fort peu d’intérêt et je ne m’y arrêterai guère. Le
déchiffrement de ces monogrammes est un travail des plus ingrats, sans utilité
réelle, parce qu’il s’agit d’ordinaire de simples prénoms ou de titres très connus;
et du reste le plus souvent on n’aboutit pas».
230 VIVIEN PRIGENT

supports pourvus de protocoles à la calligraphie complexe. Il se


rapproche encore davantage des signa recognitionis que déve-
loppent les notaires du haut Moyen Âge100 et il n’est pas dénué
d’intérêt de rappeler qu’au VIe siècle ces signa caractérisent les
magistrats et fonctionnaires101. Ce n’est, je crois, que par le souci de
disposer d’un tel cryptogramme visuel que l’on peut expliquer au
mieux la fréquence des sceaux associant le nom en monogramme à
l’avers et le nom en toutes lettres au revers102. Il est également inté-
ressant de noter qu’apparaît précocement sur les sceaux la formule
Ky¥rie boh¥uei, destinée à céder la place à Ueoto¥ke boh¥uei avec le
développement du culte marial. L’usage des formules de dévotion
se généralise au VIIIe siècle103. À l’origine toutefois, la formule
Ky¥rie boh¥uei constitue un élément distinct de la légende de revers
qui fait usage du génitif. On a une double légende plutôt qu’une
construction fautive104 et ce n’est que vers 700 que l’on établit un
lien entre les deux faces par le tétrasyllabe t√ s√ doy¥lw ∞ et le
passage au datif du revers. Or dès la fin du Ve siècle, la formule
Ky¥rie boh¥uei privée de complément d’objet et associée à un nom et
à une formule au génitif apparaît dans l’ars notaria des papyrus
égyptiens immédiatement après la signature du rédacteur de l’acte
parmi les signes de validation, un phénomène bien étudié par
J. Diethart105.
L’usage contemporain, au VIIe siècle, des bulles et des prôtokolla
ne pose pas de réels problèmes. La documentation égyptienne révèle
en effet que l’usage du support timbré cesse rapidement d’être signi-
fiant 106 . Deux documents constantinopolitains du milieu du

100
M. Amelotti et G. Costamagna, Alle origini del notariato italiano... cit.,
n. 92, p. 240-254, et G. Nicolaj, Il signum dei tabellioni romani : simbologia o
realtà giuridica? dans Paleographica diplomatica et archivistica. Studi in onore di
Giulio Batelli, Roma, 1979, p. 7-30.
101
M. Amelotti et G. Costamagna, Alle origini del notariato italiano... cit.,
n. 92, p. 244-245 : «C’è però una categoria di persone che non si accontenta di far
precedere il proprio nome da un semplice segno di croce, ma usa un intreccio di
linee ben più complesso ed è (...), non quelle degli scrittori di documenti ma
quella dei magistrati. (...) In questo caso abbiamo un segno che non soltanto può
prestarsi all’identificazione del suo autore ma è anche simbolo della sua apparte-
nenza ad una determinata categoria di persone».
102
Par exemple, G. Zacos et A. Veglery, Byzantine lead seals... cit., n. 5,
no 326, 391, 2827, 422, 526.
103
N. Oikonomidès, L’épigraphie des bulles de plomb... cit., n. 11, p. 165-168.
104
Voir sur ce point important N. Oikonomidès, L’épigraphie des bulles de
plomb... cit., n. 11, p. 165.
105
J. Diethart, Ky¥rie boh¥uei in byzantinischen Notarsunterschriften, dans
Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 49, 1982, p. 79-82, IIIb.
106
J. Diethart, D. Feissel et J. Gascou, Les prôtokolla... cit., n. 93, p. 35-37.
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 231

VIe siècle, conservés dans les archives de Dioscore d’Aphroditô,


témoignent du fait que les dispositions de Justinien étaient déjà
lettre morte dans la capitale une vingtaine d’années après la promul-
gation de la loi107.
Je proposerai donc de mettre l’essor de l’usage du sceau en rela-
tion avec l’effacement des institutions municipales et surtout avec la
disparition du système d’enregistrement des transferts de biens, et
plus généralement des contrats, liés aux curies. Il apportait une
alternative efficace à la comparatio litterarum dont la novelle 73 sur
les tabellions souligne les limites108. De nouveau, l’absence de toute
attestation sigillographique certaine d’un defensor civique, nommé-
ment responsable des acta municipalia, ou d’un ekdikos, son équi-
valent grec, me semble significative. En revanche, l’apparition à
haute époque de sceaux mentionnant deux individus apparemment
en relations d’affaires – du type Georges et Jean Argyroprates, ou sur
le modèle des sceaux de commerciaires opérant, selon l’expression
de Nicolas Oikonomidès, «en cartel» – s’explique au mieux dans ce
cadre109.
De même, a contrario, il n’est pas impossible que la relative
raréfaction des sceaux privés dès le VIIIe siècle, qui s’accompagne
d’une réduction drastique du nombre de types de monogrammes
en usage, puisse devoir être mise en relation avec la réorganisa-
tion d’un système d’enregistrement public plus ou moins perfec-
tionné. On constatera à ce titre que la recomposition d’un
cadastre public byzantin est précisément envisagée à cette
époque110. Le problème est ici essentiellement que l’on ignore à
peu près tout du notariat byzantin des VIIe-IXe siècles111. On peut
tout au moins souligner que les rarissimes sceaux de taboullarioi
que l’on possède semblent avoir appartenu à des officiels ayant

107
Ibid., p. 37.
108
M. Amelotti et G. Costamagna, Alle origini del notariato italiano... cit.,
n. 92, p. 33-47.
109
G. Zacos et A. Veglery, Byzantine Lead Seals... cit., n. 5, no 828. Voir le
classique N. Oikonomides, Silk Trade and Production in Byzantium from the
Sixth to the Ninth Century : The Seals of Kommerkiaroi, dans Dumbarton Oaks
Papers, 40, 1986, p. 33-53; je ne suis pas convaincu par les arguments opposés
à cette interprétation par W. Brandes, Finanzverwaltung in Krisenzeiten. Unter-
suchungen zur byzantinischen Administration im 6.-9. Jahrhundert, Francfort-
sur-le-Main, 2002 (Forschungen zur byzantinischen Rechtsgeschichte, 25),
p. 422-423.
110
N. Oikonomidès, Fiscalité et exemption fiscale à Byzance (IXe-XIe s.),
Athènes, 1996 (Fondation nationale de la recherche scientifique. Institut de
recherches byzantines, Monographies, 2), p. 33-34.
111
Pour la période postérieure, H. Saradi, Le Notariat byzantin du IXe au
XVe siècle, Athènes, 1991 (Bibliothèque Sophie N. Saripolou, 86).
232 VIVIEN PRIGENT

des responsabilités fiscales plutôt qu’à des rédacteurs d’actes


privés112.
L’hypothèse qui lie développement de l’usage des bulles et déclin
des curies se révèle, je crois, assez heureuse lorsqu’on en revient à la
situation italienne et plus largement occidentale. En effet, on sait
que les curies survécurent plus longtemps en Italie, où l’on ignore
d’ailleurs dans quelle mesure la novelle 15, antérieure à la
reconquête, fut effectivement appliquée113. Toutefois le phénomène
ne présente certainement pas partout le même visage et il convient
de mettre en valeur des différences régionales.
On a coutume d’invoquer pour aborder le problème de la survie
des curies le témoignage de Grégoire le Grand. On trouve en effet
mention dans le Registrum de l’ordo d’une cité dans dix-sept lettres
concernant seize villes apparemment bien réparties sur le territoire
italien : Ravenne 114 , Rimini 115 , Osimo 116 , Ortona 117 , Pérouse 118 ,
Bettona119, Gualdo Tadino120, Albano121, Nepi122, Naples123, Misène124,
Crotone125, Taureana, Thurium, Cosenza126, Palerme127. À ces attesta-

112
G. Zacos et A. Veglery, Byzantine Lead Seals... cit., n. 5, no 2805; voir pour
une matrice conique de tabullarios en Sicile, G. Manganaro, Solidi graffiti su
solidi nella Sicilia bizantina, dans Byzantino-Sicula III. Miscellanea di scritti in
memoria di Bruno Lavagnini, Palerme, 2000 (Quaderni dell’Istituto siciliano di
studi bizantini e neoellenici, 14), p. 204.
113
Ch. Diehl, Études sur l’administration byzantine de l’exarchat de Ravenne,
Paris, 1888, p. 106-108; A. Guillou, La Sicile byzantine : état des recherches, dans
Byzantinische Forschungen, 5, 1977, p. 115; D. Vera, Massa fundorum. Forme della
grande proprietà e poteri della città in Italia fra Costantino e Gregorio Magno, dans
Mélanges de l’École française de Rome. Antiquité, 111, 2, 1999, p. 1008; étude parti-
culière, F. M. Ausbüttel, Die Curialen und Stadtmagistrat Ravennas im späten 5.
und 6. Jh, dans Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 67, 1987, p. 207-214.
Cette idée repose largement sur la correspondance de Grégoire le Grand, comme
l’indique Laniado, Recherches sur les notables municipaux... cit., n. 87, p. 183
n. 87.
114
Étude de F. M. Ausbüttel, Die Curialen... cit., n. 113.
115
Grégoire le Grand, Registrum Epistularum... cit., n. 62, V, 22
116
Ibid., I, 56; III, 25; IX, 211; IX, 140. Sur cette ville, voir la petite synthèse
proposée par Zanini, Italie bizantine, p. 135-138.
117
Grégoire le Grand, Registrum Epistularum... cit., n. 62, II, 33.
118
Ibid., IX, 82.
119
Ibid., II, 3; II, 8; X, 9.
120
Ibid., II, 10 (janvier 592).
121
Ibid., IX, 101.
122
Ibid., IV, 39.
123
Ibid., I, 58.
124
Ibid., III, 11 (octobre 592).
125
Ibid., I, 78, datée (août 591).
126
Ibid., III, 11 (octobre 592).
127
Ibid., IX, 186.
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 233

tions, on peut ajouter celles des acta municipalia des cités de


Messine 128, Tindari 129, Rimini 130, Luni 131, Fermo 132, Teramo 133 et
Ascoli134. Toutefois, je crois que l’on ne peut pas recevoir uniformé-
ment ces témoignages car il s’agit toujours de lettres formulaires135.
Lorsque l’occasion nous est offerte par des lettres plus précises de
percevoir la réalité sociale de bon nombre de ces cités, le tableau
devient plus sombre136.
Je crois qu’il est possible de montrer que se recoupent globale-
ment les zones d’utilisation intensive des sceaux de plomb et celles
où les curies ont disparu le plus tôt. En Occident, on peut identifier
deux régions ayant laissé un bullaire relativement abondant :
l’Afrique et la Sicile. La Sardaigne constitue un cas particulier car
pour l’essentiel les éléments du bullaire ont une origine géogra-
phique extrêmement circonscrite137.
L’évolution de l’Afrique est marquée par la longue domination
vandale. Or celle-ci semble avoir été fatale à la prospérité des cités et
Chris Wickham propose de dater le début du déclin des curies afri-
caines avant même celui des boulai orientales138. Deux phénomènes

128
Ibid., II, 6.
129
Ibid., IX, 181 (juillet 599).
130
Ibid., II, 11 (janvier 592).
131
Ibid., VIII, 5 (octobre 596).
132
Ibid., IX, 58 (novembre 598).
133
Ibid., IX, 72 (novembre-décembre 598).
134
Ibid., XIII, 16 (novembre 602).
135
Sur cet aspect de la correspondance de Grégoire le Grand, voir l’introduc-
tion de V. Recchia (trad.), Opere di Gregorio Magno, Lettere, V/1-4, Rome, 1996-
1999 (Bibliotheca Gregorii Magni), I, p. 12-13; également, D. Norberg, Style
personnel et style administratif dans le Registrum Epistularum de saint Grégoire le
Grand, dans Grégoire le Grand, Colloque international, Chantilly, 15-19 sept. 1982,
Paris, 1986, p. 489-497. Voir également Grégoire le Grand, Registrum Epistu-
larum... cit., n. 62, I, 79 qui constitue clairement un excerptum, des minutes
destinées à fournir la matière de deux lettres distinctes aux scribes de la chancel-
lerie. Or, ce «brouillon» substitue au clergé et au peuple des adresses tradi-
tionnelles les seuls nobiles.
136
V. Prigent, La Sicile byzantine... cit., n. 63, p. 99-106.
137
P. G. Spanu et R. Zucca, Sigilli bizantini... cit., n. 41. La survie de la curie
de Cagliari à la fin du VIe siècle est raisonnablement certaine puisque les gesta
municipalia sont sans doute mentionnés dans le tarif fiscal publié par J. Durliat,
Taxes sur les entrées... cit., n. 48.
138
Ch. Wickham, Framing the Early Middle Ages... cit., n. 87, p. 635-644,
spéc. p. 637. On rappellera également ici l’affirmation faite par l’auteur d’un
traité sur l’art de l’agrimensor de l’inversion du rapport de forces entre les cités et
les domaines dès le début du IIe siècle, les derniers en venant à englober les
premières («Les conflits légaux entre cités et personnes privées sont particulière-
ment fréquents en Afrique où les domaines des individus peuvent être aussi
grands que l’intégralité du territoire d’une cité, bon nombre étant encore plus
grands. Les propriétaires accueillent sur leurs domaines une population susb-
tantielle et il y a des vici entourant les villae comme s’il s’agissait de municipia»,
234 VIVIEN PRIGENT

peuvent bien entendu avoir joué ici : premièrement, avant même la


conquête, les puissants investissements sénatoriaux postérieurs au
détournement du blé égyptien vers Constantinople, car la grande
propriété sénatoriale affaiblit certainement le poids et le rôle des
élites locales et limite leur domaine d’intervention en matière
fiscale; deuxièmement, après la conquête, la nomination de procura-
tores d’État responsables, à l’échelle des cités, du système fiscal qui
légitimait jusqu’alors les efforts du gouvernement en faveur du
maintien des curies139. Contrairement à ce que propose Jean Durliat,
le maintien d’un vocabulaire désignant les élites urbaines ne peut
pas être accepté d’emblée comme le signe d’une organisation
formelle et de responsabilités officielles demeurées inchangées de
celles-ci140.
Le cas sicilien est a priori plus déroutant puisque les cités de l’île
demeurent longtemps florissantes et accueillent une aristocratie de
haut vol141. À la fin du Ve siècle, les papyrus de Ravenne, notamment
le très beau document des donations au comte Piérus, prouvent que
la curie de Syracuse est encore active et que les procédures d’insi-

cité par R. P. Duncan-Jones, Some configurations of Landholding in the Roman


Empire, dans M. I. Finley [dir.], Studies in Roman Imperial Property, Cambridge,
1976, p. 24, d’après Agennius Urbicus, C. Thulin [éd.], Corpus Agrimensorum
Romanorum, 1, 1913, p. 45). Il me semble que des évolutions de ce genre pour-
raient davantage expliquer à terme la nucléarisation des villes que la conquête
vandale elle-même, comme le propose Ch. Wickham, Framing the Early Middle
Ages... cit., n. 87, p. 643.
139
Sur le mode de financement du royaume vandale, voir Ch. Wickham,
Framing the Early Middle Ages... cit., n. 87, p. 87-93 et p. 642, sur l’impact de ce
système sur les curies.
140
J. Durliat, Les attributions civiles des évêques byzantins : l’exemple du
diocèse d’Afrique (533-709), dans XVI. Internationaler Byzantinistenkongress,
Wien 1981, Jahrbuch der Osterreichischen Byzantinistik, 32/2, 1982, p. 75 et n. 15,
citant les Sidonii patres mentionnés par Corippe à Carthage et les logimoi/
dokimoi de Procope à Hadrumète : «Ces deux auteurs n’aiment pas le vocabu-
laire technique mais le sens ne fait aucun doute». La possibilité pour les habi-
tants (cives) d’un castrum de s’occuper de l’érection de fortifications ne va pas
davantage dans le sens d’une survie des institutions municipales; l’inscription
mentionne une longue liste de notables dont aucun ne fait référence à un titre
curial, alors même que la décision, qui engageait les finances locales, a fait l’objet
d’une délibération (on ne peut pas écarter totalement que le village ait été auto-
practe mais la solution n’est pas particulièrement économique), J. Durliat, Les
dédicaces d’ouvrages de défense... cit., n. 44, p. 71-77, no 29. Je ne saisis pas bien
l’argumentation de l’auteur sur l’utilisation des fonds publics. Il en va de même
pour la construction d’une tour par trois frères ou d’une fortification domaniale
par une propriétaire censément au titre de leurs prestations fiscales, ibid.,
p. 77-78 et 80-83; il me semble plus simple de penser qu’ils ont obtenu l’autorisa-
tion officielle pour réaliser un projet nécessaire à leur sécurité, sans pour autant
d’ailleurs qu’ils en retirent nécessairement un droit de propriété sur la fortifica-
tion.
141
V. Prigent, La Sicile byzantine... cit., n. 63, p. 57-148.
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 235

nuatio sont encore bien appliquées142. Toutefois, au lendemain de la


reconquête, Justinien introduit un système administratif spécial qui
retire leurs prérogatives fiscales aux curies pour les confier au comte
du patrimoine d’Occident et à ses agents143. La raison d’être des
curies disparaît donc et l’on comprend mieux que les lettres de
Grégoire le Grand ne fassent plus aucune mention d’institution de
ce genre en Sicile144. Les divers cas de mutations foncières évoquées
dans le Registrum révèlent également que les particuliers conservent
les actes chez eux et se les transmettent de la main à la main, confor-
mément au modèle général de l’Orient byzantin145. On peut égale-
ment mettre en avant les difficultés à régler toute contestation en
matière de droit de propriété que révèle la mise en place de commis-
sions d’arbitrage : il n’y a manifestement pas de documents à valeur
publique indiscutable à produire aisément en justice lors de conflits
locaux146.
A contrario, les zones où les sceaux sont étonnamment rares
sont le duché de Rome et l’Exarchat147. Or c’est précisément dans ces
zones que l’on peut mettre en valeur l’existence la plus longue d’un
système public d’enregistrement de type acta municipalia. Le cas le
plus clair est évidemment celui de Ravenne, grâce à la documenta-
tion papyrologique148. À ma connaissance, les dernières attestations
certaines des acta municipalia datent du règne d’Héraclius, comme
la donation de la clarissima femina Williwa et surtout le superbe cas
d’insinuatio aux gesta municipalia de Ravenne de la donation du
sous-diacre Deusdedit à l’Église locale149. À Rome, le cas de la dona-

142
J.-O. Tjäder, Die nichtliterarischen lateinischen Papyri... cit., n. 51, P.Ital.
10-11, p. 279-293.
143
V. Prigent, La Sicile byzantine, entre papes et empereurs (6e-8e siècle), dans
D. Engels, L. Geis et M. Kleu (éd.), Zwischen Ideal und Wirklichkeit : Herrschaft
auf Sizilien von der Antike bis zur frühen Neuzeit, Stuttgart, 2009, p. 202-207.
144
En dehors des cas d’utilisation d’un formulaire.
145
Par exemple, Grégoire le Grand, Registrum Epistularum... cit., n. 62, IX,
48 : pour revenir sur une donation, on rend le bien et l’acte de donation; aucune
référence à la nécessité d’une modification des acta municipalia qui auraient dû
enregistrer la modification des droits fonciers; H. Saradi-Mendelovici, L’enre-
gistrement des actes privés... cit., n. 88, p. 121.
146
Sur ces commissions d’arbitrage, V. Prigent, La Sicile byzantine, entre
papes et empereurs... cit., n. 143, p. 216-220.
147
Voir ci-dessus.
148
Voir la contribution de F. Santoni, I papiri di Ravenna... cit., n. 88.
149
J.-O. Tjäder, Die nichtliterarischen lateinischen Papyri... cit., n. 51, P.Ital.
28 et P.Ital. 21. En 625, l’insinuation «si svolge in maniera francamente irrituale»
en l’absence des curiales (F. Santoni, I papiri di Ravenna... cit., n. 88, p. 20). Le
passage d’un système à l’autre pourrait être marqué par l’adoption de la bulle de
plomb par les curiales de Ravenne, comme l’illustre le sceau de Georges, curiale
de la cité de Ravenne (J.-P. Kirsch, Altchristliche Bleisiegel... cit., n. 69, p. 326),
mais on peut également admettre qu’il s’agit avant tout ici d’un «status symbol».
236 VIVIEN PRIGENT

tion de la gloriosa Flavia Xantippe, assez tardive puisque datée des


alentours de l’an 600, est le plus intéressant150. Elle reconnaît le
transfert de suprascripta massa in integro cum fundis et casalis suis 151
et indique que celui-ci pourra être enregistré dans les gesta où et
quand le titulaire du document le jugera bon152. Pour Naples, je peux
seulement constater que le registrum plaide pour une survie des
institutions civiques au moins jusque vers la même date153. En
revanche, il semble bien nécessaire de rejeter toute dérivation des
curiales de l’Antiquité tardive aux notaires désignés de ce terme dans
la Naples du haut Moyen Âge154.
On notera enfin que la documentation notariée de ces zones
conservant un système d’enregistrement public des transactions ne
mentionne jamais à ma connaissance l’utilisation de bulles par les
parties prenantes ou les témoins.
De façon générale, il me semble que dans l’Italie péninsulaire,
les dispositions «conservatrices» de la Pragmatique Sanction, la
volonté affichée par le pouvoir impérial de promouvoir le retour à

De nouveau, notre incapacité à affiner la datation des bulles latines bloque le


raisonnement historique.
150
D. De Francesco, Aspetti e problemi della proprietà fondiaria tra VI e
VII secolo : la donazione di Flavia Xantippe a S. Maria Maggiore, dans Acta XIII
Congressus Internationalis Archaeologiae Christianae, Città del Vaticano/Split,
25 octobre-1 novembre 1994, Split-Cité du Vatican, 1998, II, p. 653-672, avec la
bibliographie antérieure.
151
J.-O. Tjäder, Die nichtliterarischen lateinischen Papyri... cit., n. 51, P. Ital.
17, p. 327-334. Voir également les commentaires de Vera, Massa fundorum... cit.,
n. 113, p. 1005 n. 56.
152
J.-O. Tjäder, Die nichtliterarischen lateinischen Papyri... cit., n. 51, P. Ital.
17, p. 332, l. 3-7. Sur la licentia allegandi, voir F. Santoni, I papiri di Ravenna...
cit., n. 88, p. 22-23.
153
Voir par exemple la «magistrature» en charge de la réfection de
l’aqueduc, Grégoire le Grand, Registrum Epistularum... cit., n. 62, IX, 77, ou la
figure du maior populi Théodore (ibid., IX, 47, IX, 53, IX, 77; Prosopographie
Chrétienne du Bas-Empire, 2, 1, Italie, Ch. et L. Pietri [éd.], Rome, 1999, Theo-
dorus 24, p. 2176-2177).
154
G. Cassandro, I curiali napoletani, dans Per una storia del notariato meri-
dionale, Rome, 1982 (Studi storici sul notariato italiano, 6), p. 326-339. Que ces
curiales n’apparaissent qu’au Xe siècle dans les actes de la pratique, tandis que les
notaires des quelques actes antérieurs ne sont jamais désignés de ce nom clôt la
discussion. L’origine de cette récupération demeure néanmoins mystérieuse. Le
terme ne me semble pas avoir bénéficié d’un tel prestige, bien au contraire, que
l’on comprenne qu’il ait pu être récupéré sciemment après une phase de rupture
totale. Il est également difficile d’admettre qu’une source redécouverte vers 900
(les Basiliques par exemple) ait pu inciter à cette récupération. Doit-on envisager
un lien originel plus géographique, les stationes des notaires ayant pu être origi-
nellement concentrées géographiquement aux abords de l’ancien bâtiment de la
curie? Mais un tel édifice n’est pas mentionné, à ma connaissance, dans les
sources du haut Moyen Âge.
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 237

un âge d’or de la romanité155, ont dû favoriser la survie des curies


jusqu’à une date assez tardive. La structure du territoire impérial a
dû également jouer. La discontinuité géographique a favorisé l’ins-
tallation dans bon nombre de villes de ducs ou autres titulaires de
l’autorité publique, un phénomène que l’on n’observe pas à ma
connaissance en Orient. Les aristocraties demeurent également
urbaines156. Or, cette structure décentralisée du pouvoir impérial,
cette présence permanente d’un représentant de l’autorité publique
en bon nombre de lieux où se concentraient les élites locales était de
nature à favoriser le maintien de systèmes publics d’enregistrement
des actes. Le cas est clair à Ravenne où ce sont des exceptores et scri-
niarii originellement liés à l’administration exarchale que l’on voit
intervenir157. À Naples, l’utilisation traditionnelle du titre de scrinia-
rius ou curialis et scriniarius parmi les notaires pourrait avoir la
même origine158.
La géographie de l’utilisation des sceaux de plomb en Occident
me semble donc recouvrir, en négatif, celle de la survie des curies,
ou tout au moins des institutions publiques d’enregistrement des
transferts de biens fonciers et autres contrats privés, bien davantage
qu’un quelconque niveau de développement économique ou de
diffusion de la langue grecque interprétée comme véhicule privilégié
des mœurs administratives grecques.
Je proposerai donc la conclusion suivante : les zones de l’Italie
septentrionale et centrale de tradition byzantine font un usage très
restreint du sceau de plomb au haut Moyen Âge, car cette pratique
orientale n’a pas su s’y enraciner avant le rejet de l’autorité impériale
du fait de la survie tardive des curies ou tout au moins d’un système
d’enregistrement public des contrats. Bien évidemment, cela nous
ramène au propos initial sur la question de la datation des bulles
latines. Si l’usage des capitales dans les légendes sigillographiques
reflète bien une date tardive, comme je serais d’avis de le penser,
alors la prépondérance en Italie de bulles de ce type indiquerait bien
un développement tardif de l’usage du sceau de plomb parfaitement
en accord avec l’effacement également tardif des curies, ou tout au

155
G. G. Archi, Pragmatica Sanctio pro petitione Vigilii, dans Scritti di Diritto
Romano, III, Milan, 1981, p. 1971-2010.
156
Ch. Wickham, Framing the Early Middle Ages... cit., n. 87, p. 202-219.
157
Exceptor qualifié de curiae civitatis Ravennatis : J.-O. Tjäder, Die nicht-
literarischen lateinischen Papyri... cit., n. 51, P. Ital. 14-15 (572), p. 308-317, III, 1,
13; voir aussi ibid., P. Ital. 37, p. 121 et n. 14; Scriniarius, ibid., P. Ital. 21 (625),
p. 352-358, 2, 3, 8.
158
G. Cassandro, I curiali napoletani... cit., n. 154, p. 299-374. De nouveau,
l’auteur me semble écarter un peu vite la possibilité d’une dérivation originelle
des scriniarii napolitains, qui exercent l’activité notariale, des scrinia du duc de
Naples d’époque byzantine.
238 VIVIEN PRIGENT

moins des institutions publiques d’enregistrement. Ce développe-


ment tardif expliquerait en retour au mieux que la tradition du
sceau de plomb n’ait pas mieux survécu après le départ des autorités
impériales.
Je conclurai en survolant un dernier aspect du problème, la
réception de l’usage de la bulle dans les zones lombardes. L’utilisa-
tion de la bulle métallique en Italie après le départ des fonction-
naires byzantins relève essentiellement du «status symbol» et c’est
sans doute à juste titre que J. Sheppard propose de placer l’adoption
du sceau de plomb par les Ottoniens dans le cadre de leur rivalité
avec Byzance159. Toutefois, il me semble bien que tel était déjà le cas
aux VIIe-VIIIe siècles en Italie, où cette pratique ne répondait pas à
une réelle nécessité en dehors de la haute administration publique.
Ce phénomène explique certainement que l’usage du sceau de
plomb n’ait pas été largement transmis aux conquérants lombards,
qui semblent s’être contentés de ces anneaux sigillaires attestés tant
par les découvertes archéologiques que par certains documents de la
pratique160. Pour les potentats lombards, on ne connait en effet que
sept bulles de haute époque161. La collection Likhačev possède celle
d’un certain Trasemund qui adopte au droit un motif inspiré des
modèles impériaux byzantins162 et qu’il faudrait sans doute identifier
au duc de Spolète Trasamund II (719/20-742/3), allié de Grégoire II

159
Voir supra n. 2.
160
Codice diplomatico Longobardo, IV/2. I diplomi dei duchi di Benevento, éd.
H. Zielinski, Rome, 2003 (Fonti per la storia d’Italia, 65) no 5 (743) : Una cum
voluntate et iussionem domni vir gloriosissimus Romovald summus dux gentis
Langobardorum, ego Iubinianus una cum coniuge mea Domila et cum consensu de
filios nostros Pillonem et Martino offeruemus in monasterio beate Sancte Marie et
Sancti Petri [...] in quicquid habere visi sumus. (...) Unde pro firmitate huius
membrani nominata potestatem postulavimus, ut effigiem anuli sui affigi precepit.
Voir également I placiti del «Regnum Italiae» C. Manaresi (éd.), I, Rome, 1955
(Fonti per la storia d’Italia, 92), no 106, p. 3942 : durant un plaid de 898, on
constate que deux préceptes royaux (Liutprand, 716 et Astolf, 755) sont «ab anulo
domini regis sigillatum». Sur les anneaux sigillaires lombards, de façon générale,
S. Lusuardi Siena (éd.), Anulus sui effigii. Identità e rapprensentazione negli anelli-
sigillo longobardi. Atti della giornata di studi, Milano, Università Cattolica,
29 aprile 2004, Milan, 2006 [2007]. S. Lusuardi Siena (dir.), I signori degli anelli.
Un aggiornamento sugli anelli-sigillo longobardi in memoria di Otto von Hessen e
Wilhelm Kurze. Atti della giornata di studio, Milano, 7 maggio 2001, Milan, 2004.
S. Lusuardi Siena, Wilhelm Kurze e gli anelli-sigillo aurei longobardi : status
quaestionis, dans M. Marrocchi et C. Prezzolini (dir.), La Tuscia nell’alto e pieno
Medioevo. Fonti e temi storiografici «territoriali» e «generali». In Memoria di
Wilhelm Kurze. Atti del Convegno internazionale di studi Siena-Abbadia San Salva-
tore, 6-7 giugno 2003, Florence, 2007 (Millenio Medievale, 68, Atti di Convegni, 21),
p. 135-169.
161
S. Lusuardi Siena, Wilhelm Kurze e gli anelli-sigillo... cit., n. 160,
p. 135-169.
162
E. V. Stepanova, Pečati s latinskimi... cit., n. 11, no 144.
L’USAGE DU SCEAU DE PLOMB 239

contre l’exarque Eutychios plutôt qu’à son ancêtre homonyme du


temps de Constant II163. En effet, le motif du droit – une croix
potencée sur gradin portant une inscription circulaire précisant le
nom du possesseur – apparaît à l’époque iconoclaste164. Au-delà de
cette belle pièce, on peut citer la bulle d’un certain Anso, vir illustris
et dux, trouvé dans le premier dépôt de la Crypta Balbi 165. Il présente
le même schéma général que celui de Trasamund. Au droit, une
croix potencée; au revers, le portrait stylisé d’un guerrier au casque
surmonté d’une croisette. L’inscription court le long de la circonfé-
rence du revers. De nouveau, la comparaison avec les bulles impé-
riales semble pertinente pour la datation. Le contexte de découverte
se clôt dans les dernières années du VIIe siècle. Or, le revers à la
croix potencée, dépourvue de gradin, est une spécificité des sceaux
de Constantin IV postérieurs à 680166. Si l’on accepte ce rapproche-
ment, la bulle lombarde publiée par Ficoroni, qui présente une
même organisation que la précédente, avec un droit identique et au
revers le même type de portrait accompagné de l’inscription Iffo dux
serait de même époque. La reprise du modèle du sceau impérial me
semble interdire de voir dans les possesseurs de ces bulles des fonc-
tionnaires impériaux et je les attribuerais donc volontiers à des
seigneurs lombards. Dès lors que la datation la plus probable amène
vers le fin du VIIe siècle, je pense fondé de rapprocher le sceau de
Ficoroni d’une monnaie du Medagliere Municipale Milanese à
l’authenticité contestée. Au revers d’un trémisse du roi Aripert II
(701-712), inspiré des monnaies de Tibère III, est en effet mentionné
Iffo gloriosus duc par une inscription courant autour d’une croix
potencée167. La légende est donc comparable à celle du sceau d’Anso,
le gloriosat étant une sous-catégorie de la classe sénatoriale des
illustres et un prédicat régulièrement en usage dans les titulatures
des ducs lombards. Cette pièce étant l’unique cas de frappe mention-

163
On trouvera une bibliographie récente sur le duché de Spolète dans
A. Thomas, Hildeprand de Spolète, un duc lombard face à l’avènement du pouvoir
franc en Italie (774-788), dans E. Cuozzo, V. Déroche, A. Peters-Custot et
V. Prigent (dir.), Puer Apuliae. Mélanges en l’honneur de Jean-Marie Martin, Paris,
2008 (Monographies du Centre d’histoire et de civilisation de Byzance, 30),
p. 637-652.
164
On peut citer une exception, l’un des types de sceaux utilisés par Tibère II
avant que la Vierge ne s’impose : voir sur ce modèle C. Morrisson et J. Nesbitt,
An Unpublished Lead... cit., n. 33.
165
F. Marazzi, Il sigillo plumbeo del «dux» Anso dall’esedra della «Crypta
Balbi» in Roma, dans S. Lusuardi Siena (dir.), I signori degli anelli... cit., n. 160,
p. 85-88.
166
Catalogue of Byzantine seals at Dumbarton Oaks... cit., n. 6, VI, no 23.
167
Ph. Grierson et M. Blackburn, Medieval European coinage. With a cata-
logue of the coins in the Fitzwilliam Museum. 1. The early Middle Ages (5th-10th
centuries), Cambridge, 1986, p. 59.
240 VIVIEN PRIGENT

nant un duc, E. Bernareggi proposait d’y voir un faux168. Le rappro-


chement avec le sceau dont la datation la plus probable est à peu de
chose près celle de la pièce devrait amener à rouvrir ce dossier avec
tout ce qu’il implique pour la royauté lombarde étant donné que ce
trémisse est la seule émission à associer un duc au roi. On gardera
toutefois présent à l’esprit que le plomb de Ficoroni put parfaite-
ment servir tout simplement d’inspiration au faussaire.

Vivien PRIGENT

168
E. Bernareggi, Problemi di numismatica lombarda : il tremisse di Aripert
con Iffo, dans Rivista italiana di numismatica, 67, 1965, p. 105-117 et Id., dans
P. Bastien, F. Dumas, H. Huvelin et C. Morrisson, Mélanges de numismatique,
d’archéologie et d’histoire offerts à Jean Lafaurie, Paris, 1980, p. 176 : «il “falso
inventato” che indubbiamente ha raccolto più lungamente il maggior favore
anche da parte di studiosi qualificati è indubiamente il tremisse di Aripert con il
duca Iffo». Je ne résiste pas au plaisir de citer la publication d’origine :
A. Caronni, Ragguaglio di alcuni monumenti di antichità ed arti raccolti negli
ultimi viaggi di un dilettante antiquario sorpreso da’ corsari, condotto in Barberia e
felicemente rimpatriato – a Mad. Carolina Anguissola ed. Settala, Milan, 1806, II,
p. 166, no 56. L’authenticité de la pièce fut acceptée par Ph. Grierson, The silver
coinage of the Lombards, dans Archivio storico Lombardo, 8e série, 6, 1956, p. 136.

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