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Marin
M1 - Histoire et patrimoine
Séance 1
Introduction générale
Le Moyen Âge comme période historique naît à la Renaissance, parmi les peintres italiens qui
critiquent le gothique réputé barbare pour mieux valoriser l’Antiquité dont ils s’inspirent :
ainsi fait Vasari, dans ses Vies des plus excellents peintres (1550). Un peu plus tard, les
historiens protestants de Magdebourg diffusent une tripartition des temps de la Chrétienté : à
l’antiquité de l’Eglise succéderait un âge intermédiaire, allant du VIIIe s. à 1517, date du
début de la Réforme, après quoi commence le présent. Ainsi s’impose un schéma cyclique
d’évolution providentielle.
Nous ne nous attacherons pas ici à la réception contemporaine du Moyen Âge en général,
mais nous nous concentrerons sur des lieux de mémoire hérités du Moyen Âge. J’emprunte
naturellement la formule à Pierre Nora, qui a dirigé entre 1984 et 1992 7 gros volumes sur le
sujet. Par lieu de mémoire, il entend « toute unité significative, d’ordre matériel ou idéel, dont
la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément symbolique du patrimoine
mémoriel d’une communauté ». Voilà une définition large, trop large peut-être, car
l’expression a fini par devenir une boîte de Pandore. Ce cours la resserrera en ne tenant
compte que de lieux de mémoire visibles, inscrits dans l’espace et le paysage. Le propos sera
de montrer comment le Moyen Âge structure encore aujourd’hui, parfois à notre insu, nos
manières d’appréhender notre identité, notre environnement et notre monde.
Le château-fort
INTRO
Le château fort est aujourd’hui associé dans l’imaginaire au Moyen Âge central. Cette
image d’Epinal ne va pas sans distorsions, car beaucoup de ces édifices ont été profondément
remanié dès la fin du MA, au point de rendre méconnaissable leur physionomie primitive.
D’où la difficulté d’écrire la genèse des châteaux.
Pour Michel Bur, un château se définit comme la résidence fortifiée d’un puissant.
Cette définition classique réunit donc 3 critères : il doit s’agir d’un habitat permanent, et non
pas d’un lieu de refuge temporaire (fonctionnel) ; cette place forte est investie d’une vocation
défensive (architecture) ; enfin, c’est un instrument et un marqueur d’une domination sociale
ou socio-politique.
Ainsi conçu, le château n’a rien d’une forme éternelle ou universelle. Il résulte de
l’association entre fonction résidentielle et fortification qui date seulement des alentours de
l’an Mil. Pourquoi à ce moment-là. Les historiens en débattent.
Si l’historiographie s’est renouvelée sur le sujet, c’est aussi que la documentation s’est
élargie. Longtemps, on a privilégié les sources textuelles. Mais les premières descriptions ne
sont pas antérieures au XIIe s. Les allusions plus anciennes sont difficiles à interpréter et
polysémiques : Les sources littéraires ou diplomatiques utilisent une terminologie très
imprécise. On rencontre dans les textes aussi bien les termes castella, castra, oppida,
munitiones que dans le Midi roccae, petrae, speluncae… Pour le reste il fallait se contenter
des images de la tapisserie de Bayeux (3 châteaux bretons, Dinant, Dol et Rennes) et des
vestiges encore debout. Les progrès sont donc venus ces dernières décennies de l’archéologie
de prospection. Les fouilles ont mis au jour des milliers de sites fortifiés inconnus jusque-là.
Mais les leçons qu’il faut en tirer sont loin d’être univoques.
B- La fonction résidentielle
Il faut s’entendre sur les mots. La fonction résidentielle peut n’être qu’intermittente. Le
mode de vie aristocratique était largement itinérant, le seigneur avait besoin de parcourir ses
domaines et pouvait donc disposer de plusieurs résidences fortifiées. En son absence, ils
laissait l'administration du château à des représentants, des milites castri.
Organisation spatiale : Là encore, le site de Husterknupp se révèle d'une grande richesse,
mais exige la plus grande prudence, en raison du caractère exceptionnel de l'évolution qu'il
propose. On observe toutefois, comme ailleurs, une tendance à la bipartition de l'espace : les
bâtiments résidentiels se distinguent nettement, à partir du XIe siècle, des bâtiments
d'exploitation. À Husterknupp, cela se traduit par une distance plus grande placée entre les
deux groupes en phase II, puis par une discontinuité dans le bâti, la résidence du maître étant
désormais située au sommet de la motte et ceinte d'une palissade.
On rencontre une variation à l'infini de cet espace castral dissocié, avec des basses-cours
simples ou multiples (Klingenmünster), contiguës ou éloignées (Grimbosq), en hauteur, avec
une motte servant de guet (Grimbosq) ou une résidence établie dans la tour surplombant la
motte (Husterknupp)…
Le site de Colletière présente un genre hybride, puisque la distance entre la résidence
principale et les autres bâtiments est faible (quelques mètres). Cela tient à l'exiguïté du site
ainsi qu'à la faible distance sociale qui devait séparer le maître des membres de la domus. La
résidence est cependant nettement identifiable, par sa taille, par les matériaux utilisés, par sa
hauteur (4 m de plus que les autres bâtiments).
Cette tour en bois a rarement servi de résidence permanente aux seigneurs, qui vivaient
généralement dans une enceinte à son pied. Exemple : à Grimbosq, dans la Calvados, la tour
était un simple poste d’observation. C’est la basse-cour nord qui accueillait les éléments
essentiels de la résidence seigneuriale, en charpente de bois reposant sur des solins en pierre
sèche
Les donjons, au contraire, tendent à intégrer tous les éléments de la résidence : aula, salle
de publique destinée aux réceptions et à l’exercice de la justice, disposée à Loches au 1 er étage
pour être la mieux éclairée, capella, chapelle, à Loches au second, camera, la chambre ou
plutôt les appartements, répartis à Loches entre le 2 e et le 3 étage. L’aspect résidentiel y est
soigné, par l’aménagement de grandes cheminées, de latrines et le percement de nombreux
escaliers et couloirs.
C- La fonction économique
Avec la dissociation spatiale, les bâtiments domestiques sont concentrés dans la basse-
cour. Le bois utilisé pour les constructions rend difficile toute tentative de reconstitution. Il
faut le plus souvent se tourner vers les objets et matériaux pour connaître la vocation des
différents bâtiments. Pour l'essentiel, on trouve dans les sites castraux une activité artisanale :
forge, maréchalerie, textile (des fuseaux et broches en os ont été découverts sur le site de
Düna en Basse-Saxe), fabrication d'armes légères (pointes de flèches, javelots).
Les activités agro-pastorales étaient parfois pratiquées à l'intérieur d'un enclos, le plus
souvent de l'autre côté de la muraille. Les bâtiments agricoles sont des écuries, des bâtiments
de stockage (silos). On a, au hasard des fouilles, découvert des houes, des faucilles, des
haches, des trompes d'appel en céramique (bergers). La fouille des silos permet de connaître
les céréales cultivées. On peut alors déduire des sites la pratique d'une polyculture à
dominante céréalière et élevage porcin (nord et est) et ovin-caprin (sud) permettant une
autosuffisance.
Activités pratiquées : À Colletière, la richesse des objets mis à jour par les fouilles et leur
excellent état de conservation permettent de reconstituer la vie quotidienne des colons. On
pratique sur le site la pêche en pirogue (foënes, hameçons), la céréaliculture (faucilles et
même des restes de pain calciné). La "ferme" est autosuffisante, grâce à la pratique de
nombreuses activités artisanales (poterie, textile, travail du cuir). Surtout, les mêmes individus
pratiquent la guerre, comme le démontre la présence de nombreux chevaux (ferrés sur place,
munis d'arçons décorés, de harnais) et d'armes qui ne laissent aucun doute sur l'activité
militaire des colons. La pluriactivité est de mise. Il est probable que les colons étaient les
villani-caballari qu'évoque le concile d'Anse en 1025 : des paysans-chevaliers, colons armés
au statut mal défini mais qui jouissent d'un statut singulier.
CONCLUSION
L’essor du château des Xe – XIIe siècles correspond ainsi, et avant tout, au passage
d’un espace seigneurial indifférencié à sa polarisation castrale qui peut elle-même se présenter
comme une dimension spatiale d’un changement social. Cela étant, dans les temps et les
espaces qui nous concernent, cette évolution ne se fait pas par le truchement d’une brusque
rupture (toujours la fracture de l’an mil) : non seulement sa chronologie est bien large (plus
d’un siècle à tout le moins) mais ses transformations n’acquièrent jamais une dimension
unitaire (la motte partout) : les formes du château maintiennent de fortes diversités régionales
(des enceintes aux mottes ou aux donjons en pierre) et il convient de considérer l’essor de cet
univers castral comme un indice multiforme, mais ô combien probant, d’une dynamique
générale qui touche aussi les structures parentales et les dénominations familiales de
l’aristocratie.